M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, j’aurai d’abord, à cet instant, une pensée pour le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je suis heureux de savoir qu’il va bien.
Je voudrais aborder deux sujets, monsieur le ministre d’État : notre place dans l’OTAN et la situation en Afghanistan.
Le sommet de l’OTAN de Lisbonne n’a pas apporté la clarification et les précisions attendues, tout au moins pour l’observateur que je suis. Une fois encore, le Parlement a été complètement mis à l’écart. On discute à Lisbonne, monsieur le ministre d’État, mais pas à Paris : ici, c’est silence radio ! Pas de débat au Parlement avant les sommets de l’OTAN ! L’Élysée ordonne et dispose. On suit le mouvement, mais en silence.
Je voudrais dire quelques mots de l’ensemble des décisions qui ont été prises et acceptées par le Gouvernement lors de ce sommet.
En ce qui concerne l’Afghanistan, le calendrier de retrait reste flou, dans l’attente des décisions qui seront prises par le Président Obama à la fin du mois de décembre 2010.
En ce qui concerne le bouclier antimissile, il s’agit d’un accord qui nous engage fortement, alors que le projet n’est qu’au stade de l’ébauche, emporte des conséquences graves pour notre autonomie stratégique et risque de placer les industries européennes de défense en position de sous-traitants.
Quant au nouveau concept stratégique, qui entérine une extension du domaine d’action de l’OTAN vers une approche globale, civile et militaire, dans la gestion des crises, il laissera clairement l’Union européenne sous la dépendance de l’Alliance atlantique. Ce nouveau concept renforce la maîtrise et la prééminence politique des États-Unis sur les alliés : exit l’Europe de la défense. Que de revirements, que de renoncements ! Et que l’on ne nous accuse pas d’être timorés, que l’on n’essaie pas de nous rassurer en nous affirmant que le temple sera bien gardé !
Sur la situation en Afghanistan, dont vous n’êtes bien évidemment pas le premier responsable, monsieur le ministre d’État, le constat tient en trois mots : échec, confusion, désordre. Tous les six mois, un changement de stratégie est annoncé. Cela revient à dire qu’il n’y a pas de stratégie !
Je rappelle que MM. Kouchner et Morin, exfiltrés depuis du Gouvernement, avaient déclaré que « la nouvelle stratégie concertée de la communauté internationale avait été décidée à Londres, le 28 janvier 2010 ». Et avant Londres, c’était Bucarest, en avril 2008 : il s’agissait alors de gagner les cœurs et les esprits, d’amener le peuple afghan à faire cause commune avec la force internationale et à rejeter les talibans…
Qu’est-ce alors que cette « nouvelle nouvelle » stratégie concoctée à Lisbonne ? Mon sentiment, monsieur le ministre d’État, est qu’il s’agit d’une stratégie de communication, un point c’est tout !
Ces stratèges-là sont aussi perdus aujourd’hui qu’il y a quelques mois : ils s’enfoncent dans le bourbier et ils ne trouvent pas la sortie.
Hier encore, on refusait à grands cris de parler d’un calendrier de retrait, et de grands spécialistes m’expliquaient qu’il ne fallait pas donner de l’espoir et des informations aux talibans, que c’était criminel ! Alors, pourquoi annoncer ce calendrier aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé sur le terrain ?
Je vais vous le dire : rien n’a changé sur place ! En revanche, à Washington, à Londres et à Berlin, on constate la prise en compte d’une réalité : l’OTAN n’en mène pas large, et les États-Unis conduisent leur barque en fonction de leurs intérêts politiques supérieurs. L’OTAN suivra, et les Européens aussi !
Les États-Unis avaient déjà annoncé qu’ils entameraient leur retrait en 2011. Les Pays-Bas et le Canada annoncent également leur départ cette même année. L’Allemagne reconsidère périodiquement – devant son Parlement, elle – son engagement militaire et fixe le début du retrait à 2012. En Grande-Bretagne, l’échéance semble fixée à la fin de 2014.
