PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après »
(Salle Médicis)
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après », organisé à la demande de la commission des affaires sociales.
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour un rappel au règlement.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 du règlement du Sénat.
La conférence des présidents a décidé, à la majorité, que le débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après » aurait lieu non dans l’hémicycle, mais dans la salle Médicis.
Nous nous étions opposés à cette décision et nous entendons le faire savoir une nouvelle fois aujourd’hui, même si cela ne sert à rien.
Rien ne justifie qu’une partie de nos débats ait lieu ailleurs que dans l’hémicycle, d’autant que ce dernier n’est pas occupé, à moins de considérer que certaines discussions ne méritent pas d’être menées dans les mêmes conditions que d’autres. C’est à croire que, pour vous, il y aurait des sujets qui mériteraient toute l’importance et la solennité de l’hémicycle, alors que d’autres pourraient se contenter de cette salle, dont nous savons que certains projettent de la transformer durablement en un « petit hémicycle ».
L’avenir de nos hôpitaux et les difficultés que rencontrent les femmes à accéder à l’interruption volontaire de grossesse ne sont pas, visiblement, des sujets d’importance.
Une telle pratique constitue – personne ne peut dire le contraire – un véritable affaiblissement de la démocratie parlementaire. C’est ainsi que le vivent, et douloureusement, les membres de notre groupe.
D’une certaine manière, la décision de la conférence des présidents est parfaitement cohérente avec l’un des objectifs de la loi HPST dont nous devons tirer le bilan, à savoir la diminution de l’ensemble des contre-pouvoirs.
M. le président. Monsieur Fischer, tout d’abord, nous siégeons ici non pas dans le « petit hémicycle », mais dans la « salle Médicis ».
Ensuite, je vous renvoie au compte rendu in extenso de la conférence des présidents du 27 avril et du 19 mai. J’y vois trace non pas d’un vote, mais d’un accord consensuel pour tenir une séance plénière dans la salle Médicis à l’occasion d’un débat demandé par Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Cette séance, organisée à titre expérimental, ainsi que cela a été indiqué au cours d’une réunion du Bureau, se déroule comme les autres séances publiques, avec les mêmes attributs et selon le même protocole.
Je comprends très bien que vous souhaitiez rappeler votre opposition à cette expérimentation. Reste que le lieu idéal pour faire ce genre de déclaration eût été la conférence des présidents.
Quoi qu’il en soit, je vous donne bien volontiers acte de votre rappel au règlement, et je renvoie chacun au compte rendu de la conférence des présidents, dont vous êtes membre.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, permettez à un parlementaire qui n’est pas membre de la conférence des présidents, et qui n’en saisit donc pas toutes les subtilités, de vous poser quelques questions à la faveur de ce rappel au règlement.
Pourquoi organiser ici un débat qui a été inscrit à l’ordre du jour officiel du Sénat et qui aurait pu tout à fait avoir lieu dans l’hémicycle ? Quelle en est la justification ? Y a-t-il désormais deux statuts pour les séances publiques du Sénat ?
M. le président. Monsieur Sueur, si vous n’appartenez pas à la conférence des présidents, vous avez fait partie du groupe de travail « révision constitutionnelle et réforme du règlement ». Comme j’ai une excellente mémoire, je me rappelle que, lorsque ce sujet y avait été abordé, vous n’aviez pas émis ce type d’interrogation. L’idée, je le rappelle, est de rendre plus interactifs nos débats. (MM. Jean-Pierre Godefroy et Jean-Pierre Sueur protestent.)
Je peux vous garantir que ma mémoire est exacte. Pour preuve, je vous renvoie au compte rendu du groupe de travail.
Nous ferons le bilan de cette expérimentation le moment venu.
Débat
M. le président. Nous abordons maintenant le débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après ».
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite introduire en quelques mots ce débat et expliquer pourquoi la commission des affaires sociales en a demandé l’organisation.
Voilà tout juste un an, le Sénat achevait l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
Ce texte reste pour nous un souvenir très particulier, non seulement en raison de son ampleur et de l’importance du sujet traité – la politique hospitalière se trouve au confluent des préoccupations légitimes de nos concitoyens et de l’implication des collectivités territoriales –, non seulement parce que les travaux de notre assemblée ont profondément marqué le texte définitif adopté, mais aussi parce que ce fut la première occurrence, pour notre commission, de mise en œuvre des nouvelles procédures d’examen des projets de loi en commission résultant de la révision constitutionnelle de 2008.
