Sommaire
Présidence de Mme Catherine Tasca
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, François Fortassin.
2. Garde à vue. – Discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ; François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois.
MM. Alain Anziani, Jacques Mézard, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Questions cribles thématiques
M. le président.
MM. Jacques Gautier, Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants.
MM. Jean-Louis Carrère, le ministre.
Mme Michelle Demessine, M. le ministre.
MM. Yves Pozzo di Borgo, le ministre.
MM. Jean-Pierre Chevènement, le ministre.
MM. André Dulait, le ministre.
MM. Jean-Pierre Bel, le ministre.
MM. Didier Boulaud, le ministre.
M. le président.
Suspension et reprise de la séance
4. Candidatures à des organismes extraparlementaires
5. Garde à vue. – Suite de la discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Discussion générale (suite) : MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mmes Virginie Klès, Alima Boumediene-Thiery.
Clôture de la discussion générale.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
6. Nomination de membres d’organismes extraparlementaires
7. Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires
8. Garde à vue. – Suite de la discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Motion no 65 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. – Rejet.
Motion no 1 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 66 de M. Robert Badinter. – MM. Robert Badinter, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendement n° 67 de M. Alain Anziani. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le garde des sceaux, Jacques Mézard, Robert Badinter. – Rejet.
Amendement n° 14 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – M. Jacques Gautier.
Amendement n° 68 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Jacques Gautier, Jean-Pierre Michel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Retrait de l’amendement no 2 rectifié ; rejet des amendements nos 14 et 68.
Adoption de l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendement n° 15 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 104 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Alain Anziani, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. – Rejet.
Amendement n° 69 de M. Alain Anziani. – Retrait.
Amendement n° 105 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendements identiques nos 16 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 106 rectifié de M. Jacques Mézard. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jacques Mézard.
Amendement n° 71 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 99 rectifié quinquies de M. Jean-Pierre Vial. – M. Hugues Portelli.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel, Jacques Mézard, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Virginie Klès. – Rejet des amendements nos 16 rectifié, 106 rectifié et 71 ; rejet, par scrutin public, de l’amendement no 99 rectifié quinquies.
Amendement n° 70 rectifié de M. Alain Anziani. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel. – Rejet.
Amendement n° 108 rectifié de M. Jacques Mézard. –M. Jacques Mézard. – Devenu sans objet.
Amendement n° 17 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Devenu sans objet.
Amendement n° 72 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 175 de la commission. – M. le rapporteur.
MM. le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel, le rapporteur. – Rejet de l’amendement no 72 ; adoption de l’amendement no 175.
Amendement n° 107 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 64 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Mme Josiane Mathon-Poinat.
Amendement n° 18 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Devenu sans objet.
Amendement n° 19 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 149 rectifié de M. Jacques Mézard. – Devenu sans objet.
Amendement n° 109 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 110 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 21 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat.
Amendement n° 73 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 75 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 74 de M. Alain Anziani. – Devenu sans objet.
Amendement n° 20 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat.
Amendement n° 111 rectifié de M. Jacques Mézard.
Amendement n° 22 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat.
Amendement n° 11 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – M. Jean Desessard.
Amendement n° 12 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – M. Jean Desessard.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Jean Desessard. – Rejet des amendements nos 110 rectifié, 21, 73, 75, 20, 111 rectifié, 22, 11 et 12.
9. Nomination de membres d’éventuelles commissions mixtes paritaires
Suspension et reprise de la séance
10. Garde à vue. – Suite de la discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Amendement n° 23 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. – Rejet.
Amendement n° 24 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 112 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 25 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 26 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Nathalie Goulet. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 77 de M. Alain Anziani. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 176 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 177 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 113 rectifié de M. Jacques Mézard. – Devenu sans objet.
Amendement n° 28 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Alain Anziani. – Rejet.
Amendement n° 27 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendement n° 148 rectifié ter de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 178 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 13 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 78 de M. Alain Anziani. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le garde des sceaux, Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 29 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l’article.
Mme Josiane Mathon-Poinat.
Amendement n° 114 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 30 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendement n° 79 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 115 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Mme Virginie Klès, MM. Jacques Mézard, Alain Anziani. – Rejet des amendements nos 114 rectifié, 30, 79, 115 rectifié.
Amendement n° 80 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 116 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
M. le rapporteur.
Amendement n° 81 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rectification de l’amendement n° 116 rectifié ; rejet de l’amendement n° 80 ; adoption des amendements nos 116 rectifié bis et 81.
Amendement n° 82 de M. Alain Anziani. – Mme Virginie Klès.
Amendement n° 84 rectifié de M. Alain Anziani. – Mme Virginie Klès.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet de l’amendement n° 82 ; adoption de l’amendement n° 84 rectifié.
Amendement n° 83 rectifié de M. Alain Anziani. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; adoption.
Amendement n° 163 rectifié du Gouvernement. – MM. le garde des sceaux, le rapporteur, Mme Nathalie Goulet, MM. Jacques Mézard, Yves Détraigne, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Alain Anziani. – Adoption.
Amendement n° 164 rectifié du Gouvernement. – MM. le garde des sceaux, le rapporteur, le président de la commission, Mmes Virginie Klès, Nathalie Goulet, M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 35 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 36 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 165 de M. Alain Anziani. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 32 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. François Fortassin.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Garde à vue
Discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la garde à vue (projet n° 253, texte de la commission n° 316, rapport n° 315).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici donc rassemblés pour discuter d’un texte important, à savoir le projet de loi relatif à la garde à vue. À cet égard, je ne doute pas que, au cours des prochaines heures, l’assistance s’étoffera et que plusieurs sénatrices et sénateurs rejoindront leurs collègues qui nous font l’honneur d’être présents ce matin dans l’hémicycle.
Le présent projet de loi doit être apprécié à l’aune des réformes conduites ces dernières années en faveur de la défense des droits et des libertés constitutionnellement garantis.
En effet, c’est en vertu de la réforme constitutionnelle de 2008, qui a mis en œuvre le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, dont nous avons fêté hier le premier anniversaire, que nous débattons ici ce matin. Saisi sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a en effet déclaré non conformes à notre constitution un certain nombre de dispositions relatives à la garde à vue.
À celles et à ceux qui ont voté cette réforme constitutionnelle, je veux dire qu’ils doivent aujourd’hui s’engager dans la réforme de la garde à vue de façon claire, avec enthousiasme, sans avoir à craindre quoi que ce soit.
La garde à vue fait partie intégrante de l’enquête. De fait, notre système d’enquête doit établir un équilibre entre deux objectifs d’égale valeur constitutionnelle : d’une part, l’objectif de sécurité et de sûreté, garanti par la déclaration universelle des droits de l’homme ; d’autre part, l’objectif de respect des garanties et des libertés constitutionnellement protégées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que l’a déclaré le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, il vous appartient d’établir ce nouvel équilibre.
À l’Assemblée nationale, le présent texte a recueilli un assentiment assez large puisque seuls trente-deux députés se sont prononcés contre celui-ci, leurs autres collègues votant pour ou s’abstenant. Connaissant l’attachement du Sénat à la défense des libertés, je suis certain, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aurez à cœur d’apporter votre pierre à l’édifice et de construire l’équilibre nouveau auquel vous appelle le Conseil constitutionnel. Comme le déclarait celui-ci, « il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties [...] ».
Le Gouvernement a bâti ce projet de loi sur le fondement à la fois de cette décision du Conseil constitutionnel, mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, a condamné la France en raison de certaines règles déterminant le régime de la garde à vue.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est appuyé sur les arrêts rendus en octobre et en décembre 2010 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Ce nouvel équilibre doit donc reposer sur l’observation de règles constitutionnelles et de règles conventionnelles.
Le présent projet de loi s’articule autour de deux idées : d’une part, il convient d’inscrire la garde à vue dans un cadre nouveau, rénové : celle-ci doit davantage respecter les libertés individuelles et la dignité des personnes qui y sont soumises ; d’autre part, la garde à vue doit faire l’objet d’un contrôle, question très importante autour de laquelle se sont naturellement focalisés un certain nombre de débats : qui doit contrôler la garde à vue ? quelle autorité judiciaire est chargée de son contrôle ?
S’agissant du point liminaire, une première exigence est pour moi fondamentale, celle d’un encadrement plus strict de la garde à vue : celle-ci doit être limitée à la seule nécessité de la manifestation de la vérité. Ensuite, et c’est la seconde exigence, les droits du gardé à vue doivent être accrus.
Tout d’abord, donc, la garde à vue doit être plus strictement encadrée et il convient d’éviter la banalisation dont elle a fait l’objet ces dernières années.
Deux raisons expliquent cette banalisation : l’une de droit, l’autre factuelle.
D’une part, les personnes gardées à vue bénéficiant de garanties, la Cour de cassation a, à travers plusieurs arrêts, été amenée à rendre plus facile, en quelque sorte, le recours à cette pratique ; d’autre part, la garde à vue est devenue – il faut bien le reconnaître – un procédé habituel d’enquête.
Le Gouvernement entend véritablement limiter l’usage de la garde à vue. En 2009, nous avons enregistré près de 800 000 gardes à vue ; l’année dernière, toutes catégories confondues, leur nombre a sensiblement diminué, sans qu’il puisse encore être précisément établi – probablement 100 000 de moins. Il s’agit là d’un fait notable, et j’espère bien que cette tendance se poursuivra.
Désormais, la garde à vue n’est justifiée que si elle répond à des critères précis. C’est, du moins, ce que nous proposons.
Ces critères sont les suivants.
L’enquêteur doit établir que le placement en garde à vue est l’unique moyen de permettre l’exécution des investigations, ou encore l’unique moyen d’empêcher la personne de modifier les preuves, de faire pression sur les témoins et les victimes ou de se concerter avec ses complices.
Ce dispositif permet donc de concentrer la garde à vue sur son objectif essentiel : être un outil au service de l’enquête.
Le texte qui vous est soumis rappelle également qu’une garde à vue n’est justifiée que lorsqu’une mesure de contrainte est indispensable à l’enquête. En l’absence de cette nécessité de coercition, la garde à vue n’est pas obligatoire, quand bien même certains des critères évoqués seraient réunis.
S’il est très difficile aujourd’hui de quantifier les effets de ces règles nouvelles, nous souhaitons que l’encadrement plus strict des critères de garde à vue ait des conséquences importantes sur leur nombre.
Nous attendons une diminution de l’ordre de 300 000 gardes à vue par an. Il en resterait néanmoins près de 500 000, ce qui est loin d’être négligeable, comme nous devons en avoir conscience. D’ailleurs, faire fonctionner le nouveau système avec plus de gardes à vue paraît naturellement impossible. Il s’agit donc d’encadrer leur nombre.
Le projet de loi vise aussi – c’est plus fondamental – à introduire des mesures essentielles pour la protection des droits en garde à vue.
La première avancée, la plus symbolique mais aussi celle qui nous manquait probablement le plus, est l’assistance effective de l’avocat dès la première minute de la garde à vue, disposition qui est au cœur du projet.
En renforçant la présence et les moyens d’intervention de l’avocat, le texte apportera de nouvelles garanties aux droits de la défense. Je voudrais rappeler les mesures essentielles de ce point de vue.
D’abord, la personne gardée à vue pourra bénéficier de l’assistance de son avocat tout au long de la procédure.
Ensuite, les moyens d’intervention de l’avocat sont renforcés : il aura accès au procès-verbal de notification et aux procès-verbaux d’audition.
Enfin, l’avocat pourra poser des questions et présenter des observations.
Votre commission a, par ailleurs, réécrit les dispositions relatives à la résolution des difficultés d’organisation de cette intervention, notamment en cas de conflit d’intérêt, et lorsqu’une pluralité d’auditions rend nécessaire la présence de plusieurs avocats.
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, ce dispositif a été enrichi, par un amendement du Gouvernement reprenant explicitement la jurisprudence Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, qui précise qu’aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites sans avocat. Il s’agit donc ici d’une garantie essentielle. Aucun propos auto-incriminant ne pourra être retenu sans qu’un avocat puisse assister ou conseiller la personne gardée à vue.
Cela s’inscrit dans le droit-fil de la philosophie qui sous-tend le projet de loi. Nous passons très clairement d’une culture de l’aveu à une culture de la preuve. Cela nécessite forcément des efforts culturels importants. Si le Gouvernement a souhaité que l’arrêt Salduz figure à l’article 1er du texte, c’est pour souligner ce changement fondamental.
Ces garanties sont extrêmement importantes.
Le projet de loi pose également le principe selon lequel la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à conserver le silence. Il s’agit aussi d’une mesure essentielle.
Certes, cela remet en cause un certain nombre de nos pratiques. Ce matin, en préparant mon intervention, je relisais dans la revue L’Observatoire de Bruxelles, un article sur la jurisprudence européenne concernant un arrêt de la Cour de Strasbourg qui remet en cause les pratiques procédurales. Ainsi, demander au gardé à vue de dire toute la vérité et rien que la vérité est tout à fait contraire au droit que l’on a de se taire.
Cela démontre les changements profonds que ce texte introduit dans notre procédure pénale, ainsi que les bouleversements culturels impliqués par cette réforme de la garde à vue.
L’exigence d’être informé du droit à conserver le silence est tout à fait essentielle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs rappelé en juillet dernier, et cette norme est reconnue dans la plupart des pays occidentaux. Notre législation se devait, en conséquence, de prévoir expressément cette disposition.
Votre commission a, de plus, utilement précisé que, outre le droit de faire prévenir un proche, le gardé à vue majeur incapable pouvait faire prévenir son tuteur ou son curateur, et que le gardé à vue de nationalité étrangère pouvait faire prévenir les autorités consulaires de son pays d’origine.
Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité prévoir un délai de deux heures avant toute audition, à compter de l’avis donné à l’avocat, une fois que celui-ci a été choisi et appelé. Le principe d’un délai de route n’est pas illégitime, mais celui-ci devrait, à mon avis, être concilié avec les impératifs de l’enquête. En effet, il conduit en pratique – l’avocat ne pourra en effet pas être avisé au moment de l’interpellation ; il ne pourra l’être qu’une fois notifié formellement le placement en garde à vue au commissariat ou à la brigade de gendarmerie – à devoir attendre trois heures avant toute audition, au préjudice de l’enquête, et ce alors même que le gardé à vue pourra toujours, s’il le souhaite, garder le silence et qu’il bénéficiera de la jurisprudence Salduz que je viens de rappeler.
C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement de compromis, réduisant ce délai à une heure. Mais j’ai constaté la position de la commission des lois du Sénat et j’aurai beaucoup à faire pour vous convaincre ! (Sourires.)
Un autre apport essentiel de la réforme tient au respect de la dignité des personnes
Le projet de loi prohibe les fouilles intégrales menées pour des raisons de sécurité. Ces fouilles constituaient une atteinte profonde à la dignité et l’une des critiques récurrentes faites à la garde à vue actuelle : humiliantes, elles étaient vécues plus durement que la privation de liberté.
Les cadres d’enquête doivent aussi être adaptés aux différentes formes de criminalité. L’équilibre entre l’efficacité de l’enquête et la protection des droits doit être soigneusement établi.
Nous devons garder à l’esprit que, face à la diversité des formes de criminalité, il faut des cadres d’investigation souples et adaptés. Sans régime dérogatoire, comment lutter, en effet, contre la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants ou le terrorisme ? Le Parlement ne s’y était pas trompé lorsqu’il avait donné, en 2002 et en 2004, les outils efficaces pour lutter à armes égales dans ce combat toujours renouvelé. Remettre en cause sans distinction ces régimes nous fragiliserait considérablement.
Une telle nécessité n’a jamais été contestée, ni par le juge constitutionnel, ni par la Cour de cassation, ni par la Cour européenne des droits de l’homme. En cette matière également, tout est affaire de pragmatisme et de proportionnalité.
Le texte qui vous est présenté prévoit la possibilité d’une participation différée de douze heures de l’avocat aux auditions, sur autorisation d’un magistrat, afin de permettre le bon déroulement d’investigations urgentes ou de prévenir une atteinte imminente aux personnes.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le régime actuel de garde à vue apportait une restriction aux droits de la défense de portée générale, sans considération des circonstances particulières de l’espèce. Toutefois, une dérogation est envisageable dès lors que peuvent être dûment motivées lesdites circonstances particulières.
Dans trois arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de cassation a également jugé que des « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce » pouvaient justifier le report de l’assistance de l’avocat.
Cette jurisprudence, postérieure au dépôt du projet de loi, a été prise en compte par des amendements du Gouvernement, votés par l’Assemblée nationale : pour ces régimes dérogatoires, la présence de l’avocat pourra être différée, sur autorisation du procureur de la République durant les vingt-quatre premières heures, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention jusqu’à la quarante-huitième, voire la soixante-douzième heure, en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme.
En droit commun, un report de l’intervention de l’avocat de douze heures pourra être décidé sur autorisation du procureur de la République, puis à nouveau de douze heures sur décision du juge des libertés. Le report est strictement encadré : il doit être motivé dans tous les cas et répondre à des raisons impérieuses, telles que la nécessité de procéder immédiatement à des décisions urgentes ou la nécessité d’obtenir très rapidement des informations, par exemple en cas d’enlèvement d’enfant.
Un alignement de la retenue douanière sur le nouveau régime de la garde à vue a été adopté, afin de suivre les exigences fixées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 septembre 2010. Votre commission a précisé que cette prolongation devait être justifiée par le procureur, pour les nécessités de l’enquête.
Enfin, a été adoptée une disposition tirant les conséquences du récent arrêt Moulin c. France de la Cour européenne des droits de l’homme. Le contrôle de la mise à exécution des mandats d’arrêt et d’amener est ainsi dorénavant confié au juge de la liberté et de la détention. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement de coordination, afin que les mêmes règles soient également applicables aux mandats d’arrêt européens.
Il faut le souligner aussi, les victimes n’ont pas été oubliées, avec le vote d’une disposition prévoyant, lors d’une confrontation entre un auteur présumé et sa victime, la possibilité pour cette dernière d’être également assistée d’un avocat. Il s’agit là de garantir l’égalité des armes dans une phase essentielle de la procédure.
Au-delà du contenu de la garde à vue, le débat s’est largement focalisé sur le contrôle de la mise en œuvre de la garde à vue. Je reviendrai sur ce point essentiel qui a largement fait débat.
À cette occasion, ont été posées des questions essentielles concernant notamment le parquet à la française, sur lequel je souhaite très clairement indiquer la position du Gouvernement.
Les changements dans le contenu de la garde à vue tels que je viens de les présenter constituent une avancée notable en matière de respect des libertés et des droits fondamentaux. La question du contrôle de la garde à vue est, elle aussi, tout à fait essentielle.
Je rappellerai tout d’abord la position de la Cour de Strasbourg et celle du Conseil constitutionnel.
La Cour de Strasbourg est chargée d’appliquer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Celle-ci, comme vous le savez, existe en deux versions qui font également foi, une version anglaise et une version française. Ces deux versions ne sont pas écrites tout à fait de la même façon.
Mme Nathalie Goulet. Perfide Albion !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. La Cour a indiqué que sa première tâche était de concilier ces deux versions, de façon que le but du traité soit bien atteint par les décisions prises sur la base de ces deux textes différents.
Pour avoir une analyse la plus exacte et la plus complète possible de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, je ne peux mieux faire que de renvoyer celles et ceux d’entre vous qui sont intéressés par cette question aux conclusions présentées par l’avocat général Marc Robert devant la chambre criminelle de la Cour de cassation à propos d’un arrêt rendu le 15 décembre 2010.
Ces conclusions sont passionnantes parce qu’elles montrent bien l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
La convention européenne des droits de l’homme prévoit des mesures relatives aux peines privatives de liberté et à la sûreté, visées à l’article 5, paragraphe 3, et des mesures relatives au droit à un procès équitable, visées à l’article 6, paragraphes 1 et 3.
L’article 5, qui traite des mesures privatives de liberté et de sûreté, exige, dans son paragraphe 3, que la personne arrêtée ou détenue soit présentée rapidement à une autorité judiciaire ou à un juge pour décider du maintien de la privation de liberté.
L’article 6, qui concerne le droit à un procès équitable, dispose, dans son paragraphe 1, que c’est le juge, au sens de juge du siège, qui est compétent pour statuer sur la vérification et le contrôle de la mesure privative de liberté.
La Cour européenne des droits de l’homme souhaite donc que ce soit un juge, au sens de juge du siège, qui soit compétent pour contrôler les mesures privatives de liberté non seulement dans le procès, mais également dans la procédure d’enquête. Or, sa jurisprudence a évolué vers une assimilation du magistrat au juge. Il en résulte que le magistrat du parquet français est disqualifié pour contrôler la mesure privative de liberté.
La Cour de Strasbourg s’appuie sur deux arguments. Le premier, secondaire, tient aux conditions de nomination des magistrats du parquet. Le second, essentiel, est que le parquet étant partie poursuivante, il n’est pas impartial. C’est là qu’apparaît la confusion entre les articles 5 et 6 de la convention européenne des droits de l’homme.
L’évolution de la jurisprudence a donc conduit la Cour à exclure tout contrôle fait par quelque autre autorité judiciaire qu’un juge, au sens de juge du siège selon le droit français.
Dès lors, la question qui se pose est de savoir quand doit intervenir le juge dans le contrôle de la garde à vue.
Dans le projet de loi qui vous est soumis, le Gouvernement se plie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et admet que, si les membres du parquet sont des magistrats, ils ne sont pas des juges. D’ailleurs, si les parquetiers se reconnaissent comme des magistrats – j’y reviendrai dans quelques instants –, aucun n’a jamais revendiqué la qualité de juge.
Si l’on reprend toute la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont je vous ferai volontiers grâce en cet instant, l’on constate que la Cour, compte tenu de l’existence de deux versions différentes du traité faisant également foi, a créé un concept nouveau, le concept de promptitude,…
Mme Nathalie Goulet. C’est mieux que la bravitude !
Mme Nathalie Goulet. Je ne voulais pas vous décevoir !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous en remercie. (Nouveaux sourires.)
En fait, l’origine de ce concept remonte déjà à quelques années. Il s’agit pour la Cour de définir le moment à partir duquel le juge doit intervenir pour contrôler la garde à vue. Il n’y a pas de règle générale et l’appréciation se fait cas par cas. Toutefois, l’analyse de la jurisprudence montre que le délai d’intervention du juge n’est jamais inférieur à trois ou quatre jours.
Il en résulte – et la Cour le mentionne d’ailleurs dans trois arrêts –, que, en deçà de ce délai de trois à quatre jours, il appartient à chaque État d’organiser la garde à vue suivant son droit interne.
Le présent projet de loi respecte la jurisprudence européenne puisque la garde à vue sera contrôlée par un juge des libertés et de la détention dès la quarante-huitième heure. Il s’agit d’une garantie conventionnelle tirée de la mise en œuvre à la fois de la convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Une fois ce délai de quarante-huit heures posé, la question est de savoir ce que l’on fait pendant les deux premières journées de la garde à vue. Le contrôle de la garde à vue doit-il être confié à un officier de police ou de gendarmerie ou bien à un magistrat ? Dans notre pays, la tradition veut que l’on confie le contrôle de la garde à vue à un magistrat, et ce pour une raison simple. Ainsi que le rappelle avec force le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, dans notre pays, c’est l’autorité judiciaire – composée des magistrats du siège et du parquet – qui est la gardienne de la liberté individuelle, comme le prévoit d’ailleurs l’article 66 de la Constitution.
Pour le Gouvernement, en application de la Constitution et de la décision du Conseil constitutionnel, les membres du parquet sont des magistrats. Ils appartiennent à l’autorité judiciaire. En cette qualité, ils sont notamment chargés de veiller au respect de la liberté individuelle et, à ce titre, de contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures. Il appartient au procureur de la République de contrôler la mise en œuvre de la garde à vue et son exécution, et de décider d’une éventuelle première prolongation. Au-delà de la quarante-huitième heure, c’est le juge des libertés et de la détention qui prend le contrôle de la garde à vue.
Ce système offre à nos concitoyens une double garantie : une garantie conventionnelle tirée de la convention européenne des droits de l’homme et une garantie constitutionnelle issue de l’article 66 de la Constitution.
Nous sommes un des rares pays à offrir cette double garantie. La Grande-Bretagne, que l’on cite souvent en exemple, n’offre pas cette double garantie puisque c’est l’officier de police, haut gradé de la police, qui mène, dirige la garde à vue, laquelle peut d’ailleurs durer jusqu’à vingt-six jours.
Avec le présent projet de loi, nous opérons une réforme en profondeur de la garde à vue. Nous établissons un contrôle qui me paraît particulièrement efficace et qui tient compte de nos engagements internationaux. Ce contrôle allie le respect de la Constitution à celui de la convention européenne des droits de l’homme, et cette double garantie est essentielle.
Si le Sénat veut bien apporter sa pierre à la construction de ce texte – et je tiens en cet instant à remercier le président de la commission des lois, son rapporteur et tous ses membres pour la qualité du travail qu’ils ont accompli –, notre nouveau droit de la garde à vue deviendra, dans le concert des États qui ont signé la convention européenne des droits de l’homme, un des plus protecteurs des libertés constitutionnellement garanties. C’est en tout cas le travail auquel je vous invite. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous réjouissons de pouvoir enfin engager, avec l’examen de ce projet de loi, la réforme de la garde à vue.
Cette réforme était très attendue, notamment par le Sénat et en particulier par sa commission des lois. Dès le début de l’année 2010, nous avions indiqué à plusieurs reprises au Gouvernement que, s’il ne présentait pas un texte rapidement, le Sénat prendrait l’initiative de déposer une proposition de loi.
À l’origine de cette réforme importante, se trouve la conjonction d’une prise de conscience et d’une double obligation, conventionnelle et constitutionnelle.
La prise de conscience a été favorisée par la forte mobilisation d’acteurs du monde judiciaire, des magistrats mais aussi et surtout des avocats. Elle a largement dépassé le cercle habituel des acteurs de la chaîne pénale puisque l’opinion publique et la presse se sont emparées de ce sujet depuis maintenant deux ans.
Cette prise de conscience a porté sur deux phénomènes.
Le premier est la très forte augmentation des gardes à vue. Comme l’a rappelé M. le garde des sceaux, le nombre des gardes à vue est passé de 276 000 en 1994 à près de 800 000 en 2010, si l’on tient compte des 170 000 gardes à vue pour infraction au code de la route.
Le second phénomène tient aux conditions, souvent qualifiées de déplorables, de la garde à vue. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a mis en évidence de très nombreux motifs d’insatisfaction.
Le Sénat, attentif, par vocation, au respect des libertés individuelles, a tout naturellement contribué à cette prise de conscience. Le 9 février 2010, lors de la discussion, au demeurant assez animée, de la question orale avec débat de notre collègue Jacques Mézard,…
Mme Nathalie Goulet. Excellente initiative !
M. François Zocchetto, rapporteur. … puis le 24 mars et le 29 avril 2010, lors de l’examen des propositions de loi présentées respectivement par M. Jacques Mézard, et par Mme Alima Boumediene-Thiery et M. Jean-Pierre Bel, notre assemblée s’est accordée sur l’impossibilité de maintenir le statu quo.
Par ailleurs, nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel ont été chargés par la commission des lois de prolonger cette réflexion dans le cadre du groupe de travail sur l’enquête et l’instruction.
L’autre élément déterminant de la réforme repose sur nos obligations conventionnelles et constitutionnelles. Comme M. le garde des sceaux vient de le rappeler de manière très docte et précise, les dispositions actuelles du code de procédure pénale, qui prévoient seulement un entretien de la personne gardée à vue avec son avocat préalablement à l’interrogatoire de police, ne sont pas conformes au droit à l’assistance effective de l’avocat, reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010.
Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution cinq articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue de droit commun et a fixé au 1er juillet 2011 la date butoir de leur abrogation. Si nous ne le faisions pas, nous entrerions dans une période d’insécurité juridique aux conséquences dramatiques.
Par ailleurs, la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 19 octobre et le 15 décembre 2010, a jugé contraire à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme les dispositions du code de procédure pénale relatives aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue. Elle s’est alignée sur le calendrier du Conseil constitutionnel en fixant au 1er juillet 2011 la date limite pour modifier la loi sur les régimes dérogatoires.
Il est dès lors très clair que le texte déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale marquait une avancée considérable par rapport à l’état du droit en vigueur. Mais les modifications introduites par cette dernière sur l’initiative de sa commission des lois et en particulier de son rapporteur, M. Philippe Gosselin, ont permis d’aboutir à un équilibre encore plus satisfaisant entre les différents objectifs que doit conjuguer le régime de la garde à vue.
Parmi les avancées contenues dans le projet de loi initialement déposé par le Gouvernement, je citerai en particulier six points.
Tout d’abord, la garde à vue ne sera désormais possible que pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement, tandis que, aujourd’hui, tous les délits et même la moindre contravention peuvent conduire à une garde à vue.
Ensuite, la garde à vue ne pourra être prolongée au-delà de vingt-quatre heures que pour les crimes et les délits passibles d’une peine d’un an d’emprisonnement.
En outre, la personne sera de surcroît avisée de son droit à garder le silence. Monsieur le garde des sceaux, on peut certes présenter cela comme une grande avancée. Il faut toutefois rappeler qu’une telle disposition existait déjà voilà quelques années. Puis, le législateur avait jugé judicieux de supprimer cette disposition. Celle-là avait d’ailleurs peu de sens puisque, de toute façon, il était bien évident que la personne gardée à vue, comme dans n’importe quelle circonstance, peut toujours garder le silence. Sauf à imaginer un recours à la torture, on ne peut pas obliger quelqu’un à parler !
L’avocat aura accès aux procès-verbaux d’audition.
Par ailleurs – et c’est sans doute l’avancée la plus importante de la réforme –, la personne gardée à vue pourra demander que l’avocat assiste aux auditions.
Enfin les fouilles à corps intégrales, menées pour des raisons de sécurité, seront désormais proscrites.
Telles sont les principales avancées du texte déposé par le Gouvernement.
L’Assemblée nationale a, pour sa part, supprimé l’ « audition libre », qui soulevait de nombreuses interrogations. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet lorsque nous examinerons l’article 11 bis du texte.
Elle a introduit un « délai de carence » en interdisant l’audition de la personne hors la présence d’un avocat pendant les deux heures qui suivent son placement en garde à vue. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous voulez tenter de nous persuader qu’il faudrait réduire ce délai à une heure, je souhaite préciser qu’il correspond à la durée qui permet d’arriver dans la totalité des brigades de gendarmerie de France.
Or, dans la mesure où les gardes à vue peuvent avoir lieu dans n’importe laquelle de ces brigades, il est nécessaire de prévoir le temps pour que l’avocat puisse rejoindre la brigade. Dans nos départements respectifs, chacun a pu constater l’éloignement de certaines brigades. L’idée de revenir à un délai d’une heure conduirait nécessairement à regrouper les lieux de gardes à vue sur deux ou trois points du département. Nous ne le souhaitons pas, dans la mesure où cela engendrerait deux catégories de brigades de gendarmerie : celles dans lesquelles des officiers de police judiciaire pourraient mener des gardes à vue et les autres, dont on imagine assez facilement la progressive disparition.
L’Assemblée nationale a également indiqué que, sur la base du principe de l’égalité des armes, la victime aura désormais la possibilité d’être assistée par un avocat dans les confrontations. Cela paraît normal : dès lors que le gardé à vue a un avocat, il serait infondé que la victime ne soit pas accompagnée d’un avocat durant les confrontations.
Elle a enfin étendu au régime dérogatoire et à la retenue douanière les droits de la défense reconnus à la personne gardée à vue dans le cadre du régime de droit commun.
La commission des lois du Sénat approuve le texte initial, presque dans son ensemble, ainsi que toutes les modifications apportées par l’Assemblée nationale. Elle propose en outre un certain nombre de modifications pour conforter le texte, qui s’articulent autour de trois thèmes.
Le premier d’entre eux est le renforcement des droits de la personne gardée à vue. Notre commission a souhaité préciser que la valeur probante des déclarations de la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction implique qu’elle a pu s’entretenir avec son conseil et être assistée par lui tandis que l’article 1er du projet de loi présentait ces deux conditions comme alternatives.
La commission des lois a par ailleurs souhaité améliorer les droits pour la personne gardée à vue de faire informer un tiers. Elle permet ainsi qu’un incapable majeur puisse aviser son curateur ou son tuteur et que la personne de nationalité étrangère soit en mesure de faire avertir les autorités consulaires.
Elle donne en outre un caractère obligatoire à la disposition selon laquelle la personne gardée à vue dispose pendant son audition des effets personnels nécessaires au respect de sa dignité. Je reviendrai plus spécifiquement sur les détails de cette proposition.
Enfin, sur l’initiative de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, nous prévoyons que la fouille intégrale ne sera désormais possible que si la fouille par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique ne peut pas être réalisée.
Le deuxième axe des modifications apportées par la commission concerne l’exercice des droits de la défense. Nous avons à ce propos souhaité clarifier deux points touchant, d’une part, au conflit d’intérêts et, d’autre part, à la police des auditions.
La commission a prévu que, en présence d’un conflit d’intérêts, il appartiendra d’abord à l’avocat de faire demander la désignation d’un autre avocat. En cas de divergence d’appréciation entre l’avocat et l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République, celui-ci saisirait le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre défenseur.
Concernant la police de l’audition, qui inquiète beaucoup les services d’enquêtes – policiers et gendarmes –, et afin d’éviter toute ambiguïté et tout comportement marginal ou audacieux, il ne nous a pas semblé opportun de faire état dans la loi d’éventuelles perturbations des auditions par l’avocat, sauf à faire apparaître ce type de comportements comme une modalité possible de défense, ce que nous refusons – et nous le signifions ici clairement à la profession d’avocat. Il est selon nous préférable de rappeler que l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judicaire a seul la direction de l’audition à laquelle il peut mettre un terme en cas de difficulté. Dans cette hypothèse, le procureur de la République pourra informer, s’il y a lieu, le bâtonnier, qui désignerait alors un autre avocat.
Enfin, s’agissant des dispositions de l’article 12, permettant au juge des libertés et de la détention ou au juge d’instruction, en matière de terrorisme, de décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats habilités, la commission a prévu que les avocats inscrits sur cette liste seraient désignés, plutôt qu’élus, par chaque ordre, dans chaque barreau, selon des modalités éventuellement définies par les règlements intérieurs.
Le troisième axe de modification a trait à la clarification des conditions dans lesquelles intervient la mesure privative de libertés.
L’article 11 bis du projet de loi tend à inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que le placement en garde à vue d’une personne suspectée d’une infraction n’est obligatoire que lorsqu’il paraît nécessaire de la maintenir sous la contrainte à la disposition des enquêteurs. Corrélativement, dès lors que l’officier de police judiciaire n’estime pas nécessaire de maintenir l’intéressé à sa disposition, la garde à vue ne saurait se justifier.
La commission a toutefois souhaité expliciter cette jurisprudence, en précisant que la personne qui n’est pas placée en garde à vue, alors même qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie avant son éventuelle audition.
J’évoquerai maintenant les trois questions qui ont suscité le plus de débats au sein de notre commission.
La première d’entre elles tient à l’interdiction de prononcer une condamnation sur la base des seules déclarations faites par une personne qui n’a pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui.
Cette disposition a été introduite par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement – le garde des sceaux a ainsi expliqué plus tôt qu’il s’agissait de reprendre une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle complète l’article préliminaire du code de procédure pénale qui fixe les principes essentiels de cette dernière. Elle a de ce fait une grande valeur. Je souhaite préciser la portée de cette disposition.
En premier lieu, la règle ne vaut pas dès lors que la personne, comme l’a indiqué la Cour de Strasbourg dans un arrêt Yoldas c. Turquie du 23 février 2010, a renoncé de son plein gré, « de manière expresse ou tacite », aux garanties d’un procès équitable, à la condition, du moins, que cette renonciation soit entourée d’un minimum de garanties.
Ensuite, il résulte de la rédaction adoptée par les députés et de la mention du mot « seul » – nous y reviendrons, car des amendements visent à supprimer ce mot – que, si des déclarations faites sans que la personne ait pu préalablement s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui ne peuvent suffire à fonder une condamnation, elles peuvent néanmoins être prises en compte si d’autres preuves existent. C’est un élément important. Des effets similaires s’attachent d’ailleurs dans notre droit aux déclarations d’un témoin anonyme, conformément à l’article 706-62 du code de procédure pénale, qui ne peuvent « seules » fonder une condamnation.
Cette rédaction paraît conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.
À mon sens, l’article 1er A du projet de loi institue une garantie très appréciable dans l’hypothèse où l’assistance d’un avocat peut être reportée.
Le principe ainsi posé ne renforce pas seulement les droits de la défense mais s’inscrit également dans une évolution générale qui tend à privilégier un régime de preuves scientifiques et techniques plutôt que l’aveu. Cette évolution de notre société, comme l’a dit M. le garde des sceaux, est considérable. En effet, il était auparavant demandé à la personne de dire la vérité alors que, désormais, cette dernière est libre de tenir les propos qu’elle souhaite, et peut donc choisir de ne pas parler.
Le second débat qui a animé notre commission concerne le contrôle par l’autorité judiciaire.
Il s’agit de savoir si c’est le procureur de la République ou le juge, au sens rappelé par M. le garde des sceaux tout à l’heure, qui doit contrôler la garde à vue.
Faut-il prévoir l’intervention d’un juge du siège, et à quel moment ? Je ne vais pas à ce propos répéter ce que vient d’énoncer excellemment M. le garde des sceaux. Toutefois, il est intéressant de donner la position de la commission : nous avons cherché à savoir quelles étaient les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme dans cette matière.
La jurisprudence de la Cour européenne implique que la personne gardée à vue soit présentée rapidement – j’ai ici traduit les termes de l’anglais au français, et peut-être est-ce quelque peu réducteur, la « promptitude » n’existant pas dans notre dictionnaire. Il est de notre avis que la personne doit être présentée rapidement devant un magistrat du siège.
Mais cette jurisprudence de la Cour européenne n’impose pas – c’est très clair – une présentation immédiate, et la Cour n’a pas déterminé de délai maximal pour la présentation devant le juge. Elle l’a uniquement précisé pour certaines formes exceptionnelles de retenues, les actes de criminalité les plus graves, pour lesquels le délai ne saurait dépasser quatre jours.
Au demeurant, comme cela a déjà été dit, dans les autres pays européens, l’intervention d’un juge au cours de la garde à vue n’intervient jamais dès la privation de liberté, et la mesure de contrôle est le plus souvent confiée à la police.
Les dispositions actuelles du code de procédure pénale ont été validées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010. Elles ont été confirmées par la Cour de cassation dans l’arrêt du 15 décembre 2010.
Je ne reviendrai pas sur le fait de savoir si le ministère public peut ou non être considéré comme une autorité judiciaire. La Cour de cassation, si elle a admis pour la première fois que le ministère public ne pourrait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, estime que la libération d’une personne placée en garde à vue pour une durée de vingt-cinq heures est « compatible avec l’exigence de brièveté imposée » par la convention.
Par conséquent, d’un point de vue conventionnel et constitutionnel, rien ne s’oppose à ce que le parquet assure le contrôle de la garde à vue jusqu’à la quarante-huitième heure, cette durée étant inférieure aux quatre jours fixés par la Cour européenne. (Exclamations amusées.)
D’un point de vue pratique, en s’écartant des problématiques purement juridiques, il me semble que le procureur de la République est, au début de la procédure, le mieux à même, comme directeur de l’enquête, d’apprécier la pertinence de la mesure et d’intervenir à tout moment auprès de l’officier de police judiciaire pour mettre un terme à la garde à vue ou, au contraire, pour autoriser la prolongation de cette dernière jusqu’à quarante-huit heures.
Le troisième débat au sein de notre commission – c’est le dernier que j’évoquerai – porte sur le quantum de peines encourues autorisant l’application de la garde à vue. Cette question est récurrente, notamment en raison de la volonté de diminuer le nombre de gardes à vue. Plusieurs amendements que nous examinerons au cours des débats viseront à porter le seuil d’application de la garde à vue à des infractions passibles d’un emprisonnement de trois ans au lieu d’une simple peine d’emprisonnement.
Notre commission, majoritairement, n’a pas souhaité suivre cette voie, pour deux raisons principales.
D’une part, le relèvement du quantum à trois ans aurait pour effet d’interdire l’application de la garde à vue pour des infractions qui présentent une réelle gravité. À titre d’exemple, je citerai les atteintes sexuelles sur un mineur de plus de quinze ans commises par un ascendant ou une personne ayant autorité, les atteintes à la vie privée, le harcèlement sexuel ou moral ou encore la mise en danger d’autrui : tous ces délits sont punis de peines d’emprisonnement inférieures à trois ans.
D’autre part, je crains que des conditions plus restrictives de mise en œuvre de la garde à vue ne conduisent à une multiplication des auditions libres, ce que nous voulons précisément éviter, puisqu’elles ne présentent aucune des garanties qui sont reconnues dans le cadre d’un placement en garde à vue, notamment l’assistance de l’avocat.
Donc, nous souhaitons en rester à la notion d’emprisonnement pour déterminer si la garde à vue est possible ou pas.
Je souhaiterais néanmoins, sur ce dernier point, formuler deux observations.
En premier lieu, le projet de loi aurait pu aller plus loin, j’en suis convaincu, s’il s’était inscrit dans le cadre d’une réforme d’ensemble de la procédure pénale, réforme qui est déjà bien avancée, un certain nombre de documents très précis ayant circulé.
M. François Zocchetto, rapporteur. Quasiment tout le code de procédure pénale a déjà été réécrit.
Sans aucun doute, l’obligation de légiférer avant le 1er juillet 2011 – pour ne pas évoquer d’autres dates dans les mois qui suivent – nous conduit à intégrer la réforme dans les mécanismes actuels de notre procédure pénale. Nous sommes nombreux à le regretter, mais c’est l’exigence du calendrier ; c’est la dure réalité. Je fais partie de ceux qui saluent les avancées nombreuses du texte, mais sans s’interdire d’aller plus loin dans un avenir qu’on ne peut qu’espérer proche (Mmes Anne-Marie Escoffier et Muguette Dini sourient.), entre un an et demi et deux ans.
En second lieu, il est indispensable de trouver un point d’équilibre satisfaisant entre le respect de la liberté individuelle et les exigences de la sécurité publique. Cet équilibre n’est pas aisé à établir, mais il me semble exister dans ce projet de loi.
En conclusion, je dirai que cette réforme ne portera ses fruits que si chacun des acteurs de la chaîne pénale fait de son mieux pour l’appliquer.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. Je pense, au premier chef, aux services de police et de gendarmerie, dont le rôle est parfois caricaturé, il faut bien le dire. Dans leur immense majorité, ils conduisent leur mission avec beaucoup de professionnalisme, et aussi, je le crois, dans le respect de la dignité des personnes. Leur adhésion est fondamentale pour la réussite du projet.
Je ne saurai terminer sans évoquer le défi que représente cette réforme pour la profession d’avocat.
Cette profession, notamment dans les barreaux de province, va devoir se réorganiser et consacrer une approche totalement différente de la garde à vue, et ce dans un délai extrêmement bref. Ce défi est entre ses mains.
Mme la présidente. Mon cher collègue, veuillez conclure !
M. François Zocchetto, rapporteur. Enfin, monsieur le garde des sceaux, nous ne manquerons pas de vous poser la question des moyens, et en premier lieu de l’aide juridictionnelle dont il ne fait aucun doute qu’il faudra augmenter les crédits.
Sous le bénéfice de toutes ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte qui vous est soumis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, vous avez commencé votre propos en disant que nous étions ici par la force du Conseil constitutionnel. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) C’est vrai, mais c’est oublier que les faits qu’il a dénoncés remontent, eux, à bien longtemps, et que cette réforme de la garde à vue était urgente depuis plusieurs années.
M. Alain Anziani. Depuis quand êtes-vous au pouvoir, monsieur le garde des sceaux ? C’est une mauvaise polémique, qui n’est pas au niveau du débat que nous souhaitons tous et que vous devriez vous-même être le premier à souhaiter !
Cette réforme est donc urgente, parce que, nous le savons tous – du moins presque tous –, la garde à vue « à la française » est un scandale ! C’est un scandale par le nombre, par les abus, et par le déni du droit qu’elle représente.
Tout d’abord, le nombre de gardes à vue s’élève précisément, selon le rapport de M. Zocchetto, à 792 293 en 2009, c’est-à-dire presque 800 000. Or, toujours selon les estimations de la commission, il n’était que de 336 718 en 2001, huit ans avant.
Par conséquent, le nombre de gardes à vue a été multiplié par deux et demi (M. le garde des sceaux opine.) – il a plus que doublé – en quelques années. Aujourd’hui, – et cela devrait tous nous faire frissonner – 1,5 % de notre population peut être mise ou s’est déjà retrouvée en garde à vue, et ce chaque année.
Les abus, ensuite, ont eux été dénoncés régulièrement par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, qui, malheureusement, va sinon disparaître du moins être absorbée. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Je rappelle que la CNDS a constamment dénoncé les fouilles à nu et le fait que l’on pouvait priver une personne de ses lunettes ou de son soutien-gorge. Elle a constamment dénoncé, au fond, une humiliation qui devenait une sorte de mode de pression coutumier, ou encore ces rétentions qui s’apparentent plus à des brimades qu’à des actes d’enquête.
Le droit, enfin, est malmené. Vous nous parlez du Conseil constitutionnel. Il faut rappeler qu’il a tout de même fallu une décision du Conseil constitutionnel, trois arrêts rendus le même jour par la Cour de cassation, et de multiples jugements de la Cour européenne des droits de l’homme pour que cette question soit enfin débattue aujourd’hui et puisse faire l’objet d’une réforme.
La réforme que vous nous proposez comporte des avancées, chacun d’entre nous le reconnaîtra, dont l’une est essentielle et concerne la présence de l’avocat.
Désormais, l’avocat sera présent à la fois pendant les auditions et durant les confrontations, et, pour reprendre l’expression du barreau de Paris, il ne se contentera plus d’ « une visite de courtoisie » à son client : il pourra accéder à quelques pièces du dossier qui lui donneront une information sur les faits dont celui-ci est suspecté.
En outre, – et c’est une très bonne chose – la victime aura droit à un avocat. À mon sens, nous devrions toujours avoir cet esprit de balance entre le suspect et la victime.
Enfin, vous rétablissez le droit à conserver le silence. Vous avez affirmé avec beaucoup de force qu’il s’agissait d’un élément essentiel du texte. Aussi, vous me permettrez de vous signaler que la justice européenne nous le dit depuis longtemps, et que ce droit a été reconnu par une loi du gouvernement Jospin. (M. Robert Badinter s’exclame.) Le droit à conserver le silence, que vous aviez supprimé, vous reconnaissez désormais son importance ; c’est un hommage qui est rendu au gouvernement Jospin, et je ne peux que le souligner… (M. le garde des sceaux sourit et M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Anziani. Devant cette réforme, nous avons une interrogation et trois divergences de fond.
L’interrogation – je regrette que vous n’en ayez pas dit un mot, monsieur le garde des sceaux, contrairement à M. le rapporteur à la fin de son propos – est la suivante : cette réforme n’existera-t-elle que sur le papier, ou sera-t-elle effective dans les faits ? Cela pose évidemment le problème du financement.
Le financement sera important, on s’en doute, pour la garde à vue elle-même, ainsi que pour l’ensemble des dispositifs qui l’accompagneront, y compris, par exemple, la retransmission de la garde à vue quand l’avocat ne pourra pas être présent.
En outre, cela pose évidemment le problème des lieux.
J’ai toujours en tête cette phrase du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui souligne que les lieux de garde à vue sont les plus misérables des lieux de détention les plus misérables.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Alain Anziani. Il faudra bien sûr trouver des moyens. Vous avez évoqué 80 millions d’euros de dotations supplémentaires. Or je constate que, dans le projet de loi de finances, seulement 15 millions d’euros sont prévus pour l’instant. J’espère que vous pourrez nous confirmer tout à l’heure qu’un collectif budgétaire nous apportera le solde.
J’en viens à nos trois divergences.
La première porte sur les personnes pouvant être mises en garde à vue.
On voit bien le but visé : trouver un équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection des libertés.
J’ai consulté une remarquable étude de législation comparée du Sénat sur les gardes à vue en Europe. Au fond, il existe deux cultures : la nôtre et celle des autres, même si ces dernières ne sont pas toutes identiques, je le reconnais. Quoi qu’il en soit, nombre de pays européens, sinon la quasi-totalité d’entre eux, retiennent le principe que l’on pourrait qualifier de principe de proportionnalité.
La garde à vue est une mesure de privation de liberté qui doit se justifier par sa proportionnalité à la gravité des faits. Ce principe a même été inscrit dans la Constitution en Allemagne, pays qui ne prévoit pourtant aucun traitement particulier pour la garde à vue.
Certains États comme l’Italie ont considéré que le principe de proportionnalité devait conduire à exclure de la garde à vue toutes les personnes ayant commis des infractions sanctionnées par des peines inférieures à deux ans, quand d’autres, comme l’Espagne, ont estimé que le seuil devait être fixé à cinq ans.
Il existe donc un vrai débat. Pourquoi refuser chez nous les dispositifs des autres pays, qui ne sont sans doute pas moins sûrs que le nôtre mais qui admettent des seuils de privation de liberté ?
Je rappelle que, pour nous, le seuil est de trois ans pour la détention provisoire. Aussi, il nous a semblé logique de l’appliquer en l’espèce et de considérer qu’une personne ne peut être mise en garde à vue que si elle a commis une infraction pour laquelle elle encourt une peine supérieure à trois ans, ou à un an en cas de flagrant délit – M. Zocchetto n’a pas évoqué ce point tout à l’heure.
Ce système me paraît assez équilibré.
J’ai entendu les exemples que vous avez cités tout à l’heure. Il est vrai que nous éliminons un délit auquel nos policiers sont très sensibles : le délit d’outrage ou de rébellion.
Je comprends la réaction de la police sur ce point, car nous avons besoin que les forces de l’ordre soient confortées, peut-être encore plus dans le désordre actuel que par le passé. C’est tout à fait exact ! Mais on peut tout de même se demander s’il n’existe pas d’autres moyens que de recourir à la garde à vue pour sanctionner, ou pour prévenir – c’est l’esprit du texte – ces rébellions ou ces outrages.
Dans notre cas, le flagrant délit suffira. Le harcèlement sexuel, que vous citiez tout à l’heure, est puni d’une peine supérieure à un an, mais il est vraisemblable – pas toujours – que cela relève du flagrant délit, et la garde à vue sera alors possible. Par exemple, toutes les violences familiales pourront donner lieu, si nécessaire, à une garde à vue.
Mais au-delà, posons une autre question. Il y a, bien sûr, une difficulté, mais il y aura toujours des difficultés de cette nature. Pourquoi ? Vous l’avez dit vous-même en commission hier, c’est la question de l’échelle des peines. Quand allons-nous prendre le temps – il manque – de réexaminer l’échelle des peines en fonction de la gravité de l’infraction ? Aujourd’hui, on accumule les lois pénales, plusieurs chaque année, et à la fin, c’est un véritable désordre, une sorte de maquis : il n’y a plus de hiérarchie entre la gravité des infractions et la gravité des peines.
La deuxième divergence porte sur l’autorité qui place en garde à vue.
Là aussi, il y a deux écoles. L’école française confie la garde à vue à l’officier de police judiciaire, avec l’autorisation du procureur de la République en cas de prolongation. D’autres pays distinguent, quant à eux, d’une part, les poursuites qui sont réservées au ministère public ou à son équivalent et, d’autre part, les décisions relatives à la liberté qui relèvent du seul juge judiciaire.
