M. François Autain. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous l’avons déjà indiqué, l’article 25 duodecies est, pour nous, inacceptable.
En effet, on l’aura bien compris, l’architecture globale du projet de loi vise à modifier profondément la fonction de médecin du travail pour l’adapter aux objectifs du Gouvernement en matière de retraite et, plus particulièrement, de gestion de la pénibilité.
Ce sera au médecin du travail de déterminer, au moins pour une partie, si la situation du salarié peut entrer dans le cadre de la pénibilité individualisée – cette pénibilité étant, je le rappelle, fondée sur le handicap.
D’ailleurs, nous ne dirons jamais assez notre hostilité fondamentale à ce détournement profond du sens du mot « pénibilité ».
L’idée de pénibilité du travail doit être collective. C’est un corps de métier dans son ensemble qui est exposé à la dureté, à la violence du travail et à ses conséquences, visibles dans l’immédiat ou non, sur l’organisme humain.
L’article 25 duodecies offre l’apparence d’un « plus » pour les salariés non couverts actuellement par la santé au travail, alors qu’en réalité il s’agit d’une diminution constante des moyens dont dispose la santé au travail.
Cet article relève de l’effet d’annonce, monsieur le ministre, et nous aimerions que vous expliquiez comment vous comptez, concrètement, permettre aux travailleurs concernés par l’alinéa 8, que vise notre amendement, c’est-à-dire aux travailleurs exécutant habituellement leur contrat de travail dans une entreprise autre que celle de leur employeur, de bénéficier des prestations d’un médecin du travail ?
Compte tenu de l’heure, je comprendrais, monsieur le ministre, que vous ne nous répondiez pas immédiatement…
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Je voudrais indiquer aux membres de la commission que nous avons quatre amendements du Gouvernement à examiner. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Encore !
Mme Annie David. Voilà de nouveaux mauvais coups du Gouvernement !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Je propose que nous nous réunissions ce soir, immédiatement après la suspension de la séance.
Mme Annie David. Ne peut-on pas en avoir connaissance ?
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Ils sont en ligne depuis trois jours !
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour un rappel au règlement.
M. Michel Billout. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 du règlement, relatif à l’organisation de nos travaux.
Je souhaite vous informer, monsieur le président, que s’il se confirme que le Gouvernement tente de remettre en cause l’exercice du droit de grève, inscrit dans la Constitution, nous demanderons la suspension de nos travaux.
En effet, alors que la majorité de la population s’oppose à la réforme des retraites, qu’elle le fait savoir à travers des manifestations d’ampleur historique et qui ne faiblissent pas, ainsi que par des mouvements de grève importants et prolongés, certains préfets organisent de véritables tentatives d’intimidation à l’égard des salariés grévistes.
Ainsi, dans le département dont je suis l’élu, la Seine-et-Marne, la raffinerie Total de Grandpuits est en grève, comme toutes les autres du pays. Or, hier matin, le préfet a pris un arrêté de réquisition des personnels de cet établissement pour « procéder au chargement et à la livraison des clients de la raffinerie ».
Si l’on peut accepter le principe de réquisition du personnel pour assurer la sécurité d’une installation industrielle classée ou pour permettre la fourniture de carburants aux véhicules chargés de la sécurité des personnes, la motivation de l’arrêté préfectoral est clairement en contradiction avec la réglementation du droit de grève, garanti par notre Constitution.
En effet, nous sommes loin des conditions d’urgence, d’atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique requises par l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales.
La remise en cause du droit de grève et la pression policière actuellement exercée à l’encontre des salariés de la raffinerie de Grandpuits sont donc injustifiables. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Rendez-vous sur place, chers collègues !
M. Gérard Longuet. Pour faire le plein ?
M. Michel Billout. L’attitude du préfet de la Seine-et-Marne est inqualifiable. Son arrêté doit être rapporté. Je suis bien conscient des grandes difficultés rencontrées par nos concitoyens en raison de la pénurie de carburant. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Catherine Dumas. C’est vous qui les empêchez de travailler !
M. Charles Revet. C’est vous qui suscitez ces difficultés !
M. Michel Billout. Mais il faut voir clairement les causes de la montée du conflit social. Avec son autisme et, maintenant, le recours à la force, le Gouvernement est responsable de cette situation !
M. Charles Pasqua. Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Michel Billout. Le Gouvernement doit donc aujourd’hui retirer son projet de loi portant réforme des retraites, ouvrir de véritables négociations avec les partenaires sociaux et saisir le peuple de cette question importante que représente l’avenir de notre système de retraites.
