Article 6
Pour les départements et les collectivités d’Outre-mer, après consultation de l’ensemble des collectivités concernées, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, les mesures d’adaptation relevant du domaine de la loi qui sont nécessaires à l’application de la présente loi. Ces ordonnances seront prises au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant la publication de la présente loi. Les projets de loi de ratification devront être déposés au Parlement au plus tard le sixième mois après la publication de ces ordonnances.
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, sur l'article.
M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais profiter de l’examen de cet article pour formuler trois observations.
Une des premières choses que j’ai apprises en arrivant au Sénat, c’est que l’auteur d’une proposition de loi ne pouvait pas imposer au Gouvernement de légiférer par ordonnances. Or la proposition de loi qui nous est présentée, signée par un nombre considérable de collègues, vise, si je l’ai bien lue, à exiger du Gouvernement qu’il légifère par ordonnances s’agissant de l’outre-mer. Telle est ma première remarque.
Deuxième observation, je souhaite attirer votre attention sur le réflexe qui consiste, chaque fois qu’est examiné un projet de loi, ou exceptionnellement une proposition de loi, à renvoyer le cas de l’outre-mer à une disposition, généralement placée en fin de texte, laissant au Gouvernement le soin de légiférer par ordonnances.
Je pourrais le comprendre s’il s’agissait des collectivités d’outre-mer – mon territoire en est une –, et dans les domaines de compétences qui sont les nôtres. Mais dans les domaines de compétences de l’État, ou dans les domaines de compétences que nous partageons avec lui, et s’agissant des départements d’outre-mer en particulier, j’ai du mal à comprendre que puisse persister une telle tradition, que, pour ma part, je trouve quelque peu humiliante.
Si j’étais sénateur d’un DOM, je trouverais anormal qu’on me prive de mon droit de parlementaire de débattre et de décider pour ma collectivité des lois qui s’appliquent chez elle.
Cette méthode, que j’ai déjà dénoncée, me paraît un peu trop facile et je souhaite qu’on puisse y réfléchir à l’avenir. Les DOM sont en effet soumis à l’identité législative, et il n’y a pas de raison que les adaptations, les cas particuliers ne soient pas traités au fil des articles. Nous devons exercer réellement notre pouvoir de parlementaire lorsqu’il s’agit des DOM sans renvoyer forcément au Gouvernement le soin d’en traiter.
Enfin, ma troisième observation s’adresse à vous, madame la secrétaire d’État.
La collectivité de Saint-Barthélemy, qui a récupéré les compétences qui étaient auparavant exercées par le département, doit financer le RMI, le RSA, la PCH et l’APA. Les « contribuables de Saint-Barthélemy », c’est-à-dire les citoyens et les entreprises, acquittent des cotisations sociales et contribuent aux financements complémentaires que sont la CSG, la CRDS, comme tous les citoyens français. J’aimerais donc comprendre pourquoi, en retour, le Gouvernement ne nous verse pas les prestations qu’il accordait au département en la matière.
Bien entendu, une réponse facile consisterait à dire que cela est inclus dans la dotation globale de compensation. Mais, sans rentrer dans un débat technique, si tel était le cas, pourquoi, alors, est-il tenu compte des dépenses de l’État dans la DGC et non pas de ses recettes, c'est-à-dire des cotisations que nous versons ?
Bien entendu, je n’attends pas de votre part une réponse immédiate sur cette question. Toutefois, il m’a semblé légitime d’attirer votre attention en séance sur ce problème, et je me tiens à la disposition de vos services pour en débattre.
M. le président. Mon cher collègue, la première remarque que vous avez formulée est effectivement fondée : si d’aventure cet article 6 était adopté et que le Conseil constitutionnel en était saisi, celui-ci le censurerait.
Sur les autres points, je n’ai pas capacité à vous répondre. Je donne donc la parole à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, j’ai bien entendu les remarques ou questions que vous avez formulées, qui sont aussi des incitations à une évolution. Le cas précis de Saint-Barthélemy pourrait, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, être évoqué dans un autre cadre que celui de ce débat. (M. Michel Magras acquiesce.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 n’est pas adopté.)