L’article 66 de notre Constitution, c’est vrai, précise que l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Il est vrai aussi – je n’entrerai pas dans de faux débats – que la jurisprudence de la Cour européenne est complexe sur ce point, mais nous pouvons considérer, en effet, qu’un procureur fait partie de l’autorité judiciaire. Ce n’est pas, me semble-t-il, le lieu de le remettre en question. Mais la question n’était peut-être pas celle-là : oui, un procureur est un magistrat, mais il n’est pas indépendant. Voilà la vraie difficulté : d’une part, il est soumis à une autorité et, d’autre part, il est une partie poursuivante.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est surtout cela !
M. Alain Anziani. Voilà bien le paradoxe de cette affaire : vous allez confier à une partie qui va décider de la garde à vue les droits dont dispose l’autre partie. Par conséquent, la partie poursuivante fixera les droits de la partie qu’elle poursuit. Il y a là, à notre sens, un déséquilibre, que nous aurions souhaité voir corrigé.
Mais nous vivons aussi dans un monde réel et la vérité un peu triviale est que nous n’avons pas nécessairement les moyens de nos ambitions.
Nous proposons une solution de transition : un placement par l’officier de police judiciaire, validé par le procureur, mais une prolongation par le juge judiciaire. Nous confions également à ce dernier le contrôle de la légalité de la garde à vue, y compris dans ses conditions matérielles. De même, toute dérogation aux droits de la défense – report de la présence de l’avocat, report de l’accès au dossier –, puisque c’est une dérogation au droit commun, doit être soumise au juge judiciaire, et non pas à la partie poursuivante qu’est le procureur de la République.
Troisième divergence, – il s’agit d’une incompréhension forte entre nous – j’affirme que l’article 11 bis réintroduit l’audition libre sous la forme d’une comparution libre.
Nos collègues députés ont eu la sagesse de supprimer l’audition libre, avec beaucoup de critiques, en soulignant que la personne entendue librement avait moins de droits que la personne mise en garde à vue et ils avaient raison. Pourtant, ils admettent quelques articles plus loin, à l’article 11 bis, de voir resurgir l’audition libre dans une tenue camouflée : la comparution libre.
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé sur cette question en commission. Vous m’avez répondu d’aller voir ailleurs,…
M. Alain Anziani. … plus exactement d’aller voir Mme Guigou.
M. Alain Anziani. J’ai relu les propos de Mme Guigou et je trouve que votre interprétation des propos de notre ancienne ministre de la justice est quelque peu rapide. Elle ne dit pas exactement que la comparution libre n’a rien à voir avec l’audition libre. Relisez ses propos, je l’ai fait,…
M. Alain Anziani. … mon interprétation est différente.
Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi, par ailleurs, de dire que l’on ne peut pas répondre sur un tel sujet par une boutade.
M. Alain Anziani. La justice n’avance pas avec des boutades.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Anziani. Si vous avez des précisions à apporter sur la différence entre comparution libre et audition libre, donnez-les, mais ne me renvoyez pas à quelqu’un d’autre dans une autre assemblée.
Je remarque que M. le rapporteur a examiné ces objections avec beaucoup de sérieux.
Pour ma part, je ne suis pas convaincu. Je ne comprends toujours pas – mais c’est peut-être moi qui aie un défaut de compréhension – en quoi la comparution libre est différente de l’audition libre, qui a fait l’objet d’une censure. Dans les deux cas, la personne est entendue librement ; dans les deux cas, elle peut faire cesser l’audition lorsqu’elle le souhaite ; dans les deux cas, si elle demande à se retrouver libre, elle peut se retrouver en garde à vue et, dans les deux cas, elle est privée de tous les droits reconnus aujourd’hui à la personne gardée à vue… Il n’y a pas plus de différence entre les deux qu’entre bonnet blanc et blanc bonnet.
La cohérence voudrait, me semble-t-il, que nous rejetions la comparution libre comme nous avons rejeté l’audition libre. Mais si tel n’est pas le cas je propose, en raison des nécessités de l’enquête, d’accorder un minimum de droits à la personne qui comparaîtrait librement : le droit à une durée maximale de la comparution ; en effet, elle doit savoir – c’était une forte critique contre l’audition libre – combien de temps sa comparution libre va durer ; le droit de téléphoner à un avocat pour lui dire de quoi on la suspecte ; le droit d’avertir son employeur et sa famille.
Nous demandons ce minimum de droits, nous avons donc déposé des amendements sur ces différents points. Mais en l’état, franchement, la personne qui comparaît librement est suspecte. Si elle est suspecte, elle doit avoir un certain nombre de droits reconnus par la Cour européenne, et là vous allez de nouveau directement vers une censure de la part de la Cour.
Constatant que mon temps de parole est quasiment épuisé, j’évoquerai en conclusion la réforme de la procédure pénale. Voilà un an, la Chancellerie avait publié un document de plus de deux cents pages sur la réforme de la procédure pénale. Elles se sont évaporées.
M. Alain Anziani. En tout cas, aujourd’hui, on a redécoupé une sous-partie sur la garde à vue. Il faut avoir, me semble-t-il, une vision générale de cette réforme.
Monsieur le garde des sceaux, nous savons que cette réforme n’est pas la vôtre. C’est vrai, elle a été engagée nettement avant votre nomination. Nous savons qu’elle inquiète les forces de l’ordre et nous avons besoin de satisfaire aussi aux exigences de sécurité. (M. le garde des sceaux fait un signe d’approbation.)
Nous savons aussi que la pression sécuritaire dans laquelle nous vivons constamment chaque jour, et encore hier avec vos déclarations sur les jurys populaires, ne va pas dans le sens du renforcement des droits de la défense.
Nous savons également que cette réforme n’est pas la plus payante sur le plan électoral, mais comme la loi pénitentiaire, elle fait partie de ces réformes incontournables dans une République moderne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Josiane Mathon-Poinat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, le texte qui nous est soumis constitue un progrès par rapport à la situation antérieure et nous vous en donnons acte. Nous avons, en effet, apprécié positivement le travail accompli tant par l’Assemblée nationale que par la commission des lois du Sénat, avec un certain sens de la mesure qui ne nous étonne pas de la part de notre collègue François Zocchetto, avec une présence affirmée de l’avocat, qui est une réelle avancée. En vous écoutant s’agissant de l’interprétation de la jurisprudence européenne, monsieur le garde des sceaux, je me rappelais la circulaire du 17 novembre 2009 (L’orateur brandit un exemplaire de cette circulaire.), publiée par les services de la Chancellerie, circulaire que je vous invite à relire pour voir comment les choses et les interprétations évoluent au gré de la politique.
Cela étant, il fallait faire vite pour répondre aux injonctions du Conseil constitutionnel, mais ce texte ne va pas au bout du chemin. Il nécessitera rapidement à l’usage des modifications de forme et de fond et n’aura guère de sens s’il n’est accompagné des moyens financiers indispensables à sa mise en application.
Comment faire abstraction du contexte général auquel la nation est confrontée en matière de justice et de sécurité ?
Presque quatre ans de rupture : vous avez atteint l’objectif, il y a effectivement rupture entre le Gouvernement et les magistrats, entre les forces de l’ordre et les magistrats, entre l’opinion publique et la justice. Le programme est réalisé.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Aujourd’hui, l’urgence est de donner de vraies orientations politiques, de rassurer tant les citoyens – qui aspirent à sortir tant de l’insécurité dans certains territoires que du climat d’insécurité souvent largement entretenu – que les forces de l’ordre, saturées de textes et n’ayant souvent pas les moyens de les appliquer. Et il s’agit également de rassurer les magistrats dont l’exaspération fut portée à son comble par des déclarations excessives dont chacun se souvient.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Jacques Mézard. Le 9 février 2010, par une question orale avec débat, et le 24 mars 2010, par la discussion en séance publique de la proposition de loi portée par le groupe RDSE, j’avais décrit la nécessité d’une réforme rapide et profonde de la garde à vue. En effet, dès mon arrivée au sein de notre Haute Assemblée, j’avais attiré l’attention de mon groupe sur ce dossier, convaincu par l’expérience de terrain, les contradictions de plus en plus évidentes avec l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne et, surtout, le caractère surréaliste et intolérable d’une mesure privative de liberté imposée à 800 000 de nos concitoyens dans des conditions souvent inadmissibles et rappelées d’ailleurs sur toutes les travées.
J’ai exposé précisément dans ces deux débats les raisons de cette dérive et les dégâts causés dans l’opinion de nos concitoyens sur l’institution judiciaire et les services de sécurité.
Dans ce débat, mes chers collègues, il ne convient pas – et nous ne l’avons jamais fait – de faire le procès des forces de l’ordre. Elles ont appliqué une politique – la vôtre, avec les moyens que votre gouvernement leur a donnés.
Dénoncer le scandale de la garde à vue, ce n’est pas s’en prendre à ceux qui sont chargés de la sécurité, ce n’est pas promouvoir un laxisme sécuritaire et judiciaire. Nous sommes tout autant que vous attachés au respect de la loi, à ce que nos concitoyens puissent vivre en sécurité, à ce que les délinquants soient retrouvés et justement sanctionnés. La gendarmerie et la police sont des piliers de la République. Ces institutions, nous le savons, sont lasses de l’insécurité juridique dans laquelle vous les plongez par l’inflation législative sécuritaire,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. … lasses de la mise en place de la révision générale des politiques publiques, lasses de l’insuffisance des moyens matériels, lasses de constater – vous avez raison sur ce point, monsieur le garde des sceaux – la non-exécution des peines, lasses du fossé que vous contribuez à créer avec la magistrature.
Monsieur le garde des sceaux, devant l’Assemblée nationale, vous déclariez le 18 janvier 2011 – je me réfère au Journal officiel – que, « en quelque dix ans, on est passé de 200 000 à près de 800 000 gardes à vue. Or on ne peut pas utiliser la garde à vue comme un moyen banal d’enquête. »
M. Jacques Mézard. Ce sont vos propos !
M. Jacques Mézard. Vous avez raison, mais pourquoi avez-vous tenu de tels propos ? Pourquoi, voilà encore quelques semaines, était relatée dans le rapport sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, une augmentation de plus de 50 % du nombre de gardes à vue comme un succès ?
Monsieur le garde des sceaux, je salue une fois de plus votre habileté, votre dialectique (M. le garde des sceaux et M. Roland Courteau sourient.) reconnue dans cet hémicycle. Il fallait le faire : vous l’avez fait. Avoir l’audace de déclarer que « la réforme de la garde à vue appartient d’abord à une suite logique. L’Assemblée nationale vient ainsi d’adopter les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits ; [...] »
M. Jacques Mézard. « Ainsi, c’est parce que la Constitution a été révisée »…
M. Jacques Mézard. … « que le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception […] a été institué en 2008 et que nous avons aujourd’hui à délibérer sur la garde à vue » !
C’est sans doute également grâce à la révision constitutionnelle que nous sommes aussi peu nombreux aujourd'hui dans cet hémicycle. (Sourires sur plusieurs travées.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir !
M. Jacques Mézard. C’est habile, mais c’est en même temps un aveu. Cela signifie que, s’il n’y avait pas eu l’arrêt du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et la contrainte en découlant, vous auriez balayé d’un revers de la main la jurisprudence européenne – comme vous l’aviez fait dans la circulaire du 17 novembre 2009 (L’orateur brandit de nouveau un exemplaire de cette circulaire.) – et celle de la Cour de cassation en continuant à renvoyer à la commission nos propositions de loi et à annoncer pour demain un nouveau code de procédure pénale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous savions qu’il y avait un projet de loi !
M. Jacques Mézard. Ce n’est quand même pas le simple effet du hasard si le nombre de gardes à vue fut, selon vos chiffres, multiplié par quatre en dix ans. En réalité, vous vous êtes vanté de cette explosion jusqu’à l’année dernière, quand le taux de 1,5 % des Français fréquentant la garde à vue chaque année est devenu intolérable. Encore plus, quand des centaines de milliers d’entre eux en sortaient sans poursuite judiciaire ou au moins sans comparution devant un tribunal.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Qu’est-ce qui vous empêchait d’arrêter, de votre propre chef, ce scandale, tant par des instructions réglementaires que, surtout, par le dépôt d’un projet de loi en procédure accélérée ?
La vérité, c’est que vous avez joué la montre, au nom du discours sécuritaire. La vérité, c’est que vous avez fini par aller à Canossa (M. le garde des sceaux sourit.) et que, comble d’ironie, vous avez dû plier devant le gouvernement des juges, ce qui n’est pas un bon exemple !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Soyez positif !
M. Jacques Mézard. La vérité, c’est que vous envisagiez une mini-réforme sur ce point à l’aune du rapport de la commission Léger, dont il convient de se souvenir qu’elle avait proposé la création d’une « retenue judiciaire » de 6 heures de la même veine que l’audition libre à laquelle vous avez sagement renoncé partiellement.
Quelles sont les contraintes techniques et financières d’un tel projet ?
La réforme de la garde à vue impose, pour être efficace, des solutions, dans les plus brefs délais, sur la question des locaux et celle de la rémunération de l’avocat.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez indiqué en commission que les travaux à réaliser dans les locaux de garde à vue représentaient 48 millions d’euros. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 juillet 2010, a déclaré que « la dignité de la personne contre toute forme […] de dégradation est [une exigence] constitutionnelle ». Ma question est simple : quelle est la programmation budgétaire des travaux à réaliser ?
Quant au problème de l’indemnité de l’avocat, de sa rémunération et donc de l’aide juridictionnelle, il est fondamental parce qu’il y a un risque évident, et presque inévitable de voir s’aggraver, à défaut d’une volonté politique forte que je ne ressens pas, la mise en place d’une justice pénale à deux vitesses, voire à trois, selon les territoires, et, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, une non-application de fait de la réforme de la garde à vue dans la plupart des départements sans métropole régionale.
Il est clair que les barreaux des grandes villes, à commencer par Paris, vont pouvoir faire face au moins aux contraintes techniques par des systèmes de permanence adaptés à la réforme. Dans la moitié des départements français, ce ne sera pas le cas : les contraintes géographiques, démographiques et financières se superposant rendront, de fait, impossible l’application de la loi. La conséquence grave en sera l’absence très fréquente de l’avocat dans ces départements, et ce sont les justiciables les plus démunis qui ne seront pas défendus,…
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jacques Mézard. … et cela, je ne l’accepte pas, monsieur le garde des sceaux !
Je sais que vous êtes opposé au regroupement des lieux de garde à vue pour préserver l’existence des gendarmeries en zone rurale, dont acte ! Mais disons les choses clairement : il n’y aura pas en France d’accès équitable à la justice, pas de défense pénale digne de ce nom si l’aide juridictionnelle n’est pas réformée dans les meilleurs délais !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. À cet égard, je vous renvoie, mes chers collègues, à la lecture du rapport d’information rédigé, voilà trois ans, par notre collègue Roland du Luart, et je suis de ceux qui pensent qu’il convient de ponctionner fortement les recettes des compagnies d’assurances en matière de protection juridique.
En tout cas, cette réforme est vouée à l’échec sur une grande partie du territoire national, si ce problème n’est pas résolu, et il ne l’est pas par les dispositions décrites dans l’étude d’impact, de la page 27 à la page 31, qui sont un chef-d’œuvre de la haute technocratie ! (M. le garde des sceaux sourit.)
Mais revenons aux questions basiques.
Rappelons que la garde à vue était absente du code d’instruction criminelle. Apparue dans le décret du 20 mai 1903, elle fut réglementée par l’État français dans sa circulaire du 23 septembre 1943. J’ai rappelé, dans le cadre de la discussion de la question orale avec débat que j’avais posée sur ce sujet, la déclaration de Maurice Schumann, le 25 juin 1957, à l'Assemblée nationale : « Il me paraît inconcevable que nous introduisions dans notre code de procédure pénale cet élément de répression […], à savoir que le délai de garde à vue n’est pas le délai nécessaire pour conduire au juge mais le délai pendant lequel on commence en fait et sans garantie l’instruction du procès. »
Cette question est toujours au cœur du débat, et vous ne pourrez durablement, monsieur le garde des sceaux, différer l’examen de la question du statut du parquet et la recherche d’une solution qui soit en conformité avec l’article 5 de la Convention européenne, ce qui a clairement été posé, en dépit de toutes les interprétations que vous nous avez données,…
M. Jacques Mézard. … dans l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Jacques Mézard. … et encore davantage dans l’arrêt du 15 décembre 2010 de la Cour de cassation : « C’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l’article 5 […] de la Convention européenne des droits de l’homme,…
M. Jacques Mézard. Je vous l’accorde !
… alors qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu’il est partie poursuivante. »
Allez-vous encore longtemps faire de la résistance, jouer la montre, utiliser les jurés populaires comme écran de fumée ? (M. le garde des sceaux s’esclaffe.)
Vous n’échapperez pas à l’application du principe acquis selon lequel les atteintes d’une importance minimale aux libertés fondamentales doivent être autorisées ou contrôlées par un juge du siège indépendant du pouvoir politique. Or le ministère public est statutairement soumis au ministère de la justice. Il ne peut être chargé de contrôler les gardes à vue, d’autant qu’il a la qualité de partie poursuivante. En outre, vous le savez comme moi, depuis des années, il ne contrôle aucunement les gardes à vue (M. le garde des sceaux s’exclame.), car elles sont beaucoup trop nombreuses. Ce que je viens de dire a d’ailleurs été évoqué à la page 34 de l’excellent rapport d’information de nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel sur l’évolution du régime de l’enquête et de l’instruction.
Perseverare diabolicum, monsieur le garde des sceaux !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Dès lors que vous croyez au diable, c’est un vrai progrès ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Ne pas accepter nos amendements relatifs à l’intervention et au contrôle du juge des libertés et de la détention, c’est continuer à créer de l’insécurité juridique, et ce ne sera encore que reculer pour mieux sauter ! (M. le garde des sceaux sourit.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. La deuxième question de fond au niveau procédural, c’est le moment de l’intervention du juge pendant la garde à vue. Là encore, il y a un risque d’insécurité juridique eu égard à l’article 5 de la Convention européenne, la Cour européenne des droits de l’homme ayant sanctionné des présentations au juge plus de quatre jours après l’arrestation. À un moment donné, il faudra bien fixer des délais incontestables.
La troisième question porte sur la nouvelle rédaction de l’article 62 du code de procédure pénale. En la matière, je ne suis aucunement convaincu que vous ayez respecté la décision du Conseil constitutionnel. (M. le garde des sceaux est dubitatif.)
Concernant la volonté affichée du Gouvernement de faire diminuer de plus de 300 000 le nombre de gardes à vue, une volonté que nous saluons, il est étrange que vous ne vous en donniez pas le moyen le plus efficace, le plus cartésien par l’alinéa 3 de l’article 1er du texte : en maintenant la possibilité de garde à vue pour toute infraction punie d’une peine d’emprisonnement, vous réduisez, en pratique, à néant un aspect fondamental de la réforme.
Discrètement, vous avez retiré nombre de gardes à vue des critères de performance de la police, avec déjà des résultats – c’est bien ! –, mais vous savez que cela ne suffit pas. Faites enfin confiance à tous les professionnels : les magistrats, la police, la gendarmerie, les avocats ! Donnez-leur les moyens de travailler, alors même que le budget consacré par la France à la justice se situe au 30e rang européen !
M. Roland Courteau. Hélas !
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, en restaurant le travail de proximité, en cessant d’utiliser sécurité et justice à des fins électorales, en renonçant aux lois « réactives aux faits divers », vous ferez l’essentiel du chemin. Mais savez-vous où vous voulez aller en la matière ? Ou convient-il de vous rappeler cette phrase de Pierre Dac : « Ceux qui ne savent pas où ils vont sont surpris d’arriver ailleurs ! » (Sourires. – Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes ici parce que le Gouvernement y a été contraint. Il aura d’ailleurs résisté jusqu’au dernier moment (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.), puisque jusqu’au débat à l'Assemblée nationale nous était proposée une solution hybride consistant à prévoir un laps de temps important, sous couvert d’auditions libres, sans la présence de la défense.
Les débats sur la garde à vue que nous avons eus ici même à trois reprises sur l’initiative de parlementaires ont montré combien le Gouvernement était résistant à toute réforme, alors que toutes les données étaient pourtant sur la table.
En effet, la France a été condamnée et, eu égard au nombre important de gardes à vue, l’opinion publique a fini par s’émouvoir, car elles peuvent toucher tout un chacun ; elle ne le faisait guère quand elle considérait que seuls les criminels étaient concernés !
En réalité, il y a matière à aller plus loin que ce qui est proposé tant par le Gouvernement que par la commission, d’ailleurs. Mais nous avons bien l’impression que vous n’y êtes pas décidés.
À l’origine, la garde à vue avait pour objet de garder les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations le temps de leur déferrement devant le juge. Il est vrai que c’était une autre époque, durant laquelle les droits de la défense étaient moindres. Toutefois, force est de le constater, au fur et à mesure que les droits de la défense se sont accrus dans l’instruction, la garde à vue a été utilisée comme un élément de l’enquête à part entière sans défense. Elle était en quelque sorte la compensation imaginée par le pouvoir pour avoir, par l’intermédiaire du procureur et de la police, une procédure de nature à aboutir à l’aveu, qui était la pierre angulaire de toute la durée de l’instruction.
Il faut bien le dire, la garde à vue est employée comme un moyen d’intimidation. Au fil du temps, elle est devenue un indicateur de la performance en matière policière. Nous respectons la police républicaine, à telle enseigne que nous la défendons contre toute tentative de la dessaisir de ses prérogatives au profit de polices privées. Cela dit, on ne peut pas considérer que la performance qui vient de la hiérarchie et non pas de la police elle-même aboutit à la politique du chiffre que nous connaissons, et qui est d’ailleurs dénoncée non seulement par les professionnels de la justice, mais également par les services de police. En effet, nul n’ignore que les commissaires de police touchent des primes en fonction du nombre de gardes à vue réalisées dans leur commissariat !
Cette inflation répressive inscrite dans la politique pénale du Gouvernement explique en partie l’augmentation exponentielle du nombre de gardes à vue. Les chiffres ont déjà été communiqués, je n’y reviendrai pas. Cela étant, il est étonnant que certains, dont vous n’êtes pas, essaient par tous les moyens de les contester.
Quoi qu’il en soit, on a largement dépassé, en 2009, les 800 000 gardes à vue. À cela s’ajoute l’augmentation de la durée des gardes à vue : plus de 74 % d’entre elles durent plus de vingt-quatre heures. Avant d’être juridique, la banalisation de la garde à vue est donc politique.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette réforme contrainte présentée par le Gouvernement, qui se limite à une adaptation obligée a minima, sans dénoncer les orientations de la politique pénale, sera sans doute, de fait, d’une portée limitée sur les droits réels des gardés à vue.
Vous l’avez certainement lu comme moi, mes chers collègues, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 2 mars 2011, des juges, des avocats et des policiers – ce qui prouve qu’ils ne sont pas si opposés les uns aux autres ! –, les professionnels ont exprimé leur crainte que ce projet de loi ne soit une « rustine de plus sur un code de procédure pénale à bout de souffle, usé par des années d’incohérence au gré des amendements de circonstance votés dans l’émotion d’un dramatique fait divers ».
Ces représentants des différentes professions de la justice illustrent le ras-le-bol à l’égard des politiques pénales et de la pression sécuritaire permanente, une pression d’affichage qui ne diminue d’ailleurs en rien les chiffres de la délinquance.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous partageons leur crainte.
Certains l’ont déjà souligné, nous avons déjà débattu il y a un an de la nécessité de réformer la garde à vue, ainsi que l’ensemble de la procédure pénale. Le garde des sceaux de l’époque avait renvoyé à plus tard une réforme plus globale de la procédure pénale, comme vous le faites vous-même aujourd'hui.
Depuis, l’architecture du système pénal français a été, à diverses reprises, remise en cause. La Chancellerie a ignoré l’arrêt Medvedyev relatif à l’indépendance du parquet, mais l’arrêt Moulin c. France en a confirmé les griefs, ainsi que mon collègue Jacques Mézard l’a souligné. Or le projet de loi ne tient pas compte de cette jurisprudence et le Gouvernement préfère gagner du temps en renvoyant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme devant la Grande chambre. Toutefois, l’Hexagone ne pourra pas indéfiniment se mettre en infraction avec les principes européens.
Dans le même temps, le report des effets de la décision du Conseil Constitutionnel, comme de celles de la Cour de cassation, qui gèlent les droits de la défense, ne permettra pas d’éviter les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, au titre du paragraphe 3. de l’article 5, et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’au titre de l’article 13 qui garantit le droit à un recours effectif.
De plus, la réforme proposée est largement compromise par le manque de moyens financiers. Le budget consacré à l’accès au droit, et plus généralement au ministère de la justice, par l’État français apparaît comme l’un des plus bas d’Europe, ce qui n’est certainement pas compatible avec ce que doivent être les standards d’un État européen souhaitant permettre et garantir l’égalité en droits de tous ses citoyens, ainsi que l’édicte l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
La nouvelle place de l’avocat impose bien évidemment une réforme d’ampleur de l’aide juridictionnelle, ne se limitant pas forcément à la question de la rémunération de l’intervention en garde à vue, et ce afin de garantir à tous les justiciables l’accès effectif aux droits de la défense. Celui-ci implique donc nécessairement un accroissement important de l’enveloppe budgétaire consacrée aux interventions de l’avocat en garde à vue.
Ces remarques étant faites, je voudrais aborder plus en détails six questions essentielles de la réforme, mais que le projet de loi ne prend pas suffisamment en compte. Il s’agit des conditions permettant le déclenchement de la garde à vue et sa prolongation, des rôles du parquet et du juge des libertés et de la détention, de l’assistance effective de l’avocat, des régimes dérogatoires, du respect de la dignité humaine et, enfin, de la nullité de la procédure en cas de violation de droits reconnus.
L’article 1er du projet de loi n’impose aucun seuil minimal de la peine encourue pour conditionner le placement en garde à vue, puisque la rédaction de l’article 62-3 du code de procédure pénale qu’il propose définit la garde à vue comme concernant « un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Ainsi, ce texte ne permettrait pas de limiter le nombre de gardes à vue, car seules 7 % des condamnations délictuelles prononcées le sont pour des infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement. Nous vous proposerons un amendement sur ce point.
Au-delà de la décision de placement, c’est la durée même de la mesure qui doit être strictement proportionnée aux nécessités de l’enquête. En effet, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les actes d’enquête sont trop souvent soit diligentés dans les premières heures de la garde à vue sans pour autant impliquer une remise en liberté, soit espacés par des intervalles de temps très longs. Nous devons absolument proscrire ces gardes à vue « de confort », ce que le projet de loi ne garantit pas.
Le Gouvernement ignore également le problème majeur tiré de l’incompatibilité avec les exigences européennes du contrôle du parquet sur les mesures privatives de liberté. Cela a déjà été largement évoqué, mais le problème est que nous ne sommes pas en conformité avec la garantie des droits effectifs de la défense.
Si, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que l’autorité judiciaire comprenait à la fois les magistrats du siège et du parquet, comme le note le professeur Frédéric Sudre : « C’est vrai en droit interne, mais non au regard de la Convention européenne ». En effet, selon l’arrêt Medvedyev c. France, confirmé par l’arrêt Moulin c. France, le procureur français n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme car « il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». C’est tout à fait clair !
La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que le « juge […] habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » devant lequel « toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite » selon le paragraphe 3. de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, « doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties ». Le procureur de la République ne répond ni à l’un, ni à l’autre !
Rappelons que, dans son arrêt Huber c. Suisse, la Cour avait examiné sans équivoque possible la question sous l’angle de l’impartialité et avait conclu : « sans doute la Convention n’exclut-elle pas que le magistrat qui décide de la détention ait aussi d’autres fonctions, mais son impartialité peut paraître sujette à caution s’il peut intervenir dans la procédure pénale ultérieure en qualité de partie poursuivante ». Selon le professeur Frédéric Sudre, « d’une part, le magistrat, au sens de la Convention européenne, doit être indépendant de l’exécutif, ce qui n’est pas le cas du procureur de la République, placé dans une situation de subordination hiérarchique. D’autre part, ce magistrat doit pouvoir se prévaloir d’une impartialité fonctionnelle, c’est-à-dire ne pas être susceptible d’exercer ensuite des poursuites contre la personne qu’il aura lui-même placée en garde à vue, ce qui n’est pas non plus le cas du procureur de la République. »
Pour notre part, nous sommes favorables à ce que le procureur conserve son rôle de direction de l’enquête, mais ne jouons pas sur les mots : contrôler, ce n’est pas gérer ! Yves Gaudemet le résume très bien : « La jurisprudence européenne impose aujourd’hui un tel contrôle, ce qui ne signifie pas que le parquet est dessaisi de la conduite de la garde à vue. Mais un magistrat du siège, disposant seul de la qualité de magistrat au sens de cette jurisprudence, doit intervenir, non pour en surveiller les modalités, notamment la conduite des interrogatoires, mais pour vérifier que l’atteinte ainsi portée à la liberté de l’individu est bien proportionnée à ce que requièrent l’ordre public et la politique pénale. »
Il est temps que le Gouvernement accepte le fait que le procureur n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il en prenne la mesure pour réformer la procédure pénale, l’instruction et le statut du parquet.
Enfin, l’argument avancé par la majorité parlementaire et le Gouvernement selon lequel l’intervention différée du juge du siège serait suffisante ne nous paraît pas recevable. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais fixé à quel délai correspond l’exigence de traduire « aussitôt » devant un juge une personne privée de liberté. Pour le moment, la juridiction européenne a condamné des délais supérieurs à trois jours, mais elle porte une appréciation au cas par cas.
Par ailleurs, les jurisprudences européennes, constitutionnelles et de cassation sont unanimes pour reconnaître le droit à l’assistance effective de l’avocat dès le début de la garde à vue. Nous ne reviendrons pas sur les moyens substantiels qui sont nécessaires pour y parvenir.
Nous critiquons aussi le fait que le texte permet de nombreuses dérogations, nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, pour que le droit à un procès équitable consacré par le paragraphe 1. de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme demeure suffisamment concret et effectif, il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Et même lorsque de telles raisons peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction, quelle que soit sa justification, ne doit pas indûment préjudicier au droit découlant pour l’accusé de l’article 6 de la Convention. Je citerai l’arrêt Salduz c. Turquie en la matière.
Tout cela m’incite à aborder de nouveau la présence de l’avocat dans le cadre des procédures dérogatoires. Nous y reviendrons également pendant la discussion. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes, je le sais, totalement opposé à la suppression des procédures dérogatoires mais, pour ma part, je suis favorable à ce que ces procédures soient assorties des mêmes droits que les autres. En effet, à mon sens, plus on est gravement « présumé coupable », plus on a le droit de se défendre et d’être défendu dès les premières heures de sa mise en garde à vue. Nous aborderons ce point plus longuement au cours de la discussion.
J’ajoute que nous sommes défavorables à ce que les mineurs soient placés en garde à vue. Là encore, nous aurons l’occasion d’en discuter mais je crois que ce point mérite réflexion et que nos propositions sont peut-être acceptables.
Enfin, je suis particulièrement attachée à la question des conditions de garde à vue. La Commission nationale de déontologie et de sécurité que j’ai saisie à plusieurs reprises au sujet de gardes à vue humiliantes et abusives a souvent donné raison à ces requêtes et la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France le 20 janvier 2011 à indemniser un détenu pour violation de son droit à la dignité en raison de fouilles intégrales répétées,…
M. Roland Courteau. Exactement ! C’est scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … ce qui est tout de même significatif, parce que, en réalité, les fouilles sont souvent pratiquées sans nécessité.
Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce point durant le débat, mais là encore la question des moyens est tout à fait importante pour qu’on puisse réellement mettre les lieux et les pratiques de garde à vue à l’aune du respect de la dignité des personnes.
Pour finir, nous regrettons que le projet de loi reste silencieux sur les nullités de procédure et notamment sur leurs conséquences sur le déferrement. Nous proposerons des amendements sur ce sujet.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, si vous faites quelques avancées sous la contrainte, soyons clairs : ce projet de loi ne permettra pas de garantir une garde à vue digne de notre époque ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions cribles thématiques
situation en afghanistan
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé le mardi 8 mars 2011 sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de M. Frédéric Taddéï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été placés à la vue de tous.
Avant de donner la parole au premier orateur inscrit, je voudrais saluer le ministre de la défense et des anciens combattants, notre collègue Gérard Longuet (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.), et lui dire le plaisir que nous avons à l’accueillir au banc du Gouvernement.
Dans l’exercice de la fonction qui est la sienne, nous formulons pour lui nos souhaits les meilleurs.
Monsieur le ministre, c’est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons dans cette fonction pour la première fois, dans une maison qui est aussi la vôtre !
La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme les quarante-neuf pays membres de la Force internationale d’assistance à la sécurité – FIAS –, la France est présente en Afghanistan dans le cadre de la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies avec, pour mandat, de stabiliser le pays et de créer les conditions d’une paix durable.
Comme le rappelait le Premier ministre, François Fillon, « Nous poursuivrons notre stratégie de sécurisation, de reconstruction et de responsabilisation des autorités afghanes ».
Cet effort de la communauté internationale pour sécuriser le pays, former et encadrer l’armée afghane, la police et l’administration commence à porter ses fruits.
Pourtant, les médias occidentaux ne parlent que d’attentats, de dommages collatéraux et de soldats tués.
M. Guy Fischer. C’est la vérité !
M. Jacques Gautier. Permettez-moi de saluer le courage de nos troupes sur place.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jacques Gautier. Les médias ne parlent jamais de cette reconstruction qui se fait, vallée par vallée, avec les 2 300 ONG présentes, dont 300 internationales et 35 françaises.
Les médias ne parlent pas non plus de la coopération civilo-militaire française ou des PRT américaines, les Provincial Reconstruction Teams, qui font un énorme travail : réhabilitation d’écoles, construction d’infrastructures, de bâtiments administratifs, d’un terrain de sport à Tagab, au sud de la Kapisa, d’un tribunal à Nijrab – c’est le symbole de l’État afghan qui est de retour ! –, ni de l’aide à l’agriculture, secteur clé de l’Afghanistan, où nous multiplions non seulement la réalisation d’infrastructures hydrauliques, mais aussi la fourniture d’engrais et de semences, ainsi que de silos de stockage sans lesquels les Afghans doivent brader leurs récoltes, faute de pouvoir les conserver. (M. le ministre de la défense et des anciens combattants opine.)
On ne parle pas non plus des MEDCAP, les Medical Civic Assistance Program, ces cliniques temporaires qui permettent d’assurer le suivi médical des populations.
Alors, monsieur le ministre, quand et comment allons-nous enfin réussir à présenter aux médias ce volet positif et essentiel de notre action, sans lequel il n’y aura pas d’avenir pour l’Afghanistan ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. L’observation légitime et forte de M. Jacques Gautier recoupe le point de vue de tous les observateurs qui, sur le terrain, constatent le formidable travail des forces mobilisées au titre de la résolution 1386 de l’ONU, car il s’agit bien d’une action internationale.
S’agissant de la France et du ministère de la défense, puisque vous interrogez le ministre, le chef d’état-major des armées, CEMA, et ses services de communication organisent le plus systématiquement possible la présence des journalistes qui le souhaitent en Afghanistan en général et naturellement dans les secteurs dont nous avons la charge : Obi et Kapisa.
Pour vous donner des indications quantitatives, deux ou trois journalistes français en moyenne sont présents sur le terrain de façon constante. L’année précédente, ce sont soixante-quatre médias français différents qui, grâce aux services de communication du CEMA, ont pu être présents sur le site et non seulement partager la vie de nos soldats, mais également accéder à chacun des interlocuteurs afghans qu’ils souhaitaient rencontrer. Au total, ce sont plus de deux cents journalistes qui ont été présents sur le terrain. C’est à eux qu’il appartient ensuite d’opérer un choix.
Cette séance de questions cribles thématiques est particulièrement pertinente, car elle va permettre de montrer que, au-delà de l’aspect tragique et malheureusement inéluctable de la présence de nos forces en Afghanistan, un formidable travail de reconstruction est accompli, travail que parfois la presse omet de faire connaître à ses lecteurs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Ça oui !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour la réplique.
M. Jacques Gautier. Je remercie M. le ministre de sa réponse.
Moi aussi, je fais un rêve : celui que les journalistes parlent des points positifs et de ce qui fonctionne, même si, c’est vrai, cela ne fait pas la une des journaux en général.
Mme Nathalie Goulet. Et pas seulement en Afghanistan !
M. Alain Gournac. Partout !
M. Jacques Gautier. Par avance, je les en remercie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Louis Carrère. Moi, je souhaite que les journalistes fassent leur métier, tout simplement !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Jean-Louis Carrère. Avec ce débat, on entre dans le vif du sujet : le domaine réservé, peut-être même exclusif, du Président de la République !
Monsieur le ministre, le retour dans l’OTAN, la très grave surdité face aux évolutions du Maghreb, la faillite de la politique africaine et, surtout, la docilité face aux impératifs de la politique extérieure des États-Unis, notamment en Afghanistan, voilà ce que personnellement je relève !
Face au délitement de la politique extérieure de la France, je n’irai pas par quatre chemins. Je l’ai déjà indiqué ici le 26 novembre 2010 et encore le 18 janvier 2011 : il nous faut aller vers un retrait progressif, négocié et planifié d’Afghanistan. Cela constitue notre position constante depuis plusieurs années.
Sous sa forme actuelle, notre engagement militaire dans le bourbier afghan ne peut pas réussir, malgré le courage et l’esprit de sacrifice de nos soldats. D’ailleurs, quoi qu’on en dise, nous ne sommes pas associés à l’élaboration de notre stratégie !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Louis Carrère. La solution, si solution il y a, monsieur le ministre, est politique, et non pas militaire ! Il faut sortir de cette logique infernale avant que nous ne soyons obligés, comme tant d’autres naguère, d’abandonner piteusement l’Afghanistan à son sort, les enfants et les femmes afghanes qui vivent sous le joug de l’obscurantisme.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Mais, puisque je connais aussi le goût de certains pour la polémique politicienne, je signale tout de suite que, dans la mesure où nous sommes des gens responsables, nous n’ambitionnons pas un retrait brutal du jour au lendemain de toutes nos forces.
M. le président. Mon cher collègue...
M. Jean-Louis Carrère. Nous souhaitons que s’opère une négociation, une planification avec nos alliés et avec les autorités afghanes. L’idéal serait d’ailleurs…
M. le président. Il faut conclure !
M. Roland Courteau. C’est intéressant, monsieur le président !
M. Jean-Louis Carrère. … que ce retrait émane d’une volonté politique européenne commune.
M. le président. Mon cher collègue, concluez ! (M. Alain Gournac approuve.)
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, ma question sera directe et j’espère qu’il en sera de même de votre réponse : le Gouvernement français…
M. François Trucy. Ce n’est pas sérieux !
M. Jean-Louis Carrère. … et, forcément, le Président de la République…
M. le président. Vous êtes en train de manger votre capital !
M. Jean-Louis Carrère. … indiqueront-ils que le retrait militaire d’Afghanistan débutera en 2011 ? Pour nous, il faut non seulement le dire, mais aussi le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué de très nombreux sujets, mais je me limiterai à votre seule question extrêmement précise.
Dans le cadre de la résolution 1386, les troupes françaises de l’Alliance ont vocation à rétablir la sécurité et à transférer les responsabilités au gouvernement afghan.
Deux élections présidentielles et des élections législatives ont eu lieu. C’est la lente et difficile reconstruction d’un État. Cela me permet, entre parenthèses, de dire tout le bonheur que l’on a d’avoir un État qui tienne la route !
Notre mission se traduit donc par une politique de transfert de responsabilités et une « afghanisation » de la sécurité, secteur par secteur. Le Joint Afghan Nato Inteqal Board, ou JANIB, pour employer l’un des nombreux acronymes utilisés en matière de politique de défense, en France comme à l’étranger, évalue chaque situation.
Pour répondre précisément à votre question, ce comité dont nous faisons partie – ce qui signifie très clairement que nous sommes associés aux décisions les plus importantes de la conduite des opérations de paix et de reconstruction de l’État en Afghanistan – examinera, nous l’espérons profondément et nous le proposerons, la situation du district de Surobi en 2011.
Mais le transfert des responsabilités dans ce district ne s’effectuera qu’en accord avec le comité, la décision définitive appartenant au Président Karzaï. Je vous confirme que nous avons la volonté de l’afghanisation et que, à la fin de l’année 2011, ce comité sera saisi.
Toutefois, il serait bien imprudent de tirer aujourd’hui une conséquence définitive, car nous sommes dans un système dialectique, au sein duquel nos actions sont naturellement contrebattues. C’est la raison pour laquelle je ne puis, en cet instant, être plus catégorique sur cette date, même si, en effet, elle correspond au calendrier souhaité et au résultat obtenu sur le terrain par notre armée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour la réplique.
Je vous prie d’être bref !
M. Jean-Louis Carrère. Je le serai, monsieur le président !
Monsieur le ministre, je crois surtout qu’il faut imiter les Américains lorsqu’ils font des choses justes.
Nous, socialistes, ne partageons pas l’attitude du Gouvernement français à propos de l’Afghanistan et du commandement intégré de l’OTAN. En revanche, s’agissant du débat à l’intérieur du pays, nous partageons l’opinion américaine et l’attitude du Président Obama.
Nous souhaitons que se tienne au Parlement un véritable débat sanctionné par un vote sur l’opportunité de maintenir nos troupes en Afghanistan et, surtout, que le Président de la République entende, non seulement en France, mais aussi en Europe, l’opinion publique ! Elle souhaite que nous quittions au plus vite le bourbier afghan et que nous substituions à l’action militaire une action plus politique.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, le 24 février, un soldat français a encore été tué en Afghanistan ; c’est le cinquante-quatrième.
Bien sûr, il faut rendre un hommage appuyé à nos militaires pour leur mission difficile sur le terrain. Il n’empêche que la douleur des familles est immense, car aucune réponse convaincante n’est apportée à la question cruelle qu’elles se posent : pourquoi sont-ils morts ?
Monsieur le ministre, sondage après sondage, une majorité de plus en plus écrasante de Français affirment leur opposition croissante à la présence de nos troupes en Afghanistan.
Le dernier en date, celui de l’IFOP pour l’Humanité, le 23 février, indique que 72 % d’entre eux n’approuvent pas l’intervention militaire, soit 2 % de plus qu’en juillet, mais 8 % de plus qu’en août 2009.
Même les sympathisants de votre majorité, l’UMP, affichent désormais à 55 % leur hostilité à cette guerre. La majorité des sondés ne voient dans cette aventure militaire ni perspective de rétablissement de la paix ni soutien réel à la population afghane, laquelle paie le prix fort, prise en otage entre les insurgés talibans et les forces occidentales.
Ils sont 88 % à considérer que la situation sur place est très difficile, que nos militaires y sont exposés et que le risque d’enlisement est réel. Le conflit est plus meurtrier que jamais : 10 000 morts sur la seule année dernière, dont 711 soldats de l’OTAN, 1 200 policiers et au moins 2 500 civils et 30 000 blessés dont on ne parle jamais.
C’est la guerre la plus longue de notre histoire ! Elle a, du reste, maintenant largement dépassé celle des Soviétiques. Aligné sur la position américaine, le Président de la République, drapé dans ses certitudes de pseudo-amélioration de la situation toujours démentie par les faits, n’a rien d’autre à nous offrir que le leitmotiv « on y restera le temps qu’il faudra ».
M. le président. Votre question !
Mme Michelle Demessine. S’agissant de la stratégie des Américains, sur le plan politique, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est fluctuante et peu claire. Robert Gates n’a-t-il pas déclaré…
M. Alain Gournac. La question !
Mme Michelle Demessine. … que son ambition, aujourd’hui, se limiterait à laisser l’Afghanistan au moins dans l’état où les Soviétiques l’avaient laissé ?
M. le président. Posez votre question !
Mme Michelle Demessine. Rien ne pourra se construire durablement dans ce pays où le peuple rejette l’occupation des troupes étrangères. La France, qui a un autre rôle à jouer, devrait commencer à retirer progressivement son contingent
M. Alain Gournac. La question !
Mme Michelle Demessine. … et augmenter son aide civile au développement.
Monsieur le ministre, les Français ne vous suivent plus ! On n’a pas le droit de conduire une guerre en silence ! C’est à la nation de confirmer ou d’infirmer la mise en jeu de la vie de nos soldats dans ce pays. Quand allez-vous enfin permettre aux Français de se prononcer, à commencer par la représentation nationale, en organisant un débat public au Parlement, sanctionné par un vote ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Virginie Klès, MM. Jean-Louis Carrère et Daniel Reiner applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Madame Demessine, je vous remercie pour l’hommage que vous avez rendu à l’armée française et à son action.
Justement, parlons-en, des résultats globaux de l’Alliance ! Sans revenir sur les élections, je citerai la reconstruction d’un État dans lequel la liberté d’expression est désormais garantie par près de 700 journaux, 110 radios et 30 chaînes de télévision.
Je me tourne vers votre collègue Jean-Louis Carrère : cet État se reconstruit avec une prise en considération de la femme qui n’existait plus, nous le savons. En Afghanistan, près de 28 % des parlementaires sont des femmes et les jeunes filles, pour 35 % d’entre elles, sont désormais scolarisées.
Sur le plan de la santé, qui est un indicateur de paix sociale et de sérénité de vie, la mortalité infantile chute de façon particulièrement spectaculaire. Quant aux soins de première nécessité, 85 % de la population y ont maintenant accès, contre 8 % seulement en 2001 (M. Jean-Louis Carrère fait un signe de dénégation.). Il y a bien les éléments de la reconstruction d’une société.
Je vous épargne l’accès à l’éducation, les infrastructures réhabilitées, le triplement de la production de l’électricité et la diffusion des communications, qui est sûrement un bien. Quoi qu’il en soit, 30 % de la population sont couverts par le téléphone. Auparavant, cela n’existait en rien. La France prend naturellement une part toute particulière dans cette reconstruction.
Au sujet des cinquante-quatre morts que vous avez évoqués, madame le sénateur, leurs familles peuvent avoir la fierté de considérer qu’ils ont participé à une œuvre de paix, à la reconstruction d’un État. Il s’agit de permettre à près de 20 millions d’habitants d’espérer accéder, à un moment ou à un autre, au minimum de sérénité. Nous devons notamment faire en sorte que les droits de l’homme qui sont inscrits dans la Constitution afghane soient une réalité, déclinée sur le terrain.
Nous passons du Moyen Age au siècle actuel, en épousant progressivement des valeurs qui sont des valeurs de démocratie et de République. C’est une œuvre de longue haleine, à laquelle nous sommes associés, prenant notre part de responsabilité. Les résultats en termes de société sont suffisamment significatifs pour que chacun mesure que cet effort porte des fruits, même s’il ne porte pas tous les fruits. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour la réplique. Vous disposez de quelques secondes seulement. Je demande à chacun, y compris au Gouvernement, de respecter son temps de parole.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, cela fait des années que l’on nous parle d’amélioration, chiffres à l’appui. Mais nous le savons aussi, derrière ces chiffres, il y a très peu de réalité, très peu de contenu !
S’agissant de la scolarisation des filles, nous avons lu, dans un récent rapport, que si elles sont bien présentes dans les écoles, aucun service éducatif ne leur est délivré, faute de moyens pour ces écoles !
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe Union centriste.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis des années, notre vision du monde arabo-musulman a été prise en étau entre le spectre des régimes autoritaires et celui du terrorisme. Al-Qaïda s’est ainsi imposée comme le dernier horizon d’une population opprimée.
Peut-être est-ce ce tropisme erroné qui a conduit à l’engagement des Occidentaux en Afghanistan sans perspective de retrait apparente, à l’intervention des États-Unis en Irak et à la diabolisation d’un Iran qui ne se limite pas à la personne de Mahmoud Ahmadinejad.
Ces derniers mois ont pourtant été marqués par le surgissement sur la scène internationale d’une véritable opinion publique arabe. De la Tunisie à l’Égypte, en passant par la Libye, et ailleurs, on retrouve une même jeunesse éduquée, mobilisée, connectée à internet. La démocratie naît d’un trait, cette démocratie que, peut-être par mépris, les Occidentaux ne croyaient pas possible !
Le terrorisme n’a plus l’initiative et le mouvement pour lui. Le soutien tardif de l’AQMI à la révolution libyenne semble confirmer une évolution de la position de l’organisation terroriste.
On ne saurait pour autant y voir un signe d’essoufflement du terrorisme comme réponse aux attentes de la jeunesse musulmane. Car les réseaux restent actifs partout dans le monde !
Cela pose plusieurs questions relatives à l’Afghanistan.
Peut-on espérer – monsieur le ministre, vous m’avez déjà apporté une réponse partielle en vous adressant à Mme Demessine – peut-on espérer, dis-je, voir l’émergence d’une véritable opinion publique afghane, qui devienne une alliée contre le terrorisme ? Comment la France peut-elle susciter et accompagner ce mouvement ? Si une opinion publique existait vraiment, serait-ce alors le signe de notre succès et, donc, l’annonce de notre retrait du théâtre afghan ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Cher Yves Pozzo di Borgo, les questions que vous avez posées sont absolument fondamentales. Au cœur de la reconstruction d’un État, il y a ce qui répond à cet État, l’évolution d’une société.
J’ai eu le privilège, grâce à l’initiative du président Larcher, de me rendre sur place avec les présidents de groupe et en compagnie du sénateur Jacques Gautier.
Nous avons bien mesuré l’extraordinaire diversité de ce pays, son caractère compartimenté, qui facilite la poursuite d’organisations traditionnelles assez hermétiques, on peut bien le dire, aux valeurs et mécanismes d’une grande démocratie moderne que vous appelez de vos vœux et dont le caractère inéluctable est profondément souhaité par les uns et les autres mais à un rythme que nous ne maîtrisons pas.
Le préalable à la démocratie, c’est l’échange. Après avoir évoqué tout à l’heure la liberté de la presse, la communication et les télécommunications, je voudrais dire un mot des transports. Lorsqu’une population peut échanger, comparer, commercer, elle se libère de l’emprise de systèmes qu’il n’est pas complètement agressif de traiter de féodaux, de traditionnels ou de claniques. C’est l’idée de cette circulation de l’information, des biens, des services et des personnes – que seul le maintien de l’ordre peut d’ailleurs garantir – qui est en mesure de faire bouger sur le long terme cette société.
Tel est l’objectif de notre présence. C’est un but ambitieux. Je dois reconnaître qu’il est long à construire. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour la réplique.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je remercie M. le ministre pour l’intelligence de sa réponse et sa clarté.
Pour aller dans le sens de M. le ministre, je voudrais rappeler qu’on a pu observer, lors de l’élection présidentielle de 2009 et des élections législatives de septembre 2010, une participation de 30 % à 40 %. (M. le ministre opine.) Malgré les attaques commises contre 150 bureaux de vote et les 22 morts du 18 septembre 2010, on sent l’émergence d’une opinion publique afghane. (M. le ministre opine de nouveau.) Cela me paraît important.
Enfin, concernant l’Assemblée nationale afghane, sur 249 sièges, 68 sont détenus par des femmes.
M. Jean-Louis Carrère. C’est plus qu’à l’UMP ! (Sourires.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Je rejoins ainsi M. le ministre et répète notre rêve de voir émerger une opinion publique forte en Afghanistan.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour le groupe RDSE
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, le Président afghan, M. Hamid Karzaï, va annoncer le 21 mars – dans trois semaines – quand et où l’armée afghane va prendre le relais des troupes internationales.
