M. Didier Guillaume. … ne conservent pas de petits éleveurs, de petits arboriculteurs, de petits semenciers, si notre histoire agricole ne peut continuer, ce sera la fin du modèle français.
Quel modèle agricole voulons-nous ? Voilà l’enjeu de ce débat !
Cette crise, nous l’avons tous dit, se situe à deux niveaux : elle est conjoncturelle et structurelle.
Vous essayez de répondre à la question structurelle. Oui, il faut moderniser, être concurrentiel, mieux exister à l’échelon européen. Reste que si l’on ne résout pas le problème conjoncturel, on aura eu beau faire, comme chercher à moderniser l’agriculture, il n’y aura plus de petits agriculteurs demain. De grandes entreprises auront été modernisées, mais notre modèle agricole aura été totalement transformé.
J’y insiste, mais ne pas faire le lien entre la LMAP et la LME, même si nous avons compris les explications de M. le ministre, nous semble participer d’une erreur de stratégie. Demain, comme l’a dit Paul Raoult, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Nous craignons donc d’avoir à vous dire dans un an ou dans dix-huit mois au plus tard que la LMAP ne va pas dans la bonne direction, car elle n’a pas tenu compte de tous les paramètres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Gérard Le Cam applaudit également.)
M. Alain Fauconnier. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Je comprends parfaitement que M. le ministre ne veuille pas répondre de la LME devant les sénateurs. Je le comprends d’autant mieux que ce texte est un échec patent. Si nous sommes aujourd'hui dans cette situation, notamment dans le secteur agricole, c’est en grande partie à elle que nous le devons. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Le Cam. C’est vrai !
M. Martial Bourquin. La LME – je réponds à Gérard Cornu, car, s’il n’était pas intervenu, je me serais tu (Mme Jacqueline Panis s’exclame.) – devait totalement rénover la libre négociation des tarifs. Or à quoi est-on parvenu ? À faire entrer le renard dans le poulailler !
M. Gérard Le Cam. Et il a tué toutes les poules !
M. Martial Bourquin. Absolument !
On pourrait en rire, mais cela n’a rien de drôle. Des milliers d’agriculteurs font les frais de cette pensée libérale qui veut tout régler par la libre négociation entre le pot de fer et le pot de terre.
Pour rendre la LMAP efficace, il convient de rééquilibrer la situation en stoppant cette libéralisation. Nous pourrions alors défendre notre agriculture et offrir des protections aux producteurs et aux agriculteurs.
Mme Jacqueline Panis. On a vu ce que cela a donné !
M. Martial Bourquin. Las, chaque fois que nous proposons des amendements pour protéger nos agriculteurs, nous nous heurtons à une fin de non-recevoir. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
À ceux que j’entends rire ici et là, je rappelle que les agriculteurs manifestaient tout à l’heure…
Il y a quelques jours, dans notre département, Claude Jeannerot et moi-même avons participé à une réunion dans le Haut-Doubs. Dans ce département, pourtant protégé par une AOC, je peux vous dire que les agriculteurs, toutes opinions politiques confondues, vivent très mal la situation actuelle. Ils sont pessimistes pour leur avenir, car ils pressentent bien ce qui est en train de se passer : la mise en place d’une machine de guerre libérale. L’agriculture française à la fois familiale et très modernisée, dont parlait Didier Guillaume, est remise en cause avec la recherche de la productivité à tout crin.
Face à tous ces problèmes, on ne peut à aucun moment faire l’économie d’un débat sur la LME. Si on ne la réforme pas en profondeur, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Mes chers collègues, ne vous attachez pas à des dogmes, ne défendez pas aveuglément une loi que vous avez votée !
En lisant l’objet des amendements présentés par Rémy Pointereau, j’ai constaté que notre collègue faisait exactement le même constat que nous. Admettez donc que la LME n’a pas augmenté le pouvoir d’achat des consommateurs et qu’elle n’est pas un succès pour les producteurs, qui paient très cher son existence.