Titre 5
RECEVABILITÉ FINANCIÈRE DE LA PROPOSITION DE LOI
Article 7
I - La compensation complémentaire aux départements est assurée par la majoration, à due concurrence, de la dotation globale de fonctionnement.
II - La perte de recettes résultant pour l’État de la présente loi est compensée à due concurrence par la majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, tous les autres articles ayant été rejetés, il n’y aura pas d’explication de vote finale sur le texte ; aussi, je saisis cette dernière occasion de m’exprimer pour dire, au nom de mon groupe et des groupes RDSE et CRC-SPG, combien ce débat fut intéressant.
Il a montré un certain nombre de convergences entre le Gouvernement et les parlementaires sur le constat du décalage existant entre ce que payent les départements et ce qu’ils perçoivent de la part de l’État. Que ce constat ait été unanime sur l’ensemble des travées de notre assemblée est une bonne chose. Malheureusement, nous divergeons sur les réponses.
L’objectif essentiel de cette proposition de loi était de répondre, sans attendre, à un problème qui se pose aujourd’hui.
Vous avez souligné à plusieurs reprises, madame la secrétaire d’État, que, selon la volonté du Président de la République, il y aurait une loi sur la dépendance. Très bien. Nous verrons le moment venu ce qu’il en sera. Ce texte sur la dépendance, qui sera débattu en 2011, sera peut-être appliqué en 2012, avant ou après l’élection présidentielle, et peut-être ne sera-t-il jamais appliqué. Mais la réalité, c’est l’écart de 5 milliards d’euros entre ce que versent les départements et ce qu’ils reçoivent de l’État. Il y a là un vrai problème. Pour la plupart des départements, la faiblesse des compensations de la part de l’État, cela a été évalué tout à l’heure et nous en sommes d’accord, se traduit par un manque d’investissement sur le terrain, dans l’aide aux communes, en matière de développement territorial ou tout simplement de développement économique.
Aujourd’hui, les collectivités locales et les départements contribuent fortement à relancer la machine économique par leurs investissements. C’est pourquoi nous regrettons vraiment que le Gouvernement et la majorité n’aient pas souhaité répondre favorablement à tout ou partie de cette proposition de loi, notamment parce qu’elle est issue – cela a été dit par l’ensemble de mes collègues – de l’Assemblée des départements de France, qui, au cours de son congrès d’Avignon, a décidé à l’unanimité de présenter une proposition de loi fondée sur un principe très clair.
Lors de ce congrès, nous nous sommes en effet mis d’accord pour considérer qu’il fallait tirer un trait sur le déficit des compensations versées par l’État entre 2004 à 2009. Nous avons décidé de ne plus en parler à condition qu’à partir de l’année 2010 l’État paye ses dettes, sur la base du constat partagé, et que, enfin, ces allocations universelles de solidarité versées par les départements au nom de l’État soient justement compensées, que les départements soient compensés à hauteur de ce qu’ils dépensent.
Vous ne l’avez pas accepté, madame la secrétaire d’État, et c’est bien dommage. Après ce débat, les départements vont rester sur leur faim et demeurer dans la même situation. Ne doutons pas que, dans les mois qui viennent, notamment à l’occasion des prochaines élections cantonales qui auront lieu en mars, ce débat sera sur la place publique.
Plutôt que de renvoyer ce débat à demain, demandez-vous quelles réponses peuvent être apportées dès aujourd'hui pour permettre à tous les départements d’avoir les moyens d’assumer cette politique sociale, dont la compétence, je le rappelle, leur a été transférée dans le cadre de la décentralisation, les départements versant les allocations universelles de solidarité au nom de l’État.
Pour le reste, je tiens à remercier l’ensemble des parlementaires qui ont participé cet après-midi à notre débat. Nos discussions ont été sereines, courtoises, et passionnantes, aussi. Mais, au-delà, je sais que l’histoire n’est pas finie, que nous aurons d’autres rendez-vous. J’ai évoqué les élections cantonales, mais il y aura aussi des débats législatifs – je pense à la réforme de la dépendance et à la proposition de loi du président Arthuis.
En tout cas, nous ne pouvons pas en rester là : si le Gouvernement ne modifiait pas sa position et ne faisait rien pour compenser financièrement les compétences transférées, alors ce serait, pour de nombreux départements, la fin de leur autonomie, voire, à petit feu pour certains, plus brutalement pour d’autres, la mort pure et simple.
