M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
J’ai été saisi, je le rappelle, d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 91 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 197 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.
M. David Assouline. Le Sénat est encore censuré ! Il l’est tous les jours ! Nous devenons une chambre dérangeante !
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour un rappel au règlement.
M. Philippe Adnot. Je souhaite faire ce rappel au règlement, car je considère que M. le ministre a introduit un élément nouveau dont nous n’avions pas connaissance et qu’il aurait mieux valu, pour voter, que nous ayons la confirmation ou non de ce qu’il nous a dit.
En effet, il a dit tout à l'heure que le conseiller territorial ne pourrait pas être également parlementaire. On apprend ainsi que le maire d’une grande ville ou le président d’une agglomération pourra être parlementaire dans le contexte actuel, mais que les présidents de régions ou de conseils généraux, puisqu’ils deviendront conseillers territoriaux, ne pourront pas être parlementaires.
C’est un élément qui, de mon point de vue, aurait mérité d’être explicité avant que nous ne votions, parce qu’il change un peu les choses.
Je me permets d’ajouter, monsieur le président, bien que les explications de vote ne soient pas admises, qu’étant pour ma part résolument contre cette proposition de loi organique, j’étais défavorable au renvoi du texte à la commission, car il aurait fallu rejeter le texte dès aujourd'hui.
M. David Assouline. Vous êtes pour le cumul ! Vous êtes franc !
M. Philippe Adnot. Non, mon cher collègue, il ne s’agit pas de cela. Selon moi, le mandat local est parfaitement complémentaire du mandat national. Cette complémentarité permet d’enrichir la démocratie.
En tout état de cause, j’aimerais que M. le ministre nous donne confirmation ou non de l’élément nouveau qu’il a introduit tout à l’heure, et que la lecture du compte rendu de nos débats montrera.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre. Monsieur le sénateur, c’est bien volontiers que je vous apporte la précision que vous demandez, bien que vous connaissiez déjà la réponse.
Pour avoir été très présent lors du débat sur le texte de réforme des collectivités territoriales, vous devez vous souvenir en effet que les ministres, notamment M. Marleix, ont rappelé à plusieurs reprises que le mandat de conseiller territorial était un seul mandat, et non plusieurs mandats. Cela donne donc juridiquement toute possibilité au conseiller territorial, que vous serez certainement, d’être candidat et réélu sénateur !
M. David Assouline. Ah !
M. Michel Mercier, ministre. Je suis heureux que M. Assouline émette un « ah » avant que je n’achève mes propos !
M. David Assouline. Ce n’est pas un « ah » d’approbation !
M. Michel Mercier, ministre. C’est certainement de la surprise ! (Sourires.)
J’ai simplement voulu dire que le temps du conseiller territorial ne serait pas le même que celui du conseiller général et que le conseiller territorial devrait aussi se consacrer à son mandat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela s’obscurcit !
M. Michel Mercier, ministre. Il peut y avoir ainsi de nouvelles façons d’aborder la question du cumul.
M. le président. Acte vous est donné, monsieur Adnot, de votre rappel au règlement.
5
Nomination d’un membre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté la candidature de M. Charles Guené pour remplacer M. Alain Lambert, dont le mandat sénatorial a cessé, au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Charles Guené membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
6
Œuvres visuelles orphelines
Adoption d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux œuvres visuelles orphelines et modifiant le code de la propriété intellectuelle, présentée par Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Pierre Bel et Serge Lagauche, Mmes Françoise Cartron et Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste (proposition n° 441 [2009-2010), rapport n° 52) (demande du groupe socialiste).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la proposition de loi.
Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat n’est pas insensible aux droits du créateur et de la photographie. Il s’est d’ailleurs exprimé il y a quelques semaines sur la réalisation des photos d’identité dans les mairies et son impact dommageable pour les artisans photographes installés dans nos villes, profession en proie à de nombreuses difficultés. Ce sujet avait été abordé en commission des finances sur l’initiative de Mme Michèle André et de M. Philippe Marini.
Le choix du Sénat de donner à voir de grands tirages sur les grilles du jardin du Luxembourg, contribue à la diffusion et à la démocratisation de la photographie auprès du grand public. L’exposition de Yann Arthus-Bertrand a été vue par plus de deux millions de visiteurs.
Le métier de photoreporter fait rêver beaucoup de jeunes et ces ambitions font souvent la fierté des parents. L’empathie des Français pour Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, auxquels nous pensons, serait la même pour des preneurs d’images, car nous avons besoin de leurs photographies et de leurs reportages. Ils sont nos yeux sur le monde. Nous leur devons solidarité.
L’engouement pour cette profession dans ses multiples facettes ne doit pas faire oublier les grandes difficultés auxquelles elle est confrontée.
Pour des raisons d’économies, de nombreux titres de presse n’ont plus de service propre sur l’image. Des collectifs ont disparu, comme l’Œil Public. Des agences se sont trouvées en redressement judiciaire, notamment Rapho, Gamma, Explorer.
Des photothèques complètes ont été rachetées, au risque que la gestion des œuvres ne se fasse pas dans le respect des droits d’auteur.
Le passage au numérique a certes éliminé la pellicule, le développement, le tirage, la matière chimique associée à ce procédé. Cependant, le nouveau matériel requis est particulièrement coûteux : 3 000 euros pour un boîtier, 1 500 euros pour un objectif, 2 000 euros pour un grand angle et 5 000 euros pour un bon téléobjectif. Or, comme les ordinateurs, ce matériel évolue à un rythme rapide et devient vite obsolète.
N’oublions pas non plus l’acquisition d’une multitude de logiciels à plus de 1 000 euros et leurs versions successives. L’archivage des données numériques exige en effet de grandes capacités de mémoire, qu’il faut doubler, puisqu’il est recommandé de garantir leur intégrité en les changeant de support tous les ans.
L’investissement de départ a donc été multiplié par trois sans que les commandes de reportage ou les prix de l’utilisation d’une image aient évolué, au contraire ! De plus, le métier a changé : de preneur de vue, le photographe est également devenu informaticien, tireur et chromiste à domicile.
Dans ce contexte, l’objet de cette proposition de loi est très modeste : mettre un terme aux pratiques opportunistes, cyniques ou simplement négligentes de certains éditeurs.
Quand une photographie est publiée, le droit moral de l’auteur se traduit par la mention de son nom ; son droit patrimonial se traduit par une rémunération. En outre, la cession n’est pas définitive, l’usage en est précisé.
La mention « DR », droits réservés, recouvre pour partie le cas des œuvres dont l’éditeur ne connaît pas l’auteur.
Or, de plus en plus fréquemment, des photographies sont exploitées gratuitement, sous prétexte que les auteurs ou leurs ayants droit sont inconnus ou non identifiables. Loin de s’évertuer à chercher la signature possible, nombre de services utilisent cette facilité, par économie de temps et parfois de moyens. La commodité se transmet d’iconographes mal formés en stagiaires mal avertis dans le dialogue raccourci d’une grande banalité : « C’est qui le photographe ? Ne perds pas de temps, écris DR ! ».
Les exemples sont nombreux. Je pense à cette célèbre photographie, de Marc Riboud, d’une jeune fille tenant une fleur près de son visage face aux baïonnettes, récemment publiée dans un quotidien français, abusivement flanquée de la mention « DR ». Mais je pense également aux professionnels qui n’ont pas la même reconnaissance que Riboud ou Cartier-Bresson. Leurs reportages, leurs images sont leur création et leur source de revenu. C’est souvent le métier qu’ils ont choisi et dont ils veulent vivre. Ils se font spolier et priver de la rémunération due pour l’exploitation de leurs images, bien davantage que les auteurs de l’écrit. Il s’institue une concurrence fatale entre leurs œuvres vendues et leurs œuvres détournées et utilisées sans leur aval, donc gratuites.
Cette situation n’est pas anecdotique. Le suivi par l’Union des photographes professionnels pendant plusieurs semaines d’un célèbre hebdomadaire, pourtant réputé pour son goût de la culture, a abouti à un décompte moyen de 60 photographies avec la mention « DR » et 53 sans mention, sur 176 clichés au total. L’esprit du code de la propriété intellectuelle n’est plus respecté qu’à 38 % !
La proposition de loi que nous vous invitons à adopter vise à combler les lacunes de la législation actuelle. Nous parlons en effet ici d’un droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose dans son article 27 que « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur ».
Dans l’état du droit, le fait de ne pas identifier l’auteur d’une photographie ne justifie absolument pas l’utilisation de la mention « droits réservés ». En effet, l’article L. 122–9 du code de la propriété intellectuelle prévoit seulement la possibilité de saisir un juge et de lui demander l’autorisation d’utiliser l’œuvre.
La mention « droits réservés » est devenue un moyen répandu de contourner la loi. Utilisée sans excès, elle aurait pu être protectrice des professionnels. Telle n’est pas la réalité.
Compter sur une procédure judiciaire qui ne permet pas une identification efficace des auteurs ou des ayants droit n’est pas tenable. En outre, le juge ne l’acceptera que si la demande est justifiée par un motif légitime. Par ailleurs, il exigera le versement d’une redevance au titre des droits d’auteur à une société de gestion collective des droits d’auteur.
La justice est encombrée. Elle est là pour régler les litiges, non pour faire de la gestion.
Face à la mention « DR », solution de facilité au mépris des droits attachés à l’œuvre, nous vous proposons un texte de clarification des principes par la définition et la promotion d’un dispositif simple de perception. Il est urgent de mettre fin au pillage !
L’article 1er de cette proposition de loi tend à inscrire au sein du code de la propriété intellectuelle une véritable définition de l’œuvre orpheline. Face au vide juridique actuel, il devient urgent de clarifier la situation afin que les auteurs ou leurs ayants droit puissent faire valoir les droits qui s’y attachent.
L’article 2 met en place de nouvelles dispositions pour l’exploitation des droits attachés à une œuvre visuelle orpheline.
Ainsi, il est prévu de confier la gestion de l’exploitation d’une œuvre visuelle orpheline à une société d’auteurs. Ce sera au ministère de la culture de l’agréer. Au demeurant, point n’est besoin de créer une nouvelle structure.
Cette société devra être en mesure de faire constater les utilisations illicites selon des règles qu’elle appliquera et de faire payer les usages abusifs. Elle se bornera aux œuvres visuelles orphelines, sinon elle deviendrait coresponsable de contrefaçon au préjudice des auteurs qui n’auraient pas été recherchés et elle risquerait de perdre son agrément.
La gestion collective obligatoire apporte une véritable sécurité : elle permet de valoriser l’usage des photographies orphelines et évite une collecte individuelle par les titulaires des droits de la rémunération due. Il est en effet impossible à un photographe indépendant, en plus de ses reportages et de ses sélections, de feuilleter régulièrement la presse quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, ainsi que les livres, pour voir si l’un de ses clichés n’y figurerait pas, sans son autorisation.
Dès que les auteurs ou leurs ayants droit auront été identifiés, la société de gestion collective leur reversera les sommes récoltées. Un délai de prescription de dix ans laissera le temps aux auteurs de réclamer la part due pour la rémunération de leur œuvre. Ce délai peut être débattu. À défaut de trouver l’auteur, cette manne permettra le financement d’actions de formation ou d’aides à la création. Je pense que le commencement souhaitable serait de qualifier sa plateforme d’information, permettant de consulter les œuvres en attente.
En cas de découverte de l’auteur, il est prévu une procédure de réversion, qui mettra fin à l’obligation de gestion collective. Ce mécanisme apportera une nouvelle sécurité juridique non seulement à l’auteur, mais également à l’éditeur.
Cette proposition de loi a reçu le soutien d’un grand nombre de photographes professionnels comme Jane Evelyn Atwood, Sebastiao Salgado, William Klein ou Reza.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous pressons à leurs expositions à la Bibliothèque nationale, au Centre Pompidou, à la Villette. Ces manifestations sont soutenues par des fonds publics. La cohérence veut que l’on entende leur demande unanime.
Toute la profession s’est investie sur le sujet. La pétition a reçu 14 000 signatures, dont 5 000 de professionnels.
Certes, une directive, que le rapporteur nous annonce pour le 23 novembre, va arriver. Toutefois, on le sait, elle ne changera pas grand-chose pour l’avenir proche. Elle ne sera pas transposée avant plusieurs années, notamment parce qu’elle portera sur d’autres secteurs de la création tels que l’écrit et l’audiovisuel. De plus, l’instauration d’une gestion collective obligatoire suppose que soit pris en compte l’état des régimes juridiques applicables dans les États membres.
Souvenez-vous de la directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Publiée en 2001, elle n’a été transposée qu’en 2006 avec la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI. Ce type de délai serait une catastrophe pour la photographie.
Sur d’autres sujets, bien plus graves, le président n’a-t-il pas répondu à la commission que point n’était besoin de transposer, puisque notre législation était déjà en cohérence avec les lignes de la directive ?
Depuis Beaumarchais, la France a toujours été en avance sur la définition et la protection des droits d’auteur, moraux ou patrimoniaux. Par effet bénéfique collatéral, l’attention du Sénat portée à la bibliothèque Richelieu ou à l’INA, l’Institut national de l’audiovisuel, a permis la conservation de tirages prestigieux. Nous devons, pièce par pièce, poursuivre dans cette voie qui honore la diversité culturelle.
Mes chers collègues, nous nous sommes opposés sur la loi DADVSI, et même sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI. Nous voulions tous protéger les auteurs, les uns à tout prix – vous en étiez monsieur le président de la commission et monsieur le rapporteur –, …
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. En effet !
Mme Marie-Christine Blandin. … les autres, dont j’étais, pensant que l’on prenait des risques au regard des libertés individuelles ou de la fluidité de la culture.
Même dans cette tourmente, la commission des affaires culturelles avait, à l’époque, émis un avis favorable sur mon amendement visant à supprimer un cavalier douteux dans la loi DADVSI, amendement par lequel je proposais que les images dont le sujet central n’est pas celui de l’article ne donnent plus lieu à droit d’auteur. Il y avait eu unanimité pour défendre les photographes !
Cette fois-ci, un nouveau consensus, plus large, est possible.
Nous avons reçu des alertes fondées : bibliothèques et archives. Les décrets pourront veiller à la bonne exécution de leur mission d’intérêt public.
Nous avons également reçu des alertes reposant sur des malentendus : jeunes internautes convaincus que le dispositif allait les empêcher de céder des photographies à leurs sites amis. Rassurons-les, une image identifiée par son auteur, et dont l’auteur manifeste sa volonté de ne pas être rémunéré, ne relèvera pas de l’œuvre orpheline : elle sera de père ou de mère connu, et même de père ou de mère généreux. Ni les échanges familiaux ni la coproduction bénévole, laquelle enrichit le bien commun comme cela se fait dans l’écrit pour la pédagogie des mathématiques, ne sont menacés par ce texte. Ces espaces font lien et sont protégés.
La photographie, pour sa part, a réussi ce qui est encore une difficulté pour le théâtre ou pour la danse : elle a créé un continuum entre amateurs, spectateurs, praticiens et création professionnelle. Le numérique en a été l’outil facilitateur. C’est à nous de garder cette fluidité féconde, tout en protégeant la profession, au plus grand intérêt de la qualité, du travail dans la durée, de l’information et de l’art.
Nous achevons à peine l’examen du texte portant réforme des retraites. L’hémicycle est désormais un peu plus clairsemé. Nous sommes maintenant dans une semaine d’initiative sénatoriale, qui permet de débattre sereinement de sujets aussi divers que variés. J’espère de tout cœur que ce texte recevra un avis favorable, particulièrement de votre part, monsieur le ministre, dont l’intérêt pour les arts et l’image est connu.
Le temps nous étant compté, je m’arrête ici afin que le vote puisse avoir lieu avant treize heures, sinon l’examen de ce texte sera reporté sine die ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Humbert, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative de notre collègue Marie-Christine Blandin et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative aux œuvres visuelles dites « orphelines ».
Avant de vous présenter la position de la commission de la culture, je veux saluer la détermination de Mme Blandin, qui nous a permis de prendre conscience de la situation des photographes professionnels et des enjeux du secteur de la photographie, notamment au regard des règles du droit de la propriété littéraire et artistique.
L’œuvre orpheline, qui n’est pas définie dans le code de la propriété intellectuelle, est une œuvre dont on ne retrouve pas l’auteur ou l’ayant droit qui, par définition, ne peut donner son consentement. Elle n’est donc, en théorie, pas exploitable. Mais la réalité peut être bien différente, notamment dans le secteur de la photographie.
C’est d’ailleurs pour réagir au constat de pratiques abusives au regard du droit de la propriété intellectuelle dans ce secteur qu’est née la volonté de déposer la présente proposition de loi. Tous les professionnels du secteur de la presse partagent ce constat : la situation est celle d’une banalisation inacceptable du recours à la mention « droits réservés » ou « DR » en lieu et place du nom de l’auteur de la photographie.
La commission de la culture ne peut que souscrire à cette analyse. Elle souhaite affirmer sa volonté de traiter ce sujet avec sérieux et détermination. Évidemment, comme le soulignait Mme Blandin, la photographie a toute sa place dans la culture et il ne serait pas acceptable d’en négliger les enjeux. Cependant, si nous partageons le constat dressé par les auteurs de cette proposition de loi, nous sommes plus que réservés sur les solutions qu’ils proposent. Nous pensons surtout qu’il est trop tôt pour se prononcer sur les contours politiques du système qui sera choisi pour traiter le cas des œuvres orphelines.
Une fois le constat dressé, le premier réflexe est d’envisager le préjudice moral et patrimonial subi par les photographes dont on utilise les œuvres. La mention « DR », que certains appellent non sans humour « droit à rien », prive le photographe non seulement du droit au respect de son nom et de son œuvre, mais aussi d’une juste rémunération de l’exploitation de son œuvre, c’est-à-dire de son droit patrimonial.
Cependant, les « droits réservés » recouvrent en fait des situations bien différentes qui n’ont pas nécessairement les mêmes conséquences sur les droits patrimoniaux des photographes. Les « droits réservés » concernent aussi bien des photographies de célébrités dites people, pour lesquelles photographes comme agences requièrent l’anonymat ; des photographies institutionnelles ou promotionnelles mises gracieusement à disposition dans les dossiers de presse, dont les auteurs sont en général rémunérés soit forfaitairement soit en qualité de salariés ; des photographies gratuites ou à très bas prix circulant sur Internet ; enfin, bien évidemment, des œuvres dont on n’a pas retrouvé le ou les ayants droit, c'est-à-dire des œuvres orphelines. Mais, d’après les personnes que nous avons auditionnées, ces dernières ne représenteraient que 3 % à 20 % des « DR ».
Ainsi, toute législation sur les œuvres orphelines vise un objectif qui dépasse la lutte contre la dérive de l’usage des « droits réservés », même si elle peut avoir un « effet vertueux », comme le souligne un récent rapport de l’inspection générale des affaires culturelles sur le photojournalisme.
D’ailleurs, la réflexion sur le traitement des œuvres orphelines est née avec l’émergence d’un débat bien plus large : celui de la numérisation du patrimoine écrit qui concerne la France mais aussi l’Union européenne, dont Europeana incarne la naissance du projet de bibliothèque numérique. Cela explique la mobilisation de la Commission européenne sur le sujet des œuvres orphelines, car le patrimoine comprend bien évidemment des œuvres dont on ne connaît pas les ayants droit et dont la numérisation et l’exploitation sont aujourd’hui bloquées.
Nous sommes face à un dilemme juridique entre, d’un côté, la valorisation du patrimoine, une meilleure accessibilité de la culture au plus grand nombre et, de l’autre, la prudence qu’impose toute dérogation au droit de la propriété intellectuelle. C’est parce qu’il s’agit de concilier deux objectifs a priori antagonistes que l’exercice est délicat. D’ailleurs, la Commission européenne, après une réflexion lancée en 2006, a travaillé à l’élaboration d’un projet de directive dont la présentation est imminente. Les grandes orientations européennes en la matière seront alors dévoilées, et nous connaîtrons la logique qui permettra d’autoriser l’exploitation des œuvres orphelines sur la base d’un système de reconnaissance mutuelle entre les États membres de l’Union européenne.
Parallèlement à cette mobilisation européenne, la commission des œuvres orphelines du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, le CSPLA, a rendu un avis en mars 2008. Son rapport met en évidence les points de vigilance à garder à l’esprit, propose une définition des œuvres orphelines et suggère une réforme législative pour recourir à la gestion collective obligatoire.
Finalement, la philosophie de ces travaux semble avoir guidé les auteurs de la présente proposition de loi. Cependant, il existe des différences notables dans la définition des œuvres orphelines, mais aussi dans l’approche sectorielle. Toutes les réflexions menées sur le sujet, à l’échelon tant national qu’européen, abordent conjointement les secteurs de l’écrit et de l’image fixe. C’est à la fois une approche pragmatique mais aussi une conception culturelle du livre, envisagé alors comme un tout, les images et le texte se complétant mutuellement.
Compte tenu des enjeux de numérisation du patrimoine écrit national, il semble étrange de n’envisager de légiférer que sur les seules œuvres visuelles. En pareil cas, l’exploitation des images contenues dans des ouvrages orphelins serait bloquée, ou alors cela pourrait donner des idées d’utilisation qui rompraient avec la logique de l’unité de l’œuvre écrite.
Notre commission a choisi de ne pas élargir le champ de cette proposition de loi au secteur de l’écrit, car elle pense, comme tous les acteurs entendus sur le sujet, que cela serait prématuré, de nombreux débats n’ayant pas encore été tranchés.
D’ailleurs, les questions soulevées par le système de gestion collective proposé à l’article 2 du présent texte semblent également loin d’avoir trouvé une réponse. Sans entrer dans le détail, permettez-moi tout de même d’évoquer plusieurs difficultés soulignées lors des auditions.
Concernant les délais d’autorisation d’exploitation, ne devrait-on pas fixer des durées maximales d’autorisation d’exploitation des œuvres orphelines, à définir en fonction des secteurs ou des utilisations en contrepartie du système dérogatoire proposé ?
De tels délais ne seraient-ils pas une garantie plus satisfaisante pour les ayants droit qui se manifesteraient, plutôt que la caducité des autorisations en cours proposée dans le texte ?
Comment éviter une confusion des rôles des sociétés de gestion collective qui, d’après la rédaction proposée, pourraient être juge et partie et avoir tendance à favoriser la reconnaissance du plus grand nombre d’œuvres orphelines possible afin d’en gérer les droits patrimoniaux ?
Comment s’assurer, enfin, que les barèmes établis ne favorisent pas une concurrence déloyale au profit des œuvres orphelines ?
Là encore, il semble prématuré de vouloir répondre à ces questions dans les délais qui nous sont impartis pour cette première lecture.
Je pourrais résumer mon propos et la position de la commission de la culture en trois points.
Premièrement, les « droits réservés » constituent un vrai sujet qu’il convient de traiter. Nous sommes désormais tous à l’œuvre pour trouver des solutions à ce problème, qui est d’ailleurs devenu l’un des thèmes abordés par les professionnels du secteur de la presse et par le ministère de la culture depuis le dernier festival Visa pour l’image, de Perpignan.
Deuxièmement, la proposition de loi semble aller bien au-delà de la problématique des « droits réservés », sans pour autant aller jusqu’au bout de la logique d’une législation sur les œuvres orphelines. Il serait hasardeux de légiférer sur les œuvres visuelles sans avoir tranché certaines questions qui concernent également le secteur de l’écrit.
Troisièmement, dans ces conditions, la commission de la culture a jugé préférable de ne pas adopter aujourd’hui l’ensemble de la proposition de loi, en particulier les articles 2 et 3 instaurant un système de gestion collective. Elle proposera néanmoins un amendement à l’article 1er visant à donner une définition plus fine des œuvres orphelines et à créer le cadre approprié de définition des critères permettant de l’appliquer.
Nous aurons ainsi jeté ensemble, avec les auteurs de cette proposition de loi, les bases d’une loi qui marquera très certainement une étape décisive dans l’élaboration du droit de la propriété intellectuelle. Nous serons évidemment attentifs aux travaux qui permettront d’enrichir ce texte au cours de la navette parlementaire et qui offriront l’occasion aux différents acteurs, à savoir les auteurs, les éditeurs, les pouvoirs publics, de trancher les nombreuses questions ainsi soulevées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)