Il est souhaitable que soit concerné d’emblée le district de Surobi où, selon votre prédécesseur M. Alain Juppé, s’exprimant devant la commission des affaires étrangères et de la défense, la sécurité a été rétablie par les troupes françaises au courage et au stoïcisme desquelles je veux rendre hommage.
La Grande-Bretagne a annoncé son retrait au plus tard en 2014. Le Président Sarkozy a, quant à lui, déclaré que nous n’étions pas liés par ces délais et que nous serions là « dans la durée ». Une formulation aussi générale est-elle bien raisonnable, dès lors que le principe de retrait a été posé par la Conférence de Lisbonne ?
La décision dépend, vous l’avez rappelé, d’un organisme, le JANIB – Joint Afghan Nato Intiqual Board ; Intiqual signifie « transition » en pachtoun –, qui réunit les responsables afghans de la sécurité et le commandement de l’Alliance. En dernier ressort, c’est le Président Karzaï qui tranchera. Au sein de cet organisme, nous sommes représentés depuis peu par notre ambassadeur. Mais une prise de position officielle à votre niveau y contribuerait, monsieur le ministre, puisque, je le répète, les conditions de l’afghanisation dans le district de Surobi sont réunies et que l’afghanisation va commencer dans une vingtaine de jours. Or je crois comprendre de vos propos que la fin de l’année 2011 vous conviendrait tout aussi bien.
Vous vantez les réalisations sur le terrain. Mais, monsieur le ministre, je crois rêver : j’ai connu la fin de l’Algérie française et j’ai l’impression, en vous écoutant, que nous sommes en 1961-1962.
M. le président. Posez votre question !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ma question, la voici : puisque la transition est désormais irréversible, n’est-il pas préférable de définir avec l’ensemble de nos alliés un calendrier harmonisé de retrait pouvant, certes, comporter des flexibilités mais permettant de commencer à diminuer sans tarder nos effectifs engagés ?
Deuxième question : ne serait-il pas opportun d’associer la France au processus de la transition et, donc, aux contacts qui seront pris dans le cadre d’une éventuelle « réconciliation » ?
Qu’en est-il, à cet égard, de notre politique à l’égard du Pakistan, dont il serait utile de connaître les intentions en vue de faciliter la transition et de permettre la réconciliation des différentes factions pachtounes dès lors qu’elles se seraient clairement dissociées de l’entreprise du terrorisme international d’Al-Quaïda ?
M. le président. Mon cher collègue, je vous en prie, posez votre question.
M. Jean-Pierre Chevènement. J’attire votre attention sur le fait que nos troupes ne doivent pas être embarquées – embeded, comme disent les Américains – dans un processus sur lequel nous n’aurions aucun contrôle. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. le président. Monsieur Chevènement, vous avez consommé en partie le temps qui vous était alloué pour une éventuelle réplique.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Cher Jean-Pierre Chevènement, il y a un projet politique. Il consiste à transmettre à un État afghan, à une structure afghane, à une armée afghane, à une police afghane la responsabilité de gérer un grand pays, qui a une très longue histoire mais qui n’est assurément pas une société moderne au sens où le sont les démocraties d’aujourd’hui.
L’intervention de M. Yves Pozzo di Borgo nous le rappelait – bien qu’il s’agisse non du monde arabe mais, en l’occurrence, du monde musulman –, il se produit un immense changement. Il bouscule les idées communes, notamment le sentiment que c’était un monde à part, hermétique aux idées de liberté, de responsabilité individuelle et de démocratie, un monde qui, au fond, semblait condamné à choisir entre des régimes autoritaires plus ou moins laïcs ou laïcisants et, au contraire, des régimes islamiques.
Nous avons quelque chose de nouveau, dont nous ne savons pas ce qu’il sortira.
En Afghanistan, nous essayons de faire évoluer une société en créant une structure d’État.
Très concrètement, s’agissant du secteur de Surobi, nous pensons pouvoir saisir le JANIB afin d’obtenir une décision du président Karzaï et de pouvoir en effet passer la main.
En ce qui concerne la Kapisa, les efforts sont en cours, le calendrier ne sera absolument pas le même.
Il existe une différence profonde entre les deux situations : lorsque nous aurons transmis la responsabilité, nous redeviendrons libres de nos moyens. Et je n’imagine pas un seul instant que le Gouvernement ne propose pas, à un moment ou un autre, un débat public, et d’abord au Parlement, sur l’évolution de nos engagements quand nous aurons fait notre travail et passé la main aux responsables afghans. Car tel est bien le projet politique de l’alliance internationale : faire émerger un État.
Nous sommes loin des ambiguïtés que vous évoquiez voilà quelques instants et qui ont attristé des pages de notre histoire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique, en quelques secondes.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, il faudrait redéployer nos moyens vers une présence civile, conformément à une belle et grande tradition de la France. Je pense aux lycées, aux centres culturels, aux hôpitaux (M. Jean-Louis Carrère applaudit.), aux musées, aux fouilles archéologiques, ainsi qu’à la coopération universitaire et scientifique.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il faudrait que ce retrait rapide de nos forces débouche sur un retour de la France dans des domaines où elle était traditionnellement présente.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Nous voyons l’Inde et la Chine multiplier leurs investissements en Afghanistan ; ces pays se disputeront son territoire dès lors que les Occidentaux l’auront quitté. La France doit cependant y rester présente ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun de nous en est bien conscient, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a profondément modifié le fonctionnement du ministère de la défense, qui en est à sa deuxième réforme. Les restructurations ont été conduites avec un objectif principal : remettre l’homme au centre du dispositif. Cela est essentiel à un moment où nos troupes sont engagées dans un conflit qui n’est pas qualifié de « guerre ».
Avec notre présence en Afghanistan, la société redécouvre la notion de sacrifice suprême. Les blessés de l’hôpital Percy peuvent en témoigner.
Certes, ceux qui reviendront d’Afghanistan auront participé à des « opérations de sécurité », et non à une guerre. Toutefois, un certain nombre de nos concitoyens ont évoqué la possibilité d’une commémoration.
En tant que rapporteur du projet de loi relatif à la reconversion des militaires, je pense que celle-ci doit s’accompagner d’une nécessaire reconnaissance de la nation. Le « conflit » en Afghanistan et sa spécificité doivent être appréhendés sous un volet mémoriel, contribuant ainsi à resserrer le lien entre l’armée et la nation.
À l’heure du turn over que connaît l’armée, il s’agit de la place qu’occupera le futur ex-soldat dans la société, après son passage au sein de l’institution de la défense. Mais il est également question des rapports de l’armée avec ceux qu’elle a formés et qui l’ont quittée transformés.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les réflexions qui sont menées sur ce sujet par vous-même et par votre ministère.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Cher André Dulait, votre question est d’une pertinence totale. (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Depuis vingt ans, plus de 200 000 soldats français ont été engagés dans des OPEX de natures extrêmement différentes. Cela me conduit, sur ce point précis, à vous indiquer que le ministère s’est mobilisé et a envoyé un questionnaire à plus de 5 000 militaires de tous grades, afin de comprendre le ressenti de ceux qui ont participé à ces OPEX au cours des vingt dernières années, et de savoir comment ils souhaitent qu’une reconnaissance nationale leur soit accordée.
Avant même de connaître les résultats de cette étude d’opinion, qui débouchera sur des propositions, le Gouvernement a accepté d’accorder le bénéfice de la campagne double aux militaires actuellement engagés en Afghanistan. (MM. André Dulait et Jacques Gautier marquent leur satisfaction.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Gérard Longuet, ministre. Je voudrais développer certains points, que vous avez implicitement évoqués.
Le premier concerne les familles de nos soldats disparus. Le soutien matériel qui leur est accordé est solide, mais les procédures sont complexes. Mon prédécesseur, avec l’aide de ses collaborateurs, avait préparé un plan facilitant ces procédures. Ainsi, les familles n’auront plus à se battre pour s’orienter au sein d’un dédale administratif qui peut revêtir, dans certains cas, un caractère kafkaïen.
Le deuxième point a trait au statut de nos soldats blessés. Vous avez évoqué ceux qui sont hospitalisés à Percy. En effet, il nous faut prévoir des reconversions et des réorientations, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’armée, pour les hommes qui ont été atteints par les mines, ces armes particulièrement meurtrières. Le ministère de la défense se mobilise pour leur apporter des solutions de bon sens et de suivi individualisé. Nous sommes en mesure de le faire. C’est le devoir, l’honneur et la tradition de notre armée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait, pour la réplique.
M. André Dulait. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour tous les éléments de réponse que vous m’avez apportés. La nation doit reconnaissance, sous la forme d’une commémoration, à tous ces hommes, ceux qui sont diminués physiquement à l’issue des conflits, comme ceux qui ont perdu la vie. Je me réjouis que vous ayez engagé cette démarche et que vous soyez en bonne voie pour la mener à son terme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer de dire les choses simplement.
En Afghanistan, l’enjeu, c’est la guerre ou la paix. L’enjeu, c’est la stabilité d’une région traversée par des tensions de toute nature. L’enjeu, c’est le rôle de la France et de l’Europe dans les relations internationales.
C’est pourquoi nous devons bien sûr aborder ce dossier brûlant et sensible avec gravité et esprit de responsabilité.
Monsieur le ministre, nos collègues Jean-Louis Carrère, Michelle Demessine et Jean-Pierre Chevènement ont posé une question de fond sur le tragique conflit qui déchire l’Afghanistan et sur notre engagement dans ces combats.
Il faut, d’abord, éviter les malentendus et les mauvais procès. Un point, je crois, fait largement consensus : c’est la nécessité de nous donner les moyens – tous les moyens ! – de lutter contre le terrorisme international.
On a bien compris que l’objectif était de lutter contre les terroristes là où ils se trouvent, et avec des moyens appropriés.
Mais, ce matin, je tiens à apporter un éclairage sur ce qu’il faut bien appeler un angle mort de notre action : je veux parler de la prise en compte de la dimension régionale, et notamment du Pakistan, dans le cadre de la stratégie en cours.
Les informations recueillies lors d’un voyage que nous avions effectué ensemble, monsieur le ministre, dans le cadre de la mission sénatoriale diligentée par le président Larcher, et celles que nous détenons par ailleurs démontrent, d’une part, que les talibans recrutent localement et, d’autre part, qu’ils peuvent compter sur le soutien de forces venues du Pakistan. Ce flux-là semble loin de se tarir. Mais peut-être disposez-vous d’autres informations, monsieur le ministre, que vous souhaiteriez communiquer au Sénat ?
Dans ce contexte, les opérations menées par les États-Unis sur le territoire pakistanais soulèvent de nombreuses interrogations.
D’où mes questions, qui seront simples dans leur énoncé, mais ô combien complexes, bien sûr, dans leurs implications !
La France participe-t-elle, aux côtés des États-Unis, aux opérations menées dans les zones tribales qui servent de sanctuaires aux talibans afghans et à Al-Qaïda ?
Sommes-nous associés, et si oui, de quelle manière, aux décisions qui conduisent à des frappes militaires sur la zone frontalière pakistanaise ? Avons-nous des échanges diplomatiques avec le Pakistan sur cette question ?
Comment entendons-nous agir pour obtenir une clarification de la position du Pakistan, dont nous avions tous reconnu qu’elle était pour le moins ambiguë ? (MM. Jean-Louis Carrère, Daniel Reiner et Jacques Mézard applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Je remercie M. Bel d’avoir évoqué le déplacement à Kaboul, organisé sur votre initiative, monsieur le président Larcher et que nous avons effectué il y a presque dix-huit mois. Ce déplacement m’a sans doute permis de connaître un peu plus rapidement ce dossier majeur du ministère que j’ai l’honneur de diriger.
Je vous le dis d’une façon catégorique, monsieur Bel : l’armée française, directement ou indirectement, n’intervient pas au Pakistan. Peut-être d’autres le font-ils – vous avez évoqué quelques hypothèses... –, mais pas l’armée française ! Sa mission se limite à l’Afghanistan et à l’application de la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies. En aucun cas notre armée ne sort du mandat que nous tenons de cette résolution, et des territoires situés à l’est de Kaboul, mais très clairement à l’intérieur des frontières de l’Afghanistan.
En revanche, vous avez mille fois raison de dire que nous avons le devoir, sur le plan diplomatique, – mais ce dossier relève de la responsabilité de mon collègue Alain Juppé ! – d’aider le Pakistan à rétablir des relations apaisées avec la communauté internationale.
Je me garderai bien de porter un jugement sur les inquiétudes et les conflits qui traversent ce pays, mais nous savons bien que ceux-ci troublent la sérénité du sous-continent indien. Des conflits majeurs l’opposent en effet à son grand voisin, et l’on peut tout à fait supposer que les décisions prises par le Pakistan concernant son voisin de l’ouest sont conditionnées par les inquiétudes qu’il ressent à l’est. Le débat international est donc au cœur du sujet.
L’Afghanistan est l’un des éléments d’un système complexe, qui comprend la société afghane, dont j’ai parlé lors d’une réponse à un précédent orateur, et la situation particulière de ce pays, d’où sont parties les dynasties mogholes qui ont contrôlé l’Inde.
Vus de l’extérieur, il s’agit de pays différents. Lorsqu’on les connaît, la réalité s’avère être plus complexe. Vous avez donc raison, une réflexion diplomatique d’ensemble est nécessaire, mais celle-ci relève de la responsabilité du ministère des affaires étrangères, sous l’autorité du Président de la République. C’est donc M. Juppé que vous devriez interroger sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Bel. Tout le monde, qu’il s’agisse des experts, des analystes, des diplomates ou des militaires, reconnaît qu’une victoire militaire en Afghanistan est désormais impossible.
La France se trouve dans une situation délicate du fait de sa stratégie au sein de l’OTAN, qui nous interdit de définir nos propres objectifs stratégiques. C’est pourquoi nous demandons une nouvelle fois un débat au Parlement, suivi d’un vote, sur l’engagement militaire en Afghanistan.
Le courage et le sens du devoir de nos soldats sur place ne changent rien à un constat de fait : notre stratégie est insuffisante et ne peut aboutir. Par conséquent, il faut nous engager sur un calendrier précis, comportant l’annonce d’un retrait progressif et planifié, concerté avec nos alliés, nos partenaires européens et les autorités afghanes. Tel est le sens de nos interventions d’aujourd’hui. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour le groupe socialiste.
M. Didier Boulaud. Monsieur le ministre, ma question portera sur la communication publique de la mission française dans le cadre de la FIAS, la force internationale d’assistance et de sécurité, en Afghanistan.
Le sujet a été déjà évoqué par mon collègue Jacques Gautier, à qui vous avez apporté un certain nombre de réponses, mais celles-ci, malheureusement, ne nous ont pas convaincus. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Josselin de Rohan. Quelle surprise !
M. Didier Boulaud. Quand on veut communiquer, on trouve les moyens pour le faire.
Savez-vous, monsieur le ministre, que, tous les mois, le général français qui commande nos troupes en Afghanistan est invité ou, plus exactement, convoqué par le Pentagone pour rencontrer les journalistes américains et s’entretenir avec eux ?
Savez-vous, monsieur le ministre, que, tous les trois mois, le gouvernement canadien remet à tous les parlementaires un rapport public de plusieurs dizaines de pages, parfois même de plusieurs centaines de pages.
Il est trop facile, monsieur le ministre, de faire porter la responsabilité du problème de communication à la presse !
À ce sujet, j’adresse une pensée toute particulière aux deux journalistes français encore retenus en Afghanistan après 429 jours, et je leur rends hommage.
J’ai le sentiment que la communication sur la situation en Afghanistan est le reflet de l’attitude du Gouvernement et, surtout, du Président de la République à propos des événements qui ont lieu dans ce pays.
Nous n’avons pu que constater, au fil des mois puis des années, à quel point il était difficile d’obtenir qu’un débat soit organisé – quand bien même nous évoquons le sujet aujourd'hui – ou que nous puissions nous exprimer par un vote, à la différence de ce qui se passe dans les autres pays : aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne (M. Jean-Louis Carrère opine.), où n’existent ni la peur d’affronter la presse, ni la crainte face aux critiques parlementaires.
Personnellement, je crois que, si la Grande Muette est aujourd'hui muette, c’est parce qu’elle en a reçu l’instruction.
Nous vous demandons, monsieur le ministre, de « libérer » les moyens d’information, en particulier ceux de la DICOD, la délégation à l’information et à la communication de la défense, en direction de la presse de manière que celle-ci puisse faire son travail dans de meilleures conditions.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je vais empiéter sur le temps de parole qui m’est alloué pour la réplique à votre réponse pour vous poser une dernière petite question, relative elle aussi, bien sûr, à l’Afghanistan.
Dans le cadre du plan de relance, cinq hélicoptères Caracal ont été financés. Or, nous avons appris qu’un de ces hélicoptères, au lieu d’être attribué à l’armée de l’air, était destiné à l’exportation.
Considérez-vous, monsieur le ministre, que c’est le moment d’exporter des hélicoptères dont nous avons le plus grand besoin sur les théâtres d’opération, en particulier en Afghanistan ?
Pouvez-vous d’ailleurs nous indiquer si cet hélicoptère Caracal a été vendu à l’export ou si sa destination est bien toujours l’Afghanistan ? (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
MM. François Trucy et Alain Gournac. Vous n’avez plus de temps de parole pour la réplique !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. D’abord, monsieur le sénateur, vous avez eu raison d’évoquer les deux journalistes de France 3 enlevés en décembre 2009 dans l’exercice de leur mission et bloqués depuis.
L’armée française avait tout fait pour qu’ils soient en mesure d’assurer leur mission en les faisant bénéficier de son soutien ; ils ont souhaité aller au-delà, avec un courage dont, très clairement, ils sont aujourd'hui les victimes.
Je m’incline devant ce courage qui est partagé par tous les journalistes qui font l’effort de venir en Afghanistan pour essayer de comprendre et d’expliquer.
J’ajoute que, toutes les semaines, un haut fonctionnaire permanent de la direction de la communication du ministère de la défense est à la disposition des journalistes dans un point de presse au cours duquel il expose très clairement la situation des opérations sur le terrain et répond à l’ensemble des questions qui lui sont posées.
Très honnêtement, j’estime donc que l’armée fait son travail d’information sur la mission qu’elle assume pour le compte de la FIAS et celui de la communauté internationale.
Ensuite, s’agissant des hélicoptères Caracal déployés en Afghanistan, je dois avouer que ce sujet très précis ne m’est pas encore parfaitement familier, mais, s’il y avait eu à un moment une perspective d’exportation d’un appareil, elle n’a manifestement pas été suivie d’effet. La priorité est effectivement que le matériel soit disponible sur le théâtre des opérations. Je me dois donc de dire très clairement que le risque que vous avez évoqué n’est pas confirmé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. François Trucy. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour la réplique.
M. Didier Boulaud. Je n’ajouterai rien, monsieur le président.
M. le président. Monsieur le ministre, au nom de mes collègues, je vous remercie. Au cours de ces questions cribles, nous avons bien sûr tous eu en pensées nos troupes, mais aussi les deux journalistes retenus en Afghanistan ; à ces pensées, associons collectivement tous les otages retenus en Afrique et ailleurs. (M. Alain Gournac opine.)
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.
La commission des affaires étrangères et la commission de la culture proposent respectivement les candidatures de Mme Catherine Tasca et de M. Louis Duvernois pour siéger au sein du conseil d’administration de l’Institut français, créé en application de l’article 6 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010.
Par ailleurs, la commission de la culture propose la candidature de Mme Claudine Lepage pour siéger au sein du conseil d’orientation stratégique de l’Institut français, créé en application de l’article 5 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
5
Garde à vue
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la garde à vue.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Pillet.
M. François Pillet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour la première fois depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, notre assemblée est saisie d’un projet de loi visant à tirer les conséquences d’une décision rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel.
En abrogeant le support légal de la garde à vue, tout en renvoyant les effets de sa décision au 1er juillet prochain, le Conseil constitutionnel a plus largement mis le législateur en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l’ordre public, au cours d’une mesure progressivement devenue un symbole de l’enquête policière.
Le 1er juillet prochain, nous serons donc dans l’obligation d’avoir réformé la garde à vue en préservant l’équilibre fragile entre le respect des droits individuels, du gardé à vue mais aussi des victimes, et le respect des droits de la société, que nous sommes chargés de protéger face au crime et à la délinquance.
La clef de la réussite de cet équilibre réside dans des règles procédurales claires, excluant tout risque d’arbitraire ou de laxisme. L’exercice qui nous incombe aujourd’hui est donc très délicat.
Au surplus, la navette parlementaire entre nos deux assemblées devra être un véritable marathon, afin de permettre au Conseil constitutionnel, le cas échéant, d’effectuer son contrôle dans les délais impartis.
En réalité, ce calendrier pose une question de fond. Nous devons faire évoluer notre garde à vue en dehors de la réforme globale de la procédure pénale, et préalablement à celle-ci, c’est-à-dire avant même que nous ayons mis en chantier la nécessaire refondation de notre code de procédure pénale.
La réforme que nous examinons doit ainsi se frayer un étroit chemin entre divers intérêts, souvent contradictoires.
Elle doit reconnaître que la personne mise en cause puisse exercer les droits légitimes à sa défense. À cet égard, la possibilité pour le suspect d’être accompagné d’un avocat dès le début de la garde à vue est actée. En posant ce principe dans la loi, nous allons tourner une page de l’histoire de la procédure pénale de notre pays.
La réforme doit donner les moyens de mener l’enquête sans entrave, afin de permettre la manifestation de la vérité, malgré les difficultés de la tâche des services chargés de mener l’enquête, en particulier dans un contexte où la criminalité évolue, où elle est sans doute plus complexe, mieux organisée, souvent de dimension internationale. Nous devons donc éviter que le déroulement de la garde à vue ne gêne ou n’entrave la mission de l’enquêteur.
Elle doit aussi accorder à la victime les moyens d’être respectée et protégée, et éviter que celle-ci n’ait dans les faits, comme c’est hélas ! le cas, le sentiment que les rôles sont inversés, en d’autres termes qu’elle est mise en accusation tandis que l’auteur du délit apparaîtrait comme une victime du système qu’il faudrait protéger à tout prix.
C’est sans doute sur ce point qu’il existe un défi très important à relever.
Nous devons donc veiller à ce que nos concitoyens s’approprient cette réforme et qu’ils y adhèrent en ayant acquis la certitude qu’elle ne se fera pas au détriment de la vérité – celle des faits, celle des préjudices –, en somme qu’elle n’empêchera pas la justice de passer.
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, est un progrès. Le renforcement du rôle tenu par l’avocat lors de la garde à vue constitue désormais un point consensuel du débat.
Le Président de la République lui-même déclarait devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : « Parce que [les avocats] sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu’elle est, bien sûr, une garantie pour leurs clients, mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs, qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire. »
C’est là, monsieur le garde des sceaux, une vision partagée : le progrès qui n’est perçu aujourd’hui que pour le gardé à vue est également un progrès pour les policiers et les forces de gendarmerie. Il n’y a pas de contradiction dans le texte, il ne me semble pas inutile de le réaffirmer.
Avant d’aborder plusieurs points essentiels, je veux rappeler un aspect doublement fondamental de ce projet de loi.
Tout d’abord, la garde à vue fait, pour la première fois dans notre procédure pénale, l’objet d’une définition. Ensuite, elle ne peut être mise en œuvre que pour atteindre six objectifs clairement définis. Ces objectifs sont d’autant plus protecteurs que, s’agissant de textes pénaux, ils doivent recevoir une interprétation restrictive.
La garde à vue ne peut désormais trouver application que pour des délits et crimes passibles d’une peine d’emprisonnement.
Le déroulement de la garde à vue présente en outre des droits nouveaux ou plus étendus.
Parmi ceux-ci, je souhaite relever la consécration du droit de se taire, le droit de faire prévenir un proche, son représentant légal et son employeur, la garantie immédiate d’un interprète pour la notification des droits, la limitation de la force probante des déclarations faites hors l’intervention de l’avocat et l’extension de l’assistance de l’avocat.
Ce dernier point est sans doute celui qui fit l’objet des plus larges commentaires.
Le débat sur la présence d’un avocat en garde à vue est ancien. Il achoppait jusqu’alors à l’une de nos traditions juridiques, celle d’une conception de la procédure pénale selon laquelle le caractère contradictoire des phases d’instruction puis de jugement permettait de poser certaines restrictions aux droits de la défense lors de la phase policière, sans remettre en cause pour autant ni la présomption d’innocence ni l’équilibre du procès pénal lui-même.
Incontestablement, l’année écoulée a fait voler en éclats les lignes de fracture qui marquaient traditionnellement ce débat.
Le droit à l’assistance effective d’un avocat durant toute la durée de la mesure est affirmé et organisé.
De même, et ce parallélisme est important, la victime pourra aussi être assistée d’un avocat lors des éventuelles confrontations.
Ces dispositions s’accompagnent d’un point important : la résolution de la question de l’accès au dossier.
L’avocat peut ainsi consulter dès le début de l’instruction non seulement le procès-verbal de notification du placement en garde à vue et le procès-verbal de notification des droits, mais aussi les procès-verbaux des auditions qui ont déjà été réalisées, y compris le certificat médical si un examen de ce type a eu lieu.
L’avocat pourra assister la personne en garde à vue dès le début de la mesure, il pourra même poser des questions à la fin de l’audition et le texte va plus loin dans la définition des possibilités qu’il aura dans ce domaine.
Ce dispositif novateur est, pour moi, fondamental et équilibré dès lors qu’il trouve uniquement sa limite dans les hypothèses où il serait illégitimement porté atteinte au bon déroulement de l’enquête ou à la dignité de la personne.
C’est à mon sens avec sagesse que l’Assemblée nationale a prévu un délai de carence de deux heures pour tenir compte de la situation concrète des barreaux et donner à l’avocat le temps de se rendre sur les lieux où s’exerce la garde à vue.
Ici encore, l’idée est de sécuriser le processus, et non de gêner ou de favoriser les uns ou les autres. Il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait pas de contestation ultérieure du processus de la garde à vue. Ainsi, l’effectivité du droit accordé à la personne gardée à vue est renforcée, tout en tenant compte de certains obstacles susceptibles de retarder l’arrivée de l’avocat sans que, parallèlement, l’indisponibilité de celui-ci soit de nature à retarder une enquête qui souvent réclame des diligences et des constatations rapides.
Nous notons enfin, avec satisfaction, que la création d’un régime d’auditions libres sans recours nécessaire à un avocat, bien que tentée, a été définitivement écartée.
Je souhaiterais m’arrêter un instant sur la place du juge et du parquet.
Tout d’abord, je veux rendre hommage à la qualité du travail accompli par les procureurs de la République et à la manière dont, avec les services de police et de gendarmerie, ils assument leurs responsabilités.
Au besoin, je conseille à mes collègues qui n’ont pas eu l’occasion de le faire de visiter un tribunal de grande instance et d’y observer la permanence du parquet, le jour et la nuit, et le travail effectué par les magistrats de ces unités. C’est une tâche extrêmement difficile, remplie de pièges pouvant ensuite avoir des conséquences redoutables dans les procédures et effectuée avec un dévouement remarquable. Cela aussi me paraît devoir être rappelé.
Il nous faut ici, dans le respect des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, et de la Cour de cassation, trouver un dispositif qui définisse le plus précisément possible le rôle du procureur de la République ainsi que le rôle du juge.
Je ne m’engagerai pas dans un débat dogmatique sur ce point. Essayons d’être pratiques : nous devons mettre en place un dispositif juridique qui fonctionne.
La spécificité française a beaucoup été critiquée à cette tribune, mais le parquet à la française a aussi souvent démontré ses avantages. Il s’agit non pas uniquement de la garde à vue, mais du fonctionnement général de la justice.
Au surplus, le débat sur l’évolution du statut du parquet dans le cadre de l’étude du prochain code de procédure pénale sera ouvert.
Je tiens donc à rappeler que nous soutenons le processus d’intervention du procureur et du juge tel que notre rapporteur l’a évoqué, les responsabilités étant confiées au procureur de la République au début du processus et le juge intervenant le plus rapidement possible.
Je rappellerai aussi, comme cela a déjà été fait, que la CEDH n’a jamais imposé que la garde à vue soit contrôlée par un magistrat du siège. Elle exige seulement qu’au-delà d’un délai variant entre trois et quatre jours une personne privée de liberté soit présentée à un juge indépendant. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation n’ont d’ailleurs jamais dit autre chose.
En matière de police des gardes à vue, il faut éviter que le législateur ne stigmatise la profession d’avocat en préjugeant d’un mauvais comportement. Je soutiens donc ardemment le rapporteur dans son souhait de partir de l’assurance que l’avocat se comportera selon sa déontologie.
En tant qu’avocat et ancien bâtonnier, je peux vous assurer que cette réforme est un véritable défi pour la profession d’avocat. Cette dernière attend que, dans ce domaine, une juste rémunération lui soit reconnue et assurée.
Mais, au-delà de cette question, il ne faut pas se cacher les difficultés que rencontreront certains barreaux pour assurer, dans la pratique, l’application de cette loi et la satisfaction de ses exigences. Je ne doute pas néanmoins que la profession prendra très rapidement les dispositions et les initiatives nécessaires.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance menée inlassablement par le Gouvernement.
Ce serait un mauvais signal pour les Français, qui nous disent tous les jours leur besoin de sécurité.
Ce serait un mauvais signal pour les délinquants, qui pourraient croire que tout est permis, en totale impunité.
Ce serait un mauvais signal, enfin, pour nos forces de l’ordre qui, voyant leur efficacité mise à mal pour des questions procédurales, nourriraient non seulement un sentiment de lassitude mais, pire, souffriraient d’une véritable démotivation dans leur lutte quotidienne contre la délinquance.
Ce serait également une injustice envers les victimes d’infraction.
Nous devons aussi éviter de faire une réforme pour rien. J’entends par là que nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place un dispositif qui pourrait encourir dans les mois qui viennent de nouvelles sanctions, soit du Conseil constitutionnel, soit de la Cour européenne des droits de l’homme, soit encore de nos plus hautes juridictions.
Nous sommes aujourd’hui face à une réforme essentielle, très attendue par le Sénat pour les raisons qui ont été développées ce matin par notre rapporteur. Elle est cependant, en raison de ses objectifs, techniquement complexe.
Au nom du groupe dont je suis le porte-parole, je veux vous dire que la réforme que vous nous présentez, monsieur le ministre, nous convient. Elle permet de parvenir à un certain équilibre entre les différentes contraintes que j’ai évoquées. Quant aux dispositions qui nous semblaient initialement poser problème, elles ont été modifiées, voire supprimées.
Les apports dus à la qualité du travail et de l’écoute de notre rapporteur doivent être salués. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons avec satisfaction le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui était – c’est le moins que l’on puisse dire – très attendu. Depuis un peu plus d’un an, c’est d’ailleurs la quatrième fois, si je ne me trompe, que nous examinons la question de la garde à vue, que ce soit au travers d’une question orale avec débat, de propositions de loi, ou enfin, aujourd’hui avec le présent projet de loi.
Le sujet n’est donc nouveau ni pour notre Haute Assemblée ni pour sa commission de lois, surtout pas pour son rapporteur, François Zocchetto, qui a déjà eu l’occasion d’approfondir cette thématique au travers des travaux réalisés par le Sénat que j’évoquais à l’instant.
La réforme de la garde à vue était devenue, depuis plusieurs mois, non plus souhaitable, mais tout simplement indispensable et urgente. Cela a déjà été rappelé, la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 fait peser une épée de Damoclès sur notre tête puisque, sans intervention du législateur avant le 1er juillet prochain, la garde à vue serait privée de base légale.
Une telle situation est évidemment inenvisageable. Mais cette décision du Conseil constitutionnel, si elle est sans doute celle qui a l’effet le plus contraignant pour le Parlement, n’est pas la seule ayant relevé les insuffisances de notre système de garde à vue. En effet, aussi bien la Cour de cassation que la Cour européenne des droits de l’homme ont rendu ces dernières années plusieurs arrêts constatant les insuffisances du système actuel, le thème récurrent de ces décisions étant la présence et l’assistance de l’avocat au cours de la garde à vue.
La Cour européenne des droits de l’homme a, dans sa jurisprudence, abordé cette problématique sous plusieurs angles : le moment d’intervention de l’avocat, avec les arrêts Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996 et Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008, mais aussi la portée de l’intervention de l’avocat au travers des arrêts Dayanan c. Turquie et Brusco c. France, rendus respectivement en 2009 et en 2010.
Mais, au-delà de ces aspects purement juridiques qu’il nous faut traiter, la réforme doit aussi être l’occasion de faire évoluer l’usage de la garde à vue au quotidien et de remédier à certaines dérives qui ont pu être relevées.
Tout d’abord, comment ne pas être interpellé par le nombre de gardes à vue prononcées chaque année ? Il atteint des records, et les chiffres que l’on évoque doivent nous faire réfléchir : près de 800 000 gardes à vue par an aujourd’hui, contre 300 000 à 400 000 il y a une dizaine d’années...
Il n’est pas question, évidemment, de promouvoir une quelconque forme de laxisme dans ce domaine. La garde à vue reste un acte de police judiciaire bien souvent indispensable, mais il faut en faire une utilisation plus rigoureuse, qui tienne surtout et d’abord compte de la gravité des comportements en cause et qui ne soit pas banalisée. Non, il n’est pas normal d’être placé en garde à vue pour une simple contravention, comme on l’a parfois vu ces dernières années !
Le texte qui nous est proposé prévoit donc que la garde à vue n’est possible que pour une personne à l’encontre de laquelle il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Cela paraît bien être la moindre des choses.
Un débat a eu lieu en commission sur la question du seuil d’emprisonnement encouru qui pourrait justifier le placement en garde à vue. Plusieurs collègues souhaitaient limiter la garde à vue aux personnes encourant un emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans.
À cette occasion, notre rapporteur a justement rappelé un principe fondamental qu’il ne faut pas oublier : la garde à vue est d’abord et avant tout créatrice de droits pour la personne interpellée. Augmenter le seuil conduirait à accroître mécaniquement le nombre des personnes soupçonnées de faits graves qui seraient auditionnées sans les garanties prévues au titre de la garde à vue, notamment hors la présence d’un avocat.
Néanmoins, et les débats en commission l’ont mis en évidence, prévoir cette seule condition pour être mis en garde à vue n’évacue pas le débat sur la hiérarchie et la logique des peines prévues dans notre code pénal.
Entre les incriminations créées il y a plusieurs décennies avec une échelle des peines qui avait sa logique à l’époque et celles qui ont été instituées au coup par coup au détour d’un article d’une loi nouvelle qui n’a pas à titre principal de caractère pénal, il y a, à l’évidence, des incohérences.
Ces dernières justifieraient que l’on toilette le système pour que le fait d’encourir une peine de prison, qui peut justifier juridiquement une mise en garde à vue, corresponde bien, dans tous les cas, à un acte d’une réelle gravité. Or, force est de le reconnaître, la diversité de l’échelle des peines actuelle est telle qu’elle ne garantit pas que le seul critère d’un an d’emprisonnement encouru suffise en lui-même à limiter la garde à vue à des actes d’une réelle gravité.
J’en viens aux aménagements apportés par l’Assemblée nationale.
Le premier changement majeur concerne précisément la question de l’audition libre.
Afin de contribuer à la réduction du nombre des gardes à vue, l’article 1er du projet de loi initial posait le principe, aujourd’hui absent du code de procédure pénale, de l’audition libre d’une personne suspectée et du caractère subsidiaire de son placement en garde à vue. Pour les raisons que j’évoquais précédemment – l’absence de reconnaissance de droits suffisants pour le suspect entendu librement et l’absence d’assistance d’un avocat –, l’audition libre a été écartée et, comme notre rapporteur, nous approuvons cette évolution du texte.
À l’article 9, qui encadre les mesures de sécurité et les fouilles dont peut faire l’objet la personne gardée à vue, l’Assemblée nationale avait prévu la possibilité pour la personne gardée à vue de conserver « certains objets intimes », en contrepartie de la signature d’une décharge. Il s’agit d’apporter une réponse aux difficultés soulevées par une pratique humiliante et souvent inutile, critiquée notamment par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, consistant à retirer systématiquement lunettes et soutien-gorge afin de prévenir tout risque d’agression ou de suicide, alors même que ce risque est en réalité infime et que cette pratique semble dater d’une époque révolue.
Notre commission a jugé que la garantie apportée par l’Assemblée nationale devait être renforcée et a prévu que la personne devait, en tout état de cause, disposer, au cours de son audition, de ses effets personnels. Là encore, il s’agit d’une amélioration bienvenue dont on s’étonne qu’elle n’ait pas été introduite plus tôt. Ce type d’aménagement permettra de contribuer à un meilleur respect de la dignité des gardés à vue.
Autre aménagement majeur lié à l’assistance d’un avocat, les députés ont institué un « délai de carence » de deux heures, avant l’expiration duquel la première audition de la personne gardée à vue ne pourra pas débuter.
Le texte initial du projet de loi ne prévoyait expressément ni que les auditions pourraient débuter sans attendre l’arrivée de l’avocat ni qu’elles ne le pourraient pas. Le silence de la loi sur cette question essentielle était source d’insécurité juridique. Le nouveau dispositif précise bien la situation.
Sans remettre en cause la suppression de l’audition libre, je voudrais cependant, et à titre personnel, attirer votre attention, mes chers collègues, sur le fait que le délai de carence de deux heures prévu pour permettre à l’avocat de rejoindre les locaux de garde à vue et pendant lequel l’interrogatoire ne peut pas commencer, du moins en règle générale, risque, dans certains cas, de nuire à l’efficacité de l’enquête.
Un tel risque existe quand on a affaire non pas à des voyous chevronnés – ils savent comment se comporter, si je puis dire ! –, mais à des délinquants débutants : ces derniers reconnaissent parfois les faits sans difficulté simplement parce qu’ils sont conduits à la brigade ou au commissariat de police. Les deux heures de carence pouvant alors, mais j’espère me tromper, permettre à un suspect qui a réellement quelque chose à se reprocher d’échafauder un scénario qui retardera l’apparition de la vérité.
M. Yves Détraigne. Mes chers collègues, encore une fois, il s’agit là d’une réflexion personnelle, et non de la position de mon groupe.
Il ne faudrait donc pas que le recadrage – certes nécessaire, personne ne le conteste – de la garde à vue nuise, dans certains cas, à l’efficacité de l’enquête.
Au final, les travaux de l’Assemblée nationale et de notre commission des lois ont permis d’aboutir aujourd’hui à un texte bien plus abouti que le texte initial.
Je voudrais également développer une réflexion plus générale sur quelques aspects qui suscitent encore des interrogations.
Tout d’abord, les avocats sont devant un défi important à relever, comme cela a été notamment relevé par mon collègue François Pillet : assurer sur tout le territoire l’assistance des centaines de milliers de gardés à vue, même si le nombre des mesures diminue.
Il faut bien reconnaître que le risque d’un traitement discriminant entre zones urbaines et zones rurales existe bel et bien. J’espère me tromper, mais notre collègue Jacques Mézard a eu l’occasion d’insister à juste titre sur cet aspect en commission.
Le rôle des barreaux sera déterminant, mais il faut reconnaître que certaines zones du territoire vont être confrontées à des difficultés difficilement surmontables. Chacun comprend bien la différence qui existe entre un commissariat des Hauts-de-Seine et une brigade de gendarmerie d’un village isolé de montagne en plein hiver...
Il est évident que, dans certains secteurs géographiques de notre pays, il sera beaucoup plus difficile pour l’avocat d’arriver dans les deux heures du délai de carence que dans d’autres secteurs, notamment urbains. (M. Alain Gournac opine.)
Certains pourraient en tirer la conclusion qu’il faut que les gardes à vue soient centralisées dans les principales villes de nos départements.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ah non !
M. Yves Détraigne. Mais, alors, on irait vers deux catégories de commissariats et, surtout, vers deux catégories de brigades de gendarmerie, ce qui serait inacceptable.
Sur cette question, mes chers collègues, nous devons être fermes. Si nous voulons que la sécurité soit assurée de la même manière sur tous les points du territoire, et si nous ne voulons pas décourager certains services de police et de gendarmerie, il nous faut affirmer la nécessité de conserver le maillage national des brigades et de garder partout des brigades de plein exercice où puissent se dérouler les gardes à vue.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Yves Détraigne. Alors, évidemment, cela nécessitera parfois des travaux d’aménagement de certains locaux…
M. Alain Gournac. Les locaux sont souvent inadaptés.
M. Yves Détraigne. … et cela coûtera sûrement plus cher en frais d’avocats – je pense notamment à l’aide juridictionnelle – qu’aujourd’hui.
En tant que rapporteur pour avis du budget des services judiciaires à la commission des lois depuis plusieurs années, je me permets d’insister, monsieur le ministre, pour que les crédits nécessaires soient bien prévus, au bon niveau, et sans qu’on les prélève sur d’autres actions ou d’autres programmes de la mission « Justice ».
Au-delà de ces difficultés pratiques, si la réforme que nous examinons aujourd’hui était indispensable, va-t-elle assez loin ?
Certes, monsieur le ministre, ce n’est pas encore la grande réforme de la procédure pénale que l’on nous annonce depuis des années. Je crains d’ailleurs qu’avec l’annonce, hier, du débat, dès le mois prochain, sur l’introduction des jurés populaires en correctionnelle – réforme que, au demeurant, peu de gens réclamaient –, on ne continue, après cette loi, à modifier par petites touches notre droit pénal, ce qui n’est pas, selon moi, la meilleure méthode.
J’espère donc que nous aurons bientôt un débat de fond sur l’ensemble de notre procédure pénale, car il est nécessaire. Les nombreuses polémiques autour du statut du parquet, relancées par des arrêts importants de la CEDH, que l’on ne pourra continuer à ignorer, ne sont qu’un exemple, parmi d’autres, des questions que nous devrons réexaminer.
Néanmoins, la réforme que nous examinons aujourd’hui est la bienvenue. C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste votera en faveur de l’adoption de ce projet de loi sur lequel la commission des lois, notamment son rapporteur, a fait un excellent travail. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ma part, et je pense que cela ne vous étonnera pas, je ne partage pas vraiment l’optimisme de notre rapporteur quant à l’avenir et à l’évolution de ce projet de loi, qu’il a qualifié de largement imparfait, si tant est que cet avenir et cette évolution restent entre vos mains.
Il en aura fallu de l’énergie, de la volonté et même des condamnations pour en arriver là où nous en sommes : un tout petit pas pour l’Homme, comme pour la justice, en l’occurrence. Et pourtant, on ne demandait pas la lune !
Pourquoi agit-on toujours contraint et forcé, une fois le dos au mur ? Car vous avez été sourd et aveugle à toutes les propositions, qu’elles émanent de l’opposition ou parfois même des rangs de votre majorité, mais aussi des professionnels, quel que soit le texte et quelle que soit la réforme.
Oui, mille fois oui, ce texte est nécessaire, indispensable. La gauche et d’autres le disent et le répètent, et ce sans avoir attendu la condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme ni l’avis du Conseil constitutionnel.
Oui, mille fois oui, les officiers de police judiciaire, tous les intervenants au sein de la justice sont aujourd’hui d’accord pour travailler mieux ensemble. Et vous le savez !
Tout changement proposé suscite au départ des inquiétudes, ce qui est normal. Mais si ce changement annoncé est accompagné d’une vraie concertation et d’un vrai débat avec les professionnels concernés, s’il est expliqué, voire amendé à l’écoute des propositions des acteurs et des intervenants, il fera l’objet d’un réel consensus et deviendra pleinement efficace.
Oui, mille fois oui, les principes énoncés sur le papier sont indispensables. Mais, tels qu’ils sont énoncés, seront-ils efficaces ? Seront-ils applicables ? Seront-ils appliqués ? Certains, oui, sans doute : je pense à la notification du droit de se taire, à la disparition de certaines fouilles humiliantes, à la possibilité de faire avertir son entourage, au fait de ne plus être condamné sur la base de simples aveux, notamment obtenus sans l’intervention de l’avocat.
Mais qu’en sera-t-il des autres mesures ? Pour ma part, je doute fortement de leur application.
Quelles sont les raisons de ce nouveau ratage ?
C’est, monsieur le garde des sceaux, la manière de gouverner du gouvernement auquel vous appartenez, certes depuis peu, et de la majorité, à laquelle vous appartenez depuis un bon moment : agir dans l’immédiateté, avec un calendrier uniquement lié aux échéances électorales et aux faits divers.
Je le répète, vous n’engagez des réformes que contraints et forcés, une fois que vous avez le dos au mur. Quand on n’a plus le temps d’avoir un réel débat ni de mener une vraie concertation, on n’est plus dans le calendrier de la Politique avec un « p » majuscule. Celle-ci doit se faire sur le long terme, surtout quand on touche aux structures mêmes de notre société et de notre démocratie, surtout quand on touche à la justice et à la sécurité.
Nous attendions une réforme du code de procédure pénale. Il nous vient un texte réducteur, un texte d’affichage. Chacun le sait ici, pas grand-chose de concret, malheureusement, n’en sortira.
Le Gouvernement et le Président de la République, en particulier, ont ce véritable don de transformer tout ce qui aurait dû être une grande réforme, fondatrice de nouveaux liens sociaux, en de « petits textes minimalistes à visée électorale ou de mise en conformité apparente ».
Le Gouvernement et le Président de la République, en particulier, ont ce véritable don de transformer tout ce qui aurait dû être un débat de fond, un débat d’idées, un débat de société, en affichage de réformes, en affrontements interinstitutionnels, les uns étant montés contre les autres et chacun à tour de rôle.
Sait-on assez que l’assistance de l’avocat au gardé à vue est rendue tellement obligatoire en Turquie qu’aucune déposition faite en dehors de la présence d’un avocat ne peut être versée au dossier de l’instruction sans confirmation par la personne des faits incriminés ?
Mme Nathalie Goulet. Quel exemple !
Mme Virginie Klès. À l’instar de mon collègue Jacques Mézard, je réaffirme que les forces de sécurité, que les officiers de police judiciaire ne sont pas les responsables de la politique pénale imposée à tous par le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre.
Les gardes à vue abusives ou abusivement mal menées ne sont que le résultat de la politique de répression croissante, de la judiciarisation galopante, de l’accélération des procédures judiciaires que mène le Gouvernement.
Le nombre d’officiers de police judiciaire a beaucoup augmenté, non pas parce que l’on a recruté, mais parce que l’on a diminué le niveau de qualification nécessaire pour placer en garde à vue.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ne dites pas cela aux gendarmes, s’il vous plaît !
Mme Virginie Klès. J’ai bien dit que ce n’était pas eux les responsables, monsieur le président de la commission des lois, mais le Gouvernement et la politique qu’il mène.
Je suis désolée de le dire, mais les officiers de police judiciaire qui peuvent mener des gardes à vue sont aujourd’hui moins qualifiés qu’hier.
M. Alain Gournac. Ils font un travail remarquable !
Mme Virginie Klès. Je suis d’accord avec vous pour les gendarmes. Je trouve simplement dommage que l’on diminue le niveau de qualification requis de ceux qui placent des personnes en garde à vue.
La garde à vue est une étape particulièrement importante de l’enquête. Elle nécessite donc une formation particulière, car c’est un moment humainement compliqué et crucial pour la manifestation de la vérité. Diminuer la formation des personnes habilitées à mener des gardes à vue est dramatique non seulement pour notre société, mais aussi pour les gendarmes et les policiers, pour tous les officiers de police judiciaire.
Et si l’on parlait un peu de qualité, au lieu de parler de chiffres et de performances ? Et si, pour qualifier et quantifier le service public, on appliquait des critères différents de ceux qui sont utilisés pour le secteur privé ? Et si l’on offrait tout simplement des moyens à ceux qui doivent agir ? Et si, au lieu de compter le nombre de gardes à vue, on s’intéressait, par exemple, à celles qui ont conduit à une élucidation ou à une condamnation ?
M. Jean-Pierre Sueur. Très juste !
Mme Virginie Klès. Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, aime les chiffres. Je ne les déteste pas non plus, mais à condition qu’ils signifient quelque chose. Reste que, aux chiffres, je préfère les notions de dignité, de respect de la présomption d’innocence – on l’oublie un peu trop souvent –, d’indépendance de la justice et d’équilibre des parties.
Pour atteindre ces objectifs, il faut s’en donner les moyens. Il faut donc élever de nouveau le niveau de qualification requis des officiers de police judiciaire qui mènent les gardes à vue et diminuer le nombre des placements en garde à vue.
La dignité implique, on le sait, cela a été dit ce matin, la réfection et la rénovation des locaux. Cela suppose donc des moyens financiers, mais ils n’apparaissent pas dans le projet de loi.
Si l’on veut que l’avocat, même non présent, puisse avoir accès aux auditions telles qu’elles se sont déroulées, il faut augmenter le nombre de caméras et de dispositif de vidéo. À cet effet, pourquoi ne bascule-t-on pas, au profit des espaces ici concernés, une partie des moyens du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, qui nous inflige déjà un certain nombre de caméras dans l’espace public ?
Les moyens existent ; il suffit de les affecter là où il faut.
L’introduction de l’avocat et du contradictoire dans l’enquête avant que le dossier n’arrive chez le juge est une très bonne chose. Cependant, pour être efficace, cela nécessitera une égalité renforcée de tous les justiciables, y compris pendant l’enquête. Or ce principe ne figure pas dans votre texte : l’aide juridictionnelle n’est pas là !
Savez-vous combien la justice paiera un avocat de Rennes devant se rendre à deux heures du matin à Redon pour assister un gardé à vue ? Elle lui donnera 71 euros. C’est une misère !
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Vous ne le savez pas, le montant n’a pas été fixé !
Mme Virginie Klès. En tout cas, ce sont les chiffres qui ont été donnés aux professionnels.
Savez-vous que, aujourd’hui, 115 avocats du barreau de Rennes sont volontaires pour assurer des permanences et assister des gardés à vue ? Je ne sais pas combien il en restera une fois qu’on leur aura dit que, pour aller de Rennes à Redon à deux heures du matin, ils recevront 71 euros !
Savez-vous quel est le budget de l’aide juridictionnelle en Angleterre ? Il est de 3 milliards d’euros. En France, c’est dix fois moins !
Ce système introduira nécessairement une justice à deux vitesses dès l’enquête, qui sera devenue contradictoire : une justice urbaine et une justice rurale, une justice des riches et une justice des pauvres. Cette évolution a déjà été bien entamée avec la réforme de la représentation devant les cours d’appel aux termes de laquelle seuls les justiciables ayant les moyens et résidant en zone urbaine, où il y a de grands cabinets d’avocats, pourront faire appel.
Voilà ce qu’il adviendra des beaux principes posés dans ce texte ! En tout cas, j’attends de voir le sort que vous réserverez à nos amendements et les moyens que vous entendez consacrer à cette réforme essentielle avant de décider de mon vote. Mais je suis assez pessimiste ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la garde à vue nous est présenté comme découlant de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, selon laquelle les dispositions actuelles de la loi concernant les conditions de placement en garde à vue sont inconstitutionnelles.
Permettez-moi cependant d’indiquer que ce texte arrive bien tardivement. En effet, il y a des années que la Cour européenne des droits de l’homme confronte les exigences conventionnelles aux pratiques et à la procédure en matière de garde à vue et rappelle le respect dû aux droits des personnes gardées à vue et à leur défense effective.
Dès l’arrêt Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996, la France aurait notamment dû réagir en rendant « effectif et concret » le droit pour le gardé à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat.
Plus récemment, dans une série d’arrêts rendus contre la Turquie et contre l’Ukraine, en 2009, la Cour européenne des droits de l’homme est à nouveau venue préciser le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable dans la phase antérieure au procès pénal. C’est ainsi que la Cour de Strasbourg a défini de manière précise les principes directeurs applicables au régime de la garde à vue.
