compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga,
Mme Michelle Demessine.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence française de développement, en remplacement de M. Adrien Gouteyron, dont le mandat est arrivé à expiration.
La commission des finances a fait connaître qu’elle propose de renouveler M. Adrien Gouteyron dans ses fonctions au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat le rapport sur la mise en œuvre du plan de relance de l’économie pour le deuxième trimestre 2010, en application de l’article 6 de la loi n° 2009-122 du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.
4
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (projet n° 292, texte de la commission n° 518, rapports nos 517, 480 et 575).
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des motions.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, d’une motion n° 416.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 518, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à rappeler que je n’ai jamais été favorable à la disposition du règlement selon laquelle, au Sénat, les motions sont présentées après la clôture de la discussion générale, disposition que je considère, pour ma part, comme anormale.
Cela dit, mon groupe a décidé de déposer cette motion d’irrecevabilité, car nous considérons que votre projet de loi, assorti d’amendements de dernière opportunité depuis le vote du texte à l’Assemblée nationale, est irrecevable, et ce, en premier lieu, pour des raisons politiques.
Je veux d’abord parler du discours qui accompagne la présentation de ce texte. Vous aviez d’ailleurs commencé à le tenir avant le débat au Parlement, monsieur le ministre, et vous le tenez à nouveau depuis hier.
Ce discours, hélas récurrent, repose sur l’opposition entre fermeté, que vous et vos amis êtes censés représenter, et laxisme, dont feraient preuve tous les autres. Ce procédé a pris une tournure ubuesque lorsque vous avez évoqué « la gauche milliardaire », que vous avez opposée au « peuple ».
Le peuple n’appartient à personne ! À la gauche milliardaire s’opposerait, si l’on suivait votre raisonnement, la droite smicarde. Ce n’est pas raisonnable !
Très sérieusement, disons-le tout net : personne, en tout cas parmi les élus de mon groupe, ne souhaite ou ne réclame qu’un délit reste impuni. Tout délit, tout crime et, pour être clair, tout acte contraire à la loi, doit être sanctionné.
Une fois ce principe posé, le peuple, que nous sommes censés représenter, attend des politiques qu’ils soient capables de trouver les responsables des actes commis et d’appliquer des sanctions justes, proportionnées et utiles pour que ces actes ne se renouvellent pas.
Vous êtes au pouvoir depuis bientôt dix ans. Vous avez défait un grand nombre des moyens de prévention de proximité, allant jusqu’à supprimer ou réorienter des effectifs de police, alors que ces mêmes policiers sont chargés de faire respecter la loi.
Vous avez fait voter, chaque année, au moins une loi d’aggravation pénale, si ce n’est deux. Et quel est le résultat ?
Vous vous targuez d’une augmentation du taux d’élucidation, qui serait passé de 21 % à 37 % globalement.
S’agissant de la délinquance de proximité, c’est-à-dire les vols et les cambriolages, ce taux serait passé de 11 % à 14 %. Or le nombre de vols constatés a diminué. En réalité, seul un voleur sur sept est arrêté. Bien piètre résultat !
Quant au taux d’élucidation en matière de délinquance financière, il est important de souligner qu’il a diminué !
En ce qui concerne la violence aux personnes, le taux d’élucidation est stable ; mais il y a pourtant un problème, puisque vous arguez de la violence croissante à l’égard des personnes pour dire que les dispositions précédentes ne sont pas performantes et pour prendre de nouvelles mesures d’aggravation pénale.
Non, la sémantique ne suffit pas. Il faut un diagnostic précis de l’absence de résultat des lois précédentes.
En l’absence de ce diagnostic, on ne peut pas accepter de pousser la roue de la suspicion généralisée, de la stigmatisation, de l’aggravation pénale et de la prison.
Un pays que je ne nommerai pas – disons qu’il s’agit d’un pays « du Sud » – avait instauré la peine de mort pour les voleurs de bicyclettes, parce que sa police n’arrivait pas à arrêter les voleurs de bicyclettes ! C’est assez instructif...