Nous devons avoir le courage de nos opinions en nous opposant à cette machine de guerre qui, après l’industrie notamment, s’attaque maintenant à notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Gérard Le Cam et Michel Billout applaudissent également.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Bourquin, il ne faudrait pas pousser le bouchon trop loin ! D’un côté, je vous entends dire que l’on n’offre pas de protection aux agriculteurs et, de l’autre, vous votez contre les contrats, qui, à ce jour, sont la seule solution permettant aux agriculteurs de percevoir un revenu stable. Je dis bien « la seule » ! Depuis six mois que je travaille sur ce projet de loi, aucune proposition alternative crédible ne m’a été présentée.
Après avoir été battus en 1999 sur la suppression des quotas laitiers, vous n’avez apporté aucune solution de remplacement. Aujourd’hui, on vous en propose une avec les contrats, mais vous votez contre. Permettez-moi de vous dire que je trouve indécent que vous veniez ensuite me parler du manque de protection de l’agriculture ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Françoise Férat et M. Jean Boyer applaudissent également.)
J’aimerais aussi répondre à M. Raoult, qui a cité l’exemple de la Nouvelle-Zélande. Là aussi, les bras m’en tombent. Dans ce pays, tous les producteurs de lait ont des contrats, il existe des marchés à terme, une seule interprofession et le monde agricole est économiquement équipé pour affronter le monde de demain.
En fait, vous rêvez du monde d’hier, du retour au prix administré, du retour aux quotas.
Mme Jacqueline Panis. Exactement !
M. Bruno Le Maire, ministre. Mais pas un seul pays européen n’en veut. Avec un tel projet, vous seriez à nouveau battu en 2010 ou en 2020, comme vous l’avez été en 1999.
Notre responsabilité n’est pas de pousser les agriculteurs à vivre dans le monde d’hier – « Dormez, braves gens, nous veillons à garantir les prix » –, mais de leur offrir des armes pour affronter le monde de demain, à savoir des contrats écrits pour stabiliser leurs revenus.
Je refuse catégoriquement de vous laisser dire que le projet loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n’offre pas de nouvelle protection aux agriculteurs.
Vous avez pris une lourde responsabilité en refusant de voter le principe des contrats à l’article 3, surtout après les améliorations qui ont été apportées par nos débats.
M. Gérard César, rapporteur. Eh oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. Une lourde responsabilité, car, lorsque tous les pays européens se seront dotés de ces instruments et que la Commission européenne elle-même proposera des contrats à l’échelle européenne, je me demande bien quel instrument nouveau vous proposerez aux agriculteurs pour stabiliser leur revenu. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
S’agissant de la loi de modernisation de l’économie, je le répète, je veux bien avoir le dos large. J’assume donc pleinement tout ce qui a été fait par le Gouvernement. Cependant, je ne crois pas opportun d’ouvrir ce débat ici.
Jusqu’à présent, nos discussions, qui étaient de qualité, se sont concentrées sur des sujets de fond. En ce qui concerne les contrats, par exemple, j’estime que de nombreuses propositions émanant de toutes les travées ont permis d’améliorer considérablement le texte du Gouvernement.
S’agissant des relations commerciales, en revanche, l’encadrement du prix après vente, l’existence systématique d’un bon de commande écrit, la suppression des remises, des rabais et des ristournes, la possibilité de réduire les marges en période de crise, assortie d’une lourde sanction lorsque cette règle n’est pas appliquée (M. Gérard Cornu opine.), relèvent bien du champ de mes responsabilités.
Mes responsabilités consistent à stabiliser le revenu des agriculteurs et à leur permettre d’avoir de véritables perspectives d’avenir. Je peux vous garantir que ce projet de loi contient les instruments pour le faire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. Gérard César, rapporteur. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Cornu, Mme Lamure et M. Chatillon, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La seconde phrase du premier alinéa du I de l'article L. 441-7 du code de commerce est ainsi rédigée : « Rédigée d'un commun accord entre les parties, elle indique les contreparties concrètes et vérifiables correspondant aux avantages consentis, soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre annuel et des contrats d'application, comprenant : ».