M. le président. Monsieur Billout, votre intervention n’est pas un rappel au règlement !
M. Michel Billout. Le droit de grève, monsieur le président, est reconnu par la Constitution ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Article 25 duodecies (suite)
M. le président. Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements déposés à l’article 25 duodecies.
L'amendement n° 1043, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. L’alinéa 9 de cet article vise des salariés exécutant leur contrat de travail dans un autre département que celui où se trouve l’établissement qui les emploie. Il peut aussi concerner ceux, de plus en plus nombreux, qui exercent leur activité selon la formule du télétravail.
Vous allez donc exclure tous ces salariés du régime de droit commun de la médecine du travail, monsieur le ministre. Alors que les syndicats œuvrent depuis plusieurs décennies au rapprochement des divers régimes de prise en charge des questions de santé au travail pour créer un service de médecine du travail harmonisé avec les multiples particularités des systèmes de prévention, vous rompez, au travers de cet alinéa, avec le principe de l’unicité de la médecine du travail au sein d’une même entreprise.
Tous les travailleurs, quel que soit leur statut, doivent disposer des mêmes droits à la prévention en matière de santé au travail tout au long de leur parcours professionnel. Or certains salariés seront laissés pour compte par rapport à d’autres au sein même des entreprises, ce qui constitue une inégalité de traitement des plus flagrantes. Je ne rappelle pas seulement ici un principe : cette réforme peut avoir des effets concrets désastreux – je pense à toutes les conséquences de la pression au travail et aux problèmes psychosociaux qui, aujourd'hui, se révèlent de manière tout à fait dramatique dans les entreprises. Lorsque les salariés sont isolés, ils n’ont absolument plus aucune possibilité d’être suivis médicalement.
Il est donc nécessaire que le travailleur détaché de l’entreprise soit soumis au même service de santé que les autres salariés de celle-ci. Si tel n’est pas le cas, par exemple, son médecin du travail ne sera pas au courant de la situation des autres salariés, alors qu’il devrait l’être pour pouvoir faire face, dans sa mission de surveillance, à des problèmes collectifs affectant la santé des travailleurs, comme le harcèlement moral ou les risques psychosociaux.
Au lieu de faire respecter la loi afin d’imposer une même médecine du travail pour tous, quelles que soient les difficultés d’application des textes, vous créez une sorte de pis-aller pour les salariés visés par cet alinéa, comme pour tous ceux qui sont concernés par l’ensemble de l’article.
Monsieur le ministre, j’ai évoqué, lors de précédents débats, les drames de l’amiante. Il ne faudrait pas que les problèmes psychosociaux, que l’on voit de plus en plus souvent survenir dans nos entreprises, ou l’exposition aux produits cancérogènes, mutagènes et reproductibles deviennent les prochains drames du monde du travail. Il faut être très attentif à la santé des travailleurs dans l’emploi, quels que soient le statut de ces derniers, leur lieu de travail et les dépenses que peut entraîner, pour l’État, le fonctionnement des services de santé au travail.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ma chère collègue, si nous vous suivions et supprimions cet alinéa, nous ôterions toute base légale aux dispositions réglementaires qui concernent ces travailleurs éloignés. Je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 1044, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. L’article 25 duodecies, issu de l’adoption d’un amendement déposé en séance publique à l’Assemblée nationale, donne un fondement légal aux dérogations réglementaires existantes ou pallie l’absence de dispositions relatives à la santé au travail pour plusieurs professions ne disposant pas de représentation spécifique à l’échelon des branches.
Nous rappelons notre opposition aux régimes dérogatoires. En effet, nous savons bien que les dérogations au régime de la surveillance médicale des travailleurs entraînent toujours un abaissement des protections offertes par le droit existant. Plus particulièrement, monsieur le ministre, votre réforme va dans le sens d’un renforcement de la dépendance de la médecine du travail à l’égard de l’entreprise, afin de conforter juridiquement la position des employeurs et de prévenir des recours éventuels.
Avec votre réforme, la médecine du travail deviendra aussi, dans le schéma qui est le vôtre, la cheville ouvrière du démantèlement de la reconnaissance collective de la pénibilité par l’affirmation de l’incapacité individuelle.
En ce qui concerne le présent article, nous pourrions considérer qu’il apporte un très léger mieux. Toutefois, nous ne pouvons nous contenter de si peu.
