Article 30
L’article L. 551-1 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 551-1. – À moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article L. 561-2, l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de quatre jours, lorsque cet étranger :
« 1° Doit être remis aux autorités compétentes d’un État membre de l’Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ;
« 2° Fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ;
« 3° Doit être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction judiciaire du territoire prévue au deuxième alinéa de l’article 131-30 du code pénal ;
« 4° Fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission ou d’une décision d’éloignement exécutoire mentionnée à l’article L. 531-3 du présent code ;
« 5° Fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois années auparavant en application de l’article L. 533-1 ;
« 6° Fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise moins d’un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n’a pas été accordé ;
« 7° Doit être reconduit d’office à la frontière en exécution d’une interdiction de retour ;
« 8° Ayant fait l’objet d’une décision de placement en rétention au titre des 1° à 7°, n’a pas déféré à la mesure d’éloignement dont il est l’objet dans un délai de sept jours suivant le terme de son précédent placement en rétention ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire. »
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. L'article 30 prévoit de faire passer le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention de quarante-huit heures à quatre jours.
Cet allongement s’appuie sur deux arguments principaux.
Le premier argument est clairement affirmé à la page 249 du rapport établi par la commission des lois de l’Assemblée nationale en vue de l’examen en première lecture de ce texte : le juge des libertés et de la détention est un empêcheur d’expulser en rond, parce qu’il a le malheur de vouloir faire respecter l’État de droit.
Mes chers collègues, croyez-vous sincèrement que le Conseil constitutionnel sera sensible à une proposition qui affiche clairement sa volonté de contourner l’État de droit, au nom de l’efficacité de la politique migratoire ? Le Conseil constitutionnel doit-il estimer, comme vous, que l’étranger n’est pas un homme comme les autres et qu’il a, de ce fait, moins de droits ?
Selon les estimations de la CIMADE, avec cette mesure, ce ne sont pas moins de 4 000 étrangers qui pourraient être expulsés sans le moindre accès au juge des libertés et de la détention.
La majorité estime par ailleurs que les procédures actuelles sont trop enchevêtrées et que cela nuit à la bonne administration de la justice, objectif de valeur constitutionnelle.
D’une part, il n’est pas certain que porter atteinte aux droits de l’homme puisse servir de caution au respect d’un objectif de valeur constitutionnelle. D’autre part, je cherche en quoi le recours au juge des libertés et de la détention, dans un délai de quarante-huit heures, a rendu la bonne administration de la justice impossible...
Ce n’est donc pas la justice qui fonctionne mal : c’est bien plutôt votre politique migratoire qui est entravée.
Par ailleurs, je ne crois pas que réaliser 25 000 expulsions par an soit un objectif de valeur constitutionnelle !
L’existence de deux procédures conjointes mais distinctes – administrative, d’un côté, judiciaire, de l’autre – découle d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Chacune des juridictions statue sur la matière qui lui échoit : le juge judiciaire se prononce sur la liberté individuelle quand le juge administratif examine la légalité de l’arrêté qui lui est soumis. La bonne administration de la justice suppose le respect de cette séparation et une absence de confusion des procédures.
Le juge des libertés et de la détention et le juge administratif travaillent indépendamment l’un de l’autre ; cela doit perdurer. La justice ne s’en portera que mieux !
En toute circonstance, le juge des libertés et de la détention doit intervenir le plus rapidement possible. C’est le sens des amendements que nous vous présenterons.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la rédaction de l’article 30 représente une réelle entorse au texte de notre Constitution.
La rétention administrative constitue une mesure privative de liberté. En conséquence, pour le bon fonctionnement de notre justice et pour le respect des droits de l’homme, il est impératif qu’un juge du siège ait à se prononcer rapidement sur le bien-fondé d’un placement en rétention administrative.
Actuellement, l’intervention du juge des libertés et de la détention se fait sous quarante-huit heures, un délai raisonnable qui nous permet de respecter les exigences de notre Constitution. Vous, vous proposez de porter ce délai à quatre jours.
Il s’agit manifestement d’une régression, que vous ne parvenez pas à justifier. Jusqu’à présent, vous aviez jugé qu’un délai de deux jours était raisonnable, et le Conseil constitutionnel le pensait aussi. Comment croyez-vous que ce dernier réagira devant le peu d’arguments que vous avancez pour le modifier, lui qui se fonde sur la nécessité d’avoir un délai aussi court que possible ?
