M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. De très nombreux champs d’expérimentation existent. Je pense par exemple à la gestion des urgences ou des plateaux techniques chirurgicaux.
Dans un autre ordre d’idées, une meilleure gestion de la facturation peut être source de recettes supplémentaires appréciables. Ainsi, l’ANAP a évalué que l’absence de facturation d’un certain nombre d’éléments dans les CHU représentait une perte d’au moins 5 % des recettes ; certains parlent même de 10 % des recettes. La même absence de rigueur touche les services chargés des recouvrements.
Certains établissements ont pris conscience de telles défaillances. C’est le cas du centre hospitalier universitaire de Lille, où j’ai eu la chance d’effectuer récemment un stage de deux jours pleins. J’ai pu y mesurer la très grande qualité de la gestion de cet établissement, qui apparaît exemplaire à bien des égards – il y a un directeur hors pair ! – pour les relations nouées entre les professionnels de santé et les responsables administratifs, la coordination entre les soins de ville et l’hôpital ou encore les relations avec les établissements privés voisins. En outre, cet établissement présente un budget pratiquement à l’équilibre.
Madame la ministre, comme je l’ai indiqué lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale que vous présidiez, il faudrait que la gestion d’un tel établissement puisse servir de modèle à d’autres hôpitaux et fournir des référentiels et des éléments de comparaison que l’ANAP serait chargée de promouvoir.
Il ne faut plus retomber dans les errements des dernières années, quand l’utilisation des aides à la contractualisation permettait d’éponger les déficits, sans aucune incitation à faire des progrès compte tenu des faibles contreparties exigées de la part des établissements.
C’est pourquoi nous aimerions que vous nous fassiez connaître votre « feuille de route » pour l’hôpital, madame la ministre.
Comment comptez-vous parvenir au rétablissement de l’équilibre des hôpitaux, qui connaissent en 2009 un déficit global – je l’ai mentionné tout à l’heure – de l’ordre de 600 millions d’euros ?
Ne faut-il pas faire une pause dans l’évolution incessante des modalités de tarification qui sont transmises chaque année, au mois d’avril ou de mai – à mon sens, c’est trop tardif –, aux établissements hospitaliers ? Ne faut-il pas faire preuve d’un plus grand volontarisme à l’égard de réformes susceptibles de produire de réelles économies ?
Je pense d’abord au développement de la chirurgie ambulatoire. À cet égard, des progrès extrêmement importants ont été réalisés dans notre pays. Vous y avez largement contribué, madame la ministre, et le Parlement également. Je me souviens notamment d’amendements que nous avions déposés en ce sens. Nous avions eu des échanges un peu vifs avec le ministre de l’époque, qui n’était pas particulièrement favorable à un développement aussi rapide de l’ambulatoire.
Certains pays, comme la Belgique et l’Italie, ont un taux de pénétration de 90 %, contre 50 % en France. Or, dans les pays comparables au nôtre, on estime aujourd’hui que 85 % des malades peuvent être pris en charge chirurgicalement par l’ambulatoire. Des incitations tarifaires ont certes été mises en place ces dernières années, mais il existe encore un potentiel de développement important, comme le montre le rapport de la commission des comptes de la semaine dernière.
La chirurgie ambulatoire présente en effet de nombreux avantages par rapport à la chirurgie traditionnelle, notamment des bénéfices en termes de satisfaction des patients et de qualité des soins, ainsi que des économies de temps et de ressources.
Une autre source d’économies doit également faire l’objet d’une action plus volontariste : la coordination des soins à la sortie de l’hôpital. Trop de séjours hospitaliers se prolongent du fait de l’absence de solutions de prise en charge adaptée. Des expérimentations sont actuellement menées pour les sorties de maternité. À mon sens, il est impératif de continuer à explorer ce type de réponses.
Vous connaissez, madame la ministre, mon attachement au triptyque « convergence, transparence, concurrence ». Vous avez décidé, au moment du vote de la loi HPST au Sénat, voilà un an, de reporter l’échéance de la convergence intersectorielle à 2018. Je l’ai regretté – vous le savez –, car je crois que, en éloignant cet objectif, on se prive du seul moyen de parvenir à proposer, quel que soit l’établissement, une offre de soins au meilleur coût. Je sais que nous ne sommes pas tous d'accord sur ce point, mais cette idée est tout de même partagée par une majorité d’entre nous.