Je ne doute pas que Mme la ministre se souvienne également de l’énergie considérable que nous avons mobilisée, les uns et les autres, pour venir à bout de l’examen de ce projet de loi : 1 420 amendements déposés en commission, 1 373 en séance publique, quatre semaines de débats éprouvants ont marqué nos mémoires.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a jugé indispensable de demander en séance publique l’inscription d’un débat de contrôle afin que nous puissions établir, ensemble, un premier bilan de ce texte emblématique.
Nous avons suivi la mise en route des agences régionales de santé, nous avons pris acte de la publication progressive des mesures d’application – pas moins de 196 décisions étaient expressément attendues à ce titre – et, si nous devions constater la nécessité d’ajustements législatifs pour parvenir aux objectifs assignés à la loi, ce débat nous fournirait, j’en suis sûre, l’occasion de les identifier et d’y pourvoir.
Les discussions seront engagées par nos deux spécialistes reconnus des questions hospitalières : Alain Milon, qui fut le rapporteur émérite du texte, et Alain Vasselle, notre rapporteur général des projets de loi de financement de la sécurité sociale, expert en matière budgétaire hospitalière.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la loi HPST. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vient de le rappeler Mme la présidente de la commission, c’est le 24 juin 2009, soit voilà près d’un an, que nous avons adopté définitivement le projet de loi dit « HPST », publié le 21 juillet 2009.
Un an après, un an déjà, ce premier anniversaire méritait de ne pas passer inaperçu. Nous remercions donc Mme la présidente de la commission des affaires sociales d’avoir demandé l’organisation de ce débat, d’autant que nous sommes encore, pour l’instant, plus près du temps des interrogations que de celui des bilans. Un texte aussi important mérite d’ailleurs que l’on porte attention à la façon dont il se traduit peu à peu dans les faits.
Le projet de loi HPST avait fait l’objet de larges débats au sein du Parlement. Il avait aussi mobilisé tous les acteurs de la santé et, au-delà, il n’avait pas, je crois, laissé indifférent un seul de nos concitoyens.
Ces débats se poursuivent dans le cadre de la concertation sur les décrets d’application, si j’en crois les échos qui nous en parviennent. À ce propos, madame la ministre, je regrette que les projets de décret ne nous soient pas communiqués et que nous soyons réduits à suivre leur parution au jour le jour au Journal officiel.
Nous nous réjouissons de la mise en place du comité de suivi demandé par le Sénat. La commission des affaires sociales a entendu l’autre jour son président, notre collègue Jean-Pierre Fourcade, dont nous regrettons, autant que lui sans doute, qu’il ne puisse être parmi nous aujourd’hui, ainsi que son rapporteur général et ses rapporteurs.
Nous avons constaté, sans nous en étonner, que le comité partageait nos interrogations et nos préoccupations. Je ne prétends pas, madame la ministre, vous les exposer toutes. Je me limiterai simplement à des observations sur quelques points qui avaient plus particulièrement retenu l’attention de la commission des affaires sociales.
Tout d’abord, j’aborderai l’hôpital, et sa nouvelle gouvernance, dont la mise en place commence à s’organiser dans le cadre, notamment, des premiers décrets parus entre décembre 2009 et avril 2010.
Comme l’avait fort bien observé le rapport Larcher, avec l’expérience du conseil exécutif, l’ordonnance de 2005 avait offert un cadre propice à une alliance médico-administrative pour la gestion de l’hôpital et ouvert la voie à une coopération associant le pouvoir médical au pouvoir administratif.
Cette coopération nécessaire s’était plutôt bien engagée et, sur le terrain, directeur et président de la commission médicale d’établissement, la CME, avaient appris à travailler ensemble.
La loi HPST déplace les lignes en donnant au directeur d’importants pouvoirs propres et en lui permettant de décider seul, en dernier ressort, de questions essentielles à la vie de l’établissement, même si ses décisions doivent être précédées de concertations ou de consultations.