Il nous semble important de ne pas encourir une énième censure, plus que prévisible, en décidant de ne pas modifier le dispositif actuel.
Vous estimez que le droit des étrangers est entravé par l’existence de deux procédures distinctes : une administrative et une judiciaire. Soit ! Selon vous, c’est parce que ces deux procédures s’enchevêtrent que le bon fonctionnement de la justice est freiné.
Aujourd’hui, notre justice fonctionne pourtant correctement dans ce domaine : le juge des libertés et de la détention intervient rapidement et peut libérer tous les étrangers qui ne devraient pas se trouver dans les centres de rétention parce que la procédure d’interpellation n’est pas conforme au droit ; il applique la loi avec rigueur et limite ainsi le nombre de cas étudiés par le juge administratif.
Ce n’est pas le bon fonctionnement de la justice que le juge des libertés et de la détention perturbe, ce sont vos chiffres d’expulsions ! Le juge est responsable non pas de la politique migratoire, mais simplement de l’application de la loi. Si vous ne remplissez pas vos quotas, essayez de les modifier plutôt que de vous attaquer à l’État de droit !
Que le juge des libertés et de la détention soit un « empêcheur d’expulser en rond », quoi de plus normal ? C’est sa mission que de faire respecter la loi et de s’opposer à ce que l’on interpelle quelqu’un en niant ses droits et en se fondant notamment, comme cela peut arriver, sur la couleur de sa peau.
De manière assez constante, pour un ministre de l’intérieur, le droit, le juge, la justice sont sources d’ennuis et de tracas, et ce dans tous les domaines. On se doute à vous entendre, monsieur le ministre, que c’est encore vrai aujourd’hui et qu’il serait plus simple pour vous d’expulser avec plus de célérité. D’aucuns appelleront cela la recherche de l’efficacité… Cependant, pour l’équilibre de notre démocratie, jamais la recherche de l’efficacité ne doit venir contrarier le droit.
Votre intervention en la matière risque, de plus, dans la pratique, d’être contre-productive. La mutation que vous préconisez n’est pas simplement contraire au droit : elle va de surcroît provoquer un embouteillage de la juridiction administrative.
En effet, le juge des libertés et de la détention sert souvent aussi d’« entonnoir » : il permet au juge administratif de n’être finalement saisi que de peu de cas. Si vous supprimez ce verrou, vous allez conséquemment augmenter le nombre de cas sur lesquels la juridiction administrative aura à se pencher. À effectifs constants, puisque vous n’avez pas prévu d’augmenter ses moyens en personnels – sans doute une telle proposition tomberait-elle sous le coup de l’article 40 de la Constitution… –, il n’est pas certain qu’elle puisse le faire sans entraîner un allongement général des délais de jugement, ce qui aggraverait des situations déjà bien difficiles.
Au final, vous allez désorganiser la justice alors que vous prétendez vouloir en améliorer le fonctionnement.
Bref, on marche sur la tête ! Et cela vaut pour de nombreux articles : je ne pense pas que, à force de pinailler, vous obteniez les effets escomptés.
Plutôt que de nous soumettre cinq lois sur l’immigration en quelques années, il aurait été préférable, avant de commencer à discuter de la suivante, de lancer un audit sur l’application de la précédente. Ce faisant, on aurait pu savoir si les dispositions votées avaient servi à quelque chose, connaître la manière dont elles avaient été mises en œuvre et réfléchir aux moyens de les rectifier.
On passe d’une loi à l’autre, sans jamais avoir le recul nécessaire. C’est nier le rôle du Parlement !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 67 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 159 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L’amendement n° 189 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 67.
M. David Assouline. L’article 30 modifie l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en prévoyant de nouveaux cas autorisant l’administration à placer un étranger en rétention administrative.
Il en va ainsi du placement en rétention administrative pour un étranger qui doit être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction de retour sur le territoire français. Cette dernière s’assimile à une « double peine » administrative et institue, de fait, le bannissement du territoire européen.
Nous sommes fortement opposés à un tel cas de figure et la rédaction de l’article L. 551-1 du CESEDA n’a pas lieu de l’intégrer.