Par cet amendement, nous réaffirmons notre volonté de renforcer l’indépendance de la médecine du travail à l’égard des employeurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Si nous suivions notre collègue, que deviendraient toutes les dispositions réglementaires qui concernent les travailleurs visés ? La commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 1045, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. À en croire M. le ministre, ce texte marquerait « une avancée considérable pour la médecine du travail ».
On peut s’étonner que l’on nous propose, avec cet article 25 duodecies, de donner un fondement légal à des dérogations réglementaires existantes, donc de contrevenir de nouveau, en matière d’organisation, de financement des services de santé au travail et de suivi de l’état de santé des salariés, à des règles que le contrat de travail place déjà à la marge du droit commun du salariat. Objectivement, nous avons toutes les raisons d’être inquiets, d’autant que tout se fera par un décret dont nous ne savons rien, comme d’habitude.
Pour ce qui concerne les travailleurs saisonniers, le code du travail prévoit pourtant bien une prise en charge par la médecine du travail. Nous ne sommes donc pas face à un vide juridique. Ces travailleurs sont assujettis aux mêmes risques, donc aux mêmes réglementations, que les salariés permanents, et les entreprises ont les mêmes obligations légales à leur égard. S'agissant de la médecine du travail, les obligations de visites d’embauche et de reprise sont donc les mêmes que pour les salariés permanents, avec les mêmes délais.
Dans les faits, compte tenu de la mobilité des saisonniers, leur suivi est plus compliqué à assurer : certains ne répondent pas aux convocations, car celles-ci leur sont envoyées en fin de saison ; d’autres n’ont pas été convoqués, faute de temps et de personnel pour assurer les consultations, dont les horaires sont très souvent en décalage avec les horaires de travail des saisonniers.
Il faut donc réfléchir aux moyens, pour la médecine du travail, d’entrer en contact avec les travailleurs saisonniers. Pourquoi ne pas mettre en place des antennes mobiles ? Il faut faire plus et mieux en matière de médecine du travail, mais ce n’est pas le chemin que vous prenez avec votre réforme !
En l’absence de garanties quant au contenu de ce décret qui déterminera tout de même, je le rappelle, l’organisation, le choix, le financement – les employeurs continueront-ils à l’assurer ? – du service de santé au travail et les modalités de surveillance de l’état de santé de ces travailleurs, nous craignons que ne se mette en place une sous-médecine du travail, cette fois consacrée par la loi. Sinon, monsieur le ministre, pourquoi prévoir un décret spécifique et ne pas donner à la médecine du travail, tout simplement, les moyens de prendre en charge de manière satisfaisante les travailleurs saisonniers ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Si l’on vous suivait, ma chère collègue, il serait impossible de mettre en place un service de médecine du travail pour les travailleurs saisonniers. J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 430, présenté par M. Godefroy, Mme Demontès, MM. Bel, Teulade, Le Menn, Daudigny et Desessard, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Schillinger et Printz, MM. Cazeau, Jeannerot et Kerdraon, Mmes Ghali, Alquier, Campion et San Vicente-Baudrin, MM. Gillot, S. Larcher, Domeizel, Assouline et Bérit-Débat, Mmes M. André, Blondin, Bourzai et Khiari, MM. Bourquin, Botrel, Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume, Haut, Mahéas, Mirassou, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'alinéa 12
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Ces travailleurs bénéficient d'une protection égale à celle des autres travailleurs.
« Des règles et modalités de surveillance adaptées ne peuvent avoir pour effet de modifier la périodicité des examens médicaux définie par le présent code. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous sommes évidemment réservés sur cet article relatif aux modalités d’organisation et de financement du service de la médecine du travail et de surveillance de l’état de santé des travailleurs de certaines catégories.
Cela étant, chacun voit bien les difficultés pratiques de mise en œuvre d’une surveillance médicale de certains travailleurs. Elles peuvent résulter de l’éloignement géographique de salariés détachés par une entreprise installée dans un autre pays ou de l’éloignement de l’entreprise elle-même. Il faut reconnaître cette situation, sans toutefois être naïf.
Nous proposons donc d’insérer deux précisions dans l’article : l’une de principe, indiquant que ces travailleurs bénéficient d’une protection égale à celle des autres travailleurs ; l’autre de portée pratique, prévoyant que ces règles et modalités de surveillance adaptées ne peuvent avoir pour effet de modifier la périodicité des examens médicaux.