La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.
L'amendement n° 142 rectifié, présenté par Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni, Antoinette et Bérit-Débat, Mmes Blondin et Bonnefoy, M. Bourquin, Mme Bourzai, MM. Chastan, Courteau, Daunis, Gillot, Fauconnier, S. Larcher, Lise, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult, Repentin et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur, Teston et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le quatrième alinéa (3°) de l'article L. 441-7 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les contreparties financières correspondant à ces services figurent sur les factures du fournisseur conformément aux dispositions de l'article L. 441-3. »
La parole est à M. Yves Chastan.
M. Yves Chastan. Depuis la LME, l’ensemble de la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services doit être retracée dans une convention écrite annuelle décrite à l’article L. 441-7 du code de commerce. Il s’agit des obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale, des remises éventuellement consenties par rapport aux conditions générales de vente et des autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale. Néanmoins, ce plan d’affaire est loin d’être entré dans les mœurs.
De plus, alors qu’il est toujours précisé dans le code de commerce que les conditions générales de vente du fournisseur constituent normalement le socle de la négociation commerciale, ce n’est plus vrai dans la pratique du fait du déséquilibre significatif existant entre le pouvoir de négociation des différentes parties.
Comme nous l’avons précisé pour notre amendement précédent, l’assouplissement de la possibilité pour un fournisseur d’offrir à l’un de ses clients des conditions particulières de vente permet finalement à la distribution d’exercer une pression sur ses fournisseurs, soit directement sur les agriculteurs, les organisations de producteurs ou les entreprises du secteur agroalimentaire.
Nous proposons donc de préciser que, dans le cadre de la convention écrite, les contreparties financières des obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services doivent figurer sur les factures du fournisseur, conformément aux dispositions sur les facturations figurant à l’article L. 441-3.
M. le président. L'amendement n° 143 rectifié, présenté par Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni, Antoinette et Bérit-Débat, Mmes Blondin et Bonnefoy, M. Bourquin, Mme Bourzai, MM. Chastan, Courteau, Daunis, Gillot, Fauconnier, S. Larcher, Lise, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult, Repentin et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur, Teston et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au quatrième alinéa (3°) de l'article L. 441-7 du code de commerce, les mots : « autres obligations » sont remplacés par les mots : « contreparties, substantielles et vérifiables, aux avantages consentis ».
La parole est à M. Marc Daunis.
M. Marc Daunis. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire remarquer que notre vote de tout à l’heure n’était pas contre la démarche, au contraire ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Lors des explications de vote, plusieurs de mes collègues l’ont même saluée. Le Journal officiel en fera foi !
L’honnêteté intellectuelle aurait voulu que vous précisiez que c’est précisément parce que les contrats n’allaient pas assez loin et que la démarche nous apparaissait insuffisante que nous avons voté contre.
M. Rémy Pointereau. Trop facile !
M. Marc Daunis. Absolument pas, mon cher collègue !
M. Rémy Pointereau. Si !
M. Marc Daunis. Notre débat touchait la question centrale du niveau de protection des agriculteurs, à l’instar de celui auquel il a été fait référence tout à l’heure avec la LME.
Quoi qu’il en soit, je ne sais pas si, face au malaise, le courage consiste à présenter des amendements, puis à les retirer sans les défendre. Toujours est-il que, pour répondre à M. le rapporteur, qui arguait que les amendements étaient satisfaits à 98 %, je veux simplement rappeler que 2 % peuvent faire la différence. Si mes souvenirs sont exacts, c’est l’écart chromosomique qui sépare le chimpanzé de l’être humain. (Sourires sur les travées du groupe socialiste. – Mme Jacqueline Panis s’exclame.)