Chez nous, votre prédécesseur avait fait la déclaration suivante : « En 2011, nous allons transférer toute une série de districts aux Afghans. À ce moment-là, il pourra y avoir les premiers déplacements ou retraits des forces alliées d’Afghanistan… » Qui faut-il croire ? La confusion est à l’œuvre !
À Lisbonne, il a été question de « transfert de la responsabilité » aux forces afghanes, ce qui ne signifie pas retrait des troupes ! La sécurité sera cogérée, district par district, par les forces coalisées et les forces afghanes. Dans le meilleur des cas, il y aura plus tard transfert intégral de la responsabilité à l’armée afghane : cela, c’est la théorie.
En réalité, l’engagement risque de se prolonger indéfiniment. On voit mal émerger d’ici à trois ans un État afghan doté de structures suffisantes pour assurer sa propre sécurité, s’appuyant sur un pays pacifié et des populations réconciliées. Nous sommes venus, nous avons vu, nous n’avons pas vaincu…
Je m’interroge : si, à partir de 2011, les forces de l’OTAN réorientent leur mission vers la formation des forces afghanes, quelles forces poursuivront les actions militaires les plus dures dans les districts et les régions non sécurisés ? Les forces américaines seules ? Formation des forces afghanes ou pas, nos soldats seront impliqués dans les combats. Faudra-t-il alors renforcer notre présence ? Étant donné le budget de la défense, l’état de nos finances et l’état de nos forces, pourrons-nous, en toute sécurité et avec les moyens adéquats, augmenter encore le nombre de nos soldats sur place ?
Si l’on en croit les annonces ayant suivi le sommet de Lisbonne, il y a maintenant une stratégie, avec une perspective de sortie du conflit. Cette stratégie, nous la réclamions depuis longtemps ; est-elle adaptée à la situation ?
L’OTAN a cherché à donner le change dans le domaine militaire et, surtout, à rassurer les opinions publiques occidentales. Mais nous savons tous que la solution sera politique et diplomatique. Dans ces conditions, quelle elle est la stratégie politique pour sortir du conflit ? Le silence nous assourdit ! Et les négociations avec les talibans pour partager le pouvoir ? On n’en parle pas. Et la guerre sans merci livrée sur la zone frontalière, côté pakistanais ? On n’en parle pas.
Il n’y a aucune avancée en termes d’implication positive des pays riverains. Tout se passe comme si ces derniers regardaient avec attention comment le piège afghan se referme, une fois de plus, sur les troupes étrangères, chacun faisant ses calculs pour le coup d’après !
Les objectifs de l’intervention restent toujours mal définis : lutte contre le terrorisme d’Al-Qaïda ? Victoire militaire sur les talibans ? Construction d’une démocratie et d’un État de droit ? Soutien au pouvoir de M. Karzaï ? Reconstruction de l’économie ? Réconciliation et réintégration des talibans ? Cette confusion n’est ni responsable ni efficace.
Elle n’est pas responsable, parce que nos soldats doivent connaître avec précision le but de leur présence sur le terrain où ils risquent leur vie.
Elle n’est pas efficace, parce que le plein soutien de la nation ne peut se manifester que si les objectifs politiques et militaires de la guerre sont clarifiés, assumés et partagés.
Nous nous sommes éloignés des objectifs établis lors du début de l’intervention française en Afghanistan. Nous en payons aujourd’hui les conséquences.
Après 2007, la dérive s’est accentuée, et le Président de la République a accepté de placer nos troupes à la remorque de l’OTAN, ce qui, à Kaboul comme à Paris, signifie clairement à la remorque des États-Unis.
Monsieur le ministre d’État, la stratégie mise en œuvre a échoué, l’option militaire n’est pas la bonne.
Ailleurs, les parlements discutent sans faux-fuyants de l’engagement en Afghanistan, et ils appellent un chat un chat. La corruption, les trafics de drogue, les hésitations dans la conduite des opérations, la dure réalité des combats sont mis sur la table.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Et le temps de parole ?
