M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je partage très souvent les réflexions mesurées et sages de François Zocchetto. Toutefois, s’agissant de ce problème de la garde à vue, sur lequel il y aura certes un texte plus complet que nos amendements, il n’en reste pas moins nécessaire, encore une fois, d’alerter et d’envoyer un signal.
On nous dit qu’il faut réfléchir. Il y a des textes sur lesquels le Gouvernement nous demande non pas de réfléchir mais de voter, en particulier pour modifier le code de procédure pénale et le code pénal, y compris d’ailleurs dans cette LOPPSI 2, qui comporte des modifications importantes du code de procédure pénale : c’est bien la preuve que, là, on n’attend pas la réforme de ce code.
On réfléchit sur la question de la garde à vue depuis très longtemps, sans doute trop longtemps. En effet, monsieur le ministre, sur ce point, le Gouvernement effectue une marche forcée à reculons : il a fallu la pression de tout le monde, y compris du Conseil constitutionnel – puisque celle de la Cour européenne des droits de l’homme n’était pas suffisante –, pour admettre qu’il n’était pas normal d’avoir aujourd'hui en France 850 000 gardes à vue, et souvent dans des cas qui ne justifient nullement un placement en garde à vue.
Je vais quelque peu modérer l’optimisme de notre collègue Alain Anziani sur le futur projet de loi de Mme la garde des sceaux. Il importe aussi, me semble-t-il, de rappeler qu’il y a des points sur lesquels on ne peut pas transiger, notamment sur le respect de la personne humaine.
Alain Anziani nous a dit que, aux termes du nouveau texte, il n’y aurait plus de fouilles à corps intégrales. En fait, elles seront « limitées aux cas indispensables pour les nécessités de l’enquête ». Ce n’est pas du tout la même chose !
Quant à dire que le problème évoluera de manière très positive parce que ne pourront être placées en garde à vue que les personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement, cela ne changera pas grand-chose puisque l’immense majorité des délits – je ne parle pas des crimes bien évidemment – peuvent être sanctionnés par des peines d’emprisonnement. Je rappelle qu’aujourd’hui la peine encourue pour le délit d’usurpation de plaque est de sept ans, pour l’alcoolémie au volant, de deux ans. Je ne prétends pas que ces peines ne sont pas justifiées et qu’elles doivent être réduites : je dis que cela ne résoudra pas les difficultés actuelles.
Quant à la création de l’audition « libre », alors qu’on est enfermé, c’est une innovation assez originale qui nécessitera d’autres débats.
On sent bien que, sur ce point, le Gouvernement essaie de gagner du temps, car c’est un sujet difficile, qui va susciter des réactions hostiles au sein des forces de police, réactions que l’on peut d’ores et déjà percevoir, bien que nombre de syndicats soient convaincus de la nécessité de cette réforme.
Ces amendements constituent un signal, ou plutôt un rappel : cette situation ne peut perdurer. On nous annonce tous les trois mois, depuis plus d’un an, de nouvelles avancées, mais nous les attendons encore.
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard. Je ne suis pas juriste et je suis donc très embarrassé par cette affaire.
L’idéal serait, me semble-t-il, que ces amendements soient retirés pour permettre l’application de la décision du Conseil constitutionnel dans le délai qu’il a fixé. Ainsi, compte tenu des positions prises très clairement par Mme la garde des sceaux, la réforme pourrait aboutir de façon convenable.
Si les amendements sont maintenus, nous serons obligés de voter contre. Or, personnellement, je n’ai pas envie de voter contre un amendement tendant à supprimer la garde à vue. Par conséquent, je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je ne retirerai pas mon amendement pour trois raisons essentielles.
Premièrement, comme l’a dit M. Mézard, le projet de loi de Mme Alliot-Marie ne correspond pas à nos attentes.
Deuxièmement, il y a encore aujourd’hui et il y aura encore pendant près d’un an des centaines de gardes à vue inconstitutionnelles, en violation de la dignité et du droit. Cela, je ne peux pas l’accepter.
Troisièmement, qu’on arrête de nous dire qu’il faut attendre la réforme de la procédure pénale ! Sinon, quel est le sens de ce débat sur la LOPPSI 2, qui vise aussi à réformer la procédure pénale ? Il faudrait aussi attendre la réforme de la procédure pénale !