Face à des questions aussi importantes qu’un rapport de force disproportionné entre le fournisseur et le distributeur, en l’occurrence entre le producteur et la centrale d’achat, il est important de rétablir l’équilibre. Puisque la LME s’est occupée d’agriculture, la LMAP peut traiter d’économie et de questions liées au commerce et à l’artisanat. C’est pourquoi nous proposons de substituer la notion de « contreparties, substantielles et vérifiables, aux avantages consentis » à celle d’« autres obligations ».
Pour nous, il doit s’agir d’une véritable négociation commerciale et non d’une procédure coercitive permettant à l’un des acteurs d’user de sa position de force et de sa puissance d’achat sur le marché.
Les conditions générales de vente du fournisseur doivent constituer – c’est votre recherche, vous le disiez vous-même, monsieur le ministre – le socle de la négociation commerciale et non les conditions d’achat du distributeur qui sont souvent imposées sans négociation. Si des avantages sont consentis, ils doivent l’être sur la base de contreparties réelles. C’est effectivement un garde-fou important pour encadrer le grave déséquilibre de la relation commerciale.
Si vous êtes prêts à faire ce pas, à vouloir rétablir de façon un peu plus certaine le rapport de force, eh bien votez en faveur de l’amendement que nous proposons. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 142 rectifié et 143 rectifié ?
M. Gérard César, rapporteur. On revient à la LME. C’est donc, pour les deux amendements, le même avis que précédemment.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce moment du débat, je fais référence à ce que j’ai lu dans le dossier de presse qui accompagnait les annonces du Président de la République, lundi dernier, sur les relations commerciales et les marges de la distribution. Je vous renvoie à la fiche 6 sur l’accès du consommateur aux produits alimentaires qui, au sujet de la fameuse LME, indique : « Cette réforme pro-concurrentielle ne sera pas remise en cause en dépit des demandes qui commencent à être formulées en ce sens à l’occasion de la discussion de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Les éléments qui fondent la négociabilité ne seront pas remis en cause : […] le renforcement dans le contrat qui noue les relations d’affaires entre les industriels et les distributeurs des obligations de justification par les distributeurs des contreparties tarifaires réduirait la simplification contractuelle introduite par la LME ». Quand on entend cela, la messe est dite, comme on dirait chez nous.
M. Martial Bourquin. Eh oui, la messe est dite !
Mme Odette Herviaux. C’est, je crois, oublier un peu vite, comme souvent malheureusement, que le Parlement, dans une loi en débat, a toujours son mot à dire. Sur cette question importante, avec l’Assemblée nationale, nous avons réalisé des bilans critiques sur l’application de la loi, notamment s’agissant de dispositions sur les relations commerciales, en particulier en ce qui concerne les produits agricoles. Je me permets de le spécifier car, comme Marc Daunis le disait tout à l’heure, dans cette loi LME un sort a été fait à la production agricole ; pourquoi n’y a-t-il pas de réversibilité possible ?
Les amendements déposés par les sénateurs de tous bords – certains ont été retirés – qui visaient à réviser les articles en question du code de commerce démontrent que nous sommes tous préoccupés par le déséquilibre des relations commerciales, le développement des conditions particulières de vente sans contrepartie et la multiplication des pratiques abusives, notamment, je le soulignais, dans le domaine commercial.
Nous ne pouvons accepter d’être une simple chambre d’enregistrement. Nous sommes là pour débattre – c’est ce que nous faisons ; il me semble très important de le souligner – afin d’essayer de trouver ensemble des solutions et des possibilités d’adaptation de cette loi.
Bien sûr, ce n’est peut-être pas le moment, ce n’est peut-être pas le bon texte, mais au moins, ce débat a l’intérêt et l’avantage de poser les problèmes. D’ailleurs, le Gouvernement lui-même a ouvert la porte de la LME, puisque dans l’article 5 il est proposé la suppression des remises, rabais, ristournes. C’est quand même bien toucher à la loi LME ! Alors pourquoi ne pas aller un petit peu plus loin ? (MM. Marc Daunis et Martial Bourquin opinent.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Bien sûr !