Par ailleurs, les alternatives à la rétention sont insuffisantes. L’article 15 de la directive Retour prévoit pourtant que « d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives », dès lors qu’elles peuvent être appliquées efficacement, doivent se substituer à la rétention. La consignation des documents d’identité, l’obligation de pointer auprès des services de police constituent, par exemple, des solutions efficaces.
En outre, la nouvelle rédaction proposée pour l’article L. 551-1 du CESEDA tient compte de l’allongement de la durée de rétention initiale à quatre jours, allongement qui ne trouve aucune justification comme je m’en suis déjà expliqué.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 159.
Mme Éliane Assassi. L’article 30 augmente la durée pendant laquelle l’administration peut maintenir l’étranger en rétention administrative sans l’intervention du juge judiciaire, qui passe ainsi de quarante-huit heures à quatre jours.
Le juge n’étant pas saisi dans de si brefs délais pour se prononcer sur la validité de la présence en rétention de l’étranger, il ne peut donc intervenir pour interpréter le caractère nécessaire de la mesure.
La rétention est pourtant une mesure de privation de liberté, et l’on ne saurait donc la prendre à la légère.
La directive Retour affirme que les mesures de rétention administrative ne peuvent concerner que des étrangers dont la possibilité d’éloignement est fortement probable. Elle conditionne ce placement en rétention à des perspectives d’éloignement que ne prévoit pas l’article 30 du projet de loi.
Enfin, le nouveau dispositif instaure, selon nous, une discrimination entre l’étranger qui fera l’objet d’une mesure d’assignation à résidence prononcée par le juge des libertés et de la détention et celui qui se verra placé en rétention administrative par l’administration.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 189 rectifié.
M. Jacques Mézard. Nous proposons également la suppression de l’article 30, car nous considérons que celui-ci va bien au-delà des prescriptions de la directive Retour.
Cette directive pose en effet le principe suivant : s’agissant des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, les États membres doivent privilégier toute autre solution moins répressive que la rétention ; il peut s’agir, par exemple, de la remise du passeport ou de l’obligation de pointage. Elle impose, dans le même registre, que l’étranger soit laissé en liberté s’il n’existe pas de risque de fuite.
Au final, la rétention administrative dont il est ici question devrait ne concerner que les étrangers pour lesquels les autres mesures se révéleraient inefficaces ou une forte probabilité d’éloignement existerait.
En définitive, c’est l’inverse qui a été choisi, en faisant du placement en rétention – c'est-à-dire une mesure privative de liberté – la norme, et cela, qui plus est, alors même que l’interdiction de retour crée encore un nouveau motif de placement.
Nous sommes loin du principe juridique de la clause de droit plus favorable ! Au contraire, l’article 30 est plus sévère que la directive.
Il est en outre révélateur de la différence d’appréciation entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
En première lecture, en effet, le Sénat avait, sur proposition de la commission des lois, ramené de cinq jours à quarante-huit heures, soit la durée prévue par le droit en vigueur, la durée initiale du placement en rétention par le préfet. C’était la conséquence de l’adoption par la commission, à l’article 37, de l’amendement qui visait à rétablir le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en matière de rétention à quarante-huit heures, au lieu des cinq jours initialement prévus par le projet de loi.
Aujourd’hui, nous avons à débattre d’un nouveau texte élaboré par la commission, qui nous propose un délai de quatre jours. Il s’agit, en réalité, d’une « tentative de négociation » avec l’Assemblée nationale. Il reste que cette disposition pose un vrai problème tant nous sommes là à la limite de ce qu’il est possible de prévoir en termes de délai. Il est très vraisemblable qu’elle sera l’un des points d’achoppement avec le Conseil constitutionnel, qui sera, à n’en point douter, saisi du projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.
Je tiens à donner quelques éléments d’explication sur la modification de fond de la procédure de saisine du juge des libertés et de la détention lorsque l’étranger est placé en centre de rétention.
Le projet de loi initial fixait le report de l’intervention du juge à cinq jours. En première lecture, cette disposition m’était apparue comme une solution certes imparfaite, puisqu’elle reportait l’intervention du seul juge compétent pour vérifier la régularité de la privation de liberté à cinq jours, mais comme une solution tout de même préférable au statu quo qui laisse aujourd'hui les procédures enchevêtrées ; ce point avait d’ailleurs été souligné dans le rapport Mazeaud.
