M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Je ne reviendrai pas sur les inégalités de traitement entre les hommes et les femmes, ou entre les femmes et les femmes, car elles ont été fort bien traitées par Jean-Pierre Caffet. Je n’insisterai pas davantage sur les manœuvres que provoque la montée d’un mouvement social qui vous inquiète. Vous créez des écrans de fumée, mais nos concitoyens ne sont pas dupes. Le point focal de la réforme reste, ils le savent, l’âge légal de départ à la retraite et les modes de financement qui sont injustes.
Les différentes observations présentées par mes collègues devraient conduire à une refonte complète de la réforme actuelle. Après un préambule purement déclaratif, vous lancez votre réforme au pas de charge, en méprisant les inquiétudes légitimes de nos concitoyens.
Nous souhaitons, nous, une réforme sur le long terme, qui garantisse et pérennise le système actuel fondé sur la répartition. Vos prévisions sont erronées et l’équilibre, que vous prévoyez pour 2018, ne sera pas atteint. Il faudra alors présenter un nouveau texte.
Le présent projet de loi marque, dès l’origine, un double échec : une société où les injustices sont de plus en plus flagrantes ; une diminution annoncée du montant des pensions.
La stratégie est bien connue : d’abord, vous organisez le dysfonctionnement ; ensuite, vous prendrez acte de la nécessité de réviser le système puisqu’il ne remplit plus sa mission. Les organismes financiers sont dans les starting-blocks afin d’être prêts quand vous en viendrez à la retraite par capitalisation.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous, dans ce préambule, affirmer la nécessité de conserver la retraite par répartition et la solidarité entre les générations et, dans le même temps, persister dans une réforme injuste et inefficace ?
Nous souhaitons un réel effort financier, équitablement réparti entre le capital et le travail, afin de garantir durablement les retraites actuelles et futures. Nous ne trouvons rien de tel dans ce texte, qui fait peser sur les travailleurs l’ensemble du poids de la réforme.
Comment parler de réforme juste alors que ce sont les travailleurs les plus fragiles, ceux qui ont commencé à travailler très tôt, qui fourniront les efforts les plus importants pour financer le système ?
Nous avons une conception bien différente de la justice sociale et d’une réforme juste. Nous ne sommes pas dupes de l’habillage du texte par ce préambule. Et nous disons aux Français qu’une autre réforme est possible.
Monsieur le ministre, revenez sur votre péché originel qu’est le bouclier fiscal et nous aurons alors les marges de manœuvre pour financer une réforme juste, qui maintiendra l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans et la retraite à taux plein à 65 ans, et qui pérennisera – nous en sommes convaincus – la retraite par répartition.
Voilà ce que nous proposons aux Français. Vous avez institué le bouclier fiscal ; nous vous répondons qu’après une vie de labeur, les Français ont droit à un bouclier social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Le seul intérêt de l’article 1er A est de graver dans le marbre les grands principes de la retraite par répartition. Mais force est de constater que ces grands principes sont mis à bas par les autres articles de ce projet de loi.
Pour sauver le régime de retraite par répartition, il faut mobiliser 45 milliards d’euros d’ici à 2025. Or, si la réforme devait être mise en œuvre en l’état, il manquerait encore 13 milliards d’euros en 2025. Cette réforme n’est donc pas efficace.
De surcroît, on ne mobilise qu’un seul levier, celui de l’âge légal de départ à la retraite qui, bien sûr, pénalise les salariés. Or, tous les économistes s’accordent sur ce point : si l’on veut peser sur l’âge légal pour trouver les 45 milliards d’euros nécessaires à l’équilibre du régime, il faut relever l’âge légal non pas de deux ans, mais de huit ans.
Il s’agit bien d’une impasse, car personne ne peut proposer aujourd’hui un âge de départ à 68 ans et à 73 ans pour une retraite à taux plein, parce que c’est l’âge de la mort, encore aujourd’hui, pour une grande majorité de la population. (M. Jacques Gautier s’exclame.)