Mme Odette Herviaux. Jeudi dernier, lors des questions d’actualité, vous avez reconnu, monsieur le ministre, que depuis plusieurs années les relations entre producteurs, industriels et distributeurs se caractérisent par la confrontation systématique, la confusion, voire l’opacité.
Vous avez répondu, à plusieurs reprises, à certains de mes collègues qu’il fallait plus de contrôle de la réglementation. Encore une fois – j’ai l’impression parfois de me répéter –, renforcer les contrôles demande des moyens humains, des moyens financiers et, malheureusement, ce n’est pas le chemin que nous prenons actuellement.
Nous pensons qu’il est nécessaire d’aller au-delà d’un accord de modération des marges en temps de crise. Il faut souligner que les conditions particulières que nous avons précisées dans nos trois amendements pourraient être justifiées par les spécificités des services rendus et que les conditions générales de vente sont bien le socle de la négociation commerciale. C’était le sens de ces trois amendements que je défends par le même vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. L'amendement n° 486 rectifié, présenté par MM. Hérisson, J. Blanc et Jarlier, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au début du 1° de l'article L. 443-1 du code de commerce, le mot : « trente » est remplacé par le mot : « vingt ».
La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Il s’agit encore de la LME. J’ai une petite idée du sort qui va être réservé à cet amendement, donc je vais le retirer. (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.)
Cela dit, il pose également un problème important pour nos agriculteurs, pour nos producteurs. Cet amendement permettait en effet de réduire le délai de paiement alors même que la LME les a amenés à payer plus rapidement leurs fournisseurs. Une vraie difficulté existe.
Je veux rappeler que ces difficultés sont, aujourd’hui, beaucoup plus importantes. Tous les amendements que nous venons d’étudier nous montrent qu’il est sans doute urgent, monsieur le ministre, de revoir un certain nombre de dispositions de cette loi LME.
Je ne sais pas dans quel cadre. Peut-être faut-il constituer un groupe de travail. En tout cas, on ne peut pas ne pas entendre l’ensemble des demandes qui ont été faites sur toutes les travées pour régler les situations difficiles que connaissent les agriculteurs face à certaines dispositions de la LME.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je voulais saluer le geste constructif de Pierre Jarlier, qui a souligné un vrai problème. Je veux aussi, ce qui vous surprendra peut-être davantage, saluer l’intelligence de l’argumentation d’Odette Herviaux sur les amendements précédents.
Article 5
I. – Après l’article L. 441-2-1 du code de commerce, il est inséré un article L. 441-2-2 ainsi rédigé :
« Art. L.441-2-2. – Par dérogation aux dispositions de l’article L. 441-2-1, un distributeur ou prestataire de services ne peut bénéficier de remises, rabais et ristournes pour l’achat de fruits et légumes frais.
« Le fait pour un fournisseur d’accorder ou pour un acheteur de solliciter un rabais, une remise ou une ristourne en méconnaissance des dispositions du premier alinéa engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé. Les III et IV de l’article L. 442-6 sont applicables dans ce cas.
II. – Le I de l’article L. 442-6 du même code est complété par un 13° ainsi rédigé :
« 13° De bénéficier de remises, rabais et ristournes à l’occasion de l’achat de fruits et légumes frais. »
III. – Le I entre en vigueur six mois après la publication de la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, sur l'article.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec l’article 5, nous abordons la discussion d’un point crucial, celui de la réglementation des pratiques de rabais, remises et autres ristournes accordés par les producteurs aux distributeurs.
Je le dis d’emblée, je considère que ces pratiques, les fameux 3 R, même si certains en ajoutent un quatrième, constituent une véritable perversion.
En effet, alors même que chacun s’accorde à dire qu’il faut rééquilibrer les relations entre distributeurs et producteurs – nous venons d’en débattre longuement –, les 3 R sont la preuve que la libre concurrence, dans ce secteur, est une illusion.
La LMA peut donc être l’occasion de revenir sur un certain nombre de pratiques inadmissibles. En ce sens, la LMA permettra, je l’espère encore malgré vos réponses, monsieur le ministre, d’effacer les conséquences désastreuses de la LME.