Le Sénat, suivant en cela la commission des lois, avait toutefois supprimé cette disposition, estimant qu’un tel report présentait un risque d’inconstitutionnalité en privant l’étranger d’un recours contre les conditions de cette privation de liberté pendant un délai trop long.
Je rappellerai brièvement les repères dont nous disposons en la matière.
En 1980, le Conseil constitutionnel a estimé qu’une durée de sept jours de rétention sans contrôle de l’autorité judiciaire était excessive, arguant que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
Par ailleurs, le Conseil a validé en 1997 une saisine du juge judiciaire au bout de quarante-huit heures, au lieu de vingt-quatre heures, pour prolonger la rétention.
Je précise enfin que le Conseil constitutionnel n’avait pas eu à se prononcer sur le délai de quatre-vingt-seize heures en zone d’attente, fixé par le législateur en 1992.
Au total, par ces décisions, le Conseil indique seulement qu’un délai de quarante-huit heures n’est pas contraire au principe du « plus court délai possible », alors qu’un délai de sept jours est excessif.
Compte tenu de ces éléments, la commission des lois du Sénat a adopté un amendement du président Hyest tendant à fixer le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention à quatre jours, délai qui existe déjà, faut-il le rappeler, en matière de zones d’attente.
Telles sont, mes chers collègues, les conditions dans lesquelles la commission a été amenée à vous soumettre le présent texte de l’article 30. Ces explications vaudront évidemment pour les amendements à venir. Je vous proposerai notamment d’adopter, à l’article 34, un amendement visant à fixer à quatre jours le délai de jugement du juge administratif, afin d’éviter l’enchevêtrement des contentieux et de préserver la « valeur ajoutée » de la réforme.
Dès lors que la commission des lois a exprimé le souhait de voir le juge des libertés et de la détention intervenir au bout de quatre jours, il convenait de coordonner cette décision avec l’intervention du juge administratif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Vous ne serez pas surpris que j’émette, au nom du Gouvernement, un avis défavorable à ces amendements, comme vient de le faire à l’instant M. le rapporteur.
L’allongement de la durée de la rétention administrative se situe en effet au cœur de la réforme proposée à travers ce texte ; la commission des lois en a finalement validé le principe, et je tiens à saluer l’évolution de sa position.
En effet, l’organisation actuelle des interventions du juge administratif et du juge judiciaire se caractérise par un enchevêtrement des procédures, comme l’a souligné, notamment, la commission Mazeaud. Cette situation crée régulièrement des cas juridiquement absurdes. Il arrive ainsi qu’un juge des libertés et de la détention prolonge la rétention d’un étranger sur le fondement d’une mesure d’éloignement qui sera ensuite annulée par le juge administratif.
Cet état du droit n’assure pas un respect de l’objectif visé par la directive Retour, à savoir un contrôle juridictionnel rapide de la légalité du placement en rétention.
Il est donc proposé que les deux juges interviennent dans l’ordre logique de leurs compétences, dont on oublie trop souvent qu’elles sont différentes. D’abord, le juge administratif se prononce sur la légalité des décisions d’éloignement et de placement en rétention. Ensuite, le juge des libertés et de la détention se prononce sur la prolongation de la rétention aux fins de reconduite à la frontière.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous sommes en effet au cœur de la réforme.
Je m’étonne toutefois que l’on continue à vouloir justifier l’article 30 par la nécessité de transposer la directive Retour.
Il me semble au contraire que cet article contredit le texte européen, qui préconise de recourir le moins possible aux mesures privatives de liberté et de favoriser au contraire les mesures alternatives comme l’assignation à résidence ou l’obligation de pointage au commissariat. L’article 30 me semble, à l’inverse, révélateur d’une véritable volonté d’enfermement.
Par ailleurs, la supériorité du juge administratif, c’est-à-dire, en quelque sorte, d’un pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire, n’est pas acceptable, non seulement parce qu’il s’agit d’un recul de l’État de droit, mais aussi parce que, dans les faits, on voit mal comment le juge des libertés et de la détention pourrait intervenir si la personne a déjà été expulsée.
Mme Éliane Assassi. En effet !