M. Gérard Longuet. Non !
M. David Assouline. Vous qui êtes insensibles à l’injustice,…
M. Alain Gournac. C’est incroyable !
M. Christian Cointat. Arrêtez, je vous en prie !
M. Jean Bizet. Un peu de décence !
M. David Assouline. … qui n’avez de cesse de nous asséner des arguments sur l’efficacité économique, sachez que l’efficacité économique que vous escomptez se sera pas au rendez-vous. Nous aurons bientôt l’occasion de le constater.
Dès le premier cap passé, lorsque le Fonds de réserve pour les retraites instauré par Lionel Jospin – 35 milliards d’euros en 2012 – sera épuisé, vous devrez revenir sur cette réforme. Mais j’espère que vous ne serez plus aux responsabilités…
M. Jacques Legendre. Ah bon ?
M. Christian Cointat. On entend vraiment n’importe quoi !
M. David Assouline. Il faudra remettre une réforme en chantier afin de pérenniser le système des retraites.
Vous n’avez pas pris la mesure du changement fondamental qu’a évoqué Mme Borvo Cohen-Seat. Nous ne pourrons pérenniser un système de retraite par répartition que si nous prenons en compte le changement majeur qui s’est produit depuis la Libération dans l’organisation même du travail, de la production et des bénéfices qui en découlent.
Quand l’essentiel des bénéfices provient des revenus du capital et non plus de ceux du travail, la justice, c’est d’aller chercher les financements non pas dans les revenus du travail, mais dans ceux du capital qui, pour l’heure, ne contribuent pas au financement de notre système de retraite.
Vous ne voulez pas prendre en compte ce changement fondamental du capitalisme parce que vous ne voulez pas vous attaquer aux revenus du capital !
Dans notre projet de réforme, nous proposons d’effectuer quelques ponctions sur les bonus et les stock-options, qui sont des salaires supplémentaires exonérés de cotisations, ou encore sur les cessions immobilières, qui échappent à ce jour à tout prélèvement.
D’ailleurs, monsieur le ministre, vous avez décidé de financer les dispositions que vous nous avez présentées ce matin en taxant les cessions immobilières et les revenus du capital. De manière infime, certes, mais faites encore un effort et vous trouverez de l’argent sans pénaliser les salariés !
Lors de la reprise de la séance, à vingt et une heures trente, le Sénat examinera les articles 5 et 6, appelés en priorité, et non pas l’article 1er, comme l’aurait voulu l’ordre de discussion des articles. Votre projet de loi compte trente-trois articles, mais les seuls qui vous intéressent vraiment sont ceux qui ont trait au recul de l’âge légal de départ à la retraite. Les articles 5 et 6 doivent être votés avant samedi, afin que vous puissiez dire mardi aux Français que se mobiliseront : circulez, il n’y a plus rien à voir, vous ne pouvez plus rien obtenir ! Nous ne vous laisserons pas faire cette manœuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je serai bref,…
M. Christian Cointat. Très bien !
Mme Isabelle Debré. Cela commence mal !
M. Jean Desessard. … mais je suis malgré tout obligé de prendre la parole…
Mme Annie David. Cinq minutes seulement !
M. Jean Desessard. … car je me dois d’exprimer la position des sénateurs Verts. J’ai des amis, de mon côté de l’hémicycle, des adversaires, en face de moi, et je dois me déterminer : voter l’article, ne pas le voter ou m’abstenir.
Mme Isabelle Debré. Affreux dilemme !
M. Jean Desessard. Quelles raisons ai-je de voter cet article ?
Grâce à un amendement qui a été déposé par le groupe GDR à l’Assemblée nationale – Mme Borvo Cohen-Seat vient de le rappeler – l’article 1er A dispose que la nation réaffirme le choix de la retraite par répartition. Donc, a priori je devrais y être favorable. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mais en fait, je ne le voterai pas, car, comme l’a indiqué M. Caffet, nous faisons aujourd’hui de la politique spectacle. (Rires.)
M. Alain Gournac. Il avoue enfin !
M. Jean Desessard. Eh oui ! Et à cet égard, certains ministres sont excellents.
M. Gérard Longuet. Est-ce le cas de M. Woerth ?
M. Jean Desessard. M. Woerth est un très grand communicant. Il aurait pu présenter les deux amendements du Gouvernement devant la commission des affaires sociales, laquelle les aurait sans nul doute approuvés. Mais non, il a pris son temps et nous les a présentés ce matin, en séance publique !