La LME avait permis de faciliter les négociations des marges avant, les 3 R, dans le but de faire disparaître les marges arrière, ce qui a été dit précédemment. Les tarifs du vendeur ont ainsi été rendus librement négociables et le délit de pratiques discriminatoires a été supprimé.
Au final, et c’est bien ce qui se passe, un acheteur peut donc se faire attribuer des avantages financiers sans justifier d’une contrepartie réelle.
J’ai l’intime conviction, et je pense que beaucoup la partagent dans cet hémicycle, si l’on se réfère au débat qui vient d’avoir lieu, que nous devons être intransigeants avec les distributeurs.
On l’a dit, on l’a répété, les prix pour le consommateur ne baissent pas, quand ceux des producteurs sont sans cesse tirés vers le bas.
Nous avons donc l’occasion d’envoyer un signal fort, un signal clair aux acteurs du secteur. Nous avons l’opportunité ici et maintenant de dire aux distributeurs « assez » de façon catégorique.
Nous avons aussi, et surtout, la possibilité de faire entendre aux producteurs que nous partageons leurs préoccupations et que nous tenons compte de cette situation.
C’est pourquoi il nous faut être extrêmement strict sur cette question des 3 R. Vous-même, monsieur le ministre, lors de votre audition, vous vous étiez dit prêt à interdire ces pratiques de manière générale pour les produits agricoles. À la lecture de l’article 5, force est pourtant de constater que le grand coup de balai dont nous avons besoin en la matière est encore loin.
Certes, l’article comporte une avancée, puisqu’il interdit les 3 R en période de crise conjoncturelle. Cette avancée est néanmoins des plus minimes, permettez-moi de vous le dire monsieur le ministre.
D’abord, parce qu’elle prohibe une pratique exclusivement en période de crise. Autrement dit, elle l’autorise et la consacre le reste du temps. Le texte pose donc l’idée d’une interdiction, mais s’emploie immédiatement après à en encadrer le champ d’application. Ce que nous souhaitons, ce qui est souhaitable pour les producteurs, ce qu’ils attendent, c’est que les 3 R soient interdits, et qu’ils le soient tout le temps !
Comme si cela ne suffisait pas, on se heurte en plus à un autre problème. Le code rural dispose en effet qu’il y a une crise conjoncturelle quand le prix de vente des produits par les producteurs est anormalement bas par rapport à la moyenne des prix observés lors des cinq dernières années. C’est une définition qui peut prêter à interprétation, et qui, en tout état de cause, mériterait d’être précisée, notamment aux vues des circonstances actuelles !
Faut-il en effet considérer que la crise actuelle dans le monde agricole est conjoncturelle, alors qu’elle dure depuis plus d’un an ?
Le problème est crucial, on le voit, mais il est appréhendé par le petit bout de la lorgnette.
Pour aller au bout de la démarche, nous vous proposons plusieurs amendements visant à sortir de l’entre-deux, autrement dit, nous vous proposons d’interdire les 3 R, y compris en période de crise conjoncturelle.
Ces propositions ont le mérite de la cohérence. Elles mettraient fin à une distinction peu satisfaisante et contribueraient à rendre plus équitables les relations entre producteurs et distributeurs, ce qui devrait être une des priorités de ce texte.
Elles auraient, enfin, le mérite de la clarté, contrairement aux amendements que vous nous proposez après l’article 5, monsieur le ministre, et qui ne font que rendre plus complexe ce qui l’est déjà.
En l’occurrence, je crois qu’il faut en finir avec les demi-mesures. C’est pourquoi je vous invite à reconsidérer nos propositions.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, qui poursuit.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, le verbe « poursuivre » est approprié puisque je vais intervenir dans la continuité de notre collègue Claude Bérit-Débat, notamment sur cet article 5 qui va rétablir l’interdiction de la pratique des rabais, remises et ristournes. Il s’agit d’une bonne disposition, qui semble unanimement saluée dans cet hémicycle.