Dans la continuité de ces arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme datant de la fin de 2009, j’ai moi-même déposé une proposition de loi portant réforme de la garde à vue, et ce dès janvier 2010, tirant ainsi les conséquences de ces exigences conventionnelles. Ce texte n’a malheureusement pas abouti, car il a été renvoyé à la commission à la fin d’avril 2010.
Il aura donc fallu attendre que le Conseil constitutionnel rende sa décision de juillet 2010 pour que vous daigniez enfin vous intéresser à la question. Il était temps !
Vous avez déposé le présent projet de loi le 13 octobre 2010 à l’Assemblée nationale, et la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le lendemain, le 14 octobre, avec l’arrêt Brusco, puis le 23 novembre, avec l’arrêt Moulin c. France…
Cette réforme de la garde à vue, qui nous est soumise aujourd’hui, ou devrais-je dire cette « réformette » – pardonnez-moi d’employer ce terme, mais c’est la vérité –, outre qu’elle est tardive, est largement insuffisante.
En effet, si les sénatrices et sénateurs d’Europe écologie-Les Verts se réjouissent des quelques avancées relatives au rôle de l’avocat lors de la garde à vue et à la possibilité pour lui d’assister son client lors des auditions ou des confrontations, ce projet de loi présente de nombreuses lacunes, des insuffisances et des incohérences.
Il semblerait que vous n’ayez absolument pas tenu compte in fine de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui pointe pourtant du doigt les modalités de placement en garde à vue, aussi bien celles de son contrôle que celles de son déroulement.
Tout d’abord, j’aborderai ce qui me semble essentiel, à savoir le rôle controversé accordé au procureur de la République dans ce projet de loi.
Le parquet intervient à la fois au stade du contrôle de la garde à vue et de son renouvellement.
Il s’agit dans ce projet de loi de reproduire une anomalie procédurale pourtant dénoncée par tous. Les magistrats eux-mêmes, dans le rapport rendu par le Conseil national de la magistrature en 2008, considéraient à 64 % que les membres du parquet n’étaient pas indépendants. Il en va de même pour les avocats, les juristes et les universitaires et, surtout, pour la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010, pose clairement le principe selon lequel les membres du ministère public français ne sont pas indépendants et ne peuvent pas être assimilés, en matière de garde à vue, à une « autorité judiciaire » au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Seul le Conseil constitutionnel est resté frileux sur cette question de l’indépendance du procureur de la République. C’est sans doute pour cette raison que le Gouvernement s’est abstenu de résoudre cette question pourtant essentielle.
Dès 1979, pourtant, la Cour de Strasbourg indiquait que le procureur n’était pas une autorité judiciaire indépendante. Ce principe fut rappelé récemment à la France avec les arrêts Medvedyev du 10 juillet 2008 et du 29 mars 2010, pour la Grande Chambre.
Le ministère public français ne dispose pas d’une indépendance suffisante vis-à-vis de l’exécutif et ses membres ne sont donc pas des « magistrats » au sens des dispositions conventionnelles qui encadrent les privations de liberté.
Au vu de l’arrêt Moulin c. France, il est donc désormais difficile d’imaginer que le présent projet de loi puisse être adopté en l’état, sans une réforme du statut du parquet ou de ses compétences.
Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de vous rappeler l’un des paragraphes de cet arrêt : « […], la Cour considère que, du fait de leur statut ainsi rappelé, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de “magistrat” au sens de l’article 5, alinéa 3 ».
Il me semble que les choses sont claires ! Cet arrêt confirme la nécessité d’une modification profonde de l’organisation judiciaire française.
Pourtant, votre projet de loi prévoit dès son article 1er l’insertion d’un nouvel article 62-5 dans le code pénal, qui dispose de manière ostentatoire que « la garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République, […] ».
Alors, excusez-moi, mais je ne vois pas où est l’avancée en termes d’indépendance !
Les sénatrices et sénateur écologistes ont donc cosigné une série d’amendements consistant à supprimer toute référence au procureur de la République dans ce projet de loi et à tirer les conséquences de cette jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Il est essentiel en effet que la garde à vue puisse bénéficier des garanties légales nécessaires, et que son contrôle ainsi que son renouvellement puissent ainsi être confiés au juge judiciaire. Ce devrait être le juge des libertés et de la détention qui assume, dans ce texte, le rôle que vous vous obstinez à octroyer au procureur de la République.
Mais pourquoi faites-vous à ce point « la sourde oreille », monsieur le ministre ? Pourquoi votre gouvernement souhaite-t-il s’affranchir des exigences conventionnelles et jurisprudentielles en matière de droits et de libertés fondamentales ? Autant proclamer ici, haut et fort, que vous aspirez à ce que la France se retire du Conseil de l’Europe ! Ce serait ridicule ! Vous ne faites, ainsi, que vous attirer les foudres des professionnels du droit, des associations, des universitaires et des instances de Strasbourg !
Un autre élément est tout aussi choquant dans ce projet de loi : le seuil de déclenchement de la garde à vue. Dans la définition que l’article 1er du présent texte donne de la garde à vue, il est prévu que le placement puisse intervenir dès que l’on soupçonne que la personne a commis ou tenté de commettre « un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ».
Il me semblait, monsieur le ministre, vous avoir entendu arguer du fait que ce projet de loi avait également pour objet de diminuer le nombre des gardés à vue. Or, vous le savez, près de 800 000 gardes à vue ont été décidées en 2009. Pensez-vous que ce seuil, outre qu’il porte atteinte aux droits des personnes concernées, notamment de la présomption d’innocence, permette de faire diminuer ces chiffres ? Évidemment non, bien au contraire !
C’est pourquoi les sénatrices et sénateur écologistes refusent le placement en garde à vue de personnes soupçonnées d’infractions mineures, et donc les gardes à vue abusives ou excessives !
Nous sommes donc favorables à ce que le seuil de placement en garde à vue soit porté à trois ans d’emprisonnement, et nous nous associons également aux amendements présentés par le groupe auquel nous sommes rattachés.
Je tiens enfin à indiquer que je regrette le caractère bien trop limité qu’accorde ce texte à l’intervention de l’avocat.
Je prendrai ici l’exemple de la durée insuffisante accordée par l’article 6 du projet de loi à l’avocat pour s’entretenir avec la personne gardée à vue. Cela présuppose qu’en trente minutes maximum, et ce quelle que soit la complexité de l’affaire, un avocat ait le temps d’échanger avec son client, de l’écouter exposer sa situation, de prendre connaissance du procès-verbal ou des autres pièces du dossier…
Or vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, que cette durée excessivement réduite sera évidemment insuffisante dans les affaires les plus complexes, pour prendre connaissance des faits ainsi que des nombreuses pièces présentes dans le dossier de la personne gardée à vue.
Cela porte atteinte au droit à une défense effective, en particulier au recours effectif à un avocat. J’espère donc que l’amendement que nous avons déposé à l’article 6 du projet de loi visant à augmenter la durée de l’entretien avec l’avocat sera adopté lors de nos débats.
Vous l’aurez compris, les sénatrices et sénateur écologistes considèrent que ce texte ne fait que feindre de s’aligner sur des prescriptions conventionnelles et constitutionnelles, mais dissimule finalement son manque d’ambition derrière des dispositions vraiment inefficaces et incomplètes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Je répondrai brièvement à l’ensemble des orateurs, que je remercie d’avoir participé à cette discussion générale. Beaucoup d’entre eux ont souligné les avancées que comporte ce texte, notamment concernant la mise en œuvre de libertés fondamentales garanties par la Constitution. D’autres ont préféré indiquer que ce texte n’était pas bon : c’est leur droit, et je le respecte, mais j’ai trouvé que leurs propos, parfois excessifs, rendaient la critique moins efficace.
Mme Alima Boumediene-Thiery. La critique est constructive !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Plusieurs orateurs, notamment Mmes Borvo Cohen-Seat et Boumediene-Thiery, MM. Anziani et Mézard, nous ont reproché d’avoir agi sous la contrainte, d’avoir attendu trop longtemps,…
Mme Alima Boumediene-Thiery. Mieux vaut tard que jamais !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … de ne pas en faire assez et de ne pas proposer de réforme complète du code de procédure pénale.
Des travaux extrêmement sérieux et approfondis ont été menés pendant plusieurs mois, en particulier par un groupe de travail composé d’universitaires, de parlementaires de la majorité et de l’opposition.
M. Jean-Pierre Michel. Ils ont eu tort !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ils ont eu raison, au contraire ! Le code de procédure pénale concerne tous les Français et je félicite ces parlementaires d’avoir su dépasser les divisions partisanes. Il est bon que tout le monde puisse travailler à l’élaboration de ce code qui s’appliquera, demain, quel que soit le gouvernement en place.
M. Laurent Béteille. Très bien !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si nous n’avons pas déposé un texte plus large, c’est tout simplement faute de temps. En effet, nous sommes tenus, vous l’avez souligné, de prendre des mesures sur la garde à vue avant le mois de juillet, voire avant la fin du mois d’avril.
Pour ma part, je ne verrais que des avantages à publier l’ensemble des travaux qui ont été réalisés par le groupe de travail afin d’alimenter les débats qui ne manqueront pas d’avoir lieu sur l’ensemble des sujets traités.
Je voudrais tout d’abord signaler que le Gouvernement n’a pas attendu les dernières décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation ou de la Cour de Strasbourg pour réfléchir à la question.
Le comité de réflexion présidé par Philippe Léger avait travaillé, dès le mois d’octobre 2008, et des textes ont été votés, ces dernières années, pour améliorer les droits de la défense. Ainsi, la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a rendu obligatoire l’enregistrement des gardes à vue en matière criminelle, ce qui constitue une première avancée.
Enfin et surtout, les questions à résoudre sont particulièrement complexes. S’agissant notamment des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme, madame Boumediene-Thiery, c’est par une décision du 8 février 1996, Murray c. Royaume-Uni, que la Cour a indiqué que violait l’article 5 de la Convention le fait de refuser à une personne gardée à vue dans une affaire de terrorisme l’accès à un avocat pendant les quarante-huit premières heures de la mesure.
Depuis 1996, madame Boumediene-Thiery, nous avons tous eu le temps de commencer à réfléchir ! Si nous ne sommes pas parvenus à aller plus vite, c’est pour des questions de pratique. Des occasions se sont cependant présentées.
Quatre ans plus tard, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, très bon texte défendu par Mme Guigou, a maintenu, malgré cette jurisprudence européenne, l’absence d’avocat pendant quarante-huit heures en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Vous êtes dans votre rôle en critiquant le Gouvernement et je suis dans le mien, je l’assume parfaitement, et avec enthousiasme, …
M. Charles Gautier. Un enthousiasme modéré !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … en prenant sa défense. La démocratie peut être apaisée, mesdames, messieurs les sénateurs. On peut se dire les choses, mais il faut tout mettre sur la table.
De même, la loi du 4 mars 2002, défendue par Mme Lebranchu, tout en maintenant le report de l’intervention de l’avocat pendant deux jours dans les deux matières précitées, facilitait le placement en garde à vue en exigeant non plus des « indices » de culpabilité, mais des « raisons plausibles » ; elle donnait un délai de trois heures aux enquêteurs pour mettre en œuvre le droit du gardé à vue d’informer un proche ou d’être examiné par un médecin.
Si je rappelle ces faits, ce n’est pas pour critiquer mes prédécesseurs, c’est simplement pour montrer que ces affaires sont complexes, demandent réflexion et doivent nous conduire à analyser dans le détail ce que veut la Cour de Strasbourg.
Les récentes décisions ne mettent pas le Gouvernement le dos au mur ; elles permettent de connaître clairement les exigences constitutionnelles et conventionnelles, éclairant ainsi le Gouvernement et le Parlement sur le contenu de la réforme.
Le Gouvernement s’est astreint à intégrer dans ce texte l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour de Strasbourg et de la chambre criminelle de la Cour de cassation, ce qui n’était pas toujours chose facile.
De nombreux orateurs ont soulevé la question de l’encadrement de la garde à vue par la fixation d’un seuil minimal d’emprisonnement encouru. Le rapporteur a également expliqué la raison pour laquelle la commission avait écarté cette formule, et je partage son point de vue. MM. Mézard et Anziani, Mme Borvo Cohen-Seat, souhaitent instaurer un seuil – un an, trois ans, cinq ans, suivant les cas – en deçà duquel la garde à vue serait impossible.
La commission des lois du Sénat a eu raison de ne pas retenir ces propositions, qui auraient conduit à priver les enquêteurs d’un moyen d’enquête essentiel, même s’il ne doit pas être banalisé.
Comme l’a très justement souligné M. Pillet, l’article 1er du texte comporte une définition de la garde à vue selon des critères précis, ce qui est nouveau et important.
Plusieurs d’entre vous considèrent que ce projet de loi ne nous permet pas de nous mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Je me suis longuement expliqué sur ce point dans mon intervention liminaire et j’aurai l’occasion d’y revenir au moment de la discussion des articles. Je rappellerai simplement que la France n’a jamais été spécifiquement condamnée pour une garde à vue réalisée sous le contrôle du parquet, comme l’a souligné M. Pillet. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de problème.
Je l’ai dit dans mon intervention liminaire et je le répète à Mme Alima Boumediene-Thiery, dont l’extrême sévérité l’a entraînée bien au-delà de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg : le procureur n’est pas une « autorité judiciaire », au sens de la Cour européenne des droits de l’homme.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il n’est pas indépendant !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est vrai, et je l’ai dit moi-même ce matin, mais là n’est pas le sujet. Nous sommes d’accord avec la Cour de Strasbourg sur l’exigence conventionnelle qui veut que, une fois un court délai dépassé - environ quarante-huit heures -, l’autorité judiciaire, telle qu’elle est définie par la Cour de Strasbourg, doit être un juge du siège.
Mais qui va contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures ? Voilà le sujet ! Ou bien on s’en remet aux seules forces de police et de gendarmerie, ou bien on instaure un autre contrôle. La France a choisi, et nous devrions en être fiers, de faire contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures par un magistrat. Et personne n’a jamais dit que le procureur de la République n’était pas un magistrat.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas un magistrat indépendant !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. La Constitution, madame Boumediene-Thiery, je suis obligé de vous le dire, s’impose à vous comme à moi. Et nous avons de la chance car, sans Constitution, point de libertés !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La Constitution prévoit aussi une autorité judiciaire indépendante !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Les décisions du Conseil constitutionnel – je parle sous le contrôle de l’un de ses anciens présidents – s’imposent à tous, même à vous, madame la sénatrice.
Le Conseil constitutionnel a rappelé…
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’indépendance des pouvoirs !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous remercie de me laisser parler !
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 juillet dernier, a rappelé le texte de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. » C’est l’habeas corpus. « L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Or l’autorité judiciaire est composée des magistrats du siège et du parquet, un point, c’est tout.
Nous avons donc fait le choix clair, et je pense que c’est un bon choix, de faire confiance au procureur, parce qu’il est un magistrat. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Madame, je peux entendre tout et son contraire, mais ne pas vouloir reconnaître le bien-fondé de ce raisonnement, c’est s’enfermer dans l’aveuglement.
Je rappelle que, en Grande-Bretagne, par exemple, le contrôle de la garde à vue est confié exclusivement à un officier de police pendant toute la durée de la mesure, qui peut atteindre, dans certains cas très spécifiques – ce n’est pas la règle –, jusqu’à vingt-six jours. Honnêtement, en termes de garantie des droits, notre situation est bien meilleure.
L’article 55 de la Constitution nous oblige, c’est tout à fait vrai, je l’admets, à introduire dans notre droit la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Tel est notre système, très particulier et différent de celui d’autres États européens. À cet égard, sachez que le Parlement britannique a rappelé voilà quelques jours la souveraineté absolue de la Chambre des communes face à la Cour de Strasbourg. Cette décision peut être discutée, mais force est de constater qu’elle a été votée par le Parlement anglais.
En France, nous savons depuis bien longtemps, grâce à Carré de Malberg, probablement parce qu’il a été professeur à Strasbourg, que le parlementarisme absolu est dépassé.
Nous disposons de deux garanties, l’une conventionnelle, l’autre constitutionnelle, ce qui nous place parmi les meilleurs pour ce qui est de la garde à vue.
Je ne reviendrai pas sur ce tout ce qui a été dit, mais je tiens à remercier les orateurs qui ont bien voulu reconnaître que ce texte contient des avancées, même s’il n’est pas parfait. La perfection absolue n’existe pas. L’important est de progresser.
Un nouvel équilibre est atteint, c’est une avancée, entre les exigences de l’enquête – trouver les responsables des crimes et des délits – et le respect des libertés fondamentales. Il nécessite de véritables efforts de la part des forces de gendarmerie et de police. Je tiens d’ailleurs ici à leur rendre hommage, car nous avons besoin d’elles. Il ne s’agit pas de les désarmer, et personne ne l’a proposé d’ailleurs, je le reconnais bien volontiers. Aujourd'hui, avec ce texte, nous nous adressons aussi à elles.
Des évolutions sont nécessaires. La présence de l’avocat dès la première minute constitue un changement fondamental. Nombre d’entre vous ont évoqué les moyens nécessaires pour rémunérer les avocats. Je sais parfaitement que ce problème est posé et qu’il doit être résolu.
Pour diverses raisons, les négociations sur cette question n’ont pas pu être entamées avant le vote du texte par l’Assemblée nationale. Des premiers contacts ont été pris, nous en aurons d’autres. Il nous faudra également trouver des modalités techniques. Comme beaucoup d’entre vous, je suis très opposé à tout regroupement des gardés à vue. Toutes les brigades de gendarmerie doivent être des brigades de plein exercice, avec donc chacune leurs officiers de police judiciaire.
Je suis ouvert à toutes modifications techniques. Aujourd’hui, le choix de l’avocat est libre. En revanche, le paiement de l’aide judiciaire ne l’est pas. Je suis prêt à négocier avec les barreaux afin de trouver un système efficace. Il doit être possible de choisir un avocat même à quelques kilomètres au-delà des limites du ressort, pourvu qu’il soit plus proche de la gendarmerie concernée qu’un autre de ses confrères du chef-lieu d’arrondissement ou d’une grande ville. S’il faut trouver de nouvelles modalités techniques, nous les trouverons. Je suis ouvert à de telles mesures.
Je sais parfaitement que les avocats doivent parfois parcourir des centaines de kilomètres pour assister un gardé à vue, mais, madame Klès, très honnêtement, de Rennes à Redon, il y a une deux fois deux voies, et le trajet est un plaisir toujours renouvelé ! (Sourires.) En revanche, tel n’est pas le cas pour se rendre chez M. Mézard.
Mme Nathalie Goulet. Ou chez moi !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Non, tout va très bien dans l’Orne, madame la sénatrice, car ses restaurants gastronomiques sont une excellente raison de faire étape dans votre département. (Nouveaux sourires.) Pour se rendre chez M. Mézard, en revanche, il faut affronter la neige !
Plus sérieusement, nous devons parvenir à indemniser les avocats dans des conditions dignes de leur profession et de la présente réforme, tout en préservant les finances publiques, ce qui n’est pas chose aisée.
J’évoquerai maintenant le délai de carence. Sur ce point, j’ai compris quelle était la position de la plupart d’entre vous. Je rappelle que je soutiendrai un amendement tendant à réduire ce délai à une heure afin de laisser plus de temps à l’enquête. Il vous appartiendra ensuite de le voter.
M. René-Pierre Signé. C’est la démocratie !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est la démocratie, en effet.
Pour terminer, je rappelle que ce texte constitue une véritable avancée. La plupart d’entre vous l’ont souligné, en particulier Mme Borvo Cohen-Seat, et je les en remercie. Il est important que le plus grand nombre de Français s’approprient ce texte afin de faire vivre notre procédure pénale, qui s’adresse à tous, sans considérations partisanes, que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition.
Oui, ce texte constitue une véritable avancée, et ce dans deux domaines.
Pour avoir un droit pénal moderne, nous devons clairement abandonner la culture de l’aveu au profit de celle de la preuve. Cela nécessite des changements. Tout ce qui se fait dans le domaine de la police technique et scientifique va dans ce sens. Le rôle de l’enquête est d’apporter des preuves et de faire émerger la vérité.
Mais je ne saurais oublier les droits nouveaux que prévoit le texte, tels que le respect de la dignité de la personne placée en garde à vue ainsi que l’assurance qu’elle pourra bénéficier des conseils et de l’assistance d’un avocat dès le début du placement en garde à vue.
Il y a là matière à débattre et à avancer ensemble vers un renouveau de notre procédure pénale, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
6
Nomination de membres d’organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission de la culture et la commission des affaires étrangères ont proposé des candidatures pour deux organismes extraparlementaires.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Catherine Tasca et M. Louis Duvernois en tant que membres du Conseil d’administration de l’Institut français, créé en application de l’article 6 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010 ; Mme Claudine Lepage en tant que membre du Conseil d’orientation stratégique de l’Institut français, créé en application de l’article 5 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010.
7
Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats aux éventuelles commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique et du projet de loi relatifs au Défenseur des droits.
Cette liste a été affichée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
8
Garde à vue
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la garde à vue.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à l’examen des trois motions qui ont été déposées sur ce texte.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°65.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garde à vue (n° 316, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est le dos au mur que le Gouvernement nous présente aujourd'hui sa réforme. En effet, le Conseil constitutionnel a fixé au 1er juillet prochain la date limite pour mettre en œuvre une nouvelle législation en matière de garde à vue. Vous avez donc une épée de Damoclès sur votre tête, monsieur le ministre ! Bien entendu, c’est non pas votre personne que je mets en cause, car vous venez d’arriver au ministère, mais le Gouvernement, qui, depuis 2007, alors qu’il aurait dû agir, n’a rien fait.
Pourtant, les avertissements n’ont pas manqué, ici même, au Sénat, où plusieurs débats ont eu lieu. Le président de la commission des lois a mis en garde à plusieurs reprises le Gouvernement, le menaçant d’agir s’il ne faisait rien, car il était temps. Il n’a pas été entendu.
Tous ces signaux, tous ces appels se sont heurtés à l’attitude fermée et hautaine de votre prédécesseur, monsieur le ministre, qui nous a renvoyés à nos chères études, au motif que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne concernaient pas la France, mais visaient des pays plus ou moins barbares comme la Turquie ! Voilà ce que nous avons entendu en commission des lois. Mais je suppose que votre prédécesseur ne faisait que suivre en cela les avis de son ministère…
Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous finassez, notamment sur le rôle du parquet. Nous y reviendrons. Nous analyserons très exactement la jurisprudence européenne : elle ne dit pas ce que vous prétendez qu’elle dit, j’en suis absolument persuadé.
Je ne rappellerai pas toutes les décisions qui se sont succédé depuis l’arrêt Medvedyev du 10 juillet 2008. En commission, il nous a été signifié que nous n’étions pas concernés par ces décisions ! Il faut attendre l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010 de la Cour européenne des droits de l’homme pour apprendre que le procureur de la République ne constitue pas une autorité judiciaire indépendante - on ne parle pas de magistrat, le terme n’est pas employé ; il ne nous regarde pas ! –, seule autorité à même de décider la prolongation d’une garde à vue.
Ce n’est pas dans le sens de ce que le Gouvernement propose, ce n’est pas dans le sens de ce que la commission des lois propose, les dispositions qui nous sont soumises sont donc inconstitutionnelles, et je vais le démontrer.
La réforme intervient dans un contexte particulièrement incohérent.
En effet, il est totalement incohérent de proposer dans l’urgence une réforme de la garde à vue sans envisager le reste de la procédure pénale. C’est que la chaîne pénale est un tout. On ne peut pas modifier le seul régime de la garde à vue – il est différent de l’ancien, je le reconnais, monsieur le rapporteur – sachant que le reste de la procédure pénale sera à terme, je suppose, différente, elle aussi, de ce qu’elle est aujourd'hui.
On a parlé de deux cents pages. Que sont-elles devenues ? Nous n’en savons rien ! Peu importe ! Tout cela s’envole au vent de l’Histoire.
Vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, comme les mesures nécessaires n’ont pas été prévues, vous êtes aujourd’hui dans l’impossibilité d’appliquer la réforme. Et vous commencez donc maintenant les négociations afin de déterminer comment les locaux de garde à vue seront équipés ou comment les avocats seront rémunérés…
Non, monsieur le ministre, tout cela n’est ni sérieux ni à la hauteur de la question traitée !
Trois mots peuvent qualifier l’actuel état de la législation française relative à la garde à vue : confusion, complexité, dérives.
Cette législation n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être dans un État de droit. Elle est en retrait par rapport à celle de nombreux États voisins. Je n’invente rien en disant cela. En effet, l’étude de législation comparée du 31 décembre 2009 l’a largement démontré. Lorsque nous sommes allés en Allemagne ou en Italie, monsieur le rapporteur, nous avons fait le même constat.
Cette situation a valu à la France d’être condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. La Grande-Bretagne considère que ce n’est pas trop grave ; nous pensons autrement. En tant qu’Européen convaincu, monsieur le ministre, vous considérez certainement – comme d’autres – qu’il est très grave d’être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.
La législation a également été censurée, en partie, par le Conseil constitutionnel. Enfin, elle a été critiquée par la Cour de cassation, qui a fini par comprendre qu’elle devait s’inscrire dans le droit fil de l’Histoire. Mieux vaut tard que jamais !
S’agissant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – alors que la France a attendu près de vingt-cinq ans, après avoir signé la Convention en 1950, pour la ratifier en 1974 –, la France n’a accepté les recours individuels qu’en 1981, grâce à M. Robert Badinter, que je remercie.
Ces faits s’expliquent essentiellement par l’absence de réglementation sur la garde à vue avant 1958 ainsi que par la faiblesse des garanties, qui devaient ensuite être introduites dans le code de procédure pénale.
À mon sens, le projet de loi que nous examinons est un texte a minima qui encourt plusieurs critiques quant à sa cohérence avec les décisions tant du Conseil constitutionnel que de la Cour européenne des droits de l’homme, sur trois points notamment.
Le premier est l’audition libre. Initialement prévue – nous en avions beaucoup discuté dans cette enceinte -, elle a été abandonnée par l’Assemblée nationale, mais elle est réapparue dans l’article 11 bis du présent projet de loi. Aucun droit n’est accordé à la personne auditionnée par le policier enquêteur, même si la durée maximale de présence dans les locaux de police n’est pas fixée.
Nous arrivons par conséquent à un régime sans droits, contraire aux exigences du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation.
Il existe un important risque de dérive vers un régime de substitution de la garde à vue, mais sans droits pour les personnes concernées !
Afin que l’audition réponde aux exigences minimales de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, nous proposerons un certain nombre d’amendements visant à encadrer cette audition et à la rendre conforme aux exigences précédemment visées.
Comme mon ami Alain Anziani le disait tout à l’heure, ces amendements ont malheureusement été rejetés par la commission des lois. J’espère qu’ils seront adoptés aujourd’hui. En effet, il y a certainement là un motif de censure. Vous me répondrez que, si le Conseil constitutionnel ne censurait qu’un article au mois de juin, cela ne serait pas si grave, et nous nous passerions de l’audition libre ! (Sourires.)
Mais il y a plus.
Il faut aussi, c’est mon deuxième point, évoquer les régimes dérogatoires concernant la criminalité organisée et le terrorisme, laissés intacts. Nous n’y touchons pas. À cet égard, certains n’hésitent pas à écrire que la conformité à la Constitution de ces régimes a été réaffirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010. Or c’est faux, totalement faux ! En effet, le Conseil constitutionnel n’a pas examiné la question au fond.
La persistance du Gouvernement à ignorer totalement la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l’homme frise la pathologie, avec le résultat que ces régimes ne sont pas traités. La France conserve donc toutes ses chances d’être condamnée à Strasbourg également sur ce fondement !
Mais, surtout, et c’est le troisième et dernier point, le projet de loi confie au procureur de la République, autorité de poursuite, les pouvoirs d’ordonner des placements en garde à vue, de prolonger la mesure, d’en contrôler le bon déroulement et de sauvegarder mais aussi de limiter les droits de la personne gardée à vue.
Le texte aboutit ainsi à une confusion des rôles, alors que plusieurs arrêts, tels que l’arrêt Medvedyev, avaient indiqué que la personne arrêtée ou détenue devait être présentée devant une personne présentant les garanties requises en termes d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties. Cela exclut notamment que cette personne puisse agir, par la suite, contre le requérant.
Pourtant, même si nous n’évoquons pas aujourd’hui son indépendance, le procureur de la République est l’autorité qui exercera les poursuites dans la suite de la procédure, du moins telle qu’elle existe aujourd’hui et telle qu’elle avait été présentée par votre prédécesseur, monsieur le ministre.
Dans l’arrêt du 15 décembre 2010, la Cour de cassation reprend à son compte cette interprétation. Selon elle, le ministère public n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention, dans la mesure où il ne présente ni les garanties d’indépendance requises ni les garanties d’impartialité, puisqu’il est partie prenante.
Le récent arrêt Moulin c. France de la Cour européenne des droits de l’homme est encore beaucoup plus clair. En effet, la Cour affirme par cet arrêt que le procureur ne remplit pas les garanties d’indépendance nécessaires à l’exercice des fonctions judiciaires, c’est-à-dire des fonctions de contrôle de la liberté individuelle de la personne placée en garde à vue. Il s’agit de décisions judiciaires, pas de décisions de sécurité !
Le placement en garde à vue est une décision de sécurité, qui peut ressortir au procureur de la République. Tout le reste correspond à du judiciaire, et relève du contrôle des libertés publiques et des libertés individuelles.
Il est donc aujourd’hui essentiel de repenser totalement l’architecture du ministère public. En effet, dans l’arrêt Medvedyev du 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l’homme avait nuancé sa position, mais elle l’a affirmée de manière plus claire dans l’arrêt Moulin c. France. La Cour affirme en effet que l’indépendance compte au même titre que l’impartialité. Parmi les garanties d’indépendance, la notion d’autonomie du magistrat est soulignée.
La Cour rappelle en outre que les garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties excluent notamment que les magistrats puissent agir par la suite, comme le requérant, dans la procédure pénale. C’est pourtant, à l’évidence, le cas du procureur de la République.
Dès lors, la Cour européenne des droits de l’homme considère que le procureur de la République, membre du ministère public, ne présente pas, au regard de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention, les garanties d’indépendance exigées par la jurisprudence pour pouvoir être qualifié de « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Vous remarquerez l’emploi du terme « magistrat ».
Je soutiens que tout ce qui concerne le contrôle des libertés individuelles relève des fonctions judiciaires, et non de fonctions policières ou de sécurité, qui ne peuvent donc pas être exercées par le procureur de la République.
Ainsi, le pouvoir actuellement reconnu au parquet d’autoriser la prolongation de la garde à vue, confirmé par le projet de loi, est contraire aux positions prises par la Cour de Strasbourg, cela me semble parfaitement lumineux.
Compte tenu du rôle confié au parquet, il est indispensable de procéder à une modification tant des règles de nomination que du régime disciplinaire de ses membres, ainsi qu’à un renforcement des compétences du Conseil supérieur de la magistrature.
Cette réforme implique en effet une révision constitutionnelle de la composition et des compétences du CSM, telles qu’elles sont définies à l’article 65 de la Constitution. Cette mesure a d’ailleurs été adoptée par les deux assemblées à la suite d’une réforme engagée en 1998 par M. Jacques Chirac après la publication du rapport confié à une commission présidée par M. Pierre Truche.
Pour des raisons politiques sur lesquelles je ne reviendrai pas, ce projet de loi constitutionnelle, adopté par les deux chambres, n’a pas été soumis au Congrès, sans le vote duquel il ne pouvait pas avoir de valeur juridique.
Il faut, à mon sens, reprendre les principes de cette réforme inaboutie, qui prévoyait l’avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du parquet ainsi que la compétence du CSM pour statuer en tant que conseil de discipline. Un consensus serait aujourd’hui possible sur ce sujet, j’en suis persuadé.
Toutefois, puisque vous êtes restés sourds, pendant quatre ans, à tout ce que nous vous avons dit, à toutes les mises en garde s’agissant du couperet qui tomberait, sachez que, le 1er juillet, place de la Concorde, la guillotine sera là ! (Sourires.)
Vous affirmez n’avoir pas le temps de mener une réforme constitutionnelle parce qu’il est notamment nécessaire de réunir le Congrès à Versailles ! Excusez-moi, monsieur le garde des sceaux, mais vous vous y êtes très mal pris !
M. Jean-Pierre Michel. Vous, ou d’autres !
Le préalable à toute chose, et même à une réforme d’ensemble de la procédure pénale telle qu’envisagée dans le pré-rapport de Mme Alliot-Marie – nous l’avons très scrupuleusement examiné en commission des lois avec mon collègue Jean-René Lecerf –, était, de l’avis de tous – procureurs généraux ou membres de comité de réflexion présidé par Philippe Léger, par exemple –, une réforme du statut des magistrats du parquet, afin de les rendre indépendants vis-à-vis du pouvoir exécutif, pour leur nomination comme pour leur régime disciplinaire.
Vous ne l’avez pas fait et vous êtes dans la situation que nous savons. Malheureusement, monsieur le garde des sceaux, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
M. Jean-Pierre Michel. Latin ou pas, c’est bien de cela qu’il s’agit !
Dans l’attente de cette révision indispensable à toute réforme de la procédure pénale – à toute réforme d’ensemble -, nous avons déposé un certain nombre d’amendements tendant à substituer le juge des libertés et de la détention au procureur de la République pour tout ce qui concerne le régime de la garde à vue, après la décision initiale de placement.
Cette solution est la moins mauvaise, mais sans doute pas la meilleure. En effet, le juge des libertés et de la détention ne présente pas aujourd’hui, à mon avis, toutes les garanties nécessaires à l’exercice d’une telle mission. Tout d’abord, qu’est-ce que ce juge ? Par qui est-il nommé ? Il devrait être nommé en conseil des ministres, comme le juge d’instruction. Cela n’est pas le cas. Il peut être déplacé, remplacé et « placé », par le président du tribunal, et affecté à l’exercice de toutes sortes de tâches.
Nous savons parfaitement que ce juge regarde les dossiers très rapidement. Des affaires célèbres ont montré à quel point, dans certains cas, il avait manqué, faute de temps ou des pièces utiles, aux devoirs de sa charge.
Aujourd’hui, certains affirment vouloir lui confier la garde à vue, tandis que d’autres affirment qu’il faut s’en garder, au risque que le juge des libertés et de la détention ne s’en trouve débordé. Il le sera d’autant plus après le 1er août, date à partir de laquelle, du fait encore d’une décision du Conseil constitutionnel, le juge des libertés et de la détention devra contrôler toutes les hospitalisations, d’office ou à la demande d’un tiers, dans les hôpitaux psychiatriques !
Dans un petit département comme le mien, d’après les psychiatres que j’ai rencontrés, cela correspond à environ trois ou quatre déplacements hebdomadaires du juge de Vesoul à l’hôpital psychiatrique !
M. Jacques Mézard. De quoi devenir fou !
M. Jean-Pierre Michel. Comprenne qui pourra ! Les juges feront ce qu’ils pourront ! Même si la réforme est adoptée, comment sera-t-elle appliquée ? Je n’en sais rien !
Nos amendements ont été repoussés en commission des lois. Mes chers collègues, peut-être aurez-vous la sagesse de ne pas suivre l’avis de M. le rapporteur, qui s’est, à cette occasion, départi de sa sagesse habituelle… Dans le cas contraire, vous voterez une loi qui encourra la censure du Conseil constitutionnel, cela ne fait pas l’ombre d’un doute !
Le Gouvernement n’a pas voulu s’interroger sur ces questions à temps. Il a décidé de passer en force !
M. Jean-Pierre Michel. Il a décidé de passer outre !
Monsieur le ministre, je vous pose la question : que se passera-t-il si le Conseil constitutionnel, saisi, censure, avant le 1er juillet, plusieurs articles du présent texte ? S’il s’agit des régimes dérogatoires et de l’audition libre, me direz-vous, nous pourrons nous en passer, et nous promulguerons une « petite loi ». S’il s’agit, en revanche, du rôle du procureur dans les prolongations, les dérogations, les limitations à l’assistance de l’avocat et toutes ces petites dispositions introduites, je le suppose, à la demande des syndicats de police, tout votre texte tombera à l’eau !
J’en appel à vous, chers collègues de la majorité : une telle issue n’est pas celle que vous voulez, et pas non plus celle que nous voulons. Par conséquent, j’en suis convaincu, vous voterez cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, le Gouvernement nous convoquera à Versailles très rapidement, puisque le texte est prêt, déjà voté par les deux assemblées, et nous reviendrons alors ici, dans l’urgence, et voterons une réforme qui, enfin, tiendra debout ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons écouté avec beaucoup d’attention notre collègue Jean-Pierre Michel. En tant que praticien, d’une part, et en tant que parlementaire, d’autre part, il est en effet très avisé sur ces questions, et très expérimenté.
Toutefois, j’avoue ne pas avoir été convaincu par son propos, et même un peu déçu.
Vous affirmez, monsieur Michel, que le Gouvernement a le dos au mur. Je laisserai le ministre répondre sur ce point, mais je n’ai pas le sentiment que le Gouvernement agisse dans la précipitation.
Le législateur, en tout cas, n’a certainement pas, lui, le dos au mur ! Depuis des années, en effet, nous nous sommes préparés au débat d’aujourd’hui. Nous sommes parfaitement sereins et parfaitement informés pour apprécier les dispositions qui nous sont soumises.
En réalité, j’ai de plus en plus l’impression que ce sont les parlementaires de l’opposition qui se trouvent « dos au mur » ! Ne pouvant pas refuser un projet de loi qui – ils le reconnaissent d’ailleurs honnêtement – comporte des avancées très importantes, ils doivent se contenter d’exprimer leurs regrets que le texte loi n’aille pas plus loin.
Mais, mes chers collègues, nous aussi, nous aimerions parfois aller plus loin. Simplement, il faut tenir compte des impératifs de calendrier. (Mme Josiane Mathon-Poinat s’exclame.)
Monsieur Michel, pour défendre votre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, vous faites, me semble-t-il, des interprétations erronées de la jurisprudence et vous raisonnez de manière spécieuse. Vous invoquez trois griefs.
Votre premier grief concerne l’audition libre, réapparue selon vous, à l’article 11 bis du projet de loi, qui ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Or l’article 11 bis tel qu’il résulte des travaux de la commission est ainsi rédigé : « Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue […] n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
Cela concerne donc le cas où la personne dispose d’une totale liberté de parler ou non et de quitter les lieux. Je ne vois pas pourquoi on empêcherait de telles auditions.
Par conséquent, toute votre argumentation visant à faire croire que l’article 11 bis dissimulerait des mesures de contrainte n’est pas recevable.
Votre deuxième grief porte sur les régimes dérogatoires. Sans doute votre analyse se fonde-t-elle sur le texte qui avait été initialement déposé à l’Assemblée nationale. Mais un certain nombre de modifications importantes ont été apportées depuis, si bien que le texte dont vous êtes aujourd'hui saisis, mes chers collègues, est parfaitement compatible avec la jurisprudence de la Cour de cassation, qui fait elle-même référence aux décisions du Conseil constitutionnel.
Par conséquent, il n’y a, me semble-t-il, plus de problème sur la question des régimes dérogatoires.
Votre troisième grief – j’espère que nous n’allons pas revenir à chaque fois sur le sujet, même si nous pouvons en parler dans le cadre de la discussion de la présente motion – a trait au rôle du procureur de la République.
Là, vous nous entraînez dans un autre débat. Vous affirmez que le procureur de la République n’est pas un juge, puisqu’il est, notamment, une autorité de poursuite. Personne ne le conteste ! Le procureur de la République n’est pas un juge ; en revanche, c’est un magistrat, et il fait partie de « l’autorité judiciaire ».
Mais ce n’est pas le sujet. La question qui nous préoccupe est de savoir si le contrôle de la garde à vue dans les premières heures peut être assuré par un membre du parquet. Et la réponse est oui !
Vous pourrez tirer les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel dans tous les sens, vous ne trouverez aucun motif d’irrecevabilité dans le texte qui vous est présenté.
Toutes ces décisions vont dans le même sens : la personne doit être présentée rapidement ; nous avons évoqué ce matin la « promptitude ». En France, elle sera présentée au bout de la quarante-huitième heure s’il y a besoin de dépasser les premiers délais.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas fixé de délai maximal. On peut supposer qu’elle envisageait plutôt un délai de quatre jours. Comme je l’ai indiqué ce matin à la tribune, quarante-huit heures, c’est deux fois moins que quatre jours !
Par conséquent, il n’y a là aucun motif d’inconstitutionnalité et de contrariété par rapport à des dispositions conventionnelles.
Vous nous avez fait part tout à l’heure de votre conception personnelle, qui est au demeurant respectable. Pour vous, un magistrat qui n’est pas juge ne doit pas pouvoir être chargé du contrôle d’une garde à vue. Vous avez le droit de défendre cette thèse ; simplement, elle va à l’encontre non seulement des décisions jurisprudentielles, mais également de la Constitution, qui s’impose à tous ! M. le garde des sceaux vous en a fait la démonstration.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est parfaitement conforme à la Constitution. Si, d’aventure, vous défériez ce texte au Conseil constitutionnel après son adoption par le Parlement, je suis à peu près certain – bien évidemment, je ne voudrais pas me montrer présomptueux et anticiper sur la décision des Sages – qu’il ferait l’objet d’une déclaration de conformité.
Au sein de la commission des lois, en tout cas, nous n’avons trouvé aucun motif d’inconstitutionnalité ou de contrariété avec des dispositions conventionnelles.
C'est la raison pour laquelle la commission émet sans hésitation un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Je souscris aux excellents arguments qui viennent d’être développés par M. le rapporteur.
À mon sens, le texte qui ressort des travaux de la commission des lois et dont vous êtes saisis ne présente aucun motif d’inconstitutionnalité, mesdames, messieurs les sénateurs.
J’ai apprécié que M. Michel invoque le vieil adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Voilà qui nous rappelle à tous de très bons souvenirs ! (Sourires.) Mais c’est un principe qu’il faut s’appliquer à soi-même, monsieur Michel…
Nous avons repris à la lettre la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation – je vous renvoie notamment à l’arrêt du mois d’octobre – sur les régimes dérogatoires.
Le débat s’est focalisé, peut-être à tort, sur la question du procureur de la République. Après tout, le projet de loi présente nombre d’avancées sur d’autres sujets, qu’il s’agisse des droits de la personne gardée à vue, de l’interdiction de la fouille à corps ou de la possibilité d’avertir immédiatement non seulement les proches, mais également l’employeur.
Reste que le problème du parquet est soulevé de manière récurrente.
Personne ne prétend que le procureur de la République soit une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cela dit, ce n’est pas le seul texte qui existe dans notre droit.
Selon la Constitution, c'est-à-dire le texte qui organise et garantit notre vie collective, l’autorité judiciaire est composée des magistrats du siège et du parquet. Le procureur de la République est donc bien un magistrat, même si ce n’est pas un juge. S’il y a une confusion, c’est parce que la Cour européenne des droits de l’homme, au fil de sa jurisprudence, a fini par assimiler juge et magistrat, ce qui ne correspond pas à notre droit.
Dans ces conditions, la possibilité pour le procureur de la République de contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures constitue une garantie supplémentaire : c’est un progrès, et non une régression !
C’est ce dont je voudrais convaincre la Haute Assemblée au moment où je l’invite à entrer dans le débat.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 65, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garde à vue (n° 316, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 4, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour la motion.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons enfin l’occasion de réformer la garde à vue.
On pourrait s’émouvoir de constater qu’il a fallu attendre d’être poussés par les instances européennes pour enfin modifier ce régime tant décrié !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous sommes donc invités à revoir notre copie, et ce avant le 1er juillet 2011. Essayons donc de consacrer le délai dont nous disposons à l’élaboration d’une réforme satisfaisante de nature à nous éviter à l’avenir d’avoir à rougir de notre législation.
Il n’y a donc plus de temps à perdre, monsieur le garde des sceaux.
Cependant, s’il s’agit, comme le laisse penser la lettre de la réforme, de se conformer aux attentes constitutionnelles et conventionnelles, encore faut-il que le texte évolue en ce sens. Or, comme l’a fait remarquer avant moi ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, le chemin est encore long avant d’y parvenir. Surtout si vous vous obstinez à feindre de ne pas comprendre les impératifs qui nous sont pourtant imposés tant par les instances européennes que par notre souci de garantir nos libertés !
Ne vous en déplaise, monsieur le garde des sceaux, le 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l’homme nous a une nouvelle fois rappelé que la conformité de la privation de liberté au paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dépendait, entre autres, de son contrôle par un magistrat devant « présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public. » Je ne fais que répéter la jurisprudence pour M. le garde des sceaux et M. le rapporteur…
On ne peut pas lire dans cette motivation autre chose que la condamnation claire et précise de la garde à vue placée sous le contrôle du procureur, qui n’est indépendant ni de l’exécutif (M. le président de la commission des lois s’exclame.) ni des parties, puisqu’il agit également en qualité d’autorité de poursuite !
Vous tenterez certainement – vous avez déjà commencé à le faire, mais en vain – de nous convaincre que les standards européens n’imposeraient pas de retirer au procureur de la République le contrôle des deux premiers jours de garde à vue.
Pour soutenir votre argumentation, vous nous ferez une lecture du paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales permettant de considérer que le terme « aussitôt » ne signifierait pas « sur-le-champ » et qu’une « relative rapidité » serait tolérée.
Et vous ferez ensuite état de la jurisprudence strasbourgeoise, en démontrant qu’elle admet un délai de plusieurs jours entre l’arrestation du suspect et sa présentation à un juge. C’est d’ailleurs ce que M. le rapporteur a dit.
De ce fait, vous conclurez que le projet de loi qui nous est soumis respecterait de tels préceptes, puisqu’il ne confie le contrôle de la garde à vue au parquet que durant les premières quarante-huit heures suivant le début de la privation de liberté.
Comme il n’y a pas de temps à perdre, je vous répondrai dès à présent, monsieur le garde des sceaux.
Si la Cour de Strasbourg admet un possible retard dans la présentation de la personne privée de liberté à un membre de l’« autorité judiciaire », c’est uniquement lorsque les circonstances de l’espèce l’imposent.
En d’autres termes, la Cour européenne admet que des circonstances particulières puissent retarder la mise en œuvre du contrôle de la garde à vue par un magistrat indépendant et impartial, mais refuse qu’un tel retard soit érigé en pratique systématique.
Par conséquent, dans la mesure où le procureur de la République n’est pas un « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », le fait de lui confier le contrôle des quarante-huit premières heures de garde à vue revient à retarder de manière systématique la mise en œuvre du principe édicté, ce qui méconnaît « frontalement » les exigences européennes.
Mes chers collègues, après ce récapitulatif, je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous sommes contraints de délibérer dans un court délai sur l’une des plus importantes réformes de la procédure pénale de ces dernières années. Mais là n’est pas la difficulté.
Non, la difficulté tient au fait que notre réflexion doit dépasser les quelques dispositions sur la garde à vue pour englober toute la procédure pénale à travers le statut ou, en tout cas, le rôle qu’y tiendra le parquet.
Les magistrats du parquet, nous n’en doutons pas, agissent avec un très grand professionnalisme, en leur âme et conscience. Mais cette conviction, que nous partageons tous, ne suffit pas à contourner les difficultés soulevées quant à leur place dans le système judiciaire.
La nécessité de garantir le déroulement contradictoire, équitable et impartial de la procédure impose une modification profonde, soit des missions du parquet, soit de son statut.
Une modification du statut impliquerait de reformer le mode de nomination de ces magistrats en soumettant leur progression de carrière à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, comme pour les magistrats du siège. Mais cela impliquerait aussi d’anéantir le lien hiérarchique qu’ils ont avec le pouvoir exécutif.
Si l’on s’engageait dans cette voie, demeurerait cependant la question des deux missions jugées incompatibles du magistrat du parquet, à la fois partie au procès et garant des droits de la personne privée de liberté.
Ainsi, il devient plus simple de choisir la première solution et de procéder à une profonde modification des missions du parquet.
Cela implique de confier le contrôle de la mesure privative de liberté à un magistrat du siège. L’indépendance de la justice serait ainsi objectivement garantie. Le parquet resterait une autorité de poursuite et de réquisition à l’audience, mais avec la perspective de voir inévitablement son statut évoluer pour se rapprocher de celui d’une autorité de type préfectoral. (M. le ministre sourit.)
Le débat doit être posé, car les choix que nous serons contraints de faire dans l’empressement les prochaines semaines ne doivent pas nous faire perdre de vue cette problématique, dans la perspective plus lointaine d’une refonte totale de la procédure pénale.
Un autre problème s’impose à nous, et de manière tout aussi urgente, celui de la question cruciale du manque de moyens humains et financiers dédiés à la justice pénale. Le décalage entre les dispositions théoriques du projet de loi et la réalité pratique de la mise en œuvre de ses dispositions doit être gommé.
Tout d’abord, pour que la présence de l’avocat soit effective, une mobilisation des barreaux sera nécessaire. Il faut pour cela leur en donner les moyens !
Une revalorisation de l’aide juridictionnelle est primordiale, car le budget voté, déjà largement insuffisant, se révèle aujourd’hui totalement dérisoire.
Vous devez, dans un premier temps, vous engager à fournir un financement complémentaire suffisant. Ensuite, sera enfin venu le moment de s’attarder sur un autre sujet de discorde, je veux parler de la réforme de l’aide juridictionnelle, dont l’examen ne peut plus être différé.
Nous apporterons des solutions par voie d’amendements, à moins que vous ne votiez cette motion tendant à opposer la question préalable.
De nombreuses questions d’ordre organisationnel se poseront par ailleurs, aussi bien pour les officiers de police que pour les avocats et devront rapidement être résolues. L’avocat contraint d’assister son client pendant tout le temps de la garde à vue, ce qui implique éventuellement de rester sur place la nuit, doit pouvoir compter sur la mise en place de moyens spécifiques.
Enfin, comme nous l’a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’affirmation du principe du respect de la dignité humaine de la personne gardée à vue dans le projet de loi restera lettre morte tant que les conditions matérielles de la garde à vue, notamment les locaux, ne seront pas améliorées.
En effet, mes chers collègues, il est effrayant de constater que tant le Comité contre la torture des Nations unies et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ont dénoncé, respectivement le 20 mai 2010 et le 10 décembre 2007, l’état intolérable de locaux de police, trop souvent vétustes et insalubres.
Toutes ces réalités de terrain doivent sérieusement être prises en considération, car une défense pénale de qualité nécessite que les moyens matériels et humains déployés soient à la mesure de ce que représentent, pour nous, les droits fondamentaux engagés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Mme Mathon-Poinat est très audacieuse lorsqu’elle affirme qu’il n’y a pas lieu de délibérer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est paradoxal !
M. François Zocchetto, rapporteur. Son raisonnement est extrême, voire paradoxal, comme le souligne M. le président de la commission des lois.
Notre collègue se plaint que le Gouvernement a le dos au mur et, dans le même temps, elle déclare qu’il n’y a pas lieu de légiférer, que l’examen de la question peut être renvoyé à plus tard ! (M. Alain Gournac s’esclaffe.)
Ma chère collègue, opposer la question préalable est sans doute pour vous un passage obligé dans le débat, mais, je le reconnais, l’exercice est difficile dans les circonstances présentes !
Nous connaissons tous la décision du 30 juillet 2010. Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il fixé, ce qui a pu surprendre, un délai jusqu’au 1er juillet 2011 ? Tout simplement parce qu’il a estimé que les conséquences qui découleraient d’une application immédiate de sa décision seraient trop lourdes.