La deuxième raison pour laquelle ce texte est irrecevable tient à la sécurité et à la tranquillité publique. Le « vivre ensemble », qui, bien entendu, implique de faire reculer la délinquance est une question complexe. Elle met en jeu beaucoup de facteurs économiques et sociaux, dont je vous fais grâce, mais que l’on ne peut pas ignorer ; la politique que vous menez depuis dix ans est, là encore, en cause.
Sont aussi en cause la confiance envers les politiques, les forces de police, la justice, les intervenants sociaux, et l’exemplarité de ceux qui dirigent et sanctionnent.
Est également en jeu la proximité, géographique et humaine, entre ceux qui faillissent et ceux qui doivent faire respecter la loi. Là aussi, les moyens font défaut, et votre politique est, encore une fois, en cause.
Vous opposez à ces questions des réponses simplistes – encore plus de fichage, vidéosurveillance, polices privées, prison ... –, dont les résultats, tout au moins ceux que l’on peut observer en France ou ailleurs, ne sont guère probants. Il est dangereux de faire croire le contraire !
Enfin, même si cela n’est, hélas, pas nouveau, l’amalgame entre délinquance et immigration ou étrangers, et l’opposition entre Français de longue date – je ne sais pas ce que signifie « de souche » ! – et Français récent, atteignent leur paroxysme ! Un élu de la majorité n’a-t-il pas osé dire que Français ne rimait pas avec délinquance ? Doit-on en conclure qu’un délinquant français n’existe pas ? La question se pose...
Ce discours est irrecevable. Il porte la haine et suscite tous les débordements. Il est contraire au « vivre ensemble », condition indispensable de la sécurité.
Mais votre loi recèle aussi plusieurs dispositions irrecevables parce que contraires à nos principes fondamentaux, voire constitutionnels.
Premièrement, votre loi dite d’orientation et de programmation ne comporte aucune disposition concernant la sincérité des moyens de sa mise en œuvre dans les trois ans à venir. Elle ne peut donc être considérée comme une loi de programmation ayant une portée normative.
Dans le contexte de la révision générale des politiques publiques, on voit bien que cela pose un problème de fond, problème qu’ont souligné hier plusieurs intervenants et que le Conseil constitutionnel serait bien avisé de sanctionner !
Deuxièmement, ce projet de loi pose la question du droit de chacun au respect de sa vie privée, garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ainsi, ce texte organise le fichage quasi-systématique de toute la population.
Il y a trois ans, l’actuel ministre de l’industrie avait fait sensation en plein Conseil européen, en déclarant « que les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance ». À l’époque, ces propos avaient soulevé l’indignation.
Aujourd’hui, la réalité dépasse presque la fiction, puisque le texte qui nous est soumis organise le fichage tant des victimes que des témoins, sans parler des personnes ayant été poursuivies mais n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation.
Plus grave encore, ce texte n’offre aucune garantie réelle en cas de dérive de ce fichage. Aucun mécanisme de contrôle et de recours n’est prévu en cas d’erreur. Le procureur et un hypothétique magistrat pourront connaître des demandes de rectification. Cependant, aucun recours n’est offert aux justiciables au cas où ces autorités refuseraient de faire droit à leurs demandes.
Pourtant, il faut encore une fois le rappeler, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, avait souligné que 83 % des fiches figurant dans le système de traitement des infractions constatées, le STIC, contenaient des informations erronées.
Ces dispositions risquent d’ailleurs de coûter à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme. Chacun se rappelle, en effet, que le Royaume-Uni a déjà été sanctionné, en 2008, pour avoir conservé des empreintes digitales, échantillons cellulaires et profils génétiques après la conclusion des poursuites pénales menées contre deux particuliers.
Ensuite, ce projet de loi autorise la surveillance informatique de potentiels délinquants, dont la liste est si étonnamment longue que tout un chacun devrait pouvoir y figurer. Ainsi, la police pourrait pratiquement s’introduire au domicile de chaque citoyen pour y installer des mouchards informatiques.
Enfin, ce projet prévoit l’extension de la vidéosurveillance.
Précisons, tout d’abord, qu’en permettant aux représentants de l’État de mettre en place des systèmes de vidéosurveillance ad hoc sur la voie publique en cas de manifestation, ce projet est une remise en question de la liberté d’association, d’opinion, de réunion et de manifestation. Dorénavant, les manifestants pourront être épiés par les forces de l’ordre ; d’ici à ce que les participants à un mouvement de grève ayant pris part à une manifestation soient automatiquement fichés et sanctionnés, il n’y a qu’un pas, que d’aucuns pourraient franchir...
Troisièmement, la liste des crimes et délits permettant ces entraves est si longue que le texte remet clairement en cause les principes de proportionnalité et de pédagogie de la peine. Figure d’ailleurs dans la liste la suspicion d’aide à l’entrée illégale d’étrangers commise en bande organisée ; comprenez ici « deux personnes », puisqu’un binôme constitue dorénavant une bande organisée ... Cette disposition devrait permettre au Gouvernement de mettre en œuvre avec plus de latitude ses actions discriminatoires et xénophobes à l’encontre des populations migrantes.
Quatrièmement, le texte qui nous est soumis, en mettant en place des peines quasi-automatiques, revient également sur le principe d’individualisation des peines. Certes, le Gouvernement feint d’avoir tenu compte de la décision du Conseil Constitutionnel tendant à prohiber le recours aux peines automatiques. Ainsi, le projet de loi autorise le juge judiciaire à prononcer une peine différente de la peine prévue, mais en mettant à sa charge, dans ce cas, une obligation de motivation spécifique.
Doit-on comprendre que les décisions ayant fait l’objet d’une telle motivation seront décomptées et que les mauvais élèves seront mis à l’index ? La question mérite d’être posée.
Dans le même esprit, le projet de loi méconnaît les droits de la défense des plus démunis. Le recours systématisé à la visioconférence constitue une remise en cause des garanties d’un procès équitable. En effet, comment les prévenus seront-ils défendus dans de telles conditions ? Comment leur avocat pourra-t-il réellement faire valoir leurs droits ?
Enfin, ce texte viole le principe de proportionnalité des peines en aggravant de façon quasi systématique des sanctions pénales déjà existantes. Les amendements déposés par le Gouvernement ne feraient, s’ils étaient adoptés, qu’aggraver les choses en instituant des peines plancher et des peines incompressibles et en étendant la surveillance de sûreté post-peine, ce qui modifie l’esprit même de notre droit pénal.
Cinquièmement, ce projet de loi organise le désengagement de l’État de ses missions de sécurité publique.
Bien évidemment, ce désengagement s’inscrit entièrement dans les multiples transferts de charges induits par la diminution des dépenses publiques utiles de l’État. Ainsi, en l’absence de moyens d'État suffisants – déficit dans la police nationale – les collectivités locales devront supporter le coût de polices municipales supplétives de plus en plus incontournables. Lorsque l’État ordonne, par exemple, le développement de la vidéosurveillance, dont je tiens à souligner le coût excessif, les collectivités locales doivent assumer la charge nouvelle, sous la houlette des préfets.
Au-delà des transferts de charges, l’État abandonne sa fonction régalienne, normalement garante de l’égalité sur le territoire et de l’éthique républicaine. Votre projet de loi confère des prérogatives de police judiciaire à la police municipale, avec tous les risques de dérive possibles et les conséquences envisageables d’une police à plusieurs vitesses.
Vous souhaitez ainsi doter les polices municipales d’armes de quatrième catégorie, alors même que des réserves répétées, émanant de personnes autorisées, notamment du Conseil d’État, se sont exprimées quant à l’utilisation de ces armes de façon générale et a fortiori par des personnes n’ayant pas reçu de formation suffisante.
En outre, votre projet de loi opère un autre glissement des missions régaliennes de sécurité : leur délégation à un vaste pan du secteur privé, au travers de la vidéosurveillance sur la voie publique et la substitution pure et simple de la technologie à la présence humaine.
Tout le monde le sait, le marché de la surveillance est très juteux. D’ailleurs, les entreprises en attendent beaucoup. Mais qui se préoccupe du respect des libertés publiques ? Ce bouleversement complet dans l’organisation des prérogatives de l’État devrait inquiéter au plus haut point tous les républicains.
Au cours de l’été, les excès de langage, les propos « guerriers » tenus par le Gouvernement et les pratiques préconisées, tout aussi guerrières, ont suscité bon nombre de réactions, y compris dans les rangs de la majorité et parmi ses soutiens.
M. Guy Fischer. Ces propos étaient scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je veux croire que la réflexion fait son chemin. C’est d’ailleurs le cas parmi nos concitoyens.
Aussi est-il sage de surseoir à aggraver un arsenal pénal déjà très lourd et incapable d’apporter des réponses adéquates au « vivre ensemble » dont nous avons tant besoin et de refuser d’entériner un texte éminemment contestable au regard de nos principes fondamentaux.
C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de voter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les auteurs de la motion fondent l’irrecevabilité du projet de loi sur le fait qu’il contreviendrait aux principes constitutionnels du droit pénal, à la liberté d’association, à la liberté d’opinion, de réunion et de manifestation, ainsi qu’au droit au respect de la vie privée.
La commission des lois a veillé à assurer un juste équilibre entre les contraintes inhérentes à la préservation de l’ordre public et à la protection de la sécurité des personnes et le respect des libertés individuelles. Cependant, comme le Conseil constitutionnel l’a lui-même rappelé, la recherche des auteurs d’infraction est nécessaire à la sauvegarde des principes et droits de valeur constitutionnelle.
Il appartient ainsi au législateur d’assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle et l’exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties. Aussi est-il tout à fait légitime que des limitations soient apportées à ces principes constitutionnels afin d’assurer leur conciliation avec les nécessités liées à la poursuite des auteurs d’infraction et à la répression effective des manquements au droit pénal.
De telles exigences justifient notamment l’alourdissement de certaines peines ou la création de nouvelles infractions afin de rendre compte de l’évolution des différentes formes de la délinquance. De même, des restrictions à l’exercice des libertés publiques peuvent être apportées au nom d’un intérêt légitime dès lors qu’elles sont elles-mêmes encadrées et entourées de garanties suffisantes.
Tel est le cas par exemple en matière de vidéoprotection ou d’utilisation des fichiers judiciaires. À plusieurs reprises, soucieuse de garantir la conformité des textes aux principes constitutionnels précités, la commission des lois a renforcé les garanties apportées par le texte aux libertés individuelles, notamment en confiant le contrôle des systèmes de vidéoprotection à la CNIL ou en s’attachant à préserver les prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles.
Elle s’est en outre montrée vigilante dans la définition des nouvelles incriminations, par exemple en ce qui concerne le délit d’identification d’une source ou d’un collaborateur occasionnel d’un service de renseignement.
Considérant que le projet de loi ainsi amendé ne contrevient pas aux principes constitutionnels rappelés par les auteurs de la motion, la commission des lois s’est déclarée défavorable au vote de cette dernière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Mme Borvo Cohen-Seat est à l’évidence dans son rôle d’opposant lorsqu’elle demande que ce projet de loi ne soit pas discuté. Le contraire eût été surprenant ! De ce côté, il n’y a guère de surprise. Il arrive qu’il y en ait de l’autre côté… (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Cela dit, vous faites fausse route, madame, lorsque vous laissez entendre que ce texte est liberticide. Est-ce liberticide de vouloir protéger les Français ? Est-ce liberticide de vouloir créer des peines incompressibles pour des meurtriers de policiers, de gendarmes, de pompiers, de magistrats, de membres de l’administration pénitentiaires, de tous ceux qui sont détenteurs de l’autorité publique ? Est-ce liberticide de prévoir des peines aggravées lorsque ce sont des personnes âgées ou vulnérables qui sont victimes d’agression ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces dispositions figurent d’ores et déjà dans le code pénal !
M. Brice Hortefeux, ministre. Est-ce liberticide de trouver de nouveaux moyens pour empêcher les criminels d’internet de diffuser des contenus pédopornographiques ?
M. Guy Fischer. Nous disposons déjà de tout un arsenal juridique pour cela !
M. Brice Hortefeux, ministre. La liste est longue. Je rappelle que ce texte a été examiné par le Conseil d’État, qui ne l’a pas jugé liberticide. Vous aurez compris, madame Borvo Cohen-Seat, que je ne partage pas votre avis. Je rejoins celui de M. le rapporteur et invite le Sénat à rejeter cette motion.
M. Guy Fischer. Voilà qui est étonnant ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 416, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 263 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Peyronnet et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°77.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 518, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, auteur de la motion.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis chargé de vous démontrer qu’il n’y a pas lieu de discuter de ce texte. Cela peut paraître paradoxal puisque notre groupe fait partie de ceux qui ont souhaité une loi de programmation et surtout d’orientation de la sécurité. Mais ce projet de loi ne répond pas à nos attentes.
Le texte que vous nous soumettez, véritable fourre-tout juridique, est en fait une loi portant diverses dispositions d’ordre sécuritaire, la dix-septième en huit ans ! Je maintiens ce chiffre, monsieur le ministre, malgré vos propos d’hier soir. Il me semble qu’il pourrait même atteindre la trentaine si l’on considère toutes les dispositions diverses d’ordre sécuritaire qui se trouvent elles-mêmes dans diverses lois dont l’objet n’est pas exclusivement sécuritaire…
Ce projet de loi donc ne livre aucune vue d’ensemble, ne définit aucun objectif clair. En fait, tout votre discours repose sur l’idée erronée selon laquelle la délinquance a baissé depuis 2002 et qu’il serait bon de continuer sur la voie tracée par le Président de la République lorsqu’il était ministre de l’intérieur.
Or il se trouve que cette orientation a conduit au désastre que l’on sait et dont tout le monde a conscience, sauf vous, monsieur le ministre, qui pratiquez la politique de gribouille pour complaire à votre inspirateur, le Président de la République.
Cette loi n’est pas une loi d’orientation ; je vais le démontrer. Elle ne propose rien de nouveau, si ce n’est de poursuivre les objectifs, les méthodes et les solutions qui ont échoué depuis huit ans et qui ont provoqué notre régression.
Cette méthode, on commence à bien la connaître dans les banlieues : cantonner les trafics, contenir la délinquance qui les accompagne dans un périmètre localisé, isolé du reste de la population par un cordon de forces de sécurité qui ne pratiquent que des patrouilles sporadiques et des opérations coup-de-poing, si possible à grand spectacle. De telles opérations sont évidemment vouées à l’échec puisqu’elles ne sont pas fondées sur une réelle connaissance de la population et ne visent que quelques personnes repérées le plus souvent après dénonciation et non grâce à un travail approfondi et quotidien de renseignement.
Pour démontrer l’efficacité de ces opérations, il peut arriver que vous invitiez la presse. J’ai pu ainsi voir cet été une rediffusion télévisée d’une opération de ce type menée dans le quartier des Tarterêts : six ou huit policiers – je ne sais plus – répartis en deux groupes de part et d’autre de la rue, se couvrant mutuellement, avançaient l’œil aux aguets vers les fenêtres des immeubles, armés jusqu’aux dents, casqués et bottés ! On se serait cru devant une scène de guérilla urbaine en Irak ou en Afghanistan ! Voilà la guerre que vous menez contre la délinquance !
Mais qu’espérez-vous avec une telle mise en scène, sinon, comme en Irak, comme en Afghanistan, le rejet des forces de l’ordre par une population apeurée qui comprend que tous les habitants de ce quartier sont mis dans le même panier ?
C’est cette même méthode que vous avez pratiquée à Grenoble. Très vite après les événements que l’on sait, à grand tapage, vous avez arrêté une dizaine de personnes. Toutes ont été relâchées, sauf une, à l’égard de laquelle le procureur de la République lui-même a déclaré qu’il ne possédait pas de charges indiscutables. Beau succès !
En réalité, vous gesticulez ! Vous faites croire que vous agissez pour que les habitants des quartiers calmes, dont vous espérez les suffrages, se croient protégés et dorment tranquilles. Simple gesticulation, je vous dis ! Débauche incroyable d’énergie pour un résultat assurément nul, voire contre-productif !
Lors d’une précédente législature, en 1995, la loi dite « Pasqua » fixait des objectifs, précisait le dimensionnement des services et la répartition des forces sur le terrain. Vous-même, monsieur le ministre, en 2002, aviez des objectifs. Je vais en faire le rappel, même si ce dernier sera douloureux pour vous puisque vous ne les avez pas atteints !
Le premier d’entre eux, qui était bon, visait l’éradication des zones de non-droit. Le deuxième, excellent, tendait à lutter contre les violences faites aux personnes, mais, en l’espèce, votre échec est patent. Le troisième était la « lutte contre la délinquance des mineurs » alors que vous nous rappelez sans cesse que les délinquants sont de plus en plus jeunes. Votre quatrième et dernier objectif visait la « consolidation de la police de proximité en renforçant ses capacités judiciaires », alors qu’en fait cette police de proximité vous l’avez supprimée !
Votre échec est donc cuisant, mais vous affichiez tout de même des objectifs.
Or rien de tel ne figure dans le présent projet de loi. Il faut aller chercher dans les annexes les quelques embryons de perspectives.
Autrement dit, ce texte n’a aucune valeur normative. C’est un coup d’épée dans l’eau. Une fois de plus, vous en restez à l’affichage : pas de priorités claires ; le projet de loi comporte de simples affirmations volontaristes, purement déclamatoires ; il n’apporte rien ou presque sur l’organisation et la répartition des forces de sécurité, rien sur les déploiements entre police et gendarmerie, rien sur la politique menée en direction des banlieues, sur la façon dont elle pourrait s’harmoniser avec la politique de la ville, rien sur les zones périphériques des villes, vers lesquelles la délinquance se déplace et qui sont gravement dépourvues de forces de gendarmerie.
Pour asseoir cette poursuite de l’action entreprise depuis huit ans, vous ne vous basez que sur les statistiques et, lorsque celles-ci ne sont pas assez démonstratives, vous les manipulez !
Monsieur le ministre, je veux revenir sur les propos que vous avez tenus cette nuit. Je tiens tout d’abord à vous féliciter sur la forme car vous avez longuement et courtoisement répondu aux différents orateurs dans la discussion générale. En cela votre attitude fut fort appréciable.
En revanche, le fond de votre intervention est plus discutable. Vous avez eu recours aux statistiques, mais vos choix sont partiaux : stigmatisation systématique de l’action de la gauche, en particulier du gouvernement Jospin.
Pour votre démonstration, vous avez utilisé les critères de délinquance générale, qualifiée de « globale » en un certain temps, mais passons… Or mêler les homicides et les vols d’oranges sur un étal n’a aucun sens, sinon de constater des actes de délinquance !
Par ailleurs, vous vous êtes félicité de la progression du taux d’élucidations, mais cette remarque est toute relative. Encore faut-il savoir de quoi il est réellement question : lors de l’arrestation d’un fumeur de joint, constat et élucidation sont concomitants. Si cette personne avoue avoir fumé également un joint la veille et trois jours auparavant, il y aura trois élucidations pour un seul fait constaté. C’est pourquoi, dans les statistiques, le nombre d’élucidations peut être supérieur au nombre de faits constatés…
Par ailleurs, vous vous félicitez d’une baisse de 1,04 % de la délinquance au cours de l’année 2009. Mais, dans le même temps, les délits enregistrés en simple main courante ont augmenté de 10 %. Cela signifie, à l’évidence, que la délinquance a non pas diminué mais augmenté !
Monsieur le ministre, pouvez-vous en tout cas nous assurer que ce n’est pas sur instruction de leur hiérarchie que les services chargés d’enregistrer les délits orientent les plaignants plutôt vers la main courante que vers le procès-verbal de plainte ?