M. Jean-Louis Carrère. Rassurez-vous, je vais m’arrêter. Je sais que je vous lasse, excusez-moi !
M. François Trucy, rapporteur spécial. Mais non !
M. Jean-Louis Carrère. Cela étant, hier soir, c’est vous qui nous avez beaucoup lassés ! Donc, à la sœur, la sœur et demie !
Mme Gisèle Printz. Très bien !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre d’État, cette guerre est un piège. Vous-même avez d’ailleurs utilisé cette métaphore. Cependant, il ne s’agit pas ici de jouer avec les mots.
Nous persistons à demander un retrait progressif, calculé et planifié d’Afghanistan, mais avec une perspective de sortie confirmée et débattue.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. J’espère que vous pourrez répondre à cette demande. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, c’est en vérité un exercice complexe que de tenter d’évaluer la crédibilité et la solidité du présent budget, qui est le troisième de l’État.
Au fond, on ne sait pas quelles sont ses priorités et à quelles demandes il répond : s’agit-il de garantir la sécurité du territoire national et de nos concitoyens ? D’assurer la protection des intérêts de la France ? De consolider l’industrie de la défense, qui, après avoir beaucoup exporté, est aujourd’hui en difficulté ? Que ce soit au nom de l’amitié ou de l’emploi, cette dernière préoccupation existe chez certains.
À dire vrai, on a l’impression d’avoir changé de planète en quelques semaines, et pas seulement de ministre. Le Livre blanc à peine digéré, la loi de programmation militaire à peine votée – loi que ce budget a bien entendu théoriquement vocation à respecter –, des décisions lourdes ont été prises, qui changent totalement la donne.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat sur ces questions a été réduit à la portion congrue. Après le changement de pied historique opéré par le Président de la République à propos de l’OTAN, changement qui fut décidé en conclave restreint, bien avant d’être discuté ici pour la beauté de l’argumentation, le ralliement de la France au concept de bouclier antimissile constitue à son tour une remise en cause profonde des notions qui ont fondé jusqu’ici la politique de sécurité et de défense de la France, mettant à mal au passage, une fois de plus, notre relation privilégiée avec l’Allemagne. Quant à l’Europe de la défense, n’en parlons plus !
La décision est déjà prise ; elle l’a été au sommet de Lisbonne. Dans ces conditions, à quoi bon maintenir le débat d’orientation sur la défense antimissile qui doit théoriquement se tenir le 9 décembre au Sénat ?
La décision a donc été prise, disais-je, à l’issue d’un marathon fébrile. Il a en effet fallu convaincre de la pertinence d’une « complémentarité » entre la dissuasion nucléaire et le bouclier antimissile et mettre en échec la stratégie de ces États européens, dont l’Allemagne, qui, prenant au mot le discours de Barack Obama à Prague, ont tenté de traduire en un engagement concret, évidemment graduel et progressif, ce rêve d’une dénucléarisation de l’Europe, vingt ans après la fin de la guerre froide.
Le ralliement français au bouclier antimissile pose évidemment des problèmes majeurs, en termes de souveraineté partagée ou de transfert de souveraineté. Qui décidera demain des équipements nécessaires et qui les fournira ? Les États-Unis, évidemment, qui ont un argument imparable : « je paie, donc je décide ». Ils décideront également de l’emploi du bouclier, terme d’ailleurs ambigu, erroné. On peut imaginer qu’il a été choisi à dessein par les spin doctors américains. Un bouclier est en effet passif, alors que l’on parle ici d’armes destinées à être employées.
Cette décision pose aussi des problèmes de crédibilité pour notre pays, qui, plus que d’autres et avant d’autres, monsieur le ministre, a renoncé à une partie de son arsenal nucléaire, sans toutefois en retirer aucun bénéfice moral ou diplomatique, notamment chez nos partenaires du Sud, tant les actes d’aujourd’hui démentent les engagements d’hier.