Je le redis, il y a urgence à légiférer : il n’est même pas envisageable de laisser s’installer l’insécurité juridique, faute d’une nouvelle législation.
J’ajoute que les conséquences financières de la réforme ont été évaluées dans l’étude d’impact jointe au projet de loi. Les chiffres varient entre 45 millions et 65 millions d’euros. J’attire l’attention du garde des sceaux sur le fait que les nouvelles dispositions introduites à l’Assemblée nationale, et que nous allons voter, concernant, notamment, la retenue douanière et les régimes dérogatoires, nécessitent d’ajuster à la hausse ce qui est prévu dans l’étude d’impact. C’est la seule remarque que l’on puisse faire ici.
La commission est totalement défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable. Il y a au contraire nécessité et même urgence à légiférer, mes chers collègues.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si Mme Mathon-Poinat affirme qu’il n’y a pas lieu d’engager l’examen du texte alors qu’elle pense qu’il y a urgence à délibérer, comme l’a reconnu Mme Borvo Cohen-Seat, qui soutient que nous n’avons que trop tardé, c’est qu’elle utilise toutes les possibilités offertes par le droit parlementaire. C’est un peu paradoxal, mais c’est de bonne guerre…
Je reviendrai simplement sur un point.
Je fréquente assidûment depuis quelques semaines, même si je les rencontrais déjà auparavant, tous les acteurs du service public de la justice : les magistrats du siège, les procureurs, les greffiers, les fonctionnaires, les avocats et tous les autres auxiliaires de justice, que je n’oublie pas. J’éprouve un immense respect pour tous ces professionnels sans lesquels le service public de la justice n’existerait pas.
Les attaques répétées contre le parquet ne sont pas une bonne chose. Jamais un procureur n’a prétendu qu’il était juge ! Le procureur sait qu’il est un magistrat, il sait qu’il joue un rôle constitutionnel. Il est membre de l’autorité judiciaire et doit agir en veillant au respect des libertés individuelles. Le rôle que jouera le procureur dans la garde à vue tient compte du fait qu’il n’est pas juge. C'est pourquoi il n’interviendra que pendant un bref délai, comme l’a voulu la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre dernier.
Oui, nous avons besoin d’un parquet. Oui, nous avons besoin d’un parquet dont les membres sont des magistrats, sinon nous aurions uniquement la police. Ce sont là des garanties qu’il ne faut jamais oublier.
Ce projet de loi est pour moi l’occasion de rappeler notre attachement, premièrement, à l’unicité du corps des magistrats, qu’ils soient du siège ou du parquet, et, deuxièmement, au rôle du procureur en tant que magistrat. Voilà pourquoi nous devons discuter de ce texte et pourquoi le Sénat doit rejeter la motion tendant à opposer la question préalable. C’est ce à quoi je convie la Haute Assemblée.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°66.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garde à vue (n° 316, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Robert Badinter, auteur de la motion.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la troisième motion que nous examinons, et je conçois que chacun commence à s’interroger sur la longueur de nos débats.
Je souhaite cependant synthétiser les incertitudes ainsi que les inquiétudes que suscite ce texte.
Personne ne discutera le fait que le projet de loi constitue un progrès, et Dieu sait que nous avons été ardents et nombreux à le réclamer ! Monsieur le rapporteur, nous avons, nous aussi, apprécié les efforts qui ont été faits et les avancées que la commission des lois a réussi à introduire dans le texte.
À titre personnel, j’ai été sensible à l’attention portée au respect de la dignité des personnes placées en garde à vue. Cet aspect n’est pas assez pris en compte dans le cadre de nos procédures et, plus communément, de nos pratiques. C’était particulièrement important en matière de garde à vue, mais nous avons assez parlé soutiens-gorges et lunettes pour ne pas recommencer le débat du début !
À cet égard, monsieur le garde de sceaux, qu’il me soit permis de dire, mais cette préoccupation nous est commune, que nos locaux de garde à vue ne sont pas dignes d’une grande nation comme la nôtre. Quelles que soient les améliorations récentes qui ont été apportées, nous sommes encore très loin du compte. Or il n’y a rien de plus humiliant, le Sénat l’a signalé, que de s’entendre rappeler par des institutions internationales objectives que la condition carcérale et, en l’occurrence, la condition des personnes placées en détention est, par certains degrés, inhumaine ou, en tout cas, dégradante.
Je laisse ce point de côté pour en venir à l’essentiel.
Cette motion est modeste quant à son objectif ; elle consiste à dire que la copie est faite, mais qu’elle n’est pas parfaite. Par conséquent, nous vous invitons à la compléter, ce qui permettra d’éviter certaines décisions, notamment, et à coup sûr, de la part de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est sur ce point que portera essentiellement mon propos.
Quelle est, à ce stade, la situation ?
Premièrement, le droit à l’assistance du conseil est un progrès considérable. Le système que nous avions si péniblement réussi à faire élaborer, et que, dans l’opposition, nous n’avons cessé de vouloir améliorer, ce système ne convient pas, l’avocat apparaissant et disparaissant régulièrement comme une sorte de « coucou » suisse. Non, ce n’était pas admissible.
Le droit à l’assistance de l’avocat étant ici consacré par ce texte, nous devons nous interroger sur son étendue – est-elle suffisante ? – et sur les moyens consacrés à l’exercice de ce droit, donc à cette assistance.
S’agissant de l’étendue, je vous le dis franchement, il me semble que vous méconnaissez grandement la portée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : limiter à la personne placée en garde à vue le droit à l’assistance de l’avocat est trop réducteur.
Je vous renvoie sur ce point à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Salduz contre Turquie du 27 novembre 2008 : « Pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment “concret et effectif” […], il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti – il s’agit d’une traduction de l’anglais, mieux vaudrait dire « satisfait » – dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police. » D’autres décisions disent la même chose.
L’idée profonde et essentielle est que toute personne suspectée d’avoir commis une infraction, qu’elle soit ou non placée en garde à vue, doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat, si elle le demande. C’est aussi simple que cela ! Ce principe général, qui ne vaut pas uniquement en cas de garde à vue, même si son respect revêt alors une importance particulière, devrait être consacré au travers de ce projet de loi et régir la procédure pénale ! Le présent texte ne satisfaisant pas à cette exigence fondamentale du procès équitable, il faut le reprendre et aller plus loin.
Au-delà de cet aspect, paradoxe inouï, le projet de loi prévoit la possibilité, pour le ministère public, partie poursuivante, de différer la présence de l’avocat pendant douze heures, voire jusqu’à la vingt-quatrième heure avec l’accord du juge des libertés et de la détention ! Je le redis, ce sont ici les principes du procès équitable qui sont en jeu ! Le 2 octobre 1981, jour dont je conserve un très grand souvenir, j’étais allé à Strasbourg lever les réserves qui privaient les justiciables français du droit de saisir la Commission européenne des droits de l’homme. À partir de ce moment, la jurisprudence que nous savons s’est développée, mais nous nous heurtons encore, des décennies plus tard, à une sorte de pesanteur, de défiance à l’encontre de ce qui constitue le cœur même de la procédure pénale contemporaine : le procès équitable avec l’égalité des armes. J’ajoute que la référence faite par le texte à la nécessité de justifier de « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête » pour différer la présence de l’avocat n’apporte pas de garanties à cet égard, car nous savons bien qu’aucun contrôle ne sera possible.
Cela m’amène à la deuxième question clé : celle du contrôle de la garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez tenu à rappeler – était-ce nécessaire dans cette enceinte ? – que la magistrature, en France, est composée d’une part des magistrats du siège, d’autre part des magistrats du parquet. Ils ont tous la qualité de magistrat, personne ne le conteste, et surtout pas moi : la question n’est pas là !
Le problème – Dieu sait qu’il est complexe ! – est en fait le suivant : alors que l’article 66 de la Constitution dispose que l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, la Cour européenne des droits de l’homme a dit – sans viser particulièrement la France au départ – que les membres du parquet français ne répondent pas aux critères requis pour pouvoir être considérés comme faisant partie de l’autorité judiciaire.
Ce considérant a un double motif.
Le premier motif est l’absence d’indépendance des magistrats du parquet. Ce n’est pas leur faire offense – j’ai pour eux la plus grande considération ! – que de rappeler que, malheureusement, la Constitution, dans son état actuel, ne leur donne pas, en ce qui concerne leur carrière, leur nomination et leur responsabilité disciplinaire, les garanties dont doit bénéficier tout magistrat. C’est ici non pas l’organisation du parquet qui est en question, mais le statut individuel de ses membres. En définitive, leur carrière dépend de l’exécutif : c’est le fait capital, constamment rappelé par la Cour européenne des droits de l’homme ! Je n’aurai pas, monsieur le garde des sceaux, la cruauté de rappeler le nombre des magistrats du parquet qui ont été nommés par vos prédécesseurs contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature…
M. Robert Badinter. Tant que la carrière de ces femmes et de ces hommes dépendra du pouvoir exécutif, la Cour européenne des droits de l’homme ne pourra que dénoncer cette situation et estimer que les nécessaires garanties d’indépendance de ces magistrats ne sont pas réunies.
J’irai plus loin, monsieur le garde des sceaux : le grand, le profond malaise qui règne actuellement au sein de la magistrature et dont je n’ai pas, au cours d’une très longue carrière, vu d’autre exemple, trouve sa source, pour une grande part, dans le fait que l’exécutif, en France, ne veut pas desserrer son emprise sur la carrière des magistrats du parquet, parce que, pense-t-il, elle lui donne une possibilité d’intervention dans les affaires qui l’intéressent ! Ne jouons pas les naïfs, il suffit de consulter la grande actualité judiciaire pour s’en convaincre. Tant qu’il n’aura pas été remédié à cette situation, tant que les nominations des magistrats du parquet ne seront pas au moins soumises à avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, comme l’Assemblée nationale et le Sénat en avaient manifesté la volonté par des votes à la suite du rapport de la commission Truche, ce malaise persistera, car il est profond et structurel.
Le second motif de la position de la Cour européenne des droits de l’homme tient à la question de l’impartialité. La Cour européenne des droits de l’homme ne cesse de le rappeler : il faut que le public soit convaincu que la justice a été rendue de façon impartiale et avec objectivité.
Si nous envisageons les formalités et le déroulement de la garde à vue sous cet angle de l’impartialité, nous nous trouvons placés devant un autre prodigieux paradoxe : c’est le parquet, partie poursuivante dans le procès pénal, qui décide de l’étendue des droits de la défense pendant la garde à vue ! C’est une situation inouïe, on le reconnaîtra ! Comment peut-on parler, dans ces conditions, de procès équitable ?
Il s’agit là, j’en suis bien conscient, d’une question extraordinairement difficile, compte tenu de ce que sont aujourd’hui les principales lignes de force de notre procédure pénale, mais nous ne pouvons pas l’esquiver. À cette question majeure, on ne peut répondre que d’une façon : un magistrat du siège, autorité totalement impartiale et indépendante, doit donner au parquet l’autorisation de prendre des mesures restrictives des droits de la défense. Je ne fais ici que rappeler des évidences ! Une même personne ne peut pas, à la fois, poursuivre une personne et restreindre les droits de la défense. Puisque l’on évoque volontiers le duel judiciaire, imaginez que, sur le pré, l’une des parties se munisse d’une Kalachnikov tout en obligeant l’autre à se contenter d’une escopette d’un autre âge ! C’est impossible : le procès équitable commande l’égalité des armes ; vous ne pouvez échapper à cet impératif.
C’est pourquoi il faut renvoyer ce projet de loi à la commission, afin que nous puissions revoir les différentes phases d’intervention du parquet dans le cadre de la garde à vue et procéder aux ajustements nécessaires.
Monsieur le ministre, ne voyez pas dans mon attitude un réflexe d’opposant. Je le dis clairement : autant les assemblées ont fait tout ce qu’elles ont pu pour améliorer le droit de la garde à vue, autant le Gouvernement s’est employé à le durcir au cours des cinq dernières années. Le Gouvernement n’a pas voulu cette réforme, il y a été traîné, s’écriant, à l’instar de Mme du Barry devant le bourreau : « Encore un moment de garde à vue paisible, sans avocat, à la Maigret ! » (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le garde des sceaux, nous avons entendu vos prédécesseurs nous expliquer, à l’occasion notamment d’une question orale posée par M. Mézard ou de l’examen de propositions de loi présentées par l’opposition, que la garde à vue serait réexaminée dans le cadre de la grande réforme de la justice. « Un peu de patience », nous disaient-ils ! Les mois, les années ont passé dans l’attente du grand débat, de la grande réforme, des conclusions de la commission Léger… Tout, sauf réformer la garde à vue !
Vous avez estimé, monsieur le garde des sceaux, que cette réforme était une conséquence heureuse de l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité. Je me réjouis de l’intervention du Conseil constitutionnel, mais je ne peux pas m’empêcher de rappeler que si l’exception d’inconstitutionnalité, dont j’ai été le père, avec la précieuse coopération de M. Drai, premier président de la Cour de cassation, et de M. Long, vice-président du Conseil d’État, avait été votée par cette assemblée en 1990, la question de la garde en vue aurait été réglée depuis longtemps, à la satisfaction générale ! Vous me permettrez d’exprimer ce regret. Pour le reste, et avec les tempéraments que j’ai eu plaisir à évoquer, il vous faut reprendre votre copie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Le projet de loi doit-il être renvoyé à la commission ? Je rappellerai brièvement que, en seulement une année, celle-ci s’est réunie une dizaine de fois pour évoquer la question de la garde à vue, soit exclusivement, soit à l’occasion d’autres débats sur la procédure pénale. En outre, c’est la quatrième fois en moins d’un an que le Sénat débat en séance publique de la garde à vue. Enfin, nous avons auditionné de très nombreuses personnalités.
Le travail de la commission n’est peut-être pas parfait, mais il me semble abouti eu égard aux conditions dans lesquelles il a été accompli. J’émets donc un avis défavorable sur la demande de renvoi à la commission formulée par M. Badinter, dont j’ai écouté les observations avec beaucoup d’attention.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un peu court, comme réponse !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Sueur, je vais m’efforcer d’aider le rapporteur : à nous deux, peut-être vaudrons-nous un tiers, deux tiers ou trois quarts de M. Badinter. C’est notre seule ambition ! (Sourires.)
Monsieur Badinter, j’ai pour vous un grand respect et je vous écoute toujours avec intérêt, même si nous pouvons avoir des points de désaccord, comme il est de règle dans un débat démocratique.
M. Jean-Pierre Sueur. Ça ne mange pas de pain !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Sueur, il n’est déjà pas si mal que nous ayons encore du pain à manger ! Ne vous plaignez pas continuellement de l’abondance ! (Sourires.)
Il est exact que notre droit progresse selon un long chemin ; tous les gouvernements ont tenté d’apporter leur pierre à l’édifice. Vous regrettez, monsieur Badinter, que le Sénat n’ait pas voté l’exception d’inconstitutionnalité en 1990 : nous pouvons toujours nous consoler en nous disant que, pour notre part, nous l’aurions fait si nous avions été sénateurs à l’époque. En tout cas, nous ne pouvons que nous réjouir de l’introduction de l’exception d’inconstitutionnalité dans notre droit, quels qu’en aient été les promoteurs.
La situation est analogue s’agissant du statut des magistrats. Sur ce point, j’ai trouvé vos propos quelque peu sévères. Longtemps, la nomination des magistrats du siège par le Gouvernement n’a été soumise qu’à un avis simple du Conseil supérieur de la magistrature. Ce n’est qu’en 1993 que Pierre Méhaignerie, alors garde des sceaux, a décidé que cet avis devrait être conforme.
Quant aux magistrats du parquet, leur nomination est désormais soumise à un avis simple du CSM. Il ne s’agit donc pas d’un avis conforme, certes, mais, jusqu’à présent, je ne suis jamais allé à l’encontre d’un avis du CSM. Je ne prétends nullement qu’il en ira toujours de même à l’avenir, mais dès lors que le CSM sera composé différemment, qu’il jouira d’une plus grande indépendance et ne sera plus présidé par le Président de la République ou par le garde des sceaux, ses avis sur la nomination des magistrats du parquet, qui seront plus largement rendus publics qu’ils ne le sont à ce jour et pourront être, s’il le souhaite, motivés, auront plus de poids. Le pouvoir exécutif sera nécessairement amené à en tenir compte, nous le savons bien, vous comme moi.
Je ne prétends pas que le présent projet de loi soit parfait – la perfection n’existe d’ailleurs pas –, néanmoins il permettra d’établir un équilibre nouveau entre deux exigences essentielles : la sûreté et la liberté.
Dès lors que l’avocat sera présent dès le début de la garde à vue, la valeur probante de l’enquête conduite au cours de celle-ci par l’officier de police judiciaire s’en trouvera renforcée. C’est en tout cas ma conviction. Il ne faut donc pas opposer les officiers de police judiciaire aux avocats.
Nous pourrions longuement discuter les termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et sans doute ne manquerons-nous pas de le faire au cours du débat. Néanmoins, nous nous accorderons certainement sur un point : cette jurisprudence, au fil de son évolution, tend à étendre la notion de procès équitable – et donc de juge –, non seulement au procès lui-même, mais à l’ensemble de la procédure qui peut conduire à celui-ci. Vous n’avez pas dit autre chose, monsieur Badinter, lorsque vous nous avez expliqué que l’on se devait d’appliquer à la garde à vue les règles du procès équitable.
Toutefois, cela ne correspond pas au droit français et telle n’était pas nécessairement, en outre, la volonté des signataires de la Convention européenne des droits de l’homme. Sinon, pourquoi auraient-ils établi une distinction entre les mesures qui précèdent le procès, figurant à l’article 5, et celles qui concernent le procès, inscrites à l’article 6 ?
Que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ait connu des évolutions, c’est évident, mais je soutiens que le présent projet de loi se situe dans le droit fil de celle-ci.
M. Robert Badinter. Non !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous renvoie, monsieur Badinter, aux conclusions que M. Marc Robert a brillamment présentées devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Je ne doute pas que vous serez plus sensible à ses arguments qu’aux miens ! (Sourires.)
En tout état de cause, le Gouvernement ne peut qu’émettre un avis défavorable sur cette motion tendant à renvoyer le texte à la commission.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 66, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’encadrement de la garde à vue
Article 1er A
Le III de l’article préliminaire du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 1er A du projet de loi, qui résulte de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement du Gouvernement, vise à modifier l’article préliminaire du code de procédure pénale en prévoyant que, « en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui ».
À juste titre, M. le rapporteur a fait adopter un amendement tendant à préciser que cela implique à la fois que la personne en question ait pu s’entretenir avec son conseil et qu’elle ait été assistée par lui.
Cette précision est très importante, car elle souligne la nécessité que l’assistance de l’avocat soit organisée de telle sorte qu’elle permette à ce dernier d’assurer une défense effective des droits de son client, conformément à la jurisprudence européenne.
En revanche, la commission, en choisissant de maintenir l’adjectif « seul », prive dans une large mesure l’article 1er A de sa portée vertueuse.
En effet, comme le relève le rapport sans en tirer les conséquences, une telle rédaction revient à admettre que les déclarations d’une personne mise en cause qui n’aurait pas bénéficié du droit essentiel d’être assistée d’un avocat puissent néanmoins corroborer des preuves.
L’article 1er A tend à inscrire dans la loi que des déclarations incriminantes faites hors la présence d’un avocat peuvent faire partie intégrante du processus conduisant à prononcer une condamnation. Il n’impose pas que les déclarations recueillies dans le cadre d’une procédure irrégulière soient écartées des débats ; il prévoit seulement qu’aucune condamnation ne pourra être prononcée contre une personne sur leur seul fondement, ce qui constitue une différence substantielle au regard des droits de la défense. Certains avocats ont d’ailleurs exprimé leurs craintes que cet article ne soit utilisé pour éviter la nullité de la procédure.
Dernièrement, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que, bien qu’une garde à vue hors l’assistance d’un avocat ne puisse être annulée avant le 1er juillet 2011, les éléments recueillis lors de l’interrogatoire d’une personne n’ayant pas eu accès à un avocat ne peuvent constituer des éléments de preuve suffisants pour fonder une condamnation. Ainsi, si la procédure ne peut être annulée, du moins les éléments recueillis en violation de droits qui devraient être immédiatement garantis ne peuvent servir de preuves.
Cela étant dit, pour la période postérieure au 1er juillet 2011, nous estimons nécessaire, au regard des exigences européennes et dans l’intérêt du justiciable, de revoir la rédaction de l’article 1er A. En effet, l’arrêt Salduz contre Turquie stipule qu’ « il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation ».
Toute déclaration faite hors la présence d’un avocat implique donc une violation substantielle des droits de la défense, qui doit conduire à une annulation de la condamnation. Non seulement l’atteinte aux droits de la défense est irrémédiable, mais elle doit s’étendre à l’ensemble de la procédure.
M. le président. L'amendement n° 67, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Toute personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être interrogée, au cours de l'enquête, sans avoir eu la possibilité, si elle en fait la demande, de s'entretenir avec un avocat ou d'être assistée par lui dans les conditions fixées par le présent code.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Évidemment, nous ne pouvons que nous féliciter de ce que ce projet de loi consacre la nécessité de la présence de l’avocat lors de la garde à vue. Cela étant, qu’en est-il dans les autres cas ?
Dans le rapport de la commission, il est indiqué que la moitié des personnes mises en cause en 2010 avaient été entendues sous le régime de l’audition libre. Or la présente réforme a précisément pour objet de réduire le nombre des gardes à vue, et donc d’accroître parallèlement celui des auditions libres. Quels seront les droits des personnes entendues dans ce cadre ?
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, une personne a le droit d’être assistée par un avocat non parce qu’elle est placée sous contrainte – c’est le cas lorsqu’elle est mise en garde à vue –, mais parce qu’elle est suspectée. Autrement dit, toute personne soupçonnée a droit à l’assistance d’un avocat.
C’est la raison pour laquelle nous proposons, par cet amendement, d’inscrire parmi les principes généraux de notre procédure pénale le droit, pour toute personne soupçonnée, de s’entretenir avec un avocat ou d’être assistée par lui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Dans le droit fil des propos tenus tout à l’heure par M. Badinter, les auteurs de cet amendement entendent poser le droit, pour toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, de s’entretenir avec un avocat ou d’être assistée par lui.
Cette idée d’une intervention généralisée de l’avocat participe d’une recherche de la perfection de la procédure pénale. Cependant, bien qu’elle soit extrêmement séduisante, une telle proposition n’est pas réaliste. La mettre en œuvre impliquerait un droit général à l’assistance d’un avocat, même lorsqu’une personne défère librement à une convocation des services de police ou de gendarmerie, ce qui va bien au-delà des exigences conventionnelles.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable sur cet amendement.
L’article 1er A du projet de loi tend à compléter l’article préliminaire du code de procédure pénale, qui fixe les principes généraux de notre procédure résultant de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, dite « loi Guigou ». Il s’agit de distinguer clairement le régime de la garde à vue, qui est une mesure de coercition et est assortie de garanties spécifiques pour celui qui en fait l’objet. Dans les autres cas, il en va différemment. Il ne faut pas tout mélanger ! Contrairement à ce qu’on a pu me reprocher tout à l’heure, je n’ai pas fait dire à Mme Guigou autre chose que ce que ce qu’elle avait déclaré à l’époque à la tribune de l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, il est de notre responsabilité d’attirer une nouvelle fois votre attention sur le fait que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme lie le droit à l’assistance d’un avocat à la condition de personne soupçonnée et non pas à celle de personne sous contrainte.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Cet amendement est bienvenu : cela prendra peut-être du temps, puisque le Gouvernement se livre à des manœuvres de retardement, mais on y viendra inéluctablement.
Vous déclarez, monsieur le garde des sceaux, que seules les personnes placées en garde à vue bénéficient de garanties. (M. le garde des sceaux proteste.) En l’absence de risque manifeste d’emprisonnement, il n’y aurait donc pas de garanties ? Cela est contraire aux dispositions actuelles du code de procédure pénale et à son article préliminaire ! La procédure pénale doit être équitable et contradictoire, et préserver l’équilibre des droits des parties.
Quand une personne défère librement à une convocation au commissariat ou à la gendarmerie, ce n’est pas pour parler de la pluie et du beau temps ! Il faudra tôt ou tard aller dans le sens indiqué par les auteurs de l’amendement. Pour l’heure, vous cherchez à gagner du temps, une fois de plus. Je ne crois pas que ce soit raisonnable.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Je tiens absolument à clarifier les choses et à dissiper l’équivoque dans laquelle, monsieur le garde des sceaux, vous vous inscrivez.
Le problème posé est celui du procès équitable. Les garanties accordées aux personnes placées en garde à vue dans les cas définis par la loi sont une chose, mais l’équilibre doit régner dans le procès pénal. C’est la raison pour laquelle, je le redis, l’accès à un avocat doit être possible dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, et non pas seulement en cas de placement en garde à vue. Il faut tenir compte de l’utilisation qui pourra être faite contre elle des propos qu’aura tenus une personne n’ayant pas été placée en garde à vue !
Je vous parle ici du procès pénal, et non de la protection de la personne. Nous n’aurons jamais une meilleure occasion d’inscrire dans le projet de loi le principe de l’intervention de l’avocat auprès de tout suspect ! Veut-on ou non le procès équitable ? À cet instant, pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le garde des sceaux, vous ne le voulez pas !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 14, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
En matière criminelle et correctionnelle, il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On peut douter de la volonté du Gouvernement, de la majorité et du rapporteur de vraiment clarifier les choses.
En dépit des modifications apportées en commission, le dispositif de l’article 1er A n’est toujours pas satisfaisant au regard de l’objectif affiché de garantir un droit fondamental à l’assistance d’un avocat. Il ne suffit pas d’afficher une intention !
Afin de donner une portée concrète à cet article, le présent amendement tend à reprendre la lettre de la jurisprudence européenne.
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Des Esgaulx, MM. Vial et J. Gautier et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer le mot :
seul
La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Cet amendement, s’appuyant sur la position de la Cour européenne des droits de l’homme et sur deux décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation, tend à supprimer le mot « seul », qui est source de difficultés. Toutefois, je crois avoir deviné quel serait l’avis du rapporteur et du garde des sceaux…
M. le président. L'amendement n° 68, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui
par les mots :
été informée de son droit de ne pas s'auto incriminer et de son droit de s'entretenir avec un avocat
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Il importe qu’une personne mise en cause soit informée de son droit de ne pas s’« auto-incriminer » et de son droit d’être assistée par un avocat.
Ce point est important. En effet, tous ceux qui ont une expérience de ces choses savent que la garde à vue est le moment du plus grand dénuement, de la plus grande angoisse, où certaines personnes refusent même d’être assistées, estimant que, étant innocentes, elles n’ont pas besoin d’un avocat ! On a encore pu entendre cet argument à l’occasion d’une affaire récente qui a défrayé la chronique. Il faut alors convaincre ces personnes soupçonnées que la présence d’un avocat n’est pas une manifestation de culpabilité et qu’elle est nécessaire dans toutes les hypothèses. Nous en sommes là !
Il convient donc de prendre toutes les précautions, en prévoyant qu’une personne soupçonnée doit être informée de ses droits avec beaucoup de précision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Il s’agit d’une question importante, qui a donné lieu à de longs débats à l’Assemblée nationale.
Les amendements nos 14 et 2 rectifié, bien que formulés de manière différente, ont les mêmes effets et appellent les mêmes observations.
L’article 1er A prévoit qu’aucune condamnation ne doit reposer sur le seul fondement de déclarations faites hors la présence d’un avocat. En d’autres termes, cet article admet que des déclarations recueillies dans ces conditions puissent être prises en compte dès lors qu’elles sont complétées par d’autres preuves. Il faut le dire clairement, même si ce n’est pas écrit.
Les auteurs des amendements nos 14 et 2 rectifié entendent retirer toute valeur probante aux déclarations faites hors la présence de l’avocat, même si elles sont corroborées par d’autres preuves. Une telle modification du dispositif s’imposerait, selon eux, au vu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de deux arrêts récents de la Cour de cassation. La commission ne suivra pas ce raisonnement pour quatre raisons.
Premièrement, dans l’arrêt Yoldas contre Turquie du 23 février 2010, la Cour européenne des droits de l’homme semble admettre que des déclarations, mêmes faites hors la présence d’un conseil, peuvent être prises en compte à la condition qu’elles soient étayées par d’autres éléments de preuve.
La Cour de cassation, quant à elle, a précisé que, même si c’est à tort que des cours d’appel ont prononcé la nullité de la garde à vue avant la mise en œuvre de la réforme, les arrêts n’encourent pas la censure dès lors qu’ils ont pour seule conséquence que « les actes annulés n’ont pas constitué des éléments de preuve fondant la décision de culpabilité du prévenu ». La Cour de cassation ne s’est donc pas prononcée sur le cas où les éléments recueillis au cours de la garde à vue auraient été étayés par d’autres preuves.
Deuxièmement, la suppression du mot « seul », monsieur Gautier, risquerait de fragiliser beaucoup de procédures. Ainsi, on peut se demander si des éléments de preuve tout à fait objectifs identifiés à partir des déclarations faites hors la présence de l’avocat pourraient être pris en compte. La suppression du mot « seul » serait ainsi source d’un nombre considérable de nullités.
Troisièmement, l’article 1er A marque d’ores et déjà un progrès réel et tangible par rapport au droit en vigueur, chacun en conviendra. Cet article constitue une garantie très appréciable, en particulier – nous aurons l’occasion d’y revenir – dans l’hypothèse, prévue par l’article 7, où le procureur de la République aura différé l’assistance de l’avocat lors des auditions.
Quatrièmement, la commission des lois a amélioré la disposition issue des travaux de l’Assemblée nationale, afin d’indiquer que la valeur probante des déclarations de la personne implique qu’elle ait pu s’entretenir avec son conseil et qu’elle ait pu être assistée par lui. Nous avons rendu ces deux conditions cumulatives.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’avis de la commission est défavorable sur les amendements nos 14 et 2 rectifié.
Quant à l’amendement n° 68, il me semble être plutôt en retrait par rapport au texte que nous examinons. Par ailleurs, sa rédaction est directement inspirée du droit anglo-saxon : je ne suis pas sûr qu’il soit très opportun d’inscrire dans notre droit le terme d’« auto-incrimination ». La situation du gardé à vue nous paraît beaucoup mieux garantie par la notification du droit à garder le silence reconnu par la nouvelle rédaction du code de procédure pénale proposée.
En conséquence, la commission a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 68.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il s’agit d’un article de principe extrêmement important, qui fixe la philosophie du texte.
Au terme d’un long débat à l’Assemblée nationale, nous avons été conduits à reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Salduz contre Turquie, en faisant référence à un entretien avec un avocat ou à l’assistance d’un défenseur.
La commission des lois du Sénat souhaite aller plus loin, en rendant cumulatives les deux conditions prévues : la personne mise en cause devra avoir pu à la fois s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui.
Je me range à la position de la commission des lois du Sénat. Dans cette perspective, l’avis du Gouvernement sera identique à celui que vient d’exprimer M. le rapporteur.
L’amendement n° 68 est largement satisfait par le texte de la commission.
L’amendement n° 14 reprend les termes de l’arrêt Salduz contre Turquie. Or, nous rédigeons ici non pas un arrêt, mais la loi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Soit !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce n’est pas la même chose ! C’est l’arrêt qui est la conséquence de la loi, et non l’inverse. Il s’agit d’un amendement de nature descriptive ; même s’il est intéressant, c’est le droit positif, dont relève la rédaction élaborée par la commission des lois du Sénat, qui permet aux juges de travailler.
Quant à l’amendement n° 2 rectifié, son adoption serait à mon sens source d’un certain nombre d’incertitudes. La rédaction actuelle du texte reprend des dispositions figurant déjà ailleurs dans le code de procédure pénale. Il ne me paraît pas souhaitable de créer un cas particulier, et je demande donc à M. Jacques Gautier de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Monsieur Jacques Gautier, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Gautier. Compte tenu des quatre précisions que nous a apportées M. le rapporteur, je me conforme à la demande de M. le garde des sceaux et je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur l’amendement n° 14.
M. Jean-Pierre Michel. Comme l’a indiqué M. le garde des sceaux, l’article 1er A est très important. Je pense que sa rédaction évoluera encore au cours du débat…
En ce qui me concerne, aucune des rédactions proposées ne me satisfait. En particulier, celle de la commission des lois me semble insuffisante, dans la mesure où la jurisprudence conventionnelle – dont je ne suis au demeurant pas un inconditionnel – indique d’abord que la personne soupçonnée doit être informée qu’elle a le droit de ne pas s’auto-incriminer, c’est-à-dire de se taire, ensuite qu’elle a le droit de faire appel à un avocat. Or, monsieur le rapporteur, dans votre rédaction, ces deux droits sont confondus.
Pour ma part, je préfère de loin la rédaction proposée au travers de l’amendement n° 68, qui, si elle ne règle peut-être pas tout, présente au moins l’avantage de distinguer nettement le droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit de s’entretenir avec un avocat.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, je ne vois pas du tout pourquoi il nous serait interdit de reprendre dans la loi les termes de la jurisprudence de la CEDH.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si ! Sa rédaction est en outre beaucoup moins ambiguë que celle qui nous est proposée, car elle implique clairement la nullité de la procédure si l’incrimination se fonde sur des déclarations faites sans que la personne en cause ait eu la possibilité de bénéficier de l’assistance d’un avocat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela étant, vous préférez à l’évidence rester dans l’ambiguïté, en abordant les problèmes sans avoir une réelle volonté de les régler.
M. Jean-Pierre Michel. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ne tournons pas autour du pot : l’auto-incrimination ou le fait d’avoir prononcé des aveux, pour dire les choses autrement, est déterminant pour toute la suite de la procédure, et vous tenez à ce qu’il en soit ainsi ! Reconnaissez-le franchement !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
Article 1er
Après l’article 62-1 du même code, sont insérés cinq articles 62-2 à 62-6 ainsi rédigés :
« Art. 62-2. – (Supprimé)
« Art. 62-3. – La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.
Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;
« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.
« Art. 62-4. – (Supprimé)
« Art. 62-5. – La garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République, sans préjudice des prérogatives du juge des libertés et de la détention prévues aux articles 63-4-2, 706-88, 706-88-1 et 706-88-2 en matière de prolongation de la mesure au-delà de la quarante-huitième heure et de report de l’intervention de l’avocat. Le procureur de la République compétent est celui sous la direction duquel l’enquête est menée et celui du lieu d’exécution de la garde à vue.
« Ce magistrat apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre.
« Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue.
« Il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté.
« Art. 62-6. – (Supprimé) »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En présentant, dans un premier temps, une définition de la garde à vue et une série de conditions régissant le recours à celle-ci, l’article 1er donne l’illusion d’une avancée significative. Mais en confiant, dans un second temps, le contrôle de la garde à vue au procureur de la République, il témoigne de votre obstination, monsieur le garde des sceaux…
L’article 1er, en énumérant les conditions du placement en garde à vue, semble dresser un rempart contre d’éventuels abus de pouvoirs, ce qui peut de prime abord paraître satisfaisant. Mais une mise en perspective permet vite de se rendre compte qu’il s’agit d’un simple trompe-l’œil. En effet, l’objectif affiché est de « maîtriser le nombre des gardes à vue, en constante augmentation depuis plusieurs années ». Dans cette optique, la limitation du champ d’application de cette mesure aux seules infractions punies d’une peine d’emprisonnement est présentée comme une innovation majeure. Mais cette affirmation est fallacieuse, dans la mesure où les infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement sont très peu nombreuses.
De plus, n’oublions pas que l’application de la théorie des apparences permettra aisément de valider le recours à une garde à vue lorsque, au moment des faits, les circonstances rendaient vraisemblable la commission d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement.
Ainsi, à la lecture des premiers alinéas de l’article 1er, on constate que « la maîtrise du nombre de garde à vue » souhaitée est bien loin d’être acquise et que les libertés individuelles, auxquelles nous sommes attachés, n’en ressortent malheureusement pas renforcées.
Quant aux derniers alinéas de l’article, ils démontrent votre obstination, monsieur le garde des sceaux.
Lors de la tenue de la conférence annuelle des bâtonniers, le 28 janvier dernier, vous avez réaffirmé votre position sur la question du contrôle des gardes à vue par le parquet. Vous avez alors indiqué à une assemblée experte en la matière que votre lecture des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation était la bonne. Si vous êtes parvenu à vous persuader que le texte, en l’état, est conforme à l’ensemble des principes rappelés dans ces décisions, force est de constater que vous ne réussissez pas à en convaincre vos interlocuteurs.
Vous vous obstinez néanmoins dans votre choix de confier le contrôle de la garde à vue au parquet, lequel serait, selon vous, une autorité judiciaire indépendante et impartiale, quoi qu’en pense la Cour de Strasbourg. Aux termes des arrêts Medvedyev c. France et Moulin c. France, ce contrôle devrait être confié à un juge du siège. Que la chancellerie l’accepte ou non, le message est parfaitement clair ! Il n’est pas satisfaisant que le contrôle de la garde à vue soit laissé, pour les premières quarante-huit heures, au procureur de la République.
Avec le soutien des magistrats et des avocats, nous continuerons à porter ce combat, car il est pour nous déroutant que le procureur de la République, pourtant partie au procès, puisse être le garant des droits reconnus à la personne gardée à vue.
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
contrainte
Insérer le mot :
exceptionnelle
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. le rapporteur l’a souligné, la très forte augmentation du nombre des gardes à vue au cours des dix dernières années ne permet plus d’éluder la question d’un recours abusif à cette mesure.
En effet, il a été trop longtemps abusivement recouru au placement en garde à vue, qui est une mesure privative de liberté. Les chiffres le montrent, même si on a essayé de nous faire croire qu’ils étaient faux, alors que M. le garde des sceaux et l’ex-ministre de l’intérieur en ont eux-mêmes fait état.
L’augmentation du nombre des gardes à vue est, à nos yeux, la conséquence de la mise en œuvre d’une politique du chiffre qui perdure depuis trop longtemps et qui a immanquablement conduit à une banalisation de cette mesure. Sous les pressions sécuritaires, le nombre des gardes à vue est devenu un indicateur de performance, ce que dénoncent d’ailleurs les représentants d’un syndicat de policiers que nous avons, contrairement à vous, auditionnés.
Nous souhaitons donc que soit indiqué de manière plus explicite que la garde à vue est une mesure de contrainte exceptionnelle, afin que chacun prenne bien conscience de sa gravité. L’article préliminaire du code de procédure pénale, qui dispose que les mesures de contrainte doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, doit trouver ici une pleine application.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Madame Borvo Cohen-Seat, la portée normative de votre amendement est très limitée.
Le texte de l’article me paraît mieux rédigé en l’état. En effet, son alinéa 4 prévoit que la garde à vue « doit constituer l’unique moyen » – cela est très clair – d’atteindre l’un au moins des six objectifs énumérés ensuite.
La commission émet donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement partage tout à fait l’avis de la commission.
Pour la première fois, la garde à vue sera clairement définie, et la loi fixera des limites précises au champ d’application de cette mesure. C’est là, me semble-t-il, l’apport majeur de cet article. Préciser que la garde à vue est une mesure de contrainte « exceptionnelle » n’apporterait rien, car il va de soi que nous souhaitons mettre un terme à la banalisation de la garde à vue constatée depuis quelques années. À cette fin, il me paraît plus efficace d’inscrire dans la loi une définition précise de cette mesure que d’ajouter des adjectifs dénués de portée normative.
Dans cet esprit, je vous invite, madame la sénatrice, à retirer votre amendement et à vous rallier au texte de la commission des lois.
M. le président. L'amendement n° 104 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
de l’autorité judiciaire
par les mots :
du juge des libertés et de la détention
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Dans le droit fil des très pertinentes observations de M. Badinter, nous souhaitons que l’officier de police judiciaire qui décide le placement en garde à vue soit placé sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.
La difficulté tient à la définition de l’autorité judiciaire. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la réponse est claire : la notion autonome de magistrat, dont découle celle d’autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, est garantie à la fois par l’impartialité et par l’indépendance à l’égard de l’exécutif. Toujours selon la CEDH, le statut du parquet français ne remplit pas cette seconde condition, comme elle l’a rappelé très clairement dans l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010.
Dans ces conditions, la référence à l’autorité judiciaire comme autorité de contrôle de la garde à vue est clairement insuffisante. En outre, comment le parquet pourrait-il exercer un contrôle sur quelque 800 000 gardes à vue ? Nous savons tous ce qu’il en est à cet égard…
L’article préliminaire du code de procédure pénale dispose que « les mesures de contrainte dont [une] personne peut faire l’objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire ».
Or, pour le Gouvernement, le parquet est une autorité judiciaire. Mais c’est bien parce que le parquet est placé sous l’autorité hiérarchique de la chancellerie qu’il est à nos yeux impossible qu’il puisse contrôler la garde à vue. Ce contrôle ne saurait, en effet, se limiter aux seules nécessités de l’enquête ; il doit aussi concerner l’appréciation du respect de l’indispensable équilibre entre l’action des forces de l’ordre et les droits de la personne privée de liberté. Or, comme l’a rappelé M. Badinter, le procureur de la République est, par définition, partie à l’enquête. C’est bien ce qu’a jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre 2010, aux termes duquel c’est à tort que la chambre d’instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, alors qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu’il est partie poursuivante. (M. le garde des sceaux s’exclame.) Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Cour de cassation !
De ce fait, il nous apparaît primordial de confier au juge des libertés et de la détention le contrôle de l’ensemble de la mesure, sans préjudice des autres prérogatives du procureur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut tout lire ! Ne tronquez pas le texte !
M. Jacques Mézard. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a posé dans sa décision du 30 juillet 2010 que « l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet ». La situation actuelle est donc très ambiguë. Le présent amendement a pour objet de permettre d’en sortir, grâce à une clarification.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Sur ce point très important du contrôle du début de la garde à vue, deux conceptions s’opposent, sachant que la question est réglée au-delà de la quarante-huitième heure : c’est le juge qui exerce alors le contrôle.
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. François Zocchetto, rapporteur. Qui doit intervenir au début de la garde à vue : la police, un magistrat du parquet ou un magistrat du siège ? Dans beaucoup de pays européens, c’est la police, parfois même au-delà de la quarante-huitième heure ; en France, c’est un magistrat qui exerce le contrôle dès le placement en garde à vue. Il y a tout lieu de se réjouir, me semble-t-il, que dans notre pays ce soit un membre de l’autorité judiciaire qui assure le contrôle de cette mesure de privation de liberté qu’est la garde à vue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. François Zocchetto, rapporteur. Les jurisprudences évoquées n’exigent pas du tout qu’un juge intervienne dès le début de la garde à vue.
Le système français fixe un cadre protecteur que nous proposons de maintenir ; en conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne me lasserai pas de répondre à M. Mézard, car je suis sûr qu’au fond de lui-même, il est déjà presque convaincu ! (M. Jacques Mézard rit.)
Il faut toujours interpréter les textes potius ut valeant quam ut pereant, c’est-à-dire de façon qu’ils aient un sens plutôt qu’ils n’en aient point. (Sourires.) Livrons-nous donc à ce petit exercice.
La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire sous le contrôle de l’autorité judiciaire, cette dernière étant composée, aux termes de la Constitution, de magistrats du siège et de magistrats du parquet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010.
Le texte, tel qu’il est rédigé, précise que c’est d’abord le procureur qui intervient, au cours des quarante-huit premières heures de la garde à vue, puis un magistrat du siège. Ces deux magistrats appartiennent bien à l’autorité judiciaire.
La lecture de l’arrêt rendu le 15 décembre 2010 par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire Creissen montre parfaitement que nous nous conformons à la position des hauts magistrats de ce pays : le procureur de la République n’est pas, n’a jamais été et ne prétend pas être une autorité judiciaire indépendante au sens de l’article 5-3 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais le fait qu’il dirige la garde à vue durant les premières heures n’a pas pour conséquence de rendre illégale cette dernière. En effet, l’arrêt n’encourt pas la censure dès lors que le demandeur a été libéré à la suite d’une privation de liberté d’une durée compatible avec l’exigence de brièveté imposée par le texte conventionnel.
J’ai veillé à ce que la rédaction de la disposition soumise à la Haute Assemblée respecte parfaitement l’arrêt en question de la chambre criminelle de la Cour de cassation, ainsi que les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la CEDH. Nous avons consenti de gros efforts à cette fin ! Le procureur, membre de l’autorité judiciaire, interviendra durant les premières heures de la garde à vue, et le juge des libertés et de la détention à partir de la quarante-huitième heure. Dans les deux cas, c’est toujours l’autorité judiciaire qui exerce le contrôle.
Je conclurai, monsieur Mézard, sur l’indépendance du parquet. J’entends fréquemment dire que le parquet est soumis au garde des sceaux et que, par conséquent, les procureurs lui obéissent.
Peut-être suis-je un peu naïf, voire benêt, mais depuis que j’occupe les fonctions de garde des sceaux, je n’ai pas encore vu un procureur qui m’obéisse ! D’ailleurs, je ne leur ai jamais rien demandé, sinon d’appliquer la loi.
J’observe que c’est sous un gouvernement issu de la même majorité qu’aujourd’hui, dont le garde des sceaux était d’ailleurs centriste, que l’autonomie des magistrats, spécialement celle des membres du parquet, a progressé. C’est en effet M. Méhaignerie qui, en 1993, a défini comment s’exerçait l’autorité de l’exécutif sur le parquet : le ministre de la justice peut adresser des instructions générales aux procureurs généraux ; dans des affaires particulières, il peut, s’il le souhaite, donner des instructions écrites, qui sont versées au dossier. Je m’inscris pleinement dans cette lignée.
Les procureurs de la République ont toute latitude lorsqu’ils mènent l’action publique. La seule règle est l’obéissance à la loi. Cette règle, tous les magistrats de ce pays la respectent, c’est pourquoi je les défends toujours quand ils sont attaqués. Ils appliquent la loi telle que le Parlement l’a votée, dans toute sa rigueur et son exigence.
M. Robert Badinter. Tous les gardes des sceaux ne les ont pas défendus ainsi, hélas ! Ils sont sans cesse attaqués !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Le Président de la République est un spécialiste !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ils ont été attaqués, vous le savez bien, de tout temps et sous tous les gouvernements. Malheureusement, monsieur Badinter, ni vous ni moi ne sommes des perdreaux de l’année ! Nous avons exercé des responsabilités, nous connaissons bien la réalité des choses. J’assume parfaitement les propos que je viens de tenir, et je suis sûr que toutes ces explications auront convaincu M. Mézard de retirer son amendement ! Dans l’hypothèse contraire, je serais contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, vos efforts sont louables, mais même l’amendement de M. Mézard est insuffisant…
En effet, cet article, qui prévoit que la garde à vue est une mesure de contrainte décidée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, introduit une ambiguïté fondamentale, car si l’autorité judiciaire est certes constituée des magistrats du parquet et des magistrats du siège, il faudrait indiquer d’emblée que la garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire, sur l’autorisation du parquet et sous le contrôle du juge.
M. Jean-Pierre Michel. D’ailleurs, aux termes de l’alinéa 13 de l’article, le procureur de la République « apprécie » si le maintien de la personne en garde à vue et la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits. Or apprécier, c’est juger ! Le procureur de la République est-il donc un juge ? Vous dites vous-même que non ! Nous sommes en pleine confusion ! Le procureur de la République n’a rien à apprécier : il a autorisé initialement la garde à vue, c’est tout !
Il faut en revenir à ce qu’est véritablement la garde à vue. Dans son traité de droit pénal, Émile Garçon écrivait que la garde à vue, c’est la prise de corps par la police, rien d’autre ! Ensuite, c’est le juge qui intervient.
Dans ces conditions, bien que l’amendement de M. Mézard constitue une avancée, je pense qu’il est insuffisant. Il faut indiquer d’emblée que la garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire, sur l’autorisation du procureur, et placée sous le contrôle d’un juge du siège.
Il faut sortir de l’ambiguïté que j’ai soulignée, tout le reste n’est que littérature ! Vous aurez beau invoquer toutes les jurisprudences possibles ou triturer les déclarations de la Cour européenne des droits de l’homme en expliquant qu’elles sont mal traduites de l’anglais, vous ne pourrez échapper à cette réalité !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Excellent !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Si j’ai bien compris les explications de notre collègue Jean-Pierre Michel, mon amendement est finalement plutôt centriste, monsieur le ministre… (Sourires.) Je m’étonne donc que vous n’y souscriviez pas ; son adoption permettrait pourtant d’atteindre cet équilibre auquel vous prétendez aspirer.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit ne pas être un perdreau de l’année ; pour ma part, je ne suis pas un pigeon. (Nouveaux sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça vole haut, dites donc !
M. Jacques Mézard. Je crois vraiment, monsieur le ministre, qu’il s’agit là d’un problème de fond. Deux conceptions s’affrontent ici : vous voulez continuer à donner à la partie poursuivante…
M. Jacques Mézard. … un avantage, ce qui signifie très clairement que, contrairement à nous, vous ne voulez pas d’un procès équitable.
Je n’épiloguerai pas sur l’indépendance du parquet. Nous savons qu’une immense majorité de parquetiers accomplissent en toute indépendance leur difficile mission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est bien de le souligner !
M. Jacques Mézard. Cela étant, monsieur le garde des sceaux, vous nous affirmez que vous ne donnerez jamais d’instructions au parquet,…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’ai dit que je n’en n’avais jamais donné, pas que je n’en donnerai jamais !
M. Jacques Mézard. … mais j’observe que vous aviez dit le contraire, d’ailleurs avec fermeté, en prenant vos fonctions ! Relisez vos déclarations de l’époque ! Cela dit, c’est votre droit, vous assumez votre fonction politique. En revanche, personne ne vous croira si vous dites qu’il n’y a jamais eu d’instructions dans des dossiers sensibles et que le parquet est totalement indépendant !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage le point de vue de M. Michel, mais je voterai néanmoins l’amendement de M. Mézard.
Vous entretenez la confusion à dessein, monsieur le garde des sceaux,…
M. Jean-Pierre Michel. Un mauvais dessein !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … mais nous ne sommes pas dupes !
La notion d’autorité judiciaire est nécessairement ambiguë en droit français, puisqu’elle recouvre à la fois les magistrats du siège et les magistrats du parquet. Tout le monde le sait, et il n’est nullement besoin d’épiloguer sur ce point.
La difficulté tient au fait que, dans la procédure que vous entendez perpétuer, c’est la partie poursuivante qui est chargée d’exercer le contrôle de la garde à vue. Là est l’ambiguïté ! Elle n’existe pas dans d’autres pays, où l’enquête est dirigée par un fonctionnaire, qui n’appartient donc pas à l’autorité judiciaire, à laquelle est confié le contrôle de la garde à vue.
En pratique, dans notre pays, l’officier de police judiciaire demande au procureur d’autoriser la garde à vue. Ce dernier donne son autorisation en se fiant aux seuls dires de l’OPJ, sans rien vérifier du tout. Par conséquent, tout se passe entre les deux personnes qui dirigent l’enquête : elles sont supposées contrôler en outre la garde à vue !
M. Michel Mercier, garde des sceaux, et M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est précisément ce qui est reproché à notre procédure ! Cessez donc de prétendre que nous comprenons mal les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ou ce que recouvre la notion d’indépendance du parquet !
Nonobstant toutes les critiques formulées tant dans notre pays par les tenants d’un contrôle par un juge du siège que hors de nos frontières, vous persistez à vouloir confier le contrôle d’une mesure privative de liberté à ceux-là mêmes qui mènent l’enquête. Ce n’est pas ainsi que vous garantirez des droits aux personnes gardées à vue !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Il est beaucoup question, à l’heure actuelle, de conflits d’intérêts : en voilà un !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Alain Anziani. Il est tout de même extraordinaire que personne ne le relève ! En l’occurrence, il y a conflit d’intérêts dans la mesure où le procureur a la double fonction de poursuivre et de garantir les droits de la personne poursuivie.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Alain Anziani. C’est là toute l’ambiguïté du texte ! C’est ce point qui achoppera devant la Cour européenne des droits de l’homme. Si la mission du procureur est de poursuivre, il ne peut pas dans le même temps contrôler le respect des droits de la personne poursuivie. Il faut mettre un terme à ce conflit d’intérêts !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est transparent !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tous les arguments méritent d’être entendus, mais je ne vois pas en quoi le fait d’être chargé d’exercer un contrôle entraînerait un conflit d’intérêts ! Sinon, il serait impossible d’assumer certaines fonctions.
Monsieur Mézard, j’ai apprécié que vous ayez quelque peu corrigé vos propos sur les procureurs.
De mon point de vue, il est plutôt positif que les parquets contrôlent les conditions de la garde à vue. D’ailleurs, s’ils exerçaient davantage cette mission, peut-être aurions-nous évité depuis longtemps que de telles mesures soient prononcées en aussi grand nombre, car les officiers de police judiciaire seraient tenus de justifier les demandes d’autorisation de placement en garde à vue qu’ils présentent. Si ce contrôle n’est pas toujours satisfaisant – je connais des procureurs qui sont extrêmement vigilants –, sans doute est-ce dû à un manque de moyens. Mon cher collègue, vous le savez bien, si le contrôle était confié au juge, il faudrait opérer une restructuration complète de l’ensemble du système.
Concernant la garde à vue, il s’agit d’assurer un contrôle par un magistrat, car les libertés publiques sont en jeu. Nous réaffirmons ce principe, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Les dispositions du texte constituent à mes yeux une avancée, contrairement à ce que certains disent. Simplement, monsieur le garde des sceaux, je souhaite qu’elles trouvent une traduction dans la réalité et que les parquets assument complètement leur mission de contrôle sur les gardes à vue décidées par les officiers de police judiciaire.
Quand nous aurons atteint cet objectif, je peux vous garantir que ce sera un grand progrès au regard des libertés publiques. Les magistrats ont le sens de ces dernières ; les officiers de police judiciaire aussi, en principe, mais il faudrait peut-être améliorer la formation de certains d’entre eux sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. La garde à vue, madame Borvo Cohen-Seat, est décidée non par le procureur, comme vous l’avez affirmé tout à l’heure, sans doute par mégarde, mais par l’officier de police judiciaire, sous le contrôle du procureur. Cela est très clair.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela m’a échappé !
M. François Zocchetto, rapporteur. Évidemment, si le procureur décidait la garde à vue, on voit mal comment il pourrait aussi la contrôler.
Quant à la question de savoir si le contrôle devrait être assuré par un juge – qui ne pourrait être que le juge des libertés et de la détention – dès le début de la garde à vue, j’indiquerai simplement que nous nous sommes longuement interrogés sur ce point. Nous avons pesé les avantages et les inconvénients respectifs des différentes options : comme l’indique mon rapport, il est plus avantageux, notamment en termes de délais de procédure et de garanties, de confier le contrôle au procureur.
L’observation du travail des parquets sur le terrain, dans des juridictions de tailles extrêmement variées, m’a plutôt rassuré. J’ai également recueilli sur ce point l’avis d’un certain nombre d’avocats : en règle générale, ils ne se plaignent pas du contrôle exercé par le parquet. Pour des raisons théoriques, certains voudraient que cette fonction soit confiée au juge, mais je crois pouvoir dire que, en pratique, les choses se passent plutôt bien.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 69, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
par les mots :
un ou plusieurs indices laissant présumer
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 69 est retiré.
L'amendement n° 105 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
plausibles
par le mot :
sérieuses
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’alinéa 3 de l’article 1er prévoit que « la garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judicaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ».
Compte tenu de sa nature, la garde à vue doit rester une mesure exceptionnelle. Ce principe est fondamental, mais, pour l’heure, avec quelque 800 000 gardes à vue par an, il n’est guère respecté… Dans cette perspective, il nous semble préférable de prévoir que les raisons de soupçonner la personne devront être « sérieuses », l’adjectif « plausibles » ne paraissant pas assez fort. Il renvoie au champ lexical du vraisemblable, sinon du possible. À l’évidence, ce n’est pas suffisant pour garantir que le placement en garde à vue aura bien un caractère exceptionnel, surtout si le texte devait être adopté en l’état, c’est-à-dire si le recours à cette mesure devait être autorisé pour toute infraction passible d’une peine d’emprisonnement.
Nous souhaitons renforcer les critères de la garde à vue, sans toutefois faire peser de contraintes excessives sur les enquêteurs. Il nous apparaît donc indispensable que la garde à vue ne puisse être décidée qu’au vu d’éléments suffisamment sérieux, en d’autres termes beaucoup plus importants que ce que prévoit aujourd’hui le texte.
Certes, l’adjectif « plausible » figure aussi dans la loi Lebranchu de 2002 ou à l’article 5, paragraphe 1 c), de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais nous rappelons que le paragraphe 3 de ce même article 5 de ladite convention précise bien qu’une personne détenue dans ces conditions « doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ».
Or, en l’état, l’article 1er du projet de loi confie au procureur de la République le contrôle de la garde à vue, alors que la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Moulin c. France du 23 novembre dernier, a dit que le procureur ne pouvait être considéré comme un « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
Dans ces conditions, il nous paraît important de relever le niveau des critères du placement en garde à vue.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. C’est en 2002 que nous avons adopté la terminologie en question.
Nous avons bien fait de retenir cette formulation, puisque la notion de raisons plausibles figure à l’article 5, paragraphe 1 c), de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg a donné à cette notion un sens très précis : « Les soupçons sont plausibles lorsque les faits ou les renseignements sont propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir commis l’infraction. »
Je trouve pour ma part très sécurisant de conserver une notion qui non seulement a fait ses preuves au regard de la jurisprudence française, mais est de plus adossée à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Je remercie M. Anziani d’avoir retiré son amendement,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dommage !
M. François Zocchetto, rapporteur. … et je suggère à M. Mézard d’en faire autant. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage tout à fait l’avis de M. le rapporteur, et je joins ma voix à la sienne pour prier M. Mézard de retirer son amendement, même si je connais déjà sa réponse !
M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 105 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Si le terme « plausibles » était efficace, 800 000 gardes à vue n’auraient pas été décidées l’an dernier dans notre pays… Par réalisme, je maintiens l’amendement.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 16 rectifié est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 106 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Après les mots :
d'une peine
insérer les mots :
supérieure ou égale à trois ans
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 16 rectifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout le monde semble souhaiter une diminution du nombre des gardes à vue, celles-ci ayant concerné, en 2008, 1 % de la population…
Cette dérive tout à fait inquiétante tient, bien entendu, à l’aggravation des sanctions pénales et au contexte politique, caractérisé par un discours sécuritaire et la mise en œuvre d’une politique du chiffre.
Dans ce contexte légal et politique, la rédaction du projet de loi ne nous semble pas suffisante pour atteindre l’objectif affiché par le Gouvernement, et partagé par tous, de réduire le nombre des gardes à vue.
Je voudrais plus particulièrement m’attarder sur la condition définie à l’article 62-3 du code de procédure pénale, qui prévoit que, pour pouvoir être placée en garde à vue, la personne doit être « soupçonnée d’avoir commis un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ».
Comme le note très justement le Syndicat de la magistrature, cette disposition, présentée par le Gouvernement comme un gage de réduction du nombre des gardes à vue, aura en réalité une portée très limitée. En effet, seules 7 % des condamnations délictuelles prononcées le sont pour des infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement. Force est donc de constater que le nombre de procédures concernées est minime ! D’ailleurs, les officiers de police judiciaires appliquent déjà cette règle dans la pratique.
Nous proposons de relever à trois ans le quantum de peine en deçà duquel il est impossible de placer une personne en garde à vue. Nous sommes parfaitement conscients des éventuels effets pervers que pourrait avoir l’instauration d’un tel seuil, eu égard notamment à la possibilité de voir rehausser, à terme, les peines encourues pour certaines infractions ou encore de constater un recours systématique à une « surqualification de la peine ».
Nous sommes également tout à fait conscients de l’inadaptation de l’échelle des peines, compte tenu de l’aggravation sécuritaire, qui a entraîné un alourdissement des peines sanctionnant divers délits, tels que l’occupation d’un hall d’immeuble, désormais susceptible de déboucher sur un emprisonnement… En revanche, il est vrai que d’autres infractions n’ont pas donné lieu à la même évolution, sans doute en raison d’un manque de visibilité médiatique.
Quoi qu’il en soit, l’instauration d’un tel seuil nous paraît être le moyen le plus efficace d’obtenir une diminution significative du nombre des gardes à vue, sans que cela nuise aucunement aux enquêtes.
En adoptant cet amendement, le Sénat enverrait un véritable message et montrerait qu’il est attaché à faire de la garde à vue une mesure de contrainte exceptionnelle. Pour l’heure, une peine d’un an de prison pouvant s’appliquer à toutes sortes de délits, la garde à vue ne saurait être une mesure d’exception.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 106 rectifié.
M. Jacques Mézard. Cet amendement est extrêmement important.
Je regrette que la commission ait suivi le Gouvernement, car prévoir la possibilité de placer en garde à vue toute personne soupçonnée d’avoir commis un délit puni d’une peine d’emprisonnement, quelle que soit sa durée, contredit complètement l’objectif affiché au travers de ce projet de loi.
Une nouvelle fois, vous marchez à reculons,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En crabe !
M. Jacques Mézard. … au lieu d’adopter une vision prospective, innovante du droit pénal.
M. le rapporteur nous a affirmé que si l’on fixait le seuil à trois années d’emprisonnement, il ne pourrait pas y avoir de placement en garde à vue dans le cas de certaines atteintes sexuelles. Je pourrais tirer du code pénal des exemples d’infractions réprimées par des peines d’emprisonnement de cinq ans ou plus qui feraient sourire notre assemblée… Je pense en particulier aux jeux, à la pêche maritime et à bien d’autres domaines encore. Il faudrait revoir tout cela, car une telle échelle des peines n’a plus guère de sens.
En tout cas, considérer que le placement en garde à vue doit être possible quel que soit le quantum de la peine d’emprisonnement encourue, ce n’est pas aller dans le sens de la décision du Conseil constitutionnel et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
En effet, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel avait fondé la censure des articles 62, 63-1 et autres du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue sur le fait que l’évolution de la pratique avait contribué à en banaliser l’usage, de telle sorte que la procédure était devenue déséquilibrée au détriment de la personne gardée à vue. Il avait notamment relevé que la garde à vue pouvait être prolongée sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité.
Nous sommes vraiment là au cœur du débat.
Monsieur le ministre, si vous voulez réellement réduire le nombre des gardes à vue, dont l’augmentation est devenue intolérable et va à l’encontre d’une bonne administration de la justice, ce n’est pas en refusant de fixer un seuil de peine encourue que vous y parviendrez.
Il est illusoire d’affirmer que limiter la garde à vue aux seules infractions passibles d’emprisonnement en fera diminuer le nombre. Nous savons tous que seuls 7 % des délits ne sont pas punis d’emprisonnement et qu’il s’agit d’infractions mineures, comme les outrages les moins graves ou le défaut d’assurance. Il s’agit donc d’être raisonnables, tout simplement.
Quand M. le rapporteur nous dit que fixer un quantum de peine risquerait d’entraîner un développement sans frein du recours à la prétendue audition libre prévue à l’article 11 bis, il nous fait un aveu : s’il soutient cet argument irrecevable, cela signifie que, hors de la garde à vue, il n’existe aucune garantie pour les personnes mises en cause ni aucun respect de la liberté individuelle.
Dans l’intérêt général, dans l’intérêt des forces de l’ordre et dans celui de la justice, il convient d’aller dans le sens que nous proposons, car c’est le sens de la mesure, monsieur le garde des sceaux. Puisque vous entendez être un homme d’équilibre et de mesure, suivez-nous sur ce point !
M. le président. L'amendement n° 71, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
d'emprisonnement
par les mots :
égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement ou, en cas de délit flagrant, d'une peine égale ou supérieure à un an d'emprisonnement
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Nous sommes sans doute tous d’accord sur le principe que la garde à vue, mesure privative de liberté, doit être proportionnée à la gravité des faits. Cependant, il convient de déterminer comment nous déclinons ce principe. Dans certains pays, des seuils de peine d’emprisonnement ont été fixés : deux ans en Italie, cinq ans en Espagne, par exemple. C’est une possibilité.
Vous faites d’ailleurs un pas modeste dans cette voie, puisque, aux termes du droit actuel, on peut être placé en garde à vue sans même qu’une peine d’emprisonnement soit encourue. Toutefois, ce n’est pas suffisant, dans la mesure où il est peu d’infractions qui ne soient pas punies d’une peine d’emprisonnement.
Par conséquent, il nous semble souhaitable de prévoir un seuil. Nous proposons de le fixer à trois ans, par cohérence avec le seuil en vigueur en matière de détention provisoire, ou à un an en cas de flagrant délit. Certes, je ne nie pas que la fixation d’un tel seuil puisse entraîner des effets pervers, évoqués par M. le rapporteur, mais ceux-ci sont sans doute liés à l’inadaptation de l’échelle des peines, qu’il conviendrait de revoir. Cela n’est pas simple, je le concède, mais c’est une nécessité au regard de la rationalité de l’ensemble de notre code pénal. En tout cas, il ne faut pas, au nom de cette difficulté, tourner le dos au principe de proportionnalité.
M. le président. L'amendement n° 99 rectifié quinquies, présenté par MM. Vial et Houel, Mme B. Dupont, MM. J. Gautier, Milon, Cléach et Dulait, Mme Lamure, MM. Doublet, Laurent, Portelli, Doligé, Bernard-Reymond, Hérisson, Leclerc, B. Fournier, Trillard, Gouteyron et Alduy et Mme Papon, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3
Après le mot :
emprisonnement
insérer les mots :
d’une durée supérieure ou égale à trois ans
II. - Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Toutefois elle peut être décidée quelle que soit la durée de la peine en cas de flagrant délit contre les personnes ou les biens.
La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Je relève que, en 2004, le Conseil constitutionnel avait jugé les mêmes dispositions parfaitement conformes à la Constitution. C’est l’évolution de la politique pénale et l’augmentation exponentielle du nombre des gardes à vue qui l’ont amené depuis à changer d’avis…
M. Hugues Portelli. D’ailleurs, cette évolution a eu pour effet pervers qu’il a fallu plus que doubler le nombre d’officiers de police judiciaire, au point parfois d’accorder cette qualification à des gens qui n’avaient pas forcément reçu toute la formation nécessaire, y compris juridique, pour exercer la prérogative qui leur était octroyée.
Un vrai problème se pose donc. Ces amendements visent à garantir une diminution drastique du nombre des gardes à vue. On sait très bien que, de toute façon, une grande partie des personnes placées en garde à vue sont finalement relaxées, après avoir néanmoins subi une situation extrêmement dommageable. Atteindre cet objectif permettrait, parallèlement, de réduire le nombre des officiers de police judiciaire.
M. le rapporteur nous a très brillamment objecté, en commission, que le code pénal est fait – ou défait ! – de telle manière que l’échelle des peines est en fait assez arbitraire et que, parfois, des peines d’emprisonnement assez légères sanctionnent des infractions relativement graves, et inversement.
Mais là n’est pas le problème : cette loi devra être appliquée, or elle ne pourra l’être si nous ne fixons pas un seuil. Si le nombre des gardes à vue demeure élevé, les personnes concernées seront accueillies dans des lieux inadaptés, car on sait très bien que l’on n’aura jamais le temps de remettre aux normes tous les locaux de garde à vue. Des procédures seront alors annulées, et des recours seront formés devant la Cour de cassation, qui sera obligée d’appliquer la jurisprudence de la CEDH, beaucoup plus dure que celle du Conseil constitutionnel, lequel avait accordé au législateur un délai pour des considérations d’ordre public…
Nous pourrions alors nous trouver dans la situation où une loi votée par le Parlement et déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel serait sanctionnée par la Cour de cassation !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Aujourd’hui, on peut être placé en garde à vue pour toutes sortes d’infractions, sauf en cas d’enquête de flagrance. La garde à vue peut ainsi être décidée pour des contraventions, pour toutes sortes de délits qui ne sont pas susceptibles d’être sanctionnés par une peine d’emprisonnement.
Le texte qui vous est soumis introduit deux limites importantes.
En premier lieu, il exclut du champ de la garde à vue toutes les infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement.
Mme Virginie Klès. Il n’y en a pas beaucoup !
M. François Zocchetto, rapporteur. Et les contraventions ?
Mme Virginie Klès. Les personnes concernées sont mises en garde à vue ?...
M. François Zocchetto, rapporteur. Dans un certain nombre de cas, oui, malheureusement !
En second lieu, le texte prévoit que la prolongation de la garde à vue ne sera possible que si la personne encourt une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à un an.
Cette double restriction introduite par le texte constitue un changement considérable.
Comme je l’ai déjà dit en commission et à la tribune, si nous suivions les auteurs des amendements, la fixation d’un seuil écarterait de la garde à vue des infractions qui présentent un caractère de réelle gravité et qui peuvent justifier une telle mesure.
Ainsi, sont punis de moins de trois ans d’emprisonnement et seraient donc exclus du dispositif de la garde à vue les atteintes sexuelles sur un mineur de plus de 15 ans commises par un ascendant ou une personne ayant autorité, les atteintes à la vie privée, la soustraction des parents à leurs obligations légales, le harcèlement sexuel ou moral, la mise en danger de la vie d’autrui, les propositions sexuelles à un mineur par internet, les infractions liées aux dérives du bizutage, les atteintes au respect dû aux morts, le délit de fuite, les destructions ou dégradations d’un bien appartenant à autrui, ainsi qu’un certain nombre de délits d’outrage. Convenez que cela mérite réflexion, d’autant que cette liste n’est pas exhaustive !
Par ailleurs, fixer un seuil de trois ans d’emprisonnement entraînerait obligatoirement une diminution des droits des personnes mises en cause. En effet, en l’absence de garde à vue, l’avocat n’interviendrait plus. On assisterait à un développement des auditions libres, dont vous ne voulez pas plus que moi.
Mme Nathalie Goulet. Je n’en suis pas sûre !
M. Jean-Pierre Michel. C’est un sophisme !
M. François Zocchetto, rapporteur. Si l’amendement n° 67, que nous avons examiné précédemment et qui visait à prévoir que toute personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction ne pourrait être interrogée sans avoir eu la possibilité de s’entretenir avec un avocat ou d’être assistée par lui, avait été adopté, la garde à vue aurait pu être réservée à un nombre limité d’infractions. Mais, dès lors qu’il n’a pas été voté,…
M. Jean-Pierre Michel. Et pour cause !
M. François Zocchetto, rapporteur. … l’adoption des amendements en discussion aurait pour effet de restreindre les droits des personnes mises en cause.
Au terme d’échanges nourris, la commission a donc émis un avis défavorable sur ces quatre amendements.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes le roi du sophisme !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage l’objectif des auteurs de ces amendements, qui est de diminuer fortement le nombre des gardes à vue. Sur ce point, nous sommes tous d’accord.
En revanche, nous divergeons sur la méthode à employer pour y parvenir. Comme l’a dit M. Badinter lors de la discussion générale, tout est affaire de proportionnalité, et le procureur aura la responsabilité de veiller à ce que la mesure soit proportionnée à la gravité des faits. Il devra décider au cas par cas s’il est ou non justifié de recourir à la garde à vue, car il n’y a pas de règle générale, pas d’automaticité en la matière. C’est bien pour cette raison que le procureur doit exercer un contrôle effectif sur les motifs de la décision de placement en garde à vue, comme l’a souligné M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Fixer un quantum de peine ne serait pas compris par la population, qui n’admettrait pas que, de façon générale et absolue, il ne soit pas possible de placer en garde à vue les auteurs de faits de rébellion, d’outrages, d’exhibitions sexuelles, d’infractions à la législation sur les étrangers, de refus d’obtempérer, de violations de domicile, de délits de fuite, de délits de détention de faux documents administratifs ou de détention d’images de mineurs présentant un caractère pornographique. Il faut faire confiance au magistrat chargé de contrôler la garde à vue. Ne tombons pas dans un système automatique : chaque situation doit pouvoir être jugée in concreto !
Très honnêtement, la méthode proposée par les auteurs des amendements ne me semble pas être la bonne. Nos débats de ce soir pourront peut-être servir de base à la rédaction d’une instruction destinée à expliquer tout cela, en insistant notamment sur la notion de proportionnalité et sur l’absence d’automaticité, aux procureurs généraux, qui veilleront ensuite à ce que les procureurs chargés de contrôler les gardes à vue œuvrent dans l’esprit que je viens de définir devant la Haute Assemblée.
Au bénéfice de cet engagement, je demande aux auteurs des amendements de bien vouloir les retirer.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur les amendements nos 16 rectifié et 106 rectifié.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes nous aussi sensibles aux craintes de l’opinion publique.
Cela étant, le placement en détention provisoire n’est déjà pas possible quand la peine encourue est inférieure à trois ans d’emprisonnement. La personne concernée comparaît libre.
Par ailleurs, la plupart des infractions que vous avez citées relèvent du flagrant délit. Or, dans ce cas, notre amendement prévoit que le quantum de peine ne soit que d’un an d’emprisonnement, car les faits, commis en public, choquent la population. La garde à vue est alors possible.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Nous avons en effet le même objectif, monsieur le garde des sceaux, à savoir réduire le nombre des gardes à vue. Cependant, je ne suis pas convaincu que c’est en adressant une instruction que vous y parviendrez ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il a suffi que nous annoncions une réforme pour que l’on enregistre une diminution de 10 % !
M. Jacques Mézard. Si cela suffisait, cela aurait été fait depuis longtemps, et nous n’en serions pas là aujourd'hui !
Vous avez mis la barre trop bas, et vous le savez bien, par peur de réactions dans l’opinion publique et parmi les professionnels, alors que ceux-ci sont unanimes pour estimer que la situation est devenue inacceptable, insupportable, d’abord pour eux-mêmes.
En prévoyant, à l’article 2, que la prolongation de la garde à vue ne sera possible que si la personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à un an, vous reconnaissez implicitement que vous n’êtes pas sur le bon chemin…
M. Jacques Mézard. Vous pourriez faire un effort et envoyer un signal positif, qui témoignerait de la sincérité de votre intention de diminuer le nombre des gardes à vue.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le rapporteur, les arguments que vous avez avancés ne valent que lorsque la personne encourt une peine d’emprisonnement. Sinon, elle ne dispose pas de plus de garanties dans votre système.
Par ailleurs, dans les pays où un quantum de peine a été fixé en matière de garde à vue, les exhibitionnistes, les harceleurs sexuels et autres délinquants relevant des catégories que vous avez citées sont-ils pour autant moins punis qu’en France ?
Enfin, qu’insinuez-vous, monsieur le garde des sceaux, en invoquant les réactions de la population ? Que les délinquants ne seront pas punis s’ils n’ont pas été placés en garde à vue ? C’est de la propagande ! Il suffit d’expliquer clairement que la punition et l’emprisonnement ne sont pas liés à la garde à vue !
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le ministre, vos arguments m’étonnent quelque peu.
Alors que nous débattons de l’équilibre entre le respect des libertés individuelles et les nécessités de l’enquête, vous nous avez indiqué, à deux reprises, que votre attitude, en tant que garde des sceaux, garantissait le maintien de cet équilibre.
Mme Virginie Klès. Ainsi, le fait que vous n’ayez jamais donné d’instructions aux procureurs depuis votre prise de fonctions, somme toute récente, garantirait selon vous leur indépendance ! Mais, à mes yeux, seule la loi peut la garantir !
Dans le même esprit, à vous en croire, le nombre des gardes à vue va baisser parce que vous allez adresser une instruction en ce sens aux procureurs généraux !
Permettez-moi de vous dire que le comportement d’un ministre, aussi exemplaire soit-il, n’apporte aucune garantie ! La seule garantie, c’est la loi !
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 16 rectifié et 106 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 99 rectifié quinquies.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 169 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 154 |
Contre | 183 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 70, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La confirmation du placement en garde à vue par le procureur de la République intervient sous quatre heures.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement vise à prévoir que la garde à vue décidée par l’officier de police judiciaire sera confirmée par le procureur de la République dans un délai de quatre heures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La rédaction proposée par M. Anziani réduirait les droits du gardé à vue, dans la mesure où certains procureurs pourraient être tentés de n’intervenir qu’au bout de quatre heures, alors qu’aujourd’hui ils doivent contrôler la garde à vue immédiatement.
Par conséquent, la commission n’est pas favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, je rectifie cet amendement afin de préciser que la confirmation du placement en garde à vue par le procureur de la République doit intervenir au plus tard au bout de quatre heures.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 70 rectifié, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La confirmation du placement en garde à vue par le procureur de la République intervient au plus tard au bout de quatre heures.
Veuillez poursuivre, monsieur Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Permettez-moi de profiter de cette rectification pour répondre au propos de notre cher rapporteur sur les officiers de police judiciaire.
Monsieur Zocchetto, les OPJ n’ont aucun pouvoir propre et ne décident de rien.
M. Jean-Pierre Michel. Non, ils sont sous l’autorité du procureur de la République et n’ont pas de pouvoir propre.
Par conséquent, quand ils prennent la décision de placer en garde à vue, c’est en fait le procureur de la République qui décide. Ensuite, il faut l’intervention d’un juge.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 70 rectifié ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La rectification ne modifie pas l’avis de la commission, qui reste défavorable à l’amendement.
Monsieur Jean-Pierre Michel, il s’agit d’une question que nous avons étudiée. La garde à vue doit-elle être décidée par l’officier de police judiciaire ou sur instruction du procureur ? Nous en sommes restés au système actuel : l’officier de police judiciaire décide le placement en garde à vue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Jean-Pierre Michel, il faut distinguer deux cas : le contrôle et l’habilitation.
Il est tout à fait exact que les officiers de police judiciaire sont sous le contrôle du procureur de la République. Toutefois, l’article 63 du code de procédure pénale précise bien que « L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. ». Par conséquent, les officiers de police judiciaire ont un pouvoir propre.
M. Jean-Pierre Michel. Non !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. On peut toujours échanger des arguments. Mais, même si j’ai moins rédigé d’articles du code que vous-même et donc moins commis de péchés que vous en matière pénale, je maintiens qu’un pouvoir propre est reconnu à l’officier de police judiciaire.
M. le président. L'amendement n° 108 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux alinéas précédents, la personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons sérieuses de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un délit flagrant puni par une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à six mois d’emprisonnement peut être placée en garde à vue. Cette mesure fait l'objet d'une décision motivée du juge des libertés et de la détention et ne peut être utilisée que si elle est l'unique moyen de procéder à la vérification d'identité du suspect, de faire cesser la commission de l'infraction sous réserve de l'application de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, ou de garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République aux fins de mettre ce magistrat en mesure d'apprécier la suite à donner à l'enquête.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. L’amendement n’a plus d’objet !
M. Jacques Mézard. L’efficacité du travail des forces de l’ordre et des magistrats peut justifier, dans certaines conditions très précises, qu’une personne soit placée en garde à vue, même si les faits dont elle est soupçonnée sont punis de moins de trois ans d’emprisonnement conformément à ce que nous proposions.
Cet amendement a donc pour objet d’établir un tel dispositif placé sous l’appréciation du juge des libertés et de la détention, lequel devra, le cas échéant, motiver sa décision.
M. le président. Monsieur Jacques Mézard, dans mon extrême bonté, je vous ai laissé présenter cet amendement qui, en vérité, n’a plus d’objet...
Je vous présente toutes mes excuses, monsieur le président de la commission.
M. le président. Mais reconnaissez que c’est très rare !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le tout est de ne pas faire de récidive ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Vous ne risquez pas la garde à vue ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. L’amendement n° 108 rectifié n’a donc plus d’objet.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 17, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Après les mots :
le contrôle
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
du juge des libertés et de la détention ou, à défaut, du président du tribunal de grande instance ou de son délégué.
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 72, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 12, première phrase
Remplacer le mot :
Quarante-huitième
par le mot :
vingt-quatrième
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement ne tombant pas, j’ose vous demander encore un petit effort, monsieur le garde des sceaux !
Il tend à prévoir que la prolongation de la garde à vue au-delà de vingt-quatre heures relève du juge des libertés et de la détention.
Nous l’avons dit, dans le contexte actuel et avec les moyens dont on dispose, après ce délai, il nous semble que la décision doit revenir au juge naturel de la détention : le juge judiciaire.
M. le président. L'amendement n° 175, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 12, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
II. - En conséquence, alinéa 13
Remplacer les mots :
Ce magistrat
par les mots :
Le procureur de la République
La parole est à M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 175 et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 72.
M. François Zocchetto, rapporteur. L’amendement n° 175 vise à clarifier la rédaction des alinéas 12 et 13 de l’article 1er.
Pour des raisons déjà longuement évoquées, la commission ne peut accepter l’amendement n° 72, car elle est défavorable au fait d’avancer le contrôle effectué par le juge des libertés et de la détention à la vingt-quatrième heure plutôt qu’à la quarante-huitième heure.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Selon la Cour européenne des droits de l’homme elle-même, le juge du siège ne doit intervenir qu’à la quarante-huitième heure. Par conséquent, nous sommes parfaitement dans ce délai, que les États membres peuvent aménager à leur guise.
Nombre d’entre eux ont choisi, pendant ce délai, de confier la garde à vue uniquement aux forces de police. La France choisit, si le Sénat le veut bien, de confier le contrôle à un magistrat, ce qui est quand même un peu mieux. Le Gouvernement est donc défavorable à l’amendement n° 72 de M. Anziani.
En revanche, il est favorable à l’amendement n° 175 de la commission.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Je souhaite effectivement expliquer mon vote sur l’amendement n° 175 de la commission. Mais, auparavant, permettez-moi de clore une discussion que j’ai eue avec M. le garde des sceaux.
Je soutiens que le parquet est hiérarchisé et qu’il est indivisible. Par conséquent, même les substituts n’ont pas de pouvoir propre. Ils agissent à la place du procureur de la République.
Il en est de même des officiers de police judiciaire qui les assistent, même s’ils prennent la décision. Aucune disposition du code de procédure pénale n’y changera rien : c’est la pyramide ! Le procureur de la République du tribunal est le seul à avoir le pouvoir et, dans la conduite de l’action publique, il n’est même pas placé sous l’autorité du procureur général. Que les choses soient claires !
S’agissant de votre amendement, monsieur Zocchetto, c’est le bouquet, le fin du fin ! Il reviendrait au procureur de la République – je passe sur le reste… –, partie poursuivante, décidant de la garde à vue ou de sa prolongation, de délimiter les droits de la défense. C’est absolument ubuesque !
Le texte était flou mais, dans votre grande rectitude et honnêteté, vous voulez l’éclaircir et précisez que c’est le procureur de la République qui « assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue ».
M. François Zocchetto, rapporteur. C’est clair !
M. Jean-Pierre Michel. Par conséquent, celui-ci tout à la fois poursuit et assure la protection de la défense.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jean-Pierre Michel. Franchement, les bras m’en tombent ! Cela ne veut strictement rien dire !
Le procureur de la République n’a pas à contrôler le respect des droits de la défense – encore serait-il un juge du siège… Il n’a aucun pouvoir en la matière, même pas un pouvoir disciplinaire !
En définitive, monsieur Zocchetto, vous êtes trop honnête : il valait mieux rester dans l’ambiguïté !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. Je suis très heureux que M. Jean-Pierre Michel reconnaisse mon exigence de clarté vis-à-vis du texte. En effet, nous assumons complètement la rédaction du projet de loi, telle qu’elle a été retenue par la commission des lois. Il était nécessaire, à ce stade de nos travaux, de préciser quel était le magistrat concerné, en l’occurrence le procureur de la République.
Mais j’aurais presque pu vous proposer une autre solution, mes chers collègues, à savoir la suppression de l’alinéa 14 de l’article 1er. Cette disposition me semble effectivement aller de soi. Cela a déjà été expliqué longuement, dès lors que le procureur de la République est un magistrat et que, selon la Constitution, l’autorité judiciaire protège la liberté individuelle, nous aurions normalement pu nous passer d’ajouter qu’il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue.
Il s’agit simplement d’une précision supplémentaire, qui clarifie le texte et, de ce fait, m’apparaît bonne.
Par ailleurs, mes chers collègues de l’opposition, vous ne cessez de parler de partie poursuivante. Ce n’est vraiment pas le sujet ! En outre, tout comme, précédemment, l’auto-incrimination, ce terme fait référence à des procédures anglo-saxonnes. À un moment, il va nous falloir réécrire toutes ces notions en français, car nous en arrivons à des confusions entre les procédures anglo-saxonnes de type accusatoire et notre procédure pénale en vigueur et ces différentes notions finissent par s’entrechoquer. Nous voyons bien les limites de l’exercice…
Donc, ne parlez plus de partie poursuivante, en tout cas dans ce débat sur la garde à vue.
À ce stade de l’intervention du parquet, qui ne fait qu’assurer le contrôle de la garde à vue, je ne conçois pas le procureur de la République comme une partie poursuivante.
M. le président. L'amendement n° 107 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il apprécie également si l’exécution de la mesure se fait dans des conditions compatibles avec le principe du respect de la dignité de la personne.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement peut être considéré comme une rustine, mes chers collègues, car, manifestement, son adoption n’apporterait qu’une très légère amélioration au malheureux texte qui nous est proposé. (Exclamations.)
Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel il appartenait aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de « veiller à ce que la garde à vue [fût], en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ». Je considère que ce principe doit être affirmé dans la loi.
Permettez-moi également d’indiquer que, s’agissant du très intéressant débat entre M. le garde des sceaux et notre collègue Jean-Pierre Michel, ce dernier a bien raison.
En effet, l’article 12 du code de procédure pénale, qui est une des bibles du garde des sceaux, établit ce que nous savons tous : « La police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre ». Selon l’article 13 du même code, traitant de la cour d’appel, « la police judiciaire est placée, dans chaque ressort de cour d’appel, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction conformément aux articles 224 et suivants ».
D’ailleurs, il y aurait peut-être lieu à modifier et améliorer les dispositions de cet article 224.
M. Jacques Mézard. J’ai démontré que Jean-Pierre Michel a tout à fait raison sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. M. Jacques Mézard est vraiment un perfectionniste !
En effet, l’article 8 du projet de loi tend à prévoir que « la garde à vue doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne ». Vous n’allez pas remettre en cause ce point, mes chers collègues. On peut donc considérer, dès à présent, que vous voterez cet article.
Il est en outre précisé, à l’alinéa 14 de l’article 1er, que « le procureur de la République assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue ».
Le procureur de la République garantit donc obligatoirement le respect de la dignité de la personne pendant sa garde à vue. Nous n’avons pas besoin de le dire deux fois !
C’est pourquoi, monsieur Mézard, je vous suggère de retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’estime que M. Jacques Mézard a entièrement satisfaction. Le texte est clair et l’adoption de cet amendement en affaiblirait la portée. L’avis du Gouvernement est donc naturellement défavorable.
M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 107 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Je constate que M. le ministre ne souhaite pas que cette référence à la dignité de la personne figure dans l’article 1er du projet de loi, ce qui aurait tout de même été beaucoup plus significatif. Néanmoins, pour ne pas prolonger les débats, j’accepte de retirer mon amendement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel dommage !
M. le président. L’amendement n° 107 rectifié est retiré.
L'amendement n° 64, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Art... - La garde à vue constitue le support nécessaire du défèrement. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ressort d’une jurisprudence constante que les actes subséquents à la garde à vue annulée ne sont touchés par la nullité que pour autant que la garde à vue en constitue le support nécessaire.
Or si la chambre criminelle considère que l’inobservation des droits énoncés par le code de procédure pénale est susceptible d’entraîner la violation de la garde à vue, elle a une conception restrictive des conséquences de l’annulation sur les autres actes de procédure.
Le projet de loi tend à accorder, en conformité avec les obligations conventionnelles de la France, des droits à la personne placée en garde à vue. Néanmoins, il ne prévoit aucune disposition sur la sanction de la violation de ces droits. La jurisprudence en la matière reste donc la règle.
Il serait utile de donner une cohérence au système en précisant que la garde à vue est le support nécessaire au défèrement.
Comme le note très justement le syndicat de la magistrature, le régime des nullités est très stratégique, car c’est lui qui permet de passer des droits formels aux droits réels. Sans lui, rien n’incite les enquêteurs et les magistrats à se conformer à la loi.
Tel est l’objet de notre amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Votre proposition, madame Borvo Cohen-Seat, n’est pas parfaitement claire et nous avons réellement eu du mal, les uns et les autres, à vous suivre.
Vous proposez, si j’ai bien compris, qu’il ne puisse pas y avoir de défèrement sans qu’une garde à vue ait été effectuée au préalable. Or vous savez qu’un certain nombre de présentations au parquet se font sans garde à vue. On ne peut pas se plaindre du nombre trop important de gardes à vue et, dans le même temps, vouloir rendre cette mesure systématique alors qu’elle n’est pas toujours utile.
Par conséquent, je ne comprends pas très bien votre proposition et ne verrai pas d’inconvénient à ce que vous retiriez cet amendement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Vous savez très bien que la commission a accepté quelques-uns de vos amendements.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle en a adopté un seul !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est déjà pas mal !
M. François Zocchetto, rapporteur. Celui-ci, quant à lui, me paraît aller à l’encontre des thèses que vous défendez.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 64 est-il maintenu ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Les articles 63 et 63-1 du même code sont ainsi rédigés :
« Art. 63. – I. – Seul un officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue.
« Dès le début de la mesure, l’officier de police judiciaire informe le procureur de la République, par tout moyen, du placement de la personne en garde à vue. Il lui donne connaissance des motifs justifiant, en application de l’article 62-3, ce placement et l’avise de la qualification des faits qu’il a notifiée à la personne en application du 2° du I de l’article 63-1. Le procureur de la République peut modifier cette qualification ; dans ce cas, la nouvelle qualification est notifiée à la personne dans les conditions prévues au même article 63-1.
« II. – La durée de la garde à vue ne peut excéder vingt-quatre heures.
« Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si l’infraction que la personne est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à un an et si la prolongation de la mesure est l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-3.
« L’autorisation ne peut être accordée qu’après présentation de la personne au procureur de la République. Cette présentation peut être réalisée par l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle. Elle peut cependant, à titre exceptionnel, être accordée par une décision écrite et motivée, sans présentation préalable.
« III. – L’heure du début de la mesure est fixée, le cas échéant, à l’heure à laquelle la personne a été appréhendée.
« Si une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes périodes de garde à vue s’impute sur la durée de la mesure.
« Art. 63-1. – I. – La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits :
« 1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;
« 2° De la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
« 3° Du fait qu’elle bénéficie :
« – du droit de faire prévenir un proche et son employeur, conformément à l’article 63-2 ;
« – du droit d’être examinée par un médecin, conformément à l’article 63-3 ;
« – du droit d’être assistée par un avocat, conformément aux articles 63-3-1 à 63-4-3 ;
« – du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
« Si la personne est atteinte de surdité et qu’elle ne sait ni lire, ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité.
« Si la personne ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu’un formulaire lui a été remis pour son information immédiate.
« Mention de l’information donnée en application du présent article est portée au procès-verbal de déroulement de la garde à vue et émargée par la personne gardée à vue. En cas de refus d’émargement, il en est fait mention.
« II. – (Supprimé) »
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.
Mme Josiane Mathon-Poinat. En faisant du droit au silence une exigence à valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 30 juillet 2010, imposé un revirement législatif. Dès lors, le projet de loi qui nous est soumis tend naturellement à rétablir ce droit.
L’histoire chaotique du droit au silence au cours de la garde à vue est à l’image de la conception française consistant à rendre antinomiques les impératifs de préservation de l’efficacité de l’enquête et les impératifs de protection de la présomption d’innocence et des droits de la défense. Cette conception doit aujourd’hui être dépassée.
Le rétablissement du droit au silence constitue une petite avancée dans ce sens, bien que nous regrettions – une fois n’est pas coutume – que le Gouvernement n’envisage pas cette fois-ci de suivre son « modèle » d’outre-Atlantique. Celui-ci conçoit effectivement le droit au silence, droit érigé en principe constitutionnel, de manière beaucoup plus large, cette notion comprenant non seulement le droit de se taire, mais également celui de ne pas être interrogé.
Par ailleurs, il est consternant de voir, à la lecture de cet article 2, les pouvoirs qui sont dévolus à l’officier de police judiciaire.
L’officier de police judiciaire décide seul du placement en garde à vue et celle-ci est prolongée à sa seule demande, certes sous le contrôle théorique du parquet – cela nous a été dit et redit au moment de l’examen de l’article 1er –, mais un parquet dont l’information est assurée par le même officier de police judiciaire. Ainsi, le placement en garde à vue, pour vingt-quatre heures ou plus, se fait sur l’initiative et sous le contrôle quasi-exclusif de la police, le parquet ne portant sur l’affaire qu’un regard lointain.
Cette remarque ne doit pas nous amener à voir de la défiance systématique envers les forces de l’ordre. Il s’agit uniquement de nous interroger sur la place réelle qui est accordée, dans notre société, à un principe aussi fondamental que celui du droit à la sûreté, entendu comme le droit d’aller et venir sans être détenu arbitrairement.
Une prise en compte réelle de ce principe impliquerait idéalement que le gardé à vue soit interrogé par un magistrat. Toutefois, au vu du contenu du projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, je crois que ce souhait est aujourd’hui proche de l’utopie.
Cet article 2 est également consternant en ce qu’il n’intègre pas réellement tous les enseignements de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Selon celle-ci, les textes en vigueur violent effectivement la Constitution dans la mesure où la prolongation de la garde à vue n’est pas réservée aux « infractions présentant une certaine gravité ».
Loin de là, le projet de loi tend à réserver le placement en garde à vue à tous les crimes et aux délits punis d’une peine d’emprisonnement. Quant à la prolongation de la garde à vue, elle concernerait ceux qui sont punis d’une peine de prison supérieure ou égale à un an, puisque – hélas ! les amendements déposés à ce sujet n’ont pas été adoptés.
Vous devez prendre conscience, monsieur le ministre, que, comme l’écrit très justement l’un des auteurs ayant porté un regard critique sur votre projet, les mots ont un sens. Lorsqu’il est précisé que la prolongation doit être réservée aux « infractions présentant une certaine gravité », vous vous devez tout de même de respecter ces exigences.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
procureur de la République
Insérer les mots :
après autorisation du juge des libertés et de la détention
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 19, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase :
Remplacer les mots :
, du placement de la personne en garde à vue.
par les mots et une phrase ainsi rédigée :
garantissant l'information réelle et personnelle de ce magistrat, du placement de la personne en garde à vue. Il procède également à un premier compte rendu téléphonique d'étape auprès du procureur de la République entre la huitième et la douzième heure de la garde à vue.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises depuis le début de ce débat, le nombre de gardes à vue n’a cessé d’augmenter, tout comme leur durée ! Voilà qui a créé un surplus de travail considérable pour les OPJ et a entraîné un allongement de la durée des enquêtes.
Le temps de la garde à vue est également lié aux interventions du directeur d’enquête, c'est-à-dire du procureur de la République. Certaines décisions pourraient intervenir plus rapidement si ce magistrat était effectivement informé de la mise en œuvre de cette procédure. Depuis la loi sur le renforcement de la présomption d’innocence, les OPJ doivent prévenir le parquet immédiatement et non plus sans délai lorsqu’ils placent un suspect en garde à vue. Cette précision avait été apportée afin que la notification du placement en garde à vue n’arrive plus dans un bureau vide sur un télécopieur qui n’est relevé que le matin. Or, il semblerait que ce soit, hélas ! encore le cas.
Par notre amendement, nous demandons que les moyens mis en place soient utilisés de manière immédiate – c’est déjà le cas – et qu’ils aboutissent à une information réelle et personnelle du parquetier.
Nous proposons qu’il soit procédé à un compte rendu téléphonique d’étape entre la huitième et la douzième heure de la garde à vue, afin d’inciter les enquêteurs à terminer dans ce délai les enquêtes les plus simples.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Madame Mathon-Poinat, le projet de loi présente d’ores et déjà des avancées concernant le contenu de l’information qui doit être transmise par l’OPJ au parquet. C’est ainsi que l’OPJ devra désormais préciser les motifs justifiant la garde à vue, ainsi que la qualification des faits notifiée à la personne.
Vous souhaitez également une information « réelle et personnelle » du procureur. M. Michel a rappelé tout à l’heure, à juste titre, que le parquet était indivisible. Nul ne peut contester que l’information du substitut vaut information du procureur.
Le compte rendu téléphonique d’étape, lui, est établi presque systématiquement en cas de difficulté ou lorsque l’OPJ est désemparé quant aux suites à donner à un dossier. Je l’ai souvent constaté lors des stages ou des visites que j’ai effectuées dans les services du parquet : les OPJ téléphonent souvent plusieurs fois au parquetier de permanence pour échanger avec lui des informations. La pratique va donc bien au-delà de ce que vous proposez.
Dans ces conditions, je vous suggère, ma chère collègue, de retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame la sénatrice, je comprends votre souci de faire en sorte que le procureur soit le mieux informé possible. Mais l’amendement tel qu’il est rédigé n’ajoute rien à l’état actuel du droit.
La possibilité d’un avis par télécopie, y compris la nuit, a été validée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mai 2001. Cette possibilité a été rappelée par la circulaire du 4 décembre 2000 de Mme Guigou et dans celle du 10 janvier 2002 de Mme Lebranchu.
Ces deux circulaires précisent qu’il ne peut être recouru à la télécopie que dans les procédures ne posant pas de difficultés et qu’une information téléphonique doit intervenir. Vous avez donc déjà entièrement satisfaction.
Pour cette raison, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Madame Mathon-Poinat, l'amendement n° 19 est-il maintenu ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 149 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sous peine de nullité de la mesure, le juge des libertés et de la détention rend, avant l'expiration des six premières heures de garde à vue, une décision écrite confirmant la garde à vue.
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 109 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sous peine de nullité de la mesure, le procureur de la République rend, avant l'expiration des six premières heures de garde à vue, une décision écrite confirmant la garde à vue.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Nombreux sont ceux qui évoquent des « avancées » en parlant de ce projet de loi. Mais cela signifie qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, sinon vous auriez dit que le résultat était atteint, ce qui – nous en sommes tous conscients – n’est pas le cas !
Il s’agit d’un amendement de repli. Si le JLD ne peut intervenir pour apprécier la légalité du placement en garde à vue, il est indispensable que le procureur de la République puisse exercer un véritable contrôle.
Contrairement à ce qui a été affirmé à plusieurs reprises au cours de ce débat, le contrôle est aujourd'hui extrêmement difficile et rare. Il est vrai que certains procureurs de la République procèdent par sondages et se déplacent dans les commissariats et dans les gendarmeries. Mais avec 800 000 gardes à vue, il est évident qu’ils ne peuvent pas effectuer un contrôle digne de ce nom de manière systématique. La situation est en réalité très variable selon les territoires et la personnalité des parquetiers.
En instituant une décision écrite de confirmation de la garde à vue, cet amendement va dans le bon sens : il devrait permettre de contribuer à limiter le nombre de gardes à vue, ce qui est notre souhait commun.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Monsieur Mézard, l’amendement n° 70 rectifié présenté à l’article 1er par M. Anziani était d’inspiration similaire au vôtre, si ce n’est qu’il faisait référence aux quatre premières heures, au lieu des six premières heures. C'est la raison pour laquelle votre amendement n’est pas devenu sans objet du fait du rejet de celui de M. Anziani, mais vous comprendrez que mon avis soit là aussi défavorable, pour les raisons que j’ai développées tout à l’heure à propos de l’amendement n° 70 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de onze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 110 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur décision motivée du juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République ou du juge d’instruction, si la prolongation de la détention est l’unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-3. Cette décision est motivée au regard de la légalité de la mesure et des circonstances de l’affaire.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Avec cet amendement, nous considérons que la prolongation de la garde à vue, plus encore que la décision initiale de mise en garde à vue, est une mesure de privation de liberté qui doit relever de la compétence du procureur de la République. Dans ce cas, vingt-quatre heures seront déjà passées, qui auront permis de faire avancer l’enquête. Au-delà de ce délai, une prolongation de la garde à vue constitue une privation encore plus grande de liberté : il est donc normal qu’elle relève de la compétence du JLD.
Les statistiques qui sont en notre possession – mais je ne pense pas qu’elles soient différentes de celles de M. le garde des sceaux –, indiquent qu’il y a environ 100 000 prolongations de gardes à vue.
M. Jacques Mézard. En tout cas, elles se comptent plus en dizaines de milliers qu’en centaines de milliers, ce qui est une bonne chose ! Cela étant, ces chiffres montrent que la prolongation de la garde à vue doit relever de la compétence du JLD, comme l’exige d’ailleurs la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH.
La décision de prolongation doit non seulement satisfaire à la finalité de la garde à vue, mais être également motivée au regard du principe de proportionnalité et des circonstances de l’espèce. Nous sommes là au cœur du débat.
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéas 5 et 6
Remplacer les mots :
procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Rappelons, une fois encore, que, aux termes de la décision de la CEDH du 23 novembre 2010, le procureur de la République, qui est un magistrat, ne remplit pas les conditions d’indépendance nécessaires pour être qualifié de juge, en raison de sa soumission hiérarchique à l’exécutif et, donc, de l’absence de garanties réelles d’impartialité.
Or, tels qu’ils sont rédigés, les alinéas 5 et 6 de l’article 2 maintiennent les prérogatives du parquet dans la prolongation de la garde à vue. Le procureur est ainsi à la fois partie poursuivante – l’accusateur – et juge de la légalité et de la nécessité de prolonger la privation de liberté. Il existe donc bien une confusion des rôles et une mise en cause de l’égalité des armes entre les parties.
Mme Mireille Delmas-Marty estime que c’est « comme si renforcer les garanties d’un côté amenait à créer des procédures parallèles sans garanties ». Dans la mesure où vous laissez au parquet la maîtrise de la garde à vue pendant les premières vingt-quatre heures, il est encore plus essentiel d’instituer une sorte de droit de recours devant un juge du siège, en l’occurrence le JLD. Une telle mesure me paraît être un minimum.
En outre, l’alinéa 5 exige la commission d’une infraction passible d’au moins un an de prison. Il ne s’agit que d’une toute petite avancée. En effet, le nombre de délits punis d’une peine autre que l’emprisonnement ou d’une peine inférieure à un an d’emprisonnement est très faible.
La privation de liberté est tout de même un acte grave, qui doit rester exceptionnel, pour reprendre les termes employés par le Premier ministre en juillet dernier lorsqu’il évoquait la question de la garde à vue devant la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Ce caractère de gravité de la garde à vue est encore renforcé en cas de prolongation : l’intervention du JLD est donc plus que nécessaire, au moins à cette phase de la procédure.
M. le président. L'amendement n° 73, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. La prolongation de la garde à vue au-delà des vingt-quatre premières heures nous semble effectivement devoir relever de la compétence du JLD, et non de celle de l’OPJ sous contrôle du procureur. Mon argumentation vaut également pour l'amendement n° 75.
M. le président. L'amendement n° 75, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 74, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
supérieure ou égale
Insérer les mots :
à trois ans d'emprisonnement ou, en cas de flagrant délit,
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 20, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L'autorisation et les raisons qui la motivent sont immédiatement communiquées à la personne dont la garde à vue est prolongée et à son conseil.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L’article 2 du projet de loi détaille les conditions d’exécution de la garde à vue, sa durée et les modalités d’une prolongation de la mesure.