Vous le voyez, monsieur le ministre, au cours de l’examen cette loi nous ne sommes pas uniquement dans l’opposition, nous n’adoptons pas seulement des postures négatives. Nous faisons un certain nombre de propositions, même si rares sont celles qui sont acceptées.
Nous savons reconnaître aussi quand, dans votre projet de loi ou dans le texte résultant des travaux de la commission, il y a de bonnes choses. Nous le disons sans fard, car cela va dans l’intérêt de l’agriculture de notre pays.
Je m’interroge toutefois sur l’exception qui figurait dans le texte adopté en conseil des ministres pour les périodes de crise conjoncturelle. Claude Bérit-Débat a insisté sur ce point, je n’y reviens pas.
Permettez-moi cependant de me réjouir de la sagesse du Gouvernement pour avoir retenu, en commission, l’amendement du rapporteur sur lequel nous étions unanimes. C’est une bonne chose.
Mes chers collègues, si nous ne voulons pas faire adopter une loi « au rabais », une loi qui décevrait pour partie le monde agricole, ne devrait-on pas étendre cette interdiction générale pour tous les produits agricoles périssables et pas seulement pour les fruits et légumes ?
Particulièrement sensible à cette filière en tant qu’amateur des fruits du magnifique verger de la vallée du Rhône, il me semble souhaitable que notre réflexion profite à l’ensemble des produits agricoles périssables et donc singulièrement exposés à la volatilité des prix.
Je me permets de m’attarder un instant sur la notion même de crise conjoncturelle, point qui a déjà été évoqué par l’orateur précédent. Cette notion reste vague. On estime que l’on se trouve en situation de crise conjoncturelle lorsque le prix de cession du produit est anormalement bas par rapport à la moyenne des prix observés lors des cinq dernières campagnes.
Or la crise qui touche aujourd’hui les agriculteurs dure depuis plus d’un an. Malheureusement, cette crise ne se terminera peut-être pas du jour au lendemain.
Elle affecte l’ensemble des filières, elle est donc d’ordre structurel. Pour que cette loi de modernisation ait un sens, ce ne sont pas uniquement des mesures conjoncturelles qui doivent être prises, quand il y a lieu de s’attaquer à l’organisation structurelle de l’agriculture, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce point.
Monsieur le ministre, lors de votre audition, vous nous avez dit être prêt à poursuivre dans cette voie. Il est évident que nous soutenons cette démarche, à condition qu’elle trouve une certaine continuité dans l’hémicycle.
L’attitude volontariste adoptée par le Gouvernement en la matière est porteuse d’espoirs. Mais n’oublions pas que c’est ce même gouvernement qui a fait adopter la loi LME, en août 2008, ce qui a permis de faciliter la négociation des marges avant, les fameux « 3 R », dans le but de faire disparaître les marges arrière.
Le texte qui nous est proposé revient sur cette possibilité pour les fruits et légumes, le Gouvernement reconnaissant ainsi de façon implicite avoir fait une erreur manifeste de jugement.
Déjà, dans le code de commerce en vigueur, il est prévu un arsenal législatif destiné à sanctionner les pratiques visant à imposer des prix de première cession abusivement bas pour toute une liste de produits. Le code rural définit également des outils qui pourraient s’avérer précieux afin d’encadrer les relations commerciales, mais ces outils ne sont pas utilisés.
Par exemple, il est possible, puisque cette disposition existe d’un point de vue législatif, de conclure des accords entre l’État et les entreprises de commercialisation et de distribution afin de répercuter la baisse des prix de cession des produits agricoles sur les prix de vente à la consommation – c’est un peu technique, mais précis ! Il est aussi possible d’instaurer un coefficient multiplicateur dans le secteur des fruits et légumes, mesure que notre groupe soutient.
En matière de limitation des pratiques commerciales douteuses, nous pouvons faire changer les pratiques si nous le souhaitons collectivement. Tel est le sens de cette intervention et des amendements qui suivront.