J’ai écouté avec l’attention qu’elle mérite l’argumentation du Président de la République. Le bouclier antimissile ? Il vaut mieux pouvoir neutraliser un missile avant qu’il ne fasse des dégâts au sol, a-t-il dit. C’est évident ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Surtout si c’est le palais de l’Élysée qui est visé !
Mme Dominique Voynet. La menace, c’est l’Iran, ajoute in petto le Président de la République.
Alors là, monsieur le ministre, je ne comprends plus ! En effet, si les dirigeants politiques et religieux de l’Iran, qui sont certes virulents, mais pas complètement irrationnels, en venaient à oser frapper l’un ou l’autre des pays dotés de l’arme nucléaire, cela signerait tout simplement l’acte de décès de la dissuasion nucléaire. À vrai dire, le simple fait que l’on se pose la question est déjà en soi problématique.
Je ne dis pas que l’Iran, dont les dépenses militaires, inférieures à 10 milliards d’euros, sont toutefois cent fois moins élevées que celles des pays de l’OTAN, ne pose pas de problèmes de sécurité au monde, mais je pense que c’est du côté du terrorisme, de la biopiraterie que se situe la menace iranienne, et pas du côté du nucléaire. La dissuasion nucléaire permettra-t-elle d’y répondre ? Bien sûr que non !
On ne sait plus vraiment quelle menace la dissuasion nucléaire vise à conjurer dans un monde multipolaire complexe.
Un monde sans armes nucléaires, ce n’est pas pour demain, me répondrez-vous. Évidemment ! Mais je retiens des conclusions du sommet de Lisbonne, que j’ai épluchées, que les pays de l’OTAN pourraient être les derniers à y renoncer.
Tant qu’un pays tiers disposera de quelques ogives, on pourrait effectivement être tenté de maintenir notre armement à un niveau opérationnel. Alors même que le Président de la République reconnaît finalement à demi-mot, puisqu’il éprouve le besoin de doter la France du bouclier antimissile, que les efforts consentis en matière de dissuasion ne permettent pas d’assurer de façon certaine et définitive la protection du territoire et de la population, nous sommes donc contraints d’inscrire une fois de plus dans le budget des sommes considérables à cette fin.
Si les finances publiques étaient florissantes, si nous n’avions que des problèmes de riches, nous pourrions nous accommoder de la juxtaposition de programmes coûteux, aux objectifs fumeux, et consacrer notre énergie à des débats moraux sur la question de l’acceptabilité du nucléaire.
Monsieur le ministre, le moment n’est-il pas venu de faire des choix ? Nous pourrions consacrer 3,4 milliards d’euros par an à l’équipement des troupes, à leur formation, à leur maintien en condition opérationnelle, à leur entraînement, à leur acheminement en toute sécurité sur les théâtres d’opérations, à la satisfaction des engagements qui ont été pris envers nos soldats.
Vous avez posé des actes forts par le passé et vous êtes prononcé nettement, par exemple, en faveur d’un processus de désarmement nucléaire. Vous êtes un esprit libre, vous avez été Premier ministre, ministre des affaires étrangères, vous n’avez plus rien à prouver. Faites en sorte que prévale l’idée selon laquelle notre sécurité commune repose davantage sur nos efforts pour préserver la paix, pour accompagner le développement, pour conserver la confiance des pays qui doutent de notre détermination en la matière, que sur le montant des crédits que nous affecterons à une politique dépassée, qui n’a pas fait plus la preuve de son efficacité que la ligne Maginot en son temps. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je souhaiterais vous faire part de deux observations et de deux interrogations.
Ma première observation sera en forme de paradoxe : jamais les outils qui pourraient être mis au service d’une authentique politique européenne de défense et de sécurité n’ont été aussi importants ; pourtant, jamais la perspective de la mise en place d’une telle politique n’a paru aussi éloignée.