En fait, que se passe-t-il ? M. Bizet nous a donné la solution hier. La droite, les milieux économiques, le MEDEF – M. Autain l’a rappelé tout à l’heure – ont décidé d’aligner la France sur les autres pays pour la rendre plus compétitive à l’échelon mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Deux possibilités s’offraient à nous. On aurait pu promouvoir la solidarité, encourager, dans tous les pays, la création d’un SMIC, des retraites acceptables et le plein emploi. Non ! La droite internationale, les organismes internationaux préfèrent organiser la compétition économique.
La droite et le patronat s’efforcent de casser nos acquis sociaux afin d’adapter l’économie de la France à la compétition internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) C’est cet état d’esprit qui guide aujourd'hui son action.
Le gaullisme social qui s’allie au communisme pour élaborer un projet ambitieux de retraite par répartition, ce n’est plus d’actualité !
Mme Annie David. Exactement !
M. Jean Desessard. Comme vous êtes des communicants, et que vous voulez donner satisfaction aux centristes un jour sur deux (Exclamations sur les travées de l’UMP.), vous avez besoin de mesures valorisantes.
Vous présentez donc des dispositions en faveur des femmes, mais les conditions d’application sont telles qu’elles ne concerneront qu’une minorité d’entre elles et ne remédieront en rien aux difficultés qu’elles rencontrent. Mais cela vous permet de communiquer !
Il en est de même pour les jeunes. Vous annoncez la mise en place d’un « RSA jeunes » en faveur des jeunes âgés de 18 à 25 ans, mais les critères d’attribution sont tellement complexes que très peu d’entre eux y auront accès. Mais cela vous permet de communiquer !
Je ne peux voter pour l’article 1er A, pour les raisons que je viens d’évoquer. Mais je ne peux pas non plus voter contre, car cet article réaffirme l’attachement de la nation au principe de la retraite par répartition. En conséquence, au nom des Verts, je m’abstiendrai. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Robert del Picchia. Il fallait commencer par là !
M. Jean Bizet. C’est un premier pas !
M. Jean Desessard. Vous utilisez cet article pour réaffirmer votre attachement au système de retraite par répartition, mais vous proposez des mesurettes pour communiquer,…
Mme Annie David. Pour faire de l’affichage !
M. Jean Desessard. … alors que votre politique consiste justement à remettre en cause les acquis sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Je suggère au groupe UMP de soutenir unanimement le Gouvernement sur l’article 1er A, qui a donné lieu à un débat long et fructueux,…
Mme Annie David. Était-il besoin de le rappeler ?...
M. Gérard Longuet. … car il s’agit d’un article important, qui affiche des convictions que vous devriez partager, mes chers collègues de l’opposition ; je m’étonne d’ailleurs que vous n’ayez pas le courage de les afficher publiquement ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Cet article, que vous aurez peut-être à mettre en œuvre dans un autre temps, rappelle le pacte intergénérationnel. Cette première évidence est forte. Est-elle pour autant acquise pour chacun ? La réponse est : non !
Certaines classes d’âge pourraient en effet fort bien se retourner contre les plus anciens et leur dire : vous n’avez connu ni guerre, ni crise, ni difficultés, mais vous avez accumulé, avec une grande imprévoyance, des dettes importantes, non pas pour équiper le pays en universités, infrastructures, TGV, bâtiments, hôpitaux, …
M. David Assouline. C’est votre génération !
M. Gérard Longuet. … mais parce que vous n’aviez pas le courage de trouver les moyens de payer les factures de vos dépenses quotidiennes.
Ces nouvelles générations pourraient dire à celles qui les ont précédées : …
M. David Assouline. Pour l’instant, elles manifestent contre vous ! On les a vues dans la rue cet après-midi !
M. Gérard Longuet. … parce que vous avez manqué de respect à notre égard, nous n’avons pas l’intention de respecter le pacte intergénérationnel. Il ne fonctionne qu’à sens unique : vous nous envoyez les factures et vous nous imposez l’obligation des les régler, uniquement parce que vous n’avez pas eu le courage de faire face à vos propres responsabilités !