Mais je n’imagine pas un instant qu’une telle issue puisse être souhaitée par l’un quelconque des collègues qui siègent sur les travées de la Haute Assemblée, elle qui représente l’ensemble des collectivités territoriales et de leurs élus !
C'est la raison pour laquelle nous regrettons vraiment la position que vous avez adoptée, madame la secrétaire d'État. Nous sommes heureux du constat partagé, mais cela ne suffit pas, et nous attendons d’autres rendez-vous pour faire évoluer la situation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, les sept articles de la proposition de loi ayant été successivement repoussés, je constate qu’il n’y a pas lieu de voter sur l’ensemble et que la proposition de loi est rejetée.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, même si le débat n’a pas connu l’issue positive qu’auraient souhaitée les auteurs des propositions de loi, je me félicite de sa qualité, qui aura permis de mettre en lumière un constat partagé.
Il n’est pas tout à fait juste de dire, comme certains l’ont fait, que le Gouvernement ne propose pas de solutions à court terme : nous nous sommes efforcés, M. le rapporteur et moi-même, de vous les présenter.
Je me réjouis que les élus, singulièrement les représentants des départements, prennent toute leur part dans le débat sur la dépendance - il nous occupera pendant le premier semestre de l’année 2011 -, pour nous aider à trouver des solutions.
En vous remerciant encore de la qualité que vous avez su imprimer à nos échanges, je vous donne rendez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ce prochain débat sur la dépendance. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
8
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 9 décembre 2010, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi de réforme des collectivités territoriales, une loi validée à l’exclusion, je le précise, de l’article et du tableau annexé relatifs à la répartition des conseillers territoriaux.
Acte est donné de cette communication.
9
Demande d'un avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettre en date du 9 décembre 2010, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente en matière de postes et communications, sur le projet de reconduction de M. Jean-Paul Bailly à la présidence du conseil d’administration de La Poste.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Acte est donné de cette communication.
10
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé des candidatures pour trois organismes extraparlementaires.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- Mme Françoise Cartron pour siéger comme membre suppléant au sein de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement ;
- M. Pierre Bordier et Mme Colette Mélot comme membres titulaires et Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Louis Duvernois comme membres suppléants de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence ;
- M. François Pillet comme membre titulaire et Mme Éliane Assassi comme membre suppléant de la commission nationale de l’admission exceptionnelle au séjour.
11
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l’Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales et une pour celle de la culture, de l’éducation et de la communication.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- Mme Béatrice Descamps, membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de Mme Sylvie Goy-Chavent, démissionnaire ;
- Mme Sylvie Goy-Chavent, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de Mme Béatrice Descamps, démissionnaire.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de l’après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
12
Communication relative à une nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des lois organiques n° 2010-837 et n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a émis à l’unanimité – 12 voix pour, 0 contre – un vote favorable à la nomination de M. Éric Molinié aux fonctions de président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.
Acte est donné de cette communication.
13
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, je souhaite, au nom de mon groupe, faire une mise au point concernant le scrutin n° 129 du mercredi 8 décembre portant sur l’amendement n°16 rectifié sexies présenté par M. Pierre Martin et plusieurs de ses collègues. En effet, M. Jean-Marie Vanlerenberghe souhaitait bien voter pour cet amendement.
Monsieur le président, je vous remercie de veiller à ce que cette mise au point figure au Journal Officiel.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
14
Débat d’orientation sur la défense antimissile dans le cadre de l’OTAN
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’orientation sur la défense antimissile dans le cadre de l’OTAN, organisé à la demande du groupe socialiste.
La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe qui a demandé ce débat, M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le débat sur la défense antimissile balistique, demandé en octobre par lettre du président du groupe socialiste, M. Jean-Pierre Bel, semble arriver aujourd’hui tel Grouchy à Waterloo, c’est-à-dire un peu tard !
En effet, cette lettre faisait suite à la publication, le 15 octobre dernier, par le service de presse de la présidence de la République, d’une déclaration sur le sujet.