L’encre du traité de Lisbonne est à peine sèche, l’outil des coopérations structurées est là, sur la table, mais personne n’envisage de s’en emparer. L’OCCAR, l’organisme conjoint de coopération en matière d’armement, existe et travaille plutôt bien. L’Agence européenne de défense existe, mais elle a si peu de moyens…
Nous allons bientôt transposer les deux directives du paquet « défense ». C’est une autre approche, par la base, de ce qui pourrait être l’amorce d’une restructuration, difficile mais nécessaire, des industries de défense européennes. L’idée est d’accomplir, petit à petit, grâce à quelques règles simples, ce que la volonté des États peine à réaliser. Pourquoi pas ? Après tout, la méthode des petits pas a fait ses preuves en son temps.
Cela peut réussir, à condition toutefois de ne pas faire n’importe quoi lorsque nous transposerons ces deux directives ! Il faudra se garder, en particulier, de livrer le marché de la défense aux industries non européennes, sous couvert de concurrence non faussée.
Quoi qu’il en soit, l’Europe de la défense perd son souffle. Jamais la perspective d’une défense commune n’a paru aussi lointaine. Les partenariats industriels qui existaient sont en train de se déliter. L’Allemagne regarde à nouveau vers l’Est. Ainsi, Siemens est sorti du capital d’Areva pour nouer une alliance avec les Russes : pourquoi ? Avons-nous commis des erreurs ?
Dans l’industrie navale, les dirigeants du groupe allemand Thyssen Krupp Marine Systems semblent préférer s’allier avec le groupe émirati Abu Dhabi Mar plutôt qu’avec l’entreprise française DCNS, une telle alliance étant considérée outre-Rhin comme « autrement plus solide que la perspective d’un groupe naval européen ».
La même DCNS vient de divorcer d’avec Navantia, qui fut son partenaire dans le domaine des sous-marins, au motif que ce dernier lui faisait des infidélités avec les industriels américains, et on voit mal, à vrai dire, ce qui pourrait la conduire à une relation plus poussée avec l’italien Fincantieri, compte tenu, par exemple, de l’échec de la coopération sur les torpilles lourdes. Bref, le spectacle n’est pas beau à voir !
Dans le domaine des blindés, la situation est pire encore ! Chaque État européen ayant encouragé ses propres industriels, aucun groupe n’a pu émerger à l’échelle européenne. Cette situation a favorisé le rachat par des groupes américains d’industriels européens, comme en Suisse ou en Espagne. En France, trois constructeurs, dont une société entièrement détenue par l’État, se partagent un marché étroit et semblent peu enthousiastes – c’est un euphémisme ! – à l’idée d’un regroupement. Moyennant quoi, c’est un groupe italien qui vient de remporter le marché des porteurs polyvalents terrestres…
Dans le domaine aéronautique, l’avion A400M se fera, mais après combien de tergiversations, après quel feuilleton ! Je n’ai pas le souvenir que la construction du Transall par la France et l’Allemagne, voilà bien longtemps, ait suscité tant de tracas ! Quant au remplaçant des avions Rafale, la question n’est plus, à mon avis, de savoir s’il sera français ou même européen ; à ce stade, tout porte à croire qu’il sera – qu’il est déjà –, avec le Joint Strike Fighter, en grande partie américain.
Ma seconde observation portera sur le fait que, face à cette situation – ou peut-être à cause d’elle –, la stratégie française paraît changer de pied depuis trois ans, et d’une façon spectaculaire ces dernières semaines, sans que le Parlement y soit associé par le biais d’un débat, hélas !
Ce changement se manifeste, d’abord, avec la réintégration par la France du commandement militaire intégré de l’OTAN. Vous n’en étiez pas un fervent partisan, monsieur le ministre d’État, ou alors sous certaines conditions, dont vous pourrez peut-être nous préciser si elles sont en voie d’être satisfaites.
Ce changement s’exprime, ensuite, par les récents accords de Londres, qui semblent sonner le glas d’une approche multilatérale de défense, et en particulier de l’Agence européenne de la défense. Cela ne manque pas de sel quand on sait qu’une Française, Mme Claude-France Arnould, vient d’en prendre la direction.