En posant le principe de ce pacte intergénérationnel, on recrée cette obligation mutuelle.
Permettez-moi maintenant de m’adresser directement à notre collègue Jean Desessard, qui fait profession d’être écologiste... C’est une conviction parfaitement respectable.
Mon cher collègue, le credo des écologistes est de respecter la terre, que nous empruntons à nos enfants, et non pas de la piller. C’est exactement ce que nous proposons avec cet effort de solidarité intergénérationnelle ! Nous voulons que les générations actuelles respectent les générations à venir en ne leur transmettant pas de dettes.
Monsieur le ministre, l’article 1er A est intelligent et courageux. Il rappelle qu’il faut respecter ceux qui ont travaillé et précise que tout retraité a droit à une pension qui tienne compte des revenus qu’il a tirés de son activité professionnelle. Il s’agit, en cet instant, non pas de créer un RMI pour personnes âgées,…
Mme Bariza Khiari. Ça va finir par se faire !
M. Gérard Longuet. … mais de rappeler la dignité du travailleur. Après une vie d’efforts, il doit pouvoir, parvenu à l’âge de la retraite, disposer en toute sécurité des fruits de son travail. C’est là tout l’objet du pacte intergénérationnel.
Certains d’entre nous ont fait référence au Conseil national de la Résistance. Mais savez-vous que c’est Alfred Sauvy qui a inspiré le régime par répartition ? Dès 1937, il indiquait que ce régime, que le CNR généralisera – l’instauration des assurances sociales date de 1928 –, était un système de solidarité : ceux qui travaillent paient pour ceux qui ne travaillent plus.
M. Jean-Pierre Caffet. On n’est pas au collège, monsieur Longuet !
M. Gérard Longuet. Il n’y a pas d’autres possibilités de mobiliser de l’argent. Le système par répartition est effectivement le contraire du système par capitalisation, fondé sur l’individualisme.
M. David Assouline. Nous savons tout cela !
M. Gérard Longuet. Le système par répartition est un système de solidarité. Encore faut-il ne pas transmettre à la génération qui travaille pour vous l’obligation de payer les dettes de générations antérieures !
M. Jean-Pierre Caffet. Nous ne sommes pas vos élèves !
M. Gérard Longuet. Il s’agit, je le répète, d’un article important. Nos collègues centristes ont évoqué l’avenir du régime. L’objet de cet article est précisément de décliner les contraintes que la répartition doit respecter : il faut tenir compte des efforts accomplis dans la vie professionnelle et personnelle de chacun. Nous élaborerons ainsi un système de répartition respectueux des efforts de tous et dont l’ambition est de consolider le pacte intergénérationnel en refusant de faire supporter à nos enfants et petits-enfants la facture de nos propres faiblesses.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous devons voter unanimement cet article. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur Longuet, le fait que nous ne votions pas un article qui dispose que « la nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations » témoigne non pas d’un manque de courage, mais, au contraire, d’une parfaite lucidité : votre réforme est un formidable gâchis !
Pour faire une réforme des retraites, il fallait réunir tous les éléments qui fondent notre pacte social. Quel rapport entretient-on avec le travail ? Quelles réponses faut-il apporter à l’allongement de la durée de vie ? Quelles solidarités doivent être mises en œuvre entre les générations et au sein d’une même génération ? Quelle égalité mettre en place entre les hommes et les femmes ? Quelle protection sociale veut-on accorder aux personnes âgées ? Comment corriger les inégalités au travail ?
C’était l’occasion d’engager un vaste et long débat dans notre pays, comme d’autres nations ont su le faire. Mais vous avez refusé de le conduire, préférant construire une véritable dramaturgie politique dont toutes les ficelles sont tirées, avec précision, par une seule main : celle de l’Élysée ! Nous en avons d’ailleurs eu l’illustration ce matin.
Le scénario que vous avez bâti réduit le Parlement à accepter des amendements rédigés au millimètre, mais hors de cette enceinte. Il cantonne en fait les syndicats et l’opposition à un rôle de faire-valoir.
Pour notre part, nous ne voterons pas l’article 1er A. Comme vous êtes majoritaires, le texte sera sans doute adopté, mais le succès du scrutin sera très certainement une victoire à la Pyrrhus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er A, modifié.
M. Jean-Pierre Caffet. Le groupe socialiste s’abstient ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
(L'article 1er A est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante-cinq, et examinerons l’article 5, appelé par priorité.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 5, appelé en priorité.
Titre II
DISPOSITIONS APPLICABLES A L’ENSEMBLE DES RÉGIMES
Chapitre Ier
Âge d’ouverture du droit
Article 5 (priorité)
(Non modifié)
Au début du paragraphe 2 de la sous-section 4 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier du code de la sécurité sociale, il est ajouté un article L. 161-17-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 161-17-2. – L’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné au premier alinéa de l’article L. 351-1 du présent code, à l’article L. 732-18 du code rural et de la pêche maritime, au 1° du I de l’article L. 24 et au 1° de l’article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite est fixé à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1956.
« Cet âge est fixé par décret, de manière croissante à raison de quatre mois par génération et dans la limite de l’âge mentionné au premier alinéa du présent article, pour les assurés nés avant le 1er janvier 1956. »
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le coup de force de la présidence de la commission des affaires sociales du Sénat nous impose d’aborder prématurément, en séance de nuit, les deux principaux articles du projet de loi.
La manœuvre est grossière. Elle témoigne de l’inquiétude du Gouvernement et de sa majorité face au rejet de plus en plus massif de son projet de réforme.
Monsieur le ministre, après avoir tenté ce matin de désamorcer une mobilisation de nos concitoyens qui s’annonce plus forte que jamais, en concédant quelques mesures en faveur des mères de famille ou des parents d’enfants handicapés, vous poursuivez ce soir en essayant d’achever la discussion sur la fin de la retraite à 60 ans avant mardi prochain, nouvelle journée de mobilisation. Voilà la raison de ce coup de force !
Le relèvement progressif de deux années de l’âge légal d’ouverture du droit à une pension de retraite, objet de l’article 5, est en effet la mesure emblématique de votre projet de loi. Cette mesure n’est pas simplement symbolique et idéologique. Elle est révélatrice de votre conception de la société et de la place que vous accordez au travail dans celle-ci.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut faire quelque chose pour garantir la pérennité de notre système de retraite par répartition. C’est indéniable ! Mais là où le bât blesse, et nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à s’en rendre compte, c’est lorsqu’il s’agit de trouver des solutions.
Des propositions, nous en avons, et elles sont fondamentalement différentes des vôtres. C’est d’ailleurs une malhonnêteté intellectuelle de votre part, monsieur le ministre, et de celle de votre majorité de prétendre que l’actuelle opposition n’a rien à proposer.
Vous n’y croyez d’ailleurs pas vous-même, car après avoir brutalement demandé que soit mis un terme à la discussion à l’Assemblée nationale, vous tentez maintenant au Sénat, nous l’avons vu ce matin, d’éviter une discussion sérieuse sur les moyens de financer autrement la réforme que vous proposez.
Vous présentez cette mesure de relèvement de l’âge légal de départ à la retraite comme faisant partie des principaux leviers permettant de rétablir l’équilibre financier de notre système par répartition.
Vous avez d’abord prétendu que l’équilibre des régimes de retraite était avant tout un problème démographique. L’allongement de la durée de la vie ne peut tout de même pas être considéré comme une catastrophe économique, mais il exige de trouver un nouveau mode de financement des retraites et, surtout, une autre politique de l’emploi.
Cette mesure d’âge, présentée comme une évidence de bon sens, permet en fait d’évacuer toute discussion sérieuse sur de nouvelles sources de financement.
Certains membres de votre majorité ont, comme nous, mais probablement pour d’autres raisons, des doutes sur les mesures que vous préconisez pour assurer un retour à l’équilibre financier en 2018.
C’est à ce débat que vous voulez échapper, car il révélerait aux yeux de l’opinion publique combien votre réforme est socialement injuste, inefficace, et ferait de notre système de protection sociale, de notre régime de retraite en particulier, l’un des systèmes les plus rétrogrades.
Nous ne répéterons jamais assez combien elle est inéquitable, car elle repose à 85 % sur les salariés et à 15 % sur les revenus du capital, alors que dans le calcul du produit intérieur brut, la part des salaires a considérablement diminué quand celle du capital augmentait.
Non, décidemment, s’attaquer à l’âge légal de départ à la retraite en prétendant que cette mesure participerait au sauvetage de notre système est une posture idéologique.
Votre réforme est injuste, mais elle sera aussi inefficace.
Avec cette mesure d’âge, en maintenant au travail les générations les plus anciennes, vous empêcherez les jeunes d’accéder à la vie active. Et ce, sans compter avec une situation de l’emploi très dégradée qui accélérera la décrue des cotisants, creusant encore plus les déficits.
En refusant d’examiner nos propositions visant à rétablir un juste équilibre de notre système de retraite, vous fuyez le débat. Pourtant, vous n’y échapperez pas, nous y reviendrons à l’occasion de l’examen des articles 5 et 6, qui sont la clé de voûte de votre réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l’article.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’importe si Nicolas Sarkozy assurait, dans son programme présidentiel, que « le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer », « le financement des retraites est équilibré jusqu’à l’horizon 2020 » ; qu’importe s’il se targuait d’avoir « voté la retraite à 60 ans » en 1981…
Le « cœur de la réforme » des retraites, selon vos propres termes, monsieur le ministre, est bien le report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans en 2018, comme le prévoit le présent article.
De Xavier Bertrand au président du Sénat, en passant par Luc Chatel, François Fillon ou Jean-François Copé, tous à droite saluent cet allongement. Il en est un au Gouvernement qui risque pourtant de se faire très discret sur le sujet, c’est votre collègue Éric Besson.
En effet, en février 2003, Éric Besson, alors député PS de la Drôme, était le spécialiste des questions sociales au parti socialiste. Il était alors très critique envers la politique du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, dont la priorité était à l’époque la réforme des retraites promulguée en juillet 2003, après moult négociations avec les syndicats. À ce moment-là, Éric Besson condamnait cette réforme qui, disait-il « n’est pas financée » et « est injuste ».
Le futur ministre de l’identité nationale avançait les arguments suivants contre la retraite à 62 ans : « Comment peut-on demander à ce que l’on travaille jusqu’à 62 ou 65 ans alors que nous n’arrivons pas – je l’ai vu en tant que député et en tant que maire – à trouver du travail pour les chômeurs de plus de 50 ans ? Aujourd’hui le monde de l’entreprise rejette les plus de 50 ans. Et à ceux-là mêmes, il faudra dire : cotisez plus de 40 ans. C’est une aberration ! »
Et il a bien raison ! Du fait de la politique des entreprises, le taux d’activité des plus de 50 ans est, en France, un des plus bas des pays européens. Et l’État actionnaire conduit une politique similaire. Ainsi, à La Poste, l’entreprise a mis au point un plan pour pousser, discrètement mais sûrement, les plus âgés vers la sortie. Le dispositif d’accompagnement de fin d’activité, le DAFA, propose aux anciens, en grande majorité des fonctionnaires, de devancer l’appel. C’est également le cas à France Télécom.
Nous marchons sur la tête ! L’allongement des périodes de cotisation, ainsi que le report de l’âge légal de départ à la retraite vont simplement aboutir à baisser les pensions des personnes qui, de toute manière, ne pourront travailler plus longtemps.
N’oublions pas que, aujourd’hui, 600 000 seniors vivent sous le seuil de pauvreté, et ce chiffre risque fort d’augmenter avec votre réforme.
La politique sociale du Gouvernement va devenir une machine à faire des pauvres. C’est d’autant plus lamentable que, dans le même temps, il continue à mener une politique fiscale avantageuse envers les plus riches, notamment grâce au bouclier fiscal dont nous demandons l’abrogation depuis de nombreuses années.
Pour toutes ces raisons, nous nous prononçons contre votre réforme et contre le report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)