M. Jean-Pierre Sueur. Très logique !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je vais être bref puisque je voulais précisément développer le problème que soulève l’ordre que vous jugez logique, monsieur le ministre, entre le juge administratif et ensuite le juge des libertés et de la détention. Très franchement, s’il s’agit de faire du chiffre et d’aller plus vite, on a compris ce que cela voulait dire. Cela signifie que les juges des libertés et de la détention vont avoir à statuer sur des cas qui n’existent plus concrètement puisque les intéressés auront déjà été expulsés, surtout si, à cette volonté, s’ajoute celle d’exécuter rapidement les décisions.
Petit à petit, on voit se dessiner, au travers de ce projet de loi, une conception de l’État où les préfets, l’administration, prennent le pas sur tout. Tout à l’heure, c’était sur les médecins, maintenant, c’est sur les juges. Je vois vers quel type d’État vous voulez aller, monsieur Guéant. Il est normal que vous en soyez un partisan, vous défendez votre corps d’origine. Mais la France, ce n’est pas cela, ce n’est pas la préfectorale partout. Il y a des garde-fous et le juge est vraiment le garant d’une liberté. Ce dernier entrave très peu les procédures mais permet tout de même d’éviter l’arbitraire.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je voudrais apporter une précision.
La saisine du juge des libertés et de la détention ne porte que sur un seul objet, le maintien ou non de la personne en centre de rétention administrative. Ce magistrat n’est en effet nullement compétent pour apprécier la demande sur le fond.
Ainsi, le retenu qui, au terme du délai de quarante-huit heures, serait autorisé à quitter le centre de rétention, comme ce peut être le cas aux termes de la procédure actuellement en vigueur, n’échapperait pas pour autant à la procédure d’expulsion et de renvoi dans son pays d’origine. Il faut que les choses soient claires.
Le présent texte ne change rien à cette situation. Le juge administratif reste en la matière le seul magistrat compétent pour apprécier la situation sur le fond, ce que ne fait en aucun cas le juge judiciaire, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention, qui, je le répète, ne se prononce que sur le maintien ou non de la personne en rétention.
Mme Éliane Assassi. Quand la personne a été expulsée, cela ne sert plus à rien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Il est des affirmations que je ne peux entendre sans réagir.
Ainsi, il a été dit que le juge administratif était le représentant du pouvoir exécutif.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est faux !
M. Claude Guéant, ministre. Outre que je ne suis pas sûr que les juges administratifs apprécient cette remarque, je tiens à souligner que l’indépendance de la justice administrative a été reconnue par le Conseil constitutionnel.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Claude Guéant, ministre. Par ailleurs, il est également inexact d’affirmer qu’un étranger faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière peut être reconduit avant que le juge ne se soit prononcé. Je rappelle que le recours est suspensif.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ferai simplement remarquer que l’explication que nous a donnée M. le rapporteur nous oriente plutôt vers une conclusion opposée : puisque le juge des libertés et de la détention se prononce sur le maintien en rétention, il est bon qu’il se prononce le plus vite possible !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les choses sont parfaitement claires : la procédure d’expulsion est suspendue le temps que le juge administratif statue.
Mais l’on oublie aussi de citer la procédure de référé-liberté, qui figure dans le texte, et qui constitue une autre voie de recours pour la personne retenue. Il y a donc un arsenal juridique réel, qu’il ne faut pas ignorer.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 67, 159 et 189 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 68, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après la référence :
L. 561-2,
insérer les mots :
et s'il existe des perspectives raisonnables d'éloignement,
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Le paragraphe 4 de l’article 15 de la directive Retour dispose : « Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres [...], la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté. »
La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée, le 30 novembre 2009, sur l’interprétation de ce paragraphe. Selon sa jurisprudence, il est nécessaire que, « au moment du réexamen de la légalité de la rétention par la juridiction nationale, il apparaisse qu’il existe une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien ».
Nous regrettons que le présent projet de loi ne comporte aucune disposition en vue de transposer cette obligation de remise en liberté.
C’est pourquoi nous proposons de conditionner le placement en rétention administrative à l’existence de « perspectives raisonnables d’éloignement ». Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission demande le retrait de cet amendement qui est satisfait par les dispositions de l’article 33. (M. le président de la commission des lois approuve.) À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?