À l’occasion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous avez envisagé de mettre en place une convergence ciblée sur quelques groupes homogènes de séjour, ou GHS. Pouvez-vous nous indiquer ce qui a été fait à ce jour et quelles leçons vous en tirez ?
Enfin, vous vous souvenez des craintes que j’avais exprimées l’année dernière sur la question de la gestion du risque. C’est en effet un élément indispensable pour la maîtrise des dépenses d’assurance maladie. La mise en place des ARS nécessitait une clarification des responsabilités, ce que nous avons tenté de faire lors des débats au Sénat voilà un an, en compagnie d’Alain Milon et de Nicolas About, alors président de la commission des affaires sociales. Cela a été laborieux, mais nous sommes parvenus à une rédaction qui, je l’espère, a satisfait tous les acteurs concernés – à moins qu’elle ne les ait tous mécontentés (Sourires.)…
Madame la ministre, où en est donc la négociation de la convention nationale entre l’État et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’UNCAM ? Comment s’effectuera le partage entre l’assurance maladie et les ARS ? Quelle sera son articulation entre les niveaux national et régional ?
Nous attendons tous beaucoup des ARS, à commencer, me semble-t-il, par le Gouvernement. Ces agences se mettent aujourd'hui en place, en faisant d’abord face à des difficultés d’ordre logistique. Il faut bien en passer par là… Quand pourront-elles être pleinement efficaces et jouer le rôle que nous avons voulu leur confier, c'est-à-dire favoriser une meilleure organisation et une régulation plus performante de l’offre sanitaire et médico-sociale sur un territoire ?
Rendre plus cohérent et plus efficace notre système reste, un an plus tard, une priorité renouvelée et renforcée. Je souhaite que les résultats soient au rendez-vous et que nous n’ayons pas à souffrir de déficits aussi importants de l’assurance maladie, parce que nous aurons réussi la réforme des ARS. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe de l’Union pour un mouvement populaire : 33 minutes ;
Groupe socialiste : 26 minutes ;
Groupe de l’Union centriste : 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche : 10 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 8 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe : 3 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai par faire part de la satisfaction de notre groupe et par féliciter Mme la ministre d’avoir promulgué, le 20 mai dernier, un décret relatif aux établissements de santé privés collectifs, qu’on appelait « participant au service public hospitalier », ou PSPH, avant la promulgation de la loi HPST.
Cette suppression était d’ailleurs cohérente avec celle du chapitre relatif au service public hospitalier dans le code de la santé publique, que vous avez malheureusement refusé de rétablir.
Néanmoins, nous nous réjouissons que le Gouvernement, en publiant ce décret, reconnaisse le rôle irremplaçable joué dans notre système de santé par de tels établissements. Nous pensons même que ces derniers devraient constituer un modèle vers lesquels pourraient converger tous les établissements privés.
Pour le reste, la mise en œuvre de ce texte confirme les craintes que nous avions formulées lors de son examen et qui nous avaient conduits à voter contre ce texte.
La logique comptable qui inspirait votre réforme est aujourd’hui à l’œuvre. L’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP, qui négocie actuellement avec sa tutelle pour ses budgets à venir, prévoit pour l’année 2010 la suppression de 685 emplois non médicaux, de 50 emplois de personnels médicaux, et la disparition de 25 hôpitaux de l’AP-HP, puisqu’il ne devrait plus rester que 12 sites au terme de cette opération. (Mme la ministre s’exclame.)