On y rappelait « le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense antimissile proposée par le Président des États-Unis et actuellement débattue à l’OTAN », ce qui est, il faut l’avouer, fort différent de l’avis exprimé ici même, au Sénat, par le ministre de la défense de l’époque, Hervé Morin, en réponse à une question que je lui avais posée en commission, le ministre assimilant alors la défense antimissile balistique, la DAMB, à une « nouvelle ligne Maginot ».
Le 19 novembre à Lisbonne, au sommet de l’OTAN, le nouveau concept stratégique est adopté par les chefs d’État et de Gouvernement. Il prévoit que les membres de l’Alliance « développeront leur capacité à protéger leurs populations et leurs territoires contre une attaque de missiles balistiques, et en feront un des éléments centraux de la défense collective ».
Si vous m’autorisez l’expression, la messe est dite ! Du moins, cette messe-là…
Nous regrettons, dans ces conditions, que le Gouvernement n’ait pas organisé un débat sur cette question au Parlement avant de décider ; le calendrier ne nous a pas permis de le faire. Certes, rien ne nous empêchait de nous saisir de cette question. C’est du reste ce que le Sénat a fait, et je remercie le président de notre commission, Josselin de Rohan, d’avoir engagé un cycle d’auditions l’été dernier, cycle auquel nous avons participé, et d’avoir pris les devants en publiant un rapport d’information destiné à préparer le débat de ce soir.
Mais tout de même : s’informer n’est pas débattre ! Cette décision engage l’avenir de notre pays ; sa délibération méritait mieux qu’un simple communiqué de presse.
Faisons en sorte que le débat d’aujourd’hui soit à la hauteur des enjeux.
Ces remarques préliminaires étant faites, il y a plusieurs façons de s’intéresser à la décision d’adhérer à la défense antimissile de territoire ; j’en retiendrai deux.
La première façon consiste à considérer cette décision en soi, dans ses implications militaires, économiques, technologiques. J’y reviendrai.
La seconde consiste à la replacer dans la série de décisions touchant à la politique de défense qui la précèdent et l’accompagnent. Je commencerai par cette approche.
De ce point de vue, et ce sera ma première série d’observations, la défense antimissile balistique s’inscrit dans une série de décisions qui tournent le dos à la politique diplomatique de la France depuis les débuts de la Ve République.
De quelles décisions s’agit-il ?
Première décision : la réintégration pleine et entière de la France dans l’OTAN. Aujourd’hui, on voit mal comment les conditions qui assortissaient cette décision – à savoir le renforcement de l’Europe de la défense – pourraient être remplies ou en voie de l’être.
Deuxième décision : la signature des accords de Londres avec le Royaume-Uni, en novembre dernier, dont on peine à voir comment ils vont s’articuler avec la construction de cette même Europe de la défense.
Troisième décision : la participation de la France à la défense antimissile de territoire de l’OTAN.
Aucune de ces décisions n’a été délibérée préalablement devant le Parlement. Certes, chacune a sa logique propre, et on peut comprendre les arguments qui les sous-tendent individuellement.
Il n’en reste pas moins que, mises bout à bout, elles dessinent une vision stratégique très différente de celle qui prévalait depuis le général de Gaulle et qui a été déclinée par tous les Présidents de la République qui lui ont succédé, chacun à sa manière. C’est ce que l’on appelait le consensus national en matière de défense et de sécurité.
Cette nouvelle stratégie du Président de la République, en rupture avec ce consensus, ressemble à s’y méprendre à un alignement sur les États-Unis et soulève de multiples questions auxquelles je souhaite que nous nous efforcions d’apporter des réponses, ensemble, si possible.
Première question : que devient le partenariat franco-allemand ?
Est-il si mal en point qu’on le dit ? Quelles en sont les raisons ? Serait-ce irréversible ?
Nous avons bien compris qu’il y avait entre nos deux gouvernements, voire entre nos deux peuples, une forte différence d’appréciation quant à la place accordée au nucléaire. Cette opposition s’est retrouvée dans le débat sur la défense antimissile. Cette défense doit-elle être, comme nous le pensons, un complément de la dissuasion nucléaire,…
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Daniel Reiner. … ou bien pourra-t-elle un jour s’y substituer, comme on semble le croire outre-Rhin ?
Il s’agit là d’une question de fond, car la défense d’un pays ne se conçoit pas de la même façon avec ou sans l’arme nucléaire. Pour la France, la dissuasion nucléaire est le cœur de la politique de défense, le garant ultime de sa souveraineté.
Un autre point de désaccord réside dans le fait que l’Allemagne a considérablement diminué son effort de défense. Elle a pris la décision, comme nous, de mettre fin à la conscription, mais les raisons pour lesquelles elle l’a fait semblent surtout dictées par des considérations budgétaires.
La question se pose, et nous devrions en discuter plus franchement avec nos amis allemands : l’Allemagne a-t-elle décidé de s’en remettre uniquement à l’OTAN ? Considère-t-elle que toute menace a disparu ? Quelle est sa stratégie ? S’agit-il simplement d’une politique d’autodéfense, ou bien d’une approche guidée par des préoccupations commerciales, comme on peut le penser en lisant les déclarations des dirigeants de Thyssen Krupp Marine Systems, TKMS, le principal constructeur naval allemand, qui a préféré l’alliance avec un groupe émirati – j’en ai parlé ici même, voilà une dizaine de jours – plutôt qu’avec le français DCNS, considérant que cette alliance était « autrement plus solide que la perspective d’un groupe naval européen ».
Il nous faut poser ces questions et nous en expliquer avec nos amis allemands.
Deuxième question : quelles sont les chances réelles de faire prospérer le partenariat franco-britannique ?
Nous sommes prêts à y travailler.
Tout le monde sait que les forces armées britanniques ont tissé des liens étroits avec les forces américaines, en particulier dans le domaine de la dissuasion nucléaire.
Tout le monde sait que les industries de défense britanniques sont étroitement liées avec leurs homologues américains, au point que l’on peut se demander si BAE, encore anglais par son capital, n’est pas devenu complètement américain par ses parts de marché.
Cette entreprise, qui se classe aux tout premiers rangs mondiaux en matière de défense, poursuit depuis 2004 une stratégie d’expansion aux États-Unis. Elle est, du reste, sortie de l’actionnariat d’Airbus, en 2006, et a vendu ses participations navales à l’allemand TKMS la même année.
De nombreuses rumeurs circulent sur le fait que le gouvernement britannique et les forces britanniques auraient été déçus de la façon dont ils ont été traités par leurs homologues américains ces dernières années, en particulier dans l’aventure irakienne et la guerre en Afghanistan. Pour autant, personne ne pense que le Royaume-Uni va défaire les liens traditionnels qui l’unissent aux États-Unis, pour leur substituer de nouveaux liens avec nous.
Dans ces conditions, que peut-on espérer concrètement des accords de Londres ?
M. le président de la commission a bien mis en place un groupe de travail réunissant les quatre commissions parlementaires intéressées ; la première réunion s’est tenue hier. Nous verrons dans le temps s’il peut apporter une contribution utile. C’est en tout cas ce que je souhaite.
Troisième question : à supposer que ce partenariat franco-britannique prospère, est-il de nature à constituer un « noyau dur » auquel d’autres pays pourront s’agréger ? Il s’agit d’une question importante, que nous avons d’ailleurs posée à nos collègues britanniques.
En supposant que, d’ici à dix ans, le partenariat franco-britannique ait prospéré, que nous fabriquions ensemble des drones, que nous ayons des projets communs d’avions de combat, que nos satellites soient communs, que les avions de la Navy atterrissent sur le Charles-de-Gaulle et ceux de l’Aéronavale sur le Queen Elisabeth, comment cela s’articulera-t-il avec les aspirations légitimes de nos amis allemands, italiens, espagnols et suédois ? Les Britanniques les laisseront-ils entrer dans un tel partenariat ?
Après tout, l’Europe monétaire s’est faite autour de l’Allemagne et de la France, et a ensuite agrégé les autres pays. L’Europe de la défense ne pourrait-elle pas se construire autour du Royaume-Uni et de la France ? Mais est-ce vraiment l’esprit des accords de Londres ?
Quatrième question : quel jeu jouent les États-Unis ?
On dit les dirigeants américains, et plus encore l’opinion publique de ce pays, fatigués de payer pour la défense de l’Europe. Cela peut se concevoir. Le « partage du fardeau » est une revendication ancienne et légitime de nos amis américains. Je dis cela à l’intention de ceux de nos amis européens qui penseraient que l’on peut avoir la sécurité sans en payer le prix.
On dit également les dirigeants américains, et en particulier l’actuel Président Barack Obama, plus préoccupés par l’évolution des puissances en Asie et la question coréenne que par l’Europe.
Dans ces conditions, on peut comprendre que les dirigeants américains appellent à l’émergence d’un « pilier européen de l’OTAN ». Ce n’est du reste pas une nouveauté, puisque les termes mêmes ont été forgés par le Président Kennedy. Mais cela n’est pas l’Europe de la défense.
Les dirigeants américains sont-ils prêts à admettre l’émergence d’une « Europe puissance », certes alliée, mais néanmoins autonome sur la scène internationale ? Rien n’est moins sûr.
Enfin, cinquième et dernière question : quelle Europe voulons-nous ?
On ne peut pas sans cesse rejeter les responsabilités sur les autres, et quand je constate le choix qui a été fait par les leaders européens pour les représenter sur la scène internationale, je me dis que nos dirigeants ne veulent pas vraiment d’une « Europe puissance » capable de parler d’une voix ferme et résolue.
Indépendamment de la forme, nous sommes incapables de nous accorder sur le fond. Au Moyen-Orient, dont je reviens, et pour ne prendre que ce seul exemple, l’Europe paye mais ne décide de rien ! Seule la diplomatie américaine est à la manœuvre, et nous n’avons même pas droit à un strapontin dans la pièce des négociations !
Vous le voyez, la défense antimissile a cette vertu intéressante qu’elle permet de diffracter cette nouvelle lumière stratégique et d’éclairer d’un jour différent nos propres contradictions. Elle nous force à nous poser les questions de fond : qui s’agit-il de défendre ? de quelle menace ? avec quels moyens et avec quels alliés ?
Ce qui m’amène à ma seconde série d’observations, concernant l’appréciation de la défense antimissile balistique en soi.
Premièrement, il ne s’agit pas de construire une défense pour répondre à une menace immédiate du territoire national. En effet, on ne peut pas laisser croire à nos concitoyens qu’un pays proliférant – n’en nommons aucun, c’est préférable –, soit actuellement en capacité de lancer sur le territoire européen des missiles intercontinentaux équipés d’ogives nucléaires.
À supposer qu’un gouvernement aux intentions belliqueuses ait à sa disposition de telles armes, il est peu probable qu’il s’en prenne à l’Europe en général et à notre pays en particulier, car, si tel était le cas, ses dirigeants savent avec une certitude absolue qu’ils n’échapperaient pas à des représailles massives. De ce point de vue, rien ne remplacera la force de dissuasion nucléaire.
Bien sûr, il n’est pas gravé dans le marbre qu’une telle menace n’existera pas dans un futur plus ou moins proche. Mais nous n’en sommes pas là.
Deuxièmement, si menace il y a, elle concerne pour l’heure non pas le territoire national ni même le territoire européen, mais celui de nos alliés, au Moyen-Orient, par exemple, et nos forces qui pourraient y être déployées.
Une telle menace est alors de type classique. Il s’agirait vraisemblablement de charges conventionnelles, avec des missiles « rustiques », c’est-à-dire non manœuvrants et à rayon d’action limité, de l’ordre de 600 ou 700 kilomètres au maximum.
Dans une telle hypothèse, disposer d’une capacité de défense antimissile balistique de théâtre étendu pourrait se révéler utile. C’est du reste ce que nous avons commencé à faire au travers du programme sol-air moyenne portée/terrestre, ou SAMP/T, pour l’armée de terre, et Principal Anti Air Missile System, ou PAAMS, pour la marine nationale. Cela était d’ailleurs inscrit dans le Livre blanc.
Ces systèmes sont opérants et ont commencé à être déployés, mais il faudra aller au-delà, notamment pour ce qui concerne les radars de conduite de tir.
Troisièmement, la défense antimissile est moins un outil militaire qu’une locomotive technologique.