Le projet de loi encadre trop partiellement la prolongation de la garde à vue au regard du préjudice qui en résulte pour la personne qui, je le rappelle, est présumée innocente.
Les conséquences psychologiques sur l’individu qui vient déjà de passer vingt-quatre heures enfermé ne doivent pas être sous-estimées.
C’est pourquoi nous proposons non seulement qu’une telle décision soit prise après autorisation du juge des libertés et de la détention, mais également que la présentation de la personne ne se fasse pas par vidéoconférence. Il est en effet important que le gardé à vue puisse bénéficier d’un entretien judiciaire de qualité et s’exprimer librement sur les conditions de sa détention.
Il est vrai que ce principe se heurte aux restrictions budgétaires imposées par le Gouvernement à la justice. Ainsi, on sait que la quasi-totalité des prolongations de garde à vue dans le cadre de l’enquête préliminaire se font sans présentation en raison de l’importance de la charge de travail des magistrats.
Compte tenu de ces remarques, nous demandons par notre amendement que soit expressément inscrit dans la loi le droit pour le gardé à vue et son conseil d’avoir communication de l’autorisation de prolongation et les raisons qui la motivent, et ce de manière immédiate. Cette demande est d’autant plus importante que le projet de loi entend réserver cette décision au procureur de la République.
La personne placée en garde à vue doit être en mesure de pouvoir constater cette prolongation. À ce titre, il est important qu’elle possède les éléments qui la fondent.
M. le président. L'amendement n° 111 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 6
1° Première phrase
Remplacer les mots :
procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
2° Dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 6, deuxième et dernière phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L’alinéa 6 de l’article 2 pose une règle précise : la présentation de la personne gardée à vue au procureur de la République avant toute autorisation de prolongation de la garde à vue.
Cependant, cette règle est immédiatement contredite par deux dispositions : la première permet l’utilisation d’un moyen de communication audiovisuelle ; la seconde va jusqu’à autoriser l’absence de présentation préalable.
Nous considérons que la présentation de la personne gardée à vue au procureur de la République doit être obligatoire et ne souffrir aucune exception.
La possibilité d’utiliser la visioconférence dans ce domaine comme dans d’autres, par exemple le contentieux de l’immigration où ce système quelque peu honteux a été mis en place, est incompatible avec un entretien judiciaire de qualité. Comment en serait-il autrement quand la personne gardée à vue devra s’exprimer dans les locaux de la police ou de la gendarmerie en présence des enquêteurs qui souhaitent précisément obtenir la prolongation de sa garde à vue ?
De plus, aucune condition précise n’est mise à cette utilisation. Ne risque-t-elle pas d’ailleurs de devenir monnaie courante ? C’est en tout cas ce que nous redoutons.
Quant à la possibilité de déroger purement et simplement à la présentation préalable, elle est déjà effective, hélas ! pour la quasi-totalité des prolongations de garde à vue en matière d’enquête préliminaire en raison essentiellement, je le répète, de la charge de travail des magistrats de permanence. Il est donc à craindre que, là aussi, l’exception ne devienne la norme.
Dans ces conditions, notre amendement apporte quelques mesures restrictives bienvenues.
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
Alinéa 6, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Par cet amendement, les sénatrices et sénateur écologistes demandent la suppression de la deuxième phrase de l’alinéa 6 de l’article 2 aux termes de laquelle la présentation du gardé à vue au procureur de la République, dans l’hypothèse d’une prolongation de la mesure de garde à vue, pourra être réalisée au moyen d’une télécommunication audiovisuelle.
L’instauration de cette possibilité est très inquiétante à nos yeux. En effet, cette mesure fera perdre toute sa substance au principe de présentation du gardé à vue.
Chaque avancée du projet de loi est mise à mal par des exceptions ou des conditions qui en suppriment immédiatement les effets vertueux. C’est de nouveau le cas ici.
La présentation du gardé à vue au procureur de la République pourra donc, d’après les dispositions de la deuxième phrase de l’alinéa 6 de l’article 2, avoir lieu de manière virtuelle. Cette substitution de la visioconférence à une présentation effective constitue une limitation des droits du gardé à vue, qui doit être entendu dans l’hypothèse d’un renouvellement de la mesure de garde à vue.
L’effectivité de la présentation à un magistrat est un élément essentiel d’une procédure équitable, d’autant qu’il s’agit dans ce cas de statuer sur le renouvellement de la garde à vue. Durant cet entretien, le magistrat devrait donc avoir l’occasion de constater de visu l’état physique ou psychologique de l’individu dont il s’apprête à prolonger la garde à vue, cette mesure privative de liberté, pour vingt-quatre longues heures supplémentaires.
La procédure de présentation, déjà mise à mal par la possibilité d’y déroger, dont il sera question dans notre prochain amendement, perdra avec cet entretien virtuel tout ce qui lui reste de substance. De surcroît, l’entretien ne se fera plus dans un lieu neutre, mais dans un milieu carcéral, sous le regard des policiers, ce qui affectera sans nul doute la liberté de parole du gardé à vue. Cette technique de présentation est révélatrice de la mise à l’écart de l’autorité judiciaire dans le cadre de la procédure de garde à vue.
C’est sans doute la réduction constante des budgets alloués au personnel de justice qui pousse aujourd’hui le Gouvernement à souhaiter une généralisation de la vidéoconférence, mais la justice ne peut se rendre de manière effective à travers un écran.
Le recours ici à la vidéoconférence est à l’image du peu de cas que l’on fait des garanties procédurales du justiciable. La présentation effective à un magistrat indépendant du gardé à vue n’est pas consacrée par ce texte.
Ces dispositions adoptées à la hâte ne sont en aucun cas une avancée vers une procédure plus équitable. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à voter cet amendement.
Mme Nathalie Goulet. C’est un bon bilan carbone !
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
Alinéa 6, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Cet amendement vise à supprimer la dernière phrase de l’alinéa 6 de l’article 2, qui prévoit que la prolongation de la garde à vue peut, à titre exceptionnel, être accordée sans présentation préalable.
Cette disposition procède, une nouvelle fois, d’une limitation des garanties offertes à la personne gardée à vue.
M. Jean-Pierre Michel. Eh oui !
M. Jean Desessard. En effet, aucune mesure ne prévoit d’encadrer et de contrôler la mise en œuvre de cette prétendue exception ni les motivations de la décision écrite du procureur de la République. On ne peut donc accorder aucune valeur juridique à une telle disposition, qui porte atteinte à la fois à la sécurité juridique et au principe de présentation effective.
Les pirouettes sémantiques qui consistent à appeler « exception » ce qui, sans nul doute, se transformera en « principe » ne dupent personne. En effet, jusqu’à présent, en cas de renouvellement de la mesure de garde à vue, l’alinéa 2 de l’article 63 du code de procédure pénale accordait la faculté au procureur de la République de demander la présentation du gardé à vue. Avec ce texte, il devra demander sa présentation, mais il pourra exceptionnellement ne pas le faire. Vous avouerez, monsieur le garde des sceaux, que la nuance est mince.
En pratique, cette dérogation risque fort d’être généralisée du fait de l’importante charge de travail des magistrats. En effet, ils ne pourront certainement pas recevoir systématiquement les personnes gardées à vue dans le cadre d’un entretien avant de décider du renouvellement de cette mesure privative de liberté pour vingt-quatre heures supplémentaires.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Des Esgaulx, MM. Vial et J. Gautier et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Alinéa 6, dernière phrase
Après les mots :
écrite et
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
spécialement motivée tant au regard de l'impossibilité d'une présentation en personne que de l'utilisation d'un moyen de télécommunication.
Cet amendement n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Concernant les amendements nos 110 rectifié, 21, 73, 75 et 111 rectifié, qui visent à faire ressortir la compétence de la prolongation de la garde à vue au juge des libertés et de la détention au lieu et place du procureur de la République, j’émets un avis défavorable pour les raisons déjà expliquées.
Aux termes de l’amendement n° 20, les motifs justifiant le renouvellement de la garde à vue doivent être communiqués à l’intéressé ou à son avocat. Or je ne pense pas que cette mesure soit utile. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
L’amendement n° 22 vise à supprimer la faculté de recourir à la visioconférence. Je suis un peu étonné par cette proposition. En effet, la visioconférence, que l’on s’efforce de mettre en place là où c’est possible, permet au moins d’avoir un contact, même s’il est à distance, ce qui est tout de même préférable à l’absence totale de contact. D’ailleurs, je pense que cette technique va se répandre.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement, ainsi que sur l’amendement n° 11 pour les mêmes raisons.
Enfin, l’amendement n° 12 tend à exclure toute possibilité de déroger au principe de présentation devant le procureur de la République. Cette dérogation doit bien entendu conserver un caractère exceptionnel. Reste que, dans certains cas, il n’est pas possible de présenter l’intéressé devant le procureur de la République alors que le renouvellement de la garde à vue est impératif au regard des exigences de sécurité.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement émet le même avis défavorable que la commission sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l'amendement n° 12.
M. Jean Desessard. Monsieur le rapporteur, vous indiquez que la dérogation à la règle de présentation devant le procureur de la République doit conserver un caractère exceptionnel. Certes, mais cette exception doit être motivée. Vous auriez donc pu déposer un amendement afin de l’encadrer.
À partir du moment où l’exception consiste simplement à dire « on ne peut pas faire autrement », cela fonctionnera une fois, mais, le mois suivant, on y dérogera et de nouveau le mois d’après, et ainsi de suite.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle doit être motivée !
M. Jean Desessard. Il s’agira donc non plus d’une exception, mais d’une pratique courante.
Vous n’avez pas suffisamment encadré cette mesure exceptionnelle.
9
Nomination de membres d’éventuelles commissions mixtes paritaires
M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion de commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique et du projet de loi relatifs au Défenseur des droits, il va être procédé à la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires.
La liste des candidats a été affichée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à ces éventuelles commissions mixtes paritaires :
Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Sueur, Jean-Pierre Michel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ;
Suppléants : MM. Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, M. François Pillet, Mme Catherine Troendle, MM. Jean-Pierre Vial, Richard Yung.
Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de ces commissions mixtes paritaires et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Garde à vue
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la garde à vue.
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements déposés à l’article 2.
Article 2 (suite)
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après les mots :
est fixée
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
à l'heure à laquelle la personne a été appréhendée ou, si ce n'est pas le cas, l'heure à laquelle elle a été entendue
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. La détermination exacte du moment du placement en garde à vue revêt une grande importance. Celle-ci, de jurisprudence constante, n’intervient pas nécessairement à l’arrivée de la personne dans les locaux de la police.
Il est fait une distinction entre, d’une part, le placement effectif en garde à vue, fixé au moment où la contrainte de se tenir à la disposition de la police est apparue – ce moment marque l’instant auquel les droits du gardé à vue doivent lui être notifiés et à partir duquel commence à courir le délai de mise en œuvre de ces différents droits –, et, d’autre part, le placement théorique en garde à vue, fixé au moment où la personne s’est tenue à la disposition de la police sans contrainte – ce moment sert, quant à lui, de point de départ au calcul de la durée de la garde à vue.
L’alinéa 7 de l’article 2 du projet de loi prévoit que l’heure du début de la mesure est fixée à l’heure à laquelle la personne a été appréhendée. Il fixe donc, si l’on reprend les termes de la jurisprudence, le moment du placement théorique en garde à vue marquant le point de départ des vingt-quatre heures de garde à vue.
Or, le terme « appréhendée », impliquant une arrestation policière et donc une contrainte, ne permet pas d’envisager les différentes possibilités entraînant le point de départ de la durée de la garde à vue. La personne entendue comme témoin avant d’être placée en garde à vue dans la foulée n’a par exemple pas été appréhendée et la durée de son audition en tant que témoin doit pouvoir s’imputer sur la durée de la garde à vue.
Il s’agit ici d’une mesure protectrice, afin d’éviter qu’une personne ne soit retenue trop longtemps sous différents statuts – témoin ou gardé à vue – à la disposition des enquêteurs, ce qui permettrait de contourner facilement la limitation de la durée légale de cette garde à vue.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’intention de Mme Mathon-Poinat est très certainement louable. Néanmoins, la rédaction de l’amendement reste un peu obscure et je pense qu’il est bien préférable pour le gardé à vue de continuer à bénéficier d’une jurisprudence favorable, systématiquement confirmée.
Ainsi, lorsque la garde à vue fait suite à une audition libre, la durée de celle-ci doit être imputée sur celle de la garde à vue. En l’espèce, il vaut mieux s’en remettre au juge, car il est très difficile d’imaginer tous les cas de figure.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Après les mots :
de police judiciaire
supprimer les mots :
ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire,
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement a pour objet de conférer exclusivement à l’officier de police judiciaire, ou OPJ, la notification de ses droits à la personne placée en garde à vue. Cette mission ne saurait continuer d’être confiée à un agent de police judiciaire, même sous le contrôle de l’OPJ, comme c’est le cas aujourd’hui. Seul un officier de police judiciaire peut placer une personne en garde à vue compte tenu de la gravité de cette mesure.
L’obligation de notification constitue aussi une mesure d’une certaine gravité puisqu’elle porte sur la décision de contrainte elle-même et sur les droits du gardé à vue. Son non-respect emporte des conséquences sur la suite de la procédure.
En outre, avec ce projet de loi, la teneur des droits des personnes est renforcée, notamment avec l’inscription du droit de se taire. Comme le souligne le rapport, ce droit constitue une protection de la présomption d’innocence, principe de base de notre procédure pénale.
C’est évidemment très loin d’être anodin, d’autant que cette notification se situe dans le cadre d’une procédure de privation de liberté, qui est elle-même loin d’être anodine.
Toutes les garanties possibles doivent donc être données pour le bon déroulement de cette garde à vue.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La meilleure garantie, pour le gardé à vue, c’est de se voir notifier ses droits le plus rapidement possible. Je pense qu’un agent de police judiciaire est parfaitement capable de le faire, au bénéfice de celui qui est privé de liberté.
Par conséquent, je ne vois pas l’intérêt d’alourdir la procédure en soumettant l’agent de police judiciaire au contrôle d’un officier de police judiciaire qui n’est pas forcément disponible au moment où la personne est privée de sa liberté.
C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 112 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de prolongation de la garde à vue, la personne est immédiatement informée qu’elle bénéfice des dispositions mentionnées aux alinéas précédents.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Bis repetita ! Cet amendement vise à inscrire dans la loi que la personne faisant l’objet d’une prolongation de garde à vue doit se voir notifier dès le début de cette prolongation qu’elle bénéficie des mêmes droits que ceux qu’elle a pu exercer durant la première garde à vue.
Cela paraît évident, mais il nous paraît indispensable de le préciser parce qu’il ne faudrait pas que la personne à laquelle il est notifié qu’elle commence une prolongation de garde à vue puisse considérer que ses droits ne sont pas les mêmes qu’au début.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La garde à vue se déroule sur une période de temps très contrainte. La notification des droits doit être très claire et très complète en garde à vue. Dès lors, seuls de nouveaux droits ou une restriction de droits justifieraient de les rappeler.
Les droits restant inchangés, la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Sauf en cas de circonstance insurmontable, et sous peine de nullité de la procédure, les diligences résultant pour les enquêteurs de la communication de l'ensemble de droits mentionnés à cet article doivent intervenir dès le moment où la personne a été placée en garde à vue. La violation des droits mentionnés à cet article constitue une nullité d'ordre public.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Afin de contrebalancer l’atteinte portée à la liberté individuelle de la personne placée en garde à vue, le projet de loi entend lui reconnaître a minima un certain nombre de droits.
En l’état actuel du droit, la personne qui subit une telle mesure privative de liberté n’est pas dépourvue de droits et le caractère impératif de ces droits est une évidence. Cependant, comme en témoigne l’importance du contentieux jurisprudentiel relatif aux nullités de la garde à vue, il semble que la pratique ne soit pas tout à fait exempte de reproches.
Or, en réaction à ces manquements avérés des investigateurs, la Cour de cassation a considéré dans certains cas que le seul constat du non-respect des dispositions du code de procédure pénale suffisait à présumer que la personne gardée à vue avait subi un grief et à opérer un renversement de la charge de la preuve de la défense vers la partie poursuivante.
Ainsi, il semble acquis, sauf à ce que l’accusation fasse la preuve de l’intervention de circonstances insurmontables, que tout retard dans la notification de ses droits ou dans l’information de l’autorité judiciaire « porte nécessairement atteinte aux intérêts » de la personne placée en garde à vue.
De la même manière, il a été admis que le fait, pour un enquêteur – à nouveau sous réserve de l’intervention de circonstances insurmontables –, de ne pas mettre en mesure le suspect de s’entretenir avec son avocat « porte nécessairement atteinte à ses droits ».
Par cet amendement, nous souhaitons consolider cette jurisprudence et l’étendre à l’ensemble des droits visés à l’article 2. De plus, nous précisons que les nullités sont d’ordre public afin que les juges puissent les soulever d’office.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. L’amendement a pour objet de supprimer le délai de trois heures donné aux services de police pour faire droit aux demandes de la personne gardée à vue de prévenir un proche ou d’être examinée par un médecin.
Dans la pratique, ce délai est nécessaire si l’on veut que cette garantie ait des suites effectives. La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
L'exécution de la garde à vue est assurée par des personnels de police ne participant pas à l'enquête et uniquement dédiés à cette tâche.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Par cet amendement, nous vous proposons de confier l’exécution de la garde à vue à des personnels de police ne participant pas à l’enquête. Ces personnels seraient uniquement dédiés à cette tâche, sous la direction d’un chef d’équipe et sous le contrôle strict du juge des libertés et de la détention.
Ainsi, l’officier de police judiciaire chargé de cette mission notifierait les droits mentionnés aux articles 63-1 et suivants, il dresserait le procès-verbal des réponses faites par la personne gardée à vue, il procéderait sans délai aux opérations utiles pour répondre aux demandes exprimées par celle-ci et en rendrait compte immédiatement au juge des libertés et de la détention.
On pourrait également envisager qu’il procède aux fouilles de sécurité afin que le nombre de personnes susceptibles de pratiquer de telles opérations soit réduit.
Par cet amendement, nous voulons susciter un débat afin de trouver des solutions concrètes qui permettent que les droits des individus soient respectés, mais également que les personnels de la police puissent travailler dans les meilleures conditions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Comme je vous l’ai indiqué en commission, je ne comprends pas bien l’objet de cet amendement. Celui-ci prévoit que l’exécution de la garde à vue est assurée par des personnels de police ne participant pas à l’enquête. Or des actes d’enquête tels que des auditions sont réalisés lors de la garde à vue.
Que souhaitez-vous faire ? Je suppose que vous voudriez séparer les actes d’enquête tels que l’audition, les confrontations, et le fait de maintenir dans une cellule ou une pièce, créant en quelque sorte un service pénitentiaire à l’intérieur du commissariat de police : est-ce bien cela ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la proposition d’un syndicat de police.
M. François Zocchetto, rapporteur. Vous conviendrez donc que la rédaction de votre amendement n’est pas satisfaisante. Quoi qu’il en soit, les problèmes pratiques majeurs que provoquerait l’application d’une telle disposition ne permettent pas d’y donner suite : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Mathon-Poinat, certes, cet amendement pourrait être mis en œuvre dans certains lieux, mais le dispositif que vous proposez conduirait à spécialiser une partie d’un service pour assurer la surveillance des personnes gardées à vue, tandis qu’une autre partie serait spécialisée dans les actes d’enquête.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce n’est pas cela ? Dans ce cas, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette proposition, que j’ai trouvée tout à fait bonne, monsieur le ministre, émane d’un syndicat de policiers. Il n’est pas nécessaire de spécialiser un service. Simplement, l’officier de police judiciaire chargé de contrôler les conditions de la garde à vue ne doit pas être celui qui mène l’enquête.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je pense que nous pourrions faire un parallèle avec les magistrats : ceux qui s’occupent de l’instruction ne peuvent pas participer à la formation de jugement.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il faut faire une loi applicable sur l’ensemble du territoire de la République, ce que ne permet évidemment pas le dispositif qui est proposé.
Certaines brigades de gendarmerie comptent deux OPJ, d’autres un seul. Or il n’est pas possible de regrouper les brigades de gendarmerie pour disposer de deux OPJ. S’il était adopté, cet amendement entraînerait donc la fermeture d’un grand nombre de brigades de gendarmerie. Le Gouvernement y est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
L’article 63-2 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « dans le délai prévu au dernier alinéa de l’article 63-1 » sont supprimés ;
a bis) (nouveau) Les mots : « ou son employeur » sont remplacés par les mots : « ou son curateur ou son tuteur » ;
b) Il est ajouté deux phrases ainsi rédigées :
« Elle peut en outre faire prévenir son employeur. Lorsque la personne gardée à vue est de nationalité étrangère, elle peut faire contacter les autorités consulaires de son pays. » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf en cas de circonstance insurmontable, qui doit être mentionnée au procès-verbal, les diligences prévues au premier alinéa doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a formulé la demande. »
M. le président. L'amendement n° 77, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 6
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Le second alinéa est ainsi rédigé :
« En raison des nécessités de l'enquête, le procureur de la République peut saisir le juge des libertés et de la détention afin qu'il ne soit pas fait droit à cette demande. »
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Nous considérons que la restriction prévue par cet article – un officier de police judiciaire peut ne pas faire droit à la demande de la personne gardée à vue de prévenir un proche ou son employeur – doit relever du juge des libertés et de la détention et non du procureur de la République.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement est parfaitement logique dans l’esprit de ses auteurs. Il vise à confier au juge des libertés et de la détention le contrôle complet de la garde à vue.
Or nous avons déjà expliqué pourquoi nous pensons que, au moins dans les premières quarante-huit heures de la garde à vue, le procureur de la République est le mieux à même d’assurer ce contrôle, en particulier lorsque, en raison des nécessités de l’enquête, il n’est pas fait droit à la demande du gardé à vue de prévenir un proche ou son employeur.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Anziani, à l’heure actuelle, aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle n’impose que l’autorisation donnée aux enquêteurs de reporter l’avis à un proche ou à un employeur soit délivrée par un juge.
Cette règle ancienne de notre droit a été introduite par la loi Sapin-Vauzelle du 4 janvier 1993 voilà près de vingt ans. Elle y a été maintenue par la loi Guigou du 15 juin 2000, qui avait pour objectif de renforcer la protection de la présomption d’innocence. Elle a été maintenue telle quelle par la loi Lebranchu du 4 mars 2002. Je pense qu’il faut rester dans cette ligne historique.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 176, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
les diligences prévues au
par les mots :
les diligences incombant aux enquêteurs en application du
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
(Non modifié)
L’article 63-3 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« Le médecin se prononce sur l’aptitude au maintien en garde à vue et procède à toutes constatations utiles. Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences prévues au présent alinéa doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a formulé la demande. Sauf décision contraire du médecin, l’examen médical doit être pratiqué à l’abri du regard et de toute écoute extérieurs afin de permettre le respect de la dignité et du secret professionnel. » ;
2° À la seconde phrase de l’avant-dernier alinéa, les mots : « par lequel il doit notamment se prononcer sur l’aptitude au maintien en garde à vue » sont supprimés.
M. le président. L'amendement n° 177, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Remplacer les mots :
les diligences prévues au
par les mots :
les diligences incombant aux enquêteurs en application du
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 113 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au deuxième alinéa, après les mots : « À tout moment, », sont insérés les mots : « le juge des libertés et de la détention, ».
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 28, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
2° L'avant-dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque le médecin délivre un certificat médical d'incompatibilité de l'état de santé de la personne avec la garde à vue, celui-ci a un caractère impératif. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement a déjà été présenté à l’Assemblée nationale, qui ne l’a pas retenu, ce qui est bien dommage. Peut-être sera-t-il adopté par le Sénat ?
Cet amendement vise à conférer un caractère impératif au certificat médical d’incompatibilité de l’état de santé de la personne avec la garde à vue. Il m’a déjà été répondu qu’une telle disposition était inutile.
Je vous rappelle pourtant que cette proposition constitue une recommandation ancienne et constante de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS.
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de saisir la CNDS d’un cas de non-respect du certificat médical dans un commissariat. La Commission déplorait, dans un rapport de 2007 relatif aux zones d’attente, qu’elle étendait à l’ensemble des lieux de privation de liberté, d’avoir été « souvent été saisie de réclamations où il était fait état du non-respect par les fonctionnaires de police ou par le personnel de surveillance des prescriptions médicales, ou encore du non-respect des certificats d’incompatibilité ».
Nous soutenons cette recommandation, car nous considérons que l’article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui prévoit que la nation « garantit à tous […] la protection de la santé », doit conforter le caractère impératif du certificat médical dans de telles circonstances.
Il n’appartient pas à un fonctionnaire de police n’ayant aucune compétence médicale de ne pas donner suite au certificat médical établi par un professionnel de santé dans des conditions d’indépendance indiscutables.
En outre, cet amendement nous apparaît d’autant plus opportun que, depuis le 1er mars 2010, a été instaurée la question prioritaire de constitutionnalité, qui permet à chaque justiciable de soutenir, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction administrative ou judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit », en application de l’article 61-1 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel, dans une décision en date du 30 juillet 2010, a, je vous le rappelle, déclaré que les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale étaient contraires à la Constitution.
Une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité est donc possible. Elle serait naturellement légitime, compte tenu de la violation manifeste de l’article 11 du Préambule. De toute évidence, on méconnaît de fait le droit à la préservation de la santé de nos concitoyens alors qu’il serait possible de concilier les exigences de sécurité et de préservation de l’intérêt de l’enquête avec celle, tout aussi fondamentale, de préservation de la santé des personnes gardées à vue.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Il n’est pas possible de faire dépendre le déroulement de la garde à vue, en l’occurrence son interruption ou sa poursuite, d’un certificat médical. C’est l’officier de police judiciaire qui dirige la garde à vue. À ce titre, il prend ses responsabilités.
Un officier de police judiciaire qui méconnaîtrait les conséquences d’un certificat médical prendrait la responsabilité d’invalider la procédure. En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation est assez claire : elle indique que la poursuite de la garde à vue d’une personne dans des conditions qui sont, selon les constatations d’un médecin, incompatibles avec son état de santé porte nécessairement atteinte à ses intérêts. Elle peut entraîner l’annulation complète de la garde à vue.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Bien évidemment, si un médecin constate l’incompatibilité de l’état de santé d’une personne avec la garde à vue, il est mis fin à la garde à vue, sauf dans le cadre d’une prise en charge hospitalière conforme aux éventuelles prescriptions médicales.
Ces dispositions résultent de la jurisprudence de la Cour de cassation et d’un arrêt rendu par la chambre criminelle le 27 octobre 2009. Il n’est nullement nécessaire de les faire figurer dans la loi, d’autant que l’amendement ne tend pas à prévoir la poursuite de la garde à vue en milieu médicalisé.
Il existe par exemple à Paris, à l’Hôtel-Dieu, salle Cusco, des chambres réservées aux personnes gardées à vue devant être hospitalisées.
Madame Borvo Cohen-Seat, vous avez par ailleurs évoqué le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Celle-ci a effectivement noté dans son rapport de 2009 avoir constaté la poursuite d’une garde à vue malgré un certificat médical ayant relevé une incompatibilité. Selon ce même rapport, cette situation s’explique, selon les indications du ministère de l’intérieur, par un dysfonctionnement de service. Des mesures correctives auraient été prises.
La CNDS indique par ailleurs dans son rapport que le non-respect d’un certificat médical d’incompatibilité est déjà contraire aux dispositions actuelles du code de procédure pénale. Elle ne sollicite donc pas de modification législative sur ce point.
Sous le bénéfice de ces explications, je vous prie, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je tiens à appuyer l’amendement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, car il me paraît très important.
En théorie, bien sûr, le certificat médical a du poids. Monsieur le ministre, vous avez cité un exemple, permettez-moi d’en citer un autre.
Dans un avis du 1er décembre 2008, la CNDS constate qu’une personne placée en garde à vue est décédée alors qu’elle était manifestement malade et qu’elle aurait dû être hospitalisée. Ce cas est plus grave que celui qu’a évoqué Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, car la personne gardée à vue n’a même pas rencontré de médecin.
L’amendement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ouvre un débat. Le non-respect de la réglementation, même si celle-ci est bien faite, ce qui n’est d’ailleurs peut-être pas le cas, a abouti à un décès.
Peut-être serait-il bon de rappeler, par voie de circulaire ou autre, les quelques règles qui s’imposent à chacun ?
M. le président. L'amendement n° 27, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
...° La seconde phrase de l'avant-dernier alinéa est complétée par les mots : « et une copie en est immédiatement remise au gardé à vue et, si ce dernier en fait la demande, à un membre de sa famille ou à une personne de confiance ».
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement a pour objet de compléter la rédaction actuelle de l’article 63-3 du code de procédure pénale. Il tend à prévoir que non seulement le certificat médical doit être versé au dossier de la personne gardée à vue, mais que cette dernière peut, à sa demande, en obtenir immédiatement copie. Ce certificat est naturellement très important puisqu’il peut constituer une preuve pour la personne gardée à vue en cas de recours contre l’administration.
Dans un souci légitime de simplification des démarches juridiques de nos concitoyens, il serait préférable que les personnes qui font l’objet d’un examen médical se concluant par la remise d’un certificat en soient également les destinataires, car ce certificat concerne leur état de santé. À défaut, les personnes gardées à vue sont obligées d’en demander la communication aux autorités de police, voire, en cas de refus, de saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA.
Par ailleurs, notre amendement, qui relève du simple bon sens, nous semble conforme à l’obligation qui est faite actuellement au médecin de remettre ce certificat médial en mains propres au patient, exigence qui est en réalité le corollaire du secret professionnel auquel est astreint le médecin.
Cette exigence est, je vous le rappelle, inscrite dans la partie réglementaire du code de la santé publique en son article R. 4127-35 qui porte transcription de l’article 35 du code de déontologie médicale.
Rien ne justifie en effet que la situation administrative des personnes gardées à vue les prive de l’application des apports considérables qui résultent de l’adoption de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Il faut que ces personnes puissent avoir accès, si elles le désirent, directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’elles désignent, aux informations de santé les concernant, que ces informations soient établies dans cette perspective ou détenues par un professionnel ou un établissement de santé.
Enfin, nous proposons par cet amendement que la personne gardée à vue puisse, pour des raisons évidentes de conservation de ce document, faire expressément la demande que ce certificat médical soit confié, au choix, à un membre de sa famille ou à une personne de confiance telle que définie à l’article L. 1111-6 du code de la santé publique, créé par la loi du 4 mars 2002, si elle en a désigné une.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement, qui procède d’une intention louable, est en effet intéressant. Il paraît normal que la personne examinée par un médecin puisse avoir connaissance du résultat de cet examen.
Néanmoins, nous avons le souci de ne pas trop alourdir les procédures pendant la garde à vue. J’observe que ce certificat médical figure au dossier, dossier qui doit être consultable par l’avocat.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ah oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. Je demande donc au garde des sceaux de bien vouloir me confirmer que l’avocat pourra avoir connaissance de ce certificat et, ainsi, informer son client.
Si la réponse est positive, j’espère qu’elle vous satisfera et que vous retirerez votre amendement, madame Borvo Cohen-Seat. Dans le cas contraire, la commission émettra un avis défavorable sur votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vais tâcher de répondre à M. le rapporteur de la façon la plus précise qui soit, mais également de la façon la plus agréable pour lui. Me référant au texte qu’il a établi au nom de la commission des lois, je lui rappellerai que le texte proposé pour l’article 63-4-1 du code de procédure pénale à l’article 7 dispose : « À sa demande, l’avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa du I de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l’article 63-3, ainsi que les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. »
Vous vous êtes donné entière satisfaction, monsieur le rapporteur. On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! (Sourires.)
L’amendement de Mme Borvo Cohen-Seat est donc satisfait par ces dispositions. Par conséquent, je lui demande de bien vouloir retirer son amendement. Si elle ne le retirait pas, le Gouvernement serait défavorable à cet amendement.
M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, votre amendement est-il maintenu ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
Après le même article 63-3, il est inséré un article 63-3-1 ainsi rédigé :
« Art. 63-3-1. – Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.
« Le bâtonnier ou l’avocat de permanence commis d’office par le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.
« L’avocat désigné est informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.
« S’il constate un conflit d’intérêts, l’avocat fait demander la désignation d’un autre avocat. En cas de divergence d’appréciation entre l’avocat et l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République sur l’existence d’un conflit d’intérêts, l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République saisit le bâtonnier qui peut désigner un autre défenseur.
« Le procureur de la République, d’office ou saisi par l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire, peut également saisir le bâtonnier afin qu’il soit désigné plusieurs avocats commis d’office lorsqu’il est nécessaire de procéder à l’audition simultanée de plusieurs personnes placées en garde à vue. »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous pourrions penser qu’aujourd’hui le respect des droits les plus basiques, tels que ceux de la défense, ou tout simplement le respect de la dignité humaine, inscrits par ailleurs dans la Constitution, étaient chose acquise.
Nous nous demandons pourquoi l’on nous présente aujourd’hui la présence de l’avocat comme étant « révolutionnaire »... C’est un peu exagéré !
La règle communautaire du droit à un procès équitable, inscrite à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et à partir de laquelle la jurisprudence communautaire a déduit un certain nombre de principes de droit visant à garantir l’équité de la procédure, implique de toute évidence le droit d’être assisté par un avocat.
Ainsi, dans l’arrêt Dayanan contre Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme souligne que « l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. À cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ». Autrement dit, le travail de l’avocat doit se faire dans des conditions qui lui permettent de véritablement préparer sa défense et de préparer les interrogatoires avec la personne gardée à vue.
On est, aujourd’hui, bien loin du compte.
Nous n’avons de cesse de répéter que le texte du Gouvernement reste bien en deçà de ce qu’il devrait être pour garantir le droit à une assistance effective, telle que la souhaitaient le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. Dans l’arrêt Sahraoui rendu par la Cour de cassation, le juge effectue une distinction claire entre la présence de l’avocat et l’assistance de l’avocat en statuant sur la base de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Vous en faites, pour votre part, une interprétation restrictive !
En tout état de cause, le texte aurait dû être modifié afin de garantir à la personne gardée à vue, pendant la durée entière de la mesure, le droit à l’assistance effective d’un avocat, qui comprend le droit de s’entretenir en privé, la présence aux auditions avec la possibilité de poser des questions et la possibilité d’avoir accès aux pièces du dossier au fur et à mesure de sa constitution.
Comme l’a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dans son avis rendu le 6 janvier 2011 sur ce projet de loi, l’avocat est plus souvent un vecteur d’apaisement et de sérénité, à condition qu’il ne soit pas cantonné à un rôle de surveillant privé de réels moyens de jouer son rôle primordial dans la garantie des droits de la défense !
Il convient également d’appréhender les besoins des barreaux, qui ne disposent ni des délais ni des subsides nécessaires à leur réorganisation à court terme. Rappelons également que, selon la CNCDH, pour que le droit à l’assistance d’un avocat en garde à vue soit effectif, les crédits alloués à l’aide juridictionnelle doivent être impérativement augmentés. Or les crédits alloués au service public de la justice ne cessent de s’amenuiser – nous avons d’ailleurs eu l’occasion d’en discuter lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011 – et sont réduits à une portion congrue.
Somme toute, l’impact de cette réforme sera très limité puisqu’elle ne prévoit pas les garanties inhérentes à l’exercice de ce droit à l’assistance effective d’un avocat. Les dispositions prévues à cet article ne sont que des expédients destinés à répondre aux injonctions européennes. Hélas, ces dispositions promettent, encore, un contentieux à venir.
M. le président. L'amendement n° 148 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'avocat peut également être désigné par un membre de la famille de la personne, son employeur, ou tout autre proche. Cette désignation doit toutefois être confirmée par la personne.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’article 5 du projet de loi prévoit que la personne placée en garde à vue peut désigner un avocat ou, si elle ne peut pas le faire, se voir attribuer un avocat commis d’office.
Dans la pratique, nous savons que, très souvent, des personnes placées en garde à vue n’ont pas le réflexe de faire appel à un avocat qu’elles connaissent, et même qu’elles n’ont pas la moindre réaction. Très souvent, des conseils sont contactés directement par des proches, notamment des membres de la famille – conjoint, concubin, frère ou sœur, par exemple. Les avocats ainsi contactés rencontrent de grandes difficultés – et cela pose souvent un problème déontologique – à entrer en contact avec la personne gardée à vue. Cette situation étant très fréquente, il m’apparaît souhaitable qu’il soit possible pour les proches de la personne gardée à vue de proposer qu’un avocat choisi par eux soit désigné. Cette désignation devrait alors simplement être confirmée par la personne gardée à vue. Cela existe dans la pratique, mais des difficultés demeurent.
Je ne vois pas ce qui pourrait s’opposer à ce qui constituerait une vraie facilitation du processus de désignation. En effet, dans certains cas, et même assez souvent, l’avocat contacté par les proches se voit refuser l’accès aux locaux de garde à vue, faute d’avoir été désigné par la personne gardée à vue elle-même.
Il faut impérativement essayer de réparer ce dysfonctionnement en adoptant cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement ouvre à un proche la possibilité de désigner un avocat à condition que celui-ci soit agréé par la personne gardée à vue. Cela paraît aller de soi.
Cette disposition que vous proposez, monsieur Mézard, consacre en effet la pratique actuelle. Néanmoins – nous en avons parlé en commission –, votre amendement, tel qu’il est rédigé, pourrait entraîner des dérives et, en pratique, soumettre la personne gardée à vue à certaines pressions s’agissant du choix de son avocat. Pour ne parler que des cas de criminalité organisée, des trafics de stupéfiants impliquant de nombreux intervenants, cela n’est pas souhaitable.
La commission est par conséquent favorable à cet amendement, sous réserve d’une rectification. La première phrase se lirait ainsi : « L’avocat peut également être désigné par l’une des personnes susceptibles d’être informées du placement en garde à vue en application du premier alinéa de l’article 63-2. »
M. le président. Monsieur Mézard, que pensez-vous de la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Jacques Mézard. Je l’accepte, monsieur le président, et je rectifie mon amendement en ce sens.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 148 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, et ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'avocat peut également être désigné par l'une des personnes susceptibles d'être informées du placement en garde à vue en application du premier alinéa de l'article 63-2. Cette désignation doit toutefois être confirmée par la personne.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je me prononcerai sur les deux versions de cet amendement, celle qui a été présentée par M. Mézard et celle qui a été suggérée par M. le rapporteur.
Cet amendement est inspiré par des motifs respectables. Toutefois, le Gouvernement ne peut pas y être favorable en l’état, tant pour des raisons pratiques que pour des raisons de fond.
En effet, faut-il permettre à la famille ou à l’employeur de désigner un avocat pour une personne gardée à vue alors que cette dernière pourrait, par exemple, avoir été interpellée pour une infraction intrafamiliale, ou commise à l’encontre de son employeur, ou avec la complicité de celui-ci ? De surcroît, comment la personne gardée à vue pourra-t-elle valablement apprécier l’opportunité de cette désignation alors qu’elle ne connaît pas cet avocat ?
Sur le plan pratique, cette disposition est difficilement applicable.
J’ai bien compris le raisonnement du rapporteur, qui a tenté de trouver une solution. Il me semble toutefois nécessaire que la personne gardée à vue ait davantage marqué son intention de faire confiance à la personne qui choisira un avocat à sa place. M. le rapporteur prévoit que l’avocat pourrait également être désigné par les personnes susceptibles d’être informées du placement en garde à vue en application du premier alinéa de l’article 63-2.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, c’est cela.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il faut être plus précis et indiquer qu’il s’agit des personnes que le gardé à vue a prévenues et qui figurent sur la liste des personnes définies à l’article 63-2. (M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur marquent leur approbation.)
En effet, dans le cas d’une infraction intrafamiliale, la personne gardée à vue n’aura pas appelé son conjoint, par exemple, pour lui exposer la situation. Elle pourrait en revanche vouloir appeler son employeur, son frère ou sa sœur. Il faut donc que la personne concernée par la désignation d’un avocat soit celle que le gardé à vue a choisi d’avertir de son placement en garde à vue, de telle façon que l’on puisse être assuré d’une relation de confiance entre elles.
Je propose donc à M. Mézard de rédiger ainsi la première phrase de son amendement : « L’avocat peut également être désigné par la ou les personnes prévenues en application du premier alinéa de l’article 63-2. » S’il accepte cette rectification, j’émettrai un avis favorable.
Le Gouvernement est en tout cas défavorable à l’amendement tel qu’il est actuellement rédigé.
M. le président. Monsieur Mézard, acceptez-vous la nouvelle proposition qui vous est faite par M. le garde des sceaux ?
M. Jacques Mézard. Que de résistance !
M. François Zocchetto, rapporteur. Mais non !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nullement !
M. Jacques Mézard. L’article 63-2 dispose que « toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, faire prévenir dans le délai prévu au dernier alinéa de l’article 63-1, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur de la mesure dont elle est l’objet ».
Pour ma part, j’avais introduit dans mon amendement la précision suivante : « Cette désignation doit toutefois être confirmée par la personne. » Je ne vois donc pas très bien où est le problème. (M. le garde des sceaux s’exclame.)
Monsieur le garde des sceaux, vous aviez peur que la désignation extérieure puisse intervenir, par exemple, dans des conditions de conflit intrafamilial. Or, dès lors qu’il est indiqué que la désignation doit être confirmée par la personne placée en garde à vue, je pense qu’un tel risque est réduit à néant.
Cela étant, comme je souhaite que nous puissions obtenir des avancées concrètes sur un problème auquel les acteurs de terrain sont souvent confrontés, j’accepte de rectifier mon amendement dans le sens proposé par M. le garde des sceaux ; cela permettra au moins de faciliter l’exercice de la défense.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 148 rectifié ter, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'avocat peut également être désigné par la ou les personnes prévenues en application du premier alinéa de l'article 63-2. Cette désignation doit toutefois être confirmée par la personne.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Comme je ne peux pas m’exprimer au nom de la commission, qui ne s’est pas prononcée sur cet amendement dans sa nouvelle rédaction, je vous indique que, à titre personnel, je suis favorable à la proposition de M. le garde des sceaux, dans la mesure où est maintenue la dernière phrase : « Cette désignation doit toutefois être confirmée par la personne. »
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 178, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer les mots :
commis d’office
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. Il ne paraît pas nécessaire de restreindre la désignation du bâtonnier à des avocats « commis d’office ». Un avocat n’est pas forcément commis d’office dans de tels cas.
En fait, il s’agit presque d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
(Non modifié)
L’article 63-4 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 63-4. – L’avocat désigné dans les conditions prévues à l’article 63-3-1 peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien.
« La durée de l’entretien ne peut excéder trente minutes.
« Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut, à sa demande, s’entretenir à nouveau avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et pour la durée prévues aux deux premiers alinéas. »
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
trente minutes
par les mots :
une heure
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous proposons d’augmenter la durée de l’entretien prévu entre la personne placée en garde à vue et son avocat.
L’insuffisance de la présente réforme se manifeste une fois de plus avec le dispositif institué à cet article, qui vient aggraver la faiblesse du droit à l’assistance d’un avocat.
En effet, l’entretien d’une demi-heure accordé à la personne gardée à vue avec son avocat est très nettement insuffisant pour la constitution d’une défense effective.
Nous imaginons difficilement que la personne gardée à vue puisse transmettre à son avocat les informations utiles à sa défense dans un laps de temps aussi limité que trente minutes, notamment dans le cas d’une affaire complexe.
Une telle inefficacité de l’entretien est amplifiée par le fait que l’avocat ne sera pas habilité, pour des raisons d’ailleurs sibyllines, à accéder à l’ensemble de la procédure.
La délivrance d’un conseil avisé et utile de l’avocat à son client dans ces conditions est chimérique.
Loin de répondre aux conditions d’une réelle assistance, cet entretien se traduira dans les faits par un simple réconfort psychologique et, au mieux, par un éclairage procédural sur le déroulement de la garde à vue.
Un entretien d’une durée d’une heure serait bien plus satisfaisant et permettrait, dans le cas d’affaires complexes, d’offrir à l’avocat un entretien efficace avec son client pour l’élaboration de sa défense, après avoir pris connaissance de la version de ce dernier, du procès-verbal et des différentes pièces du dossier.
C’est pourquoi il convient d’adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement concerne l’entretien préliminaire, c'est-à-dire la première rencontre entre l’avocat et la personne en garde à vue.
Pour avoir souvent évoqué ce sujet avec des praticiens, et pour en avoir moi-même fait l’expérience, je puis vous assurer que les trente minutes sont amplement suffisantes.
En effet, à ce stade de la procédure, le dossier est vide ou presque. L’entretien a d’abord une vocation psychologique – certains parlent de « visite de courtoisie », mais je trouve l’expression tout de même un peu caricaturale – ; il s’agit de donner quelques indications à la personne placée en garde à vue. Mais ce n’est certainement pas dans ce cadre que l’on peut élaborer une stratégie de défense.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis convaincu par l’expérience de M. le rapporteur, et j’émets donc également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’avoue que les arguments avancés par M. le rapporteur m’étonnent quelque peu.
Qui peut le plus peut le moins : si nous fixons une durée d’une heure dans la loi, rien n’empêchera l’avocat de ne rester qu’une demi-heure ! Mais nous lui laissons la possibilité de rester une heure, ce qui peut se révéler fort utile sur certains dossiers compliqués.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. En l’occurrence, nous sommes au tout début de la procédure. À ce stade, le dossier est vide ou presque. Par conséquent, une durée supérieure à celle qui nous est proposée par la commission ne me paraît pas se justifier.
M. le président. L'amendement n° 78, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« À l'issue de chaque audition ou confrontation, la personne gardée à vue peut demander à s'entretenir à nouveau avec un avocat dans les conditions prévues aux deux premiers alinéas.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Je me réjouis que nous puissions examiner cet amendement juste après avoir débattu de l’amendement présenté par Alima Boumediene-Thiery.
J’ai entendu les arguments qui ont été avancés. On nous dit que le dossier est vide ou presque au début de la procédure. Mais, justement : il est amené à s’étoffer au fur et à mesure des auditions et confrontations !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Alain Anziani. Et c’est au moment où le dossier commencera à s’étoffer que l’avocat ne pourra pas s’entretenir avec son client ! C’est tout de même paradoxal !
Comme nous le savons tous, il y a des évolutions dans une garde à vue ; la situation n’est pas la même au début, au milieu ou à la fin. À mon sens, la nécessité de l’entretien se fait encore plus sentir avant une audition. À défaut, l’avocat ne pourra voir son client que quelques secondes au mieux, selon le bon vouloir des forces de police, et la discussion se fera en catimini. Il me semble préférable qu’elle se fasse au grand jour et que l’avocat puisse véritablement conseiller son client.
Au demeurant, il faut cesser de croire qu’un avocat qui conseille utilement son client va forcément à l’encontre de l’enquête. Dans certains cas, un avocat peut très bien conseiller à son client de se rendre à l’évidence et d’éviter toute déclaration manifestement contraire à la réalité des faits. Cela fait également partie du rôle de l’avocat. Mais encore faut-il qu’il puisse effectivement s’entretenir avec son client !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je suis extrêmement sensible à ce que M. Anziani vient d’indiquer.
Mais essayons d’imaginer ce qui se passera. Après tout, personne n’a encore expérimenté cette nouvelle procédure, qui introduit de grands changements, et aucun avocat n’a encore assisté à des auditions de personnes gardées à vue.
Nous devons avoir le souci – je crois qu’il est partagé – de faire en sorte que les gardes à vue ne durent pas trop longtemps. Il faut éviter de les prolonger. Or, s’il y a une multiplication des entretiens avec l’avocat – certes, cela procéderait d’une intention louable –, les gardes à vue risquent de durer non plus une dizaine ou une douzaine d’heures, comme c’est le cas aujourd'hui, mais vingt-quatre heures, et d’être alors prolongées.
La commission a procédé à un décompte. Avec un délai de carence de deux heures pour permettre l’arrivée de l’avocat, qui risque en fait de durer deux heures et quart, suivi d’un entretien d’une demi-heure, qui risque en réalité de durer trois quarts d’heure, nous allons aboutir à des gardes à vue de plus en plus longues, d’autant que l’investigation se poursuivra en même temps !
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Pour autant, je n’exclus pas que, à l’issue de l’expérimentation de la nouvelle procédure, nous devions instituer un dispositif permettant à la personne placée en garde à vue et à son avocat de s’entretenir. Mais peut-être faudrait-il alors prévoir une rencontre d’une dizaine de minutes. En tout cas, il n’est pas possible de multiplier les entretiens d’une demi-heure.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je comprends bien l’objectif des auteurs de cet amendement. Ils veulent donner tout son sens à l’expression « assistance d’un avocat ». Pour autant, je crois que l’on ne peut pas trop diminuer le temps effectif de la garde à vue.
J’avais déposé un amendement pour réduire le délai de carence de deux heures à une heure, mais je n’ai pas senti un fort soutien de la part de la commission…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne vous servez pas de contre-arguments, monsieur le garde des sceaux ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il y a déjà un délai de carence de deux heures. On ne peut pas prévoir des durées d’entretien supérieures à celles qui sont prévues par le projet de loi. En trente minutes, on peut parler, faire connaissance, s’expliquer. Certes, je n’ai pas autant d’expérience que les avocats présents dans cet hémicycle. Un nouvel entretien de trente minutes est déjà prévu en cas de prolongation de la garde à vue. On ne peut pas multiplier les entretiens. L’objectif est tout de même d’éviter tout allongement inutile de la garde à vue.
En outre, dans les faits, l’avocat pourra s’entretenir avec son client au cours des auditions, car je doute qu’elles durent vingt-quatre heures d’affilée sans la moindre interruption !
M. François Zocchetto, rapporteur. C’est tout de même un métier difficile !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Chaque métier est difficile, monsieur le rapporteur !
Un officier de police judiciaire chargé de retrouver des délinquants a également un métier difficile. Laissons-lui tout de même la possibilité de l’exercer.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. J’ai été relativement convaincue par les arguments de notre collègue Alain Anziani, qui souhaite donner tout son sens à la notion d’« assistance d’un avocat ».
Toutefois, un autre problème risque de se poser : celui de la disponibilité des avocats. Que feront-ils entre les entretiens ? C’est une question à creuser. Et s’il y a plusieurs personnes placées en garde à vue au même endroit, faudra-t-il mobiliser plusieurs avocats qui devront être disponibles pendant une durée indéterminée ?
La proposition formulée par M. Anziani est pertinente et traduit sa volonté que l’assistance par l’avocat soit effective. En même temps, je crois qu’elle soulève quelques difficultés de mise en œuvre pratique auxquelles nous devons réfléchir si nous voulons que la loi s’applique et que les personnes en garde à vue bénéficient d’une véritable protection.
En l’état actuel, je ne vois pas comment un tel dispositif pourrait entrer en vigueur. Je ne voterai donc malheureusement pas cet amendement, bien que je le trouve très intéressant.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. J’attire tout de même votre attention sur le fait que les entretiens auront tout de même lieu en pratique. (M. le garde des sceaux et M. le rapporteur acquiescent.) Simplement, ils se feront en catimini, et leur durée sera à géométrie variable, selon le bon vouloir de l’officier de police judiciaire.
M. Alain Anziani. Les choses ne se passeront pas de la même manière à Lille, à Lyon ou à Bordeaux !
Or notre rôle est tout de même d’apporter des clarifications et de ne pas laisser les acteurs locaux déterminer la norme sur un tel sujet.