M. le président. L'amendement n° 194 rectifié, présenté par MM. Anziani, Peyronnet, Bel et C. Gautier, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Yung, Michel, Frimat et Repentin, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Mahéas, Collombat, Sutour, Tuheiava, Collomb, Courteau, Guillaume, Berthou et Daunis, Mmes Ghali, M. André et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À partir de 2011 et tous les deux ans, le Gouvernement remet au Parlement un rapport dressant un état des lieux, circonscription par circonscription pour la police nationale, brigade par brigade pour la gendarmerie nationale, de la répartition territoriale actuelle des effectifs chargés des missions de sécurité publique, en tenant compte de leur statut et de l'ancienneté.
Il présente les préconisations du Gouvernement pour résorber la fracture territoriale existante, redéployer les forces prioritairement vers les territoires les plus exposés à la délinquance, mettre fin à l'utilisation des personnels actifs dans des tâches administratives.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Nous avons rectifié cet amendement après une discussion en commission des lois. Il me semble correspondre parfaitement à l’esprit de la LOPPSI, qui a essentiellement pour but de mettre fin à la fracture territoriale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Compte tenu de la rectification qui consiste à supprimer la référence à l’année 2007, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 1er.
Chapitre II
Lutte contre la cybercriminalité
Article 2
Après l’article 226-4 du code pénal, il est inséré un article 226-4-1 ainsi rédigé :
« Art. 226-4-1. – Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne. »
M. le président. L'amendement n° 195, présenté par MM. Anziani, Peyronnet, Bel et C. Gautier, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Yung, Michel, Frimat et Repentin, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Mahéas, Collombat, Sutour, Tuheiava, Collomb, Courteau, Guillaume, Berthou et Daunis, Mmes Ghali, M. André et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Pourquoi demandons-nous la suppression de l’article créant le délit d’usurpation d’identité ?
Au départ, ce délit concernait uniquement les infractions commises sur Internet. Il est désormais élargi à un ensemble d’hypothèses dans lesquelles il est porté atteinte à la tranquillité d’une personne dans sa vie quotidienne mais aussi à son honneur ou à sa considération.
Cette création d’un délit nouveau nous semble inutile puisque le droit en vigueur prévoit ces infractions : l’article 313-1 du code pénal prévoit le délit d’escroquerie ; l’article 226-1 du code pénal traite, quant à lui, du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui – nous sommes au cœur du sujet – et l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 règle les questions de diffamations et d’injures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. À l’heure actuelle, l’usurpation d’identité n’est réprimée que lorsqu’elle a été réalisée dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer des poursuites pénales contre la personne dont l’identité est usurpée. L’incrimination créée par l’article 2 du projet de loi a donc un champ plus large et tend à combler un vide juridique.
J’attire votre attention sur le fait que l’usurpation d’identité – qui consiste, pour la personne malveillante, à se faire passer pour un tiers afin de nuire à ce dernier en lui imputant indûment, par exemple, des propos, des attitudes – ne doit pas être confondue avec les infractions d’injure ou de diffamation, qui sont réprimées par la loi de 1881 sur la liberté de la presse et qui couvrent des hypothèses différentes d’atteinte à l’honneur ou à la considération. Dans l’injure ou la diffamation, l’auteur tient des propos et les assume en son nom propre.
La création de cette nouvelle incrimination participe de l’effort des pouvoirs publics, au niveau tant national que communautaire, pour mieux protéger la vie privée et les données personnelles de nos concitoyens.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Aujourd'hui, le délit d’usurpation d’identité sur un réseau de communications électroniques n’est pas réprimé dans tous les cas. Face à des comportements susceptibles d’entraîner des préjudices qui peuvent s’avérer importants, il faut apporter une réponse adaptée.
À cet égard, je prendrai un exemple simple, tiré de la vie courante. Imaginez un amoureux qui a été éconduit… Cela arrive ! (Sourires.) Blessé dans son amour-propre, il décide de se venger en diffusant sur un site dit « de charme » – tout le monde voit à quel genre de sites je fais allusion ! –, les coordonnées de la jeune femme et, éventuellement, une photo. Voilà qui entraîne indiscutablement un préjudice, préjudice encore plus important si l’amoureux dépité ajoute les coordonnées professionnelles de sa victime. Reconnaissez, monsieur Anziani, que cette situation n’est pas invraisemblable !
En l’état actuel du droit, aucunes poursuites ne peuvent être engagées dans un tel cas d’espèce. C'est pourquoi l’article 2 de ce projet de loi est indispensable.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 111, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 226-4-1. - Le fait d'usurper sur un réseau de communication électronique l'identité d'une personne physique ou morale ou une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de tromper toute personne physique ou morale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
II. - Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les peines prononcées se cumulent, sans possibilité de confusion, avec celles qui auront été prononcées pour l'infraction à l'occasion de laquelle l'usurpation a été commise. »
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Il s’agit ici de préciser et de circonscrire le champ d’application du délit d’usurpation d’identité sur un réseau de communications électroniques.
Dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois du Sénat, cette infraction concerne toute atteinte à la tranquillité, à l’honneur ou à la considération d’une personne. Le champ de l’infraction est donc extrêmement vaste, celle-ci étant caractérisée dès la moindre atteinte à la « tranquillité » d’une supposée victime. Une simple blague commise par des collégiens – ces dangereux délinquants que vous traquez parfois, monsieur le ministre ! – pourrait ainsi tomber sous le coup de cette infraction.
On a pu apprécier, à la lecture de ce projet de loi, votre goût marqué pour le « tout-répressif », mais l’abus est ici trop flagrant. Il faut donc circonscrire le champ de cette infraction.
On ne peut, sous couvert de protéger la tranquillité de certains, museler la liberté d’expression de tous sur Internet. Certes, on a entendu certains élus de la majorité rappeler que « rien ne justifie qu’on cherche à préserver la liberté de l’internet », mais restons sérieux et considérons qu’il s’agissait d’une boutade !
Précisons donc le champ d’application de cette infraction et limitons-le à ce qui est vraiment nécessaire : je pense notamment à la pratique du hameçonnage, qui consiste à usurper l’identité de sites établis pour récolter des données confidentielles dans un but crapuleux, que les auteurs ou les victimes soient des personnes physiques ou morales.
À l’heure où les échanges se font de plus en plus par la voie d’Internet, il convient de rétablir la confiance des internautes en leur garantissant le caractère privé des informations qu’ils livrent par ce biais, comme leurs coordonnées bancaires ou encore leur numéro de carte bancaire.
En outre, il faut rappeler que ces tromperies ne constituent que le premier maillon d’une chaîne d’exactions. En effet, les informations collectées le sont dans un but crapuleux : acheter, par exemple, des marchandises en utilisant des numéros de cartes bancaires usurpés. C’est pourquoi nous proposons de sanctionner ces tromperies de manière autonome.
M. le président. L'amendement n° 308 rectifié, présenté par MM. Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, MM. Mézard, Baylet, Detcheverry et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots:
au public en ligne
par les mots:
électronique ouverte au public
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Il s’agit de reformuler l’alinéa 3 de l’article 2 du projet de loi pour lui donner une plus grande lisibilité.
Dans un texte qui revêt une importance toute particulière en matière pénale, il nous semble important d’employer des termes précis, compréhensibles par tous. C’est pourquoi nous préférons parler d’un « réseau de communication électronique ouverte au public ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Les vœux des auteurs de l’amendement n° 111 sont déjà satisfaits par les dispositions adoptées par notre commission, qui a expressément introduit dans la rédaction la notion d’« usurpation » d’identité, afin de bien distinguer cette incrimination des dispositions réprimant la diffamation ou l’atteinte à la vie privée.
En outre, la rédaction proposée dans l’amendement soulève des difficultés, le verbe « tromper » revêtant plusieurs significations, dont toutes n’ont peut-être pas vocation à entrer dans le champ du délit.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 308 rectifié est un amendement de précision, qui ne nous semble pas vraiment indispensable. La commission s’en remet toutefois à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Concrètement, vous souhaitez, madame Labarre, limiter la portée de l’article 2. Ainsi, certains comportements qui sont pourtant, à mon sens, susceptibles d’entraîner des préjudices importants ne seront plus réprimés, alors que c’est nécessaire.
Là encore, je prendrai un exemple concret, qui nous permettra d’appréhender le problème. Imaginez qu’un entrepreneur de votre circonscription qui ne serait pas moralement irréprochable inscrive l’adresse électronique de l’un de ses concurrents sur des dizaines de sites électroniques, en vue de lui nuire. En agissant ainsi, il saturera la boîte aux lettres électronique de ce dernier, laquelle deviendra totalement inexploitable et lui fera perdre certains clients ou certains marchés.
Certes, comme l’a souligné M. le rapporteur, l’inscription sur des listes de diffusion de sites commerciaux et de réseaux sociaux sur Internet ne constitue pas une tromperie en soi. Mais, compte tenu de la capacité de diffusion d’Internet, le risque de préjudice est incontestablement considérable. Telle est la raison pour laquelle cette rédaction vous est proposée, madame la sénatrice. Réfléchissez bien à ce cas d’espèce, auquel chacun d’entre vous peut être confronté sur son territoire.
Par conséquent, le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Pour ce qui concerne l’amendement n° 308 rectifié, le Gouvernement s’en remet, lui aussi, à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 196, présenté par Mme Boumediene-Thiery, MM. Anziani, Peyronnet, Bel et C. Gautier, Mme Klès, MM. Sueur, Yung, Michel, Frimat et Repentin, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Mahéas, Collombat, Sutour, Tuheiava, Collomb, Courteau, Guillaume, Berthou et Daunis, Mmes Ghali, M. André et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le troisième alinéa de l'article 99 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République agit également d'office lorsque la rectification est rendue nécessaire par l'altération, la modification ou la falsification de l'acte d'état civil résultant de l'infraction mentionnée à l'article 226-4-1 du code pénal. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 2 du projet de loi complète l’incrimination d’usurpation d’identité en comblant un vide juridique, même si nous pensons que son extension à Internet risque de poser quelques difficultés.
Avec cet amendement, il s’agit de répondre à un problème concret, sur lequel plusieurs citoyens nous ont demandé d’intervenir : la rectification des actes d’état civil ayant été le support d’une usurpation d’identité.
En effet, notre droit ne facilite absolument pas la restauration de l’intégrité de l’état civil de personnes victimes d’une usurpation d’identité commise au moyen d’une falsification des actes d’état civil. La procédure est lourde, elle doit être menée sur leur initiative, elle prend du temps et elle a un coût. Il s’agit d’un véritable problème auquel nous avons souhaité apporter une solution pratique.
C’est la raison pour laquelle nous proposons de compléter l’article 99 du code civil en prévoyant la possibilité d’enjoindre au procureur de la République, sans que la victime ait à déposer une requête, de saisir d’office le président du tribunal compétent afin qu’il procède à la restauration des mentions et inscriptions de l’acte d’état civil dans leur état antérieur à la commission de l’infraction d’usurpation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement vise à imposer au procureur de la République de faire procéder aux rectifications d’actes d’état civil rendues nécessaires lorsque l’usurpation d’identité a été commise au moyen de la falsification d’un acte d’état civil.
Cette disposition ne paraît pas nécessaire. Ainsi que le rappelle l’instruction générale relative à l’état civil, l’ordre public étant toujours intéressé à ce que toute personne soit pourvue d’un état civil régulier, le procureur de la République, qui constitue l’autorité supérieure en matière d’état civil, est tenu de procéder ou de faire procéder à la rectification des erreurs qui pourraient y être relevées, voire de demander l’annulation de l’acte frauduleux, le cas échéant en saisissant, sur le fondement de l’article 1049 du code de procédure civile, le tribunal de grande instance compétent.
Sur le fondement du même article, la victime de l’usurpation d’identité a toujours la possibilité de demander elle-même au tribunal de grande instance la rectification de l’acte litigieux.
Prévoir un cas spécifique de rectification pour la seule usurpation d’identité pourrait créer le risque d’une interprétation a contrario pour tous les autres cas. Pour cette raison, il convient de conserver le principe d’une compétence générale du procureur de la République en la matière.
Dès lors que la commission aura reçu du Gouvernement des assurances sur ce point, elle émettra un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Certains pensent que ces débats sont convenus, mais il n’en est rien : à preuve, je n’avais pas d’opinion définitive sur le sujet et j’aurais pu émettre un avis défavorable simplement au motif que le présent texte n’était pas le bon support pour aborder ce sujet. Mais je viens d’être convaincu par les propos de M. le rapporteur, qui a clairement indiqué que cet amendement était superfétatoire.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur le ministre, je me permets d’insister et prendrai, comme vous l’avez fait tout à l'heure, un exemple concret, car plusieurs d’entre nous ont été saisis du même problème.
J’évoquerai le cas d’une femme qui, ayant décidé de se marier, a sollicité la délivrance d’une copie intégrale de son acte de naissance et découvert alors qu’elle était déjà mariée… L’usurpatrice de son identité est identifiée et condamnée, et le mariage qu’elle n’avait pas contracté est annulé. Mais son acte d’état civil porte désormais les mentions « mariée » et « mariage annulé ». Elle a donc saisi le tribunal de grande instance pour demander la suppression de ces mentions puisqu’elles n’appartiennent pas à son histoire personnelle. Or le président du tribunal, dans son jugement, a refusé d’autoriser la suppression de ces mentions au motif que l’article 99 du code civil, dans sa lettre, ne le permettait pas.
Je pense que nous sommes tous d’accord ici pour considérer que cette personne est purement et simplement une victime, et il est facile de comprendre qu’elle soit perturbée face à une telle situation. Son souhait de voir disparaître de son acte d’état civil une telle mention n’est pas exorbitant !
Monsieur le ministre, comment peut-on agir ? Pouvez-vous déclarer ici que la lettre, c’est une chose, mais que l’esprit de la loi, c’est ce qui ressort des débats parlementaires – c’est le sens de la jurisprudence interprétative des débats –, afin de permettre à un tribunal de grande instance de restituer strictement l’acte d’état civil dans son état antérieur ?
Ne serait-il pas possible de faire droit à la demande de cette personne, dont la situation est, du reste, généralisable à toutes celles qui ont été victimes d’une telle usurpation d’identité ?
Vous nous dites que le projet de loi que nous examinons n’est pas approprié pour accueillir une telle disposition ; cela, je suis prêt à l’entendre. En revanche, il est faux de prétendre qu’une solution existe d’ores et déjà et que la disposition proposée est superfétatoire. Cette femme dont je viens d’évoquer le cas a suivi toute la procédure, mais le président du tribunal de grande instance oppose à sa demande la lettre de l’article 99 du code civil. Le problème est donc bien réel, même si nous n’avons sans doute pas la capacité de le régler aujourd’hui.
La jurisprudence interprétative des débats, cela a un sens ! C’est d’ailleurs pour cette raison que le bureau du Sénat a décidé que les réunions de commission feraient désormais l’objet d’un compte rendu. En effet, pour les magistrats, il est important de connaître l’esprit qui anime le législateur.
Il ne s’agit pas, monsieur le ministre, de vous « poser une colle » ! Je veux tout simplement évoquer une revendication précise, qui transcende, me semble-t-il, les divergences de vue que nous pouvons avoir sur d’autres sujets. Ma question est donc toute simple : que pouvons-nous faire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Frimat, votre argumentation a fait naître en moi à la fois un doute et une certitude.
Tout d’abord, en rayant simplement la mention sur les actes d’état civil, on montre bien qu’il y a eu manœuvre frauduleuse. Autrement dit, si nous faisions disparaître purement et simplement la mention, nous effacerions également la preuve de l’usurpation. Pour autant, bien que je doute de la pertinence de votre raisonnement, je suis sensible à votre démonstration, mais je ne sais comment vos collègues l’ont appréciée.
En revanche, j’ai la certitude que ces questions relèvent non pas de ma compétence, mais de celle de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice.
Plus concrètement, je m’engage à soulever cette question, sur la base du cas concret que vous avez évoqué, auprès de la Chancellerie. Il me semble en effet que la situation peut évoluer.
M. le président. L’amendement n° 196 est-il maintenu madame Boumediene-Thiery ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je maintiens cet amendement parce que, contrairement à ce que l’on pense, la mention n’est pas rayée. On ajoute une mention supplémentaire précisant que la première mention est annulée.
M. Bernard Frimat. Absolument !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ainsi, on ne revient pas à l’état antérieur, c'est-à-dire au document ne portant, en l’espèce, aucune mention d’un mariage.
M. Bernard Frimat. Absolument !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Par ailleurs, il n’existe pas d’automaticité en ce domaine. Il faut donc engager une procédure longue et coûteuse, dont l’issue n’est pas certaine.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.