Nous sommes en accord, sur ces deux points, avec le plan santé au travail 2010-2014, qui préconise de cibler la prévention sur certaines branches particulièrement exposées, mais aussi sur certains publics, au nombre desquels figurent ceux qui sont mentionnés à l’article 25 duodecies. Cette priorité est-elle compatible, monsieur le ministre, avec des dispositions dérogatoires ?
Le plan santé au travail 2010-2014 préconise aussi une meilleure intégration des problématiques liées à la co-activité et à la sous-traitance. Je ne sais pas si ces préconisations seront suivies d’effet, mais il est certain qu’il est plus que temps de se préoccuper de ces travailleurs précarisés et itinérants.
Dans les branches où la pénibilité est la plus élevée, l’externalisation des activités à risques s’est considérablement développée. Il en résulte une sous-traitance en cascade, qui externalise aussi la hausse des cotisations à la branche accidents du travail-maladies professionnelles. C’est une véritable armée de réserve de travailleurs voués à la précarité, à la sous-rémunération, aux mauvaises conditions de travail et à une flexibilité effarante de l’emploi qui s’est constituée.
Les conditions de vie et de travail de ces salariés migrants et temporaires, qui relèvent précisément des catégories énumérées dans l’article, sont souvent indignes. Beaucoup vont d’un chantier à l’autre à travers toute l’Europe, se voient imposer des horaires de travail sans limitation, vivent dans des locaux de fortune, ne voient plus leur famille dans des conditions décentes et subissent toutes les crises qui peuvent en résulter.
Sur le plan de la santé et de la sécurité, ils sont évidemment les plus exposés aux risques d’accidents ou au déclenchement de maladies liées à l’usure prématurée du corps ou à l’exposition à des substances dangereuses. En ce cas, ils subissent alors une double peine : il leur est quasiment impossible de retrouver un emploi et leur vie est ruinée sur bien des plans. Pour cette raison, ils doivent bénéficier de la même protection, en matière de santé au travail, que tous les autres salariés.
Il est absolument nécessaire que cette situation soit rapidement prise en considération et que notre législation prévoie dans quelles conditions ces salariés bénéficieront d’une surveillance médicale renforcée. Cet amendement devrait vous agréer, car il est tout à fait compatible avec le plan santé au travail 2010-2014.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. J’ai écouté avec attention M. Godefroy. Dans un premier temps, la commission avait émis un avis défavorable sur son amendement, au motif que le premier alinéa n’était pas assez précis.
Cela étant, la finalité de l’amendement étant intéressante, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. L’avis est partagé, mais plutôt favorable. Nous craignons qu’une telle mesure n’introduise trop de rigidité dans le dispositif, en établissant dès à présent le nombre exact de visites médicales, et ne permette pas d’améliorer la situation actuelle. Or nous souhaitons ouvrir l’accès à la médecine du travail à des salariés qui, de fait, n’en bénéficient pas aujourd’hui.
Il paraît toutefois difficile d’afficher un objectif plus modeste que celui qui est prévu dans cet amendement. Dans ces conditions, j’émets un avis plutôt favorable.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. M. le ministre nous dit que l’article 25 duodecies a pour objet de permettre à certains salariés d’accéder au service de la médecine du travail, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Tous les salariés doivent avoir droit à la médecine du travail, y compris les saisonniers ou les intérimaires. Il existe effectivement des dysfonctionnements à l’heure actuelle, mais ce n’est pas en excluant ces travailleurs du bénéfice de la protection de la santé au travail que vous répondrez à leurs besoins spécifiques en la matière.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous nous dire froidement, en séance publique, que des centaines de milliers de travailleurs n’ont pas accès à la médecine du travail ? Il est très grave que le ministre du travail puisse tenir de tels propos ! Vous dites vouloir pallier cette carence, mais, en réalité, vous allez créer une catégorie de travailleurs à statut particulier. On ne sait même pas de quel dispositif de prévention et de santé au travail ils pourront bénéficier !
M. Charles Revet. Vous n’avez rien fait avant ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Madame David, je dis les choses non pas froidement ou chaudement, mais telles qu’elles sont. Nous pouvons tous constater que quelque 2 millions de salariés n’ont pas réellement accès à la médecine du travail. C’est un fait ! Je ne vais pas me boucher les yeux et prétendre que tout est parfait. Nous prenons en compte cette réalité et tentons d’organiser les choses de façon pragmatique afin d’y remédier.