Madame Goulet, il est possible que les avocats soient effectivement confrontés à des difficultés en pratique. Mais notre rôle est bien de fixer des règles. Il appartiendra ensuite aux avocats de voir comment s’y adapter pour assister au mieux leurs clients.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 78.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. le président. L'amendement n° 29, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce droit lui est notifié en même temps que la décision de prolongation.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette précision doit être notifiée au prévenu afin que tout soit bien clair pour lui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La commission s’est déjà prononcée défavorablement sur cette question tout à l’heure.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon, pourquoi ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La commission préfère une notification en début de garde à vue claire, complète, améliorée, telle que le prévoit le texte.
Pourquoi vouloir multiplier les notifications ? Une telle mesure pourrait se justifier si la prolongation modifiait les droits du gardé à vue, mais ce ne sera pas le cas. Une nouvelle notification n’est donc pas utile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Après le même article 63-4, sont insérés quatre articles 63-4-1 à 63-4-4 ainsi rédigés :
« Art. 63-4-1. – À sa demande, l’avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa du I de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l’article 63-3, ainsi que les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. Il ne peut en demander ou en prendre une quelconque copie.
« Art. 63-4-2. – La personne gardée à vue peut demander que l’avocat assiste à ses auditions. Dans ce cas, la première audition ne peut débuter sans la présence de l’avocat choisi ou commis d’office avant l’expiration d’un délai de deux heures suivant l’avis adressé dans les conditions prévues à l’article 63-3-1, de la demande formulée par la personne gardée à vue d’être assistée par un avocat.
« Si l’avocat se présente après l’expiration du délai prévu au premier alinéa alors qu’une audition est en cours, celle-ci est interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s’entretenir avec son avocat dans les conditions prévues à l’article 63-4 et que celui-ci prenne connaissance des documents prévus à l’article 63-4-1. Si la personne gardée à vue ne demande pas à s’entretenir avec son avocat, celui-ci peut assister à l’audition en cours dès son arrivée dans les locaux du service de police judiciaire.
« Toutefois, à la demande de l’officier de police judiciaire, le procureur de la République peut autoriser celui-ci soit à débuter immédiatement l’audition de la personne gardée à vue sans attendre l’expiration du délai de deux heures prévu au premier alinéa, soit à différer la présence de l’avocat lors des auditions pendant une durée ne pouvant excéder douze heures lorsque cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête soit pour permettre le bon déroulement d’investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes. L’autorisation du procureur de la République est écrite et motivée.
« Dans le cas prévu au quatrième alinéa, le procureur de la République peut décider à la demande de l’officier de police judiciaire que, pendant la durée fixée par l’autorisation, l’avocat ne peut consulter les procès-verbaux d’audition de la personne gardée à vue.
« Lorsque la personne est gardée à vue pour un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans, la présence de l’avocat lors des auditions peut, dans les limites fixées au quatrième alinéa, être différée, au-delà de la douzième heure, jusqu’à la vingt-quatrième heure, par décision écrite et motivée du juge des libertés et de la détention statuant à la requête du procureur de la République.
« Art. 63-4-3. – L’audition est menée sous la direction de l’officier ou de l’agent de police judiciaire qui peut à tout moment, en cas de difficulté, y mettre un terme et en aviser immédiatement le procureur de la République qui informe, s’il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre avocat.
« À l’issue de chaque audition à laquelle il assiste, l’avocat peut poser des questions. L’officier ou l’agent de police judiciaire ne peut s’opposer aux questions que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête ou à la dignité de la personne. Mention de ce refus est portée au procès-verbal.
« À l’issue de chaque entretien avec la personne gardée à vue et de chaque audition à laquelle il a assisté, l’avocat peut présenter des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions refusées en application du premier alinéa. Celles-ci sont jointes à la procédure. L’avocat peut adresser ses observations, ou copie de celles-ci, au procureur de la République pendant la durée de la garde à vue.
« Art. 63-4-4. – (Non modifié) Sans préjudice de l’exercice des droits de la défense, l’avocat ne peut faire état auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue ni des entretiens avec la personne qu’il assiste, ni des informations qu’il a recueillies en consultant les procès-verbaux et en assistant aux auditions. »
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Désormais, trois dates compteront dans la procédure pénale en France : l’arrivée de l’avocat au procès pénal en 1789, l’arrivée de l’avocat dans les cabinets d’instruction en 1895 et l’arrivée de l’avocat dans les commissariats en 2011.
Certes, cette arrivée était très attendue, mais ce projet de loi est empreint d’une certaine hypocrisie : il prévoit la présence de l’avocat, tout en réduisant à peau de chagrin l’efficacité de son intervention.
À première vue, le texte constitue une avancée puisqu’il institue la présence de l’avocat tout au long de la garde à vue. Mais c’est précisément là que le bât blesse. Les inquiétudes de la profession sont légitimes et méritent d’être relayées. Nous les partageons. Elles sont d’autant plus vives que le projet n’est pas satisfaisant au regard des attentes des praticiens et qu’il risque de sacraliser la phase policière des procédures en conférant aux procès-verbaux une valeur absolue.
La personne gardée à vue est immédiatement informée de son droit d’être assistée par un avocat, nous dit le texte, mais l’avocat désigné ne peut s’entretenir avec le gardé à vue que pendant trente minutes. Un amendement visant à doubler ce temps a été refusé. L’avocat a le droit de consulter les procès-verbaux du dossier, mais pas d’en prendre copie. L’avocat peut assister aux auditions, mais ne dispose que d’un délai de deux heures pour arriver, faute de quoi l’audition peut commencer sans lui. Le procureur peut différer de douze heures la présence de l’avocat aux auditions lorsqu’une telle mesure apparaît indispensable au bon déroulement de l’enquête, pour des raisons impérieuses, sans possibilité de consultation du dossier, s’il le décide. Douze heures, c’est souvent largement suffisant pour attendrir le suspect ! Et il ne nous est pas garanti que les déclarations faites pendant les douze heures passées sans l’assistance de l’avocat ne serviront pas de fondement à une condamnation ultérieure, en application de la magnifique déclaration de principe introduite à l’article préliminaire du code de procédure pénale.
Enfin, l’officier de police judiciaire peut s’opposer aux questions de l’avocat et informer le procureur de la République s’il « estime que l’avocat perturbe gravement le bon déroulement d’une audition », lequel procureur pourra demander au bâtonnier la désignation d’un nouvel avocat qu’on espérera plus docile.
Et nous ne traitons pas encore des régimes dérogatoires ! Seules sont concernées, pour l’instant, par cet articles les gardes à vue relevant du régime de droit commun. C’est vous dire le sort, bien mince, réservé au droit de la défense dans ce projet de loi.
Ainsi, mes chers collègues, le rôle de l’avocat est d’être un spectateur passif, voire un surveillant des interrogatoires de son client, quand sa présence n’est pas exclue ou différée.
Pourquoi vous montrer aujourd’hui aussi méfiants, pour ne pas dire défiants, par rapport aux aménagements que nous proposons ?
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 114 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
À sa demande, l’avocat peut avoir accès tout au long du déroulement de la garde à vue à toutes les pièces du dossier pénal qui concernent directement la personne qu’il assiste.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise à permettre à l’avocat d’avoir accès, durant l’ensemble de la mesure de garde à vue, à la totalité des pièces du dossier pénal qui intéressent directement son client.
Concrètement, la restriction de la transmission à l’avocat des seules pièces sur lesquelles se fonde la garde à vue, et à la disposition de l’officier de police judiciaire, n’est justifiée que par la volonté de ne pas donner à l’avocat plus d’informations que celles dont dispose l’officier de police judiciaire. Or il est en réalité très rare qu’un officier de police judiciaire ne dispose pas de l’ensemble des éléments du dossier. Cela survient, par exemple, lorsque certaines mesures sont délocalisées.
On constate donc que l’argument qui fonde cet accès limité ne tient pas.
On rappellera que, dans son arrêt Danayan c/Turquie du 13 octobre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme soulignait que « l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil » dès la première minute de sa garde à vue. Elle ajoutait également que « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ».
En d’autres termes, la Cour européenne des droits de l’homme a posé que l’assistance de l’avocat ne peut être limitée à sa seule présence et à la consultation des procès-verbaux d’audition. L’assistance doit être effective. Elle ne peut pas être à moitié ou au tiers ; il faut qu’elle soit complète. L’avocat doit immédiatement être en mesure d’assurer la défense de son client sur le fond de l’affaire qui a justifié la garde à vue, d’autant qu’une possibilité d’intervention lui est accordée par les nouvelles dispositions. Cette notion de défense effective a été reprise par le Conseil constitutionnel, puis par la Cour de cassation dans l’arrêt Sahraoui du 19 octobre dernier.
Or cette défense effective n’est évidemment pas garantie par l’article 7. Je ne comprends donc pas pourquoi cet amendement a reçu un avis défavorable. D’une manière ou d’une autre, l’assistance devra être effective. Cela prendra peut-être un peu de temps, mais il faudra y arriver !
M. le président. L'amendement n° 30, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
peut consulter
par les mots :
peut, dès son arrivée, consulter l'ensemble du dossier pénal à disposition de l'officier de police judiciaire qui comprend notamment
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement a le même objet que le précédent.
Comme M. Hyest n’aime pas l’adverbe « notamment », je précise que nous acceptons de le supprimer dans la rédaction que nous proposons.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas moi qui n’aime pas le mot : « notamment », c’est le droit !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ! Et vous avez raison !
Bref, cet amendement n’a pas reçu un avis favorable, car le principe du secret de l’enquête lui a été opposé. Mais il faut rappeler que ce principe ne doit pas jouer au détriment des droits de la défense !
L’avocat est un professionnel du droit et il est lié déontologiquement par le secret qu’il a juré de garder en prêtant serment. Si cette obligation déontologique de non-révélation ne devait pas suffire à convaincre de l’absence de risque d’atteinte au secret de l’enquête et de l’instruction par l’avocat, l’article 226-13 du code pénal servirait de rempart contre les avocats fautifs passibles de répression.
Ainsi, le secret de l’enquête et de l’instruction serait préservé par le secret professionnel de l’avocat.
Rappelons que le justiciable doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat sans report possible, avec toute la panoplie des droits reconnus à la défense qui ne saurait être une défense alibi, mais qui doit être aussi active au cours de la garde à vue et de l’enquête que le parquet est susceptible de l’être dans son rôle d’enquêteur.
Le dossier est ce qu’il est. Certes, il n’est pas complet au début de l’enquête. Mais il serait normal que l’avocat en ait connaissance.
M. le président. L'amendement n° 79, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après les mots :
l'article 63-3,
Rédiger ainsi la fin de cette phrase :
et toutes les pièces qui mettent en cause directement son client.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement tend à préciser quels sont les droits d’accès de l’avocat au dossier. Aujourd'hui, ces droits sont limités à un certain nombre de pièces.
Le sens de cet accès est évidemment de permettre à l’avocat de savoir exactement ce qui est reproché à son client. Il convient donc d’aller au-delà de la formulation actuelle, très restrictive, pour préciser que l’avocat doit pouvoir accéder à toutes les pièces qui mettent en cause son client.
Pourquoi cette formulation ? On sait que l’accès total n’est pas possible. Les différentes parties du dossier ne sont pas toutes réunies au même endroit. Par ailleurs, l’avocat n’a pas forcément à avoir accès à des pièces qui concernent d’autres personnes que son client. Son accès est donc limité aux éléments relatifs à son client, par exemple aux déclarations d’un témoin ou d’une autre personne suspecte qui l’accusent.
M. le président. L'amendement n° 115 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et les pièces du dossier mettant en cause la personne gardée à vue
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un amendement de repli.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Le projet de loi autorise la consultation des procès-verbaux d’auditions. Les différents amendements qui ont été exposés ouvriraient la possibilité de consulter toutes les pièces du dossier pénal qui concerneraient directement la personne.
J’ai encore en tête les propos d’un de nos éminents collègues, ancien garde des sceaux, lors du débat que nous avions organisé au Sénat sur la garde à vue en février 2010. J’avais été frappé par son témoignage, fondé sur ses expériences variées. Il soulignait que la consultation de l’intégralité du dossier pénal ne s’imposait qu’au stade de la mise en examen. Il nous rappelait qu’il ne fallait pas confondre la phase de l’enquête de police, d’une part, avec la phase judiciaire de la procédure, d’autre part.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. Il avait affirmé qu’en mélangeant ces deux étapes nous risquerions d’engendrer des difficultés, de sombrer dans la confusion la plus totale, voire d’entraîner la nullité de la procédure. Par ailleurs, le dossier pénal n’est pas une simple chemise contenant des notes et des photocopies. C’est l’élément clé de la procédure : il y a les pièces du dossier, qui serviront lors du procès, et les éléments qui ne figurent pas dans le dossier et n’ont aucune valeur.
Pendant l’enquête, de nombreux éléments sont versés au dossier. Or on connaît la difficulté qu’éprouvent les juges d’instruction à tenir leur dossier à jour, afin qu’il soit consultable par les avocats – je pense notamment à l’établissement d’une cotation correcte qui permette de disposer de pièces de procédure incontestables. Un officier de police judiciaire, qui ne sera pas assisté par un greffier et devra agir dans un laps de temps extrêmement bref, ne sera pas en mesure de présenter à tout moment de la garde à vue un dossier en ordre, accessible à l’avocat et non contestable dans la suite de la procédure.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces quatre amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. M. le rapporteur vient de présenter excellemment tous les arguments qui militent en faveur d’un avis défavorable sur ces quatre amendements. Je confirme cet avis, au nom du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote sur l’amendement n° 114 rectifié.
Mme Virginie Klès. Je m’étonne des objections qui nous sont opposées. M. le rapporteur a invoqué la difficulté de maintenir un dossier d’instruction à jour, avec toutes ses pièces cotées, mais la période de garde à vue étant beaucoup plus courte que la période d’instruction, la difficulté n’est absolument pas comparable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le rapporteur, il est tout à fait louable de se référer aux propos de notre excellent et éminent collègue Robert Badinter, mais il faudrait vous y référer constamment : or je note que vous-même ou le Gouvernement le faites uniquement lorsque cela vous arrange ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. J’ai sous les yeux la page 62 du rapport car je m’attendais à l’objection de M. le rapporteur. Mais Robert Badinter a présenté d’autres propositions qui auraient mérité un accueil plus favorable, tant de la part de M. le rapporteur que de celle du Gouvernement.
Revenons-en aux quatre amendements qui visent à permettre à l’avocat d’avoir une vision du dossier qui ne soit pas tronquée. À défaut, comment remplira-t-il sa mission ? Il faut qu’il dispose au moins des procès-verbaux de toutes les auditions : cette solution me paraîtrait raisonnable. Nous risquons, dans le cas contraire, de voir surgir de nouvelles difficultés donnant matière à recours. Si vous ne voulez pas ouvrir l’accès à toutes les pièces du dossier pénal, permettez au moins à l’avocat de prendre connaissance de toutes les auditions. De toute façon, il faudra bien y venir !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Excusez-moi de m’inviter dans ce débat, mais je souhaiterais apporter deux précisions.
Premièrement, Robert Badinter est signataire de notre amendement n° 79. Ce détail vous avait peut-être échappé.
Deuxièmement, l’expression « pièces qui mettent en cause directement son client » a été examinée avec Robert Badinter, et c’est en parfait accord avec lui qu’elle a été retenue, après de longs débats, notamment sur la notion de dossier. Il s’agit donc d’une proposition mûrement réfléchie de l’ensemble du groupe socialiste.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 80, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Il peut en prendre copie par ses propres moyens.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, je vais vous faire un aveu : notre amendement ouvre à l’avocat la possibilité de « prendre copie par ses propres moyens » des éléments du dossier. En fait, notre volonté était simplement de permettre à l’avocat de « prendre copie » ; mais nous savions qu’en nous limitant à cette rédaction, nous nous exposions aux foudres de l’article 40 de la Constitution, c’est pourquoi nous avons ajouté les mots « par ses propres moyens ».
Sur le fond, nous voulons permettre à l’avocat de s’emparer intellectuellement du dossier pour, une fois rentré dans son cabinet, loin du feu de l’action, de pouvoir réfléchir aux pièces qu’il contient.
Aujourd’hui, il est tout à fait possible de prendre copie d’une pièce par ses propres moyens, grâce à un scanner portatif ou en recourant à un dictaphone pour conserver la trace d’un certain nombre d’éléments.
M. le président. L’amendement n° 116 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Il ne peut en demander une copie.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement ne relève pas de la provocation.
La dernière phrase de l’alinéa 2 de l’article 7, relatif aux pièces communiquées à l’avocat, est actuellement ainsi rédigée : « Il ne peut en demander ou en prendre une quelconque copie ». J’ai écouté avec intérêt les explications de notre collègue Alain Anziani : que signifie « prendre copie » ? Cette formulation me paraît particulièrement surprenante : si l’on entend par là que l’avocat pourrait, de lui-même, emporter une copie du procès-verbal sans autorisation, c’est assez original !
Plus simplement, il me semble qu’il s’agit d’une maladresse rédactionnelle, car il est tout aussi illogique d’interdire strictement à l’avocat de posséder une copie de ce procès-verbal, dans la mesure où cette pièce participe de la régularité de la procédure de garde à vue. À mon avis, rien ne devrait empêcher un officier de police judiciaire de donner de lui-même une copie à l’avocat, dans le souci d’assurer une défense effective et loyale de la personne gardée à vue.
Quoi qu’il en soit, la rédaction qui prévoit que l’avocat ne peut « en prendre une quelconque copie » est trop vague : ou il a le droit ou il ne l’a pas ! Sinon, on pourrait croire qu’il est suspecté de chaparder des pièces ou de les copier en douce ! J’ai donc été particulièrement surpris de trouver cette formulation dans le texte du projet de loi.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il faut faire attention : bientôt, c’est l’avocat qui sera mis en garde à vue ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je salue la sagacité rédactionnelle de notre collègue Jacques Mézard. Notre rôle consiste effectivement à élaborer le meilleur texte possible ; l’amendement n° 116 rectifié apporte donc très certainement une plus-value rédactionnelle.
En effet, la rédaction de l’amendement n° 80 de notre collègue Alain Anziani ne peut recueillir l’assentiment de la commission des lois, car l’expression « prendre copie » est floue. La formulation « une quelconque copie », qui figure dans le texte élaboré par l’Assemblée nationale, n’est pas meilleure.
C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 116 rectifié et un avis défavorable sur l’amendement n° 80.
J’ajoute, monsieur le président, qu’il aurait été opportun d’aborder dans la foulée l’amendement n° 81, qui traite exactement de la même question…
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 81, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut toutefois prendre des notes.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 81 ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement tend à préciser dans le texte du projet de loi que l’avocat peut prendre des notes. La commission des lois a estimé que c’était bien le moins que puisse faire un avocat et elle a donc émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur l’amendement n° 80, présenté par M. Anziani.
En ce qui concerne l’amendement n° 116 rectifié, je partage le sentiment exprimé par M. Mézard : il faut soit autoriser, soit refuser la copie des pièces. Le Gouvernement souhaite la refuser. J’émettrais donc un avis favorable sur cet amendement si M. Mézard acceptait de le rédiger comme suit : « Il ne peut en demander ou en réaliser une copie ».
M. le président. Monsieur Mézard, que pensez-vous de la suggestion de M. le garde des sceaux ?
M. Jacques Mézard. Je l’accepte, monsieur le président, et je rectifie mon amendement en ce sens.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 116 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi et ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Il ne peut en demander ou en réaliser une copie.
Veuillez poursuivre, monsieur le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. S’agissant de l'amendement n° 81, le Gouvernement considère que l’avocat du gardé à vue peut bien évidemment prendre des notes lorsqu’il consulte les procès-verbaux d’auditions. Il peut même en prendre pendant les auditions, cela ne pose absolument aucun problème.
Au demeurant, cette précision me paraît assez inutile, car elle ne relève pas du domaine de la loi. De plus, cet ajout pourrait entraîner des interprétations a contrario : ainsi, le code de procédure pénale ne précise pas que l’avocat peut prendre des notes lorsque le dossier d’instruction est mis à sa disposition ; il en prend quand même, c’est une question de fait.
J’ai bien compris que M. le rapporteur était favorable à cet amendement, mais il me semble qu’il ne faut pas trop corseter la pratique. Je serais donc plutôt enclin à émettre un avis défavorable, mais, afin de rester dans le cadre d’un dialogue fructueux, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 81.
(L’amendement est adopté à l’unanimité des présents.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 82, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
L’avocat peut assister aux auditions et confrontations de la personne gardée à vue.
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 84.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 84 rectifié, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et confrontations
Vous avez la parole, ma chère collègue, pour défendre les amendements nos 82 et 84 rectifié.
Mme Virginie Klès. Ces deux amendements ont pour objet de réaffirmer le droit de l’avocat d’assister non seulement aux auditions mais aussi aux confrontations du gardé à vue, sachant que l’initiative peut venir de lui-même, dans un cas, ou de la personne gardée à vue, dans l’autre cas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 82. En effet, ce n’est pas l’avocat qui va diriger la garde à vue. En outre, il apparaît préférable de laisser à la personne gardée à vue la liberté de décider si elle souhaite bénéficier ou non de la présence d’un avocat. Il n’appartient pas à l’avocat de se substituer au gardé à vue.
En revanche, la commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 84 rectifié. Tout ce qui vaut pour les auditions vaut aussi pour les confrontations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement partage le sentiment de la commission sur l’amendement n° 82 ; aussi, il émet un avis défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 84 rectifié, il est évident que l’avocat pourra assister à la confrontation. Dans la mesure où je ne suis pas avocat, il est possible que je commette une grave erreur – auquel cas je rectifierai ma position –, mais je considère que la confrontation et l’audition désignent la même chose.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai ! Il est déjà question, ailleurs, d’audition et de confrontation.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Par conséquent, cet amendement est satisfait.
La justice requiert d’amples réformes. S’il faut employer deux mots pour désigner une même réalité, on comprend que les processus soient parfois un peu longs ! Je le répète, une audition peut aussi être une confrontation.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas la même chose !
Mme Josiane Mathon-Poinat. C’est exact !
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est une situation que j’ai vécue !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Tout le monde sait bien, ici, que ces deux termes désignent la même chose !
Certes, n’ayant, pour ma part, jamais été placé en garde à vue, je ne peux parler d’expérience ! (Sourires.) Cela viendra peut-être ! (Nouveaux sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela peut arriver à tout le monde !
M. le président. L'amendement n° 83, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Au cours de celles-ci, l'avocat peut prendre des notes.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Toujours dans le même esprit, nous proposons que l’avocat soit autorisé à prendre des notes au cours des auditions et des confrontations.
Je crois savoir que M. le président de la commission et M. le rapporteur souhaiteraient que je rectifie cet amendement de manière à en affiner la rédaction. J’annonce d’emblée que j’accède bien volontiers à cette demande.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. J’espère que M. le garde des sceaux ne nous en voudra pas de vouloir, une nouvelle fois, autoriser l’avocat à prendre des notes ! (Sourires.)
Comme M. Anziani l’a évoqué, la commission lui suggère de rectifier son amendement en remplaçant les mots « au cours de celles-ci » par les mots « au cours des auditions ou confrontations », le reste demeurant sans changement.
M. le président. M. Anziani a d’ores et déjà indiqué qu’il acceptait de rectifier son amendement dans ce sens.
Il s’agit donc de l’amendement n° 83 rectifié, ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Au cours des auditions ou confrontations, l'avocat peut prendre des notes.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il va y être défavorable, car cet amendement ne peut que lui déplaire ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’avoue que les bras m’en tombent un peu ! Il est quand même bizarre que ce soient des avocats qui soutiennent de telles idées !
Après tout, pendant que l’avocat prend des notes, il se tait et il ne fait rien d’autre. Il vaudrait mieux pour son client qu’il s’exprime pour le soutenir, mais il est vrai qu’il ne peut prendre la parole qu’à la fin de l’audition.
M. François Zocchetto, rapporteur. Il ne peut pas poser de question !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, il ne peut parler qu’à la fin !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le temps qu’il relise ses notes et l’audition ou la confrontation sera terminée !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ne sont pas tous idiots !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’avais dans l’idée – étrange idée, probablement – que l’avocat avait toute liberté pour prendre des notes ou ne pas en prendre. Bientôt, nous serons amenés à examiner un amendement visant à indiquer à quel moment il doit prendre ses notes ou quelles abréviations il doit utiliser…
L’avocat est libre. Il construit avec son client une relation de confiance et c’est la raison pour laquelle ce dernier l’a désigné.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit juste de l’autoriser à prendre des notes !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Autoriser ou non l’avocat à prendre des notes ne relève pas du domaine de la loi, et M. le président de la commission des lois le sait très bien. Aussi, j’en appelle à son autorité. Cela étant, si l’objectif est de faire plaisir à tout le monde, j’accepte bien volontiers, tout en renouvelant l’avis défavorable du Gouvernement sur cet amendement, d’accueillir le résultat du vote avec une grande sagesse. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout d’abord, il convient de rappeler que l’avocat joue un rôle limité au cours de la garde à vue.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il pourrait être très dangereux de modifier complètement son rôle de telle sorte que certains avocats puissent en profiter pour paralyser la garde à vue et l’enquête. Je ne vais pas citer de noms, mais on en connaît qui ficheraient la pagaille assez vite ! Bien entendu, je ne vise personne ici ! (Sourires.) En revanche, certains, parmi nous, qui pourraient devenir avocat, ficheraient, eux, volontiers la pagaille ! Là encore, je ne citerai aucun nom. (Nouveaux sourires.)
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous êtes suspicieux ! (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le garde des sceaux, il vaudrait mieux, me semble-t-il, préciser un certain nombre de points.
Imaginez qu’un officier de police judiciaire interdise à un avocat de prendre des notes. Vous savez, on trouve tous les genres d’individu dans la nature ! Cette disposition est d’ordre non pas réglementaire, mais législative, car nous sommes dans le domaine de la procédure pénale. Les circulaires d’application, quant à elles, n’ont pas de caractère réglementaire : elles n’ont d’autre objet que d’expliciter des dispositions. Peut-être une circulaire suffirait-elle,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ... mais, je le répète, elle n’aurait de toute façon aucun caractère réglementaire.
Sur le fond, monsieur le garde des sceaux, je partage votre analyse. Mais, puisque nous avons déjà décidé tout à l’heure d’autoriser une première fois la prise de notes, je suis, comme la commission, favorable à ce que le code de procédure pénale autorise explicitement l’avocat à prendre des notes au cours des auditions ou confrontations.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je tiens à rassurer M. le garde des sceaux : les avocats ont parfaitement la capacité d’écrire et de s’exprimer en même temps ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Là, ils n’ont pas le doit de parler !
M. Alain Anziani. L’esprit du projet de loi est clair : autoriser la présence de l’avocat tout en définissant précisément et rigoureusement son rôle. Or la rédaction de la dernière phrase de l’alinéa 2 pose problème : « Il ne peut en demander ou en prendre une quelconque copie. » C’est la raison pour laquelle nous avons déposé ces amendements.
À cet égard, je souscris aux propos pleins de sagesse du président de la commission. Imaginons, par exemple, que, au cours d’une garde à vue, un officier de police judiciaire objecte à l’avocat que, prendre des notes, c’est prendre copie, et lui interdise par conséquent de poursuivre ! Voilà la difficulté que nous souhaitons prévenir.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 83 rectifié.
(L'amendement est adopté à l'unanimité des présents.)
M. le président. L'amendement n° 163, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Après les mots :
la première audition
insérer les mots :
, sauf si elle porte uniquement sur les éléments de personnalité,
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Après tous les efforts que j’ai consentis, j’espère que la commission acceptera mes amendements aussi facilement que d’autres. (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas sûr ! (Mêmes mouvements.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement de précision vise à apporter une solution pragmatique destinée à concilier les nécessités de l’enquête et la préservation des droits de la défense. Le Gouvernement propose ainsi que la présence de l’avocat ne soit pas obligatoire lorsque la première audition porte uniquement sur les éléments de personnalité. Les services de police et de gendarmerie pourraient ainsi entendre la personne gardée à vue durant les deux premières heures de la mesure, y compris sans avocat, à condition que cette audition ne porte que sur des éléments de personnalité. Notre objectif est clair : il s’agit de consacrer utilement le temps de la garde à vue aux questions de fond en évacuant préalablement les questions liées à la personnalité de la personne mise en cause.
Cette mesure est essentielle si l’on veut que la garde à vue se déroule dans de bonnes conditions et ne se prolonge pas. En effet, si ces questions d’état civil ne sont pas abordées au cours de cette première phase, elles devront l’être ensuite, ce qui entraînera la prolongation de la garde à vue. Est-ce là le but visé ? Si l’on considère que la garde à vue doit être aussi courte que possible, l’adoption de l’amendement du Gouvernement devrait permettre de satisfaire cet objectif, d’autant – et nous l’avons tous souligné – que la question demeure de savoir quelle autorité judiciaire doit décider cette prolongation.
Espérant avoir convaincu la commission du bien-fondé de cet amendement, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à le voter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, quitte à vous contrarier une nouvelle fois – d’autant que ce n’est peut-être pas la dernière (Sourires) –, je suis au regret de vous informer que la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. François Zocchetto, rapporteur. Nous pensons qu’il n’est pas si aisé de distinguer entre l’interrogatoire de personnalité et l’interrogatoire portant sur les éléments de l’enquête.
À l’appui de ma démonstration, je vous rapporterai cet exemple d’interrogatoire, cité en commission.
Question : « Où habitez-vous ? ». Réponse : « À tel endroit. » « Pourquoi ? » « Êtes-vous marié ? » « Non. » « Vivez-vous seul ? » « Non. » « Alors expliquez-nous ! » « Quelles sont vos ressources ? » La personne indique ou non ses ressources. « Comment les justifiez-vous ? »
Comme vous pouvez le constater, il est assez difficile, au cours de l’interrogatoire de personnalité, de s’en tenir à des questions et à des réponses simples.
Monsieur le garde des sceaux, nous attirons votre attention sur le fait que l’adoption de cet amendement risquerait de fragiliser les procédures en favorisant les nullités. Je rappelle que, aux termes de l’article 1er A du projet de loi, qui complète l’article préliminaire du code de procédure pénale, les déclarations faites hors la présence d’un avocat n’ont pas la même valeur que celles qui sont faites en sa présence.
La commission est unanimement convaincue qu’il vaut mieux prévoir deux cas de figure très simples : soit le gardé à vue veut bénéficier de l’assistance d’un avocat et les questions ne peuvent lui être posées qu’à compter de l’arrivée de ce dernier, soit il ne le désire pas et, dans ce cas, le flot des questions peut immédiatement commencer.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je souscris entièrement au point de vue de la commission. Ce n’est qu’a posteriori, à l’issue de l’interrogatoire, qu’on sait si celui-ci a porté strictement sur les éléments de personnalité ou si, comme l’a dit le rapporteur, les questions ont concerné d’autres sujets.
Monsieur le garde des sceaux, votre idée est excellente, mais en théorie, car, en pratique, son application sera source de problèmes et pourrait même contrevenir à l’objectif du présent texte, à savoir l’assistance par un avocat.
Je le répète, la commission a adopté une position sage.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, vous savez faire preuve d’un certain humour dans vos interventions, mais, comme je vous disais ce matin : perseverare diabolicum. Et, dans le cas présent, l’enfer n’est pas pavé de bonnes intentions… (Sourires.)
Cet amendement est la démonstration de la résistance qui peut être opposée, par philosophie, aux évolutions prévues pour la garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, il faut avoir assisté, au cours de sa vie professionnelle, à des interrogatoires de personnalité pour savoir ce que recouvrent en réalité les mots « éléments de personnalité ». Il n’est pas raisonnable d’écrire, comme on peut le lire dans l’objet de l’amendement, qu’il s’agit par exemple de l’identité, des charges et des ressources de la personne. Voici le genre de questions qui peuvent être posées : « Monsieur, avez-vous l’habitude de boire ? » – C’est une question de personnalité ! – « Avez-vous l’habitude de vous adonner à la consommation de produits stupéfiants ? »
Nous l’avons tous compris, c’est avec de telles questions qu’on commence à « cuisiner » le gardé à vue. Cela, nous devons l’éviter, et c’est pourquoi je partage entièrement l’avis de la commission.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Mézard, nous n’avons aucune volonté d’aller contre la réforme, au contraire, et j’entends bien le prouver dès maintenant, et plus tard lors de sa mise en œuvre ! Néanmoins, il ne faut pas tout paralyser en confondant tout.
Ce que vous avez évoqué, monsieur Mézard, ressemble plus à l’enquête de personnalité faite par le juge d’instruction qu’au procès-verbal de personnalité fait dans le cadre de la garde à vue. Je rappelle que le procès-verbal de personnalité porte uniquement sur des questions d’état civil et sur rien d’autre.
Dans le cadre de la garde à vue, il s’agit de préparer l’enquête et de ne pas retarder indéfiniment le moment où l’on commencera à interroger sur le fond la personne gardée à vue. Sinon, on ne fera que prolonger la garde à vue, c’est-à-dire l’inverse de ce que l’on voulait obtenir, puisque nous voulons réduire le nombre de garde à vues et en limiter la durée.
C’est la raison pour laquelle cet amendement me semble de bon sens. Il ne s’agit pas du tout d’établir un procès-verbal de fond sur la personnalité mais de relever son état civil.
Mme Virginie Klès. Cela demande cinq minutes !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Peut-être, mais je rappelle que vingt-quatre heures, c’est très court.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Je me demande si l’on ne pourrait pas mettre tout le monde d’accord en remplaçant l’expression « éléments de personnalité » par l’expression « éléments d’identité » ou « éléments d’identité de la personne ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est exactement ce que je voulais dire !
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est exactement ce que je voulais dire. Je voulais demander à M. le ministre de rectifier son amendement en indiquant « éléments d’identité », puisque le terme « personnalité » inclut également le comportement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. L’idée de notre collègue Yves Détraigne me semble excellente !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Il me semble que le terme « identité » n’est pas celui qui convient ; il serait préférable de parler d’ « éléments d’état civil ».
La notion d’ « identité » est mal définie, on ne sait pas très bien ce qu’elle recouvre. À l’inverse la notion d’ « état civil » est claire, on sait ce que c’est.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. Qu’en pensez-vous, monsieur le garde des sceaux ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je préfère le terme « identité » proposé par M. Détraigne et je rectifie l’amendement du Gouvernement dans ce sens.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 163 rectifié, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Après les mots :
la première audition
insérer les mots :
, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d'identité,
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 164 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Remplacer les mots :
de deux heures
par les mots :
d'une heure
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement vise à réduire le délai durant lequel les services de police ne peuvent commencer le premier interrogatoire de la personne gardée à vue sans la présence d'un avocat, lorsqu'une telle assistance a été sollicitée.
Le texte de la commission prévoit un délai d’attente – je préfère, d’ailleurs, le terme « attente » à tout autre mot – de deux heures. L’amendement que je soutiens, au nom du Gouvernement, a pour objet de réduire ce délai à une heure.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas praticable !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Et en cas d’embouteillages ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. L'existence d'un délai d'attente, qui court à compter du moment où l'avis à l’avocat a été adressé, paraît nécessaire pour permettre à celui-ci de se présenter. Toutefois, il ne peut être occulté que ce délai contribuera à ralentir les investigations des services de police et allongera d'autant les mesures de garde à vue.
C'est pourquoi le présent amendement limite à une heure la durée de ce délai. Une telle durée permet de concilier l'effectivité de l'assistance de l'avocat et l'efficience de la garde à vue.
C’est pourquoi le Sénat devrait adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. L’Assemblée nationale a eu une excellente idée en instaurant ce délai de carence, et elle n’a pas fixé le délai de deux heures par hasard.
Monsieur le garde des sceaux, ce délai répond à des considérations pratiques. Il faut prendre en compte, en particulier dans les départements ruraux, le délai d’accès aux brigades de gendarmerie où peuvent se dérouler les gardes à vue.
Un certain nombre d’entre nous sont issus de départements ruraux. Ils connaissent le temps qu’il faut pour rejoindre la brigade de gendarmerie la plus éloignée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Surtout qu’on a supprimé quelques tribunaux !
M. François Zocchetto, rapporteur. Je sais ce qu’il en est dans le département de la Mayenne, mais dans le Cantal, dans l’Orne, dans les Alpes-Maritimes, dans l’Ille-et-Vilaine, en Gironde…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et même dans le Rhône !
M. François Zocchetto, rapporteur. … oui, même dans le Rhône (Sourires), j’imagine qu’il est nécessaire de prévoir entre une et deux heures pour arriver à la brigade de gendarmerie la plus éloignée de la ville principale où siègent les barreaux et où sont installés la plupart des avocats.
Si l’on réduit ce délai, on regroupera inévitablement les lieux de garde à vue dans chaque département sur trois ou quatre sites. Or cela, le Sénat ne le veut pas !
Vous l’avez dit vous-même, monsieur le garde des sceaux, il n’est pas question d’instaurer deux catégories de brigades de gendarmerie, celles où l’on trouverait des OPJ et des avocats et celles qui en seraient privées parce que moins accessibles.
On devine déjà ce qui pourrait advenir assez rapidement de ces brigades de gendarmerie …
Le texte élaboré par l’Assemblée nationale est un bon texte, sur ce point comme sur les autres. Le directeur général de la gendarmerie nationale et les représentants des organisations syndicales de policiers à qui nous avons posé la question nous ont répondu qu’il fallait maintenir ce délai de deux heures. Les représentants des organisations de policiers nous ont même dit que c’était une bonne idée, puisque ce délai correspondait à peu près au temps nécessaire pour procéder aux formalités d’accueil du gardé à vue, lui notifier ses droits, procéder éventuellement à l’examen médical et prévenir un proche. Si cela permet en outre de donner à l’avocat le temps d’arriver, c'est parfait !
À tout cela, nous venons d’ajouter d’ailleurs, à votre demande, monsieur le garde des sceaux, la possibilité pour les enquêteurs de procéder à des questions concernant l’identité de la personne.
C’est pourquoi la commission, à l’unanimité, a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que deux heures peuvent être nécessaires à l’avocat pour arriver, mais encore faut-il savoir d’où l’on part ! Tout dépend d’où l’on part et où l’on va !
Ce délai de deux heures ne sera pas nécessaire partout. Dans certains cas, peut-être faudra-t-il deux heures, dans d’autres cas, beaucoup moins. Pour apprécier ce délai, M. le rapporteur a pris l’avis du directeur général de la gendarmerie ainsi que des organisations syndicales de policiers. Ces renseignements, monsieur le rapporteur, m’ont semblé particulièrement intéressants.
Je suis bien persuadé que la mise en œuvre de ce texte posera un certain nombre de problèmes pratiques, notamment aux avocats.
Aussi, je souhaiterais rechercher, avec les barreaux, les mesures techniques qui permettront de diminuer ce délai. Si l’on peut trouver une solution pour que l’avocat soit présent dans un délai de vingt minutes, il n’y a pas de raison d’y renoncer.
Permettez-moi de vous citer un exemple. J’habite un petit village, dans un canton rural. Il s’y trouve une gendarmerie, siège d’une communauté de brigades. Il nous a fallu vingt ans pour obtenir un officier de gendarmerie ; maintenant, cela fonctionne plutôt bien. Moi non plus, je ne veux pas de regroupement ; comme vous tous, je veux conserver, sur mon territoire, tous les services publics qui s’y trouvent.
Mon village est situé à plus de cinquante kilomètres de la ville siège du tribunal de grande instance, mais à seulement dix-sept kilomètres d’une autre ville, située dans un autre département, qui dispose, elle aussi, d’un tribunal de grande instance et où se trouvent également des avocats.
Chacun peut choisir librement son avocat. Le gardé à vue qui paiera lui-même les honoraires de son avocat peut donc choisir celui-ci dans une ville ou dans une autre.
Certes, un problème se pose dans le cas de l’aide juridictionnelle. Mais je suis tout prêt à rechercher avec les barreaux, s’ils en sont d’accord, la mesure technique qui permettra d’ouvrir le dispositif et de donner à chacun la possibilité de choisir librement son avocat, même en cas d’aide juridictionnelle.
Dans ces conditions, mon amendement prend tout son sens. La diminution du délai que je propose ne doit pas être considérée comme une entrave puisque je l’assortis de mesures techniques permettant de limiter les déplacements à une heure.
Cela dit, quelle que soit la décision du Sénat, ma proposition de « décadenasser » les règles techniques du paiement de l’aide juridictionnelle restera d’actualité !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certes, il est souhaitable que l’on passe avec les barreaux et le parquet des contrats d’objectifs visant à diminuer au maximum le temps mis par les avocats pour se rendre dans les locaux de garde à vue ; cela va de soi.
Si l’avocat arrive dans la demi-heure, bien entendu, les auditions commenceront dès son arrivée. Mais, vous savez aussi bien que nous, monsieur le garde des sceaux, que sur notre beau territoire certains lieux sont éloignés de tout.
Et, mes chers collègues, n’oublions pas qu’il y a toujours des projets de réorganisation des services. Si l’avocat ne peut pas arriver dans le délai d’une heure, très vite on s’interrogera sur l’opportunité de conduire le gardé à vue dans les lieux difficiles d’accès. La tentation sera grande de regrouper les lieux de garde à vue le plus près possible du tribunal, si bien qu’à terme les brigades territoriales n’auront plus d’officier de police judiciaire. C’est pour cette raison que nous sommes fermement attachés au maintien du délai de deux heures.
Pour la grande criminalité, les enquêtes sont rapidement confiées aux brigades ou aux sections de recherche. Dans le monde de la gendarmerie, les choses se passent différemment. L’officier de police judiciaire travaille dans son environnement et conduit son enquête sur place. Le maintien du délai de deux heures est donc nécessaire. Cela n’empêche pas de tout faire pour que l’avocat puisse arriver le plus rapidement possible. C’est dans l’intérêt de la personne gardée à vue, certes, mais aussi dans celui de l’avocat lui-même, qui ne tire aucun avantage à faire « mariner » ses clients.
S’il est souhaitable de prendre toutes dispositions utiles pour faciliter la présence rapide de l’avocat, il me paraît en revanche risqué de limiter le délai à une heure, car, je le répète, on tirera alors prétexte de l’impossibilité de l’avocat d’être présent pour regrouper les lieux de garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, bien que nous souhaitions vous être agréables, parce que nous connaissons les difficultés de gestion de la nouvelle procédure, nous restons fermes sur le maintien du délai de deux heures, qui a d’ailleurs recueilli l’approbation unanime de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, j’ai un peu de mal à suivre votre raisonnement. Tout à l’heure, lorsqu’il était question de préciser que l’avocat pouvait prendre des notes pendant les auditions et les confrontations, vous nous rétorquiez que l’avocat était libre. Pour ce qui nous occupe actuellement, on peut aussi considérer qu’il est libre d’arriver le plus vite possible, et pourtant, vous voulez lui imposer un délai d’une heure.
Même si l’avocat dispose de deux heures pour se rendre auprès de la personne gardée à vue, il est bien évident que, s’il peut arriver plus tôt, il le fera. Pourquoi vouloir ramener ce délai à une heure sous prétexte que, parfois, il peut être là plus tôt ?
Je considère qu’il faut faire confiance aux avocats. Ce qui n’exclut pas les procédures de simplification. Si elles peuvent permettre à des avocats d’une autre juridiction d’intervenir, pourquoi pas ? Mais cela n’impose pas d’inscrire le délai d’une heure dans le projet de loi.
Vous prétendez que le libre choix de l’avocat permettra de réduire le temps d’attente ; permettez-moi d’en douter. Ce n’est pas parce que la personne gardée à vue peut choisir librement son avocat qu’elle optera pour celui qui est le plus proche : elle choisit un avocat, pas une distance.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le garde des sceaux, je suis favorable à votre souhait de concilier assistance de la personne gardée à vue et efficience de la garde à vue. Vous n’oubliez pas que vous avez été ministre de l’espace rural et vous savez combien il est difficile d’organiser les territoires, parfois même entre des départements limitrophes.
Toutefois, une garde à vue peut avoir lieu la nuit ou hors des heures de travail habituelles. C’est pourquoi – et je n’ai pas participé aux travaux de la commission des lois – le délai de deux heures me semble tout à fait raisonnable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, je suis étonné par votre amendement, pour deux raisons.
Tout d’abord, il semble me souvenir – mais il se peut que ma mémoire commence à flancher – qu’en matière d’aide juridictionnelle on peut désigner un avocat qui n’est pas du barreau concerné.
M. Jacques Mézard. Méfiez-vous de ce que vous disent les avocats. (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous remercie de dire cela, maître Mézard. (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Je savais ce sentiment ancré au fond de vous, c’est pourquoi j’ai préféré prendre les devants. (Mêmes mouvements.) Cet amendement constitue donc une erreur, me semble-t-il, par rapport aux dispositions légales et réglementaires concernant l’aide juridictionnelle.
Ensuite, le délai d’une heure est incompatible avec la réalité du terrain. Je prendrai un seul exemple.
Monsieur le garde des sceaux vous connaissez Massiac, le canton de M. Alain Marleix.
M. Jacques Mézard. Une très belle compagnie de gendarmerie, en effet, proche de la petite portion d’autoroute qui existe dans ce pauvre département !
M. Jacques Mézard. La majorité des avocats résident à Aurillac. Pour rejoindre Massiac, il leur faut une heure et quart, et encore quand tout va bien, c’est-à-dire quand il n’y a pas eu d’effondrements. De toute façon, la vitesse reste limitée à trente kilomètres à l’heure sur plusieurs tronçons, malgré les efforts de l’excellent député de la circonscription.
Même si l’avocat se lève sitôt prévenu, part sans délai, il ne peut éviter le trajet d’une heure et quart. S’il arrive trop tard, il sera fondé à présenter des recours au motif qu’il n’a pu exercer les droits de la défense. Et il ne fait aucun doute que la procédure sera annulée.
Monsieur le garde des sceaux, je suis encore plus surpris par l’exposé des motifs de l'amendement.
On peut en effet y lire que le délai de deux heures « contribuera à ralentir les investigations des services de police et allongera d’autant les mesures de garde à vue ». Reconnaissez que c’est un peu fort ! Mais ce n’est pas tout. Les deux arguments suivants sont pour tout dire extraordinaires.
Le quatrième alinéa de l’objet précise : « Par ailleurs, il doit être rappelé que la personne gardée à vue pourra toujours, comme cela devra désormais lui être notifié, choisir de ne pas répondre aux questions tant que l’avocat ne sera pas présent. » Voilà un beau moyen d’accélérer la procédure !
Et, pour aller au terme de ce merveilleux raisonnement, le dernier alinéa de l’objet ajoute : « Au surplus, ainsi que le prévoit également le projet de loi, les déclarations faites par la personne sans la présence de son avocat ne pourront servir de seul fondement à sa condamnation. »
Monsieur le garde des sceaux, avec le cumul du droit au silence et la réserve émise sur les déclarations faites par le gardé à vue en dehors de la présence de son avocat, vous faites tout pour que les procédures que vous instituez ne tiennent pas la route. Je ne doute pas que nombre d’entre elles aboutiront à des relaxes,… ce dont je ne peux que vous féliciter ! (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 35, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut également participer à l'ensemble des actes d'enquête auxquels participe activement le gardé à vue, notamment aux confrontations et reconstitutions, dans les mêmes conditions.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 7 limite l’assistance de l’avocat aux seules auditions de la personne gardée à vue, à l’exclusion de tout autre acte. On a déjà introduit les confrontations, mais il est vrai qu’elles sont, selon M. le garde des sceaux, assimilables à des auditions.
Je propose que le droit à l’assistance effective par un avocat concerne, outre les interrogatoires, l'ensemble des actes d'enquête auxquels participe activement le gardé à vue, notamment la confrontation et la reconstitution des faits.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Madame Borvo Cohen-Seat, ne raisonnons pas comme s’il s’agissait de l’instruction !
Cela dit, en matière de confrontation, votre demande est déjà satisfaite.
Pour le reste, je ne vois pas très bien quels actes vous visez, car lorsque des actes d’enquête sont conduits pendant la garde à vue, ils ne le sont pas en présence du gardé à vue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela arrive !
M. François Zocchetto, rapporteur. Peut-être, mais, en tout état de cause, je ne vois pas comment l’avocat peut être présent à la fois sur le lieu de l’acte d’enquête et dans les locaux de garde à vue. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que vous ne soyez pas d’accord est une chose, que vous travestissiez mon propos en est une autre. Il est bien évident que je vise les actes d’enquête auxquels participe le gardé à vue.
M. le président. L'amendement n° 36, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
À moins que la personne gardée à vue en fasse la demande par acte contresigné par son avocat, qui s'assure auprès de son client de la réalité de la sincérité de cette volonté, celui-ci assiste à tous les interrogatoires.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement vise à garantir que la présence de l’avocat à tous les interrogatoires soit la règle, règle à laquelle il ne peut être dérogé que de manière formelle. La renonciation à la présence de l’avocat par une personne gardée à vue doit être établie expressément par un acte contresigné par ledit avocat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement prévoit que la personne gardée à vue est assistée par un avocat, sauf renoncement express confirmé par ce dernier. C’est un peu comme si vous renversiez la charge de la preuve, ma chère collègue.
Il paraît au contraire préférable, dès lors que la personne gardée à vue a été informée de ce droit, de lui laisser le soin de choisir si elle veut, ou non, être assistée par un avocat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 165, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4, première phrase
Après les mots :
qu'une audition
insérer les mots :
ou une confrontation
II. - Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
ou la confrontation
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à réintroduire la possibilité pour un avocat d’assister aux auditions, mais également aux confrontations, de la personne gardée à vue. Pour cela, nous proposons d’ajouter le terme « confrontation » après les mots « qu’une audition », parce que chacun sait bien qu’une audition, ce n’est pas une confrontation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. C’est un amendement de coordination avec ce que le Sénat a voté tout à l’heure ; la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 165.
(L'amendement est adopté à l’unanimité des présents.)
M. le président. L'amendement n° 32, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de
par les mots :
par l'officier de police judiciaire qui demande à la personne gardée à vue si elle veut
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La personne gardée à vue ne sera peut-être pas en capacité de faire valoir de sa propre initiative les droits qui sont attachés à la mise en œuvre de la procédure. Ainsi, lorsque son audition est en cours, elle ne sera pas forcément tenue au courant de l’arrivée de son avocat sur les lieux.
Seuls les officiers peuvent l’en informer, à moins que l’avocat ne prenne l’initiative d’interrompre lui-même l’audition. Nous proposons donc que l’OPJ soit obligé d’informer la personne de l’arrivée de l’avocat et de lui demander si elle désire s’entretenir avec lui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement me paraît inutile parce que, en pratique, l’officier de police judiciaire informera nécessairement l’intéressé de l’arrivée de l’avocat ; à ce moment-là, le gardé à vue pourra demander à bénéficier de son droit à un entretien de 30 minutes. En outre, l’avocat pourra lui aussi faire valoir ce droit.
Je demande donc à Mme Borvo Cohen-Seat de bien vouloir retirer son amendement ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement me paraît un peu complexe et son objet me semble déjà rempli par le projet de loi. Si une personne a demandé à être assistée par un avocat et que celui-ci arrive alors que l’audition est en cours, l’officier de police judiciaire demandera bien évidemment au gardé à vue s’il souhaite une interruption d’audition pour procéder à l’entretien préliminaire de 30 minutes avec l’avocat. C’est la règle et la loi.
La question de l’interruption sera donc posée par l’officier de police judiciaire et c’est bien à la demande du gardé à vue qu’il sera ou non décidé d’interrompre l’audition.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 mars 2011 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quatorze heures trente et le soir :
2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la garde à vue (n° 253, 2010 2011).
Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 315, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 316, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART