Sommaire

Présidence de M. Bernard Frimat

Secrétaires :

MM. Marc Massion, Bernard Saugey.

1. Procès-verbal

2. Dépôt de rapports du Gouvernement

3. Candidatures à des organismes extraparlementaires

4. Mise au point au sujet de deux votes

MM. Philippe Dallier, le président.

5. Démission de membres de commissions et candidatures

6. Rappels au règlement

M. Yvon Collin, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Didier Guillaume, Paul Blanc, Jean Arthuis, président de la commission des finances.

7. Compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements. – Rejet d'une proposition de loi, deux propositions de loi identiques étant jointes à la discussion

Discussion générale : MM. Yves Daudigny, cosignataire de la proposition de loi ; Charles Guené, rapporteur de la commission des finances ; Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

MM. Yves Krattinger, Jean-Michel Baylet, Mme Odette Terrade, MM. Philippe Dallier, Gérard Miquel, Didier Guillaume, Claude Haut.

Mme la secrétaire d'État.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Odette Terrade, MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Yves Daudigny, Yves Krattinger.

Rejet par scrutin public.

Article 2

MM. Guy Fischer, Yves Daudigny.

Rejet de l’article.

Articles 3 et 4. – Rejet

Article 5

Mme Odette Terrade.

Rejet de l’article.

Article 6

MM. Michel Magras, le président, Mme la secrétaire d'État.

Rejet de l’article.

Article 7

M. Didier Guillaume.

Rejet de l’article.

Aucun article n’ayant été adopté, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mme la secrétaire d'État.

8. Décision du Conseil constitutionnel

9. Demande d'un avis sur un projet de nomination

10. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires

11. Nomination de membres de commissions

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

12. Communication relative à une nomination

13. Mise au point au sujet d’un vote

MM. Yves Pozzo di Borgo, le président.

14. Débat d’orientation sur la défense antimissile dans le cadre de l’OTAN

MM. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Pierre Chevènement, Mme Michelle Demessine, MM. Yves Pozzo di Borgo, Didier Boulaud, le président de la commission, Xavier Pintat, Jacques Gautier, Mme Dominique Voynet, M. André Vantomme.

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.

15. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

M. Marc Massion,

M. Bernard Saugey.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de rapports du Gouvernement

M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat :

- le rapport 2009 sur les comptes, la gestion et l’activité de l’Établissement public de réalisation de défaisance, établi en application de l’article 4 du décret n° 96-125 du 20 février 1996 ;

- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture de la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, établi en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit ;

- le rapport sur la mise en œuvre de l’agrément en faveur des investissements réalisés outre-mer dans certains secteurs économiques pour la période 2006 à 2009, établi en application de l’article 120 de la loi n° 91-1322 du 30 décembre 1991 de finances pour 1992 ;

- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, établi en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Les trois premiers ont été transmis à la commission des finances, le dernier à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.

3

Candidatures à des organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de trois organismes extraparlementaires.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle propose les candidatures de :

- Mme Françoise Cartron pour siéger comme membre suppléant au sein de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement ;

- et de M. Pierre Bordier et Mme Colette Mélot comme membres titulaires, et de Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Louis Duvernois comme membres suppléants de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence.

La commission des lois propose les candidatures de M. François Pillet, comme membre titulaire, et Mme Éliane Assassi comme membre suppléant, pour siéger au sein de la Commission nationale de l’admission exceptionnelle au séjour.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

4

Mise au point au sujet de deux votes

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point au sujet de deux votes.

Lors du vote, par scrutin public n° 126, sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2011, M. Alain Fouché a été déclaré comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.

Lors du vote, par scrutin public n° 130, sur l’amendement n° 34 au projet de loi de modernisation des professions judiciaires, Sophie Joissains, François Pillet et Bruno Gilles ont été déclarés comme votant contre, alors qu’ils souhaitaient voter pour.

Je vous remercie par avance, monsieur le président, de bien vouloir faire procéder à cette rectification au Journal officiel.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.

5

Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. M. le président du Sénat a reçu avis de la démission de Mme Sylvie Goy-Chavent comme membre de la commission des affaires sociales, et de celle de Mme Béatrice Descamps comme membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

6

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour un rappel au règlement.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cet été, une délégation de l’Assemblée des départements de France, conduite par son président Claudy Lebreton, a rencontré le Premier ministre.

Au cours de cette rencontre, François Fillon a pu mesurer, à travers les propos qui lui ont été tenus, la situation financière dramatique dans laquelle se trouvent aujourd’hui les conseils généraux.

De manière unanime, les représentants de l’ADF ont insisté sur l’urgence de parvenir à un rééquilibrage du financement des trois allocations universelles de solidarité que nous connaissons bien : l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, la prestation de compensation du handicap, la PCH, et le revenu de solidarité active, le RSA, dont l’État assume une part de plus en plus faible.

Cette rencontre aura permis au Premier ministre et à son Gouvernement d’apprécier le caractère structurel des difficultés de financement des allocations de solidarité.

Depuis, concernant le RSA et la PCH, aucun calendrier précis de travail n’a été proposé par le Gouvernement, laissant ainsi les conseils généraux dans l’incertitude la plus totale quant à leur avenir immédiat.

Enfin, la mise en place d’un fonds d’aide d’urgence sous conditions pour les départements les plus touchés n’aboutira qu’à un encadrement de la libre administration départementale.

C’est la raison pour laquelle Claudy Lebreton, lors de l’assemblée générale de l’ADF qui s’est tenue en Avignon, a formulé le vœu unanime, signé par l’ensemble des présidents de conseils généraux, toutes tendances confondues, d’élaborer une proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements.

Devant ce souhait exprimé par l’ensemble des départements, le groupe CRC-SPG, le groupe socialiste et le groupe RDSE ont pris l’initiative de déposer cette proposition de loi dans le cadre de l’ordre du jour réservé.

Il semble bien, j’en terminerai par là, que cette belle unanimité pour souhaiter la mise en œuvre de cette loi ne soit pas aussi incontestable aujourd’hui, si j’en juge par le peu d’intérêt qu’elle a suscité de la part de la majorité sénatoriale.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, je m’associe aux propos de M. Collin : nous avons souvent eu l’occasion, au Sénat, d’entendre des avis voisins des représentants des conseils généraux, sur toutes les travées de l’hémicycle.

Nous savons combien le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, se fait fort de les défendre. Nous avons vu récemment ce qu’il en était avec la réforme que la majorité a votée...

Cela étant dit, l’Assemblée des départements de France s’est adressée à tous les groupes, et s’est exprimée sur cette importante question en représentant, me semble-t-il, la majorité de ses adhérents.

Aujourd’hui, on peut constater que cette question ne suscite pas un très grand intérêt de la part de la majorité, et les intempéries n’y sont pas pour grand-chose. Cette proposition de loi, qui ne fait que traduire le sentiment très largement partagé des présidents des assemblées départementales et des conseillers généraux, ne semble pas recueillir un accord unanime, ce qui est très regrettable.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour un rappel au règlement.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe s’associe aux rappels au règlement du président Collin et de la présidente Borvo Cohen-Seat. Nous avons aujourd’hui la démonstration que la majorité se fiche éperdument des territoires,…

M. Philippe Dallier. Oh ! En quoi est-ce un rappel au règlement ?

M. Didier Guillaume. … des départements, de leur situation financière et des allocations universelles sociales…

M. Philippe Dallier. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Didier Guillaume. … qui sont pourtant octroyées, au nom de l’État, par les conseils généraux. Voilà la réalité (M. Jean-Pierre Fourcade s’exclame.), alors que, en Avignon, voilà quelques semaines, l’ensemble des membres de l’Assemblée des départements de France avaient décidé unanimement, nous y reviendrons tout à l’heure,…

M. Philippe Dallier. Justement ! C’est grotesque !

M. Didier Guillaume. … d’essayer de trouver une solution à l’important problème, qui est posé à tous les départements et pas uniquement à ceux de gauche, du financement des allocations universelles de solidarité.

M. Jean-Pierre Fourcade. On se fait engueuler !

M. Didier Guillaume. Je ne me permettrais pas, monsieur Fourcade, d’autant que vous êtes présent !

Nous pouvons malheureusement constater aujourd’hui que, si une partie des sénateurs, notamment de gauche, formuleront des propositions, d’autres seront dans l’impossibilité de le faire, peut-être à la suite de consignes ; c’est cela, le débat !

M. Philippe Dallier. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Didier Guillaume. Ce n’est en aucun cas une accusation ; c’est un constat. Ces observations ne se fondent peut-être pas sur l’article auquel vous pensez, monsieur Dallier, mais elles constituent bien un rappel au règlement.

M. Philippe Dallier. Non, ce n’en est pas un !

M. le président. Avant de donner la parole est à M. Paul Blanc, je précise que si ces rappels au règlement portent sur l’ordre du jour, ils ont un avant-goût du débat qui aura lieu dans quelques instants.

Vous avez la parole pour un rappel au règlement, mon cher collègue.

M. Paul Blanc. Je ne peux laisser dire que la majorité s’est désintéressée de ces questions. Tout d’abord, je rappelle aux membres de l’opposition les déclarations que j’avais faites lors de l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », le 26 novembre dernier. Il est vrai que vous n’avez pas pu les entendre, puisque, et je le regrette profondément, nous n’étions que huit en séance.

M. le président. Moi, j’étais là !

M. Paul Blanc. Si vous aviez été présents, vous vous seriez rendu compte que nous nous préoccupions de ces questions.

Ensuite, je rappellerai que, s’il existe quelques difficultés, nous avons aussi proposé des solutions. Dans mon rapport, j’avais effectivement avancé quelques pistes.

En outre, ces solidarités nationales concernent tout spécialement l’APA, et singulièrement le handicap. Mais il y a une différence entre vous et nous. Quand Lionel Jospin a créé l’APA, rien n’a été prévu pour la financer !

M. Paul Blanc. Pas un seul mot n’a été prononcé pour envisager son éventuel financement et, par conséquent, aucun engagement n’a été pris.

En ce qui concerne le handicap, il en a été différemment. Nous, nous avons créé, dans la loi du 11 février 2005 dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui apporte une partie du financement nécessaire par la journée de travail supplémentaire. Certes, cela n’est peut-être pas suffisant. C’est pourquoi, parmi les propositions que j’avais formulées, figurait la création éventuelle d’une deuxième journée de solidarité.

Par conséquent, je le répète, je ne peux laisser dire que la majorité ne se préoccupe pas de ce problème.

Enfin, vous le savez très bien, en ce qui concerne la dépendance, qui rejoint un peu le handicap, une discussion doit se tenir afin que de trouver des solutions de financement. (MM. Jacques Gautier et Jean-Pierre Fourcade applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je vous remercie, monsieur le président, pour l’acceptation extensive du rappel au règlement.

M. Yvon Collin. Nous n’en abuserons pas pour autant…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela me permet peut-être de rappeler quelques points, qui peuvent constituer des jalons pour la discussion qui s’engage. Je pense qu’aucun d’entre nous ne peut se prévaloir du monopole de la défense des départements.

Je voudrais simplement vous rappeler que nous venons de voter le projet de loi de finances pour 2011. Nous avons essayé de contenir le déficit,

Mme Nicole Bricq. Vous n’y êtes pas vraiment arrivé !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … qui ne sera que de 92 milliards d’euros. Je fais observer aux auteurs de cette proposition de loi que cette belle contribution pour les départements a pour conséquence d’augmenter le déficit de l’État de 3,4 milliards d’euros.

M. Claude Haut. C’est la solidarité nationale !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que dites-vous de la suppression de la taxe professionnelle ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Entre-temps, il s’est produit un phénomène d’apaisement pour les départements. En effet, le produit des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, a progressé en 2010 de 1,8 milliard d’euros et le Sénat vient de voter la création d’un fonds de péréquation des DMTO qui s’élève à 380 millions d’euros. L’apport qui reviendra à la plupart des départements est significatif.

Par conséquent, les difficultés si aiguës dont il avait été fait écho lors de la récente assemblée générale de l’ADF se trouvent quelque peu relativisées.

Je ne dis pas que le produit des DMTO et du fonds de péréquation sera aussi important en 2012 qu’en 2011, mais il me semble que nous connaissons, pour l’immédiat, un début d’apaisement permettant de régler au mieux cet effet de ciseaux.

Au surplus, les députés sont saisis d’un projet de loi de finances rectificative qui comporte un supplément de crédits de 150 millions pour ceux des départements qui se trouvent confrontés à des difficultés particulières. Cela est de nature à apaiser certaines des craintes exprimées.

D’autres départements, par pragmatisme, ont, dans un esprit visionnaire, augmenté très sensiblement les taxes foncières pour réduire corrélativement les taxes d’habitation. Je pense au département de l’Aisne, et peut-être que M. Daudigny nous dira comment il vit cette expérimentation, qui a pour conséquence d’assécher les ressources des communes et communautés de communes au profit des départements.

Nous pouvons donc constater que chacun a su trouver une martingale pour se sortir au mieux de ses difficultés.

Mme Nicole Bricq. M. Pierre André pourrait nous en parler. Il n’est pas là ? C’est élégant !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela étant dit, peut-être faudra-t-il se tourner également, chers collègues, vers d’autres mesures plus radicales. Pourrons-nous durablement équilibrer les finances publiques en maintenant la durée du temps de travail en deçà de trente-cinq heures ? Je ne le crois pas.

Au-delà des considérations dogmatiques, partisanes qui sont les clés d’accès au pouvoir, peut-être faut-il sortir, les uns et les autres, du déni de réalité qui fait offense aux réponses d’optimisme et de confiance qu’attendent les Français. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Mes chers collègues, acte vous est donné de vos rappels au règlement.

Si j’ai le sentiment que ces rappels au règlement ont donné un avant-goût du débat de cet après-midi, je ne pense pas pour autant que vous vous soyez complètement exprimés. Peut-être avez-vous encore quelques considérations à faire.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements
Discussion générale (suite)

Compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements

Rejet d'une proposition de loi, deux propositions de loi identiques étant jointes à la discussion

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements présentée par MM. Jean Pierre Bel, Claude Haut, Yves Krattinger, Gérard Miquel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 62, rapport n° 138).

La conférence des présidents a décidé que seraient jointes à cette proposition deux propositions de loi identiques, présentées :

- par MM. Yvon Collin, Jean-Michel Baylet et plusieurs de leurs collègues du groupe RDSE (proposition n° 64, rapport n° 138) ;

- et par Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Marie-France Beaufils et Odette Terrade, M. Jean-François Voguet, Mmes Mireille Schurch, Éliane Assassi et Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe CRC-SPG (proposition n° 107, rapport n° 138).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Yves Daudigny, cosignataire de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements
Article 1er

M. Yves Daudigny, cosignataire de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’heure est grave pour les départements français. L’heure est grave, car ils sont aujourd’hui confrontés aux pires difficultés financières qu’ils aient connues depuis l’acte I de la décentralisation, il y a maintenant près de trente ans, et ce malgré les éléments que vient de citer M. le président de la commission des finances.

C’est donc avec beaucoup de détermination et de conviction que je vais présenter aujourd’hui devant vous cette proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les conseils généraux déposée par mon groupe mais également par nos collègues des groupes RDSE et CRC-SPG.

Cette proposition est le fruit d’un travail de longue haleine, mené par les parlementaires et par les départements eux-mêmes au sein de l’Assemblée des départements de France sous la houlette de son président, Claudy Lebreton, et de son premier vice-président, Michel Dinet. Puisqu’ils sont présents dans nos tribunes aujourd’hui pour assister à ce débat important, je voudrais en profiter pour les saluer chaleureusement, ainsi que les présidents de conseils généraux assis à leurs côtés, quelle que soit leur sensibilité.

Car ce texte – il faut insister sur ce point – n’est pas une opération de communication partisane.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela y ressemble pourtant !

M. Yves Daudigny. En l’occurrence, il n’y a pas, d’un côté, les départements de gauche ou du centre qui s’opposent au Gouvernement et, de l’autre, les départements présidés par des élus de la majorité présidentielle qui soutiennent ce même gouvernement. L’enjeu transcende ici les clivages politiques traditionnels.

Depuis le début, nous nous sommes appuyés sur le travail collégial entrepris par l’Assemblée des départements de France, qui, sur ce dossier, a d’ailleurs fait elle-même le choix du pluralisme et de la responsabilité.

Je reviendrai dans quelques instants sur les principes énoncés par ce texte. Ceux-ci sont issus de la démarche lancée par les présidents de départements dans le cadre de leur association voilà plus d’un an.

En mars dernier, à l’unanimité, les présidents de conseils généraux membres du bureau de l’ADF soulignent l’urgence de la nécessité de conduire un travail sur le financement durable des allocations individuelles de solidarité, et de la nécessité de proposer des mesures législatives au Parlement.

À partir de cette date, plusieurs dizaines de départements, de gauche comme de droite, ont travaillé pendant plusieurs semaines, avec l’aide de spécialistes, à l’élaboration d’un texte législatif qui s’approche de celui dont nous débattons aujourd’hui. La première version de cette proposition de loi fut présentée aux présidents de conseils généraux à la fin du mois d’août. Ce jour-là, le bureau de l’ADF a donné mandat à son président, Claudy Lebreton, pour poursuivre le processus, notamment par la rencontre de l’ensemble des responsables de notre assemblée : présidence, groupes politiques, commission des finances et commission des affaires sociales.

Avec beaucoup de pédagogie, l’ADF a détaillé les tenants et les aboutissants de la démarche engagée. L’accueil et l’écoute qui lui furent réservés par chacun d’entre vous à cette occasion honorent le Sénat. Ces échanges de grande qualité ont incontestablement nourri la proposition de loi et le texte qui a été déposé sur le bureau de notre assemblée n’aurait pas été ce qu’il est sans ces échanges constructifs.

Convaincus de l’importance de ce texte, trois groupes ont donc décidé de s’en emparer afin qu’il puisse connaître un véritable débouché parlementaire.

En déposant cette proposition de loi en vue d’un examen par notre assemblée, nous avons fait écho à la demande unanime des cent deux présidents de départements réunis les 20 et 21 octobre dernier à Avignon pour le 80e congrès de l’Assemblée des départements de France.

Je cite la résolution unanime de ce dernier congrès : « Les présidentes et les présidents de conseils généraux sont satisfaits de l’accueil réservé à cette proposition et espèrent que les conditions seront réunies pour qu’elle aboutisse à la compensation quasi intégrale des trois allocations. »

Le texte que nous allons examiner aujourd’hui a donc une histoire et une légitimité, il a été mûrement réfléchi et permet enfin d’ouvrir, au sein de la représentation nationale, un débat très attendu par la France des départements, mais aussi, et surtout, par nos millions de concitoyens concernés par les prestations sociales universelles.

La notion de solidarité nationale est au cœur de notre démarche. Et il faut bien mesurer ici le rôle spécifique des départements en la matière. Les départements, par le biais de leurs conseils généraux, sont en effet les seules collectivités territoriales à verser, pour le compte de l’État, des allocations individuelles de solidarité.

Ces dernières, et je reprendrai ici l’exposé des motifs du présent texte, « constituent un droit voté par le Parlement et auquel peut accéder une personne âgée pour compenser la perte d’autonomie due à son âge – c’est l’allocation personnalisée d’autonomie –, une personne qui ne touche pas suffisamment de revenus pour vivre dignement – c’est le revenu de solidarité active, auparavant revenu minimum d’insertion –, une personne handicapée pour adapter son environnement de telle sorte qu’elle puisse vivre pleinement sa vie et ses projets – c’est la prestation de compensation du handicap ».

Toute personne « accède à ce droit sur la base d’un examen de sa situation individuelle qui donne lieu à un plan d’aide ou à un contrat régulièrement évalué au regard de l’évolution de la situation de chaque personne ».

« En résumé, une allocation individuelle de solidarité, c’est une somme d’argent attribuée à une personne sur la base à la fois d’un droit établi nationalement et d’une évaluation individuelle et régulière de la situation de chaque personne ».

L’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, la prestation de compensation du handicap, la PCH, et le revenu de solidarité active, le RSA, sont donc, par essence, des prestations universelles de même nature que les allocations familiales dont personne ne songerait ici à remettre en cause le paiement intégral par l’État.

Sans vouloir faire offense au rapporteur de la commission des finances, nous ne nous plaçons pas ici dans un débat juridique pour savoir si ces allocations ont fait l’objet d’un « transfert de compétence » ou d’une « création de compétences à la charge des départements ».

Nous affirmons ici un principe général, celui du financement par la solidarité nationale d’allocations imaginées dans le droit fil du programme du Conseil national de la Résistance. Le préambule de la Constitution de 1946, intégré dans celui de notre Constitution actuelle, définit extrêmement bien ce principe. Il dispose ainsi que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». C’est bien ce fondement essentiel de notre pacte social républicain que nous souhaitons défendre à travers ce texte.

Néanmoins, monsieur le rapporteur, quand bien même seriez-vous insensible à ces arguments, nous sommes prêts à débattre avec vous de la question de la libre administration des collectivités territoriales.

Peut-être avez-vous raison juridiquement quant à l’absence d’obligation constitutionnelle de financement intégral par l’État de l’APA et du RSA, compte tenu des régimes législatifs sur lesquels ils ont été créés. C’est précisément la raison pour laquelle nous souhaitons revoir la législation qui s’applique et clarifier les choses aujourd’hui, afin de « remettre à plat » le financement de ces dispositifs, conçus à une époque où en effet la situation économique était plus stable et les finances publiques plus sereines.

N’est-ce pas notre rôle de parlementaires de revisiter les textes que nous avons adoptés pour les rendre cohérents avec l’évolution de notre société ?

Aujourd’hui, le gouffre qui existe entre les dépenses réalisées par les départements pour payer les trois allocations et les recettes transférées par le niveau national à ce titre est de plus en plus vertigineux.

Devons-nous partager ce constat et ne rien proposer ? Que dire de la responsabilité du Parlement si celui-ci n’est pas en mesure de construire une réponse collective à cette situation inédite ?

Aujourd’hui, devant un tel déficit de financement, ne peut-on pas parler d’atteinte à la libre administration des collectivités territoriales ? Je note que c’est d’ailleurs sur ce fondement qu’une soixantaine de départements s’apprêtent à saisir le Conseil constitutionnel, au travers du dispositif de la question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC.

Mes chers collègues, nous sommes plongés depuis plusieurs semaines dans le débat budgétaire. Cette proposition de loi arrive donc au bon moment, car nous savons tous qu’à travers ce texte nous répondons à une question de société.

Il s’agit donc clairement d’un choix politique que le Parlement doit faire pour garantir à nos concitoyens qui en ont besoin une protection à la hauteur de notre histoire contemporaine.

C’est pourquoi nous préconisons – et j’en viens par conséquent à l’explication de la proposition de loi en elle-même – « la compensation quasi intégrale de trois allocations ». Le texte que nous vous soumettons prévoit que cette compensation sera assurée après consultation de la Commission consultative sur l’évaluation des charges, la CCEC, et sera déterminée par la loi de finances selon les modalités habituelles, c’est-à-dire en recourant à la fiscalité ou aux dotations budgétaires.

Les six articles de la présente proposition de loi viennent donc préciser les modalités de ce rééquilibrage du financement de ces trois allocations.

L’article 1er vise à modifier la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, de façon que, à compter de 2010, et pour l’exercice 2011, la compensation des charges résultant du transfert du RMI et de l’extension du RSA soit réajustée chaque année, après avis de la Commission consultative sur l’évaluation des charges.

Les articles 2 à 4 concernent l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA. Ils prévoient ainsi, d’une manière générale, que, à compter de 2010, les charges résultant pour les départements des prestations versées au titre de l’APA à domicile ou en établissement sont compensées sur la base des dépenses constatées aux derniers comptes administratifs des conseils généraux, après avis de la CCEC. Je n’entre pas dans les détails des différents calculs proposés à cet effet, mais il convient de préciser que le dispositif envisagé prend en compte ce que les départements finançaient avant la création de l’APA, c’est-à-dire la prestation spécifique dépendance, la PSD. Dans ces conditions, nous avons instauré un mécanisme qui déduit du droit à compensation le montant actualisé de cette PSD, et qui instaure ce que d’aucuns nomment un « ticket modérateur » à la charge des départements.

L’article 5 tend pour sa part à ce que les charges supportées par les départements au titre de la prestation de compensation du handicap, la PCH, soient compensées sur la base des dépenses constatées aux derniers comptes administratifs des conseils généraux.

Enfin, l’article 6 prévoit que le Gouvernement prendra par ordonnances les mesures nécessaires à l’application des dispositions envisagées par la présente loi aux départements et collectivités d’outre-mer.

Ces dispositions ont le mérite de la clarté, de la lisibilité…

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Yves Daudigny. … et de l’efficacité. Malheureusement, si l’on en croit M. le rapporteur, elles iraient « toutes dans le sens d’une déresponsabilisation des départements dans la gestion des allocations ». Pardon de vous contredire une nouvelle fois, monsieur Guené, mais vous semblez méconnaître là le fonctionnement réel de nos collectivités. Les élus qui dirigent les départements de France ne sont pas des irresponsables !

Pourquoi estimez-vous de la sorte que ces derniers ne sont pas capables de gérer avec le même sérieux l’argent des contribuables locaux et celui des contribuables nationaux ?

M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. Yves Daudigny. Les conseillers généraux ne sont pas des enfants !

M. Jacky Le Menn. Effectivement !

M. Yves Daudigny. Ils pilotent l’action sociale locale depuis maintenant près de trente ans, et ils ont désormais toute la légitimité pour le faire. (M. Yvon Collin opine.)

M. Yves Daudigny. J’ajoute deux éléments.

Premièrement, si la Conférence sur les déficits publics, initiée par le Gouvernement, a eu un mérite, c’est précisément de montrer que les collectivités ne sont pas responsables du déficit public et que, en matière de gestion, elles n’ont pas de leçons à recevoir.

M. Yves Daudigny. Deuxièmement, notre responsabilité est bien là. En effet, la couverture qui est demandée, outre qu’elle prend en compte ce que les départements finançaient déjà, ne concerne surtout que le montant stricto sensu des allocations. En aucune manière cette proposition de loi ne vise à financer la mise en œuvre par les départements de la distribution de ces allocations, qu’il s’agisse des personnels dédiés ou des moyens administratifs consentis.

M. le rapporteur avance également dans son rapport que, d’une manière générale, « la réforme proposée […] remettrait en cause le principe même de la décentralisation du RMI et de la gestion décentralisée de la PCH ».

Mes chers collègues, je vous le dis tout net, pourquoi en lisant cette phrase avons-nous la désagréable sensation que le terme « décentralisation » est ici employé comme synonyme de « désengagement » ? Transférer des compétences, de quelque nature que ce soit, à des échelons infra-étatiques pour en améliorer la gestion ne signifie pas automatiquement une réduction drastique des coûts pour l’État de la politique en question. Pour le cas d’espèce, le coût de l’allocation décidée au niveau national devrait incomber intégralement à l’État. Si ce dernier avait encore la gestion du RSA, il serait d’ailleurs bien obligé de verser les sommes nécessaires aux bénéficiaires.

Cette vision de la décentralisation ne saurait être la nôtre. D’ailleurs, c’est bien dans le véritable savoir-faire qu’elles possèdent en matière de proximité qu’il faut chercher l’apport fondamental des collectivités. Cette gestion efficace, au plus près des besoins de nos concitoyens, est bien entendu source d’économies, et permet ainsi une utilisation équilibrée de la dépense publique. Je suis d’ailleurs certain que, dans la suite du débat, mes collègues ne manqueront pas de décrire le dynamisme des politiques mises en œuvre par les collectivités territoriales.

Vous l’aurez bien compris, mes chers collègues, cette proposition de loi, et cela a déjà été dit, a donc un coût : celui de la mise en œuvre d’une solidarité nationale juste, efficace et pérenne.

Selon M. le rapporteur, « le coût pour l’État de l’adoption de ces propositions de loi aurait été de l’ordre de 3,34 milliards d’euros en 2009 [...], ce qui n’apparaît pas réaliste dans le contexte actuel des finances publiques » – vous nous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission des finances.

Il semble en revanche réaliste que le Gouvernement compte sur les départements pour assumer cette solidarité nationale. Il semble juste, pour le Gouvernement, d’accorder depuis 2007 plusieurs milliards d’euros d’exonérations fiscales à certains secteurs économiques ou à certaines franges de la population. C’est un choix politique qu’il convient de faire aujourd’hui en faveur de l’égalité, de la justice sociale, de notre pacte social républicain.

Je souhaite que, dans la suite de la discussion générale, mes collègues évoquent plus en détail cette question des ressources à mobiliser pour financer cette proposition de loi. Je compte sur eux pour faire preuve d’imagination, de réalisme, d’équité, de solidarité, et je sais qu’ils ne manquent pas d’idées, quelles que soient d’ailleurs les travées de cet hémicycle sur lesquelles ils siègent.

M. le rapporteur justifie enfin son opposition à cette proposition de loi par « la nécessité de ne pas court-circuiter les travaux en cours », notamment l’ouverture du chantier de la dépendance annoncé par le Président de la République.

Il convient de souligner deux points.

Premièrement, le déséquilibre du financement de ces trois allocations, reconnaissons-le, ne date pas d’aujourd’hui et du gouvernement actuel. En effet, dès la mise en œuvre de l’APA ou du RMI-RSA, des écarts entre les recettes et les dépenses ont été identifiés.

Deuxièmement, la « réforme » de la dépendance, déjà promise de nombreuses fois ces dernières années, n’abordera qu’une seule question, certes essentielle, celle des personnes âgées en perte d’autonomie.

Il est donc de ma responsabilité de dire que nous ne pouvons pas attendre le 1er janvier 2012…

M. Yves Daudigny. … pour que ne soit traité – de quelle manière ? Cela reste à déterminer – qu’une seule des trois allocations visées par cette proposition de loi.

Enfin, et surtout, la prééminence d’un débat – maintes fois annoncé et reporté – sur la prise en charge de personnes dépendantes, âgées et/ou handicapées n’exclut en rien que soit acté dès aujourd’hui par ce texte le principe de la compensation intégrale des allocations individuelles de solidarité par l’État.

Pour conclure, je voudrais vous dire, mes chers collègues, combien il faut aborder le problème du financement de ces allocations comme une question spécifique aux départements.

En effet, il n’existe aucun autre exemple répondant aux mêmes caractéristiques. Contrairement à la fausse comparaison qui est faite avec les transferts de compétences qui ont eu lieu lors de la mise en œuvre des premières lois de décentralisation, le financement des allocations individuelles de solidarité est d’une autre nature.

Tout en étant financées par le département, c’est toujours le Parlement qui en fixe le montant et les conditions d’attribution, qu’il s’agisse de l’APA, de la PCH et du RSA socle.

Ainsi, dans le même temps où ces responsabilités sont assumées par les départements, les lois fixent étroitement le cadre et les conditions dans lesquels les collectivités doivent les exercer.

Comparons avec une autre compétence transférée, les collèges : c’est le département seul qui fixe le rythme et le montant des investissements qu’il décide de faire dans les établissements et c’est l’assemblée départementale, seule, qui est redevable devant les concitoyens de ses choix d’investissement dans ces établissements.

Une seconde nuance – et elle est de taille ! – réside dans l’énormité des masses financières concernées par les décalages et leur accroissement qui sera de plus en plus important.

Dès lors, comment aborder aujourd’hui cette question ?

Il convient tout d’abord de ne pas l’enfermer dans le problème des seules ressources, mais d’interroger également son rapport au budget de l’État et aux questions qui y sont liées, à savoir, notamment, l’impôt et la CSG.

Il convient ensuite de la poser au regard du bilan que nous devons faire du pacte républicain de solidarité et du contrat social issu du programme du Conseil national de la Résistance, car les réponses durables que nous devons apporter en matière d’allocations individuelles de solidarité se posent dans les mêmes termes que celles que nous devons construire dans les domaines de la santé, des retraites et de la famille…

Le temps est venu aujourd’hui de reconstruire ensemble, à la fois en France et sur le continent européen, un nouveau contrat social, ferment d’un « vivre ensemble » conforté et durablement fraternel.

Le sort des allocations individuelles de solidarité participe de ce débat, et non d’une préoccupation comptable.

C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, en dépit des réserves formulées par la commission et le Gouvernement, d’adopter ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui trois propositions de loi identiques relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements. Les trois allocations visées sont le revenu de solidarité active, l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap.

Ces propositions de loi, qui ont été examinées par la commission des finances le 30 novembre dernier, en même temps que les articles non rattachés de la seconde partie du projet de loi de finances, que nous avons voté avant-hier, émanent du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et de douze de nos collègues du groupe RDSE.

Par ces propositions de loi, leurs auteurs ont voulu mettre l’accent – à juste titre, me semble-t-il, même si Jean Arthuis a montré que ces difficultés pouvaient être relativisées au vu des dernières évolutions – sur des difficultés financières que rencontrent les départements dans leur ensemble, et qui résultent, notamment, des charges qui pèsent sur eux au titre des trois allocations visées par les propositions de loi.

Je sais que le droit, parfois, vous dérange, chers collègues de l’opposition, mais je voudrais tout d’abord rappeler les règles qui encadrent les compensations versées au titre de ces trois allocations, en commençant par le RMI et le RSA.

Le transfert du RMI aux départements, en 2004, a bien été qualifié, au regard de l’article 72-2 de la Constitution, de transfert de compétences. Il en résulte que l’État a eu l’obligation de transférer aux départements des ressources équivalant à celles qu’il consacrait à cette compétence avant son transfert. Cela a été fait par l’attribution de fractions de taxe intérieure sur les produits pétroliers. Cette obligation a même été dépassée, puisque, sur l’initiative de notre commission des finances, l’État verse aux départements 500 millions d’euros supplémentaires par an au titre du Fonds de mobilisation départemental pour l’insertion.

La généralisation du RSA a, en 2009, été qualifiée de simple extension de compétences des départements, et non de transfert. L’État n’a donc pour obligation constitutionnelle que de transférer des ressources permettant de préserver le principe de la libre administration des collectivités territoriales. Il a toutefois fait le choix de procéder à une compensation similaire à celle du RMI, par versement d’une fraction de TIPP, qui sera figée sur le montant des dépenses engagées par les départements au titre du RSA en 2010.

En 2009, le montant de la compensation versée par l’État au titre du RSA s’est élevé au total à 5,76 milliards d’euros. Le montant à la charge des départements ayant été de 6,47 milliards d’euros, le montant non compensé par l’État s’est donc établi à 708,6 millions d’euros, soit un taux de couverture de 89 %.

Les financements de l’APA et de la PCH obéissent à une logique différente.

Les créations de l’APA, en 2002, et de la PCH, en 2006, n’ont, pas plus que la généralisation du RSA, constitué des transferts de compétences. Seul l’objectif constitutionnel de préservation du principe de libre administration s’applique donc.

Aucun dispositif de compensation des charges par transfert de fiscalité n’a été mis en place. C’est la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, qui participe au financement de ces dispositifs, qui sont à la charge des départements.

La section II du budget de la CNSA retrace en recettes des contributions sociales qui sont affectées à la participation au titre de l’APA. Le montant de la contribution de la CNSA n’est donc pas corrélé au coût de l’APA. Il évolue en fonction du produit des contributions.

En 2009, la CNSA a contribué à hauteur de 1,55 milliard d’euros au financement de l’APA, pour un coût global de 5,03 milliards d’euros pour les départements, soit un reste à charge de 3,48 milliards d’euros correspondant à un taux de couverture de seulement 30,8 %. Ce taux de couverture est en diminution linéaire depuis 2002, où il s’élevait, rappelons-le, à 43 %.

La section III du budget de la CNSA retrace, pour sa part, les dépenses affectées à sa participation au titre de la PCH. Dans ce cas non plus, le montant de la contribution de la CNSA n’est pas corrélé au coût de la PCH pour les départements.

En 2009, la contribution de la CNSA au titre de la PCH s’est élevée à 509,7 millions d’euros, à comparer à un coût global pour les départements de 843,3 millions d’euros, soit un montant non compensé de 333,6 millions d’euros et un taux de couverture de 60,4 %. Je signale que, du fait que le montant global de la participation de la CNSA au financement de la PCH est sans lien avec le coût de la PCH, le taux de couverture a été, les deux premières années de création de la PCH, supérieur à 100 %. Il l’est encore d’ailleurs pour certains départements.

M. Jacky Le Menn. Ils sont rares !

M. Charles Guené, rapporteur. Ces trois propositions de loi visent donc principalement, en réalité, – convenons-en ensemble – à réformer le financement de la dépendance.

Si on fait le bilan du reste à charge pour les départements au titre des trois allocations versées, on obtient un montant global de 4,52 milliards d’euros pour 2009. L’APA représente à elle seule 77 % de ce coût puisqu’elle atteint 3,48 milliards d’euros en coût net de la participation de la CNSA pour les départements.

S’ajoute à ce constat le fait qu’en dynamique c’est également l’APA qui pèsera, à moyen et long termes, sur les budgets départementaux. En effet, le coût du RSA varie avec la conjoncture économique. Il diminue nettement lors des phases de reprise de croissance avec la contraction nette du nombre de ses bénéficiaires. Ainsi, on a constaté une baisse de 12 % entre 2005 et 2008.

Le coût de la PCH, quant à lui, a fortement augmenté ces dernières années, mais cette hausse correspond principalement à la montée en charge d’un dispositif relativement nouveau. Il n’y a pas de raison qu’à moyen terme le coût de la PCH, qui profite aux populations handicapées, ne se stabilise pas.

La situation est tout autre pour l’APA. En effet, comme l’a notamment relevé le rapport de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque, présidée par notre collègue Philippe Marini, le coût de la prise en charge de la dépendance augmentera nécessairement avec le doublement, d’ici à 2050, de la proportion des personnes âgées de plus de 75 ans dans l’ensemble de la population française. Si le coût de l’APA est aujourd’hui le plus élevé pour les finances départementales, c’est aussi celui qui devrait augmenter le plus.

Or, ce coût s’inscrit dans un contexte financier difficile pour les départements.

Comme l’a relevé le rapport sur les finances départementales rédigé par Pierre Jamet, les départements ont connu ces dix dernières années un « effet de ciseaux » entre la progression de leurs recettes et de leurs dépenses de fonctionnement.

M. Didier Guillaume. Ce n’est plus un effet de ciseaux, c’est un garrot !

M. Charles Guené, rapporteur. Les dépenses ont en effet globalement augmenté, par an, de 2 % de plus que les ressources.

Ce contexte s’est aggravé avec la crise économique récente, qui a produit un triple effet : le nombre de bénéficiaires du RSA a fortement augmenté, 16 % entre juin 2008 et juin 2010 ; les contributions de la CNSA se sont réduites du fait de la diminution du produit des cotisations sociales affectées aux départements ; enfin, les recettes des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, des départements se sont effondrées, de 33 % entre 2007 et 2009, alors que les DMTO représentent environ 20 % des recettes fiscales des départements. Ces propos méritent d’être nuancés comme nous l’avons évoqué au départ avec le président Arthuis, mais ce sont néanmoins des réalités.

Quelle est, dans ce contexte, la solution préconisée par les propositions de loi ?

Pour le RSA et la PCH, les propositions de loi préconisent une solution simple : l’État prendrait à sa charge l’intégralité du coût de ces prestations supporté par les départements.

M. Claude Haut. C’est normal, c’est la solidarité nationale !

M. Charles Guené, rapporteur. Chaque année, au vu des comptes administratifs, l’État compenserait à l’euro près le reste à charge des départements.

Le coût de cette solution pour l’État aurait été en 2009 de 708 millions d’euros au titre du RSA et de 333 millions d’euros au titre de la PCH.

Pour l’APA, la solution est un peu différente. En effet, les propositions de loi maintiennent à la charge des départements un « ticket modérateur » de 10 %. L’État ne compenserait donc que 90 % des dépenses d’APA des départements.

M. Didier Guillaume. On prendrait quand même ! (Sourires.)

M. Charles Guené, rapporteur. En outre, cette compensation ne porterait pas sur le montant de la prestation spécifique dépendance, la PSD, que l’APA remplace progressivement.

Par conséquent, le coût de cette solution pour l’État peut être évalué à 2,3 milliards d’euros pour 2009 au titre de l’APA.

Au final, les propositions de loi visent à transférer des départements à l’État une charge correspondant à 3,34 milliards d’euros, sans modifier les dispositifs du RSA, de l’APA ou de la PCH (M. Gérard Miquel s’exclame.) et, surtout, sans proposer la création de nouvelles recettes. C’est ce point qui constitue pour moi la principale lacune des propositions de loi que nous examinons aujourd’hui.

Je ne peux préconiser leur adoption, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comme nous l’avons vu, elles visent principalement à modifier la prise en charge financière de la dépendance. Or, il ne vous a pas échappé que le Président de la République a annoncé, le 16 novembre dernier, un débat national sur ce sujet qui doit se tenir dans le courant de l’année 2011. Ce débat sera suivi d’une réforme législative, qui devrait être intégrée au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

Il serait particulièrement malvenu, au moment où certains se sont émus du manque de concertation préalable à la réforme des retraites, de « court-circuiter » le débat qui nous est proposé. Je signale, par ailleurs, que le Sénat a contribué et va continuer de contribuer à ce débat avec la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque.

Par ailleurs, la solution proposée n’est pas satisfaisante pour trois raisons de fond.

Premièrement, la compensation à l’euro près des dépenses de RSA et de PCH conduirait à déresponsabiliser totalement les départements dans la mise en œuvre de ces politiques. Or, un des avantages majeurs de leur gestion décentralisée est qu’elles sont mieux gérées que si la CNAF le faisait au niveau national, puisque c’est l’intérêt financier du département de le faire de manière fine. Certes, le département ne décide pas du montant du RSA ni des critères d’attribution.

M. Jean-Michel Baylet. C’est cela qui ne va pas !

M. Charles Guené, rapporteur. Il est toutefois responsable de la gestion du fichier des allocataires, de sa mise à jour, des radiations, et il résulte de cette gestion des économies substantielles – le premier vice-président de conseil général que je suis en convient tout à fait, monsieur Daudigny.

Deuxièmement, le « ticket modérateur » de 10 % proposé pour l’APA paraît relativement faible au regard de la répartition actuelle de cette charge. Un débat doit avoir lieu sur cette question.

Troisièmement, enfin, le coût pour l’État de la solution proposée, qui aurait été, je le rappelle, de 3,34 milliards d’euros en 2009 si elle avait été mise en œuvre, est excessif et irréaliste dans le contexte actuel des finances de l’État. (M. Claude Haut s’exclame.) Je rappelle que le déficit budgétaire de l’État pour l’année 2011 sera de 92 milliards d’euros, après un déficit de 152 milliards d’euros en 2010.

Je relève pour conclure que la solution proposée par les trois textes que nous examinons aujourd’hui reviendrait peu ou prou à remettre en cause le principe même de la décentralisation de ces allocations. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) En effet, quel serait l’intérêt de faire gérer par nos collectivités territoriales des compétences dont le coût leur serait, quoi qu’il arrive, intégralement compensé par l’État ?

M. Yves Daudigny. Cela n’a rien à voir !

M. Charles Guené, rapporteur. Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, je ne suis donc pas favorable à ces trois propositions de loi.

M. Jean-Michel Baylet. Quelle surprise !

M. Charles Guené, rapporteur. La commission des finances a toutefois décidé de ne pas élaborer de texte propre et de discuter ici, en séance publique, sur la rédaction de nos collègues. Elle souhaite donc le rejet de chacun des articles qui composent ces propositions de loi et de l’ensemble des textes. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

M. Yvon Collin. C’est dommage !

M. Jean-Pierre Fourcade. Très bon rapport !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d’avoir l’occasion, à la faveur de l’examen de ces propositions de loi, de répondre, devant la Haute Assemblée, aux débats qui traversent depuis plusieurs mois en effet – cela a été dit – les départements de France.

Les auteurs de ces propositions de loi ont voulu mettre l’accent sur les difficultés financières qu’ils rencontrent, du fait notamment des charges qui pèsent sur eux au titre des trois dispositifs de solidarité visés par les propositions de loi : le revenu de solidarité active, l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap.

Si le constat de ces difficultés est bien évidemment partagé, la solution apportée par ces propositions de loi nous est apparue quelque peu inadaptée…

M. Didier Guillaume. Alors, apportez-en une autre !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … à la nature des questions que, par ailleurs, posent ces propositions de loi, questions soulevées, en effet, par l’Assemblée des départements de France.

Tout d’abord, le Gouvernement est conscient des difficultés non seulement conjoncturelles, mais aussi structurelles rencontrées par les départements.

Les difficultés des départements s’expliquent d’abord par des facteurs structurels.

Le rythme de progression des dépenses sociales obéit à des tendances en partie structurelles : elles sont tantôt négatives, comme l’apparition de nouvelles formes de précarité ou la dégradation du marché du travail en raison de la crise ; elles sont tantôt positives – il faut s’en réjouir collectivement – comme le vieillissement de notre population avec l’allongement de la durée de la vie et les phénomènes l’accompagnant, qui sont souvent heureux.

Ces évolutions ne touchent pas seulement notre pays, l’ensemble des démocraties occidentales, notamment européennes, y sont confrontées, mais il est clair que l’impact en France est particulièrement fort. Ainsi, s’agissant du vieillissement de la population, on s’attend à compter 1,4 million de personnes âgées en perte d’autonomie dès 2040 ; c’est beaucoup.

Nous sommes donc face à un enjeu de société. Face à ce défi social mais aussi financier, l’État a engagé des réformes importantes, pour toujours mieux répondre aux besoins croissants des personnes en perte d’autonomie et de leurs familles par l’instauration d’aides financières spécifiques.

La loi du 20 juillet 2001 a ainsi créé l’allocation personnalisée d’autonomie, celle du 11 février 2005 en faveur des personnes handicapées, cher Paul Blanc, a notamment instauré la prestation de compensation du handicap. Par ailleurs, le revenu de solidarité active, créé par la loi du 1er décembre 2008, a pris la suite du revenu minimum d’insertion et de l’allocation de parent isolé, par le RSA « socle » majoré à partir du 1er juin 2009, après une phase d’expérimentation menée grâce à des départements volontaires pour en tester la pertinence.

Au total, en 2009, les dépenses d’aide sociale prises en charge par les départements ont représenté 12,4 milliards d’euros au titre de l’APA, de la PCH et du RSA.

Mais avec la crise, l’augmentation de ces dépenses sociales s’est amplifiée, alors que les recettes des départements se sont contractées, créant un « effet de ciseaux » particulièrement marqué, cela a été dit.

Cet écart entre l’évolution des recettes et des dépenses s’est accentué depuis le second semestre de l’année 2008 en raison de trois facteurs résultant directement de la crise économique : le nombre de bénéficiaires du RSA a fortement augmenté – 1,14 million de bénéficiaires du RMI en juin 2008 contre 1,33 million d’allocataires du RSA « socle » en juin 2010, soit une progression de 16 % en deux ans – ; les recettes de cotisations sociales perçues par la CNSA ont diminué du fait du ralentissement de l’activité économique ; enfin, la contraction des recettes a particulièrement touché la fiscalité indirecte avec une chute des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, due au retournement du marché immobilier pendant la crise.

Je note cependant que cette tendance s’est depuis inversée puisque, à la fin du mois de novembre 2010, les DMTO avaient progressé de 36 % par rapport à leur niveau de novembre 2009. Fin novembre 2010, ils s’établissaient à un peu plus de 5,9 milliards d’euros, soit près de 700 millions d’euros de plus que sur l’ensemble de l’année 2009, année pour laquelle ils s’étaient élevés à 5,2 milliards d’euros.

Enfin, j’ajoute que – et c’est un aspect extrêmement important ! – l’ampleur de cet effet de ciseaux n’a pas été le même d’un département à l’autre. C’est un fait incontestable ; les pratiques locales sont diverses, les héritages de la gestion passée et les réalités démographiques, sociales et économiques sont propres à chaque département. La France des territoires est faite de réalités multiples. Les pratiques locales y sont donc variées et souvent hétérogènes.

Le rapport du groupe de travail présidé par Gilles Carrez et Michel Thénault et celui de Pierre Jamet ont démontré, à l’évidence, cette diversité. Aussi, je suis bien consciente de la situation difficile dans laquelle se trouvent un certain nombre de départements, et c’est précisément pour cette raison que je puis affirmer que les réponses apportées dans ces propositions de lois ne sont pas adaptées à la nature du problème qui nous est posé.

Pour la clarté des débats, je souhaite rappeler, au préalable, ce que recouvre réellement la participation de l’État aux charges engendrées par ces dispositifs de solidarité.

S’agissant du RSA, l’État a fait le choix de procéder à une compensation similaire à celle du RMI, par le versement d’une fraction de TIPP qui est figée sur le montant des dépenses engagées par les départements en 2010. J’indique, au passage, que, pour le RMI, l’État avait été au-delà de ses obligations légales avec le Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion, le FMDI, qui voit son existence confortée à hauteur de 500 millions d’euros par an pour la période 2011-2013.

La contribution nationale au financement de l’APA est, quant à elle, opérée via la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. Deux ressources fiscales ont été créées et viennent alimenter le budget de la CNSA : la contribution de solidarité pour l’autonomie, la CSA, et la contribution additionnelle de 0,3 % au prélèvement social de 2 % assis sur les revenus du patrimoine et les revenus de placement, qui s’ajoutent à la fraction de 0,1 % de la CSG.

Mais, à la différence de la compensation du RMI et du RSA, le montant annuel du concours de la CNSA n’est pas corrélé à la charge réelle de l’APA pour les départements. Le taux de couverture n’est donc déterminé, chaque année, qu’une fois le budget de la CNSA exécuté.

Ainsi, de manière plus générale, je veux préciser, car cela me semble important, que la dépense publique au titre de la dépendance excède le seul financement de l’APA par les départements ; on l’évalue aujourd'hui à quelque 22 milliards d’euros, soit un peu plus de 1 % du PIB.

Enfin, s’agissant de la prestation de compensation du handicap, une contribution de la CNSA participe, à l’instar de l’APA, à son financement.

S’agissant du « reste à charge » des départements, soyons clairs : les auteurs de ces propositions de loi ont opté pour une présentation relativement imprécise, qui s’avère, hélas ! tronquée.

Quand on compare les dépenses exposées par les départements au titre du RMI-RSA, de l’APA et de la PCH aux compensations correspondantes versées par l’État via la TIPP, le FMDI et les concours de la CNSA, on observe un « reste à charge » qui croît régulièrement du fait de l’effet de ciseaux que j’ai évoqué précédemment. Les auteurs des propositions de loi estiment que ce reste à charge s’est élevé à 3,8 milliards d’euros en 2008, pour un taux de couverture de 66,6 %, à 4,5 milliards d’euros en 2009, pour un taux de couverture à 63,26 %, et sera aux alentours de 5,4 milliards d’euros en 2010, pour un taux de couverture à 60,25 %.

Si la progression est incontestable, les chiffres avancés ne sont pas exacts.

En effet, cette présentation omet, alors qu’ils sont tout à fait impactant – les produits résultant des compensations transférées aux départements depuis 1984 au titre des prestations légales d’aide sociale versées aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées, la PSD intégrée à l’APA et l’ACTP, l’allocation compensatrice pour tierce personne, intégrée à la PCH. Les « quotes-parts » de DMTO transférées en compensation de la prise en charge des personnes dépendantes se sont élevées, en 2009, à 1,4 milliard d’euros. La différence n’était donc plus, en 2009, que de 3,55 milliards d’euros, soit un taux de couverture bien supérieur à celui que vous avez annoncé, puisqu’il est de 71 %.

Toutefois, le Gouvernement est conscient que le problème structurel demeure. Ces propositions de loi prévoient cependant un mécanisme de compensation qui ne semble pas adapté à la nature des problèmes rencontrés et qui, par ailleurs, va largement au-delà des obligations constitutionnelles de l’État, un point sur lequel je reviendrai dans un instant.

À première vue, ces propositions de lois paraissent simples, voire, à certains égards, séduisantes. Pour le RSA et la PCH, l’État prendrait, ni plus ni moins, à sa charge l’intégralité du coût de ces prestations supportées par les départements.

Pour l’APA, le mécanisme proposé s’avère particulièrement complexe, pour ne pas dire résistant à l’intelligibilité générale du système. Il distingue le calcul de la compensation des charges liées à l’APA à domicile et à l’APA en établissement, auxquelles est appliquée une franchise de 10 % ainsi que, pour l’APA à domicile, une minoration correspondant au montant actualisé de la compensation versée, en 2001, au titre de l’ancienne prestation spécifique dépendance, la PSD.

Au-delà de la complexité du système proposé, j’y vois un danger pour les départements, car ces propositions les déresponsabiliseraient en quelque sorte…

M. Didier Guillaume. Faites-nous une autre proposition !

M. Yves Krattinger. Proposez-nous quelque chose !

M. Didier Guillaume. Nous l’accepterons peut-être !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … et, au fond, remettraient en cause la décentralisation.

M. Yves Daudigny. La solidarité !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Les propositions formulées placent à l’évidence le département dans une position limitée à la gestion d’allocations. Avec une compensation intégrale des dépenses engagées, les départements n’auraient, par exemple, plus aucun intérêt à vérifier notamment la situation des bénéficiaires.

M. Jean-Michel Baylet. Les départements sont plutôt bien gérés !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Plus encore, ce n’est pas l’esprit qui a présidé, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’instauration de ces dispositifs.

Nous sommes ici au cœur du débat : nous ne pouvons raisonnablement considérer ces trois dispositifs comme de simples allocations de solidarité. Nous avons affaire, au contraire, à des prestations qui sont assorties d’un accompagnement personnalisé et évolutif, vous le savez mieux que personne. Et ce sont justement les services départementaux qui organisent les conditions de ce suivi individualisé,…

MM. Jacky Le Menn et Gérard Miquel. Et ils le font bien !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … avec une dimension contractuelle pour le RSA, un projet de vie pour la PCH et un plan d’aide pour l’APA.

Vouloir réduire ces dispositifs personnalisés à des allocations classiques n’est pas la bonne voie à suivre, y compris lorsqu’on se pose justement la question de la pérennité de leur financement.

D’ailleurs, l’un des avantages majeurs d’une gestion décentralisée n’est-il pas d’assurer une gestion et un suivi adaptés aux besoins réels de nos concitoyens ? N’est-ce pas, du reste, l’intérêt financier du département que de le faire au plus fin des réalités sociales, qu’il connaît si bien ?

M. Didier Guillaume. C’est exactement ce qu’on fait !

M. Claude Haut. C’est ce que nous faisons !

M. Gérard Miquel. Et ensuite, que fait-on ?

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. C’est d’ailleurs ce qu’avait souligné le Sénat en 2007, dans un rapport sur le contrôle comptable du RMI : il n’est pas raisonnable de faire dépendre mécaniquement le versement de compensation financière de l’État d’une politique départementale. À l’époque, Michel Mercier avait brillamment montré que la décentralisation du RMI avait permis d’améliorer significativement la qualité de la gestion de l’allocation et du fichier des bénéficiaires, parce que, précisément, les départements étaient financièrement intéressés à cette bonne gestion.

M. Jean-Michel Baylet. Il a été bien récompensé !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Ensuite, l’idée d’un « ticket modérateur » de 10 % proposé pour l’APA, ainsi que le rapporteur l’a souligné tout à l'heure, paraît relativement faible (M. Claude Haut le conteste.) au regard de la répartition actuelle de cette charge.

La réforme qui est prévue par ces propositions de loi remettrait donc en cause le principe même de la décentralisation,…

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … en réduisant le rôle des départements à de simples établissements publics qui mettraient en œuvre localement une politique nationale. Est-ce vraiment ce que veulent les auteurs de ces propositions de loi ? (M. Yves Daudigny s’exclame.) Je ne peux l’imaginer.

Par ailleurs, ces propositions de loi vont au-delà des obligations constitutionnelles qui pèsent sur l’État. C’est un point important de notre débat, et cela a été souligné par l’un des intervenants, puisqu’il sous-tend les raisonnements que portent ces propositions de lois.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’interpréter l’article 72-2 de la Constitution, notamment dans sa décision du 13 janvier 2005 relative à la loi de programmation pour la cohésion sociale. Il a estimé que lorsque l’État transfère aux collectivités territoriales des compétences auparavant exercées par lui, le législateur est tenu de leur attribuer des ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert.

Or pour l’APA, la PCH et le RSA – dans sa partie « socle majoré » –, nous sommes en présence d’extensions – et non de transferts – de compétences à l’égard desquelles il n’existe aucune obligation constitutionnelle de compensation intégrale des charges (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…

Mme Odette Terrade et M. Jacky Le Menn. Ben voyons !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … la Constitution imposant seulement au législateur d’accompagner financièrement ces extensions de compétences de ressources, dont il lui appartient d’apprécier le niveau.

Ces propositions de loi créent une charge excessive pour l’État, même si le gage – insuffisant, convenons-en – que vous introduisez permet de contourner l’article 40 de la Constitution.

Le coût pour l’État de la solution proposée est d’abord excessif et irréaliste dans le contexte actuel de nos finances publiques,… (M. Gérard Miquel s’exclame.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et pour les départements ?

M. Jacky Le Menn. Eh oui, ce n’est pas excessif pour les départements !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … ainsi que cela a été rappelé tout à l’heure par M. le président de la commission des finances et, par vous-même, monsieur le rapporteur.

En effet, chaque année, au vu des comptes administratifs, l’État compenserait, si j’ai bien lu, à l’euro près le reste à charge des départements. Le coût de cette solution pour l’État aurait été, en 2009, de 733 millions d’euros au titre du RSA et de 125 millions d’euros au titre de la PCH. Concernant l’APA, cela représenterait pour l’État un coût évalué à 2,7 milliards d’euros pour 2009.

Au total, les propositions de loi visent à transférer des départements à l’État une charge correspondant à 3,55 milliards d’euros, sans modifier, ni améliorer pour autant, les dispositifs du RSA, de l’APA ou de la PCH. (M. Jacky Le Menn s’exclame.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’État a transféré aux départements la charge des prestations !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Quant au gage proposé sur une augmentation des droits sur le tabac, il s’avère inapproprié, car décalé quant à son échelle. Il faut savoir, en effet, qu’une augmentation de 6 %, comme celle qui est intervenue en novembre dernier, ne produit en année pleine, vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’une recette de 400 millions d’euros environ.

Enfin, et je m’arrêterai un instant sur ce point, la réponse que vous proposez est inadaptée face à un problème qui est beaucoup plus global dans la mesure où il s’agit d’une question sociétale, celle de la prise en charge de la dépendance dans notre pays.

L’analyse des données chiffrées montre que la question de la compensation des allocations individuelles à la charge des départements concerne très majoritairement l’APA, qui représente plus des trois quarts du coût net pour les départements de la prise en charge des trois prestations, APA, RSA et PCH.

Ce constat est renforcé par une différence de dynamisme entre les trois prestations à long terme : le nombre d’allocataires du RSA et de la PCH n’a pas tendance à augmenter en pourcentage de la population, en dehors, bien sûr, des périodes de mauvaise conjoncture économique que nous avons connues,…

M. Jean-Michel Baylet. Quand même !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et bien sûr cela va s’arrêter ! La population va rajeunir et les emplois vont augmenter !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … alors que le coût de l’APA, vous en conviendrez, parce qu’il est structurel, devrait croître au fur et à mesure de l’allongement de la durée de la vie et donc du vieillissement de la population.

Ainsi, aussi bien en termes de montants à charge des départements à court terme qu’en termes d’évolution à long terme, c’est bien la question plus large de la dépendance qui est au cœur du sujet.

La réponse à la situation des départements passe donc, selon le Gouvernement, par une véritable réflexion sur la prise en charge de la dépendance.

M. Jacky Le Menn. Et que fait-on pendant ce temps ?

M. Claude Haut. Disparition des départements !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Quelles sont en effet les réponses du Gouvernement au Parlement ?

Le Gouvernement souhaite privilégier une réponse en deux temps : d’abord, en prenant des mesures ciblées et ponctuelles, pour le présent et, si j’ose dire, pour faire face ; …

M. Didier Guillaume. Pour ceux que vous avez appauvris !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … ensuite, en apportant des réponses structurelles sur la prise en charge de la dépendance, pour l’avenir.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. J’évoquerai d’abord la réponse que le Gouvernement apporte à court terme.

À la suite du rapport de Pierre Jamet, le Premier ministre, après avoir rencontré le bureau exécutif de l’Assemblée des départements de France le 1er juin dernier, a décidé de mettre en place une mission d’appui pour aider les départements qui rencontreraient, dès 2011, des difficultés financières urgentes.

Cette mission est à pied d’œuvre et a d’ores et déjà été sollicitée par plusieurs départements. Le travail entre cette mission et les présidents de conseils généraux qui la solliciteront pourra déboucher sur une convention avec l’État comportant des mesures de soutien financier.

Je tiens à rappeler ici, car c’est une donnée importante, que le recours à la mission comme les échanges préalables à la décision de passer ou non une convention sont placés sous le sceau de la confidentialité. C’est la condition d’une démarche à la fois contractuelle et respectueuse de la libre administration.

Par ailleurs, le Gouvernement a décidé un moratoire sur l’adoption de nouvelles mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales. Il s’est déjà traduit par la mise en œuvre, par la circulaire du 6 juillet 2010 du Premier ministre, pour les collectivités territoriales, dont les effets sont immédiats et tangibles.

Parallèlement, répondant en cela à la sollicitation de son président Alain Lambert, il a accepté que la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, puisse étudier, sur la base des propositions formulées par l’Association des maires de France, par l’Assemblée des départements de France et par l’Association des régions de France, non plus simplement le flux des nouvelles normes réglementaires mais également le stock des normes réglementaires accumulées.

Mon collègue Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales travaillera, ensuite, en concertation avec les associations d’élus, à l’élaboration de mesures résultant des propositions de la commission consultative d’évaluation des normes.

Enfin, le Gouvernement a prévu des mesures concrètes dans le projet de loi de finances pour 2011 et dans le projet de loi de finances rectificative pour 2010.

Une réponse structurelle avec un dispositif innovant de péréquation fiscale – il s’agit du fonds de péréquation des DMTO dès 2011 et du fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, CVAE, réparti début 2013 – qui doit contribuer à résorber en partie le déséquilibre structurel de ressources entre les départements. (M. Claude Haut s’exclame.) La péréquation verticale est accentuée parallèlement.

En matière de RSA, le Gouvernement a veillé à appliquer strictement la clause de revoyure prévue par la loi, en acceptant toutefois de neutraliser ses effets à l’égard des 35 départements qui n’ont imputé aucune dépense de RSA socle majoré pour 2009 ou un montant significativement inférieur à la dépense d’allocation parent isolé, API, supportée par l’État en 2008.

Ainsi, le projet de loi de finances pour 2011 met en œuvre la seconde clause de revoyure, qui se traduit par l’ouverture de 975 millions d’euros, dont 840 millions d’euros sont fléchés vers les départements métropolitains.

Autre mesure, la création, dans le projet de loi de finances rectificative pour 2010, qui est aujourd’hui en cours d’examen au Palais-Bourbon, d’un fonds d’aide aux départements en difficulté doté de 150 millions d’euros.

L’amendement afférent est discuté en ce moment à l’Assemblée nationale. Deux enveloppes distinctes de 75 millions d’euros seront respectivement réparties entre les départements connaissant des difficultés financières particulières et qui auront passé une convention avec l’État, et entre les 30 départements les plus fragiles au regard de la faiblesse de leurs ressources, du revenu moyen de leurs habitants et de la proportion de personnes âgées au sein de leur population.

La mission d’appui – IGF, IGA et IGAS – sera le levier opérationnel pour analyser la situation des départements.

Je cite ces quelques exemples pour vous rappeler que, dans ce domaine, nous agissons concrètement. Car, à nos yeux, ces sujets sont très importants. Il ne faut pas les traiter un par un, il faut s’efforcer de réfléchir de manière approfondie, durable et globale.

C’est dans cette logique et pour la longue période que le Gouvernement s’est engagé à ouvrir le chantier de la dépendance, et ce dès les semaines à venir.

Le Président de la République l’a annoncé, le 16 novembre dernier, il s’agit d’un débat national sur la prise en charge de la dépendance, qui doit se tenir au cours du premier semestre de l’année 2011, avant une inscription de la réforme dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

C’est bien sûr aussi un enjeu primordial pour les départements. Au vu du très grand nombre d’acteurs concernés par le champ de la dépendance, il est impératif qu’il soit mené dans la concertation, et que les départements de France y prennent leur juste part, toute leur part.

Plusieurs rapports ont éclairé ce sujet complexe – je pense naturellement aux rapports Gisserot, Vasselle, Rosso-Debord et à celui de la Cour des comptes –, ont dressé des diagnostics et proposé un éventail d’options envisageables sur l’évolution de la gouvernance, sur les financements et sur le degré de socialisation des dépenses de dépendance.

Il nous appartiendra donc collectivement de dégager des solutions négociées et partagées. Je suis convaincue que ce travail, auquel seront associés tous les groupes politiques, formulera des propositions susceptibles de nourrir les initiatives législatives à venir.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaite que ces propositions de lois ne soient pas adoptées.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Notre devoir est de laisser le chantier de la dépendance se dérouler, d’élaborer des propositions et d’en tirer les conséquences législatives le moment venu.

Notre devoir sera alors d’examiner des textes mûrement réfléchis et préparés par des acteurs divers et complémentaires.

Notre devoir est enfin – il n’y a pas de différence entre nous sur ce point – de réfléchir sereinement aux réformes importantes qui nous attendent et qui permettront de faire progresser notre démocratie, nos équilibres généraux, dans un souci partagé de la plus large transparence possible. (Applaudissements sur les travées de lUMP et au banc des commissions.)

M. Didier Guillaume. Je ne suis pas convaincu !

M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yves Krattinger. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’abord saluer l’immense travail effectué, sur cette thématique, au sein de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, et dont le congrès d’Avignon, en octobre dernier, fut sans conteste le point d’orgue.

Je salue la présence parmi nous de son président, M. Claudy Lebreton, de son vice-président qui a beaucoup travaillé sur le dossier, M. Michel Dinet, ainsi que celle d’un certain nombre des représentants des départements. Jamais jusque-là nous n’étions parvenus à une telle convergence, pour ne pas dire unanimité.

Unanimité, d’abord, sur la nécessité d’un engagement des départements dans la mise en œuvre des solidarités sociales : l’APA, la PCH et le RSA. Unanimité, ensuite, sur un constat : l’effet de ciseaux, très important, subi par les départements en raison essentiellement de la compensation insuffisante, par l’État, du coût des trois allocations de solidarité. Unanimité, enfin, sur la nécessité d’un acte législatif pour régler ce problème structurel.

La séance d’aujourd’hui est donc une première victoire pour celles et ceux, nombreux, qui pensent que la solidarité nationale n’est pas un vain mot et que des réponses sont urgentes pour la viabilité à long terme du pacte républicain, et pour les départements en termes de financement sur le court terme.

Il s’agit d’une première étape parlementaire d’un combat qu’il faut poursuivre pour que les conseils généraux restent en situation d’agir quotidiennement à l’amélioration du bien-être de nos concitoyens en concrétisant les solidarités sociales et territoriales.

Plus personne ne conteste sérieusement la spécificité des difficultés budgétaires rencontrées par les conseils généraux. Aucun autre niveau de collectivité ne subit un tel décalage entre la progression rapide de ses dépenses obligatoires et la stagnation de ses recettes.

Évoquant ce phénomène de désajustement à l’occasion de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2011 le 22 octobre dernier, notre collègue rapporteur du budget à l’Assemblée nationale a eu ces mots très justes : « Quand vous gérez au plus près, que vous réalisez toutes les économies possibles et que, malgré tout, vous rencontrez des difficultés, c’est que quelque chose ne va pas dans la structure même des financements ».

Un sénateur du groupe socialiste. Eh oui !

M. Yves Krattinger. Il parlait des conseils généraux.

M. Gilles Carrez a parfaitement raison : quelque chose ne va pas, et ce dérèglement est à chercher dans la nature même du système de compensation mis en œuvre depuis 2002 – nous en convenons. En octobre 2009, la Cour des comptes estimait déjà, à propos du financement de la décentralisation, que « les mécanismes retenus n’apparaissent ni satisfaisants, ni viables à long terme dans le domaine social ». Elle parlait des départements.

Or, dans le projet de loi de finances pour 2011, rien de pérenne n’a été proposé, bien que nous ayons eu à débattre de cette question au travers de nombreux amendements.

Les départements doivent faire face à des dépenses sociales – RSA, PCH, APA – croissantes – près de 13,5 milliards d’euros en 2010 – et le reste à charge net supporté par leurs budgets représentera, pour la seule année 2010, un montant de 5,3 milliards d’euros. On peut d’ailleurs noter pour le département que j’ai l’honneur de présider, qui figure dans les 10 départements les plus pauvres, que la compensation 2010 atteint seulement 54 % des dépenses des allocations de solidarité. Cela traduit, en plus, un traitement injuste des inégalités territoriales dans la manière dont sont réparties les compensations.

Face à ce constat partagé bien au-delà des 102 départements de France, que nous propose le Gouvernement ? Trois choses essentiellement, la première étant la création, dans la loi de finances rectificative pour 2010, d’un fonds exceptionnel de soutien en faveur des départements doté de 150 millions d’euros. Mais je rappellerais que 75 millions d’euros sont en dotation…

M. Yves Krattinger. … et 75 millions d’euros en avances remboursables.

M. Didier Guillaume. Bien sûr !

M. Yves Krattinger. Vous comprendrez bien qu’au regard des 5,3 milliards d’euros en jeu pour cette année, 2010, ce fonds fait figure de goutte d’eau dans un océan, celui de la dette de l’État à l’égard des départements. Sur ce point, je rejoins donc M. Claudy Lebreton quand il estime que « les conseils généraux ne demandent pas la charité ». Ils attendent des solutions durables et pérennes.

M. Yves Krattinger. La deuxième solution avancée par le Gouvernement, c’est l’amélioration du système de péréquation actuel, notamment horizontal. C’est nécessaire, et il convient de soutenir une démarche ambitieuse sur ce sujet. Néanmoins, ces mécanismes de péréquation n’agiront qu’à la marge sur les budgets départementaux : 7 % à 8 % du décalage tout au plus. Je citerai ici une nouvelle fois M. Gilles Carrez qui écrivait dans son récent rapport rédigé avec M. Michel Thénault : « l’ensemble du besoin de financement créé par la hausse structurelle des dépenses ne sera couvert par la seule amélioration de la gestion des dispositifs, et par la péréquation horizontale », la solution ne pouvant venir, selon les rapporteurs, que « des arbitrages réglés par voie législative et réglementaire ».

M. Yves Krattinger. Enfin, la troisième annonce, qui semble aujourd’hui être la réponse envisagée par le Gouvernement aux difficultés exprimées par les départements, c’est l’ouverture pour 2011 du chantier de la dépendance. Permettez-moi, là encore, de douter pour les raisons suivantes. Tout d’abord, cette réflexion ne favorise pas un règlement global de la compensation des trois allocations ; la PCH a son évolution spécifique ; le RSA ne serait pas traité alors qu’il dérape financièrement sans que les conseils généraux puissent maîtriser quoi que ce soit dans la délivrance du RSA.

M. Didier Guillaume. Exactement !

M. Yves Krattinger. Ensuite, parce que cette réforme ne serait pas effective avant, au mieux, l’année 2012, et plus probablement 2013. (M. Jacky Le Menn s’exclame.) Enfin, parce que nous sommes en profond désaccord avec le Gouvernement concernant le recours obligatoire à l’assurance privée. Excusez-nous de penser que le recours à l’assurance privée ne change pas globalement le coût de la dépendance mais modifie uniquement le mode de financement. Nous ne sommes pas sûrs que ce recours allège, pour la société, la charge globale et diminue le nombre de personnes âgées.

Face à ces réponses insuffisantes de l’État, et dans un esprit de responsabilité qu’exige l’urgence de la situation, nous avons élaboré la solution qui nous semblait la plus appropriée pour résoudre cette question. Vous l’avez aujourd’hui entre les mains et, comme l’a fort bien dit Yves Daudigny lors de sa présentation, elle s’articule autour d’un principe fort : la mise en œuvre locale d’une solidarité nationale juste et équitable.

C’est la consolidation de notre pacte social républicain qui est en jeu. Nous devons trouver rapidement des ressources pour le financer et c’est au Parlement qu’il revient de délibérer sur ces choix, profondément politiques. Au mois de juin dernier, j’ai produit – et je vous demande d’y être attentifs – avec notre collègue M. Roland du Luart, membre du groupe UMP, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, un rapport sur les compensations des transferts de compétences. À cette occasion, nous avions proposé, ensemble, une mesure essentielle : la clarification du financement des prestations de solidarité.

En effet, l’allocation personnalisée d’autonomie est financée par un concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Il en est de même de la prestation de compensation du handicap. Le revenu de solidarité active est financé par un concours du Fonds national des solidarités actives, par un transfert de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, au titre de l’allocation de parent isolé, et, enfin, par un concours du fonds de mobilisation départementale pour l’insertion.

Madame la secrétaire d'État, quel rapport y a-t-il, par exemple, entre la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers et le revenu de solidarité active ? Aucun ! Vous voulez engager le chantier de la dépendance, dites-vous, mais venons-en tout de suite à l’examen des solutions !

La seule chose bien claire pour tous, c’est que les financements actuels sont notablement insuffisants dans les budgets départementaux. Il est indispensable d’introduire une grande lisibilité en la matière. C’est la raison pour laquelle mon collègue UMP et moi-même avions proposé d’octroyer à cet effet une ressource unique pour financer ces allocations.

Ensemble nous avons dit aussi qu’une part de CSG nous semblait être la solution la plus cohérente au regard des compétences sanitaires et sociales des conseils généraux. Cet impôt dispose d’un rendement par point supérieur à 10 milliards d’euros, plus encore dans une version élargie à la totalité des revenus.

Ainsi, une augmentation du taux de 0,3 % pourrait apporter le montant nécessaire à la stabilisation des budgets départementaux – 3,34 milliards d’euros avez-vous dit, 3,3 milliards d’euros selon Charles Guené –, si l’on admet une part résiduelle supportable de solidarité infradépartementale, appelée ticket modérateur, allant de 10 % à 15 % de la dépense totale selon la richesse des départements, soit 1,7 milliard d’euros.

La semaine passée, lors de l’examen des crédits de la mission budgétaire « Relations avec les collectivités territoriales », j’ai eu le grand plaisir de constater l’intérêt de Christian Poncelet pour ce dispositif à l’occasion de son intervention à la tribune.

J’ai le même plaisir à citer le Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de la Cour des comptes, paru en juin 2010, à propos du financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, de la prestation de compensation du handicap et du revenu de solidarité active.

Voici ce qui est écrit dans ce rapport : « Ces prestations sociales ne peuvent être régulées par les seules collectivités locales qui sont chargées de leur gestion. Il revient à l’État de revoir les conditions de financement de ces prestations, qu’il a transférées aux départements sans leur donner les moyens d’en maîtriser l’évolution, ou de modifier les dispositifs sociaux eux-mêmes. »

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Yves Krattinger. En cette période de rigueur budgétaire extrême, cette légère augmentation de la CSG élargie aurait l’immense avantage d’être totalement neutre pour le budget de l’État.

Dans la mesure où le Gouvernement ne veut ni supprimer le bouclier fiscal…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Si, cela va venir !

M. Yves Krattinger. … ni restaurer la TVA sur la restauration, chacun assumera, en toute authenticité, ses choix politiques devant nos concitoyens.

La question qui nous préoccupe aujourd’hui est la suivante : comment prendre en charge la solidarité nationale nécessaire à la pérennité de notre pacte républicain ? Nous sommes ici pour en débattre et j’imagine la frustration de nos collègues de droite, privés du droit d’en discuter ici avec nous,…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Comment cela « privés du droit » ?

M. Yves Krattinger. … alors qu’ils s’expriment abondamment sur ce sujet dans les territoires.

Je ne citerai qu’une phrase, issue du rapport d’octobre 2010 du Conseil des prélèvements obligatoires, intitulé Entreprises et « niches » fiscales et sociales – Des dispositifs dérogatoires nombreux : « Les 293 dépenses fiscales qui bénéficient aux entreprises recensées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 ont un coût total évalué à 35,3 milliards d’euros en 2010 […]. »

Vous m’avez bien entendu ! Mes chers collègues, comment pouvons-nous dire ensuite qu’il n’existe aucune marge de manœuvre et que les départements doivent attendre ?

Nous faisons aujourd’hui, et nous ferons demain, le choix de la solidarité et de la justice. C’est la raison pour laquelle, mon cher Yves Daudigny, nous voterons avec enthousiasme cette proposition de loi, qui doit, n’en doutons pas, marquer une étape cruciale dans la pérennisation de notre pacte social républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mes chers collègues, à l’instar de nos collègues des groupes socialiste et CRC-SPG, la très grande majorité des membres du RDSE vous demande aujourd’hui, par cette proposition de loi, de prendre enfin vos responsabilités, madame la secrétaire d'État, en permettant aux conseils généraux de financer les prestations sociales dont ils ont la charge.

La réforme constitutionnelle de 2003, pilotée par Jean-Pierre Raffarin, devait parachever la décentralisation, dont, je le rappelle, la gauche a pris l’initiative en 1982.

Huit années plus tard, son application s’est en réalité traduite, dans les faits, par un recul historique des libertés locales, l’État ayant refusé de mettre en œuvre ses obligations, lesquelles sont pourtant inscrites dans la loi !

Certes, l’autonomie financière des collectivités territoriales est un principe constitutionnel, mais l’autonomie fiscale, qui est au cœur du principe même de libre administration, n’a jamais – hélas ! – été reconnue comme règle constitutionnelle.

La désastreuse suppression de la taxe professionnelle a achevé de mettre en pièces l’autonomie fiscale, déjà largement battue en brèche depuis 2002 par une succession de lois ôtant aux collectivités, en premier lieu aux départements, leurs outils d’intervention fiscale.

La contribution économique territoriale, qui nous avait été présentée comme un progrès pour nos libertés locales, a surtout contribué à complexifier la fiscalité locale et à réduire les ressources autonomes des départements. Leur pouvoir de modulation fiscale est ainsi passé de 36 % à 12 % !

Où est désormais l’autonomie ? Où sont les garanties financières que le Gouvernement nous promettait en cas de carence budgétaire ?

Madame la secrétaire d'État, qu’avez-vous à répondre aux affirmations de notre collègue député Gilles Carrez, qui a calculé que le coût de la suppression de la taxe professionnelle serait, en réalité, de 7 milliards d’euros en 2010, et non de 3,9 milliards, comme l’annonçait le Gouvernement ? Comment l’État va-t-il financer ce surcoût sans l’imputer sur les collectivités ?

Cette régression est d’autant plus inacceptable que les départements sont soumis à un effet de ciseaux créé par des charges toujours plus lourdes et des ressources toujours plus rares.

Les transferts massifs de compétences et des personnels y afférents opérés depuis 2004 vers les départements n’ont jamais été accompagnés de la compensation intégrale et concomitante que la Constitution et la loi requièrent de l’État.

En 2010, vingt-sept départements sont au bord de la cessation de paiement ; l’an prochain, ils seront vraisemblablement quarante, peut-être cinquante, du seul fait de leur impossibilité de faire face à leurs charges.

Évidemment, le gel pour trois ans des dotations de l’État inscrit dans la loi de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 va encore assombrir les perspectives de l’ensemble des collectivités, aggraver la situation, en particulier pour celles d’entre elles qui ne bénéficieront pas du fonds national de garantie individuelle des ressources ou de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle.

Prenons l’exemple de la Seine-Saint-Denis, qui a été, en 2010, le premier département contraint de voter, en dépit de la loi, je le reconnais, un budget primitif déficitaire de 75 millions d’euros, soit le montant des compensations que l’État n’avait jamais versées !

M. Philippe Dallier. Vous avez, à ce sujet, fait de la communication tous azimuts !

M. Jean-Michel Baylet. Voilà quelques jours, trois conseils généraux, l’Hérault, la Loire-Atlantique et la Haute-Garonne, ont chacun déposé devant les tribunaux administratifs une question prioritaire de constitutionnalité pour contester la non-compensation financière des charges qui leur ont été transférées, comme à l’ensemble des départements, par l’État.

Le Conseil d’État lui-même a d’ailleurs, madame la secrétaire d'État, reconnu les carences de l’État, et, en décembre 2009, a jugé ce dernier fautif de ne pas avoir publié le décret organisant la compensation financière des charges résultant du transfert aux départements des compétences en matière de protection sociale et d’aide sociale à l’enfance, soit une charge annuelle de 30 millions d’euros, que les conseils généraux doivent assumer seuls !

Mes chers collègues, nous sommes bien là au cœur de la problématique qui justifie que soit adoptée notre proposition de loi : donner aux conseils généraux les moyens financiers d’assurer les compétences que la loi leur attribue. Quoi de plus normal ?

C’est exactement pour cette raison que l’Assemblée des départements de France – dont je salue à mon tour le président, Claudy Lebreton, présent dans les tribunes avec une délégation du bureau – a adopté à l’unanimité, lors de son congrès à Avignon en octobre, une motion réclamant au Gouvernement des « ressources durables et pérennes ».

Madame la secrétaire d'État, ce vote unanime – une exception dans l’histoire de notre association ! –, donc toutes tendances confondues, illustre malheureusement l’inquiétude des départements quant à la dégradation de leurs finances, liée notamment aux allocations universelles de solidarité versées pour le compte de l’État.

En conséquence, la proposition de loi que nous défendons vise à mettre l’État face à ses responsabilités, car, contrairement à lui, les départements n’ont pas le droit de présenter des budgets en déficit.

Pourtant, madame la secrétaire d'État, le Gouvernement, et plus largement la majorité qui dirige ce pays depuis 2002, prétend donner des leçons de bonne gestion budgétaire, alors que vous avez porté notre dette publique de 900 milliards d’euros en 2002 à 1 700 milliards d’euros en 2011. Les conseillers généraux, qui œuvrent tous dans des conditions extrêmement contraintes, n’ont donc aucune leçon à recevoir en matière de gestion !