Vous avez le droit de contester nos propositions, mais elles permettront à ces salariés, je le crois, d’accéder à la médecine du travail, qui est un service fondamental.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 432 est présenté par M. Godefroy, Mme Demontès, MM. Bel, Teulade, Le Menn, Daudigny et Desessard, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Schillinger et Printz, MM. Cazeau, Jeannerot et Kerdraon, Mmes Ghali, Alquier, Campion et San Vicente-Baudrin, MM. Gillot, S. Larcher, Domeizel, Assouline et Bérit-Débat, Mmes M. André, Blondin, Bourzai et Khiari, MM. Bourquin, Botrel, Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume, Haut, Mahéas, Mirassou, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 1046 est présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacky Le Menn, pour présenter l’amendement n° 432.
M. Jacky Le Menn. Nous proposons la suppression de l’alinéa 12 de l’article 25 duodecies pour deux raisons.
Nous estimons, tout d’abord, qu’il n’est pas nécessaire que les travailleurs saisonniers soient considérés comme une catégorie à part. En effet, les travailleurs saisonniers sont souvent réembauchés par le même employeur au moins trois ans de suite, en application de la priorité qui leur est accordée par la loi. Ils réalisent souvent leur saison dans les mêmes localités et dans les mêmes secteurs d’activité, qu’il s’agisse de l’agriculture ou du tourisme. C’est la une première raison qui justifie qu’ils soient pris en charge par le même service de santé au travail, selon des modalités de financement stabilisées.
Par ailleurs, les travailleurs saisonniers doivent accomplir les tâches qui leur sont confiées selon un rythme très intense. En quelques semaines, ils doivent permettre à leur employeur de réaliser une grande partie de son chiffre d’affaires de l’année. Les horaires qui leur sont imposés sont totalement dérogatoires au droit commun… quand il y a des horaires !
Trop souvent, ils sont logés dans des conditions à peine correctes, voire totalement inacceptables et insalubres. Dans une région touristique comme la mienne, celle de la Côte d’Émeraude, des organisations syndicales, telles la CGT ou la CFDT, ou des associations, par exemple Femmes solidaires ou les Amis de la Jeunesse ouvrière chrétienne, dénoncent chaque année avec force ces conditions de travail et d’hébergement.
Cette catégorie ne doit donc pas faire l’objet d’accords dérogatoires d’adaptation. Elle doit, au contraire, bénéficier d’une attention toute particulière, eu égard à des conditions de vie et de travail extrêmement pénibles.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour présenter l’amendement n° 1046.
Mme Annie David. Je fais miens les propos tenus par mon collègue Jacky Le Menn.
J’ajoute que l’alinéa 12, dont je vais rappeler les termes, nous paraît particulièrement provocateur :
« Pour tenir compte des spécificités locales en matière de recours à des travailleurs saisonniers, l’autorité administrative peut approuver des accords adaptant les modalités définies par décret sous réserve que ces adaptations garantissent un niveau au moins équivalent de protection de la santé aux travailleurs concernés. »
Il semble vraiment surprenant que le renvoi au décret, que nous avions déjà critiqué à l’occasion de l’examen de l’alinéa 4 de l’article 25 duodecies, soit doublé d’une possibilité d’adaptation à la spécificité du statut de travailleur saisonnier.
La principale spécificité du travail saisonnier est, bien entendu, sa précarité. Au travers de cet alinéa, vous entendez ajouter à la précarité du statut celle de la médecine du travail dans ce secteur. Rien n’a été fait, monsieur le ministre, pour améliorer réellement le statut de ces salariés. Cet alinéa confirme, d’une certaine manière, le maintien de la précarité de leurs emplois.
Oui, monsieur le ministre, il faut faire bénéficier les saisonniers du droit à la protection de la santé au travail. Fréquemment dépourvus de formation technique ou professionnelle, ils sont encore plus exposés aux risques que les autres salariés, mais encore faudrait-il que le statut du travailleur saisonnier soit reconnu, ce qui n’est pas le cas !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. On déplore souvent, précisément, qu’un cadre unique ne permette pas d’adaptations à des spécificités locales. Or ce sera possible en l’occurrence, sous réserve que ces adaptations garantissent un niveau de protection équivalent au moins à celui des dispositions qui seront définies par décret. En outre, les accords visés seront négociés par les partenaires sociaux.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 432 et 1046.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l’article.