Ce changement se traduit, enfin, par la participation de la France à la mise en place de la défense antimissile de l’OTAN, qui vient d’être décidée au sommet de Lisbonne.
Que dire de ces décisions, sinon qu’elles paraissent surtout s’imposer à nous ? En outre, chacune d’entre elles a sa logique propre, et on peut entendre les arguments qui les sous-tendent.
La France aura plus de poids au sein de l’OTAN que hors de cette instance.
La France, en désaccord avec l’Allemagne pour ce qui concerne la dissuasion nucléaire en particulier, et le nucléaire en général, s’est tournée vers le Royaume-Uni, seul partenaire européen à consentir un effort financier comparable au sien en matière de défense. C’est un PACS de raison, comme le dit notre collègue Jean-Pierre Chevènement.
Enfin, la défense antimissile balistique semble s’imposer à nous, car c’est moins un équipement militaire contre une menace encore bien lointaine qu’un outil diplomatique au service d’une stratégie d’influence, et c’est aussi le moyen de financer une formidable course aux technologies spatiales.
Tout cela annonce-t-il la fin de l’Europe de la défense, l’échec de l’approche multilatérale qui avait prévalu à Saint-Malo ? Souhaitez-vous, au contraire, que l’alliance franco-britannique crée ce noyau dur, cette masse critique dont nous appelons tous de nos vœux l’émergence, et que nos amis Allemands, Italiens, Espagnols et, au-delà, tous nos amis européens, veuillent tôt ou tard nous rejoindre ?
Monsieur le ministre d’État, nous attendons avec intérêt vos réponses à ces quelques interrogations sur l’Europe de la défense et de l’industrie de l’armement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.
M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, avant d’évoquer le projet de budget pour 2011 de la mission « Défense », je tiens à rendre un hommage appuyé à tous nos militaires engagés sur différents terrains d’opérations à travers le monde, assurant par leur action pour la paix le respect des engagements internationaux de la France.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Piras. Le risque ultime qu’ils courent nous oblige à veiller à garantir, au travers de la définition des moyens mis à leur disposition, l’efficacité de leur action et leur sécurité.
À ce titre, le présent projet de budget est préoccupant. Il conduira, à terme, à une insuffisance des moyens consacrés à la défense, qui sera préjudiciable à la sécurité de notre pays et au respect de nos engagements internationaux.
La question de l’utilité des lois de programmation militaire se pose. En effet, une réduction de 3,63 milliards d’euros pour la période 2011-2013 est prévue par rapport à la loi de programmation militaire pour 2009-2014. Les crédits budgétaires inscrits dans cette programmation triennale marquent incontestablement un décrochage par rapport à celle-ci.
Nous ne sommes pas dupes, monsieur le ministre d’État ! La baisse des crédits budgétaires est en partie masquée par la hausse des recettes exceptionnelles, qui la ramène à 1,25 milliard d’euros. En fait, cette hausse tient essentiellement à un glissement des recettes non réalisées en 2009 et en 2010, mais pourtant mises à contribution pour rendre présentables ces deux exercices budgétaires.
En ce qui concerne le projet de budget pour 2011, ce sont 1 milliard d’euros de recettes exceptionnelles non prévues qui sont prises en compte, permettant de masquer une réduction des crédits par rapport à 2010 d’un montant équivalent.
Le fait que le financement du budget de la défense repose dans une mesure importante sur des recettes exceptionnelles amène à s’interroger sur la pérennité de celui-ci. Le principe et le régime de ces recettes exceptionnelles, qui avaient pourtant une finalité particulière, à savoir le financement d’un supplément de dépenses d’équipement résultant d’engagements antérieurs, ne risquent-ils pas d’être remis en cause au regard des nouvelles contraintes budgétaires ?
En outre, la réalité de ces recettes exceptionnelles est, en l’espèce, pour le moins sujette à caution. Les exercices 2009 et 2010 prouvent qu’une grande partie des recettes exceptionnelles pourtant inscrites dans le budget n’ont pas été perçues. Je vous rappelle, monsieur le ministre d’État, que les finances publiques reposent sur le principe de sincérité budgétaire. Or, en dépit des annonces, aucune ressource tirée de l’utilisation du spectre hertzien et quasiment aucune ressource immobilière n’ont été perçues en 2009 et en 2010. Un nouveau report de la réalisation de ces recettes exceptionnelles aurait une incidence notable sur le budget de 2011. Nous verrons…
Le débat parlementaire sur les crédits de cette mission a mis en lumière des problématiques qui n’ont pas reçu de réponse satisfaisante.
Ainsi, le projet de partenariat public-privé pour le site de Balard est-il réellement opportun sur le plan financier ? Quelle sera l’incidence financière de la réforme des retraites que vous avez soutenue, monsieur le ministre d’État ? Quelle est l’efficacité financière de la politique d’externalisation conduite ? Le réseau des bases de défense est-il réellement efficient ? Je pourrais multiplier les exemples témoignant que vos orientations manquent de cohérence au regard de la rigueur budgétaire imposée.
Dans leur excellente note de présentation, les rapporteurs spéciaux ont souligné que les moyens financiers seront nettement inférieurs à ceux qui étaient prévus dans le Livre blanc de 2008. En octobre dernier, vous avez même précisé, monsieur le ministre d’État, que l’écart avec les prévisions de la loi de programmation militaire pourrait atteindre 20 milliards d’euros et remettre profondément en cause notre modèle d’armée.
La rareté des ressources financières, même si les impératifs budgétaires ne devraient pas régir les choix stratégiques essentiels, va inéluctablement conduire à des arbitrages sur trois éléments fondamentaux : l’effectif de notre armée, les spécifications des matériels produits et destinés à équiper notre armée pour qu’elle puisse assurer efficacement ses missions, le ciblage de la recherche et du développement sur des technologies adaptées à la nature des conflits futurs.
Il semble acquis que le format prévu pour l’armée française à l’horizon 2020 ne pourra être atteint et que des arbitrages politiques vont être nécessaires, l’ambition étant que la France conserve son statut militaire mondial, condition indispensable pour que nous puissions influer sur les grandes décisions internationales. Les orientations prises par le Gouvernement ne nous éclairent pas sur ses réelles intentions à cet égard.
Avec un Livre blanc et une loi de programmation militaire obsolètes, nous avons vraiment le sentiment de naviguer à vue. Ces deux documents fixaient des objectifs parfois critiquables, mais qui avaient le mérite d’exister. Or, le projet de budget présenté et les suivants en sont déconnectés. Vers quelle défense allons-nous désormais ?
Ce flou est d’autant plus inquiétant que, parallèlement, la construction de l’Europe de la défense est au point mort. Il est incontestable que l’Agence européenne de défense est dans un état végétatif et que la mécanique bureaucratique des coopérations structurées permanentes aboutit, ce qui était prévisible, à une impasse.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Bernard Piras. Certes, les récents accords bilatéraux franco-anglais vont dans le bon sens, mais ils soulignent en creux la défaillance de la construction européenne.
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre d’État, que, devant autant d’incertitudes et d’incohérence, nous ne puissions voter le projet de budget que vous nous soumettez.
Pour conclure, j’aimerais vivement connaître, monsieur le ministre d’État, votre position sur la réintégration de la France au sein du commandement militaire de l’OTAN, sur la participation de notre pays au projet américain de bouclier antimissile,…
M. Jean-Marc Todeschini. C’est dur !
M. Bernard Piras. … sur la poursuite de l’engagement militaire français en Afghanistan,…
M. Jean-Marc Todeschini. C’est très dur !
M. Bernard Piras. … sur le désarmement atomique de la France. Vos réponses seront particulièrement instructives quant au rôle que vous ambitionnez de jouer au sein du nouveau gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.