Les technologies nécessaires à la défense antimissile sont des technologies de rupture. Qu’il s’agisse des radars à très longue portée pour l’alerte avancée, des radars de conduite de tir pour les missiles, des systèmes de calcul de trajectoire chargés de l’interception ou des missiles eux-mêmes, ou encore du « command and control » – ce que l’on appelle le C2 –, les avancées technologiques qui sont nécessaires pour rendre ces systèmes opérants seront déclinées dans différents domaines et conféreront à ceux qui les détiendront un avantage stratégique et commercial décisif sur tous les autres.
Selon un schéma éprouvé en matière de recherche militaire, les innovations de rupture d’aujourd’hui feront les systèmes d’armes de demain et les équipements génériques d’après-demain.
C’est sans doute la perspective de détenir cet avantage technologique qui contribue à justifier l’effort financier colossal consenti par les États-Unis depuis le début de cette affaire, soit de l’ordre de 160 milliards de dollars pour ne citer que les quinze dernières années, alors même que la menace d’une attaque balistique directe contre le territoire des États-Unis n’a jamais été aussi faible.
Naturellement, l’Europe et la France au premier chef ont des industries d’armement qui disposent de ces compétences et ne peuvent ni ne veulent rester à l’écart de ces avancées de technologies clefs.
Quatrièmement, la défense antimissile balistique donne à celui qui la possède un levier stratégique considérable.
De nombreux commentateurs ont fait le lien entre la capacité qu’ont les États-Unis d’offrir une protection grâce à cette défense et le contrat d’armement du siècle – 130 milliards de dollars – avec l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le sultanat d’Oman.
En effet, la défense antimissile offre une garantie de sécurité comparable à celle qu’offrait jadis le « parapluie nucléaire américain », et structure les relations diplomatiques entre, d’un côté, les protégés et, de l’autre, les protecteurs. Mais, bien entendu, il ne s’agit pas d’une garantie totale, car, à ce stade, l’interception de missiles n’est pas infaillible, comme chacun le sait.
La question est donc de savoir si l’Europe veut conserver voire développer son autonomie stratégique.
Il est légitime que certains pays nouvellement entrés dans l’OTAN se sentent tout à fait à l’aise dans la situation des protégés, mais, pour notre pays, et dans le respect de nos alliances, je veux espérer que nous ayons encore la volonté d’être souverains.
En conclusion, je vous livrerai un constat et un souhait.
Le constat est qu’il est important de pouvoir répondre aux menaces réelles, de participer à une aventure technologique déterminante et de disposer de cet outil diplomatique puissant. Voilà de bonnes raisons qui peuvent justifier notre participation à cette défense antimissile balistique. À titre personnel, j’y souscris volontiers.
Mon souhait est que cet engagement soit bien mesuré, que l’on en pèse le pour et le contre, en un mot que l’on en délibère.
Premièrement, l’engagement doit être mesuré dans ses implications financières. Or nous savons déjà que, hors défense antimissile balistique, il sera difficile voire impossible de respecter l’actuelle loi de programmation militaire. Le coût actuel annoncé par le secrétaire général de l’OTAN, M. Rasmussen – nous l’avons rencontré au mois de juin dernier – est de 200 millions de dollars pour le seul C2. Tout le monde sait que cela ne suffira pas. Il faut néanmoins que l’effort financier que nous serions amenés à consentir reste raisonnable, je pèse le mot, et compatible avec nos moyens.
Deuxièmement, cet engagement doit être mesuré dans ses conséquences industrielles. La contribution française doit se faire en nature, et pas en espèces. La décision prise à Lisbonne, à laquelle nous n’avons pas pris part, doit se traduire, en clair, par le financement d’études amont susceptibles d’éclairer les choix définitifs.
Troisièmement, cet engagement doit être mesuré dans ses conséquences stratégiques. Il ne doit pas effrayer nos voisins, je pense à la Russie. Il doit être conciliable avec les exigences de nos alliés, je pense à la Turquie. Surtout, il doit être conciliable avec une approche européenne, ce qui suppose de lever certaines hypothèques sur les modalités de décision et les règles d’engagement.
Quatrièmement, enfin, cet engagement doit être replacé dans le cadre de notre volonté de promouvoir en permanence un désarmement concerté et généralisé. Le développement du bouclier antimissile ne doit pas stopper nos efforts en faveur de la non-prolifération et du respect du traité.
Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, toutes ces questions méritaient bien un débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)