Entendu par la commission des affaires sociales, Jean-Pierre Fourcade a fort bien analysé cette situation en posant, comme nous l’avions fait lors des débats, la question essentielle du changement de positionnement des acteurs de l’hôpital. En particulier, l’organisation de l’établissement en pôles, la nomination des chefs de pôle, le contenu des contrats de pôle et les délégations de moyens qu’ils prévoiront exigeront la définition rapide – cela ne sera pas facile – de nouveaux rapports entre le directeur, les membres de la communauté médicale et le président de la CME.
Le fait que, dans une conjoncture difficile, l’Agence régionale de santé, l’ARS, sera omniprésente dans la détermination et la mise en œuvre de la politique de l’établissement pèsera aussi sur la recherche de ces nouveaux positionnements.
Dans ce contexte, le conseil de surveillance pourrait jouer un rôle important. L’implication des élus et le choix des personnalités qualifiées seront à cet égard déterminants, en particulier, mais pas uniquement, dans les anciens hôpitaux locaux. L’Assemblée nationale et le Sénat avaient souhaité renforcer les pouvoirs de ce conseil, et nous regrettons que le Gouvernement ne les ait pas toujours suivis sur ce point. Nous espérons cependant que, en usant pleinement, notamment, de sa capacité à se prononcer sur la stratégie de l’établissement et à exercer le contrôle permanent de sa gestion, le conseil de surveillance saura prendre toute sa place dans la nouvelle gouvernance de l’hôpital.
J’évoquerai maintenant – ce sera le deuxième point de mon intervention – les coopérations entre établissements.
En ce qui concerne, d’abord, la coopération entre établissements publics, pourriez-vous, madame la ministre, nous donner quelques éclaircissements sur les conditions de la mise en place des communautés hospitalières de territoire ?
Je ne vous cacherai pas que, actuellement, notre inquiétude porte plutôt sur le devenir de la coopération entre établissements publics et établissements privés, plus spécialement sur celui des groupements de coopération sanitaire, les GCS. Le Sénat, vous vous en souvenez, avait émis de nombreuses réserves à l’égard des GCS-établissements de santé tels qu’ils étaient définis dans le projet de loi initial. Les aménagements que le Gouvernement avait introduits dans son texte ne nous avaient pas entièrement convaincus : ils laissaient en effet subsister des problèmes de fond quant au statut de ces nouveaux établissements et à leurs moyens.
Surtout, nous ne comprenions pas la logique – c’est d’ailleurs toujours le cas – ayant conduit à transformer un outil de coopération en un nouvel établissement par nature très spécialisé et dont la création priverait ceux qui ont voulu coopérer des fruits de cette coopération. Cela nous paraissait pour le moins paradoxal, en termes tant d’organisation de l’offre de soins que d’incitation à la coopération.
Nos interrogations sont aujourd’hui partagées, semble-t-il, et il paraît difficile que les décrets d’application comblent les lacunes de la loi.
Ne serait-il donc pas opportun, madame la ministre, de remettre l’ouvrage sur le métier ? Nous regrettons un peu que l’ordonnance de coordination prévoie l’extension du nouveau dispositif aux GCS médico-sociaux, d’autant que ladite extension nous semble être plus qu’une simple mesure de coordination.
Le troisième sujet que j’aborderai peut paraître plus ponctuel, mais il est en fait essentiel car, avec le décloisonnement du secteur médico-social, l’adéquation, dans ce secteur, de l’offre aux besoins à la fois quantitatifs et qualitatifs était un enjeu essentiel de la loi HPST. À cet égard, la nouvelle procédure d’appel à projets nous tient à cœur : nous attendons beaucoup des garanties qu’elle offre aux promoteurs de ces projets et du soutien qu’elle devrait permettre d’apporter dans des domaines expérimentaux ou innovants.
Or, vous le savez, madame la ministre, en l’état actuel, les projets de textes réglementaires organisant cette procédure suscitent des inquiétudes. Ces dernières portent d’abord sur les délais prévus. Les établissements publics craignent en effet d’être désavantagés, car ils devront procéder à des appels d’offres pour bâtir leurs projets, ce qui risque de les empêcher d’être prêts à temps. Les petits établissements, qu’ils soient privés ou publics, redoutent également d’avoir du mal à respecter les délais, mais surtout de n’avoir pas les ressources nécessaires pour monter des dossiers de qualité.
Par ailleurs, tous les acteurs de terrain, qui sont au plus près des besoins et qui sont donc souvent les mieux placés pour faire des propositions innovantes, redoutent que les cahiers des charges ne restent trop administratifs. Certains souhaitent qu’un dialogue qualitatif puisse s’engager avec tous les promoteurs de projets avant la rédaction de ce cahier des charges. Cela ne nous paraît a priori pas une mauvaise idée, car cela permettra de stimuler la créativité administrative et de favoriser le mûrissement des projets. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?
Avant tout, nous souhaitons être assurés que les procédures seront organisées afin de garantir l’égalité des chances entre tous les porteurs de projets et de favoriser la qualité et la diversité de l’offre sur l’ensemble du territoire.
Permettez-moi enfin d’aborder une question qui est au cœur de la problématique « patients, santé et territoires », à savoir le devenir de la médecine générale. Nous savons tous que les médecins généralistes exerçant en ville sont une espèce en voie de disparition, alors même qu’ils sont la clé de l’accès aux soins et de la coordination des parcours de soins.
La loi HPST n’a pas méconnu cette réalité. À cet égard, elle contient des dispositions intéressantes pour encourager les pratiques innovantes, améliorer l’organisation des professions de santé, inciter à l’installation dans les zones désertées et repenser la formation médicale continue.
Ces signaux étaient d’autant plus nécessaires qu’il est en vérité plus tard encore que nous le pensions. La publication récente par le Conseil national de l’Ordre des médecins des vingt-trois atlas régionaux de la démographie médicale nous en fait prendre conscience. En 2008, dix-neuf régions sur vingt-deux ont enregistré une baisse des effectifs inscrits au tableau de l’Ordre. Les disparités territoriales s’accroissent, même au sein des régions les mieux dotées.
M. Jacques Blanc. Bien sûr !
M. Alain Milon, rapporteur pour la loi HPST. Seuls 10 % des nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre en 2008 ont choisi l’exercice libéral. Entre 1995 et 2009, le nombre des médecins généralistes a augmenté de 8,20 %, mais celui des généralistes libéraux de 0,6 % seulement, contre près de 40 % pour les salariés hospitaliers et plus de 15 % pour les autres formes de salariat. Plus grave encore, certaines mesures incitatives manquent leur but : en Picardie, 50 % des étudiants en médecine venus d’autres régions pour bénéficier de la forte augmentation des places à l’examen national classant sont retournés chez eux une fois diplômés.
Madame la ministre, la seule application de la loi HPST ne permettra pas de résoudre ce problème. Nous regrettons que le décret sur le développement professionnel continu paraisse enlisé et que la montée en charge prévue des créations de postes d’enseignants universitaires de médecine générale s’amorce bien lentement.
Permettez-moi de faire une suggestion : au-delà des lois, des incitations, des rapports, ne faudrait-il pas tout simplement que le Gouvernement lui-même prenne conscience de tout ce que la médecine générale peut apporter à la politique de santé et qu’il fasse davantage appel à sa réelle expertise ?
Je me garderai d’anticiper sur les conclusions de la commission d’enquête sur la grippe H1N1. Permettez-moi cependant, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en guise de conclusion, de vous citer un propos entendu dans le cadre de cette commission, lequel ne me paraît pas totalement idiot : « en un mois, entre la publication de la loi HPST et celle des circulaires sur la grippe, la médecine de premier recours est devenue la médecine de dernier recours ».
M. François Autain. Très bien !
M. Alain Milon, rapporteur pour la loi HPST. Voilà qui en dit plus, je crois, que la plus longue des lois ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un an, le Sénat était tout entier mobilisé par le vote de la loi HPST. Il est sans doute encore un peu tôt pour tirer les enseignements de cette loi et pour faire un bilan complet de sa mise en œuvre mais, comme vient de le dire Alain Milon, les agences régionales de santé sont désormais en état de marche et les décrets d’application de la loi sont, pour les plus importants, déjà publiés.
Il serait d’ailleurs souhaitable que, dans la mesure du possible, le Gouvernement, chaque fois qu’il dépose un projet de loi, communique également au Parlement les décrets d’application les plus importants d’un texte. Certes, une telle mesure n’est pas facile à mettre en œuvre, car, en cas de modification du texte par le Parlement, un décret d’application peut ne plus avoir aucun sens et nécessiter une réécriture complète.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Néanmoins, un échange sur les décrets les plus importants permettrait peut-être d’éviter certaines initiatives des parlementaires et de faciliter l’application pratique des lois.
Notre collègue Jean-Pierre Fourcade, chargé de piloter le comité de suivi de la loi pour son volet sur l’hôpital, a procédé de son côté à un grand nombre d’investigations. Je tiens à saluer ici à la fois son engagement et la très grande qualité du travail qu’il a déjà accompli avec son équipe. Il a engagé une véritable évaluation de la loi, démarche encore trop rare sur les lois que nous votons, et naturellement extrêmement utile pour nous, parlementaires. Il est en effet essentiel qu’un texte aussi capital que la loi HPST soit rapidement et intégralement mis en œuvre, dans l’esprit souhaité par la majorité des deux chambres du Parlement. Et si des éléments empêchent son application, il convient que nous puissions procéder sans tarder aux ajustements nécessaires.
J’ai bien noté, monsieur le président, que, dans le cadre des réunions de la conférence des présidents, vous procéderiez à une évaluation de la première année d’application de la réforme constitutionnelle, notamment du volet « Évaluation des lois et contrôle du Parlement ». Pour ma part, je pense que nous pourrions faire beaucoup mieux et beaucoup plus que ce que nous faisons aujourd'hui. S’il est intéressant de discuter avec le Gouvernement des textes qui sont en cours d’application, rien ne vaut un contrôle sur pièces et sur place pour évaluer l’application d’une loi. À l’issue d’un tel contrôle, nous pourrions présenter un rapport et engager un dialogue avec le Gouvernement pour lui faire connaître les difficultés d’application rencontrées sur le terrain.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. En effet, aussi intéressant soit-il, le débat que nous avons aujourd'hui ne saurait avoir la même valeur que si nous étions allés au préalable à la rencontre des acteurs chargés d’appliquer la loi sur le terrain.
L’essentiel de mon propos aujourd’hui portera sur l’hôpital et sur les enjeux financiers de la réforme, et vous n’en serez pas étonnée, madame la ministre.
La semaine dernière, la commission des comptes de la sécurité sociale a arrêté les comptes pour 2009. Elle a mis en évidence un dépassement de 620 millions d’euros sur la part de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, consacrée aux établissements de santé.
Pour 2010, le comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie a également constaté un risque de dépassement de l’ONDAM de 600 millions d’euros, dont 400 millions d’euros pour les établissements de santé, sous l’effet conjugué d’un accroissement des volumes et de la nouvelle tarification des séjours mise en place au mois de mars 2009.
Réagissant assez rapidement, madame la ministre, vous avez d’ores et déjà pris des mesures correctrices – nous ne pouvons que nous en féliciter –, notamment à travers des ajustements dans la campagne tarifaire de 2010 afin de réduire de 250 millions d’euros le dépassement potentiel des crédits destinés aux établissements de santé. Ces mesures sont bien entendu nécessaires pour contenir les dépenses d’assurance maladie. La situation actuelle impose en effet une très grande vigilance, car il est impératif d’éviter un accroissement des déficits, qui atteignent des montants encore inégalés.
Dans le cadre des auditions auxquelles je procède à l’occasion de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, toutes les fédérations, que ce soient la Fédération hospitalière de France ou les fédérations privées, dénoncent l’insuffisante visibilité de la pratique des tarifs dans le temps. Certes, la situation du Gouvernement n’est pas très confortable, car il faut bien ajuster les comptes de la sécurité sociale, notamment lorsqu’un dérapage des dépenses est constaté. Cependant, pour conduire une politique la plus efficiente possible, les établissements doivent avoir de la visibilité. Les tarifs ne doivent pas changer au gré du vent, en fonction des évolutions. L’exercice n’est certes pas facile, mais – ne le prenez pas comme une critique, madame la ministre – une attention maximale devrait être portée à cette question. À cet égard, le travail effectué par M. Briet devrait aider le Gouvernement à mieux maîtriser l’évolution de l’ONDAM et à lui conserver un caractère réaliste.
Cela étant, sait-on d’où viennent précisément les dépassements ? On invoque un nombre de séjours hospitaliers supérieur aux prévisions, mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Constate-t-on réellement une augmentation de l’activité de l’hôpital ou bien assiste-t-on tout simplement à une optimisation de l’utilisation de la T2A et de la tarification des groupes homogènes de séjour, les GHS ? Nous savons que les hôpitaux se sont structurés pour que la codification soit la meilleure possible. La mise en œuvre de la V11 n’a certainement pas facilité votre tâche, madame la ministre, en raison d’un meilleur calage entre les actes réalisés et la tarification qui doivent les accompagner.
La quasi-absence de comptabilité analytique sérieuse à l’hôpital est un problème récurrent. Que dire de nouveau sur ce sujet que nous n’ayons déjà maintes fois dit et écrit, et alors qu’on ne compte plus le nombre de circulaires ministérielles sur cette question ? Il est impératif de mettre en place une comptabilité analytique fiable dans les établissements de santé. C’est le seul moyen de progresser en matière de gestion des coûts et de pouvoir procéder à des comparaisons entre établissements, sans parler même de la gestion des pôles au sein de l’hôpital. S’agissant de ce dernier point, il serait normal que chaque pôle au sein des hôpitaux puisse connaître ses coûts, mesurer son efficacité et se comparer à d’autres pôles. Or, c’est presque impossible dans le contexte actuel.
C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes a fait de cette question une priorité dans son rapport de septembre dernier.
Selon elle, il est plus que temps d’intégrer « un calendrier de déploiement d’une comptabilité analytique pertinente et des tableaux de bord associés », de faire « une analyse des secteurs d’activité présentant des surcoûts, afin de corriger les dysfonctionnements et de réduire les écarts de productivité » et de « donner aux responsables de pôle les outils de connaissance sur leur activité et les compétences appropriées ».
Sans de tels outils, comment expliquer les constats de la Cour des comptes, qui, toujours dans le même rapport, mentionne des écarts de coûts allant de un à dix selon les hôpitaux pour des actes identiques ?
Dans son analyse, la Cour identifie clairement un problème d’autorité. La question est donc de savoir comment obliger les établissements à mettre en place sur le terrain le fonctionnement le plus efficient possible ? Qui doit exercer cette autorité ? À ce jour, ni la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, la DHOS, ni les agences régionales de l’hospitalisation, les ARH, n’y sont parvenues ! Ce sont désormais les agences régionales de santé, les ARS, qui devront assumer cette responsabilité et s’attacher à rendre accessibles les éléments de comparaison entre établissements.
Le préfet Ritter, le président de la nouvelle Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, l’ANAP, créée à bon escient par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, constate de son côté un problème de compétence au sein des établissements hospitaliers. Surtout, il déplore un manque de volonté au niveau central en faveur de la performance.
C’est sans doute la raison pour laquelle on observe une si grande lenteur dans les évolutions, notamment lorsqu’il s’agit de généraliser des bonnes pratiques. Or cette diffusion est primordiale aujourd’hui. Elle permettrait d’enregistrer des progrès dans tous les établissements, notamment dans ceux qui sont en retard, et il y en a.
Depuis sa création, dans le cadre du plan « hôpital 2007 », la fameuse mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers, la MEAH, s’est attachée à définir et à mettre en exergue les bonnes pratiques. Pourquoi les établissements ne s’appuient-ils pas davantage sur ses travaux et ne sont-ils pas plus encouragés à le faire, hier par les ARH, aujourd'hui et demain par les ARS ?
Or, comme le souligne la Cour des comptes – c’est même le message principal de son enquête –, il y a des efforts à faire partout, y compris à l’intérieur d’un même établissement.
L’insuffisance actuelle des statistiques ne doit donc pas servir de prétexte à une absence de préoccupation sur les coûts. Il est temps de favoriser une approche médico-économique au sein de l’hôpital.
Une telle démarche est directement liée à celle de l’amélioration de l’organisation. Une bonne organisation contribue pratiquement toujours à améliorer la qualité des soins ; les deux sujets sont étroitement corrélés.