Parmi les fermetures les plus importantes, je souhaite mentionner les hôpitaux Jean Rostand, Paul Brousse et Saint-Vincent de Paul. À cela, il convient d’ajouter les fermetures programmées telles que celles de l’hôpital Fernand Widal, de l’hôpital Beaujon à Clichy, menacé par son regroupement avec l’hôpital Bichat. Ce sont aussi 400 lits qui manqueront avec la reconstruction de l’hôpital Charles Foix à Paris. Je passe volontairement sous silence les fermetures de services, trop nombreuses pour les évoquer toutes, comme par exemple à l’hôpital Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt, qui voit disparaître son service de réanimation chirurgicale et à qui l’on refuse, contrairement aux engagements, la création de 66 postes infirmiers, ou encore la probable fermeture du service de médecine nucléaire de l’hôpital Louis Mourier de Colombes. Je pourrais évidemment allonger la liste, mais je m’en tiendrai là…
De telles fermetures sont d’autant plus faciles à réaliser que le Gouvernement dispose aujourd’hui, avec les directeurs généraux des ARH, véritables « superpréfets » sanitaires et sociaux, d’une autorité régionale renforcée, ce qui affaiblit la démocratie sanitaire, déjà réduite à la portion congrue.
Quant aux établissements privés à but lucratif, ils peuvent désormais se voir attribuer des missions de services publics qu’ils ont la possibilité de choisir eux-mêmes. En clair, cette décision échappera aux pouvoirs publics, qui sont pourtant les seuls capables de garantir la satisfaction des besoins spécifiques en santé des territoires et des populations. Dans les faits, la direction de la clinique fera acte de candidature en fonction de ses intérêts commerciaux et pour une mission qu’elle aura elle-même sélectionnée, parce que celle-ci correspondra à une activité rentable ou permettra de drainer une nouvelle clientèle. Je pense particulièrement aux urgences.
Le Conseil Constitutionnel ne nous a malheureusement pas suivis lors de notre saisine, et je le regrette. Néanmoins, en déclarant, dans son sixième considérant, qu’il appartiendra à l’autorité de tutelle « en définissant les modalités de cette participation et en la coordonnant avec l’activité des établissements publics de santé, de veiller à ce que soit assuré l’exercice continu des missions du service public hospitalier pris dans son ensemble », le Conseil constitutionnel a relevé quelques faiblesses dans votre organisation, madame la ministre.
Je crois que vous devriez particulièrement veiller à garantir l’accès continu aux tarifs opposables pour des soins débutés dans un établissement commercial. Nous vous avions proposé des amendements en ce sens, et vous les avez systématiquement refusés. Croyez bien que je le déplore.
De la même manière, nous regrettons le choix que vous avez fait d’autoriser les cliniques privées commerciales à constituer des centres de santé.
On voit bien qu’il s’agit, là encore, de créer la confusion entre les établissements sans but lucratif et ceux qui poursuivent un intérêt commercial. Les entreprises de santé, que nous connaissons tous, ne sont pas de parfaits philanthropes. Si elles décident demain d’ouvrir des centres de santé, c’est non pas pour prendre en charge, comme le font très bien les centres municipaux, associatifs ou mutualistes, les besoins de santé d’une population souvent démunie, mais pour avoir accès à une clientèle qui leur échappe actuellement.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le penser. Le jeudi 6 mai 2010, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, a rendu publique la lettre qu’elle a adressée le 23 avril dernier au Premier ministre, François Fillon, pour lui demander d’abroger trois des dispositions de l’ordonnance du 23 février 2010 de coordination avec la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Deux des mesures concernées ont trait aux centres de santé.
Nous partageons pleinement l’analyse du président de l’UNIOPSS, qui, dans un recours gracieux sur les décrets du 23 février 2010, précisait ceci : « À ce titre, nous nous permettons d’insister sur l’importance qu’il y a de pouvoir garantir aux patients qui entrent dans le circuit de soins d’un établissement de santé par l’intermédiaire d’un centre de santé le bénéfice du tarif opposable tout au long de leur prise en charge par cet établissement de santé, qu’il s’agisse d’actes à visée diagnostique ou thérapeutique. »
De la même manière, nous sommes inquiets quant à la procédure relative à la création de ces centres, que vous entendez mettre en place par décret.
Nous sommes aujourd’hui sous un régime dit de l’autorisation. En d’autres termes, pour pouvoir s’installer, un centre de santé doit avoir reçu une autorisation de la part des autorités compétentes, attestant notamment – c’est très important – que son implantation est conforme au schéma régional d'organisation sanitaire, le SROS. Or il semblerait que, sous prétexte de favoriser la création des centres de santé, gérés en réalité par des cliniques commerciales, vous fassiez évoluer le système selon une logique déclarative. Dès lors, il n’y aurait plus de visite de conformité ni, surtout, d’opposabilité du volet ambulatoire du SROS. Cette décision serait lourde de conséquences, dans la mesure où l’objectif assigné au SROS est d’assurer à l’ensemble de la population l’accessibilité financière et géographique à des soins de qualité.
De plus, comme si concéder des pans entiers de service public au secteur privé ne vous suffisait pas, vous avez fait le choix d’instiller dans le public des pratiques spécifiques au secteur privé, que nous réprouvons.
Disant cela, je pense, en particulier, à la nomination aux postes de directeurs d’établissements publics de santé de personnels non fonctionnaires, c’est-à-dire de personnels non issus de l’École nationale de santé publique, l’ENSP. Nous avions contesté cette mesure à l’occasion de l’examen de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, que j’avais personnellement défendue devant vous. Le Conseil constitutionnel, s’il a validé cette disposition, a toutefois émis d’importantes réserves. À titre d’exemple, il vous a contraint à limiter à 10 % le nombre de directeurs non issus de l’ENSP et à préciser par décret les compétences indispensables de ces directeurs recrutés de manière dérogatoire, ainsi que la manière de les évaluer. Vous n’aviez rien prévu de tout cela. Vous ne vouliez pas entendre nos avertissements, puisque, pour vous, il s’agissait de traduire dans les faits le dogme qui a conduit à l’élaboration de ce projet de loi : la transformation de l’hôpital en une entreprise de soins.
Dans le même temps, vous appuyant sur la même logique d’ « hôpital-entreprise », vous avez instauré le recours massif aux contractuels et la rémunération au mérite. Ainsi, dans un seul et même service, différentes relations contractuelles peuvent désormais coexister, ce qui ne manquera pas de créer des conflits, peu propices, nous le savons tous, à un travail en équipe. D’ailleurs, interrogés par le syndicat des médecins anesthésistes, 85 % des salariés ont déclaré leur opposition à cette mesure.
En outre, pour imposer votre nouveau modèle de gestion, vous avez fait le choix d’apporter des restrictions considérables à ce qui faisait sans doute la spécificité de notre système de santé : son caractère démocratique. Les représentants des territoires que nous sommes savent tous combien la participation des élus locaux aux conseils d’administration des établissements publics de santé a été bénéfique. Alors que, hier encore, les conseils d’administrations étaient de véritables lieux de décisions, associant l’ensemble des personnels, ils sont devenus, sous la forme de conseils de surveillance, de simples organes consultatifs. En somme, les pouvoirs décisionnels ont été transférés aux directoires.
Madame la ministre, la mise en œuvre de cette réforme apporte quotidiennement la preuve que notre opposition était fondée. Tout cela ne fait que la renforcer.
Cette réforme va rendre plus précaires les conditions d’accueil et de prise en charge des plus pauvres de nos concitoyens, dont l’état de santé est le plus atteint. (Mme la ministre manifeste son désaccord.) La détérioration des conditions de travail des professionnels de santé risque de les décourager, et de faire fuir les plus compétents vers le secteur privé. Il est à craindre que votre réforme de l’hôpital ne compromette la qualité et la sécurité des soins qui y sont dispensés, sans pour autant garantir un retour à l’équilibre financier.
Enfin, et nous pouvons tous le regretter car il y a urgence, cette loi n’apporte aucune réponse à la disparition programmée de la spécialité de médecine générale – quelques années seulement après sa création – ni aux inégalités territoriales de santé. Vous en aviez l’opportunité. Vous n’avez pas pu, ou pas voulu, la saisir. C’est profondément regrettable, car tout retard dans ce domaine rend plus difficile encore la mise en œuvre des mesures indispensables pour stopper la dégradation de notre système de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la loi du 21 juillet 2009 portant, notamment, réforme de l’hôpital a déjà un an d’existence. Tous les textes réglementaires qui devaient l’accompagner ne sont pas encore parus. Je me limiterai donc à poser quelques interrogations, qui interpellent nombre d’acteurs du monde hospitalier, directement concernés, mais aussi nos concitoyens s’intéressant au secteur de la santé.
Première interrogation. Le Président de la République a fixé l’objectif d’équilibre financier pour tous les établissements publics de santé à l’année 2012. Or, un tel objectif place beaucoup d’établissements sous une forte contrainte, qui les conduit à rechercher une amélioration de leur efficience, à revoir leur organisation et à réduire leurs effectifs, puisque les charges de personnel constituent le principal poste de dépenses d’un établissement hospitalier.
Cette nouvelle gouvernance, madame la ministre, comporte plusieurs volets : renforcement du pouvoir des chefs d’établissement, mise en place de pôles d’activités médicales sous contrôle des directoires avec des chefs de pôle dépendant étroitement des directeurs, affaiblissement du rôle dévolu aux commissions médicales notamment. Pourriez-vous nous dire, si, récemment mise en œuvre dans les hôpitaux, elle permet d’ores et déjà de maîtriser avec plus d’efficience la gestion économique des hôpitaux, sans pour autant dégrader la qualité de la prise en charge des malades ni augmenter le stress et la pénibilité des tâches effectuées par le personnel ?
En effet, s’agissant des incidences sociales de cette nouvelle gouvernance, notre inquiétude est avivée par le nombre de mouvements sociaux constatés dans les établissements de nos circonscriptions ou rapportés par les médias : je pense notamment à ceux, évoqués par mon collègue, ayant eu lieu dans les établissements de l’Assistance publique- hôpitaux de Paris, ou à d’autres intervenus en province, comme celui, en avril dernier, à l’hôpital du Creusot en Saône-et-Loire. Permettez-moi aussi de souligner les démissions en bloc de commissions médicales d’établissement, comme, en décembre 2009, celle du centre hospitalier intercommunal du val d’Ariège.
Chaque fois est dénoncée une gestion des ressources humaines et budgétaires d’une rigueur extrême, la plupart du temps perçue comme méprisante des communautés médicales et des organisations représentatives du personnel. Celle-ci est à l’origine de violents incidents dont sont également victimes, par effet boomerang, les cadres de directions eux-mêmes.
M. Guy Fischer. C’est très vrai !
M. Jacky Le Menn. Nos concitoyens s’interrogent : la gestion économique et financière est-elle pour autant plus performante qu’avant la réforme ?
M. Guy Fischer. Non !
M. Jacky Le Menn. Ne risque-t-on pas d’assister à des « dérives gestionnaires », certains établissements anticipant les objectifs supposés des ARS, d’autres répondant à des objectifs effectivement irréalistes fixés par les tutelles ? Qu’en sera-t-il de la sécurité et de la qualité des soins dans ces conditions ?
M. François Autain. Et oui !
M. Jacky Le Menn. Quel sera l’avenir du dialogue social dans nos établissements hospitaliers qui, apaisé, est le gage d’un bon climat dont bénéficient avant tout les malades ?
M. Guy Fischer. Très bonne question !
M. Jacky Le Menn. Deuxième interrogation. Dans le décret n° 2009-1765 du 30 décembre 2009 portant sur l’organisation et le fonctionnement des directoires des hôpitaux publics, il est prévu que le directeur, président du directoire, peut déléguer sa signature. Mais il ne s’agit toujours pas d’une délégation de pouvoir, ce qui pourrait être perçu par les autres membres du directoire comme une méfiance à leur égard. Cette situation risque de constituer un frein au dynamisme recherché par la mise en place de ce nouveau mode de gouvernance dans les hôpitaux.
Par ailleurs, en cas de changement de directeur de l’hôpital, le mandat des membres du directoire prend fin. Qu’en est-il de l’intérim des fonctions de président du directoire ? Le décret est silencieux sur ce point. Ne risque-t-on pas d’aller vers une paralysie temporaire de la gouvernance de l’établissement ?
S’agissant des membres médicaux du directoire, leur nomination appartient au directeur sur proposition, pour les médecins, du président de la commission médicale d’établissement qui établit une liste de trois noms. Si la liste est incomplète, non livrée ou si elle fait l’objet d’un désaccord, le directeur peut demander l’élaboration d’une nouvelle liste sous quinze jours. En cas de nouveau désaccord, le directeur nomme les membres de son choix. Cette procédure, prévue par le décret en cause, n’apporte aucune indication en cas d’absence, possible, de « candidatures » de praticiens aptes et désireux de s’investir dans la vie institutionnelle. Que se passe-t-il dans ce cas ? Cette situation risque de se produire un jour, et ne peut être considérée comme une hypothèse d’école.
En ce qui concerne la concertation, sujette à bien des débats, le décret prévoit seulement qu’elle doit se dérouler « à l’initiative et selon les modalités définies par le Président du Directoire ». Cette formulation ne me paraît pas vraiment de nature à apaiser les critiques issues du monde médical à l’égard de la nouvelle gouvernance. Le décret impose néanmoins que des « modalités » soient définies. L’exercice paraît difficile. En effet, la « concertation » dont il s’agit ne doit pas déboucher sur une procédure formellement consultative, la loi HPST ayant exclu la formulation d’avis – ce n’était pas notre position, je tiens à le rappeler. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser comment ce processus de concertation se déroulera dans la pratique ?
Troisième interrogation. Le déploiement du savoir-faire, que l’on nous promet novateur, des directeurs des agences régionales de santé, installés depuis le 1er avril dernier sur nos territoires, permettra-t-il de réguler, sans dégâts excessifs au niveau de nos régions, les ONDAM annoncés le 20 mai dernier, à l’occasion de la conférence sur les déficits ? La question est d’autant plus pertinente que les chiffres annoncés sont de 2,9 % en 2011 et de 2,8 % en 2012, alors que les 3 % accordés en 2009 et en 2010 étaient déjà fortement insuffisants, voire irréalistes !
Quatrième interrogation. La loi HPST est souvent perçue par nos concitoyens comme un outil dans l’arsenal des moyens mis en œuvre par l’État pour maîtriser d’une manière volontariste les dépenses de santé. Ce n’est pas faux. Mais pouvez-vous nous préciser, madame la ministre, où se situent exactement les limites que le Gouvernement entend donner à cette maîtrise qui, on en conviendra, suscite l’inquiétude des associations d’usagers du système de santé, des malades – notamment les plus démunis – et, d’une manière plus générale, de la population française ?
De même, au sujet des recommandations des comités d’experts prévus dans la loi HPST, nous souhaiterions savoir quelle suite le Gouvernement entend donner aux propositions de la mission Briet, dont nous parlions tout à l’heure. Il s’agit, monsieur le rapporteur général, du « gel des crédits accordés aux missions d’intérêt général effectuées par les hôpitaux publics ». Je tiens à le souligner, si ces recommandations sont retenues par le Gouvernement, ce qui semble être en bonne voie, certaines enveloppes de l’ONDAM seront mises en réserve en début d’exercice budgétaire chaque année et « dégelées » éventuellement en cours d’exercice, si j’ai bien compris, sur avis d’un comité d’experts. Les crédits finançant les missions d’intérêt général assumées par les seuls hôpitaux publics – SAMU, gardes médicales entre autres – constituent, si l’on en croit la fédération hospitalière de France, l’essentiel des sommes concernées. Ce faisant, seuls les hôpitaux publics supporteraient les conséquences des dérapages des autres acteurs du système de santé – médicaments, cliniques commerciales – alors qu’aucun système de régulation n’existe, à ma connaissance, ou n’est prévu en ce qui les concerne. N’est-on pas là en contradiction avec l’esprit de la loi HPST qui – doit-on le rappeler ? – a souhaité, contre notre avis du reste, placer sur le même plan, s’agissant des missions de service public, l’hospitalisation publique et l’hospitalisation privée commerciale ?
Je vous demande donc également, madame la ministre, si les craintes exprimées par la fédération hospitalière de France sont fondées et, dans le cas où elles le seraient, ce que j’ai tout lieu de croire, de nous préciser si l’exercice des missions de service public devra en conséquence être « gelé » au début de chaque année dans l’attente du dégel hypothétique des crédits en cause. Nous aimerions également savoir si la loi HPST a pour vocation de faire des hôpitaux publics les variables d’ajustement du budget de la santé.