M. Yvon Collin. Absolument !

M. Jean-Michel Baylet. La décentralisation des déficits est une aberration politique que les Radicaux de gauche dénoncent avec vigueur !

MM. Jean-Pierre Plancade et Jacques Mézard. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. La solidarité nationale est au cœur de notre pacte républicain. Elle assure à tous nos concitoyens en grande difficulté sociale ou frappés par les aléas de la vie la garantie que la nation se mobilise pour leur offrir des conditions de vie décentes.

Les conseils généraux, dont la vocation sociale est inscrite dans la loi, se mobilisent pour assurer le maintien de ce lien social avec des personnes frappées par l’exclusion, le handicap ou la perte d’autonomie. Par leur proximité, ces collectivités sont les mieux à même de mettre en œuvre une politique sociale adaptée aux spécificités d’un territoire.

C’est dire si l’urgence est grande de leur donner les ressources nécessaires qui leur font aujourd’hui cruellement défaut ! Or, en créant les métropoles dans le cadre de la funeste réforme des collectivités territoriales, votre majorité a entériné l’inverse. En effet, ces métropoles absorberont toutes les ressources fiscales et les bassins de population les plus dynamiques, tandis que les conseils généraux devront utiliser comme ils le pourront des ressources exsangues pour servir leurs prestations sociales obligatoires.

Les ressources propres des départements ont été par d’ailleurs lourdement affectées par la conjoncture. M. Pierre Jamet, dans son Rapport à Monsieur le Premier ministre sur les finances départementales, que vous avez cité, madame la secrétaire d'État, a reconnu que le dynamisme des dépenses sociales des départements, en particulier le panier RMI-APA-PCH, avait fragilisé l’équilibre des finances départementales.

À cela, bien sûr, se sont ajoutés les effets de la crise sur le produit des droits de mutation, ainsi que sur les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, conduisant à une « perte de la capacité locale d’initiative ».

M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Jean-Michel Baylet. En 2008, le panier RMI-APA-PCH représentait une dépense de 11,4 milliards d’euros, dont 3,8 milliards d’euros à la charge définitive des départements, soit un taux de couverture de 66 %.

En 2009, la situation s’est encore détériorée,…

M. Jean-Pierre Plancade. Et ce n’est pas fini !

M. Jean-Michel Baylet. … puisque l’augmentation du nombre de bénéficiaires du RMI et la baisse des rentrées de cotisations sociales ont contribué à porter la charge définitive des départements à 4,5 milliards d’euros, soit un taux de couverture de 63,1 %.

Les premières estimations pour 2010 sont encore pires, puisque les dépenses devraient atteindre 13,3 milliards d’euros, dont 5,2 milliards d’euros à la charge des départements, soit un taux de couverture de 61 %.

Tous ces éléments attestent donc l’irresponsabilité de l’État, qui met sciemment en coupes réglées les conseils généraux. Peut-être est-ce pour fournir demain un prétexte à la suppression des départements, que d’aucuns appellent, paraît-il, ardemment de leurs vœux ?

En tout cas, l’assèchement, aujourd’hui prévisible, des ressources départementales conduira, si rien n’est fait, à mettre gravement en péril l’existence même de prestations que les conseils généraux versent – je le rappelle – pour le compte de l’État en grande partie sur leurs ressources propres.

M. Didier Guillaume. Exactement !

M. Jean-Michel Baylet. Mes chers collègues, il n’est pas logique que les départements soient responsables financièrement de compétences qui ne leur ont pas été transférées et pour lesquelles ils n’ont pas la possibilité de fixer les règles d’attribution.

M. Jean-Michel Baylet. À terme, le mode de financement actuel fragilisera la capacité des conseils généraux à garantir la pérennité des solidarités sociales et territoriales, particulièrement dans les territoires les plus fragiles comme les zones rurales ou les zones urbaines sensibles.

M. Jean-Michel Baylet. Ces services de proximité, indispensables au maintien du lien social, seront directement menacés dans leur existence même.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cette proposition de loi portée par l’ensemble de la gauche sénatoriale est un appel à l’aide des conseils généraux, comme l’a énoncé le président Claudy Lebreton. L’urgence est patente !

Si la décentralisation, en transférant le pouvoir de décision aux niveaux de proximité les plus appropriés, a permis de rapprocher nos concitoyens de leurs élus, il est inacceptable que les contribuables locaux paient la facture de l’incurie budgétaire de l’État ! C’est pourquoi, comme mon collègue Yves Krattinger, je vous invite à voter ce texte avec enthousiasme. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Pierre Plancade. On va le faire !

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, dire, devant vous qui êtes des représentants des collectivités et des territoires, mes chers collègues, qu’un nombre toujours plus important de départements connaît une situation budgétaire compliquée, n’est qu’une introduction de pure forme. Il convient toutefois de le rappeler, puisque l’an dernier, un département – sans doute l’un des plus exposés en matière de dépenses sociales –, la Seine-Saint-Denis, a adopté un budget déséquilibré, risquant la mise sous tutelle du département par l’État, dans le seul objectif d’alerter ce dernier sur la dégradation sans précédent de ses finances.

M. Philippe Dallier. Et sa situation s’est réglée comme par miracle !

Mme Odette Terrade. Le moins que l’on puisse dire, personne n’en disconviendra, c’est que ce phénomène s’amplifie. D’ailleurs, n’est-ce pas le président du Sénat, Gérard Larcher, qui affirmait ceci en 2009 : « D’ici à quelques années, une quinzaine de départements vont se retrouver en situation de rupture de charge financière. […] » Il ajoutait : « On ne va pas laisser les départements déposer le bilan à cause de la solidarité intergénérationnelle. [...] Il faut imaginer une nouvelle dynamique. »

Or, un peu plus d’un an après, la situation n’a guère évolué, si ce n’est que le nombre de départements en grande difficulté a considérablement augmenté. En croisant les données issues du travail commun réalisé en 2009 par l’Assemblée des départements de France et les services du ministère de l’intérieur à ceux qui ont été fournis par la commission Carrez-Thénault, qui a travaillé sur des données plus récentes fournies par la direction générale des finances publiques, il y aurait, début 2010, trente départements en difficulté.

L’hétérogénéité de cette liste quant à la nature des départements concernés – urbains ou ruraux –, à leurs tailles ou aux majorités qui les gèrent, permet d’écarter immédiatement un débat qui ne m’apparaît pas opportun, celui de la qualité de la gestion de ces derniers, débat que le Gouvernement tente pourtant de lancer.

Je note d’ailleurs avec satisfaction que M. le rapporteur, Charles Guené, a évité ce travers, même si je regrette qu’il ait précisé dans son rapport que, si elle était adoptée, la présente proposition de loi aurait pour effet de déresponsabiliser les départements. Je reviendrai sur ce point.

Si je le souligne, c’est que cela revêt une très grande importance et nous renvoie au contenu même de la proposition de loi que nous avons déposée simultanément avec le groupe RDSE et le groupe socialiste, et dont l’élaboration a été réfléchie et travaillée avec l’Assemblée des départements de France, naturellement impliquée sur le sujet, dont je salue, à mon tour, la délégation présente dans les tribunes.

Il ne s’agit pas, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, d’imposer à l’État la prise en charge d’une partie du déficit dont souffrent les départements. Au contraire, cette proposition de loi se borne à rappeler à l’État ses engagements premiers, c’est-à-dire la garantie pour toutes et tous de l’existence de dispositifs individuels, solidaires, nationaux – j’insiste bien sur ce caractère national. Voilà l’objet de cette proposition de loi !

Comme vous le savez, depuis l’adoption des lois de décentralisation du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la solidarité repose en partie – en large partie – sur les collectivités territoriales, dont les départements. Se sont ainsi multipliées les lois de transferts de compétences, à l’image de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, qui a décentralisé la gestion du revenu minimum d’activité, d’extension des compétences, telle la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, de création de compétences à la charge des départements, comme ce fut notamment le cas avec l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap.

Nous le voyons, avec ces trois allocations individuelles de solidarité – le RSA s’étant substitué au RMI –, les départements jouent aujourd’hui un rôle central dans les dispositifs destinés aux plus démunis ou aux plus fragiles de nos concitoyens.

Ces trois allocations sont, chacun le mesure, de très grande importance pour celles et ceux qui en bénéficient et correspondent à la traduction dans les faits – bien que beaucoup reste encore à faire – du principe fondamental posé par le préambule de notre Constitution, selon lequel « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

C’est pourquoi, en tant qu’acteurs de terrain côtoyant au plus près nos concitoyens et ayant pour mission au Sénat de veiller au respect des collectivités et des territoires, nous devons, au delà nos divergences et nos oppositions politiques, tout faire pour éviter que la dégradation des finances publiques et locales n’ait un jour pour conséquence de priver d’accès à ces allocations celles et ceux qui en ont besoin pour vivre dans la dignité, ou d’en réduire le champ.

C’est afin d’éviter cette situation que les membres du groupe CRC-SPG ont déposé, comme leurs collègues du groupe socialiste et du groupe du RDSE, cette proposition de loi, laquelle pose le principe simple de la compensation intégrale des dépenses engagées par les départements au titre du RSA et de la PCH et à hauteur de 90 % pour celles de l’APA.

Nous sommes actuellement loin de cette compensation puisque, de l’aveu même du rapporteur, l’adoption de cette proposition de loi – et j’y vois là le réel et seul motif d’opposition – aurait pour conséquence de coûter 3,34 milliards d’euros à l’État.

Comme le souligne Charles Guené dans son rapport, la situation est connue de tous : « Le coût de ces prestations augmente et les compensations versées par l’État ne couvrent pas cette augmentation, qui pèse lourdement sur les budgets départementaux. »

À titre d’exemple, madame la secrétaire d’État, de 2004 à 2010, pour le Val-de-Marne – département que nous connaissons bien et que nous aimons toutes les deux, j’en suis sûre ! –, les dépenses non compensées se montent à 260 millions d’euros. Pour 2011, cela correspond à 95 millions d’euros, soit le coût de construction de cinq nouveaux collègues !

Vous voyez donc bien que ces chiffres sont importants pour les départements !

Dès lors, mes chers collègues, il n’existe aucune autre voie possible, à moins de considérer – ce que nous ne pouvons accepter –, que, un jour, ces allocations perdent définitivement tout caractère national, ce qui ne manquerait pas d’entraîner d’importantes disparités entre nos concitoyens et constituerait ainsi une atteinte sans précédent au principe d’égalité.

À cet égard, je voudrais réfuter l’argument, avancé par M. le rapporteur, selon lequel l’adoption de cette proposition de loi aurait pour effet – vous l’avez dit et cela a été répété – de déresponsabiliser les départements dans l’attribution de ces allocations.

C’est bien mal connaître les départements et ceux qui participent à leur direction au sein des exécutifs que de croire cela ! Mais, surtout, c’est oublier un élément important puisque, en raison du partage opéré entre l’État et les départements, c’est à l’État, au nom de la solidarité nationale et du principe d’égalité dont je viens de parler, qu’incombe la compétence générale de détermination des normes et de la définition des conditions d’accès.

Toutes les autres propositions sont donc insatisfaisantes, notamment celles qui consistent à espérer que se réduise, après la crise, l’écart entre les dépenses liées à ces trois allocations et les ressources propres aux départements. Ce raisonnement, exact du point de vue strictement comptable, part cependant du postulat – que nous ne pouvons accepter – selon lequel ce serait aux départements d’assumer seuls les évolutions passées et à venir de ces allocations.

Ce raisonnement entérine le désengagement total de l’État dans le financement de ces allocations, ce que nous avions d’ailleurs dénoncé lors de l’adoption des lois de décentralisation et à l’occasion de l’examen de chacune des lois créant ces allocations ou transférant leur gestion aux départements.

De plus, quand bien même nous accepterions cette logique – ce qui n’est pas le cas –, les mécanismes actuels de financement ne peuvent suffire et ne sont pas de nature à garantir un financement pérenne et durable. Je pense notamment aux ressources issues de la CNSA et destinées au financement de l’APA et de la PCH. En effet, la contribution solidarité autonomie, tout comme la fraction de 0,1 % de la CSG perçue sur les revenus d’activité, dépend très fortement de l’activité économique, singulièrement du taux d’emploi. Quant aux recettes tirées des droits de mutation à titre onéreux, elles sont trop volatiles et sont elles aussi soumises à la conjoncture économique, comme l’atteste leur effondrement en raison des effets de la crise économique sur le secteur de l’immobilier.

À tout cela, il convient d’ajouter, comme le rappelle justement M. le rapporteur, que « les difficultés des départements pourraient être accentuées par la réforme de la taxe professionnelle », puisque, selon la commission Carrez-Thénault, avec cette réforme, les conseils généraux ne peuvent plus utiliser qu’un levier sur des recettes fiscales réduites de moitié, c’est-à-dire représentant 16 % de leurs ressources contre 35 % auparavant.

Au final, compte tenu de tous ces éléments, le reste à charge net supporté par les départements devrait atteindre près de 10 % de leurs dépenses de fonctionnement, soit un peu plus de 5 milliards d’euros. Il s’agit d’un montant d’autant plus important que les départements ne disposent plus de levier d’ajustement, à moins de réduire encore plus qu’ils ne le font déjà leurs investissements ou d’augmenter considérablement la fiscalité locale, notamment celle qui est supportée par nos concitoyens.

D’autres invitent également les départements à se concentrer sur les seules dépenses obligatoires. Cela n’est pas sans rappeler la suppression de la clause de compétence générale, prévue pour 2015. Ces deux propositions sont différentes, mais sont issues d’une même matrice, celle de la baisse des dépenses publiques par le biais de la réduction des missions, qui n’est naturellement pas satisfaisante.

D’ailleurs, Pierre Jamet, dans le rapport sur les finances départementales dont il s’est vu confier la rédaction et qu’il a remis au Premier ministre le 22 avril dernier, confirme la situation et l’analyse que nous faisons aujourd’hui avec mes collègues du groupe socialiste et du groupe du RDSE. Il rappelle en ces termes que cette solution n’en est pas une puisque « la simple recommandation adressée aux départements de se recentrer sur leurs dépenses obligatoires est simpliste et illusoire ». Il précise en outre que, « à la fois en matière d’investissement et surtout en matière de fonctionnement, nombre des politiques facultatives dans le domaine scolaire, culturel, sportif ont un impact social réel ».

Réduire les moyens financiers des départements, en n’assurant pas, par exemple, le financement des missions qui leur sont transférées et en les obligeant à puiser dans leurs propres ressources, est une manière de les empêcher d’accomplir les missions qu’ils se sont, certes, eux-mêmes confiées, mais dans le seul but – faut-il le rappeler ! – de pallier les carences de l’État dans de nombreux domaines par l’utilisation de cette clause. Je voudrais notamment citer le secteur du logement, qui souffre, encore une fois, de la baisse constante de crédits inscrits en loi de finances.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout est fait, pas à pas, pour empêcher les départements de jouer leur rôle de garant d’une solidarité efficace et de proximité.

Mme Odette Terrade. Laquelle notion de proximité n’exclut pas – tout au contraire – qu’elle soit et demeure, par certains aspects, une solidarité nationale.

En octobre 2009, le président du Sénat, Gérard Larcher, avait, après sa déclaration sur les départements en faillite, affirmé qu’au premier trimestre 2010, « il y [aurait] un débat sur la répartition des richesses » au Sénat, puis un projet de loi spécifique sur le sujet. C’était pour lui l’occasion de poser « la question du financement de la solidarité intergénérationnelle ».

Mme Françoise Laborde. Il l’a oublié !

Mme Odette Terrade. Or, avec la réforme des collectivités territoriales, qui bride la possibilité d’intervention des départements, avec la réforme de la taxe professionnelle, qui participera grandement, demain, à l’asphyxie financière des départements et des régions, avec la réforme des retraites, qui permettait d’aborder la question de la solidarité entre les générations, ou encore avec la proposition de loi de notre collègue Paul Blanc tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, on s’aperçoit en réalité que le Gouvernement, comme sa majorité, refuse que l’on prenne à bras-le-corps, et de manière globale, la question du financement des départements au titre de ses missions obligatoires, même au-delà de tout ce qui relève de la solidarité.

Il suffit pour s’en convaincre de regarder la manière avec laquelle le Gouvernement a fait le choix de ne plus réunir la Conférence nationale des finances publiques pour lui substituer la Conférence de la dette publique. La différence n’est pas uniquement sémantique : avant même que cette dernière ne se réunisse, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, en avait déjà tracé les grandes lignes, à savoir la réduction des dépenses publiques, notamment locales et territoriales. Cette déclaration avait d’ailleurs conduit Bernard Accoyer à déclarer « qu’une injonction au niveau national aux collectivités locales n’était pas tout à fait constitutionnelle et pas vraiment démocratique ». On ne saurait mieux dire !

Face à cette situation d’urgence, le rapport Jamet préconise un abondement exceptionnel par l’État des recettes destinées au financement des trois allocations individuelles, mais un abondement concentré sur les quelques départements les plus en souffrance. Si cette proposition atteste l’urgence de la situation, nous ne pourrions nous en satisfaire, car elle ne règle ni la question des dettes cumulées par le passé ni celle – sans doute plus importante – des réformes structurelles qui s’imposent, pour éviter que, demain, de nouvelles dettes ne se créent.

Notre collègue Charles Guené croit voir dans cette proposition de loi la volonté, de la part des trois groupes de l’opposition, de « mettre l’accent sur les difficultés financières que rencontrent les départements dans leur ensemble ». Je vous le dis avec le plus grand respect, mon cher collègue : vous vous trompez ! Il ne s’agit pour nous que de garantir, demain, sur tout le territoire national, de manière égale et solidaire, le financement des trois allocations de substance – car c’est bien de « substance » qu’il s’agit aujourd’hui – dans la mesure où seul un tel financement est de nature à garantir une attribution tout autant égale, juste et solidaire de ces allocations.

Il s’agit moins de parler de la situation difficile des départements – bien qu’il s’agisse là d’un sujet important – que de la manière dont l’État doit garantir à tous nos concitoyens le versement de ces allocations, qu’il faudrait d’ailleurs revoir pour les rendre encore plus pertinentes et efficaces, dans le contexte de dégradation économique et sociale que nous connaissons.

Il s’agit de disposer aujourd’hui des outils législatifs pour éviter que l’État ne persévère – comme c’est le cas aujourd’hui – dans la réduction du champ des solidarités et de l’intervention publique et n’amplifie à l’avenir – comme nous le craignons – ce mouvement.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite, vous qui connaissez les besoins de nos populations, à voter ces propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de faire remarquer à nos collègues de l’opposition qu’il n’est pas très correct de stigmatiser, en détournant le règlement, l’absence des élus UMP. Les conditions climatiques sont ce qu’elles sont. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Odette Terrade. Ce n’est pas la seule raison !

M. Philippe Dallier. Sur quelque travée qu’ils siègent, ne sont présents, pour l’essentiel, que ceux qui interviennent. Pour autant, cela n’enlève rien à la détermination de ceux qui, au sein de notre Haute Assemblée, sont préoccupés par le financement des départements. Il n’y a pas, d’un côté, les bons, vous, qui seraient les porte-parole des conseils généraux, et, de l’autre, les méchants, nous ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Ce rappel étant fait, j’en viens aux trois propositions de loi identiques présentées par nos collègues des groupes socialiste, CRC-SPG et RDSE, visant à apporter une solution à la situation financière difficile, voire très difficile, dans laquelle se trouvent un certain nombre de départements qui ne peuvent plus faire face à l’augmentation des dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité dont ils ont la charge.

Chacun le sait, et nul ne le conteste, l’augmentation des dépenses sociales, liée principalement au vieillissement de la population, qui d’ailleurs ne cessera de s’amplifier dans les années à venir, ainsi que l’augmentation, plus conjoncturelle espérons-le, des dépenses relatives au revenu de solidarité active, ont créé un effet de ciseaux insupportable, que nombre de budgets départementaux ne peuvent encaisser sans réduire à néant leur capacité d’investissement, et ce malgré des hausses déjà importantes de la fiscalité locale – si tant est que celles-ci aient pour objet de couvrir des dépenses de solidarité, ce qui n’est pas toujours le cas.

Vingt-huit départements seraient ainsi dans la quasi-impossibilité de boucler leur budget. Cette situation très préoccupante appelle bien évidemment une réponse globale et collective, traduction de la solidarité nationale, car nous ne saurions laisser chacune de ces collectivités face à ce problème qu’elles ne peuvent résoudre, en l’état actuel de la situation.

Je crois pouvoir m’autoriser à dire qu’il y a, sur ce point, un large consensus, voire l’unanimité.

M. Yves Krattinger. Très bien !

M. Philippe Dallier. Cependant, comme souvent, nous divergeons sur les solutions.

Nos collègues nous proposent que l’État compense intégralement, ou à hauteur de 90 %, avec ce ticket modérateur, les dépenses relatives au revenu de solidarité active, à l’allocation personnalisée d’autonomie ainsi qu’à la prestation de compensation du handicap.

Cette solution a le mérite de la simplicité, puisqu’elle reporte sur l’État, et sur lui seul, la charge de régler ce délicat problème. D’un côté, il y aurait donc ceux qui auraient la charge de la dépense et, de l’autre, l’État, chargé de trouver les financements correspondants.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Là, c’est l’inverse !

M. Philippe Dallier. Voilà effectivement une réponse simple que je me laisserai aller, un peu durement peut-être, à qualifier de simpliste.

M. Didier Guillaume. C’est le rôle de l’État !

M. Philippe Dallier. Ces politiques sont en effet décentralisées et partenariales, il faut donc que la réponse que nous allons apporter le soit également.

Je vous l’accorde, mes chers collègues, le partenariat est aujourd'hui déséquilibré puisque l’État fixe le montant de ces allocations et que les collectivités doivent en assumer les conséquences financières.

M. Philippe Dallier. Néanmoins, ce n’est pas parce que le système actuel n’est pas le meilleur qu’il faut en reproduire exactement les travers. Or c’est d’une certaine manière ce que vous nous proposez.

J’ai été conseiller général de Seine-Saint-Denis, département que vous avez évoqué à deux reprises. À cet égard, je voudrais tout de même vous rappeler un certain nombre de choses.

Tout d’abord, les 75 millions d’euros de déficit affichés au mois de mars ont disparu à l’été, comme par miracle ! Le problème a été réglé. Ce n’était que de l’affichage.

M. Didier Guillaume. Le président a bien géré !

M. Philippe Dallier. Savez-vous que, en Seine-Saint-Denis, l’APA s’appelle l’ADPA, ou « allocation départementale personnalisée d’autonomie » ? Le conseil général essaie à tout prix de faire croire que c’est lui, en tant que collectivité locale, qui la finance !

M. Philippe Dallier. Il faut avoir le courage de dire les choses ! On a choisi de décentraliser ces politiques, mais les présidents de conseil général savaient les risques auxquels ils s’exposaient. Ces risques se sont concrétisés, il faut maintenant apporter des réponses.

M. Jean-Marc Todeschini. On apporte des réponses !

M. Philippe Dallier. Cela dit, à l’époque où la question s’est posée, beaucoup de présidents de conseil général ont accepté en se disant que l’avenir des départements serait conforté par ce transfert de compétences. Ayons le courage de reconnaître que l’argument a pesé dans la balance !

Je dois dire que je m’interroge : fallait-il transférer des compétences qui relèvent de la solidarité nationale à des collectivités locales ? À titre personnel, je réponds plutôt par la négative.

M. Jean-Michel Baylet. Mais c’est fait !

M. Philippe Dallier. Certes, mais vous réclamez que l’État compense intégralement ces dépenses tout en voulant en conserver le bénéfice sur le terrain…

M. Yves Daudigny. Quel bénéfice ?

M. Philippe Dallier. … en disant : « Regardez comme nous sommes grands et généreux : c’est nous qui distribuons ces allocations ! » (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Michel Baylet. On ne fait pas de la politique comme vous !

M. Philippe Dallier. Plutôt que de se lancer dans de vaines polémiques, regardons concrètement ce que nous pouvons faire ensemble pour sortir de cette difficulté.

Surtout, notre rapporteur l’a souligné, dans le contexte actuel de nos finances publiques, l’État ne saurait supporter seul, par des compensations, les charges en question, qui représentent plus de 3,3 milliards d’euros.

J’en profite d’ailleurs pour rappeler à nos collègues de l’opposition que l’origine du problème de financement de l’APA, Yves Krattinger a eu l’honnêteté de le dire, remontre à 2002. Nous sommes donc dans une logique qui ne saurait être imputée aux seules majorités de droite.

L’allocation personnalisée d’autonomie, qui représente les trois quarts du coût total de financement de ces allocations, avait été créée par Lionel Jospin, sans qu’il se préoccupât de son financement pérenne.

MM. Jean-Michel Baylet et Didier Guillaume. Si, à 50 % par l’État !

M. Philippe Dallier. Je rappelle aussi que les difficultés actuelles de certains départements trouvent leur origine dans une chute conjoncturelle des droits de mutation, la crise financière et économique ayant entraîné une baisse des transactions immobilières.

Chacun sait que le montant des droits de mutation à titre onéreux a diminué d’un tiers entre 2007 et 2009, alors qu’ils représentent près de 20 % des recettes fiscales des départements, et parfois plus.

Or nous venons de voter, voilà trois jours, après un beau débat, au Sénat, en loi de finances, un nouveau système de péréquation efficace reposant sur trois critères très pertinents de répartition des ressources du fonds départemental de péréquation des droits d’enregistrement, qui va mutualiser, pour partie, les droits d’enregistrement.

Il s’agit là d’une avancée considérable pour nos départements les plus en difficulté.

Je vous rappelle également la mise en place d’un fonds exceptionnel de soutien en faveur des départements dans le prochain collectif budgétaire. Ce fonds est doté de 150 millions d’euros, ce qui est relativement peu compte tenu de l’ampleur du problème.

Le Gouvernement et le Parlement ne sont donc pas restés l’arme au pied…

M. Jean-Marc Todeschini. La larme à l’œil !

M. Philippe Dallier. … face à ce problème bien réel de nos départements.

Par ailleurs, si ces trois propositions de loi de nos collègues de gauche ont le mérite de nourrir le débat sur l’équilibre des finances de nos départements, leur adoption ne serait cependant pas opportune, alors que M. le Président de la République vient d’annoncer l’ouverture du chantier de la prise en charge de la dépendance, avec la création d’un cinquième risque, désormais érigé au rang de priorité de l’action gouvernementale.

M. Philippe Dallier. Les départements devraient donc être, à terme – et souhaitons qu’il soit rapproché –, dégagés de la responsabilité de cette prise en charge financière très lourde et largement responsable de leurs difficultés actuelles.

L’adoption des trois textes dont nous discutons aujourd'hui ne serait donc pas opportune, car elle préempterait en quelque sorte le débat national qui va s’ouvrir et qui devra associer, dans un large esprit de concertation, l’ensemble des acteurs du secteur, à commencer par l’Assemblée des départements de France, les associations de personnes handicapées, les organisations syndicales, et bien d’autres encore.

Dans ces conditions, et pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe UMP se rangera à l’avis du rapporteur de la commission des finances, notre excellent collègue Charles Guené, dont nous tenons à saluer la qualité du travail. En conséquence, nous rejetterons les articles des propositions de loi soumises aujourd’hui à notre examen. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer la présence dans les tribunes de Claudy Lebreton, le président de l’Assemblée des départements de France, qui a considéré qu’il était important d’assister à nos débats.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Malgré le mauvais temps ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Gérard Miquel. Madame la secrétaire d’État, le financement des allocations individuelles de solidarité – RMI-RSA, APA et PCH – est une question majeure, qui a déjà fait l’objet de débats dans cette assemblée. Nous poursuivons aujourd’hui cette discussion sur la base de trois propositions de loi qui ont le mérite d’apporter une solution globale au travers d’une réforme structurelle et pérenne.

Tous, quelles que soient nos convictions, nous adhérons aux principes qui sont à l’origine de la création de ces allocations. Elles sont la traduction concrète de l’aide que notre société peut offrir à la personne âgée dépendante, à la personne handicapée, à celle qui a subi un accident de la vie, qui a connu des difficultés de couple ou perdu son emploi.

Face aux imprévus qui jettent des femmes et des hommes dans la détresse et la souffrance, elles ont permis de traiter plus dignement les processus d’exclusion. Elles ont aussi conforté le caractère républicain de notre pays, en affirmant que tout individu a le droit à un minimum de ressources, attribué par la collectivité, pour vivre et parfois même pour survivre.

Cette conception de la solidarité a pris tout son sens dans le cadre de la décentralisation. Chacun s’accorde d’ailleurs à reconnaître que la gestion par les départements du RMI, devenu RSA, de l’APA et de la PCH a facilité une prise en charge au plus près des bénéficiaires.

Cela a incontestablement été facteur de lisibilité et d’efficacité.

La mise en place de ces dispositifs de solidarité ne s’est pas faite au détriment du rôle de l’État ; au contraire, elle a renforcé sa légitimité, dans le respect de deux principes fondamentaux : l’égalité de traitement de tous, quelles que soient les inégalités de situation des territoires, et l’autonomie financière des collectivités.

Aujourd'hui, cependant, ces principes sont mis à mal.

En effet, le décalage entre les dépenses effectuées par les départements pour payer ces allocations et les recettes transférées par l’État pour les lui rembourser s’accentue chaque jour davantage. Vous connaissez, mes chers collègues, les chiffres de ce différentiel, que l’Assemblée des départements de France a rendus publics. Ils sont accablants.

Permettez-moi, pour illustrer mon propos, de vous donner simplement ceux du département que j’ai l’honneur de présider, le Lot.

Ainsi, sur la base d’un taux de couverture par l’État de 90 % pour l’APA, de 100 % pour la PCH depuis sa création en 2006 et pour le RMI-RSA depuis 2004, la dette totale de l’État à l’égard du conseil général dépassera 19,9 millions d’euros pour la seule année 2010.

En outre, dans le contexte de crise que nous traversons, une aggravation de ce déficit est à craindre, les dépenses sociales connaissant une progression globale forte et régulière.

Circonstance aggravante : l’impact sur les finances départementales est plus accentué dans les territoires les plus fragiles sur le plan social et dans ceux où le vieillissement de la population est le plus marqué.

Les départements ont assumé ces transferts de charges décidés par l’État, tout en dénonçant la méthode employée. Ils l’ont fait sans rechigner, car ils savent d’expérience que le citoyen a tout intérêt à une gestion de proximité des services publics. Ils ont assuré la mise en œuvre de l’accueil et l’accompagnement des personnes. Ils ont surtout intégré la montée en charge des dépenses sociales, en usant de la panoplie des mesures leur permettant de présenter, comme la loi l’exige, un budget en équilibre : réduction des dépenses, baisse de l’investissement, recours accru à l’emprunt, augmentation de la fiscalité.

Aujourd’hui, ils n’en peuvent plus. La hausse continue des dépenses d’allocations, couplée à la suppression de la taxe professionnelle et à la chute des droits de mutation, leur ôte désormais toute marge de manœuvre. L’effet de ciseaux – des dépenses plus importantes que les recettes –, dangereusement, se fait de plus en plus sentir.

Dans ces conditions, que faire ? Réduire encore, voire supprimer l’aide aux communes, aux intercommunalités, au monde associatif ? Imposer davantage le contribuable local ? Baisser le montant des allocations ? Laisser la responsabilité aux départements d’en fixer le montant ?

Aucune de ces propositions n’est acceptable pour l’élu local, le citoyen impliqué dans la vie locale, le contribuable ou le bénéficiaire d’une aide sociale. Toutes portent atteinte au pacte républicain, lequel repose sur la responsabilité des acteurs sociaux, la solidarité collective et l’égalité des droits, quel que soit le lieu de résidence des allocataires.

Il ne reste que la solution du financement. Affirmons d’emblée qu’il n’est pas envisageable de laisser chaque département résoudre seul une équation impossible.

Le Gouvernement lui-même a enfin admis en juin dernier, lors d’une audience accordée par le Premier ministre au président de l’ADF, que la situation était intenable pour les finances départementales. Pourtant, force est de constater que les propositions faites depuis lors ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Tout d’abord, l’octroi d’avances remboursables se révèle largement insuffisant. Ces avances sont par ailleurs conditionnées à un engagement des départements de stabiliser certains postes budgétaires. Les termes de cet échange sont détestables, car ils donnent à penser que les départements en difficulté seraient de mauvais gestionnaires. Les conseils généraux ne se sont pas laissé tromper par ce marché de dupes qui à la fois les rend responsables du déficit causé par l’État et les met de facto sous tutelle.

Ensuite, après plusieurs reports, le Gouvernement renvoie habilement l’examen de la réforme de la dépendance promise par le Président de la République à l’année prochaine. À l’évidence, le règlement de la question de la dépendance ne permettra pas de résoudre, à lui seul, le problème global qui est posé. Aussi convient-il, sans attendre, d’aller au-delà et de s’atteler à cette réforme urgente.

Réunis à Avignon en octobre dernier à l’occasion de leur congrès annuel, les présidents de conseil général, toutes sensibilités politiques confondues, ont élaboré une proposition de loi visant à garantir une prise en charge par la solidarité nationale des trois allocations, dans la droite ligne des principes de solidarité hérités du Conseil national de la Résistance.

Les trois textes qui vous sont aujourd’hui soumis vont dans la même direction : il s’agit de revenir au bon sens républicain et de renouer avec l’esprit qui prévaut dans notre pays depuis la création de la sécurité sociale à la Libération. En 1945, il était évident que le financement de la solidarité collective trouvait sa source dans l’impôt national.

Le RSA, l’APA et la PCH visent également à sécuriser les parcours de ceux qui sont bousculés par les aléas de la vie. Leur financement doit donc désormais être assuré à l’échelon national, par des ressources reposant sur l’ensemble des revenus du pays, ceux du travail comme ceux du capital.

Madame la secrétaire d’État, la CNSA et le ministère des solidarités et de la cohésion sociale viennent d’annoncer la signature d’une convention avec ADHAP Services, société détenue majoritairement par le groupe AXA assurance. Sur un montant de 4,4 millions d’euros, la CNSA contribue à hauteur de 2,7 millions d’euros.

Cette décision traduit votre volonté, madame la secrétaire d’État, de privatiser les services à la personne et le manque de confiance du Gouvernement envers les conseils généraux, qui sont, eux, chargés de ce dossier et en capacité d’organiser sur leur territoire un service public d’aide à la personne aux mêmes conditions sur tout le territoire.

Vous nous faites une nouvelle fois la démonstration de votre volonté de privatiser les profits et de collectiviser les pertes. En effet, les pertes des zones à faible densité de population devront être assumées par les collectivités.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la décentralisation a constitué l’une des grandes avancées de notre démocratie au cours des trente dernières années. Elle a été à l’origine d’un formidable élan de libération des énergies locales. Elle a permis de donner un souffle nouveau à nos territoires, demeurés trop longtemps dans l’ombre de la capitale. Elle est désormais inscrite dans notre patrimoine commun. Nous avons le devoir de la préserver et de creuser ce sillon.

La réussite de la nouvelle étape de la décentralisation, que nous appelons de nos vœux, suppose au préalable une confiance réciproque entre l’État et les collectivités territoriales. Or, face aux coups de boutoir du Gouvernement, cette confiance a été largement écornée. À croire que, à l’instar de MM. Balladur et Attali, le gouvernement auquel vous appartenez n’aime pas les départements !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! Pourtant ils aiment bien en être les élus !

M. Gérard Miquel. Pour retrouver les chemins d’une meilleure articulation entre le pouvoir national et l’autorité locale, il importe de renouveler les fondements du contrat social. Les propositions de loi que nous défendons en constituent la clé de voûte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, crise économique et sociale, déficits abyssaux de l’État, profondes inquiétudes quant à l’avenir : l’année 2010 s’achève durement pour nos concitoyens, en particulier pour les plus fragiles d’entre eux, à savoir les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes privées d’emploi.

Notre débat aujourd’hui les concerne au plus haut point. La proposition de loi qui nous est soumise aborde des questions cruciales : quelle démocratie territoriale voulons-nous ? pour quel service public ? avec quels financements ? pour rendre quels services à nos concitoyens ?

Nous sommes plongés au cœur d’un sujet essentiel pour l’organisation de notre démocratie : celui du financement des mesures de solidarité nationale. Les décisions de l’État pèsent chaque jour davantage sur les départements.

Alors que les départements sont adultes, ils ont souvent l’impression que l’État est loin de les considérer comme tels. Pourtant, je l’affirme haut et fort dans cet hémicycle : si leur situation financière est grave, ils n’en sont pas responsables. Leur gestion est saine. Leur efficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques est certaine. Ils assument leurs responsabilités, toutes leurs responsabilités.

À mon tour, je tiens à rendre hommage au travail considérable accompli par l’Assemblée des départements de France et à saluer son président Claudy Lebreton, ainsi que ses vice-présidents Michel Dinet et Christian Favier, qui sont présents ici aujourd'hui et qui soutiennent cette proposition de loi.

Pour la première fois, à Avignon, grâce sûrement au charisme de notre ami et collègue Claude Haut, les 102 présidents de conseils généraux ont fait à l’unanimité le même constat : leur situation financière est grave. Le financement des allocations individuelles de solidarité qu’ils versent aux citoyens n’est pas compensé correctement par l’État comme il devrait l’être. Non, le compte n’y est pas !

Tous ensemble, quelle que soit leur couleur politique, les départements ont exprimé le souhait d’être entendus par le Gouvernement dès 2011.

En moins de cinq ans, l’État a accumulé à leur égard une dette de plus de 5,3 milliards d’euros au titre des allocations de solidarité, montant que personne ne conteste dans cet hémicycle.

Les départements, toutes tendances politiques confondues, tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme. La question est sérieuse : l’État saura-t-il ou non honorer les dettes qu’il contribue à creuser de manière quasi méticuleuse ?

La situation n’est plus tenable. Pour faire face à l’augmentation des dépenses sociales, les départements doivent chaque année gérer de façon toujours plus drastique certaines politiques de cohésion territoriale, voire tout simplement les abandonner.

Le dynamisme des droits de mutation a permis à certains départements de faire face jusqu’en 2008. Leur effondrement en 2009 a été catastrophique pour les départements. Leur remontée en 2010, qui n’est d’ailleurs pas avérée pour tous, ne masque en rien le problème de fond.

La suppression de la taxe professionnelle en 2010 fut une très mauvaise nouvelle pour les finances des départements. Ces derniers ont perdu au passage à la fois en dynamisme et en autonomie. La décision de geler les dotations de l’État fut un coup de grâce. Les recettes stagnent, les dépenses augmentent mécaniquement.

Dans tous les départements, l’autofinancement est en forte baisse. Le risque est grand que l’investissement public local diminue – c’est déjà le cas –, avec les conséquences qui s’ensuivent pour l’économie et l’emploi dans les territoires.

Nous ne faisons que dresser un constat. Nous ne sommes pas là pour nous plaindre, nous voulons agir. Il nous appartient de proposer ensemble des solutions. Tel est le sens de la proposition de loi que nous vous soumettons aujourd'hui.

Au commencement, il y eut trois belles lois de la République, fondées sur de grandes idées et sur les grands principes de solidarité nationale. La première fut la loi créant le RMI, institué en 1988 par Michel Rocard. La deuxième fut la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, votée sur l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin. Cessons d’ailleurs de dire que cette allocation n’était pas financée : l’APA était financée à 50 % par l’État, les 50 % restants étant à la charge des départements, contre plus de 70 % aujourd’hui. Enfin, la troisième loi fut celle du 11 février 2005, qui a créé la PCH. Il s’agit là, selon moi, de l’une des grandes lois en matière sociale. On la doit à Jacques Chirac.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. Ces belles lois, il faut aujourd’hui les défendre, car elles sont en danger, leur financement n’étant plus assuré.

Tel est le sens de la proposition de loi que nous vous soumettons aujourd'hui. Elle témoigne de l’état d’esprit constructif dans lequel se trouvent les départements, qui sont à la recherche de solutions pour continuer de mener à bien leurs missions. Elle témoigne également de leur capacité d’initiative et, enfin, de leur conviction que leur mission de cohésion sociale est pertinente.

Madame la secrétaire d’État, vous objectez qu’il faut réduire la dépense publique, que l’État n’a pas les moyens de financer les 3,4 milliards d’euros et que le futur débat sur la dépendance permettra de régler tous les problèmes. Permettez-moi de répondre à ces trois arguments.

Oui, il faut évidemment réduire la dépense publique, mais certaines dépenses sont particulièrement utiles. À cet égard, faut-il vous rappeler que les collectivités locales sont responsables de près de 75 % de l’investissement public ? Si nous avons mieux résisté à la crise, c’est aussi parce que les départements ont accompagné le plan de relance pour l’économie et qu’ils ont bien souvent investi plus que l’État ne le faisait.

Vous arguez également que l’État n’a pas les moyens de financer ces politiques de solidarité et vous nous demandez de faire des propositions. Or nous n’en avons entendu ni de votre part, madame la secrétaire d’État, ni de la part de la majorité. Nous n’allons pas reprendre aujourd'hui l’antienne du bouclier fiscal, de l’abrogation de l’ISF et de la baisse de la TVA sur la restauration. Je dirai simplement que les 3 milliards d’euros qui manquent, ce sont les 3 milliards d’euros de la baisse de la TVA sur la restauration ! Si vous voulez que nous fassions des suggestions pour réduire les dépenses publiques, nous sommes en mesure d’en faire, madame la secrétaire d’État…

Le débat sur la dépendance va certes avoir lieu, mais nous ne voulons pas de solutions pour le futur, nous en voulons pour le présent. S’en remettre à ce débat futur, c’est tout simplement ne pas reconnaître qu’il y a urgence à agir dès à présent.

Il est indispensable que l’État finance les allocations sociales. Si tel n’était pas le cas, la cohésion sociale serait mise à mal, la machine économique locale serait bridée.

Alors, je ne voudrais pas penser que certains – rassurez-vous, mes chers collègues, je ne vise personne ici – souhaiteraient pousser à bout les départements avec pour conséquence, comme l’a dit le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, la fin de ceux-ci et leur fusion avec les régions. Nous ne voulons pas de cette fusion, mais nous pensons qu’il faut y voir là, peut-être, un projet secret.

Vous avez devant vous, madame la secrétaire d’État, une proposition constructive. Vous nous dites être d’accord sur le constat, mais en désaccord sur les propositions. Alors, nous pourrions peut-être faire des propositions ensemble. Nous pensons que nos propositions sont bonnes, mais il peut y en avoir d’autres et nous serions d’accord pour en discuter.

Ce qui compte, c’est de répondre à l’urgence et au drame que vivent les départements, notamment la mise à mal de la cohésion sociale. Les départements sont lucides et savent bien qu’il n’est pas possible de « raser gratis ». Nous sommes guidés à la fois par la conviction, le réalisme et l'ambition. En réponse à l'unanimité des présidents de conseil général, la possibilité nous est donnée aujourd’hui de pouvoir, ensemble, construire une réponse juste. Ne laissons pas passer cette chance.

Face aux difficultés, soyez-en sûrs, l'ambition des départements est intacte. Collectivités de proximité, ils représentent plus que jamais un échelon de gouvernance et un niveau de responsabilité adapté pour mettre en œuvre la solidarité des hommes et des territoires.

La proximité est un atout des départements. Chaque jour, ils font la démonstration que des solutions existent pour consolider la République décentralisée et contribuer à la solidarité et la cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Haut.

M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la secrétaire d’état, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer nos collègues de l’Assemblée des départements de France, présents dans les tribunes, qui se sont déplacés pour suivre nos débats.

Cette proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui, relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements, vise à la fois à remédier en partie à la dégradation financière que connaissent une majorité de départements, mais, surtout, à garantir un financement durable des allocations de solidarité.

Ce débat est ouvert au moment où la crise économique fait sentir ses effets et où la précarité explose, mais aussi au moment où l’évolution des ressources des collectivités locales a été mise à mal par la suppression de la taxe professionnelle et par le gel de l’évolution des dotations de l’État aux collectivités.

Il s’agit bien sûr d’un problème financier important et il y a urgence à trouver rapidement une solution durable, car les solutions construites par obligation, ces dernières années, par les départements, comme la réduction des dépenses de fonctionnement, la baisse de l’investissement, le recours accru à l’emprunt, l’augmentation de la fiscalité, parfois, pour faire face au différentiel entre les recettes et les dépenses liées à leurs compétences, atteignent aujourd’hui leurs limites.

Il n’est plus possible de résoudre l’équation entre la stagnation des recettes et l’augmentation inévitable et exponentielle des besoins. Ce n’est pas l’évolution cyclique et fluctuante, selon les années, des droits de mutation, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, qui apportera une réponse définitive. Aussi, il ne faut pas s’appuyer sur ces droits de mutation pour affirmer que, désormais, tout va bien.

Ce décalage, payé par les départements et remboursé par l’État pour financer les allocations individuelles, constitue le principal obstacle à la résolution de cette équation. Il est d’autant moins admissible qu’il risque de créer des inégalités entre les habitants selon les départements. En outre, il n’est pas admissible que ce soient les contribuables locaux qui financent de plus en plus la solidarité nationale.

À côté de ce problème financier, il y a également un problème humain. La création des allocations individuelles de solidarité – le RMI-RSA, l’APA, la PCH – a permis de traiter plus dignement le processus d’exclusion et de prendre en compte les défis du vieillissement. Ces allocations ont permis de conforter notre pacte républicain. Nous pouvons tous ici, à divers titres, témoigner que la création de l’allocation personnalisée d’autonomie a permis à bien des personnes âgées d’être traitées dans des conditions dignes de nos sociétés modernes et solidaires.

La décentralisation a, par ailleurs, apporté la preuve de l’efficacité de ces dispositifs parce qu’ils ont été conçus, organisés et animés dans la proximité et gérés au plus près des gens. Il est maintenant indispensable de préciser qui, de l’État et des collectivités locales, est responsable, finance, et dans quelles conditions. Est-ce au niveau du territoire ou bien au niveau national que doit être décidé le principe d’un égal accès de chacun aux allocations individuelles de solidarité ?

Pour moi, il appartient au niveau national de garantir le droit à des personnes de vivre dignement. C’est au niveau national d’en assurer le financement intégral par des ressources nationales, reposant sur l’ensemble des revenus du travail et du capital. Il revient au département d’apporter des réponses spécifiques, diversifiées et de plus en plus complexes aux personnes les plus fragilisées. Ces réponses, ce sont la mise en œuvre de l’accueil et de l’accompagnement dans la proximité ou encore l’animation des dispositifs d’appui à l’innovation sociale et territoriale, avec des réponses adaptées au service de nos concitoyens.

C’est cette articulation entre l’engagement de l’État et l’engagement du département qu’il faut construire dans le plus pur esprit de la décentralisation. C’est ce à quoi tend cette proposition de loi.

Le rapport Jamet sur les finances du département, déjà évoqué à plusieurs reprises, réalisé à la demande du Gouvernement, l’a démontré très clairement. La dérive que constitue la montée en puissance de la part du montant des allocations individuelles de solidarité, prises en charge par les départements, est lourde de conséquences. Il y a urgence à agir et à décider et il ne faudrait pas renvoyer cette question, une fois de plus, à de nouvelles lois de finances ou à d’hypothétiques lois sur la dépendance dont on parle depuis plus de trois ans maintenant.

En 2008, l’ensemble des départements ont versé plus de 11 milliards d’euros au titre des trois allocations individuelles de solidarité. Le décalage annuel de compensation pour ces trois allocations s’établit à plus de 3,8 milliards d’euros. Ce décalage s’est encore creusé en 2009, et devient insupportable en 2010.

Cette proposition de loi vise donc à ce que la compensation de l’État au département, contrôlée par la commission consultative sur l’évaluation des charges, soit conforme à l’objectif d’autonomie financière des collectivités territoriales.

Cette proposition de loi devrait d’ailleurs recueillir l’assentiment de tous, quels que soient les bords politiques, car tous les présidents de conseil général – même s’ils sont moins nombreux à droite – connaissent les mêmes difficultés.

Au-delà d’une préoccupation financière urgente et grave, il s’agit de construire des réponses durables dans le cadre social qui fonde notre pacte républicain et de répondre aux difficultés de nos concitoyens les plus fragiles. C’est donc une véritable question de société qui se pose à nous et que, semble-t-il, nous n’abordons pas de la même façon que vous, madame la secrétaire d’État.

Aussi, je souhaite que vous puissiez nous aider à faire avancer ce dossier primordial pour les départements, et cette proposition de loi, si elle est adoptée, devrait nous permettre d’obtenir des résultats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Au préalable, je veux vous féliciter, monsieur le rapporteur, de la qualité de votre rapport et de la précision des chiffres qui y sont contenus. Il était, en effet, tout à fait décisif de resituer ce débat et de l’engager sur des données objectives.

Vous l’avez précisé, ces propositions de loi visent, en réalité, à réformer le financement de la dépendance, car, comme votre rapport le montre très bien, c’est bien l’APA qui entraîne les dépenses les plus importantes pour les départements. D’ailleurs, son coût devrait continuer à augmenter, selon les perspectives démographiques qui ont été esquissées.

Ce débat dépasse donc la simple problématique des finances des départements et, par conséquent, les solutions préconisées par les auteurs de ces propositions de loi ne sont pas satisfaisantes à cet égard.

Monsieur Daudigny, quand vous précisez, en introduction de la présentation de ces propositions de projet de loi, que ce ne sont pas des opérations de communication, je vous entends, mais permettez-moi simplement de vous dire, en toute amitié, que cela y ressemble tout de même assez fortement ! Les propositions que vous avez formulées sont effectivement des éléments de réponse, et reconnaissons qu’il y a unanimité sur le constat, mais permettez-moi de penser qu’il n’y a pas unanimité sur les propositions.

Vous avez dressé un tableau très large, politiquement performant, mais, concrètement, la nature des propositions que vous présentez, encore une fois, n’est pas à la hauteur de l’enjeu.

S’agissant du principe de libre administration des collectivités territoriales, celui-ci est respecté puisque le Gouvernement a fait le choix de procéder à une compensation du RSA similaire à celle du RMI, qui aboutit aujourd’hui à un taux de couverture de 89 %.

S’agissant de l’APA et de la PCH, nous sommes dans une logique différente. Leur création ne correspond pas à un transfert de compétences. Comme je l’expliquais tout à l’heure, si l’on intègre les ressources qui ont été transférées depuis 1984, dont les droits de mutation à titre onéreux, on aboutit à un taux de couverture qui est nettement supérieur à celui que vous avancez puisqu’il est de 70 %.

Ainsi, monsieur le sénateur, je vous rejoins sur le constat et sur le fait que l’enjeu transcende les clivages et appelle une réponse, mais le Gouvernement ne partage pas l’ensemble de vos conclusions.

D’abord, la décentralisation de ces prestations d’aide sociale ne remet pas en cause, contrairement à ce que vous prétendez, le modèle issu du Conseil national de la Résistance, qui place avant tout les bénéficiaires au centre de notre contrat social. Et la décentralisation, vous le savez bien, a justement permis, grâce à l’engagement des départements et à leur connaissance fine du tissu social, de proposer pour ces mêmes bénéficiaires un meilleur accompagnement.

Par ailleurs, le cadre juridique qui définit les obligations de l’État en matière de compensation des transferts – les extensions, la création de compétences – a été renforcé en 2003 par inscription de ces principes dans la Constitution, ce qui est un pas considérable. Ce qui a prévalu lors de l’acte I a donc été renforcé et consacré dans le cadre de l’acte II.

Remettre en cause le principe même de la décentralisation qui, comme on l’a rappelé Charles Guéné, doit responsabiliser les collectivités chargées des compétences transférées, même dans le domaine social, n’est pas opportun.

Je vous informe par ailleurs que le principe de la compensation au coût historique peut aussi être bénéfique pour les collectivités. En matière de RMI-RSA, cinq départements aujourd’hui bénéficient de compensations qui sont supérieures aux charges qu’ils supportent.

Il arrive aussi aux départements de procéder à des arbitrages qui ressemblent à des glissements. Quand on passe du RSA à la PCH, je pense notamment à la situation du handicap psychique, il arrive que ces arbitrages créent d’autres formes de déséquilibre.

S’agissant de l’APA, le reste à charge des départements, qui progresse chaque année, c’est vrai, n’est pas soutenable à terme. Le Gouvernement en a conscience ; c’est pourquoi il propose de répondre à cette difficulté dans le cadre de la réflexion plus globale qu’il va conduire en 2011 sur la réforme de la prise en charge de la dépendance. Cette approche, qui ne va pas de soi, est « impliquante » politiquement, car elle place le Gouvernement face à ses responsabilités sur ce sujet qui touche de près nos compatriotes.

Vous vous demandez, monsieur Baylet, comment l’État va financer le surcoût engendré par la réforme de la taxe professionnelle, évalué à 7 milliards d’euros. Je vous rappelle que ce surcoût est lié à l’engagement de l’État à maintenir les ressources des collectivités locales au moyen de la compensation relais. Or ces propositions de loi tendent à aggraver les dépenses de l’État de plus de 3 milliards d’euros, ce qui rend inconséquente la double approche.

Par ailleurs, vous soulignez que les ressources des collectivités ont été lourdement affectées par la conjoncture. C’est aussi le cas pour l’État, qui a perdu 20 % de ses recettes entre 2009 et 2010 et qui, pourtant, a maintenu son effort financier auprès des collectivités à hauteur de 99 milliards d’euros.

Je vous remercie, monsieur Krattinger, de votre intervention, même si le trait y a été parfois un peu forcé.

Selon vous, les présentes propositions de loi constitueraient une première étape vers la résolution des difficultés financières rencontrées par les départements.

Monsieur le sénateur, il ne me paraît pas sain de figer les choses par des dispositions législatives trop précoces et, pour tout dire, partielles. Il nous faut engager un véritable débat, approfondi, comme l’a annoncé le Président de la République. Je parle d’une discussion d’une double nature, combinant un débat fiscal, promis au printemps prochain, pour analyser les conditions d’une vaste réforme, et un débat plus large, jusqu’à l’été, sur la dépendance.

À partir de constats partagés, nous devons rechercher ensemble des solutions. Le fonds exceptionnel de soutien en faveur des départements en difficulté, actuellement en débat à l’Assemblée nationale, en est une. Je ne dis pas que c’est la panacée, mais cela fait partie des solutions ! C’est une mesure d’urgence, réaliste et concrète, face à un problème plus global, que nous allons par ailleurs aborder ensemble dans le cadre du chantier sur la dépendance.

Telle est du moins l’analyse du Gouvernement, qui prend une fois encore, je le répète, toutes ses responsabilités en la matière.

Monsieur Dallier, je vous remercie d’avoir rappelé des éléments très importants qui montrent à quel point ces propositions de loi identiques ne sont satisfaisantes ni pour l’État ni pour les départements.

Le texte est dangereux pour les départements.

M. Yvon Collin. C’est un peu fort !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Il les déresponsabilise. L’exemple que vous avez mentionné à cet égard, celui de la Seine-Saint-Denis, est éloquent. Et ce ne sont pas que des mots !

On ne peut pas, d’un côté, prétendre que l’autonomie financière des collectivités locales diminue et vouloir, de l’autre, en faire de simples agences locales de l’État en faisant couvrir la totalité de leurs dépenses par des dotations.

Je vous remercie également d’avoir insisté sur les mesures immédiates et concrètes prises par le Gouvernement. Elles sont importantes, car elles permettent la péréquation entre les départements. Il y a aussi des mesures financières, comme le fonds exceptionnel de soutien en faveur des départements en difficulté.

M. Jean-Michel Baylet. Tout cela est très excessif !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Mais c’est vrai !

Madame Odette Terrade, nous portons une même affection au département du Val-de-Marne.

Mme Odette Terrade. Absolument !

MM. Claude Haut et Didier Guillaume. Mais ce n’est pas suffisant !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Vous évoquez l’« inadaptation » des ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, issues de la CSG et de la journée de solidarité, dont le produit serait, selon vous, trop volatil, car directement lié aux variations de la situation du marché du travail.

Permettez-moi d’observer que vos propos sont quelque peu contradictoires avec ceux de votre collègue Yves Krattinger, qui souhaite, quant à lui, le transfert d’une fraction de la CSG au département, afin de compenser ses dépenses d’aide sociale.

Encore une fois, je suis dans l’obligation de constater vos contradictions, madame Terrade.

Mme Odette Terrade. D’autres ont des contradictions encore pires !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Elles soulignent bien le fait qu’il n’y a pas de solution miracle.

M. Didier Guillaume. C’est un bouquet de propositions !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. M. Miquel dénonce la mise à mal de la décentralisation avec les réformes opérées par l’État. Je me permets de lui retourner le compliment.

En effet, ces propositions de loi visent ni plus ni moins à recentraliser les allocations de solidarité en demandant une compensation intégrale à l’État, alors même que leur gestion au niveau départemental est un gage d’efficacité pour les bénéficiaires et les contribuables. C’est à la fois dissymétrique et…

M. Yvon Collin. Contradictoire ! (Sourires.)

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … contradictoire, en effet. (Nouveaux sourires.)

Par ailleurs, le fonds exceptionnel de soutien en faveur des départements en difficulté, doté de 150 millions d’euros,…

M. Yves Krattinger. 75 millions d’euros !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … procède non pas d’une dotation de 75 millions d’euros et d’un fonds de concours ou d’une aide remboursable, mais bien de deux dotations de 75 millions d’euros ! Il me semblait utile de le préciser, car j’ai relevé une certaine ambiguïté dans plusieurs interventions sur ce point.

Monsieur Guillaume, vous signalez que les départements supportent de manière différenciée les variations du produit des droits de mutation à titre onéreux. Il y a effectivement eu 36 % d’écart entre 2006 et 2010. C’est une situation inéquitable entre les départements.

Voilà une raison supplémentaire pour que le fonds de péréquation sur les droits de mutation proposé par le Gouvernement y mette bon ordre et contribue à corriger de telles inégalités territoriales.

Monsieur Haut, vous avez insisté à juste titre sur l’urgence qu’il y a à agir face aux difficultés rencontrées par les départements.

Le Gouvernement a fait le choix de l’action immédiate,…

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas immédiat !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … avec les différentes dispositions que je vous ai présentées…

M. Claude Haut. Il n’y a rien !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. … et dont nous avons débattu.

Par ailleurs, nous voulons engager le débat sur la longue période. Encore une fois, la responsabilité veut que nous puissions trouver des réponses structurelles à des problèmes qui, rappelons-le, sont des problèmes structurels.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi présentée par MM. Jean Pierre Bel, Claude Haut, Yves Krattinger, Gérard Miquel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Titre 1er

DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMPENSATION DES CHARGES SUPPORTÉES PAR LES DÉPARTEMENTS AU TITRE DU VERSEMENT DES ALLOCATIONS DE REVENU DE SOLIDARITÉ ACTIVE

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements
Article 2

Article 1er

L’article 7 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité activé et réformant les politiques d’insertion est ainsi rédigé :

« Art. 7 – I. – S’agissant de la contribution des départements au financement du revenu de solidarité active, mentionnée à l’article L. 262-24 du code de l’action sociale et des familles dans sa rédaction issue de la présente loi, le maintien de la compétence transférée par la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation du revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum d’activité demeure compensé dans les conditions fixées à l’article 4 de cette loi.

« À la date d’entrée en vigueur de la présente loi, l’allocation à la charge des départements mentionnée à l’article L. 262-24 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la présente loi, est calculée selon les mêmes modalités réglementaires que l’allocation prévue à l’article L. 262-3 du même code dans sa rédaction applicable avant l’entrée en vigueur de la présente loi.

« II. – En ce qui concerne l’extension de compétences réalisée par la présente loi, les charges supplémentaires qui en résultent pour les départements sont intégralement compensées par l’État dans les conditions fixées par la loi de finances.

« À la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le montant forfaitaire majoré mentionné à l’article L. 262-9 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la présente loi, est calculé selon les mêmes modalités réglementaires que l’allocation prévue à l’article L. 524-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable avant l’entrée en vigueur de la présente loi.

« La compensation financière mentionnée au premier alinéa s’opère, à titre principal, par l’attribution d’impositions de toute nature.

« III. – À compter de l’exercice 2010, l’État assure la compensation au département des sommes versées au titre des articles L. 262-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles sur la base de la différence entre le produit de cette compensation et les dépenses réelles constatées aux derniers comptes administratifs connus des départements dans les conditions fixées à l’article 7 de la loi n° … du … relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements.

« Cette compensation est ajustée chaque année, après avis de la commission consultative sur l’évaluation des charges, dans les conditions prévues au II de l’article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative libertés et responsabilités locales.

« Dans l’attente du calcul de la compensation définitive au titre d’une année considérée, l’État assure mensuellement, à chaque département, le versement d’une somme calculée sur la base de la compensation complémentaire déterminée au titre de l’exercice précédent dans les conditions fixées à l’article 7 de la loi n° … du … relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements.

« IV. – La commission consultative sur l’évaluation des charges prévue à l’article L. 1211-4-1 du code général des collectivités territoriales est consultée, dans les conditions prévues aux articles L. 1614-3 et L. 1614-3-1 du même code :

« - en 2009, pour vérifier l’exactitude des calculs concernant les dépenses engagées par l’État au titre de l’allocation de parent isolé en 2008 et concernant le coût en 2008, des intéressements proportionnels et forfaitaires relevant des articles L. 262-11 du code de l’action sociale et des familles et L. 524-5 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction antérieure à la promulgation de la présente loi ;

« - en 2010, sur les modalités d’évaluation des charges résultant de l’extension de compétences visée au II du présent article ;

« - en 2011, sur les modalités d’évaluation des charges résultant de l’extension de compétences visée au II et sur l’adéquation de la compensation définitive au montant des dépenses engagées par les conseils généraux. »

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.

Mme Odette Terrade. Avec cet article 1er, nous proposons de modifier les règles en matière de compensation des dépenses résultant de la prise en charge par les départements du revenu de solidarité active.

Nous suggérons que cette compensation soit assurée, selon l’expression en vigueur, à l’euro près. À cette fin, nous proposons que chaque année donne lieu à un réajustement du montant de la compensation versée par l’État, afin que celle-ci corresponde le plus possible aux dépenses réellement engagées par les départements.

Comme le souligne le rapporteur, il s’agit très clairement de sortir de la situation actuelle – à terme, elle peut être lourde de conséquences financières –, où la compensation réalisée par l’État est calculée sur une base figée.

Naturellement, nous ne partageons pas les conclusions du rapport sur cet article, selon lesquelles une compensation intégrale irait à l’encontre du principe de décentralisation et déresponsabiliserait les départements.

Qu’il s’agisse du RMI ou du RSA, la décentralisation n’a jamais été présentée, du moins ouvertement, comme permettant un désengagement de l’État. Pour notre part, nous en doutions. Les faits nous donnent raison, et nous le regrettons.

Nous le voyons, contrairement aux discours officiels, la décentralisation a moins pour objectif de donner aux collectivités locales des compétences propres, distinctes de celles de l’État ou d’améliorer l’efficacité de l’action de l’État en déléguant certaines attributions de l’échelon administratif central aux fonctionnaires locaux, que de permettre au Gouvernement de faire quelques économies à bon compte sur le dos des départements !

L’exemple du RSA est patent. Il est venu se substituer au RMI, pour lequel était prévue une compensation intégrale, du moins en théorie. Or le Gouvernement et le rapporteur prennent aujourd’hui prétexte du fait que le RSA est considéré non comme un transfert, mais comme une extension de compétence pour justifier le rejet de cette proposition de loi.

En réalité, la manière avec laquelle vous tentez de vous dissimuler derrière des dispositions juridiques par ailleurs contestables est la démonstration de votre embarras politique !

Car, qu’il s’agisse d’un transfert, d’une extension ou d’une création, les faits sont clairs : ce sont aujourd’hui les départements, et non plus la solidarité nationale, qui viennent au secours des plus démunis !

Enfin, je voudrais conclure sur la question de l’augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA. Le rapporteur pense que celui-ci va rester stable. Nous ne partageons pas cette analyse, tout au contraire.

Avec l’allongement de la durée de cotisation et le report de l’âge légal de départ à la retraite, toutes celles et tous ceux qui ne parviendront pas à trouver un emploi et qui seront radiés des listes des salariés privés d’emplois indemnisables par Pôle emploi demanderont à être éligibles au RSA, principalement au RSA socle !

Par ailleurs, la réduction, adoptée dans la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2011, de plus de 50 % des crédits alloués au titre du RSA complément résultent du fait que beaucoup de bénéficiaires ont perdu leur emploi. Ils se retournent donc vers les départements pour bénéficier du RSA socle dans son intégralité, ce qui va, là encore, accroître les dépenses sociales des départements.

Mes chers collègues, il est faux de dire que de telles dépenses sont le fait des départements. Si les dépenses sociales augmentent, c’est parce que la précarité s’accroît. Et les départements en sont moins responsables qu’un gouvernement qui ne prend aucune mesure concrète pour garantir et pérenniser l’emploi stable et de qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je voudrais remercier M. le rapporteur, ainsi que chacun des intervenants et les auteurs de la présente proposition de loi.

Ces derniers n’ont pas ménagé leurs arguments,…

M. Yvon Collin. Leurs efforts !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … qu’ils ont d’ailleurs su développer à plusieurs reprises.

M. Yves Daudigny. C’est de la pédagogie !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je les informe donc que nous avons bien compris.

Pour autant, le gage proposé par les auteurs de la proposition de loi me paraît difficilement soutenable. En effet, mes chers collègues, vous avez prévu d’augmenter les droits sur le tabac, ce qui pourrait avoir pour conséquence de faire disparaître la consommation de tabac, donc de faire disparaître le gage. (Sourires.) C’est d’ailleurs vrai pour toutes les dispositions qui relèvent de la fiscalité écologique ou comportementale. C’est pourquoi je vous mets en garde contre une telle option.

Vous êtes aussi conscients que moi de l’exigence de redressement des comptes publics.

Je sais que certains départements se sont prémunis contre les difficultés par des opérations d’ajustement des taux : la taxe foncière au département et la taxe d’habitation aux communes.

Pour ma part, j’ai déposé une proposition de loi afin de « photographier » la situation des trois allocations universelles et de poser un principe : à compter de maintenant, c’est au vu de la réalité des dépenses que l’État devra ajuster sa participation.

Pour l’immédiat, il s’agit de déduire 3,4 milliards d’euros aujourd'hui du montant des dotations que verse l’État aux départements, soit environ 12 milliards d’euros, et d’ajuster ces 3,4 milliards d’euros en fonction de la réalité, avec un ticket modérateur pour responsabiliser chaque département, le solde étant la dotation annuelle avec les ajustements prévus en loi de finances.

Je regrette de n’avoir pas pu présenter cette proposition de loi aujourd'hui, mais notre système de « niche » parlementaire est tel qu’on ne peut pas discuter de textes à ce point différents.

Je vous donne donc rendez-vous pour l’examen de ma proposition de loi. En attendant, je vous indique que je voterai contre chacun des sept articles de la proposition de loi.

M. Guy Fischer. Cela ne nous étonne pas !

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je profite de l’occasion qui m’est offerte pour répondre à l’interpellation de notre collègue Jean Arthuis, le président de la commission des finances.

Le conseil général de l’Aisne a pris la décision, qui est importante et lourde de conséquences, de délier les taux de taxe d’habitation et de taxe foncière en 2010.

Auparavant, nous avions sollicité l’avis de quelques-uns des meilleurs spécialistes français de la fiscalité, qu’il s’agisse d’élus de toutes tendances politiques ou de cabinets spécialisés.

Je précise en particulier que M. Paul Girod, ancien vice-président du Sénat et actuel président de l’Union des maires de l’Aisne, a commandé au service des collectivités territoriales du Sénat une étude sur les éventuelles conséquences d’une telle décision pour les communes du département.

Selon les conclusions de l’étude, que je tiens à votre disposition, le danger qu’évoquait tout à l’heure M. le président de la commission des finances n’est pas avéré. Ou alors, cela signifierait que l’État n’a pas de parole, ce que nul ici ne peut croire.

Enfin, j’aimerais conclure avec un sourire.

Certes, dans le département de l’Aisne, nous sommes habitués à des communications très fortes, quelquefois même un peu caricaturales et excessives, de la part de la ville de Saint-Quentin et de l’agglomération.

Toutefois, les dispositions adoptées par le conseil général nous permettent de faire vivre cette année et l’an prochain des contrats de fonctionnement et d’investissements avec les communes, les communautés de communes et les communautés d’agglomération du département. Et la première bénéficiaire d’un tel dispositif est la communauté d’agglomération de Saint-Quentin, que préside notre éminent collègue Pierre André.

Je tenais tout de même à souligner ce point, que chacun peut vérifier.

M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, sur l’article.

M. Yves Krattinger. Monsieur le président de la commission, j’ai cru vous entendre dire la même chose que nous ! Si j’ai bien compris, vous proposez de transférer plus de 3 milliards d’euros de la dotation globale de fonctionnement vers la compensation des grandes allocations de solidarité : c’est une reconnaissance publique du déséquilibre que nous constatons tous ! Vous attestez donc, par vos propos, que ces grandes allocations doivent être financées.

Évidemment, cet argent, vous le prenez dans la poche gauche du département pour le transférer dans sa poche droite : ce mouvement ne résout rien sur le fond ! En revanche, sur le principe, vous avez reconnu publiquement la nécessité de cette compensation.

Madame la secrétaire d’État, vous nous dites, injustement à mon avis, que le financement que nous proposons est contraire à l’esprit même de la décentralisation.

Franchement, et je crois que vous l’avez dit vous-même, aujourd’hui, l’État décide de toutes règles, de toutes les méthodes : il détermine les montants, les plafonds, les critères et les conditions de mise en œuvre.

M. Josselin de Rohan. C’est Jospin qui a fixé ces règles !

M. Yves Krattinger. Il existe même des prestations, comme le RSA, sur lesquelles nous n’avons rien à dire, juste à payer : nous recevons des factures de la caisse d’allocations familiales, un point c’est tout ! Et vous osez nous dire que notre proposition de loi serait contraire à l’esprit de la décentralisation !

Permettez-moi de vous retourner l’argument : appliquons-nous vraiment aujourd’hui les principes mêmes de la décentralisation ? J’en doute !

J’illustrerai mon propos en évoquant deux éléments.

Le premier a été largement évoqué tout à l’heure par Yves Daudigny, lors de sa présentation de la proposition de loi. La libre administration des collectivités territoriales est vraiment remise en question par la mise en œuvre du RSA, et de deux manières : premièrement, les départements n’ont aucune capacité de déterminer quoi que ce soit s’agissant des conditions d’attribution et des montants versés ; deuxièmement, les moyens connexes nécessaires à la mise en œuvre desdites règles ne sont pas transférés aux départements. J’y vois un point de faiblesse très préoccupant par rapport aux principes énoncés par notre Constitution.

Deuxième élément : la France a été, je crois, le dernier pays européen à ratifier la Charte européenne de l’autonomie locale ; cette charte affirme clairement le principe de la libre administration des collectivités locales en Europe.

Vous pouvez donc mesurer que nous disposons de deux échelons d’appel par rapport à la situation actuelle : nous pourrions saisir le Conseil constitutionnel, comme l’a dit Yves Daudigny, mais aussi la Cour européenne des droits de l’homme, pour faire reconnaître le droit des collectivités locales françaises à bénéficier des mêmes conditions de mise en œuvre de la décentralisation que les collectivités des autres États membres du Conseil de l’Europe.

Dans ce domaine, nous avons encore beaucoup à discuter. Il est nécessaire que nous le fassions et que nous trouvions rapidement des réponses plus appropriées et plus conformes aux textes fondamentaux qui régissent nos travaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que les avis de la commission et du Gouvernement sont défavorables.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 131 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 336
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l’adoption 154
Contre 182

Le Sénat n’a pas adopté.

Titre 2

DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMPENSATION DES CHARGES SUPPORTÉES PAR LES DÉPARTEMENTS AU TITRE DU VERSEMENT DE L’ALLOCATION PERSONNALISÉE D’AUTONOMIE

Article 1er
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Article 3

Article 2

La section 1 du chapitre II du titre III du livre II du code de l’action sociale et des familles est complétée par une sous-section 3 ainsi rédigée :

« Sous-section 3

« Dispositions communes à l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile et en établissement :

« Art… – À compter de 2010, les charges résultant, pour les départements, des prestations versées au titre des articles L. 232-3 et L. 232-8 sont compensées sur la base des dépenses constatées aux derniers comptes administratifs connus des départements dans les conditions fixées à l’article 7 de la loi n° … du … relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements.

« La compensation versée en application de l’article L. 232-3 précité est calculée hors le montant actualisé versé en 2001 au titre de la prestation spécifique de dépendance, créée par la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 tendant, dans l’attente du vote de la loi instituant une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l’institution d’une prestation spécifique dépendance.

« Les compensations versées au titre des deux alinéas précédents sont ajustées par département, après avis de la commission consultative sur l’évaluation des charges, dans les conditions prévues au II de l’article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

« Dans l’attente du calcul de ces compensations définitives au titre d’une année considérée, l’État assure mensuellement, à chaque département, le versement d’une somme calculée sur la base de la compensation complémentaire déterminée au titre de l’exercice précédent dans les conditions fixées à l’article 7 de la loi ° … du … relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements. »

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, pour vous faciliter la tâche, mon intervention vaudra pour les articles 2, 3 et 4, qui portent sur une question identique, à savoir le financement de l’APA.

Avec ces articles, il s’agit pour nous de créer un véritable droit universel à compensation pour les dépenses publiques assumées par les départements au titre de la gestion de l’allocation personnalisée d’autonomie, ainsi qu’une compensation à hauteur de 90 % du montant des allocations distribuées, tant au titre de l’« APA à domicile » que de l’« APA en établissement ».

Comme vous le savez, l’APA est une allocation universelle, sociale, individuelle, permettant aux personnes âgées et dépendantes de bénéficier des aides et services nécessaires à leur vie quotidienne. Cette aide est très importante et le sera de plus en plus, puisqu’elle permettra notamment aux personnes âgées d’assumer financièrement une partie de leurs besoins : je pense, notamment, à l’embauche d’une aide à domicile qui les accompagne dans leurs démarches quotidiennes et permet leur maintien chez elles.

Tout le monde s’accorde à le dire, nous assistons à un vieillissement de la population. Les gens vivent plus longtemps – et c’est tant mieux ! –, ce qui crée des besoins nouveaux, mais également des solidarités nouvelles, particulièrement lorsque l’on mesure la dégradation du pouvoir d’achat des personnes vieillissantes.

N’oublions pas que, aujourd’hui, en France, plus d’un million de retraités vivent sous le seuil de pauvreté. Pour eux, le maintien à domicile ou l’accueil par une structure ne sont possibles que parce qu’existent des mécanismes de solidarité. Or, M. le rapporteur le souligne, ces mécanismes, précisément parce qu’ils ne sont pas compensés, pèsent de plus en plus sur les budgets départementaux. L’APA constitue, dans le triptyque des dettes dues par l’État au titre des allocations individuelles, le principal élément : ainsi, en 2008, le reste à charge net pour les départements s’élevait à 532 millions d’euros pour le RMI, à 18 millions d’euros pour le RSA et à 3,25 milliards d’euros pour la seule APA.

Pourtant, dans ce contexte marqué par la baisse des ressources propres et par l’augmentation des besoins, M. le rapporteur nous affirme qu’il serait urgent d’attendre que le Gouvernement prenne des décisions à la suite du débat public qui se tiendra dans le courant de l’année 2011 et qui devrait trouver sa concrétisation dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. On nous a en effet annoncé que l’année 2011 sera « l’année de la dépendance ».

Cet argument nous inquiète, car la dépendance, à elle seule, mériterait dès aujourd’hui un projet de loi, ainsi qu’une véritable discussion qui pourrait se prolonger plusieurs semaines ; l’intégration de cette question dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale augure mal de la volonté du Gouvernement d’aller au fond des problèmes.

D’une part, on repousse, une nouvelle fois, le temps de l’action et on laisse les départements seuls face à leurs difficultés ; d’autre part, nous connaissons par avance les conclusions que le Gouvernement tirera en définitive d’une concertation dont on ne peut espérer qu’une chose : qu’elle se déroule mieux que celle qui avait été engagée lors de la réforme des retraites !

Nous savons en effet que ces conclusions privilégieront les mécanismes assurantiels, qui reposent toujours sur les capacités financières de ceux qui deviennent alors des clients. Une telle solution exclut, de fait, les plus modestes, pour qui vous ne manquerez pas de proposer l’instauration de mécanismes de récupération sur succession et qui se trouveront obligés de vendre leurs biens, imposant ainsi le démembrement de patrimoines familiaux modestes, ce qui est inadmissible !

Si ces mesures ne suffisent toujours pas, vous exigerez des aînés qu’ils engagent contre leurs descendants ou leurs héritiers des actions juridiques de telle sorte que la solidarité familiale prime la solidarité nationale.

Or, pour tous ceux qui n’ont plus rien, il ne restera précisément plus que celle-ci et nous craignons fort que, en lieu et place de cette solidarité nationale, ne s’instaure une solidarité intradépartementale. C’est en tout cas ce que nous fait craindre la déclaration suivante de Mme Berra, lorsqu’elle était secrétaire d’État chargée des aînés : « On ne pourra jamais, avec l’argent public, couvrir l’ensemble des besoins. […] La solidarité nationale continuera à jouer son rôle ».

Aussi, même si nous entendons l’argument selon lequel une loi pourrait rénover, d’ici à la fin de 2012, les règles régissant l’APA, il ne nous semble pas inutile d’agir dès aujourd’hui, même de manière provisoire, afin que cesse cette situation financière insoutenable pour les départements. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Sans allonger inutilement les débats, je souhaiterais insister sur un point.

Il nous a été reproché de vouloir, à travers notre proposition de loi, « déresponsabiliser » les départements. J’insiste cependant sur le fait que nous ne prévoyons pas le remboursement du montant de l’APA en fonction des comptes administratifs ; bien au contraire, qu’il s’agisse de la part relative au maintien à domicile ou de la part relative à l’accueil en établissement, sur la base du calcul d’une valeur nationale moyenne, le remboursement versé au département correspondrait à la dépense réelle, si celle-ci est inférieure à cette moyenne nationale, et serait ramené à la dépense moyenne, si la dépense réelle est supérieure. Ce mécanisme est bien un facteur de responsabilisation.

Je voudrais aussi insister, très brièvement, sur les problèmes financiers résultant de la mise en œuvre de la PCH : la couverture qui était supérieure à 100 % la première année est descendue très rapidement. Elle s’établit aujourd’hui, d’après les chiffres de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, à moins de 50 %.

Les montants globaux ne sont pas encore à la hauteur – heureusement ! – de l’APA et du RSA, mais ils appuient du mauvais côté de la balance. Il n’est pas envisageable que, demain, les départements puissent supporter à eux seuls cette nouvelle charge.

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 n’est pas adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

Après l’article L. 232-3 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art… – I. – Pour chaque département, le droit à compensation de l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile est calculé en prenant en référence le plan d’aide moyen national établi par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

« Sur la base de la moyenne des dépenses constatées au titre des trois derniers exercices, la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie calcule, pour chaque département et au niveau national, les montants moyens des plans d’aide établis à l’aide de la grille nationale mentionnée à l’article L. 232-2 pour chacun des groupes iso-ressources (GIR).

« Elle détermine aussi pour chaque département et au niveau national le montant moyen des plans d’aide sur l’ensemble des GIR.

« II. – Pour les départements dont le montant moyen des plans d’aide est supérieur au montant moyen des plans d’aide au niveau national, le droit à compensation est calculé en multipliant le nombre réel de bénéficiaires par le montant national résultant du calcul effectué au deuxième alinéa du I du présent article.

« III. – Pour les départements dont le montant moyen des plans d’aide est inférieur au montant moyen des plans d’aide au niveau national, le droit à compensation est calculé en multipliant le nombre réel de bénéficiaires par le montant départemental résultant du calcul effectué au deuxième alinéa du I du présent article.

« IV. – Chaque département reçoit 90 % du droit à compensation visé aux II et III du présent article. »

M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 n’est pas adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

Après l’article 232-8 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art… – I. – Le droit à compensation de l’allocation personnalisée d’autonomie en établissement est calculé en prenant en compte l’ensemble des forfaits globaux mentionnés au 2° de l’article L. 314-2 versés dans le département aux établissements relevant du I de l’article L. 313-12.

« La caisse nationale de solidarité pour l’autonomie calcule pour chaque département et au niveau national, les valeurs départementales et la valeur nationale du point groupe iso-ressources dépendance en divisant pour le dernier exercice connu le total des forfaits globaux mentionnés au 2° de l’article L. 314-2 par le total des points GIR  dépendance des établissements concernés.

« La caisse nationale de solidarité pour l’autonomie calcule aussi le GIR moyen pondéré des établissements relevant du I de l’article L. 313-12 dans le département.

« II. – Pour les départements dont la valeur du point GIR dépendance est supérieure au montant de la valeur nationale, le droit à compensation est calculé en multipliant d’abord la valeur nationale du point GIR dépendance par le GIR moyen pondéré départemental et, ensuite, le résultat ainsi obtenu par le nombre départemental de places dans les établissements relevant du I de l’article L. 313-12.

« III. – Pour les départements dont la valeur du point GIR dépendance est inférieure au montant de la valeur nationale, le droit à compensation est calculé en multipliant d’abord la valeur départementale du point GIR dépendance par le GIR moyen pondéré départemental et ensuite, le résultat ainsi obtenu par le nombre départemental de places dans les établissements relevant du I de l’article L. 313-12. 

« IV. – Chaque département reçoit 90 % du droit à compensation visé aux II et III du présent article. »

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(L’article 4 n’est pas adopté.)

Titre 3

DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMPENSATION DES CHARGES SUPPORTÉES PAR LES DÉPARTEMENTS AU TITRE DU VERSEMENT DE LA PRESTATION DE COMPENSATION DU HANDICAP

Article 4
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Article 6

Article 5

Après l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art… - I. – À compter de 2010, les charges résultant pour les départements des prestations versées au titre de l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles sont compensées sur la base des dépenses constatées aux derniers comptes administratifs connus des départements dans les conditions fixées à l’article 7 de la loi n° … du … relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements.

« II. –  La compensation versée au titre de l’alinéa précédent est ajustée par département, après avis de la commission consultative sur l’évaluation des charges, dans les conditions prévues au II de l’article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. 

« III. – Dans l’attente du calcul de cette compensation définitive au titre d’une année considérée, l’État assure mensuellement, à chaque département, le versement d’une somme calculée sur la base de la compensation complémentaire déterminée au titre de l’exercice précédent dans les conditions fixées à l’article 7 de la loi n° … du … relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements. »

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, à mon intervention sur cet article 5, je voudrais associer ma collègue Isabelle Pasquet, qui ne peut être présente parmi nous aujourd’hui, mais qui suit de très près la question du handicap et de sa compensation.

La PCH, qui est une aide personnalisée destinée à financer les besoins liés à la perte d’autonomie, n’est attribuée aux personnes en situation de handicap qu’à la condition que les besoins que cette allocation est destinée à couvrir soient inscrits dans un plan personnalisé défini par l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées, sur la base du projet de vie exprimé par la personne.

Autant dire que son versement est capital pour éviter que les bénéficiaires ne souffrent d’une addition de handicaps dans leur vie courante. Il est vrai que nous assistons, progressivement, à une montée en charge de la PCH et tout laisse à penser que celle-ci devrait continuer à croître dans l’avenir.

Si tel est le cas, ce n’est pas que les départements sont dispendieux ou peu regardants, c’est que les besoins augmentent. D’ailleurs, comment les départements pourraient-ils être responsables de cette situation quand l’article L. 245-6 du code de l’action sociale et des familles prévoit : « La prestation de compensation est accordée sur la base de tarifs et de montants fixés par nature de dépense, dans la limite de taux de prise en charge qui peuvent varier selon les ressources du bénéficiaire. Les montants maximums, les tarifs et les taux de prise en charge sont fixés par arrêtés du ministre chargé des personnes handicapées. Les modalités et la durée d’attribution de cette prestation sont définies par décret. »

Les départements n’ont donc, en la matière, que peu de marge de manœuvre, si ce n’est avec le fonds départemental de compensation, mais cela est un autre sujet.

En raison du désengagement financier de l’État, ce sont les prestations mêmes qui sont remises en cause. La prestation de compensation du handicap souffre d’un sous-financement chronique lié au non-respect par l’État de ses engagements. Comme le souligne avec raison Claude Jeannerot, « […] le financeur principal est le conseil général. Dans ce contexte, il va devenir impossible de financer certains besoins en raison de leurs coûts ».

Et le problème, mes chers collègues, c’est que, en matière de handicap, l’État ne doit pas de l’argent qu’aux seuls départements ; il est également redevable envers les maisons départementales des personnes handicapées.

Comment ne pas évoquer la situation dramatique de la MDPH de Paris, qui a dû saisir le tribunal administratif de Paris pour obtenir, par une condamnation prononcée le 6 novembre dernier, le paiement des dettes accumulées par l’État ? Pour mémoire, la situation était telle que la direction de la MDPH, pour garantir le versement des salaires, a été contrainte de puiser dans le fonds de compensation du handicap.

Ainsi, dans le Gers, à la suite de la circulaire du 7 octobre 2009, ce sont 150 000 euros qui vont manquer pour le fonctionnement de la MDPH et qui seront puisés dans le fonds de compensation. Cela entraîne un traitement purement comptable des demandes, au grand dam de la direction et des associations, qui craignent que cela n’ait pour conséquence une hausse du reste à charge des personnes en situation de handicap.

En Gironde, le bilan d’activité pour 2009 du fonds de compensation fait apparaître 365 demandes de financement. Or la participation globale annuelle du fonds pour 2009 s’élève à 566 894,48 euros, ce qui représente un dépassement des crédits pérennes de 40 %.

Enfin, en Loire-Atlantique, la situation est telle que la MDPH serait en train de travailler à l’élaboration d’un nouveau règlement intérieur, afin de créer des barèmes supplémentaires destinés à réduire le montant des allocations versées, voire à exclure certaines demandes !

Pendant ce temps, mes chers collègues, la PCH reste plafonnée et ne prend toujours pas en compte l’ensemble des besoins des personnes en situation de handicap, et ce alors même qu’elle était conçue comme devant être une allocation unique destinée à compenser intégralement le handicap.

Tout cela pèse financièrement sur les départements et contribue à faire exploser le reste à charge des personnes handicapées.

M. le président. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 n’est pas adopté.)

Titre 4

DISPOSITIONS APPLICABLES À L’OUTRE-MER

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements
Article 7 (début)

Article 6

Pour les départements et les collectivités d’Outre-mer, après consultation de l’ensemble des collectivités concernées, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, les mesures d’adaptation relevant du domaine de la loi qui sont nécessaires à l’application de la présente loi. Ces ordonnances seront prises au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant la publication de la présente loi. Les projets de loi de ratification devront être déposés au Parlement au plus tard le sixième mois après la publication de ces ordonnances.

M. le président. La parole est à M. Michel Magras, sur l'article.

M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais profiter de l’examen de cet article pour formuler trois observations.

Une des premières choses que j’ai apprises en arrivant au Sénat, c’est que l’auteur d’une proposition de loi ne pouvait pas imposer au Gouvernement de légiférer par ordonnances. Or la proposition de loi qui nous est présentée, signée par un nombre considérable de collègues, vise, si je l’ai bien lue, à exiger du Gouvernement qu’il légifère par ordonnances s’agissant de l’outre-mer. Telle est ma première remarque.

Deuxième observation, je souhaite attirer votre attention sur le réflexe qui consiste, chaque fois qu’est examiné un projet de loi, ou exceptionnellement une proposition de loi, à renvoyer le cas de l’outre-mer à une disposition, généralement placée en fin de texte, laissant au Gouvernement le soin de légiférer par ordonnances.

Je pourrais le comprendre s’il s’agissait des collectivités d’outre-mer – mon territoire en est une –, et dans les domaines de compétences qui sont les nôtres. Mais dans les domaines de compétences de l’État, ou dans les domaines de compétences que nous partageons avec lui, et s’agissant des départements d’outre-mer en particulier, j’ai du mal à comprendre que puisse persister une telle tradition, que, pour ma part, je trouve quelque peu humiliante.

Si j’étais sénateur d’un DOM, je trouverais anormal qu’on me prive de mon droit de parlementaire de débattre et de décider pour ma collectivité des lois qui s’appliquent chez elle.

Cette méthode, que j’ai déjà dénoncée, me paraît un peu trop facile et je souhaite qu’on puisse y réfléchir à l’avenir. Les DOM sont en effet soumis à l’identité législative, et il n’y a pas de raison que les adaptations, les cas particuliers ne soient pas traités au fil des articles. Nous devons exercer réellement notre pouvoir de parlementaire lorsqu’il s’agit des DOM sans renvoyer forcément au Gouvernement le soin d’en traiter.

Enfin, ma troisième observation s’adresse à vous, madame la secrétaire d’État.

La collectivité de Saint-Barthélemy, qui a récupéré les compétences qui étaient auparavant exercées par le département, doit financer le RMI, le RSA, la PCH et l’APA. Les « contribuables de Saint-Barthélemy », c’est-à-dire les citoyens et les entreprises, acquittent des cotisations sociales et contribuent aux financements complémentaires que sont la CSG, la CRDS, comme tous les citoyens français. J’aimerais donc comprendre pourquoi, en retour, le Gouvernement ne nous verse pas les prestations qu’il accordait au département en la matière.

Bien entendu, une réponse facile consisterait à dire que cela est inclus dans la dotation globale de compensation. Mais, sans rentrer dans un débat technique, si tel était le cas, pourquoi, alors, est-il tenu compte des dépenses de l’État dans la DGC et non pas de ses recettes, c'est-à-dire des cotisations que nous versons ?

Bien entendu, je n’attends pas de votre part une réponse immédiate sur cette question. Toutefois, il m’a semblé légitime d’attirer votre attention en séance sur ce problème, et je me tiens à la disposition de vos services pour en débattre.

M. le président. Mon cher collègue, la première remarque que vous avez formulée est effectivement fondée : si d’aventure cet article 6 était adopté et que le Conseil constitutionnel en était saisi, celui-ci le censurerait.

Sur les autres points, je n’ai pas capacité à vous répondre. Je donne donc la parole à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, j’ai bien entendu les remarques ou questions que vous avez formulées, qui sont aussi des incitations à une évolution. Le cas précis de Saint-Barthélemy pourrait, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, être évoqué dans un autre cadre que celui de ce débat. (M. Michel Magras acquiesce.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 n’est pas adopté.)

Titre 5

RECEVABILITÉ FINANCIÈRE DE LA PROPOSITION DE LOI

Article 6
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Article 7 (fin)

Article 7

I - La compensation complémentaire aux départements est assurée par la majoration, à due concurrence, de la dotation globale de fonctionnement.

II - La perte de recettes résultant pour l’État de la présente loi est compensée à due concurrence par la majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, tous les autres articles ayant été rejetés, il n’y aura pas d’explication de vote finale sur le texte ; aussi, je saisis cette dernière occasion de m’exprimer pour dire, au nom de mon groupe et des groupes RDSE et CRC-SPG, combien ce débat fut intéressant.

Il a montré un certain nombre de convergences entre le Gouvernement et les parlementaires sur le constat du décalage existant entre ce que payent les départements et ce qu’ils perçoivent de la part de l’État. Que ce constat ait été unanime sur l’ensemble des travées de notre assemblée est une bonne chose. Malheureusement, nous divergeons sur les réponses.

L’objectif essentiel de cette proposition de loi était de répondre, sans attendre, à un problème qui se pose aujourd’hui.

Vous avez souligné à plusieurs reprises, madame la secrétaire d’État, que, selon la volonté du Président de la République, il y aurait une loi sur la dépendance. Très bien. Nous verrons le moment venu ce qu’il en sera. Ce texte sur la dépendance, qui sera débattu en 2011, sera peut-être appliqué en 2012, avant ou après l’élection présidentielle, et peut-être ne sera-t-il jamais appliqué. Mais la réalité, c’est l’écart de 5 milliards d’euros entre ce que versent les départements et ce qu’ils reçoivent de l’État. Il y a là un vrai problème. Pour la plupart des départements, la faiblesse des compensations de la part de l’État, cela a été évalué tout à l’heure et nous en sommes d’accord, se traduit par un manque d’investissement sur le terrain, dans l’aide aux communes, en matière de développement territorial ou tout simplement de développement économique.

Aujourd’hui, les collectivités locales et les départements contribuent fortement à relancer la machine économique par leurs investissements. C’est pourquoi nous regrettons vraiment que le Gouvernement et la majorité n’aient pas souhaité répondre favorablement à tout ou partie de cette proposition de loi, notamment parce qu’elle est issue – cela a été dit par l’ensemble de mes collègues – de l’Assemblée des départements de France, qui, au cours de son congrès d’Avignon, a décidé à l’unanimité de présenter une proposition de loi fondée sur un principe très clair.

Lors de ce congrès, nous nous sommes en effet mis d’accord pour considérer qu’il fallait tirer un trait sur le déficit des compensations versées par l’État entre 2004 à 2009. Nous avons décidé de ne plus en parler à condition qu’à partir de l’année 2010 l’État paye ses dettes, sur la base du constat partagé, et que, enfin, ces allocations universelles de solidarité versées par les départements au nom de l’État soient justement compensées, que les départements soient compensés à hauteur de ce qu’ils dépensent.

Vous ne l’avez pas accepté, madame la secrétaire d’État, et c’est bien dommage. Après ce débat, les départements vont rester sur leur faim et demeurer dans la même situation. Ne doutons pas que, dans les mois qui viennent, notamment à l’occasion des prochaines élections cantonales qui auront lieu en mars, ce débat sera sur la place publique.

Plutôt que de renvoyer ce débat à demain, demandez-vous quelles réponses peuvent être apportées dès aujourd'hui pour permettre à tous les départements d’avoir les moyens d’assumer cette politique sociale, dont la compétence, je le rappelle, leur a été transférée dans le cadre de la décentralisation, les départements versant les allocations universelles de solidarité au nom de l’État.

Pour le reste, je tiens à remercier l’ensemble des parlementaires qui ont participé cet après-midi à notre débat. Nos discussions ont été sereines, courtoises, et passionnantes, aussi. Mais, au-delà, je sais que l’histoire n’est pas finie, que nous aurons d’autres rendez-vous. J’ai évoqué les élections cantonales, mais il y aura aussi des débats législatifs – je pense à la réforme de la dépendance et à la proposition de loi du président Arthuis.

En tout cas, nous ne pouvons pas en rester là : si le Gouvernement ne modifiait pas sa position et ne faisait rien pour compenser financièrement les compétences transférées, alors ce serait, pour de nombreux départements, la fin de leur autonomie, voire, à petit feu pour certains, plus brutalement pour d’autres, la mort pure et simple.

Mais je n’imagine pas un instant qu’une telle issue puisse être souhaitée par l’un quelconque des collègues qui siègent sur les travées de la Haute Assemblée, elle qui représente l’ensemble des collectivités territoriales et de leurs élus !

C'est la raison pour laquelle nous regrettons vraiment la position que vous avez adoptée, madame la secrétaire d'État. Nous sommes heureux du constat partagé, mais cela ne suffit pas, et nous attendons d’autres rendez-vous pour faire évoluer la situation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 n’est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, les sept articles de la proposition de loi ayant été successivement repoussés, je constate qu’il n’y a pas lieu de voter sur l’ensemble et que la proposition de loi est rejetée.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, même si le débat n’a pas connu l’issue positive qu’auraient souhaitée les auteurs des propositions de loi, je me félicite de sa qualité, qui aura permis de mettre en lumière un constat partagé.

Il n’est pas tout à fait juste de dire, comme certains l’ont fait, que le Gouvernement ne propose pas de solutions à court terme : nous nous sommes efforcés, M. le rapporteur et moi-même, de vous les présenter.

Je me réjouis que les élus, singulièrement les représentants des départements, prennent toute leur part dans le débat sur la dépendance - il nous occupera pendant le premier semestre de l’année 2011 -, pour nous aider à trouver des solutions.

En vous remerciant encore de la qualité que vous avez su imprimer à nos échanges, je vous donne rendez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ce prochain débat sur la dépendance. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Article 7 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements
 

8

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 9 décembre 2010, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi de réforme des collectivités territoriales, une loi validée à l’exclusion, je le précise, de l’article et du tableau annexé relatifs à la répartition des conseillers territoriaux.

Acte est donné de cette communication.

9

Demande d'un avis sur un projet de nomination

M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettre en date du 9 décembre 2010, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente en matière de postes et communications, sur le projet de reconduction de M. Jean-Paul Bailly à la présidence du conseil d’administration de La Poste.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Acte est donné de cette communication.

10

Nomination de membres d'organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé des candidatures pour trois organismes extraparlementaires.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :

- Mme Françoise Cartron pour siéger comme membre suppléant au sein de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement ;

- M. Pierre Bordier et Mme Colette Mélot comme membres titulaires et Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Louis Duvernois comme membres suppléants de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence ;

- M. François Pillet comme membre titulaire et Mme Éliane Assassi comme membre suppléant de la commission nationale de l’admission exceptionnelle au séjour.

11

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l’Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales et une pour celle de la culture, de l’éducation et de la communication.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- Mme Béatrice Descamps, membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de Mme Sylvie Goy-Chavent, démissionnaire ;

- Mme Sylvie Goy-Chavent, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de Mme Béatrice Descamps, démissionnaire.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de l’après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

12

Communication relative à une nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des lois organiques n° 2010-837 et n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a émis à l’unanimité – 12 voix pour, 0 contre – un vote favorable à la nomination de M. Éric Molinié aux fonctions de président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

Acte est donné de cette communication.

13

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, je souhaite, au nom de mon groupe, faire une mise au point concernant le scrutin n° 129 du mercredi 8 décembre portant sur l’amendement n°16 rectifié sexies présenté par M. Pierre Martin et plusieurs de ses collègues. En effet, M. Jean-Marie Vanlerenberghe souhaitait bien voter pour cet amendement.

Monsieur le président, je vous remercie de veiller à ce que cette mise au point figure au Journal Officiel.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

14

Débat d’orientation sur la défense antimissile dans le cadre de l’OTAN

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’orientation sur la défense antimissile dans le cadre de l’OTAN, organisé à la demande du groupe socialiste.

La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe qui a demandé ce débat, M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le débat sur la défense antimissile balistique, demandé en octobre par lettre du président du groupe socialiste, M. Jean-Pierre Bel, semble arriver aujourd’hui tel Grouchy à Waterloo, c’est-à-dire un peu tard !

En effet, cette lettre faisait suite à la publication, le 15 octobre dernier, par le service de presse de la présidence de la République, d’une déclaration sur le sujet.

On y rappelait « le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense antimissile proposée par le Président des États-Unis et actuellement débattue à l’OTAN », ce qui est, il faut l’avouer, fort différent de l’avis exprimé ici même, au Sénat, par le ministre de la défense de l’époque, Hervé Morin, en réponse à une question que je lui avais posée en commission, le ministre assimilant alors la défense antimissile balistique, la DAMB, à une « nouvelle ligne Maginot ».

Le 19 novembre à Lisbonne, au sommet de l’OTAN, le nouveau concept stratégique est adopté par les chefs d’État et de Gouvernement. Il prévoit que les membres de l’Alliance « développeront leur capacité à protéger leurs populations et leurs territoires contre une attaque de missiles balistiques, et en feront un des éléments centraux de la défense collective ».

Si vous m’autorisez l’expression, la messe est dite ! Du moins, cette messe-là…

Nous regrettons, dans ces conditions, que le Gouvernement n’ait pas organisé un débat sur cette question au Parlement avant de décider ; le calendrier ne nous a pas permis de le faire. Certes, rien ne nous empêchait de nous saisir de cette question. C’est du reste ce que le Sénat a fait, et je remercie le président de notre commission, Josselin de Rohan, d’avoir engagé un cycle d’auditions l’été dernier, cycle auquel nous avons participé, et d’avoir pris les devants en publiant un rapport d’information destiné à préparer le débat de ce soir.

Mais tout de même : s’informer n’est pas débattre ! Cette décision engage l’avenir de notre pays ; sa délibération méritait mieux qu’un simple communiqué de presse.

Faisons en sorte que le débat d’aujourd’hui soit à la hauteur des enjeux.

Ces remarques préliminaires étant faites, il y a plusieurs façons de s’intéresser à la décision d’adhérer à la défense antimissile de territoire ; j’en retiendrai deux.

La première façon consiste à considérer cette décision en soi, dans ses implications militaires, économiques, technologiques. J’y reviendrai.

La seconde consiste à la replacer dans la série de décisions touchant à la politique de défense qui la précèdent et l’accompagnent. Je commencerai par cette approche.

De ce point de vue, et ce sera ma première série d’observations, la défense antimissile balistique s’inscrit dans une série de décisions qui tournent le dos à la politique diplomatique de la France depuis les débuts de la Ve République.

De quelles décisions s’agit-il ?

Première décision : la réintégration pleine et entière de la France dans l’OTAN. Aujourd’hui, on voit mal comment les conditions qui assortissaient cette décision – à savoir le renforcement de l’Europe de la défense – pourraient être remplies ou en voie de l’être.

Deuxième décision : la signature des accords de Londres avec le Royaume-Uni, en novembre dernier, dont on peine à voir comment ils vont s’articuler avec la construction de cette même Europe de la défense.

Troisième décision : la participation de la France à la défense antimissile de territoire de l’OTAN.

Aucune de ces décisions n’a été délibérée préalablement devant le Parlement. Certes, chacune a sa logique propre, et on peut comprendre les arguments qui les sous-tendent individuellement.

Il n’en reste pas moins que, mises bout à bout, elles dessinent une vision stratégique très différente de celle qui prévalait depuis le général de Gaulle et qui a été déclinée par tous les Présidents de la République qui lui ont succédé, chacun à sa manière. C’est ce que l’on appelait le consensus national en matière de défense et de sécurité.

Cette nouvelle stratégie du Président de la République, en rupture avec ce consensus, ressemble à s’y méprendre à un alignement sur les États-Unis et soulève de multiples questions auxquelles je souhaite que nous nous efforcions d’apporter des réponses, ensemble, si possible.

Première question : que devient le partenariat franco-allemand ?

Est-il si mal en point qu’on le dit ? Quelles en sont les raisons ? Serait-ce irréversible ?

Nous avons bien compris qu’il y avait entre nos deux gouvernements, voire entre nos deux peuples, une forte différence d’appréciation quant à la place accordée au nucléaire. Cette opposition s’est retrouvée dans le débat sur la défense antimissile. Cette défense doit-elle être, comme nous le pensons, un complément de la dissuasion nucléaire,…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !

M. Daniel Reiner. … ou bien pourra-t-elle un jour s’y substituer, comme on semble le croire outre-Rhin ?

Il s’agit là d’une question de fond, car la défense d’un pays ne se conçoit pas de la même façon avec ou sans l’arme nucléaire. Pour la France, la dissuasion nucléaire est le cœur de la politique de défense, le garant ultime de sa souveraineté.

Un autre point de désaccord réside dans le fait que l’Allemagne a considérablement diminué son effort de défense. Elle a pris la décision, comme nous, de mettre fin à la conscription, mais les raisons pour lesquelles elle l’a fait semblent surtout dictées par des considérations budgétaires.

La question se pose, et nous devrions en discuter plus franchement avec nos amis allemands : l’Allemagne a-t-elle décidé de s’en remettre uniquement à l’OTAN ? Considère-t-elle que toute menace a disparu ? Quelle est sa stratégie ? S’agit-il simplement d’une politique d’autodéfense, ou bien d’une approche guidée par des préoccupations commerciales, comme on peut le penser en lisant les déclarations des dirigeants de Thyssen Krupp Marine Systems, TKMS, le principal constructeur naval allemand, qui a préféré l’alliance avec un groupe émirati – j’en ai parlé ici même, voilà une dizaine de jours – plutôt qu’avec le français DCNS, considérant que cette alliance était « autrement plus solide que la perspective d’un groupe naval européen ».

Il nous faut poser ces questions et nous en expliquer avec nos amis allemands.

Deuxième question : quelles sont les chances réelles de faire prospérer le partenariat franco-britannique ?

Nous sommes prêts à y travailler.

Tout le monde sait que les forces armées britanniques ont tissé des liens étroits avec les forces américaines, en particulier dans le domaine de la dissuasion nucléaire.

Tout le monde sait que les industries de défense britanniques sont étroitement liées avec leurs homologues américains, au point que l’on peut se demander si BAE, encore anglais par son capital, n’est pas devenu complètement américain par ses parts de marché.

Cette entreprise, qui se classe aux tout premiers rangs mondiaux en matière de défense, poursuit depuis 2004 une stratégie d’expansion aux États-Unis. Elle est, du reste, sortie de l’actionnariat d’Airbus, en 2006, et a vendu ses participations navales à l’allemand TKMS la même année.

De nombreuses rumeurs circulent sur le fait que le gouvernement britannique et les forces britanniques auraient été déçus de la façon dont ils ont été traités par leurs homologues américains ces dernières années, en particulier dans l’aventure irakienne et la guerre en Afghanistan. Pour autant, personne ne pense que le Royaume-Uni va défaire les liens traditionnels qui l’unissent aux États-Unis, pour leur substituer de nouveaux liens avec nous.

Dans ces conditions, que peut-on espérer concrètement des accords de Londres ?

M. le président de la commission a bien mis en place un groupe de travail réunissant les quatre commissions parlementaires intéressées ; la première réunion s’est tenue hier. Nous verrons dans le temps s’il peut apporter une contribution utile. C’est en tout cas ce que je souhaite.

Troisième question : à supposer que ce partenariat franco-britannique prospère, est-il de nature à constituer un « noyau dur » auquel d’autres pays pourront s’agréger ? Il s’agit d’une question importante, que nous avons d’ailleurs posée à nos collègues britanniques.

En supposant que, d’ici à dix ans, le partenariat franco-britannique ait prospéré, que nous fabriquions ensemble des drones, que nous ayons des projets communs d’avions de combat, que nos satellites soient communs, que les avions de la Navy atterrissent sur le Charles-de-Gaulle et ceux de l’Aéronavale sur le Queen Elisabeth, comment cela s’articulera-t-il avec les aspirations légitimes de nos amis allemands, italiens, espagnols et suédois ? Les Britanniques les laisseront-ils entrer dans un tel partenariat ?

Après tout, l’Europe monétaire s’est faite autour de l’Allemagne et de la France, et a ensuite agrégé les autres pays. L’Europe de la défense ne pourrait-elle pas se construire autour du Royaume-Uni et de la France ? Mais est-ce vraiment l’esprit des accords de Londres ?

Quatrième question : quel jeu jouent les États-Unis ?

On dit les dirigeants américains, et plus encore l’opinion publique de ce pays, fatigués de payer pour la défense de l’Europe. Cela peut se concevoir. Le « partage du fardeau » est une revendication ancienne et légitime de nos amis américains. Je dis cela à l’intention de ceux de nos amis européens qui penseraient que l’on peut avoir la sécurité sans en payer le prix.

On dit également les dirigeants américains, et en particulier l’actuel Président Barack Obama, plus préoccupés par l’évolution des puissances en Asie et la question coréenne que par l’Europe.

Dans ces conditions, on peut comprendre que les dirigeants américains appellent à l’émergence d’un « pilier européen de l’OTAN ». Ce n’est du reste pas une nouveauté, puisque les termes mêmes ont été forgés par le Président Kennedy. Mais cela n’est pas l’Europe de la défense.

Les dirigeants américains sont-ils prêts à admettre l’émergence d’une « Europe puissance », certes alliée, mais néanmoins autonome sur la scène internationale ? Rien n’est moins sûr.

Enfin, cinquième et dernière question : quelle Europe voulons-nous ?

On ne peut pas sans cesse rejeter les responsabilités sur les autres, et quand je constate le choix qui a été fait par les leaders européens pour les représenter sur la scène internationale, je me dis que nos dirigeants ne veulent pas vraiment d’une « Europe puissance » capable de parler d’une voix ferme et résolue.

Indépendamment de la forme, nous sommes incapables de nous accorder sur le fond. Au Moyen-Orient, dont je reviens, et pour ne prendre que ce seul exemple, l’Europe paye mais ne décide de rien ! Seule la diplomatie américaine est à la manœuvre, et nous n’avons même pas droit à un strapontin dans la pièce des négociations !

Vous le voyez, la défense antimissile a cette vertu intéressante qu’elle permet de diffracter cette nouvelle lumière stratégique et d’éclairer d’un jour différent nos propres contradictions. Elle nous force à nous poser les questions de fond : qui s’agit-il de défendre ? de quelle menace ? avec quels moyens et avec quels alliés ?

Ce qui m’amène à ma seconde série d’observations, concernant l’appréciation de la défense antimissile balistique en soi.

Premièrement, il ne s’agit pas de construire une défense pour répondre à une menace immédiate du territoire national. En effet, on ne peut pas laisser croire à nos concitoyens qu’un pays proliférant – n’en nommons aucun, c’est préférable –, soit actuellement en capacité de lancer sur le territoire européen des missiles intercontinentaux équipés d’ogives nucléaires.

À supposer qu’un gouvernement aux intentions belliqueuses ait à sa disposition de telles armes, il est peu probable qu’il s’en prenne à l’Europe en général et à notre pays en particulier, car, si tel était le cas, ses dirigeants savent avec une certitude absolue qu’ils n’échapperaient pas à des représailles massives. De ce point de vue, rien ne remplacera la force de dissuasion nucléaire.

Bien sûr, il n’est pas gravé dans le marbre qu’une telle menace n’existera pas dans un futur plus ou moins proche. Mais nous n’en sommes pas là.

Deuxièmement, si menace il y a, elle concerne pour l’heure non pas le territoire national ni même le territoire européen, mais celui de nos alliés, au Moyen-Orient, par exemple, et nos forces qui pourraient y être déployées.

Une telle menace est alors de type classique. Il s’agirait vraisemblablement de charges conventionnelles, avec des missiles « rustiques », c’est-à-dire non manœuvrants et à rayon d’action limité, de l’ordre de 600 ou 700 kilomètres au maximum.

Dans une telle hypothèse, disposer d’une capacité de défense antimissile balistique de théâtre étendu pourrait se révéler utile. C’est du reste ce que nous avons commencé à faire au travers du programme sol-air moyenne portée/terrestre, ou SAMP/T, pour l’armée de terre, et Principal Anti Air Missile System, ou PAAMS, pour la marine nationale. Cela était d’ailleurs inscrit dans le Livre blanc.

Ces systèmes sont opérants et ont commencé à être déployés, mais il faudra aller au-delà, notamment pour ce qui concerne les radars de conduite de tir.

Troisièmement, la défense antimissile est moins un outil militaire qu’une locomotive technologique.

Les technologies nécessaires à la défense antimissile sont des technologies de rupture. Qu’il s’agisse des radars à très longue portée pour l’alerte avancée, des radars de conduite de tir pour les missiles, des systèmes de calcul de trajectoire chargés de l’interception ou des missiles eux-mêmes, ou encore du « command and control » – ce que l’on appelle le C2 –, les avancées technologiques qui sont nécessaires pour rendre ces systèmes opérants seront déclinées dans différents domaines et conféreront à ceux qui les détiendront un avantage stratégique et commercial décisif sur tous les autres.

Selon un schéma éprouvé en matière de recherche militaire, les innovations de rupture d’aujourd’hui feront les systèmes d’armes de demain et les équipements génériques d’après-demain.

C’est sans doute la perspective de détenir cet avantage technologique qui contribue à justifier l’effort financier colossal consenti par les États-Unis depuis le début de cette affaire, soit de l’ordre de 160 milliards de dollars pour ne citer que les quinze dernières années, alors même que la menace d’une attaque balistique directe contre le territoire des États-Unis n’a jamais été aussi faible.

Naturellement, l’Europe et la France au premier chef ont des industries d’armement qui disposent de ces compétences et ne peuvent ni ne veulent rester à l’écart de ces avancées de technologies clefs.

Quatrièmement, la défense antimissile balistique donne à celui qui la possède un levier stratégique considérable.

De nombreux commentateurs ont fait le lien entre la capacité qu’ont les États-Unis d’offrir une protection grâce à cette défense et le contrat d’armement du siècle – 130 milliards de dollars – avec l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le sultanat d’Oman.

En effet, la défense antimissile offre une garantie de sécurité comparable à celle qu’offrait jadis le « parapluie nucléaire américain », et structure les relations diplomatiques entre, d’un côté, les protégés et, de l’autre, les protecteurs. Mais, bien entendu, il ne s’agit pas d’une garantie totale, car, à ce stade, l’interception de missiles n’est pas infaillible, comme chacun le sait.

La question est donc de savoir si l’Europe veut conserver voire développer son autonomie stratégique.

Il est légitime que certains pays nouvellement entrés dans l’OTAN se sentent tout à fait à l’aise dans la situation des protégés, mais, pour notre pays, et dans le respect de nos alliances, je veux espérer que nous ayons encore la volonté d’être souverains.

En conclusion, je vous livrerai un constat et un souhait.

Le constat est qu’il est important de pouvoir répondre aux menaces réelles, de participer à une aventure technologique déterminante et de disposer de cet outil diplomatique puissant. Voilà de bonnes raisons qui peuvent justifier notre participation à cette défense antimissile balistique. À titre personnel, j’y souscris volontiers.

Mon souhait est que cet engagement soit bien mesuré, que l’on en pèse le pour et le contre, en un mot que l’on en délibère.

Premièrement, l’engagement doit être mesuré dans ses implications financières. Or nous savons déjà que, hors défense antimissile balistique, il sera difficile voire impossible de respecter l’actuelle loi de programmation militaire. Le coût actuel annoncé par le secrétaire général de l’OTAN, M. Rasmussen – nous l’avons rencontré au mois de juin dernier – est de 200 millions de dollars pour le seul C2. Tout le monde sait que cela ne suffira pas. Il faut néanmoins que l’effort financier que nous serions amenés à consentir reste raisonnable, je pèse le mot, et compatible avec nos moyens.

Deuxièmement, cet engagement doit être mesuré dans ses conséquences industrielles. La contribution française doit se faire en nature, et pas en espèces. La décision prise à Lisbonne, à laquelle nous n’avons pas pris part, doit se traduire, en clair, par le financement d’études amont susceptibles d’éclairer les choix définitifs.

Troisièmement, cet engagement doit être mesuré dans ses conséquences stratégiques. Il ne doit pas effrayer nos voisins, je pense à la Russie. Il doit être conciliable avec les exigences de nos alliés, je pense à la Turquie. Surtout, il doit être conciliable avec une approche européenne, ce qui suppose de lever certaines hypothèques sur les modalités de décision et les règles d’engagement.

Quatrièmement, enfin, cet engagement doit être replacé dans le cadre de notre volonté de promouvoir en permanence un désarmement concerté et généralisé. Le développement du bouclier antimissile ne doit pas stopper nos efforts en faveur de la non-prolifération et du respect du traité.

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, toutes ces questions méritaient bien un débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le sommet de Lisbonne vient de marquer une étape importante pour l’Alliance atlantique, en statuant sur plusieurs sujets majeurs : les conditions d’une transition en Afghanistan ; l’adoption du nouveau concept stratégique, remplaçant celui de 1999 ; la réforme, plus que jamais nécessaire, des structures civiles et militaires de l’OTAN et de la gouvernance financière de l’Organisation ; la défense antimissile des pays européens, sur laquelle une décision de principe a été prise.

Depuis plusieurs mois, la commission des affaires étrangères et de la défense suit attentivement chacune de ces questions. Nous y avons régulièrement consacré nos réunions. Plusieurs d’entre nous en débattent aussi à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN.

Il s’agit de questions fondamentales pour l’Alliance et pour notre pays. Nous nous devons, sur chacun de ces sujets, d’établir une vision claire de nos intérêts et des intérêts de l’Alliance puis, bien entendu, de défendre cette vision auprès de nos partenaires.

Je crois que c’est bien ainsi que la France agit, avec beaucoup de détermination, depuis plusieurs mois.

La France a en effet exprimé très fermement ses positions lors de l’élaboration du nouveau concept stratégique. Le document adopté à Lisbonne prend largement en compte ses préoccupations.

L’OTAN est d’abord et doit rester une alliance militaire, structurée par la mission de défense collective. Le rôle de la dissuasion nucléaire demeure fondamental dans la stratégie de l’Alliance, tant que subsistent dans le monde des arsenaux nucléaires. La contribution des forces nucléaires françaises tout comme leur indépendance sont réaffirmées.

L’OTAN ne doit pas dériver vers une organisation globale, une sorte d’« ONU bis », qui se diluerait en renonçant à toute limite géographique ou en s’engageant dans des missions de nature civile.

De ce point de vue, le nouveau concept stratégique rappelle la nature euro-atlantique de l’Organisation. Il prend en compte le nouvel environnement de sécurité sans élargir à l’excès le champ fonctionnel de l’OTAN.

Enfin, et cela est très important pour la France, la capacité des Européens à prendre des responsabilités croissantes dans le domaine de la sécurité, y compris de manière autonome dans le cadre de l’Union européenne, est clairement reconnue comme une plus-value de l’Alliance.

La France s’est aussi engagée très activement, avec d’autres pays qui partagent le même objectif, en faveur d’une profonde réforme des structures et du fonctionnement de l’Organisation. Ainsi, je me réjouis qu’il ait été décidé à Lisbonne de réduire de 35 % le format de la structure de commandement, de rationaliser les quartiers généraux et de lancer la réforme des agences.

En définitive, ce que nous pouvons constater depuis deux ans, c’est que la France n’a rien abdiqué en rejoignant les dernières structures de l’OTAN auxquelles elle ne participait pas, exception faite du groupe des plans nucléaires. Bien au contraire, elle agit en force de proposition et occupe toute la place qui doit lui revenir.

Notre pays est un contributeur important, en troupes, en capacités militaires, en financements. Pourquoi aurait-il dû rester – seul parmi les vingt-huit pays membres - absent des structures où se préparent et se mettent en œuvre toutes les décisions ? Sur ce plan, je crois que l’on peut se réjouir, après l’attribution de l’un des deux commandements stratégiques, de voir désormais l’un de nos compatriotes, depuis cet automne, chargé des investissements de défense de l’OTAN, en qualité de secrétaire général adjoint. Je pense que ce n’est pas indifférent par rapport au sujet qui nous occupe ce soir.

Pour autant, il semble indispensable de maintenir notre volonté de développer une politique européenne de sécurité et de défense.

Le mémorandum déposé par l’Allemagne et la Suède recommandant une mutualisation des ressources et des commandes groupées dans le domaine de l’armement ainsi qu’un renforcement des pouvoirs de l’Agence européenne de défense, est peut-être l’amorce d’une réaction de nos partenaires devant l’atonie de la politique de sécurité et de défense commune, ou PESDC.

Nous devons encourager cette évolution et éviter d’opposer OTAN et PESDC. Vouloir contraindre nos partenaires à choisir entre l’Union Européenne et l’OTAN serait le meilleur moyen de tuer dans l’œuf toute velléité de défense européenne, car la majorité, pour ne pas dire la quasi-unanimité des pays européens se refuseraient toujours à affaiblir l’Alliance atlantique tant qu’elle subsistera.

Je crois au contraire qu’en clarifiant notre position, en écartant toute suspicion sur nos intentions, nous pouvons dialoguer avec nos alliés européens sur des bases plus solides.

À Londres, le 2 novembre dernier, je l’ai vérifié auprès des responsables britanniques. Les traités que nous avons signés ce jour-là, les coopérations que nous avons lancées, démontrent une volonté commune des deux premières puissances militaires européennes d’agir étroitement en commun pour maintenir, en Europe, des capacités de défense et une base industrielle significatives.

Le fait que nous réalisions ensemble des installations d’expérimentation liées à la dissuasion ou que nous souhaitions développer des équipements et des technologies pour les sous-marins nucléaires, atteste un très haut degré de confiance. Et je suis convaincu que cette confiance n’aurait pas été établie si nous avions eu, vis-à-vis de l’OTAN, une attitude hostile ou ambiguë.

J’en viens maintenant au sujet qui a justifié notre débat de ce soir : la défense antimissile balistique. Il s’agit d’un sujet stratégique mais complexe. Il mérite d’être étudié avec soin, sans idées préconçues, qu’elles soient favorables ou hostiles.

C’est pourquoi nous avons voulu en débattre, en commission, avec de hauts responsables de la défense, des experts, et aussi des industriels, puisqu’il y a, en la matière, une forte dimension technologique.

Nous avons publié le mois dernier un rapport d’information qui restitue ces débats, et j’ai présenté les principaux enseignements que l’on pouvait en tirer.

Nous continuerons ce travail, puisque trois de nos collègues, notamment notre excellent collègue Daniel Reiner, sont chargés d’une mission d’information qui permettra d’approfondir le sujet et d’en suivre les développements.

À Lisbonne, l’OTAN a pris la décision de développer un système capable de protéger les territoires et les populations des pays européens contre les missiles balistiques.

Ce système s’appuiera sur l’outil de commandement et de contrôle que l’OTAN est déjà en train de constituer pour la défense antimissile de théâtre. Nous ne connaissons pas aujourd’hui la configuration que prendra cette défense antimissile des territoires, mais il est certain qu’elle intégrera les moyens de détection et d’interception que les États-Unis veulent déployer graduellement en Europe, dans le cadre des décisions prises par le Président Obama et présentées sous l’appellation d’« approche adaptative phasée ».

La France a donné son soutien de principe à cette nouvelle approche dans le cadre de l’OTAN.

Déjà en 2006, à l’Île Longue, le Président Chirac avait estimé que la défense antimissile pouvait compléter la dissuasion en diminuant nos vulnérabilités, et il avait marqué la volonté de la France de participer aux réflexions menées à ce sujet au sein de l’Alliance atlantique. Le Président Sarkozy, à Cherbourg, en mars 2008, a confirmé cette conception et indiqué que la France disposait « de solides compétences techniques dans ce domaine qui pourraient être mises à profit le moment venu ».

Le moment semble en tout cas venu, pour notre pays, de se demander comment et à quelles conditions il peut s’engager dans cette voie.

Le premier constat que j’effectuerai à partir des éléments que notre commission a recueillis, c’est que la défense antimissile balistique va se trouver au cœur d’enjeux militaires, économiques et stratégiques de plus en plus importants.

Les enjeux militaires tiennent à la possession, par un cercle toujours plus large de pays, de missiles balistiques dont les performances sont en amélioration constante, plus rapide même qu’on l’estimait il y a deux ans à peine, lors de la rédaction du Livre blanc. C’est un élément que nous ne pouvons ignorer et que nous devons intégrer dans notre stratégie de défense.

Nous avons commencé à le faire en développant une capacité de défense antimissile de théâtre, car, dès aujourd’hui, nos forces déployées en opérations extérieures, nos points d’appui au Moyen-Orient et en Afrique et nos alliés dans cette région du monde peuvent être menacés.

Mais nous devons également prendre en compte une autre menace, qui actuellement est faible, mais qui ne pourra plus être écartée dans un proche avenir : l’hypothèse dans laquelle un adversaire potentiel utiliserait des capacités balistiques à moyenne ou longue portée pour frapper directement le territoire national.

Dans ce cas, c’est bien évidemment la dissuasion nucléaire qui constitue notre garantie fondamentale, et qui doit le rester.

Une défense antimissile capable de protéger les territoires et les populations peut néanmoins la compléter utilement.

Nous avons déjà, dans le Livre blanc, reconnu l’intérêt de l’alerte avancée, pour surveiller la prolifération, en évaluer précisément la menace et, surtout, identifier l’agresseur avec certitude, et donc donner plus de force à la dissuasion.

Quant à la capacité d’interception, même si elle ne vise qu’à contrer une frappe limitée, elle concourt indiscutablement à la protection générale des populations.

On fait souvent observer qu’aucun système ne peut garantir une protection à 100 %, ce qui est vrai. Mais est-ce une raison pour renoncer à toute protection ?

Je voudrais aussi écarter l’idée selon laquelle vouloir se protéger des missiles balistiques révélerait un doute sur la stratégie de dissuasion et l’affaiblirait. La protection est bien l’une des cinq grandes fonctions stratégiques, et il n’y a pas lieu de l’opposer à la dissuasion. Nous nous protégeons de la menace aérienne. Au nom de quoi ne devrait-t-on pas se protéger de la menace balistique ?

Le deuxième grand enjeu de ce débat est d’ordre technologique.

La défense antimissile sera un puissant vecteur de progression des technologies de défense.

La sophistication des équipements requis – satellites d’alerte, radars, intercepteurs, systèmes de commandement et de contrôle – va « tirer vers le haut » les compétences des industries impliquées. Celles-ci pourront acquérir des technologies génériques qui irrigueront l’ensemble de leurs fabrications.

Il s’agit là d’un élément important pour la France, en raison de la place de l’industrie de défense dans notre économie nationale, bien sûr, mais aussi parce que ces technologies intéressent directement notre dissuasion. Pour rester crédible, notre dissuasion doit tenir compte du développement des défenses antimissiles et nous devons donc maîtriser un certain nombre de technologies qui y contribuent.

Enfin, la défense antimissile devient un élément très visible du paysage stratégique. Elle prend une part croissante dans la stratégie des puissances établies ou émergentes, les États-Unis, bien sûr, mais pas seulement eux.

On oublie souvent que le seul système de défense antimissile opérationnel sur le continent européen se trouve en Russie, et la Russie modernise ce système, qu’elle a hérité de l’Union soviétique.

La Chine a réussi en janvier 2010 une interception d’un missile dans sa phase de vol exo-atmosphérique.

L’Inde s’est engagée récemment dans un programme national d’intercepteurs balistiques.

Le Japon et Israël ont acquis « sur étagères » et également codéveloppé avec les États-Unis des systèmes de défense antimissile.

Nous ne pouvons pas ignorer cet environnement.

Nous voyons aussi que la défense antimissile joue un rôle de plus en plus important dans les partenariats de défense. Elle est devenue un outil diplomatique au service d’une stratégie d’influence, comme le fut le « parapluie nucléaire » au temps de la guerre froide. Les États-Unis n’en font pas mystère. Dans leur Ballistic Missile Defense Review de 2010, ils présentent très clairement la défense antimissile comme l’élément clef des garanties de sécurité qu’ils accordent à leurs alliés, aussi bien en Asie de l’Est qu’au Moyen-Orient ou en Europe.

Face aux différents enjeux que je viens d’énumérer, la France ne peut rester dans l’expectative. Elle doit définir une stratégie.

Très objectivement, il faut reconnaître que cela n’est pas facile. La participation comme la non-participation comportent des risques qu’il faut évaluer. C’est ce que j’ai résumé dans le rapport en disant que nous sommes pris entre le Charybde budgétaire et le Scylla stratégique !

Le premier risque est d’ordre budgétaire.

Le niveau d’ambition et l’architecture d’ensemble d’un système de défense antimissile balistique assurant une couverture du territoire européen restent à définir. Quelle sera la part des moyens financés en commun au sein de l’OTAN et de ceux qui seront mis à disposition par les États-Unis ou pris en charge par les autres nations ?

La question des coûts est loin d’être clarifiée. La sophistication des technologies requises, la tentation de surenchères sur les spécifications du système pour en accroître les performances, ainsi que les déconvenues déjà constatées dans la gestion de certains programmes multinationaux sont autant de facteurs de dérives financières potentielles.

Dans le contexte budgétaire actuel, et alors que le déficit capacitaire des pays européens dans le domaine conventionnel perdure, il faut éviter que des ambitions excessives ne conduisent à se lancer dans des investissements hors de portée, au détriment de besoins essentiels.

À cela s’ajoutent les doutes sur le retour industriel possible d’un investissement européen. L’expérience du programme JSF, Joint Strike Fighter, nous incite à la vigilance contre un risque de siphonnage des budgets de défense européens.

À ce possible effet d’éviction budgétaire s’ajoute un deuxième risque. Certains de nos partenaires à l’OTAN se sont placés dans une logique de substitution par rapport à la dissuasion nucléaire, alors que celle-ci demeure essentielle face à une menace sur notre territoire et nos populations. La dissuasion ne saurait être délaissée au profit d’une protection imparfaite, qui ne saurait être plus qu’un outil complémentaire. De même, la défense antimissile balistique ne doit pas entretenir un sentiment illusoire de sécurité qui accentuerait le désengagement des nations européennes dans la défense.

À l’inverse, on discerne très bien les risques auxquels s’exposerait notre pays en s’abstenant, en premier lieu celui d’un effacement stratégique.

J’ai indiqué voilà un instant que les progrès réalisés dans les technologies de l’interception auraient immanquablement, à terme, des incidences sur la crédibilité de notre dissuasion. Faire l’impasse sur les développements à venir en matière de défense antimissile balistique pourrait compromettre l’autonomie stratégique que nous souhaitons conserver avec notre force de dissuasion.

En restant à l’écart de ce projet, la France prendrait également le risque de rater plusieurs marches technologiques déterminantes pour d’autres domaines que la dissuasion.

Enfin, il s’agit de savoir si la France et plus largement l’Europe veulent accéder à une certaine maîtrise de ces outils de défense qui, hors d’Europe, iront en se développant.

La démarche multilatérale initiée par les États-Unis au sein de l’OTAN évite à l’Europe d’être impliquée à son corps défendant dans la défense antimissile, par le biais d’accords bilatéraux. Toutefois, si la défense antimissile de l’OTAN devait se résumer à une simple couverture de l’Europe par des moyens et un système de commandement exclusivement américains, sans réelle contribution européenne à la décision, cela reviendrait pour l’Europe à renoncer à assurer par elle-même une part de sa propre défense. A fortiori, elle ne pourrait apporter la moindre contribution aux besoins de protection de ses alliés.

La France est certainement en Europe le pays le mieux placé pour favoriser cette contribution européenne qui nous éviterait un total effacement stratégique. Nous développons, avec le démonstrateur Spirale, une capacité d’alerte avancée. Nous mettons en service le missile de défense de théâtre Aster 30. Nous possédons un savoir-faire unique en Europe en matière balistique. Notre industrie participe à l’élaboration du système de commandement et de contrôle de l’espace aérien de l’OTAN, dont la fonction sera élargie à la défense du territoire européen contre les missiles balistiques.

Toutefois, la plupart de ces programmes ou de ces compétences ne sont pas financés à la hauteur nécessaire pour garantir la synchronisation avec le calendrier envisagé à l’OTAN. La mise en œuvre autonome du système sol-air moyenne portée, avec l’Aster, supposerait de disposer d’un radar de poursuite M3R dont l’entrée en service n’est pas prévue avant le début de la prochaine décennie. Les programmes liés à l’alerte avancée sont encore au stade de démonstrateurs. Les compétences en matière d’interception sont sous-financées et leur pérennité n’est pas assurée.

Dans ce contexte, trois orientations doivent, à mon sens, être privilégiées.

Tout d’abord, nous devons définir clairement les conditions de notre engagement.

La première de ces conditions est la réaffirmation du rôle central de la dissuasion dans la protection des territoires et des populations contre la menace balistique. Nous avions là une différence d’appréciation importante avec l’Allemagne, mais nous avons eu raison de maintenir une position extrêmement ferme et de nous opposer à ce que, d’une manière ou d’une autre, les documents de Lisbonne laissent apparaître la défense antimissile comme un substitut possible à la dissuasion, alors qu’elle ne doit constituer, à notre sens, qu’un complément.

Nous devons aussi encourager l’association de la Russie afin de faire de la défense antimissile un domaine de coopération et non de confrontation avec l’OTAN. De ce point de vue encore, le sommet de Lisbonne marque une avancée notable. Certes, il ne faut pas méconnaître les difficultés soulevées par une telle coopération, mais il était indispensable que l’intérêt en soit reconnu par les deux parties.

Nous devons particulièrement veiller, dans la définition du système de commandement et de contrôle, aux règles d’engagement et aux conditions de raccordement de nos propres moyens nationaux.

Enfin, nous devons insister pour que les ambitions assignées à la défense antimissile de l’OTAN demeurent réalistes – ce ne pourra pas être un bouclier sans faille – et adaptées à l’évolution de la menace. Le financement commun devra se limiter au système de commandement.

Sur ce plan, la déclaration de Lisbonne se réfère explicitement au niveau de la menace, à la soutenabilité financière et à la faisabilité technique. Elle prévoit également l’élaboration, d’ici à juin 2011, d’un plan d’action sur les étapes de mise en œuvre de la défense antimissile, qui devra être adopté par les ministres de la défense. Je considère, monsieur le ministre d’État, que, dans ce cadre, nous devrons particulièrement veiller à promouvoir une approche graduelle et raisonnable, fondée sur une appréciation précise et réaliste des coûts.

La deuxième orientation à privilégier est d’accentuer notre investissement national.

Notre système de défense antimissile de théâtre doit pouvoir être mis en œuvre de manière autonome à une échéance plus rapprochée. Il faut donc accélérer la réalisation du radar de poursuite, afin de consolider la contribution française au programme de défense antimissile de théâtre de l’OTAN.

L’effort visant à acquérir une capacité d’alerte spatiale dans la seconde moitié de la décennie doit être maintenu et, si possible, accéléré. C’est une capacité stratégique qui constituera un apport précieux pour le système de défense antimissile de l’OTAN.

La France doit également développer ses compétences dans les technologies de l’interception, ne serait-ce que pour assurer la crédibilité de la dissuasion. L’enveloppe consacrée aux études amont devrait être majorée, par rapport aux dotations prévues dans la loi de programmation militaire, pour permettre l’acquisition des briques technologiques nécessaires. Un volume annuel supplémentaire de l’ordre de 50 millions d’euros de crédits de recherche et technologie serait de nature à répondre à cet objectif.

Enfin, troisième orientation, il nous faut travailler à une réponse spécifiquement européenne, même si nous voyons bien la difficulté de la tâche. L’Italie est déjà notre partenaire sur la défense de théâtre. La défense antimissile pourrait également être traitée dans le cadre de notre partenariat stratégique avec le Royaume-Uni.

L’alerte avancée, étant donné sa contribution essentielle à l’autonomie stratégique, apparaît comme un domaine prioritaire de coopération.

Une coopération européenne devrait également être recherchée dans le domaine de l’interception, afin d’être en mesure de fournir une contribution européenne à la défense contre les missiles balistiques de portée moyenne et intermédiaire.

Telles sont, mes chers collègues, les conclusions que j’ai tirées de notre travail sur ce dossier.

Qu’on le regrette ou que l’on s’en félicite, la question ne se pose plus de savoir si la défense antimissile de l’OTAN se fera : elle se fera, et je serai tenté de dire, avec ou sans nous.

Mme Michelle Demessine. C’est fait !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Dans ces conditions, et sauf à accepter l’effacement stratégique de la France, la question pour nous est non plus de savoir si nous devons nous engager, mais comment nous devons le faire.

C’est un défi que la France doit relever. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La conférence des présidents n’ayant pas organisé ce débat, les dispositions de l’article 29 ter, alinéa 3, du règlement s’appliquent.

Il est donc attribué un temps de deux heures réparti de la manière suivante :

Groupe Union pour un mouvement populaire : 39 minutes ;

Groupe socialiste : 32 minutes ;

Groupe Union centriste : 16 minutes ;

Groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche : 15 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 13 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe : 5 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le retard avec lequel ce débat intervient - non pas à la veille, mais au lendemain du sommet de l’OTAN à Lisbonne -, nous place devant le fait accompli.

Nous sommes pris dans un engrenage.

La déclaration du sommet de Lisbonne entérine à travers le prétendu « nouveau concept stratégique de l’OTAN » la transformation de celle-ci en une alliance globale et multifonctionnelle, à la fois militaire et civile, contre une gamme de menaces aussi diverses qu’imprécises, à l’intérieur des frontières de l’OTAN comme à l’extérieur, doublonnant l’ONU et réduisant l’Union européenne à une fonction complémentaire et subordonnée. Voilà la vérité !

La décision a été prise à Lisbonne de développer une capacité de défense antimissile « pour protéger les populations, le territoire et les forces de tous les pays européens de l’OTAN ». C’est la doctrine américaine de défense des territoires.

Cette nouvelle mission ne correspond pas à notre doctrine de défense, qui repose d’abord sur la dissuasion.

La déclaration de Lisbonne s’inscrit pleinement dans les perspectives fixées par le Président Obama d’un « monde sans armes nucléaires » – bien loin de devoir se concrétiser d’ailleurs, il y a la diplomatie déclarative et la réalité de ce que l’on fait – et « d’une réduction de notre dépendance, dans la stratégie de l’OTAN, à l’égard des armes nucléaires ». « La défense antimissile deviendra partie intégrante de notre posture générale de défense ». C’est le texte de la déclaration de Lisbonne.

Il est fait allusion à « une combinaison appropriée de forces conventionnelles, nucléaires et de défense antimissile ». C’est exactement la doctrine américaine, si vous vous référez à la Nuclear Posture Review parue en avril 2010. Nous y sommes, monsieur le ministre d’État. (M. le ministre d’État fait un signe de dénégation.) La réduction de la place du nucléaire a son envers, que chacun connaît bien : c’est tout simplement l’augmentation de la possibilité des guerres conventionnelles.

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants. Vive la prolifération !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le concept américain repose sur une triade : les armes nucléaires, dont les États-Unis déclarent vouloir réduire le rôle, les armes conventionnelles de nouvelle génération, Prompt Global Strike, dont le rôle serait appelé à s’étendre et, enfin, la défense antimissile balistique, qui permet aux États-Unis avec un budget représentant, à lui seul, l’équivalent de tous les autres, d’arroser leurs industries de haute technologie. M. Daniel Reiner l’a très bien expliqué, je n’y reviens pas.

C’est en même temps pour les États-Unis le moyen de se subordonner leurs alliés, si tant est qu’ils font l’objet d’une menace : le Japon et la Corée du Sud sans doute par rapport à la Corée du Nord ; Taïwan et les pays du Sud-Est asiatique par rapport à la Chine ; les pays du Golfe par rapport à l’Iran ; l’Europe par rapport à l’Iran…

M. Didier Boulaud. Le Groenland !

M. Jean-Pierre Chevènement. Nous savons très bien que les missiles iraniens n’ont pas la portée qui leur permettrait d’atteindre le territoire européen, sauf si, comme un certain nombre d’éléments l’ont révélé récemment – je vous demande, de nous le confirmer, monsieur le ministre d’État – la Corée du Nord avait vendu des missiles longue portée à l’Iran. Cela demande à être vérifié et, à l’évidence, cette menace pour réelle qu’elle puisse être à terme n’est pas immédiate.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Il ne faut pas attendre qu’ils nous tombent dessus !

M. Jean-Pierre Chevènement. La Russie n’est plus considérée comme une menace, bien que l’on ne sache pas ce que seront demain les relations américano-russes.

M. Didier Boulaud. Cela dépend !

M. Jean-Pierre Chevènement. Par conséquent, nous avons une défense antimissile qui correspond à la volonté des États-Unis de soumettre les alliés à leur hégémonie.

Les États-Unis jouent le rôle du réassureur en dernier ressort, ce qui ne va pas sans quelques contreparties, le fameux burden sharing, le « partage du fardeau ». Cela peut ne pas se traduire sous forme de budget militaire, mais le rôle du dollar, par exemple, la planche à billets, le financement du déficit américain grâce à des bons du Trésor que nous sommes aussi heureux que d’autres d’acheter, n’est-ce pas une forme de vassalisation subtile ?

Il ne faut pas se faire d’illusions sur ce qui est en train de se passer. La France avait toujours été réservée, pour ne pas dire hostile, au bouclier spatial américain, et ce dès 1984. Son langage a évolué. Le Président de la République, dans son discours de Cherbourg, a admis que la défense antimissile pouvait être un « complément » de la dissuasion nucléaire française, mais en aucun cas un substitut. L’argument est connu : la possession d’un glaive ne dispense pas de se donner la protection d’un bouclier.

M. de Rohan a rappelé qu’il y avait bien une défense antiaérienne, pourquoi pas une défense antimissile ? Sauf que là, on se place par rapport à une menace qui toucherait nos intérêts vitaux. Mais, à mon sens, la dissuasion est un bouclier aussi, dans la mesure où elle dissuade l’agresseur de passer à l’acte. Nous avons donc deux boucliers, dont l’un évidemment répond à un concept différent de l’autre : une arme de non-emploi, d’un côté, une arme de défense classique, de l’autre.

Dans la lutte entre le glaive et le bouclier, il n’y a pas d’exemple que le glaive ne l’ait pas, en définitive, emporté. On sait par des renseignements puisés aux meilleures sources – M. le président de la commission ne me démentira pas – que les interceptions réalisées par les États-Unis, dans des conditions d’exercice, ne réussissent qu’à 80 % seulement. L’étanchéité du bouclier spatial n’est donc pas parfaite.

L’argument selon lequel la défense antimissile permettrait de rester en dessous du seuil nucléaire est quelque peu spécieux : ne pourrait-il passer pour un encouragement à l’agression ?

Autre argument : cette défense répondrait à la demande de protection des populations. Un responsable de votre ministère a évoqué, monsieur le ministre d’État, la chute d’un missile classique sur Aix-en-Provence. (Sourires.) Mais, que je sache, les habitants d’Aix-en-Provence ne se sentent pas aujourd’hui particulièrement menacés. Ils font confiance, comme le reste de la population française, à la dissuasion pour assurer leur protection, y compris contre l’Iran, s’il advenait que ce pays s’en prenne un jour à nos intérêts vitaux.

Par ailleurs, on évoque le souci de sécurité exprimé par nos alliés en Europe. Encore faudrait-il que ceux-ci commencent par renoncer à contester le principe même de la dissuasion nucléaire, alors qu’ils ne disposent d’aucune garantie fiable en dehors de celle-ci.

Loin d’être complémentaire de la dissuasion, la défense antimissile pourrait se révéler contradictoire, par le coût financier prohibitif qu’elle représente potentiellement et par le sentiment de fausse sécurité qu’elle ne manquerait pas d’entraîner dans l’opinion, en créant un syndrome « ligne Maginot ». Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de voir que les pays partisans de la défense antimissile en Europe sont ceux qui consacrent le moins d’efforts à leur défense.

Quels sont les faits nouveaux qui pourraient justifier l’adhésion de la France à la défense antimissile ?

Le premier fait nouveau est l’évolution de la menace, du fait de la prolifération balistique. Loin de moi la volonté de contester que la Corée du Nord et l’Iran ont fait un certain nombre de progrès dans les domaines, notamment, de la séparation des étages et du carburant solide. D’autres pays vendent des missiles et, par conséquent, contribuent à une certaine menace, bien que, à mon sens, le territoire national ne soit pas aujourd’hui menacé.

Le deuxième fait nouveau concerne nos industries de défense, et tout a été dit sur ce sujet. Elles veulent, bien sûr, rester dans la course, mais à quel prix ? Nous ne pouvons pas payer le même prix que les États-Unis. Et pour quoi faire ? Il faut trouver un bon équilibre entre le souci de notre sécurité et les dépenses faramineuses qu’il faudrait engager pour « rester dans la course ».

Le troisième fait nouveau, c’est la volonté du Président de la République de réintégrer l’OTAN, devenue l’instance d’élaboration et de mise en œuvre de la politique de défense des pays de l’Union européenne.

Nous sommes coincés !

Nous allons payer 200 millions de dollars – c’est que l’on nous dit - pour l’accès au système de commandement et de contrôle, dit C2. Cela fait 25 millions pour la France, si mes calculs sont bons.

En fait, le coût est évidemment sous-évalué. La seule défense de théâtre pourrait coûter 833 millions d’euros, ce à quoi il faudrait ajouter le coût des phases 3 et 4, qui, lui, sera tout à fait exorbitant, et il n’est pas chiffré.

Rappelons que l’OTAN accuse cette année un déficit de 650 millions d’euros, qui pourrait atteindre 1,4 milliard d’euros en 2011. L’étude de faisabilité d’un système de défense antimissile commandée au sommet de Strasbourg-Kehl n’est pas achevée ; l’architecture n’est pas définie ; le contrôle politique pas davantage, et personne ne se fait d’illusion, monsieur le ministre d’État : la décision sera, bien évidemment, américaine, qu’elle soit celle du Président des États-Unis ou celle du Commandant suprême des forces alliées en Europe, le SACEUR.

Compte tenu des implications financières prévisibles et de la crise des finances publiques, il y a là une certaine responsabilité : elle sera la vôtre et vous allez devoir l’assumer, monsieur le ministre d’État. Je me permets de vous le dire très franchement.

Nous n’avons pas à légitimer ni même à cautionner un projet d’extension au territoire de l’Europe de la défense antimissile américaine. Nous n’en avons pas les moyens, les autres pays européens non plus. Nous vous faisons confiance, si je puis dire, pour appuyer sur la pédale de frein !

Par ailleurs, quelles que soient les précautions oratoires – l’OTAN alliance nucléaire, tant qu’il y aura des armes nucléaires – nous n’avons pas réussi à faire inscrire dans la déclaration finale du sommet de Lisbonne le fait que la défense antimissile était un complément et, en aucun cas, un substitut à la dissuasion. La réalité est à l’inverse : le ralliement au principe de la défense antimissile contribuera à l’érosion politique de la dissuasion française, en France, dans l’opinion publique, et en Europe, où le sentiment d’une fausse sécurité venue d’ailleurs sapera ce qui reste d’esprit de défense.

J’ajoute les risques d’une course aux armements, rappelée par le Président Medvedev et le Premier ministre Poutine. Il faut écouter ce que disent les responsables d’un grand pays comme la Russie, monsieur le ministre d’État.

Je ne veux pas être négatif par principe, une défense de théâtre correspond certainement à un besoin de protection de nos forces, voire de sites sensibles. Nous disposons d’un savoir-faire certain avec le système de défense antimissile SAMP/T. Il est donc envisageable d’accélérer la réalisation du radar M3R, si nous en avons les moyens, afin de pouvoir nous acquitter en nature, si c’est possible, de notre contribution au programme ALTBMD, Active Layered Theater Ballistic Missile Defence, de l’OTAN, qui correspond à une défense de théâtre, c’est-à-dire à un autre concept. Mais il n’y a pas de raison de s’engager plus avant.

J’incline à partager l’avis du président de la commission des affaires étrangères quant à l’acquisition d’une capacité d’alerte spatiale dans la seconde moitié de la décennie, à condition qu’on ne se laisse pas entraîner dans des projets d’interception dans l’exo-atmosphérique, où les Américains ont englouti des moyens sans commune mesure avec les nôtres.

Enfin, nous pouvons continuer à développer nos capacités d’interception dans les couches moyennes-hautes de l’atmosphère.

Un projet a été élaboré par les industriels de défense. Mesurons-le à l’aune de nos besoins de sécurité. Nous devons rester performants sans nous laisser happer par l’engrenage d’une course aux armements.

Je passe sur la coopération européenne évidemment souhaitable et je conclus en disant que vous devez veiller, monsieur le ministre d’État, à ce que la France ne se laisse pas entraîner dans un engrenage non maîtrisable. Le monde sans armes nucléaires, dont le Président Obama avait dessiné la perspective à Prague, ne s’est pas rapproché. Il sera très difficile au Président Obama, vous le savez, de faire ratifier le traité d’interdiction des essais nucléaires, compte tenu de la très faible majorité dont il dispose au Sénat. Les pays d’Asie continuent de développer leurs arsenaux. La sagesse populaire nous rappelle qu’il ne faut jamais lâcher la proie pour l’ombre.

Dans une période d’austérité où nos finances publiques sont mises à rude épreuve, si la France s’engageait dans cette doctrine plus avant que je ne l’ai dit, monsieur le ministre d’État, ce serait totalement incompréhensible pour l’opinion et vous saperiez ainsi le consensus national sur la défense que nous avons eu beaucoup de peine à réunir, et à maintenir.

Nous jugerons donc, monsieur le ministre d’État, la politique du Gouvernement sur les actes, sur votre capacité à ne pas nous laisser entraîner sur la voie dangereuse qui a été ouverte à Lisbonne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG ainsi que sur quelques travées de lUMP.)

M. Didier Boulaud. C’est le front reconstitué !

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me féliciter de la tenue de ce débat, dû à une demande de nos collègues socialistes, sur la défense antimissile balistique.

Mais nous débattons après coup, après que la décision a été prise il y a quinze jours, au sommet de l’OTAN, à Lisbonne.

Je sais bien, monsieur le ministre d’État, qu’un concours de circonstances indépendant de votre volonté explique cette situation, mais, dans ces conditions, je suis sans illusion sur la portée du débat que nous consacrons aujourd’hui aux orientations de notre politique de défense.

Je le regrette d’autant plus vivement que votre ralliement et celui du Président de la République au système de défense anti-missile constitue une inflexion majeure, voire un revirement stratégique, sur certains aspects de notre politique de défense. Ce ralliement marque aussi l’abandon de l’ambition d’une défense européenne.

Cette évolution de doctrine aurait dû être démocratiquement précédée d’un débat parlementaire. En effet, avec cette décision, vous remettez en cause deux importants concepts stratégiques de votre politique de sécurité et de défense : la doctrine française de la dissuasion nucléaire et la construction d’une Europe de la défense. Je pense qu’il n’est pas excessif de parler de revirement sur cette question, puisque, jusqu’à une date récente, la France manifestait de sérieuses réticences à l’égard d’un système de défense hérité de la « guerre des étoiles » du président Reagan. Pendant longtemps, notre pays a pourtant estimé que la dissuasion nucléaire et la défense anti-missile étaient incompatibles parce qu’elles reposaient sur deux logiques différentes.

Quelques semaines avant le sommet de Lisbonne, votre prédécesseur, Hervé Morin, parlait encore de « ligne Maginot », doutait de l’efficacité du bouclier anti-missile et critiquait la répartition des coûts ainsi que la maîtrise d’emploi de ce système d’armes. Il estimait peut-être implicitement que contribuer au développement de ce projet aggraverait la dépendance des pays européens à l’égard des États-Unis en les mettant de nouveau sous le parapluie nucléaire américain, alors qu’ils réduisent, dans le même temps, leurs budgets militaires en raison de la crise financière. Peut-être considérait-il aussi qu’un tel bouclier mettrait inévitablement en question l’utilité et la crédibilité de la dissuasion nucléaire française. Il posait de vraies questions.

À Lisbonne, vous n’avez pas obtenu de réponses claires, car accepter de contribuer à ce projet comporte de graves inconvénients et aura de lourdes conséquences sur notre politique de défense. Sa fiabilité est incertaine et les experts en la matière ne l’estiment efficace qu’à hauteur de 80 % des tirs. La doctrine d’emploi est encore mal définie. Vous n’avez aucune garantie sur la chaîne de commandement et de contrôle de ce bouclier, ainsi que sur les règles d’engagement.

Il est pourtant vraisemblable que seuls les États-Unis seront maîtres des tirs, puisqu’il est prévu que le système soit raccordé, sous un commandement unique, à la défense aérienne de l’OTAN et au système anti-missile américain. Le coût sera certainement bien supérieur aux 200 millions d’euros annoncés par le secrétaire général de l’OTAN. En tout état de cause, les sommes qui lui seront consacrées représenteront autant de moyens en moins pour financer des coopérations européennes sur des programmes d’armement.

En ce qui concerne notre pays, une participation à hauteur de 12 % du montant total estimé freinera considérablement notre effort de défense et mettra certainement en cause quelques-uns de nos programmes d’équipement. Les pays européens contribueront financièrement, mais n’ont absolument aucune garantie de retombées industrielles propres. Connaissant la puissance de l’industrie américaine de défense, on peut, là aussi, légitimement craindre qu’elle soit seule à tirer le bénéfice de la réalisation de ce projet, laissant la sous-traitance à nos industries.

Ces données objectives conduiront presque automatiquement à entraver davantage encore la construction d’une défense européenne commune. La perspective d’une Europe de la défense émancipée de l’influence pesante de l’OTAN s’éloignera d’autant. La conséquence négative de tout cela sera une accentuation de la dépendance stratégique, technologique, industrielle et politique des pays européens, en particulier le nôtre, à l’égard des États-Unis, dont l’influence reste prépondérante au sein de l’OTAN.

Le bouclier anti-missile est, par ailleurs, en totale contradiction avec votre conception de la dissuasion nucléaire. La dissuasion repose, en effet, sur une doctrine de non-emploi de l’arme nucléaire. Le bouclier anti-missile s’inscrit, quant à lui, dans une logique stratégique différente, qui vise à se prémunir contre des adversaires potentiels en détruisant en vol des missiles. Ces deux options sont difficilement conciliables.

À Lisbonne, l’ensemble des pays membres de l’OTAN ont accepté, pour diverses raisons, de contribuer à la réalisation de ce projet. Le plus grand nombre d’entre eux, en particulier les pays ayant appartenu au pacte de Varsovie, estiment que cela leur permettrait de bénéficier de la protection nucléaire américaine et de réduire ainsi leur budget de défense. L’Allemagne et les pays nordiques y voient, pour leur part, un moyen de dénucléariser l’Europe en substituant le système de défense anti-missile à l’arme nucléaire et de rendre, par là même, inutiles les forces nucléaires britanniques et françaises.

On envisage donc mal comment pourra s’articuler la coexistence de ces deux systèmes de défense, qui sont bien loin d’être complémentaires. En voulant concilier des options divergentes, vous avez aussi abouti, à Lisbonne, à un compromis qui rend votre politique de défense floue et ambiguë.

Enfin, tel qu’il est actuellement envisagé, le bouclier risque de relancer la course aux armements. On le mesure bien, d’ailleurs, à la réaction des Russes, qui, faute d’obtenir des garanties suffisantes en matière de coopération et de contrôle du système et de sa chaîne de commandement, menacent de déployer de nouvelles armes offensives. Ils doutent de la volonté des États-Unis de réellement contribuer au désarmement et font de la ratification des accords START un test. La réaction prévisible de tous les pays s’estimant visés par ce système d’armes contribuera donc à alimenter la course aux armements dans le monde.

Tous ces reculs, ces revirements, révélés par notre ralliement au bouclier anti-missile, sont la suite logique de notre pleine réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN. Le Président de la République avait justifié sa décision, prise au prix de la perte de nos atouts et de notre autonomie stratégique, en prétendant regagner la confiance de nos alliés et faire avancer l’Europe de la défense. Pour ne pas déplaire à ceux-ci, vous vous sentez maintenant tenus d’accepter un système de défense qui, malgré vos subtilités sémantiques sur le « complément » ou le « substitut » et vos acrobaties stratégiques, est pourtant antinomique de la dissuasion nucléaire. Nous payons ainsi le prix d’évolutions successives de nos doctrines de défense vers un alignement atlantiste qui nous placera dans une dépendance accrue à l’égard des États-Unis. Ces inflexions, par petites touches, de la doctrine de la dissuasion nucléaire doivent être clarifiées.

Derrière tout cela s’ébauche, en effet, une nouvelle doctrine en matière de défense dont nous condamnons à la fois les orientations et l’imprécision. Monsieur le ministre d’État, vous savez que notre opposition à l’arme nucléaire est essentiellement motivée par le fait que nous contestons sa pertinence pour répondre militairement aux menaces et aux défis de notre époque. Elle n’est plus non plus un moyen efficace de garantir la paix et d’assurer un système de sécurité collective.

Ce sont ces raisons qui font craindre que votre décision n’entraîne des répercussions négatives. Il serait dommageable que l’image positive que nous avons acquise auprès de nombreux pays émergents, grâce à notre attitude exemplaire, en matière tant de ratification des traités que d’efforts de réduction de notre arsenal nucléaire, soit à nouveau ternie par la position que vous avez adoptée à Lisbonne.

Ce soutien paraît contradictoire avec la volonté, encore affichée lors de la dernière conférence de révision du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, de prendre des initiatives en faveur d’un processus de désarmement nucléaire.

Pour ma part, je considère que, pour sortir de ce dilemme et clarifier les choses, notre pays devrait concrétiser par des actes sa volonté de progresser sur la voie du désarmement nucléaire. Pour montrer les dangers pour la paix de ce bouclier, proposons solennellement à tous les États possédant l’arme nucléaire de s’engager à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs.

Plus généralement, montrons à nouveau l’exemple par une réduction significative de notre arsenal nucléaire, en interrompant notre programme de missiles stratégiques M 51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu’un instrument de défense adapté aux menaces d’aujourd’hui. Nous respecterions en cela l’un des engagements pris au travers de la signature du TNP de ne pas procéder à la recherche de nouveaux systèmes d’armes nucléaires.

Proposons enfin, pour tous les pays, des doctrines de dissuasion strictement limitées au non-emploi des armes nucléaires, comme l’était la nôtre avant les inflexions décidées par les présidents Chirac et Sarkozy dans leurs discours respectifs de l’Île Longue et de Cherbourg.

Telles sont, monsieur le ministre d’État, les réflexions que nous inspirent les récentes évolutions de votre politique de défense. (M. André Vantomme applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les 19 et 20 novembre derniers, un sommet de l’OTAN important s’est tenu à Lisbonne. Les vingt-huit chefs d’État et de Gouvernement des pays membres ont approuvé un nouveau concept stratégique. Ils ont exprimé leur volonté de se doter de tout l’éventail des capacités nécessaires pour s’adapter aux mutations internationales des dix dernières années. Pour cela, ils ont notamment décidé de développer une capacité de défense anti-missile et ils ont invité la Russie à coopérer avec l’OTAN dans ce domaine.

Une impulsion politique forte a donc été donnée à Lisbonne. En revanche, l’architecture du système, les concepts opérationnels, le coût du dispositif, les conditions de participation et de décision des pays européens devront être examinés dans les mois à venir.

Je salue l’organisation du présent débat au Sénat à un moment opportun, lorsque l’orientation est connue mais que le chemin doit encore être tracé. Le débat de ce soir ne consiste pas à nous interroger sur le point de savoir si, oui ou non, la France doit prendre une part active au système anti-missile que l’OTAN a décidé de bâtir. Comme le président de Rohan, je dis que la réponse à cette question est « oui ».

Premièrement, il s’agit de nous doter d’un nouvel outil militaire. En dehors du cercle des puissances majeures, on observe le développement rapide de capacités balistiques. Les technologies maîtrisées par certains pays dans le domaine de la courte et de la moyenne portées sont plus avancées que le Livre blanc de 2008 ne le prévoyait. À Lisbonne, le Président de la République a explicitement évoqué la menace iranienne. Sur ce point, je tiens à dire qu’il faut veiller à ne pas diaboliser l’Iran. Ce pays a, à sa tête, des dirigeants dangereusement caricaturaux, mais une partie de la société civile et de la classe politique iraniennes souhaite apaiser les relations avec les pays occidentaux. Aujourd’hui, l’Iran ne fait pas peser de menace imminente et sérieuse sur la France et ses alliés ; il faut le souligner. C’est la voie du dialogue ferme qui doit être privilégiée, pour que l’Iran ne reste pas à l’écart de la communauté internationale.

Cependant, pour être forte, une armée doit anticiper et se prémunir contre des risques futurs. À l’horizon 2020, il faut nous prémunir contre une attaque balistique sur le territoire national. Depuis de nombreuses années déjà, les États-Unis considèrent que la dissuasion nucléaire n’offre plus une garantie suffisante. Nous pouvons ne pas partager cet avis, mais nous ne pouvons pas l’ignorer.

Le Président de la République a indiqué quelle était la position française : « la défense anti-missile peut être un complément utile à la dissuasion nucléaire mais ne saurait s’y substituer ». Cette formulation est satisfaisante. Elle clôt un débat d’arrière-garde sur le sujet : arrêtons de nous interroger pour savoir si la défense anti-missile va remplacer la dissuasion nucléaire ! Cette question est résolue : la réponse est « non », toute idée de substitution est exclue.

L’Amérique de Reagan a nourri le fantasme de l’invulnérabilité. Elle a rêvé d’un bouclier impénétrable ; c’était il y a bientôt trente ans, aux États-Unis. Avec sa géographie étriquée et son histoire jalonnée de guerres, l’Europe n’a jamais entretenu ce fantasme. Il n’est pas question de renoncer à la dissuasion nucléaire. La défense anti-missile doit être « un complément utile ».

Deuxièmement, il faut prendre part à la défense anti-missile de l’OTAN pour en tirer des bénéfices technologiques. La mise au point d’une défense anti-missile est un puissant facteur de développement technologique. Elle implique de maîtriser les satellites et les radars d’alerte avancée, les radars de poursuite, les intercepteurs et les systèmes de commandement et de contrôle.

L’acquisition de ces technologies peut engendrer des avancées concernant l’ensemble des équipements aéronautiques, spatiaux et électroniques. La France ne peut pas passer à côté de ces progrès. L’investissement dans la défense anti-missile balistique doit permettre d’améliorer la compétitivité de notre industrie de défense et, au-delà, celle de notre industrie civile.

Enfin, la troisième raison qui doit nous inciter à prendre une part active à la défense anti-missile de l’OTAN est diplomatique. La capacité des grandes puissances à proposer à leurs alliés une défense anti-missile balistique « clés en main » devient un outil diplomatique. La France doit développer les technologies nécessaires pour proposer ces services à ses alliés et à ses partenaires.

Pour résumer, la France doit prendre une part active à ce projet parce que c’est un outil de puissance.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission, les États-Unis ont ouvert la voie dès 1983 ; ils ont investi plus de 160 milliards de dollars dans leur « initiative de défense stratégique » ; la Russie modernise l’ancien système de l’Union soviétique ; en janvier dernier, la Chine a réussi son premier test d’interception d’un missile dans sa phase de vol exo-atmosphérique ; l’Inde a démarré récemment un programme national d’intercepteurs balistiques ; le Japon et Israël ont acquis depuis longtemps des systèmes de défense anti-missile.

Pour projeter sa puissance, un État doit toujours avancer sur la voie du progrès technologique. La France ne peut pas se soustraire à cette règle des relations internationales modernes.

La question soulevée par ce débat est la suivante : comment faire ? Comment notre pays peut-il et doit-il participer au projet de l’OTAN ? Quelle contribution pouvons-nous y apporter ? Quelle place dans le commandement et le contrôle du système pouvons-nous occuper ? Quel sera le coût réel de sa mise en place ? Quelles contreparties industrielles pouvons-nous espérer ? Quelles retombées technologiques et économiques pouvons-nous attendre ?

Très rapidement, j’évoquerai trois enjeux, que je considère déterminants.

Premièrement, nous devons être très attentifs aux enjeux industriels. Lorsqu’ils ont mis en place l’initiative de défense stratégique, le premier bouclier anti-missile, les États-Unis ont consacré seulement 1 % du budget à des entreprises non américaines. Aujourd'hui, le déclin industriel américain n’offre pas un contexte favorable à des revendications européennes de partage des techniques. Mais la France a des compétences à faire valoir, et elle doit les faire valoir. Des entreprises françaises développent non seulement des capacités d’interception des missiles intercontinentaux dans l’espace – je regrette d’ailleurs que l’on ait pris deux ans de retard dans le développement du démonstrateur spatial Spirale –, mais aussi des capacités d’interception des missiles à courte et à moyenne portées dans l’atmosphère.

La contribution française pourrait prendre la forme de « briques », s’insérant dans l’édifice collectif de l’OTAN. Ces briques doivent être conçues et construites en France ou en partenariat avec les Britanniques. Ce serait une avancée concrète, dans l’esprit du traité de coopération en matière de défense et de sécurité que nous venons de conclure avec la Grande-Bretagne. À l’article 2 de ce traité, il est prévu que les parties développent « en interdépendance les bases industrielles et techniques de défense et les centres d’excellences autour de technologies clefs ».

Le développement de projets communs fait cruellement défaut à la défense européenne. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, j’ai rappelé que les pays de l’Union européenne comptent quatre-vingt-neuf programmes d’armement différents, contre vingt-sept seulement pour les États-Unis. La fragmentation des marchés de la défense européens coûte cher. Il est urgent de renforcer la coopération, la mutualisation et l’intégration des moyens européens. Si les conditions industrielles sont réunies, la mise en place du bouclier anti-missile peut y contribuer. À cet égard, le défi majeur est l’absence non pas de réalisations techniques, mais d’expérimentations communes. Pour développer les capacités européennes, il faudra veiller à faciliter les essais et le développement intégrés.

Deuxièmement, nous devons être extrêmement attentifs au rôle des États européens dans la prise de décision. Les accords dits « Berlin plus », conclus lors du sommet de Washington en 1999, régissent la mise à disposition de l’Union européenne des moyens et des capacités de l’OTAN. Ces accords, mais aussi la Politique de sécurité et de défense commune, doivent permettre le partage avec les forces de l’Union européenne de la défense anti-missile créée pour l’OTAN.

Les dispositions des accords « Berlin plus » fixent les conditions d’accès et de participation des moyens de l’Union européenne et la nature de l’influence politique qui pourrait être exercée. Ces accords garantissent l’accès de l’Union européenne aux capacités et aux moyens pré-identifiés de l’OTAN. Mais l’Union européenne et l’OTAN ont des vues divergentes sur les conditions posées par les accords « Berlin plus » pour déterminer si les pays qui ne sont membres que de l’OTAN ou de l’Union européenne peuvent utiliser les moyens en question. Le règlement de ces désaccords est particulièrement crucial s’agissant de la Norvège et de la Turquie, étant donné leur importance stratégique pour la défense anti-missile.

Troisièmement – et c’est peut-être l’enjeu le plus important –, il faut rechercher activement la pleine coopération de la Russie, et prendre la pleine mesure de ce que cela implique.

Le développement d’un système anti-missile constitue une évolution majeure du dispositif de protection du territoire européen par l’OTAN. L’alternative est claire : soit ce projet sera vécu par la Russie comme une menace contre sa propre dissuasion nucléaire, et une nouvelle course à l’armement commencera, soit la Fédération de Russie y sera associée, et cela ouvrira une nouvelle page dans l’histoire de la défense du continent européen.

Dans un entretien diffusé mercredi 1er décembre sur CNN, le Premier ministre Vladimir Poutine a agité la menace d’une nouvelle course aux armements en cas de non-coopération entre la Russie et l’OTAN sur ce dossier. Il reprenait quasiment les propos tenus la veille par le Président Medvedev devant les parlementaires russes. Il a été chaudement applaudi lorsqu’il a affirmé que « sans accord constructif, une nouvelle course à l’armement commencera ».

Cette tonalité guerrière, contraire à l’esprit qui a manifestement prévalu au sommet de Deauville, cache peut-être le souhait de la Russie d’être mieux intégrée dans le concert des nations de l’OTAN. Si l’on parvient à une vraie coopération avec la Russie, la place de l’État russe dans l’architecture de sécurité de l’Europe pourrait changer radicalement la donne. Une association de la Russie supposerait un partage d’informations sensibles sur des zones d’intérêts communs, la mise en commun de technologies militaires et duales de très haute qualité, la définition d’un spectre de menaces identifiables pour les deux parties, l’instauration d’un régime de complémentarité militaire entre elles. À terme, il s’agirait de mettre en place un modèle dissuasif partagé. Techniquement, cela impliquerait un partage des matériels et des données sensibles, mais peut-être aussi une association au système de décision, sans angélisme de notre part : les Russes restent les Russes !

Sur ce point, monsieur le ministre d’État, pouvez-nous nous indiquer où en sont les échanges entre l’OTAN et la Russie ? Le Conseil OTAN-Russie est-il le bon cadre pour faire avancer les discussions ? La délicatesse de nos amis Américains a-t-elle encore frappé ? Si l’on parvient à mettre en place une véritable coopération avec la Russie sur ce dossier, la Fédération russe sera arrimée au continent européen. Cela pourrait faciliter les relations mutuellement bénéfiques que l’Union européenne et la Russie essaient de mettre en place en tenant des réunions trimestrielles.

Voilà, monsieur le ministre d’État, la contribution que je voulais apporter à ce débat et les enjeux sur lesquels je souhaiterais connaître votre avis.

Je terminerai en insistant sur trois risques qu’il nous faudra éviter, car le projet n’est pas sans risques.

La France court d’abord un risque budgétaire, avec un possible effet d’éviction des autres programmes de défense. Pour cette raison, la question du coût financier du projet est cruciale et appelle des réponses. Le montant évoqué de 200 millions d’euros sur dix ans semble largement sous-évalué. Le chiffre de 1 milliard d’euros sur la même durée paraît plus crédible, mais j’espère que vous pourrez nous apporter des indications plus détaillées sur ce sujet, monsieur le ministre d’État.

La France court également un risque stratégique. Si nous n’avons pas notre mot à dire dans le futur système de commandement, nous ne maîtriserons pas ce qui est devenu un « complément utile » à notre dissuasion. Cela marquerait un recul de notre souveraineté.

Le projet n’est pas sans risques pour l’Union européenne. Si l’on ne prévoit pas une vraie place institutionnelle pour l’Union européenne, si ce projet procure à nos partenaires un faux sentiment d’invulnérabilité, si l’on délaisse l’Europe de la défense au profit du bouclier, l’Union européenne sera perdante.

Enfin, le projet n’est pas sans risques pour l’ordre international. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la stabilité de l’ordre international repose sur l’équilibre des puissances. Si la mise en place du bouclier anti-missile est vécue comme une rupture de cet équilibre, si d’autres grandes puissances, comme la Chine, considèrent que leur projection de puissance est affaiblie, l’ordre international pourrait être perturbé. Ce risque ne doit pas être ignoré.

Ce projet est une avancée considérable pour la protection de l’Europe. La France gagnera à s’y engager activement, en faisant valoir ses atouts industriels et technologiques, mais veillons à éviter les fantasmes de menaces et d’invulnérabilité et à progresser en se conformant à une éthique de responsabilité et de dialogue. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous y voici : enfin, allais-je dire ! Car ce débat sur la défense anti-missile, nous aurions tant aimé qu’il ait eu lieu au Parlement français avant que notre pays ne se soit engagé dans cette voie par la seule décision du Président de la République, lors du sommet de l’OTAN à Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers.

Monsieur le ministre d’État, je voudrais intervenir ce soir à la fois en tant que sénateur et en tant que membre de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, où je siège depuis près de quinze ans, y représentant aujourd’hui le Sénat, après y avoir été envoyé par l’Assemblée nationale. C’est le lieu d’échanges nombreux et fréquents entre parlementaires des pays membres de l’Alliance atlantique. Avec le temps, nous nous connaissons bien et les relations y sont franches et cordiales et, pourquoi ne pas le dire, très souvent amicales. Cela permet à un parlementaire français de mieux juger de la place et de l’action de notre pays, telles qu’elles sont ressenties à l’étranger. Beaucoup de nos grands décideurs seraient bien inspirés de se forger une telle expérience !

Je n’ai donc pas manqué, au cours des semaines écoulées, à plusieurs reprises et encore tout récemment, au début de la semaine, lors du Forum transatlantique qui s’est tenu à Washington, dont l’un des thèmes de discussion était précisément le bilan du sommet de Lisbonne, de m’enquérir auprès de collègues des autres pays membres de l’OTAN de la manière dont avait été abordée dans leur parlement la préparation du sommet de Lisbonne, en ce qui concerne tant la réforme du concept stratégique que la défense anti-missile.

Tous, à de très rares exceptions près, ont pu en débattre avec leur Gouvernement. Cela paraît tellement évident qu’ils ont été très surpris d’apprendre que la France, qui s’affiche aux yeux du monde comme une démocratie exemplaire et souvent donneuse de conseils,…

M. Didier Boulaud. … membre de premier rang de l’Alliance atlantique, avait jugé opportun de se dispenser d’une telle discussion parlementaire. J’ai de plus en plus l’impression qu’ils découvrent chez nous des pratiques politiques que nous leur masquons soigneusement. Je ne dirai pas qu’ils s’en amusent ou s’en réjouissent, mais ils s’en étonnent ; c’est le moins que l’on puisse dire !

En effet, s’il est un sommet de l’OTAN, dans l’histoire de l’Alliance atlantique, qui méritait que le Parlement y fût associé et eût pu en débattre avant qu’il ne se déroule, c’est bien celui de Lisbonne. Car, outre les deux sujets que je viens d’évoquer, y ont été également abordés la réforme de la structure de l’OTAN, la situation en Afghanistan et le partenariat stratégique avec la Russie. Excusez du peu !

Eh bien, monsieur le ministre d’État, de tous ces sujets, à la différence de la plupart des parlements des autres pays membres de l’Alliance atlantique, le Parlement français n’en a jamais parlé ou, pour certains d’entre eux, il y a très longtemps, souvent à la sauvette. Vous me direz que la France n’est jamais que le troisième ou quatrième contributeur en termes financiers ou d’engagement de troupes. Alors, au diable l’avarice !

Je voudrais tout de même mettre un léger bémol à mon propos et dire que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la houlette de son président, que je remercie, a, malgré tout, au cours des derniers mois, tenté de ne pas se laisser déposséder totalement, en organisant des auditions ou en rédigeant quelques rapports sur certains des sujets évoqués. Mais de débat en séance publique en présence de l’exécutif, que nenni !

Avec le Gouvernement, celui d’hier en particulier –l’avenir nous dira ce qu’il en sera du nouveau ! –, ce fut la belle Arlésienne. C’était d’ailleurs peut-être mieux ainsi, pour lui en tout cas, afin que les ministres ne se trouvent pas en permanence en porte-à-faux avec le seul réel décideur, en l’occurrence l’Élysée.

Je me souviens des contorsions du ministre Hervé Morin sur la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Après nous avoir dit en commission qu’il n’y était pas favorable, il a dû, comme on dit, avaler la couleuvre. Et quelle couleuvre ! Je l’imaginais déjà, le pauvre, en train de promouvoir la défense anti-missile, après l’avoir comparée à la ligne Maginot !

Quant à l’Afghanistan, nous avons eu l’heur de voir et d’entendre le même ministre, ainsi que son collègue des affaires étrangères, en rivalité sémantique dans cet hémicycle afin de se départager pour savoir si c’était d’une guerre qu’il s’agissait ou d’une simple opération de maintien de la paix. Monsieur le ministre d’État, nous espérons que, avec votre arrivée à la tête de ce ministère, les pantalonnades vont prendre fin et que l’on va enfin débattre sérieusement !

Votre action reconnue en tant que ministre des affaires étrangères, dont se félicitait le président Mitterrand lui-même –c’est le Nivernais que je suis qui en porte témoignage ! (Sourires) –, et votre éminente responsabilité passée de Premier ministre nous amènent à penser que les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer, d’autant que vous n’êtes pas resté trop silencieux au cours des mois écoulés, ni sur la question nucléaire ni sur le retour dans le commandement intégré de l’OTAN, même si, sur ce dernier point, votre réponse lors du débat budgétaire m’a quelque peu laissé sur ma faim et me fait craindre déjà votre propre réintégration dans la ligne retenue depuis trois ans… Reste un espoir véritable : nous savons que vous avez réfléchi à tous ces sujets. J’allais dire que vous, vous y avez réfléchi !

Mais revenons à la défense anti-missile, puisque c’est le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Beaucoup de choses ont déjà été dites excellemment par mon collègue Daniel Reiner, qui s’est fait une spécialité de cette question, notamment sur le plan technique ; ce n’est pas le moindre des défis.

Je m’en tiendrai donc aux aspects plus politiques du sujet, aux conséquences qui en découleront pour notre pays, à la place de la France dans le concert des nations dotées de l’arme nucléaire, aux aspects qui touchent à la propre sécurité de notre pays et aussi à son indépendance, notamment à sa liberté d’appréciation de la situation internationale et à sa capacité à décider lui-même de son action, sans oublier d’évoquer rapidement au passage, bien sûr, la problématique de l’Europe de la défense, si tant est que l’on puisse encore y faire référence : ce n’est pas là la moindre de nos inquiétudes.

En effet, cet accord sur le système anti-missile, qui est à bien des égards un succès américain, suscite des motifs de préoccupation plus que sérieux pour les Européens. Dans son mode de fonctionnement prévisible, il présente un triple risque de contrôle politique des États-Unis sur les alliés, de marginalisation des industries de défense européenne et de captage de crédits au détriment des projets visant à construire l’Europe de la défense.

Monsieur le ministre d’État, ma première question sera très directe : êtes-vous en mesure de nous confirmer les propos tenus très récemment par votre prédécesseur devant nos collègues députés, lorsqu’il leur a expliqué que « la défense anti-missile, pour séduisante qu’elle paraisse à l’opinion publique, n’en constitue pas moins une erreur », alors que notre pays vient justement de donner le feu vert à sa mise en œuvre ?

Le très récent ralliement du Président Sarkozy à la défense anti-missile proposée par les États-Unis et son docile missus dominici, M. Rasmussen, secrétaire général de l’OTAN, mérite à tout le moins quelques explications, quand bien même la France a, semble-t-il, mis en œuvre de multiples manœuvres de retardement ou de ralentissement du processus, lesquelles, il faut bien l’admettre, ont échoué.

Notre conviction est faite : l’affaire a été amorcée dès le processus de réintégration du commandement intégré de l’OTAN. Alors, qu’avons-nous réellement obtenu en échange ? Vous ne nous redirez pas, j’ose le croire, que nous avons gagné de nombreuses étoiles, dont, je le crains, la plus en vue est déjà en train de pâlir sérieusement, hélas : c’est désormais un secret de polichinelle.

Il n’était pas anormal que les alliés aient tiré les conclusions qui s’imposaient de notre alignement et que nous ayons été de facto embarqués dans les projets de l’OTAN que nous refusions jusqu’alors. Le Président de la République avait expliqué que notre réintégration serait irrévocablement liée à deux conditions : la redéfinition du concept stratégique de l’Alliance et la mise en route sérieuse de l’Europe de la défense. J’imagine que vous saurez nous convaincre que ces deux conditions sont remplies…

Maintenant, nous y sommes ! Voilà pourquoi les contorsions se multiplient. On nous explique que l’on accepte le principe de la défense anti-missile de territoire – le principe seulement ! –, en ajoutant que celle-ci n’est que le complément de la dissuasion nucléaire. Telle n’est pas notre conviction. Selon nous, il y a, à terme, de vrais risques d’affaiblissement de notre capacité de dissuasion et de décision. Qu’en pensez-vous vraiment, j’allais dire sincèrement ? Sotto voce, on nous dit que, de toute façon, ce n’est pas pour demain et que nos industriels tireront des bénéfices de cette aventure technologique. Ces bénéfices, nous aimerions les connaître : nos industriels seront-ils acteurs ou sous-traitants ?

Comme je le disais à l’instant, le président de Rohan a courageusement tenté de sauvegarder la parole de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au travers d’une communication sur laquelle nous n’avons pas trouvé grand-chose à redire. Pour notre part, nous avons tenté d’analyser sa pensée, dont nous avons d’abord considéré qu’elle visait à ne pas froisser le Gouvernement. On ne saurait lui en faire reproche, en raison de son appartenance à la majorité présidentielle.

Mais nous avons aussi perçu chez lui les mêmes réticences que les nôtres. Sur la défense anti-missile de théâtre, il faut continuer ; nous sommes d’accord. Sur la défense anti-missile de territoire, nous avons ressenti quelques réserves et une ferme volonté de préserver le rôle de la dissuasion ; nous partageons cette volonté. Sur le coût du système, le risque de dérive suscite beaucoup d’interrogations ; elles sont aussi nôtres, car l’état de nos finances, dont la majorité est en grande partie responsable, elle qui gouverne depuis 2002, ne nous permet pas de faire tout et n’importe quoi. S’ajoute à cela le fait que, les moyens financiers de l’OTAN étant ce qu’ils sont, la mise ne place d’un tel bouclier anti-missile hypothéquera à coup sûr les autres capacités de l’Alliance, alors que celle-ci est durablement embourbée en Afghanistan, malgré les annonces incertaines de début de retrait : 2011, 2014, 2016, maintien de forces au-delà ? Plus personne ne sait vraiment qui croire ! C’était bien le sentiment des parlementaires lundi et mardi à Washington.

Enfin, nous avons perçu très distinctement, au travers du rapport du président de Rohan, qu’il ne faudrait pas se mettre entre les mains des Américains. Or, monsieur le ministre d’État, comment pourrait-il en être autrement quant à la décision ultime de mise en route du système si le besoin s’en faisait sentir face à une agression quelconque ? Qui peut croire sérieusement que la décision pourra être partagée par les Américains ?

En résumé, ce que nous avons lu au travers de ce rapport fort bien fait, c’est qu’il faut y être, parce que de toute façon cela peut se faire sans nous ; mais nous avons lu aussi que la France est dans l’OTAN, que la défense anti-missile se fera dans l’OTAN et donc que la France fera partie de la défense anti-missile : curieux syllogisme, qui nous permet de mieux apprécier les conséquences d’une décision unilatérale et à contre-courant de la décision du Président Sarkozy de retourner dans le commandement intégré de l’OTAN, ainsi que de constater, avec une réelle amertume, quelle place est laissée aux choix politiques de la France.

Monsieur le ministre d’État, nous voudrions que la représentation nationale soit éclairée devant ce risque de perte d’autonomie dans la décision pour la France. Qu’en est-il de la mise en place d’un outil de commandement et de contrôle – le fameux C 2 – pour cette nouvelle défense ? Qui commandera réellement le système ?

On nous dit que la décision est prise sur la base d’un projet réaliste, adapté à l’évolution de la menace balistique que font peser certains programmes mis en œuvre au Moyen-Orient. Pouvez-vous nous dire quelle est la réalité de l’évolution de cette menace ? À mots mal couverts, tout le monde semble comprendre que c’est de l’Iran qu’il s’agit. Sans nul doute pourrez-vous nous éclairer sur l’urgence qu’il y a à décider.

Nous attendons de vous, cela va de soi, des réponses précises, et non les mêmes explications que celles que nous fournissent à longueur de colonnes les quotidiens. Nous sommes devenus prudents quant à l’affirmation de ce genre de menaces, dont l’une des premières vertus est d’abord d’entretenir l’inquiétude chez nos concitoyens et de justifier – je fais ici allusion aux propos à peine voilés et souriants que nous a tenus au mois d’octobre, à New York, l’ambassadeur de Russie auprès des Nations-Unies – l’extraordinaire effort d’équipement militaire de tous les pays de la région. L’ambassadeur de Russie nous a d’ailleurs demandé, l’air un peu narquois, si nous n’aurions pas une petite idée sur le nom du pays qui avait bénéficié de ces juteux marchés…

Voyez-vous, monsieur le ministre d’État, je suis devenu extrêmement prudent depuis que, dans cette maison, j’ai eu avec d’autres collègues ici présents le privilège d’entendre, voilà quelques années, l’une de nos soi-disant spécialistes en matière de prolifération nucléaire affirmer qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak. Cette affirmation n’était donc pas l’apanage de George Bush : c’était du Bush à la française ! On sait ce qu’il est advenu de ces fameuses armes et, pour ma part, je ne remercierai jamais assez le président Chirac de ne pas s’être laissé enfumer – pardonnez moi l’expression ! – par ces beaux esprits. (M. Robert del Picchia applaudit.) Sinon, la France serait peut-être encore présente en Irak, et à quel prix !

J’aimerais être convaincu que la même vigilance est encore d’actualité au plus haut sommet de l’État. J’ai parfois quelques doutes à cet égard quand je vois l’allant que la France met, dans le dossier iranien, à se placer en première ligne ; elle est parfois même plus allante que les Américains, qui, si je suis bien informé, semblent d’ailleurs en marquer quelque étonnement. Il serait sans doute dommageable de découvrir dans quelque temps, malgré notre empressement à les devancer, que les Américains ont, de leur côté, entamé en secret et de façon bilatérale des discussions avec les Iraniens qui pourraient nous laisser sur le bord du chemin.

Je ne suis, bien sûr, ni sourd ni insensible aux propos malveillants du président iranien. Mais, me semble-t-il, ceux qui passent leur temps à montrer du doigt le régime iranien manifestent une faible connaissance de la complexité du pouvoir iranien en laissant à penser qu’un seul homme, fût-il le président, détient à lui seul les clefs de la politique de ce grand pays, de cette grande civilisation qui n’ignore nullement les risques qu’elle encourrait en cas de dérapage fatal. La subtilité persane semble, elle aussi, échapper à quelques faucons de par le monde, dont nous devrions un peu plus nous méfier.

Monsieur le ministre d’État, je dois conclure, hélas ! sur un sujet qui mériterait encore de longs développements. Mais le temps m’est compté.

J’ai essayé de démontrer pourquoi il nous paraît indispensable que le Gouvernement joue cartes sur table, qu’il dissipe toutes les ambiguïtés et qu’il apporte enfin toutes les réponses nécessaires face à ce qui apparaît clairement comme un revirement de la politique de sécurité, de défense et, surtout, d’indépendance de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je n’ai nullement l’intention de réfuter les arguments des uns et des autres. Le ministre répondra aux questions qui lui ont été posées ; il ne m’appartient pas de le faire.

Je voudrais simplement faire une mise au point à la suite des interventions de MM. Daniel Reiner et Didier Boulaud.

Si je l’ai bien compris, M. Reiner a regretté que la réintégration de la France dans l’OTAN n’ait pas été discutée par le Parlement. Je dois lui rappeler qu’un débat a eu lieu dans les deux assemblées et que le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement sur cette question. Par conséquent, on ne peut pas dire que le débat a été escamoté.

Quant à M. Boulaud, il est beaucoup trop intelligent pour être vraiment de bonne foi ! (Sourires.) Il me concédera tout de même que si la demande par M. Bel d’un débat sur la défense anti-missile balistique était très opportune – il faut remercier nos collègues socialistes de l’avoir inscrit à l’ordre du jour –, un tel débat ne pouvait se tenir au moment souhaité, pour la simple raison que nous n’avions alors pas de gouvernement ! J’avais averti M. Bel du risque qu’il courait en demandant son organisation en une telle période. On ne peut pas faire grief à un gouvernement qui n’existait pas encore de ne pas avoir répondu à nos interrogations !

M. Daniel Reiner. Nous prenons des initiatives !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Certes, ce débat intervient après coup, mais les explications que nous donnera M. le ministre d’État nous permettront de mieux comprendre ce qui s’est décidé à Lisbonne. Comme cela a été dit tout à l’heure, il s’agit du début d’un processus. Nous avons émis un certain nombre de réserves sur son déroulement, nous ne savons pas du tout s’il sera mené jusqu’à son terme : peut-être faut-il laisser du temps au temps… (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je me réjouis de ce débat sur la défense anti-missile, sujet d’actualité, puisqu’il a été abordé, voilà quelques jours, au sommet de Lisbonne et doit faire l’objet d’études complémentaires au sein de l’OTAN au cours de l’année 2011. C’est un sujet dont l’importance, à mon sens, ne fera que s’accentuer dans les années à venir.

Nous devons ce débat à l’initiative du groupe socialiste, mais permettez-moi, mes chers collègues, de remercier avant tout le président de Rohan d’avoir inscrit l’examen de la question de la défense anti-missile balistique à l’ordre du jour de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées voilà déjà plusieurs mois. Cela nous permet aujourd’hui d’être beaucoup mieux informés sur un sujet parfois complexe, dans ses dimensions tant techniques que stratégiques.

Nous avons entendu et questionné, en commission, des personnalités comptant parmi les plus qualifiées, notamment le général Abrial, le directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique et les présidents des quatre sociétés industrielles françaises concernées.

Le rapport qu’a publié la commission fournit une base de réflexion très riche à tous ceux qui s’interrogent sur les enjeux de la défense anti-missile. Nous pouvons donc aborder la discussion avec un haut degré d’information, et je me félicite de ce que la commission ait décidé de poursuivre et d’approfondir ce travail dans les mois à venir.

Je souhaiterais formuler trois remarques.

Tout d’abord, pendant longtemps, en France, la question de la défense anti-missile balistique a suscité de vives réactions, ainsi que des prises de position très tranchées. Le débat s’en est souvent trouvé faussé. On peut même dire qu’il a longtemps été occulté. En revanche, j’ai pu constater, à l’occasion des échanges que nous avons avec des collègues étrangers, que l’approche de ce sujet est moins idéologique, beaucoup plus pragmatique et dépassionnée ailleurs dans le monde.

Nombreux sont ceux aujourd’hui – et pas seulement aux États-Unis – qui se préoccupent des conséquences de la possession par un plus grand nombre de pays de missiles balistiques toujours plus perfectionnés. Il ne s’agit plus que de quelques puissances majeures : les équilibres stratégiques de régions entières sont affectés par cette prolifération ! C’est dans ce contexte que l’idée d’une protection contre les missiles balistiques fait son chemin.

Certes, pour le moment, les technologies de l’interception ne sont pas totalement maîtrisées. Très peu de pays sont en mesure de relever ce défi. Les obstacles techniques et financiers sont évidents, et il ne faut surtout pas les sous-estimer…

Mais la conclusion qu’en tirent généralement nos partenaires, ce n’est pas qu’il faut renoncer à toute idée de protection ; c’est, au contraire, qu’il faut améliorer les technologies, avec l’objectif de rendre un jour accessibles des systèmes d’interception procurant un niveau de protection significatif. Je ne fais là que relever une opinion répandue dans de nombreux pays, mais dont le bien-fondé est encore contesté en France.

L’une des caractéristiques du débat français est aussi que l’on a longtemps voulu opposer défense anti-missile et dissuasion nucléaire. Envisager de se protéger des missiles balistiques serait, pour certains, contradictoire avec la stratégie de dissuasion. D’aucuns envisagent même la défense anti-missile comme un substitut à la dissuasion nucléaire. C’est là, à mon sens, une grave erreur.

En effet, je défends, en tant que rapporteur pour avis des crédits d’équipement, le rôle fondamental de la dissuasion dans notre stratégie de défense. Mais j’observe, ici encore, qu’en dehors de notre pays cet antagonisme entre défense anti-missile et dissuasion n’est pratiquement jamais mis en avant. Les États-Unis ne voient pas de contradiction particulière entre les deux. Des pays comme la Russie, la Chine ou l’Inde sont engagés à des degrés divers dans des programmes de défense anti-missile. Ce sont pourtant des puissances nucléaires, et qui entendent bien le rester. On pourrait peut-être également citer le cas d’Israël.

La défense anti-missile ne doit pas, bien entendu, se substituer à la dissuasion. La dissuasion n’est pas exclusive de la défense anti-missile.

En outre, comme l’a mis en exergue le rapport du président de Rohan, il y a certainement un lien entre la crédibilité de la dissuasion et la maîtrise des technologies anti-missiles. En d’autres termes, se désintéresser de la défense anti-missile, « décrocher » par rapport à d’autres puissances qui s’investissent dans ce domaine, ce serait sans doute prendre un risque quant au maintien du niveau de crédibilité de notre dissuasion.

En résumé, si la défense anti-missile soulève beaucoup de questions, il faut éviter, à mon sens, d’en faire un sujet de querelle « théologique » et l’aborder de manière objective et pragmatique.

Deuxième remarque, le débat est aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, devant nous.

Comme l’a indiqué devant la commission le commandant suprême allié de l’OTAN pour la transformation, le général Abrial : « Pour les États-Unis, la nécessité d’une défense contre les missiles balistiques ne se discute pas. Donc, la défense anti-missile se fera. »

L’administration Obama a profondément modifié les options qui avaient été arrêtées par l’administration Bush, mais on aurait tort d’y voir un repli ou un renoncement. Au contraire, la défense anti-missile, y compris dans son extension aux alliés d’Europe, d’Asie et du Moyen-Orient, apparaît avec plus de force encore dans tous les documents stratégiques publiés cette année par les Américains.

Les États-Unis privilégient une approche graduelle, progressive, fondée sur l’amélioration de technologies éprouvées – le missile SM 3 et les systèmes navals Aegis –, alors qu’il y avait quelques doutes sur les performances des intercepteurs GBI – ground-based interceptors –, que l’administration Bush voulait implanter en Pologne.

Parce qu’elle est plus réaliste, la démarche américaine est plus crédible aujourd’hui et elle a donc plus de chances de prospérer. Les États-Unis se sont désormais placés dans le cadre de l’OTAN. On ne peut à la fois dénoncer leur unilatéralisme et ne rien avoir à proposer lorsqu’ils s’engagent dans la voie multilatérale. Nous ne pouvons donc pas échapper à ce débat.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des enjeux, qui ont été soulignés par le président de Rohan.

S’agissant de l’intérêt militaire de la défense anti-missile, je crois moi aussi qu’il faut insister sur le rôle premier de notre dissuasion. Mais il me semble difficile de tenir, à l’égard des opinions publiques, une position selon laquelle, parce que nous avons la dissuasion et parce que nous riposterions si nous étions agressés, nous devrions renoncer, par principe, à toute idée de protection des territoires et des populations.

Il ne s’agit pas de prétendre à une protection absolue. Rien n’est plus inapproprié d’ailleurs que le terme de « bouclier », car il ne correspond pas au degré de performance recherché. En revanche, on ne peut pas écarter d’un revers de la main la contribution de la défense anti-missile à un volet « protection » complétant notre stratégie de défense.

Je voudrais également souligner qu’à mon sens les enjeux technologiques et stratégiques sont étroitement liés.

Si nous ne sommes pas capables de développer un minimum de technologies et de capacités proprement européennes en la matière, l’Europe risque tout simplement le décrochage capacitaire ou l’effacement stratégique. De facto, avec ou sans nous, l’Europe sera couverte par un système exclusivement américain et assistera en spectatrice aux développements de la défense anti-missile dans les autres régions du monde.

Ce déclassement serait particulièrement grave pour l’industrie de la défense française, car, cela a été dit, la défense anti-missile sera un vecteur de développement et de diffusion des technologies, avec de nombreuses retombées, en particulier dans les domaines de l’aéronautique, du spatial, de l’électronique de défense. L’industrie européenne des missiles est concernée au premier chef. Elle est aujourd’hui performante ; le sera-t-elle toujours demain si, faute d’investissements, elle reste à l’écart des développements les plus innovants ?

Pourtant, dans ce domaine, la France n’est pas démunie, tant s’en faut. Nous avons décidé d’être présents dans l’alerte avancée, avec Spirale puis un satellite opérationnel, ainsi qu’avec un radar à très longue portée dont le démonstrateur doit être lancé l’an prochain. Nous sommes les seuls en Europe à disposer d’une industrie balistique. Nous sommes engagés dans la défense anti-missile de théâtre, avec l’Aster. Nous pouvons participer à la construction du futur système de commandement et de contrôle d’une défense anti-missile balistique des territoires, puisque celle-ci se grefferait sur le système en cours de réalisation pour la défense de théâtre par l’un de nos industriels.

Je voudrais également mentionner le centre d’essais de Biscarrosse, en Aquitaine. (M. le ministre d’État sourit.) Il s’agit d’une zone d’essais unique en Europe. Il pourrait accueillir un certain nombre d’activités liées à cette défense anti-missile balistique de l’OTAN.

Il n’y a donc pas de fatalité du déclassement technologique et stratégique, à condition que nous sachions valoriser nos atouts, bien cibler nos objectifs et réaliser un effort supplémentaire qui ne me paraît pas totalement hors de portée pour un pays comme le nôtre, s’il en a réellement la volonté.

Enfin, dernière remarque, je souhaiterais plaider, au nom du groupe UMP, en faveur d’une approche objective, mesurée et pragmatique. C’est celle qui est préconisée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Quelles sont véritablement les options qui s’offrent à nous ?

D’abord, je constate qu’il aurait été politiquement très difficile de vouloir faire obstacle à une décision au sein de l’OTAN. Cela aurait également remis en question l’approche multilatérale des États-Unis. Pour mener à bien leur démarche, ceux-ci n’auraient eu alors d’autre solution que de contourner l’OTAN en cas de refus et de traiter bilatéralement avec certains pays. Ce ne serait pas une bonne chose pour l’Europe dans son ensemble, une partie de sa défense lui échappant.

Il y a aussi l’option du « soutien sans participation ». Dans ce cas, nous devrions tout de même contribuer aux coûts communs, tout en renonçant à un quelconque droit de regard sur la décision, ainsi qu’à une présence dans les technologies de la défense anti-missile.

Je crois que la seule option raisonnable est de viser deux objectifs.

Le premier consiste à continuer de travailler, dans le cadre de l’OTAN, pour préciser, clarifier et encadrer ce que pourraient être l’architecture et le fonctionnement d’une future défense anti-missile des territoires de l’Alliance. À cet égard, deux échéances importantes ont été fixées au sommet de Lisbonne : la clarification, d’ici au mois de mars 2011, des questions liées au commandement et au contrôle, et l’élaboration, d’ici au mois de juin 2011, d’un plan d’action sur les étapes de la mise en œuvre de la défense anti-missile.

Le second objectif est de se mettre en position d’apporter, à partir de nos compétences existantes, des « briques » qui nous permettront de participer au système autrement qu’en simple financeur. Autrement dit, il s’agit d’être un acteur de cette défense anti-missile qui va influer sur le paysage stratégique international dans les décennies à venir.

Comme l’indique le rapport de la commission, il faut que nous posions très clairement les conditions de notre engagement.

Au plan stratégique, tout d’abord, la défense anti-missile balistique n’est pas une protection absolue ; elle ne peut pas être non plus un substitut à la dissuasion, dont elle est seulement un complément.

Notre excellent collègue Jean-Pierre Chevènement vient une nouvelle fois de nous rappeler que, dans l’histoire du monde et des guerres, le glaive a toujours vaincu le bouclier. Je crois, mes chers collègues, qu’il nous faut aujourd'hui disposer à la fois du glaive et du bouclier. À mon sens, dissuasion et défense anti-missile sont complémentaires.

Toutefois, il nous faudra impérativement trouver un terrain d’entente avec la Russie, en d’autres termes éviter que le dossier de la défense anti-missile n’altère la relation entre l’OTAN et la Russie. Pour cela, dès maintenant, il est nécessaire d’engager des échanges concrets entre les deux parties.

La France dispose aussi, me semble-t-il, d’une expertise lui permettant de discuter activement du niveau d’ambition du système, du partage de l’information et des règles d’engagement, qui sont des points cruciaux.

Enfin, il faudra veiller à la maîtrise financière de ce projet. Ces dernières années, l’OTAN a accumulé un déficit colossal au titre de ses programmes d’investissement. Nos partenaires doivent être bien conscients de ce risque.

Sur tous ces sujets, la France doit bien définir ses objectifs et les faire valoir, non pas dans l’idée d’entraver la réalisation du projet, mais dans celle de clarifier celui-ci, de le rendre plus compatible avec les moyens de l’Alliance et plus utile au regard de ses priorités.

Je pense qu’il faudrait aussi discuter de manière très approfondie avec nos partenaires européens. Il serait tout de même souhaitable qu’émerge une vision européenne commune, ou du moins un certain nombre d’objectifs communs aux principaux pays européens, puisqu’il s’agira de la défense du continent. Au même titre que la France, je crois que nos partenaires doivent bien mesurer tous les enjeux de ce débat.

Pour conclure, je voudrais soutenir les propositions faites par le président de Rohan pour donner de la substance à ce qui pourrait être une contribution française à la défense anti-missile de l’OTAN.

Nous savons bien que la situation budgétaire est difficile : c’est une contrainte très forte. Cependant, nous ne parlons pas de milliards d’euros ; nous parlons d’investissements très ciblés, beaucoup plus accessibles.

Je pense par exemple au radar de poursuite M3R de Thales, qui permettrait à l’Aster 30 de fonctionner de manière autonome en anti-missile. Son acquisition pourrait être accélérée sans bouleverser les équilibres de notre programmation financière. Nous serions alors pleinement au rendez-vous du programme de défense de théâtre de l’OTAN.

Je pense à la constitution d’une véritable capacité d’alerte avancée. C’est l’une des pièces les plus essentielles du dispositif, puisqu’elle fournit le renseignement. Le démonstrateur spatial Spirale donne des résultats excellents et le démonstrateur de radar à très longue portée doit être lancé l’an prochain. Il faudra faire au plus vite pour que ces réalisations expérimentales débouchent sur des capacités opérationnelles, c’est-à-dire le satellite et le radar d’alerte qui sont prévus par le Livre blanc.

Enfin, l’acquisition de compétences dans le domaine de l’interception nécessiterait un budget d’études amont approprié.

Des chiffres ont été cités par les différents experts devant la commission : il s’agit de quelques dizaines de millions d’euros par an, alors que l’enveloppe annuelle, pour les études amont, est de l’ordre de 700 millions d’euros. Certes, cela n’est pas négligeable, mais, étant donné l’importance de l’enjeu, ne faudrait-il pas envisager de majorer quelque peu cette enveloppe ? À défaut, nous renoncerions définitivement à participer aux développements liés aux technologies de l’interception.

En résumé, je crois, monsieur le ministre d’État, qu’il faut être présents sur quelques créneaux et pleinement valoriser des investissements qui sont déjà en cours ou déjà programmés, afin d’avoir voix au chapitre. Cet objectif ne paraît pas hors de portée pour la France.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les conclusions que nous pouvons tirer à ce stade de la réflexion. Le dossier de la défense anti-missile n’est pas facile, car, on le sait, nos moyens financiers sont limités, mais il me semble que nous sommes les seuls, en Europe, à avoir autant d’atouts à valoriser. Il dépend de notre volonté de ne pas entièrement laisser à d’autres ce nouveau champ de la défense et des relations stratégiques. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, à ce stade du débat, mon intervention recoupera forcément celles de mes prédécesseurs, dont je partage de nombreuses analyses, notamment celles de MM. Josselin de Rohan et Xavier Pintat. Je vous prie donc d’excuser le caractère redondant de certains de mes propos.

La défense anti-missile balistique, ou DAMB, vise à se protéger des attaques par missiles balistiques, que ces attaques menacent des troupes déployées sur des théâtres d’opérations ou des populations à l’échelle d’un territoire.

Depuis des mois, partisans et opposants d’un tel système de défense placent le débat sur un plan théorique, dans le droit fil de l’éternel débat entre l’épée et le bouclier.

En France, les opposants à la DAMB font, en outre, valoir deux arguments : d’une part, sa mise en place coûterait extrêmement cher et induirait donc l’éviction des autres programmes ; d’autre part, la DAMB affaiblirait la dissuasion nucléaire.

Or, aujourd’hui, je pourrais dire, presque de façon provocatrice, que la question n’est que marginalement budgétaire.

En effet, le développement et le déploiement d’un système complet seraient totalement hors de portée de nos moyens financiers.

Nos collègues députés Patricia Adam et Yves Fromion rappelaient que « le Japon, pour disposer en 2011 d’une architecture anti-missile à couches multiples, pourtant limitée et reliée au système américain, a investi en cinq ans 10 milliards de dollars ». Il ne s’agit donc pas de choisir cette voie, d’autant qu’il est hautement improbable que le territoire national soit à court terme menacé par une attaque saturante de missiles.

En revanche, dès à présent, nos forces positionnées hors de nos frontières et nos points d’appui, notamment au Moyen-Orient, pourraient, comme le rappelait le président de Rohan, être pris dans l’engrenage d’une attaque de missiles de type SCUD ou dérivés. L’acquisition d’une capacité de défense anti-missile de théâtre est donc une nécessité.

La France l’a compris, comme le montre le développement du programme « sol-air moyenne portée terrestre », qui se poursuit, notamment avec une interception réussie par un missile Aster 30 de MBDA.

Mais, pour les États-Unis, la DAMB de territoire, avant d’être un instrument militaire, est un formidable atout en termes de puissance diplomatique, ainsi qu’un puissant sujet de recherche, permettant potentiellement de nombreuses retombées technologiques et économiques. Nous Français et Européens devrions partager cette vision. Je m’en explique.

La DAMB constitue, par son principe même, un parapluie non nucléaire, donc plus facilement acceptable, permettant d’offrir une protection à des alliés qui s’estiment menacés, et ce en échange de retours industriels ou politiques.

Dans le Golfe persique, les États-Unis sont en train d’étendre leur projet de parapluie DAMB, y compris à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, dans l’espoir de contrats importants. Dans les pays de l’Est, comme la Pologne, l’alignement systématique sur les États-Unis et l’achat de matériels militaires américains ne sont sans doute pas étrangers au déploiement d’un bouclier anti-missile promis par l’administration de George Bush.

La DAMB fait donc bien désormais partie des instruments de puissance, au même titre que la dissuasion nucléaire.

De plus, la recherche aéronautique et spatiale concentre nombre de technologies stratégiques essentielles. Les Américains considèrent qu’elle regroupe dix-sept des vingt-trois filières leur permettant de maintenir leur avance technologique sur le reste du monde.

De fait, nous le savons, un très grand nombre d’avancées technologiques sont des retombées de la course à l’espace et de la « guerre des étoiles ». Aux États-Unis, près des deux tiers de la recherche et technologie et de la recherche et développement dans le domaine des missiles sont consacrés à la DAMB, qui tire donc vers le haut toute l’industrie, en creusant l’écart avec l’industrie européenne.

Ne pas participer à cette course, alors que nous avons relevé les principaux défis technologiques de la puissance – la dissuasion nucléaire, les lanceurs spatiaux, les sous-marins nucléaires, les satellites de communication et de renseignement, l’aviation de combat –, réduirait encore notre rang par rapport aux États-Unis et surtout nous conduirait à être rapidement dépendants de leur politique et de leur industrie.

Les technologies de la DAMB sont les technologies génériques des futures générations de réseaux de commandement, de satellites et de radars à longue distance, de missiles d’interception.

En tout état de cause, que soient ou non développés des missiles antibalistiques haute altitude, maîtriser ces technologies est nécessaire pour garantir la pérennité d’une partie importante de l’industrie de défense en France et en Europe.

L’OTAN a lancé en 2005 un programme d’équipements communs, dont le coût est estimé à 800 millions d’euros et qui vise uniquement à intégrer les capacités européennes dans la boucle de commandement des opérations de défense aérienne.

Lors du sommet de Lisbonne, les États-Unis ont obtenu une avancée sur la DAMB et plaidé pour un « partage du fardeau » de la défense occidentale. Le secrétaire général de l’’OTAN a rappelé qu’il avait sa propre recette pour remédier au « blues » transatlantique : la mise en place d’une DAMB européenne.

Il est clair que l’éventuelle capacité de défense anti-missile européenne soulève des questions politiques, notamment à l’égard de la Russie, mais aussi opérationnelles, compte tenu de la diversité de nos moyens et du degré d’exposition de chacun à une menace balistique.

Mais si les pays Européens sont soumis de façon disparate à cette menace, ils subissent tous la rigueur budgétaire et la réduction de leur budget de défense. Ils doivent donc répondre, si possible de façon coordonnée, à la demande américaine via l’OTAN.

À partir du moment où nous devrons contribuer à la DAMB au titre de l’Alliance, mieux vaut le faire par des apports en nature sur des « briques » technologiques que nous aurons choisies – cela permettra à notre recherche et à nos entreprises de dégager de la valeur ajoutée –, et non par des concours financiers ou en sous-traitance. Les Américains nous referaient alors le « coup » de l’avion de combat JSF – Joint Strike Fighter –, qui a eu pour effet, sinon pour objet, d’assécher, par la sous-traitance et des coopérations limitées, les budgets militaires européens et de marginaliser l’industrie européenne d’avions de combat.

La France peut et doit animer une réflexion européenne, car elle possède un savoir-faire unique en matière balistique. Elle développe le démonstrateur Spirale, dont tous les spécialistes reconnaissent le potentiel. Elle participe déjà au système de commandement et de contrôle de l’espace aérien de l’OTAN, qui serait en fait élargi à la DAMB.

Mais comme l’indique M. le président de la commission dans son rapport, nos programmes ne sont pas financés à la hauteur suffisante, notamment pour respecter le calendrier de l’OTAN. Il faut donc, si nécessaire, dans un cadre bilatéral ou multilatéral – je pense aux Britanniques et aux Italiens, mais pas seulement à eux –, abonder les budgets de recherche et de développement correspondants, définir les « briques » prioritaires pour lesquelles nous pouvons apporter des plus-values et nous assurer de la compatibilité de nos systèmes avec ceux de l’OTAN.

Comme je le mentionnais en introduction, et contrairement à ce que certains affirment, le « ticket d’entrée », dans ces conditions, resterait financièrement supportable : le président de Rohan a évoqué la somme de 50 millions d’euros par an.

En outre, la DAMB n’affaiblit pas la dissuasion nucléaire. Elle ne se substitue pas à elle, mais la complète. En effet, la protection, même partielle, contre des missiles balistiques, notamment de théâtre, ouvre plus d’options au pouvoir politique et permet, en élevant le seuil nucléaire, de renforcer la dissuasion. Celle-ci reste en revanche essentielle et déterminante dans le cas d’une attaque massive contre le territoire national, car l’attaquant sait qu’il sera identifié, que la trajectoire de ses missiles sera suivie et donc que la réponse sera apocalyptique.

Enfin, pour conserver un effet de dissuasion nucléaire maximal, il faut travailler sur l’interception de missiles balistiques, ce qui permettra d’améliorer, et donc de rendre plus crédibles, nos propres missiles nucléaires, au fur et à mesure des progrès réalisés dans le domaine du bouclier.

Vous l’avez compris, monsieur le ministre d’État, la question est non plus de savoir s’il faut s’engager avec l’OTAN dans la DAMB, mais de définir avec qui, avec quelles « briques » technologiques et dans quelles conditions nous devons le faire, afin d’assurer la préservation de nos capacités de recherche et d’innovation, ainsi que la survie de nos industries de défense, outils de notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, nous sommes réunis ce soir sur l’initiative du groupe socialiste afin de débattre du projet de défense anti-missile de l’OTAN.

Malheureusement, ce débat se tient alors même que les décisions ont déjà été prises, au sommet de Lisbonne, voilà trois semaines, sommet qui a permis l’adoption du nouveau concept stratégique de l’Alliance et l’officialisation du ralliement de la France au projet de bouclier anti-missile. D’une certaine façon, le présent débat a été, voilà trois semaines, la première victime du remaniement ; il se déroule aujourd'hui alors que les dés sont jetés. Je ne puis que le déplorer à mon tour.

Le ralliement de la France au projet de bouclier anti-missile est pour le moins surprenant, monsieur le ministre, si l’on prend en compte les déclarations faites par votre prédécesseur, M. Hervé Morin, le 12 octobre dernier : « La défense anti-missile ne me semble un projet judicieux que pour les pays qui consacrent un effort important à la défense et possèdent une certaine capacité de résilience. En Europe, je crains qu’un tel dispositif ne soit conçu comme une ligne Maginot… »

Ces propos complétaient admirablement ceux qu’il avait tenus le 27 avril 2010, quand il affirmait que « la défense anti-missile, pour séduisante qu’elle paraisse à l’opinion publique, n’en constitue pas moins une erreur ».

Que penser des propos de M. Hervé Morin ? S’agit-il d’un avis trop personnel, d’un dérapage isolé ? Évidemment non : cette opinion était, et reste, largement partagée, à gauche bien sûr, mais aussi à droite.

N’avez-vous pas vous-même, monsieur le ministre, mis en doute la pertinence d’un retour de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN ? Je rappelle par ailleurs que vous avez cosigné avec Michel Rocard une tribune dans le quotidien Libération, dans laquelle vous appeliez à un « désarmement nucléaire mondial ». Nous sommes nombreux à y avoir alors accordé du crédit et à y avoir vu des traces de la vérité d’un homme, de la vérité d’une nation aussi, tant cette tribune amplifiait un certain nombre d’idées qui circulaient depuis le discours de Barack Obama à Prague.

Bien sûr, certains ont considéré que ce discours était purement tactique, qu’il était adapté à sa cible et qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux. D’autres, et j’en étais, ont pensé qu’il fallait prendre au mot le président américain.

Dans ces conditions, comment ne pas comprendre notre étonnement devant ce changement de pied brutal, cette volte-face abrupte du Gouvernement, entérinant une décision de principe qui n’a été discutée nulle part, ni dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ni dans la loi de programmation militaire, et encore moins dans le cadre des institutions parlementaires ?

La décision étant prise, il est sans doute moins utile d’en débattre. Il me paraît en revanche nécessaire de revenir sur cette curieuse gymnastique qui conduit des parlementaires s’étant battus, parfois pendant des décennies, pour défendre l’idée de souveraineté nationale et contre l’idée même d’un retour de la France au sein du commandement militaire de l’Alliance, à se contorsionner pour expliquer, avec des accents de sincérité, qu’ils ont changé d’avis, qu’ils ont été mal compris et que c’est maintenant qu’il faut les écouter !

On a le droit d’en sourire ; nous l’avons fait au moment du retour au sein du commandement intégré de l’Alliance. Faut-il aller au-delà et dénoncer l’absence de sincérité de certains intervenants, qui auraient réaffirmé avec la même bonne foi et la même apparence de sincérité l’autonomie stratégique et la souveraineté sans réserve de la France ?

Notre pays souhaiterait donc s’engager sur la voie d’une politique de défense anti-missile à travers la mise en place d’un bouclier de défense du territoire, conçu pour être complémentaire, nous dit-on, de la dissuasion nucléaire.

J’ai eu l’occasion de dire, lors du débat budgétaire, que cette approche me paraît contradictoire avec la définition même de la dissuasion et que l’affirmation d’une complémentarité semble même miner les fondements de la dissuasion.

Il est en tout cas intéressant de noter que cette posture est le complet contre-pied de celle qui était défendue auparavant, quand la défense anti-missile était présentée comme incompatible avec la dissuasion. Il faut également prendre acte du fait que l’OTAN se réaffirme comme une alliance nucléaire.

Certains d’entre vous objecteront que la mise en place d’un bouclier de défense anti-missile pourrait contribuer au désarmement. Je pense qu’il n’en est rien. Face à ce bouclier, grande sera en effet la tentation, pour les États non protégés, de se lancer dans une course aux armements, et, pour les États proliférants, d’améliorer leurs armes en conséquence. En définitive, la militarisation de l’espace est à redouter.

La question la plus importante ici est celle de l’efficacité et de l’utilité d’une telle défense anti-missile.

Un bouclier infranchissable est bien sûr une utopie, et ce malgré les 200 milliards de dollars investis par les États-Unis ces quarante dernières années, dont 80 milliards depuis 2002. Ce bouclier n’offrirait qu’une protection partielle, non hermétique. Contre quoi, contre qui ? La menace est limitée à quelques dizaines de missiles peu évolués et d’une portée inférieure à 3 000 kilomètres, basés dans des pays proliférants tels l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, le Soudan, la Lybie.

Parmi ces pays, dont on voit mal pourquoi ils s’en prendraient à l’Europe, seul l’Iran, délicatement pointé du doigt par le Président de la République à Lisbonne, possède les moyens de représenter, à terme, une certaine menace. Or, il ne semble pas avoir les capacités de développer seul les segments technologiques nécessaires à la mise en orbite d’un satellite géostationnaire. Nous sommes donc face à un adversaire quasiment virtuel, peu enclin, semble-t-il, à se manifester par ce biais.

Les États-Unis, eu égard à leur avance technologique et aux moyens alloués à leur secteur de la défense, bénéficient de facto d'un poids démesuré. Cela amène à s’interroger sur la place des autres pays, notamment européens, dans une feuille de route déjà prête et qui ne leur laissera qu'une influence minime dans la prise de décision. Ils seront sans doute invités à financer un programme qui profitera presque totalement aux industriels américains, peu enclins à partager leurs technologies les plus sensibles, et ignorera les priorités européennes en termes de menaces. Le danger de suprématie américaine est donc manifeste.

À cela s'ajoute un véritable problème démocratique : la prise de décision devant se faire en quelques minutes, on voit mal comment la concilier avec les procédures de l'OTAN ou comment respecter un temps de décision relevant du politique.

Quelle serait la part d'autonomie nationale dans le cadre d'une défense anti-missile otanienne ? Voilà une question qui a traversé la plupart des interventions ce soir, qu’elle soit formulée de manière explicite par ceux qui sont hostiles à une quasi-tutelle américaine ou de façon plus prudente et plus subliminale par ceux qui font mine aujourd’hui de défendre ou de comprendre la décision du Président de la République.

Enfin, les aspects financiers du projet ne sont évidemment pas à négliger. Celui-ci aurait un coût exorbitant pour le contribuable, au détriment de la coopération civile et militaire ou des équipements. Votre prédécesseur, M. Hervé Morin, rappelait à juste titre qu' « avant d'investir dans un système anti-missile, il faudrait s'assurer que nous disposons des équipements de base ». La contribution de la France à l'OTAN, suite à son intégration au commandement militaire intégré, va déjà passer de 140 millions d’euros à 240 millions d'euros. Où donc aller chercher les 100 millions d’euros supplémentaires ? Cet effort ne pourra être consenti qu’au détriment des équipements militaires, entraînant l'abandon ou la remise en question du développement de certains projets. Pour l'Alliance même, investir dans la défense anti-missile hypothéquerait sans doute ses autres capacités.

L'Europe a-t-elle vraiment intérêt à ce que la défense de son territoire passe par l’OTAN ? Un tel bouclier anti-missile ne servirait-il pas uniquement les intérêts américains ? N’est-il pas temps de développer enfin une réelle politique européenne de défense permettant aux pays de l'est de l'Europe de s’affranchir progressivement de la tutelle américaine, sans craindre une éventuelle volonté expansionniste de leur grand voisin ?

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, ce débat arrive beaucoup trop tard et ne sera pas suivi d'un vote, mais j’aurais bien évidemment voté contre s’il y en avait eu un : contre un projet inutile et dispendieux, qui ne fait que repousser, une fois de plus, la mise en place d'une unité européenne en matière de défense. Je ne vois pas en une telle unité un simple instrument technique, mais aussi un projet politique, complémentaire des efforts déployés pour construire l’Europe solidaire et unie que nous sommes nombreux à attendre sur ce continent. Je regrette de devoir constater que, une nouvelle fois, il faudra s’en passer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. André Vantomme.

M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous aurions aimé pouvoir aborder ces sujets avant que la France ne se soit engagée dans cette nouvelle voie, bien balisée par l’OTAN et somme toute très contraignante pour l'organisation de notre défense, de la sécurité de nos populations et de nos territoires.

Monsieur le président de la commission, nous vous reconnaissons le mérite d’avoir fait vivre ce débat au sein de la commission. Vous n’avez pas réussi à obtenir qu’il se tienne en séance plénière, c’est pourquoi le groupe socialiste a souhaité l’inscrire à son ordre du jour réservé. Par conséquent, ne soyez pas trop sévère avec notre collègue Didier Boulaud : si vous aviez vraiment voulu ce débat, peut-être auriez-vous pu l’imposer.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’est un peu plus compliqué que cela !

M. André Vantomme. Quoi qu’il en soit, des engagements, que nous constatons sans les approuver, ont été pris par le Président de la République ; ils seront très difficiles à défaire plus tard. Nous dérivons d'une façon telle que tout retour en arrière deviendra, dans deux ou trois ans, complexe, voire impossible.

Le sommet de l'OTAN qui s'est achevé par un accord sur la mise en place d'une défense anti-missile en Europe est un grand succès pour l'organisation atlantique et pour les États-Unis, puisque la France, longtemps circonspecte, méfiante même, face à ce projet, le soutient désormais.

Le nouveau concept stratégique apparaît comme le produit d'un compromis destiné à ne fâcher personne : opération réussie, puisqu'il a été adopté à l'unanimité. Il paie alors un tribut : il est assez vague pour masquer les désaccords et assez ambigu pour permettre les interprétations.

Voici quelques réflexions et quelques interrogations sur les décisions prises à Lisbonne et sur la nouvelle position française.

La défense anti-missile de l’OTAN constitue-t-elle un renforcement ou une fragilisation de la dissuasion ? Cette défense anti-missile peut-elle être un complément de la dissuasion ? La réponse est non pas technique, mais politique.

D'abord, en laissant à d'autres le soin de choisir à notre place la stratégie de défense de la France, de l'Europe, nous affaiblissons notre dissuasion nucléaire. Dans le sillage atlantiste, notre posture stratégique perd son autonomie de décision.

Nous aurions préféré la création d'un concept nouveau, intégrant une défense anti-missile de théâtre à la panoplie défensive, mais gardant la dissuasion nucléaire au cœur du dispositif. Nous aurions voulu un concept qui cherche à rassembler les pays européens autour d'une défense européenne autonome, susceptible de préconiser à l'Alliance une position commune à partir d'un pilier européen qui soit force de proposition, et non pas d'absorption.

M. Sarkozy n'a pas eu cette volonté politique, et nous nous trouverons donc embrigadés sous le parapluie nucléaire américain, assorti d’une hypothétique défense anti-missile. Alliés, et donc alignés ! C'est un enterrement de première classe pour la défense européenne…

Le très récent ralliement du Président Sarkozy à la défense anti-missile proposée par les États-Unis et l'OTAN mérite quelques explications de votre part, monsieur le ministre d’État. Vous-même étiez naguère réticent face à la réintégration pleine et entière de la France dans l'OTAN, n'est-ce pas ?

Or, le 15 octobre, l'Élysée a rappelé le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense anti-missile proposée par le Président des États-Unis. C'était un brutal changement de position, d’autant que, quelques jours plus tôt, le 12 octobre, au Sénat, le ministre de la défense, M. Morin, s’était déclaré réticent devant la construction d'une nouvelle « ligne Maginot » en Europe.

Maintenant, il s'agit d'un nouveau tour de vis. En effet, avec le processus de réintégration au sein du commandement intégré de l'OTAN, le Gouvernement et le Président de la République ont mis le doigt dans l'engrenage. Il est normal que nos alliés tirent toutes les conséquences de ce geste originel et que la France soit par suite embarquée dans des projets « otaniens » qu'elle refusait il y a encore quelque temps.

Nous constatons donc un revirement, un glissement atlantiste inquiétant, guidé, ce n’est pas une surprise, par le plus proaméricain des présidents de la Ve République. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le département d'État américain…

Pourtant, le Livre blanc de 2007, rédigé sous la haute main de l'Élysée, n'avait pas retenu l'option d'une défense anti-missile des territoires. En revanche, il avait ébauché une démarche intéressante, qui consistait à compléter notre panoplie de défense par des systèmes d'alerte avancée. Pour cela, bien sûr, il fallait disposer de nos propres moyens d'observation et de nos propres systèmes.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Vous ne l’avez pas approuvé, ce Livre blanc !

M. André Vantomme. C'était logique : la meilleure des préventions consiste à déceler rapidement l'origine de la menace et les intentions d'un État présumé hostile. Sur ce point au moins, le Livre blanc était dans le vrai. Dans ce domaine, des crédits et des programmes existent.

Faut-il développer plus vite ces programmes ? Faut-il approfondir certaines recherches ? Est-ce financièrement possible ? Tout cela méritait réflexion et action, parce que les technologies développées pour l'alerte avancée serviront directement à la protection contre les missiles. Il fallait sans doute explorer encore plus avant cette piste et, dans ce cadre, tenter de favoriser les industries européennes d'abord. Toutefois, l'alerte avancée, sorte de vigie de la dissuasion nucléaire, ce n'est pas la même chose que la défense anti-missile américaine adoptée à Lisbonne.

La menace balistique et nucléaire iranienne justifie-t-elle la mise en place d’un système de missiles anti-missiles ? Il y a sur ce sujet aussi une inflexion. Jusqu'ici, on disait qu'un Iran nucléaire était inacceptable ; aujourd'hui, on admet implicitement que c'est envisageable.

Mais c'est le rôle de la dissuasion de faire échec à une telle menace, le jour où elle existera. Un seul missile iranien sur l'Europe et les pays occidentaux seraient habilités, y compris d'un point de vue juridique, à riposter de la façon la plus sévère sur le territoire iranien. Voilà la doctrine française, qui n'a pas besoin de définir avec précision l'ennemi ou la cible, puisqu'elle se doit, pour être vraiment dissuasive, d'être tous azimuts.

Par ailleurs, et c'est paradoxal, la prévention et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs marquent le pas. Au même moment, on lance une nouvelle course aux armements, qui emporte des conséquences sur la militarisation de l'espace ; c'est comme si on acceptait, de facto, la prolifération balistique et ses conséquences. C'est un aveu d'impuissance et une faute stratégique !

Entre l’OTAN et la Russie, les relations ont toujours été complexes et malaisées, à cause du poids de l'histoire, sans doute, mais aussi du fait que les relations entre l’OTAN et la Russie sont, pour le meilleur et pour le pire, étroitement liées aux rapports entre les États-Unis et l’OTAN. Aujourd'hui, après le sommet de Lisbonne, il en va de même : l'Europe a encore perdu l'occasion d'être l'auteur et l'acteur d'une politique originale, européenne, à l'égard de la Russie. La main passe, et les Européens auront donc à se mettre au diapason de la relation entre les États-Unis et la Russie, marquée par le traité START, la défense anti-missile, etc.

Pourquoi la Russie, farouchement hostile aux défenses anti-missiles, semble aujourd'hui disposée à entrer dans le jeu ? D'abord parce que le projet n'est plus celui que Bush dressait contre Moscou, l’OTAN assurant que l'ennemi n'est plus en Russie. Ensuite parce que la Russie se place ainsi de nouveau, en quelque sorte, à la hauteur des États-Unis : ces deux pays négocieront ensemble les conditions du futur réseau anti-missile. Illusion ou réalité ? Les Russes discuteront de la sécurité continentale avec l'OTAN, et non pas avec l'Union européenne. Hélas, voilà encore une pelletée de terre jetée sur la politique étrangère et de sécurité de l'Europe…

Après avoir longtemps voulu élargir son espace géographique, avec des velléités opérationnelles quasiment planétaires, l'Alliance semble revenue à des options moins ambitieuses. Peut-être le bourbier afghan lui rend-il une raison stratégique perdue…

Toutefois, son nouveau cheval de bataille paraît être non pas l'élargissement géographique, mais la recherche d'une défense « globale » qui puisse inclure des aspects civils et militaires : nouvelle dérive, nouveau défi lancé à l'Union européenne, qui a, de son côté, bien avancé en matière de gestion des crises et d'action civile d'urgence.

Dans la praxis, il faudra rapidement éclaircir un point important : l’OTAN veut-elle se lancer dans une concurrence acharnée avec l'Union européenne dans des domaines comme l'action civile de crise, l'action humanitaire ou les actions militaires de basse intensité, contre la piraterie maritime par exemple ? Quel serait le sens d'une telle concurrence ? Affaiblir encore plus l'Union européenne ? Assécher ses budgets pour que l’OTAN soit la seule ressource possible ?

Récemment, l’OTAN s'est proposée pour coordonner l'aide envoyée en Israël à l'occasion de graves incendies. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce bien le rôle d'une organisation militaire de coordonner des moyens civils dans la gestion d'une crise non militaire ? Il va falloir bien définir, à l'avenir, les relations entre l'Union européenne et l’OTAN post-Lisbonne, faute de quoi des concurrences stériles et des doublons inutiles se feront jour.

L’état de nos finances, dont vous êtes grandement responsables, monsieur le ministre d’État, chers collègues de la majorité, puisque vous gouvernez depuis 2002, ne nous permet plus de tout faire, notamment de faire tout ce qui est inscrit dans la loi de programmation militaire. Et vous voulez maintenant ajouter de nouvelles dépenses, via l’OTAN !

Il est possible de tirer des plans sur la comète sans financement réel ; la dernière et déjà caduque loi de programmation militaire en est une illustration. En revanche, il n’est pas possible de les concrétiser : voyez le projet de loi de finances pour 2011 !

Or si la France s’associe au programme américain, il faudra en assumer le coût, aujourd’hui et surtout demain !

De plus, compte tenu des moyens financiers de l’OTAN, la mise en place d’un tel bouclier anti-missile hypothéquerait les autres capacités de l’Alliance. Quel sera le coût financier du projet ? Dans cette affaire, quelle sera la part laissée par les industriels américains à leurs homologues européens ? Dans le système dont M. Rasmussen s’est fait le VRP, nous avons du mal à trouver la place des industries européennes. Seront-elles de simples sous-traitants ?

Ne soyons pas trop naïfs en ce qui concerne les bénéfices attendus par nos industriels ! Nous connaissons tous l’acharnement des Américains, et même de nos amis Britanniques, quand il s’agit de défendre leurs intérêts en matière de technologies militaires !

Selon le très complet rapport du président de notre commission, le projet de défense anti-missile américain et « otanien » nous oblige à un choix douloureux : soit la France participe, et elle risque une dérive budgétaire ; soit elle ne participe pas, et elle risque à la fois l’effacement stratégique et la perte d’un marché pour son industrie de la défense. Entre le Charybde budgétaire et le Scylla stratégique, nous sommes, je le crains, devant un marché de dupes : nous aurons Charybde et Scylla !

Maintenant que le principe du bouclier anti-missile est accepté, des réponses doivent être apportées aux questions essentielles : faut-il prendre acte du projet américain et s’insérer directement dans le dispositif préconçu ? Peut-on demander que ce projet devienne américano-européen, c’est-à-dire que les Européens participent pleinement à la conception, à la réalisation, au fonctionnement et au commandement du système ? Quelle sera la participation des industriels français et européens ? Quelles sont vos réponses à ces questions, monsieur le ministre d’État ?

En définitive, nous sommes devant un projet défensif militaire qui cache une nouvelle forme de mainmise sur la défense européenne et qui nous éloigne d’une politique de sécurité et de défense autonome. Je vous le concède, cela se produit avec le consentement d’une bonne partie de nos partenaires européens…

Il n’en demeure pas moins que nous sommes en train de perdre notre autonomie stratégique, acquise au prix de grands sacrifices depuis les années soixante. Une page se tourne ; j’espère que nous n’aurons pas à le regretter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Quel pessimisme !

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de me réjouir d’être parmi vous pour faire le point ce soir sur une des questions majeures de notre politique de défense : la défense anti-missile balistique.

Vous auriez tous souhaité que ce débat se tienne plus tôt, voilà quelques semaines, au lendemain de la publication de l’excellent rapport de M. le président de la commission, intitulé « Les conditions d’un engagement de la France dans la défense anti-missile balistique de l’OTAN ».

Comme l’a expliqué le président de Rohan, l’actualité politique en a décidé autrement. Le débat a lieu aujourd'hui ; je me félicite de la qualité des interventions que je viens d’entendre.

Avant d’aborder la question de la défense anti-missile à proprement parler, je voudrais formuler quelques remarques plus générales, en réponse aux questions qui m’ont été adressées.

Je me doutais bien que, dans un débat comme celui-ci, on invoquerait les mânes du général de Gaulle.

M. Alain Juppé, ministre d'État. M. Daniel Reiner l’a fait, dans une intervention très argumentée.

Pour ma part, je serai beaucoup plus modeste ; je n’ai aucune idée de ce que dirait aujourd'hui le général de Gaulle… En revanche, ce que je sais, c’est qu’il est tout à fait inexact d’affirmer que nous tournons le dos à la politique de défense menée depuis les origines de la Ve République.

Dois-je rappeler que, en 1995, le président Jacques Chirac et mon gouvernement ont amorcé un retour dans les structures intégrées de l’Alliance atlantique ? C’était il y a quinze ans !

À l’époque, nous avions fixé deux conditions : d’une part, un rééquilibrage des responsabilités entre Américains et Européens au sein de l’Alliance ; d’autre part, l’affirmation de la volonté de l’Europe de se doter de ses propres capacités de défense. Aucune de ces deux conditions n’était alors remplie, et nous avons donc renoncé à ce processus de réintégration.

Depuis, les choses ont évolué. Un tournant historique est intervenu en 1998, lorsque le Royaume-Uni a pour la première fois reconnu que l’Europe était fondée à se doter de sa propre capacité de défense, et ce pas forcément au sein de l’Alliance atlantique. Je ne reviendrai pas sur les conseils européens successifs qui ont permis de dessiner l’architecture de la défense européenne et qui ont également donné la possibilité à l’Union, au cours des dernières années, d’intervenir sous son drapeau sur une bonne vingtaine de théâtres d’opérations extérieurs. Certaines de ces interventions sont d’ailleurs encore en cours ; nous en parlions ce matin à Bruxelles, à l’occasion de la réunion des ministres de la défense de l’Union européenne : je pense à la mission Atalante, au large des côtes de la Somalie.

Quelle est la situation aujourd'hui ? C’est un général français qui assume l’un des deux grands commandements stratégiques de l’Alliance, celui qui est voué à la transformation, dont le siège est à Norfolk. Nous tenons d’autres postes de responsabilité importants au sein de l’Alliance. À Lisbonne, comme à Bruxelles ce matin, j’ai réaffirmé avec beaucoup de netteté la volonté d’instaurer entre l’Alliance atlantique et l’Union européenne une relation qui respecte l’autonomie de chacune de ces institutions. Je reprends ici les termes mêmes qu’a utilisés M. Rasmussen ce matin à Bruxelles. N’est-ce pas là que se situe le véritable changement dans l’attitude de nos partenaires au sein de l’Union européenne ?

Ce changement a déjà permis des avancées très significatives.

Ainsi, le traité franco-britannique n’est pas une simple déclaration d’intentions. C’est un ensemble d’engagements extrêmement précis et détaillés, qui portent – c’est une innovation intéressante – sur la dissuasion nucléaire. Nous travaillons à la mise en œuvre de ses dispositions, qui seront, j’en suis persuadé, suivies d’effet très rapidement.

Cette démarche a été saluée tant à Lisbonne qu’à Bruxelles aujourd'hui comme une avancée dont profiteront non seulement l’Alliance atlantique, mais également l’Union européenne. Nombre de mes homologues européens ont même souhaité qu’elle serve d’exemple à d’autres coopérations.

M. Daniel Reiner. Acceptons-en l’augure !

M. Alain Juppé, ministre d'État. S’agissant du partenariat franco-allemand, on dit périodiquement qu’il se porte mal. Depuis les premiers temps de la réconciliation entre nos deux pays, nos intérêts ne sont pas toujours convergents, mais je constate que nous parvenons toujours à trouver des solutions de compromis.

Demain, je serai à Fribourg. Le Président de la République présidera avec Angela Merkel le sommet franco-allemand. Dans la foulée, je me rendrai à Illkirch, près de Strasbourg, pour accueillir un bataillon de soldats allemands qui va s’installer sur le territoire français dans le cadre de la brigade franco-allemande. Ce symbole fort témoigne que notre partenariat avance.

De manière plus prospective, nous sommes en train de préparer, dans le cadre de ce que l’on appelle le triangle de Weimar, une initiative commune à la France, à la Pologne et à l’Allemagne pour faire progresser la politique européenne de sécurité et de défense. Vous le voyez, nous ne renonçons pas, bien au contraire.

En ce qui concerne le jeu des États-Unis, je ne lis pas dans les cœurs ou dans les esprits. Je me contente de lire les textes : selon le concept stratégique de l’Alliance tel qu’il a été adopté à Lisbonne, le cœur de la responsabilité de l’OTAN demeure la sécurité collective, conformément à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, aux termes duquel toute attaque contre l’un des membres de l’Alliance est une attaque contre l’ensemble des membres de l’Alliance. C’est le cœur de la vocation de l’OTAN.

J’ai été un peu surpris que M. Chevènement, dont je sais qu’il est en général un lecteur attentif, ait fait une lecture aussi approximative du concept stratégique. Il est écrit noir sur blanc que l’Alliance est une alliance nucléaire tant qu’il y a des armes nucléaires. On ne peut donc pas considérer que ce qui a été décidé à Lisbonne, c’est la liquidation de la dissuasion nucléaire ; bien au contraire !

Mme Voynet m’a rappelé mes déclarations en faveur du désarmement. Oui, madame Voynet, je souhaite, comme tout un chacun, un monde sans armes nucléaires. Mais quand on veut mettre quelqu’un en difficulté en rappelant ses propos, il faut les citer jusqu’au bout. Je me suis exprimé en ces termes dans la Revue de la défense nationale : « Je souhaite que la France tire les conséquences du processus souhaitable de désarmement, “le moment venu”, quant à ses propres capacités. Je considère que le moment n’est pas venu. » Je ne me sens donc pas du tout en contradiction avec ce que j’ai pu déclarer. De même, je me sens parfaitement à l’aise avec le processus de réintégration de la France dans les structures intégrées de l’Alliance atlantique.

J’en viens maintenant à l’objet plus précis de notre débat, c'est-à-dire la défense anti-missile.

À la suite du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, la France a décidé, dans le cadre de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique, de prendre part aux efforts collectifs pouvant conduire, à terme, à une capacité de défense active contre les missiles.

Là encore, je ne crois pas que l’on puisse parler de « volte-face », comme en témoigne une note au bas de la page 5 de l’excellent rapport de M. le président de la commission des affaires étrangères : « Un tel outil – la défense anti-missile balistique – ne peut donc être considéré comme un substitut de la dissuasion. Mais il peut la compléter en diminuant nos vulnérabilités. C’est pourquoi la France s’est résolument engagée dans une réflexion commune, au sein de l’Alliance atlantique, et développe son propre programme d’autoprotection des forces déployées. » Ces propos ont été tenus par Jacques Chirac lors d’un discours prononcé à l’Île Longue, le 19 janvier 2006.

En cohérence avec un tel objectif, la loi de programmation militaire prévoit le financement d’une capacité autonome d’alerte avancée et d’une capacité autonome de défense anti-missile de théâtre destinée à protéger nos forces déployées.

La future capacité d’alerte avancée reposera sur un radar de très longue portée, dont la capacité opérationnelle est attendue pour 2018, et sur une composante spatiale fondée sur un satellite géostationnaire à capteur infrarouge, dont le lancement est prévu en 2020. Cela étant, nous bénéficions d’ores et déjà des acquis d’un démonstrateur, Spirale, lancé en 2009, qui place la France au petit nombre des pays disposant d’une compétence d’alerte avancée spatiale.

En matière de capacité de défense anti-missile de théâtre, nous disposons déjà d’un premier élément avec le système sol-air moyenne portée terrestre, ou SAMP-T, qui commence à être mis en œuvre par l’armée de l’air. Mais, dans l’état actuel de la programmation, il faudra attendre l’horizon 2020, avec la mise en service du radar de détection et de poursuite et du système de commandement et de contrôle associé, pour que la France dispose d’une capacité anti-missile autonome. Tel est bien notre objectif.

Pour financer ces projets, 1 milliard d’euros de crédits de paiement a été prévu en programmation sur la période allant jusqu’à 2020. À ce montant s’ajoutent environ 55 millions d’euros en matière d’études amont sur la période 2011-2014 pour la préparation du programme d’alerte avancée. J’ai bien noté que le président de Rohan trouvait cette somme insuffisante ; nous tiendrons le plus grand compte de son avis.

Ces efforts commencent à porter leurs fruits. Le 18 octobre dernier, avec le succès du premier tir de qualification du système SAMP-T face à une menace de type « missile balistique de théâtre », la France est entrée dans le club très fermé des puissances ayant démontré une capacité d’interception dans ce domaine.

Lors du sommet de Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers, les alliés ont décidé du principe de l’extension de la défense anti-missile de théâtre à une défense des territoires et des populations.

Vous le savez, notre environnement stratégique évolue de plus en plus vite.

La prolifération balistique au Moyen-Orient, en particulier en Iran, fait peser une menace croissante sur le territoire de certains de nos alliés, qu’il s’agisse de l’Union européenne, de l’Alliance atlantique ou des pays liés à la France par des accords de défense, ou sur nos forces déployées, notamment aux Émirats arabes unis, au Liban ou en Afghanistan.

À moyen terme, à l’horizon 2015-2025, la question de la vulnérabilité de notre propre territoire national peut aussi se poser. Dans ce contexte, nous avons donc donné notre accord au développement d’une capacité de défense anti-missile des territoires et des populations de l’Alliance, tout en restant vigilants sur deux points essentiels.

Nous avons d’abord obtenu que seul le système de commandement et de contrôle, qui permettra le raccordement et le fonctionnement, au sein d’une architecture intégrée, des systèmes d’interception et des capteurs apportés librement par les nations, soit financé en commun. C’est à ce projet que sera affectée la somme de 150 millions à 200 millions d’euros qui a été mentionnée. Le coût de l’extension de ce système de la défense des théâtres à la défense des territoires fait l’objet d’une première estimation de l’Alliance qui correspond à peu près à ce montant. La France contribuera à ces financements via sa contribution annuelle au budget commun de l’Alliance atlantique dédié aux infrastructures, selon la clef de répartition habituelle d’environ 12 %, ce qui paraît à notre portée et correspond en tout cas à nos ambitions.

Nous avons également obtenu que la défense anti-missile soit clairement définie comme un renforcement et non comme un substitut de la dissuasion nucléaire. Sur ce point, je voudrais m’inscrire en faux contre les propos tenus ce soir par certains orateurs dénonçant une ambiguïté. Non, il n’y a aucune ambiguïté, car la formulation du concept stratégique et de la déclaration finale est parfaitement claire sur ce point !

La déclaration du sommet de Lisbonne énonce en effet que l’Alliance atlantique « dispose de tout l’éventail des capacités nécessaires pour assurer la dissuasion et la défense contre toute menace pesant sur la sûreté de nos populations », que « nous maintiendrons une combinaison appropriée de forces conventionnelles, nucléaires et de défense anti-missile », que « la défense anti-missile deviendra partie intégrante de notre posture générale de défense » et que « notre objectif est de renforcer la dissuasion en tant qu’un des éléments centraux de notre défense collective ». Une phrase capitale de cette déclaration finale est gravée dans ma mémoire : « la défense anti-missile renforce la dissuasion – missile defence bolsters deterrence ». Il est en outre prévu, dans le même texte, que la souveraineté de la France sur sa force de dissuasion nucléaire est totalement garantie par les accords que nous avons conclus.

La dissuasion nucléaire française indépendante conserve donc son rôle national propre de garantie ultime de nos intérêts vitaux, tout en concourant à la dissuasion globale de l’Alliance. Rien ne change sur ce point.

Pour aller plus loin, nous devons aujourd’hui prendre en compte cinq enjeux : un enjeu stratégique, lié au besoin de garantir à terme notre dissuasion et de consolider notre relation avec la Russie ; un enjeu de souveraineté, lié à la nécessité de préserver un accès et une participation de la France aux systèmes de commandement et de contrôle ; un enjeu industriel, compte tenu du risque de marginalisation de notre industrie de défense face aux entreprises américaines ; un enjeu financier, au regard des moyens que nous consacrerons à la défense anti-missile et des risques d’éviction qu’elle pourrait faire peser sur notre programmation militaire ou sur celle de l’Alliance ; enfin, un enjeu d’interopérabilité, car nous devons veiller à ce que les systèmes concourant à la défense anti-missile balistique au niveau national – systèmes de veille, d’acquisition et de tir – soient compatibles avec des architectures et des standards retenus dans le cadre de l’Alliance atlantique.

Au regard de ces différents enjeux, nous agirons en conformité avec trois principes de base.

Le premier principe est le maintien de notre autonomie stratégique.

Cela suppose de rester vigilants et de développer une stratégie de pédagogie envers nos alliés européens sur l’intérêt de la dissuasion nucléaire française et britannique, pour faire valoir la complémentarité réelle de celle-ci avec la défense anti-missile balistique.

Cela suppose ensuite de préserver notre souveraineté, notamment sur le segment de commandement et de contrôle, et de valoriser la contribution de nos capacités et de notre industrie de défense.

Cela suppose enfin d’accompagner la coopération de l’Alliance avec la Russie comme nous l’avons décidé lors du sommet de Lisbonne. À cette occasion, le dialogue avec le Président Medvedev a été un moment extrêmement fort. Cette décision est importante, car elle crée de la confiance et montre que nos intérêts en matière de sécurité sont communs. Nous devons donc trouver un juste équilibre entre les besoins de l’Alliance et la volonté de la Russie de participer à la protection du territoire européen. Le Président Medvedev a évoqué l’idée d’un système de défense anti-missile conjoint reposant sur des zones de responsabilités en Europe, le Premier ministre Poutine ayant ensuite expliqué que, si l’on ne progressait pas sur ce terrain, une course aux armements pourrait se déclencher à nouveau. Mais je veux accorder une importance prioritaire aux déclarations faites à Lisbonne par le Président Medvedev. La suggestion russe doit être étudiée plus en détail dans les mois prochains, afin d’en évaluer la faisabilité technique et financière.

Le deuxième principe est le réalisme.

À la suite du sommet de Lisbonne, de nombreux travaux vont s’engager – notre débat ne s’achève donc pas ce soir, car nous aurons l’occasion d’évoquer ce sujet en de nombreuses circonstances –, qu’il s’agisse de scénarios opérationnels ou d’études techniques et d’ingénierie. Nous devons veiller à ce que ces travaux répondent bien aux ambitions de l’Alliance en termes de couverture géographique, de menaces prioritaires et de critères d’emploi, tout en évitant de succomber à la tentation de la surenchère. Nous devons également lancer les études nous permettant d’évaluer les propositions discutées dans le cadre de l’Alliance, d’analyser la pertinence des solutions qui existent déjà et de défendre nos positions au sein des groupes de travail techniques.

Enfin, le troisième principe est le pragmatisme.

Nous devons prendre en compte l’approche « phasée » proposée désormais par les Américains, afin d’intégrer nos réflexions dans un calendrier cohérent ; sur ce point, j’ai bien noté les conseils de prudence et de réalisme qui nous ont été dispensés, notamment par le président de Rohan.

Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, à court terme, notre vision est claire : notre priorité est de développer des moyens de défense anti-missile de théâtre, pour répondre aux besoins opérationnels de nos forces et préserver notre base industrielle de défense. Cette stratégie nationale nous donne une vraie crédibilité pour peser dans le débat qui s’est engagé au sein de l’Alliance atlantique, qu’il s’agisse de la question de l’extension de la défense anti-missile de théâtre aux territoires ou de la relation entre l’Alliance et la Russie.

À plus long terme, les orientations que nous prendrons dépendront des retours d’expérience de ces premières étapes. Nous disposons donc de tous les atouts pour relever ce défi du xxie siècle. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

15

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 13 décembre 2010 :

À quatorze heures trente et le soir :

1. Débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010.

2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (n° 130, 2009-2010).

Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 20, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 21, 2010-2011).

Avis de Mme Françoise Henneron, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 3, 2010-2011).

Avis de M. Pierre Bordier, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 5, 2010-2011).

Avis de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 6, 2010-2011).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 10 décembre 2010, à zéro heure vingt-cinq.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART