M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. C’est la raison pour laquelle, à partir du moment où ils respectent les obligations légales, les contrats conclus par les coopératives ne seront pas remis en cause.
Mais, je le reconnais avec beaucoup de simplicité et d’humilité, ce n’est pas l’instrument miracle qui va régler tous les problèmes. Il s’inscrit dans une stratégie de plus grande ampleur. Je réponds en cela à Daniel Dubois. Le contrat doit se concilier avec une régulation européenne des marchés agricoles, qui doit également porter sur les volumes, faute de quoi nous courrons le risque de la surproduction. En outre, il n’enrayera pas la dégradation de la compétitivité française, qu’il faudra régler par ailleurs.
Cet instrument doit donc être concilié avec d’autres politiques de plus grande ampleur menées par le Gouvernement.
À quoi sont dus les écarts de compétitivité entre la France et ses partenaires européens, au premier rang desquels l’Allemagne ? Trois points sont essentiels en ce domaine.
Le premier d’entre eux – ce n’est un mystère pour personne et je ne vous apprends rien, mesdames, messieurs les sénateurs – est le coût du travail. J’estime que le Gouvernement, en accordant une exonération totale de charges patronales dans le cas d’un travail occasionnel, c’est-à-dire sur 45 % de la masse salariale agricole, a déjà réglé la moitié du problème. En France, le coût du travail horaire a été ramené de 11,30 euros à 9,29 euros grâce à cette disposition, qui coûte 170 millions d’euros par an à l’État. De ce fait, l’écart de compétitivité par rapport à l’Allemagne a été réduit.
Le deuxième point est relatif à l’organisation des filières. En lisant attentivement les rapports sur ce sujet, un fait m’a frappé : en Allemagne, je le répète une nouvelle fois, la moitié de la production porcine est abattue dans trois abattoirs. Je n’aurai pas la cruauté de donner les chiffres de la France, mais cela explique pourquoi, aujourd’hui, certains porcs bretons sont abattus à Lübeck ou à Brême. Il faut remédier à cet état de fait.
Pour cela, j’ai proposé d’élaborer des plans de développement des filières. Au mois de septembre, je présenterai un tel plan pour la filière du lait, en raison de l’extrême urgence. Je souhaite que dans les prochains mois soit mis en place un plan de développement de la filière de l’élevage insistant particulièrement sur le secteur porcin.
Enfin, le troisième point, qui a été souligné par M. Muller, concerne les performances énergétiques. En ce domaine, tous les exploitants agricoles européens ont de meilleurs résultats que ceux de notre pays parce qu’ils ont développé la méthanisation, la biomasse, ou encore parce qu’ils ont investi dans la production d’énergie. Les agriculteurs français doivent faire de même. Ainsi ? nous pourrons concilier développement durable et agriculture et améliorer en même temps la compétitivité de nos exploitations et le revenu des agriculteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir me pardonner d’intervenir un peu longuement, mais le sujet le mérite. Je souhaite évoquer un dernier point relatif aux contrats.
Monsieur Botrel, le contrat n’est pas synonyme d’intégration. Une quelconque mise en vente de l’outil de production de l’agriculteur au profit de l’industriel est hors de question. Par ailleurs, en toute cohérence avec l’approche de l’agriculture française et le changement de cap que nous voulons lui fixer, dans une logique de long terme, j’ai d’ores et déjà demandé à la Commission européenne, je continuerai à le faire, et j’obtiendrai – je pèse mes mots – la modification indispensable du droit de la concurrence européenne. En effet, aujourd’hui, un nombre restreint de producteurs négocient leurs contrats avec un industriel ; ils se trouvent de ce fait en position de faiblesse. Je souhaite donc que l’ensemble des producteurs traitant avec un grand industriel puissent se regrouper pour négocier d’égal à égal avec lui. Ainsi seulement pourra s’établir une relation équitable dans les filières agricoles.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’en viens à la pêche, secteur dont Charles Revet a parfaitement résumé les enjeux.
Les dispositions du présent projet de loi permettront d’avancer en matière de développement de l’aquaculture.
Madame Herviaux, je tiens à vous rassurer : il s’agit non pas de recentraliser le dispositif, mais d’offrir davantage de responsabilités aux organisations de producteurs. Je vous l’ai dit en commission et je vous le répète à la tribune car je n’ai pas l’habitude de tenir des langages différents selon les lieux où je m’exprime : je suis tout à fait ouvert à la discussion et je ne suis pas hostile à l’examen d’amendements tendant à la reconnaissance du rôle des acteurs locaux, dont je connais l’importance.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Hormis la Bretagne que vous avez évoquée, d’autres lieux de production de pêche en France pourraient être cités.
Messieurs Revet, Le Cam et Merceron, il est effectivement indispensable que nous rétablissions la confiance entre scientifiques et pêcheurs, de façon que l’évaluation des ressources soit désormais un peu plus rigoureuse et surtout plus consensuelle.
Dans la proposition qu’elle vient de transmettre à la Commission sur la réforme de la politique commune des pêches, la France est le seul État à évoquer la dimension sociale, tout à fait essentielle, à laquelle la commissaire européenne Maria Damanaki s’est montrée ouverte lors de sa visite en Bretagne voilà quelques jours.
Monsieur Virapoullé, je suis favorable à la mise en place d’un groupe de travail sur les ressources halieutiques dans les départements d’outre-mer que vous avez proposée.
Avant d’aborder le sujet de l’Union européenne, je traiterai quelques questions diverses.
Monsieur Le Cam, le Gouvernement tient au principe d’une taxe sur la spéculation foncière. À partir du moment où le prix d’une terre est multiplié par dix – il s’agit donc plus d’une spéculation que d’un simple profit –, il ne me semble pas illégitime de pouvoir taxer une telle opération. Nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégiez dans cet hémicycle, ont proposé d’affecter le produit de cette taxe à l’installation des jeunes agriculteurs, notamment. Je vous le dis solennellement, je suis tout à fait favorable à une telle affectation. Ce ne serait que justice.
Monsieur Leroy, madame Des Esgaulx, le Gouvernement, évidemment favorable à une meilleure exploitation de la forêt, souhaite également, en toute cohérence, mettre en place un compte d’épargne assurance forêt, qui permette aux forestiers, à l’instar des agriculteurs, de se prémunir contre les risques de plus en plus nombreux auxquels leurs exploitations sont confrontées.
Alain Fauconnier a évoqué l’enseignement agricole, défendu avec talent par Françoise Férat depuis de nombreuses années et qui, j’en suis profondément convaincu, jouera un rôle majeur pour l’avenir de l’agriculture en France.
Madame Lamure, je vous affirme avec la plus grande fermeté que le Gouvernement, dans une approche empreinte de cohérence, est totalement opposé à la libéralisation des droits de plantation dans le secteur viticole. Il n’est pas favorable à la libéralisation dans un cas et défavorable dans un autre cas, favorable à la régulation dans le domaine de l’agriculture et opposé à la même régulation dans le secteur de la pêche. Le Gouvernement souhaite la régulation des marchés, ce qui suppose de ne pas laisser planter n’importe quelle vigne n’importe où, en dehors de tout respect des appellations, une telle libéralisation menaçant des appellations d’origine.
Je veux enfin évoquer la réforme de la PAC et le rôle de l’Union européenne, sujet majeur dans la perspective que nous ouvrons avec ce projet de loi.
Je ne saurais trop insister : sans régulation, le marché agricole européen ne sera pas viable. Je reconnais le premier que nous avons tenté la libéralisation. Je le répète : un ministre socialiste, pour lequel j’ai le plus profond respect par ailleurs, a essayé de défendre la cause des quotas laitiers en 1999. À l’époque, il a été balayé par un tsunami européen : il était hors de question de maintenir ces quotas. Je crois que nous avons réussi à inverser la tendance au mois d’août dernier, même si nous devons rester déterminés et attentifs. Nous avons donc amorcé une régulation des marchés agricoles européens. Il faut continuer dans cette voie. Le projet de texte législatif européen que déposera Dacian Cioloş à la fin de l’année sur le marché du lait prouvera que la régulation fait son chemin.
Je tiens à faire une deuxième remarque sur ce sujet : toute la difficulté de la PAC réside dans le fait qu’au sein de cette politique commune s’affrontent deux modèles agricoles différents.
Les pays du Nord, comme de plus en plus l’Allemagne, pays que j’aime profondément et que je connais bien, ont opté pour les prix les plus bas possibles, en tirant sans cesse la rémunération des agriculteurs vers le bas. Il résulte de ce choix une concentration des exploitations et leur regroupement sur une seule partie du territoire.
Le modèle français, quant à lui, prône la valorisation des produits, des régions et de l’aménagement du territoire, ainsi qu’un revenu digne pour les agriculteurs, leur permettant de couvrir leurs coûts de production.
Ce modèle, que nous défendons, doit, à notre sens, l’emporter dans la politique agricole commune. Forcément, nous devrons faire des concessions, ici ou là, afin que les majorités nécessaires se dégagent. C’est bien pour cela que tous ensemble, dans cette enceinte comme dans d’autres cénacles, nous devons nous battre.
Il n’est absolument pas question de céder sur la préférence communautaire. Je suis très rarement en désaccord avec Jean Bizet, mais tel est le cas lorsqu’il soutient qu’il faudrait « mettre la pédale douce » en la matière.
Au contraire ! La préférence communautaire n’est pas un gros mot, c’est le premier point du traité de Rome sur la politique agricole commune. Pourquoi renoncerions-nous à ce qui fait le cœur du traité de Rome en matière de politique agricole commune ?
Par ailleurs, pas d’excès de naïveté, je vous en supplie ! Si je me suis tant battu sur la question des accords entre l’Union européenne et le MERCOSUR, c’est parce que la reprise des négociations commerciales entre ces deux entités est une faute politique.
D’abord, nous nous étions engagés à ne reprendre aucune négociation bilatérale commerciale avant que les négociations dans le cadre de l’OMC ne soient conclues ; elles ne le sont pas, et pourtant la Commission reprend les négociations bilatérales entre l’Union européenne et le MERCOSUR ! La parole n’a pas été respectée.
Ensuite, les pays du MERCOSUR ne sont pas si mal traités que cela ! Depuis cinq ans, les exportations de viande des pays du MERCOSUR à destination de l’Union européenne ont été multipliées par deux. Dans le même temps, les pays du MERCOSUR renforcent leurs droits d’importation sur les produits agricoles en provenance de l’Union européenne.
Je ne vois pas pourquoi l’agriculture serait, chaque fois, la variable d’ajustement des négociations commerciales !
M. Charles Revet, rapporteur. Vous avez tout à fait raison !
M. Bruno Le Maire, ministre. Enfin, quand la présidence espagnole nous explique que la reprise de ces négociations est bonne pour les pays du MERCOSUR, je réponds, avec tout le respect que j’ai pour elle, que cela est peut-être fort sympathique mais que j’aimerais mieux que ce soit bon pour les agriculteurs européens et pour les citoyens européens ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, et M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Tenons bon ! Nos positions sont justes et font de plus en plus d’émules.
Il y a trois semaines, la France était la seule à s’opposer à la reprise des négociations entre l’Union européenne et le MERCOSUR. Depuis le conseil des ministres de l’agriculture, lundi dernier à Bruxelles, nous avons rallié quinze pays européens à notre position. La Commission ne peut plus dire qu’elle est majoritaire pour la reprise de ces négociations !
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. De la même façon, en août dernier, j’étais seul à demander le respect d’une PAC forte ; durant l’appel de Paris en décembre, nous avons été vingt-deux États à réclamer le maintien d’une PAC forte et à abandonner l’idée d’une diminution drastique du budget européen !
À tout seigneur tout honneur : pour finir, ayant, par définition, une certaine affection pour les anciens premiers ministres (Sourires.), je voudrais répondre à M. Jean-Pierre Raffarin sur les trois points qu’il a soulevés !
Le premier point concerne la menace institutionnelle. Je ne reprendrai pas ses propos mais, je tiens à le souligner, nous veillons, au ministère de l’agriculture, à rééquilibrer le balancier.
Ce que nous avons obtenu, avec Jean-Louis Borloo, sur les règles environnementales – la prise en compte de la crise économique et l’harmonisation européenne –, le montre : le balancier se rééquilibre.
Ce que nous avons réussi à obtenir sur la réassurance publique, grâce à un travail très constructif avec Christine Lagarde, en témoigne également ; de même que ce que nous avons réussi à obtenir, à l’issue d’un travail très constructif avec Éric Woerth, sur les allégements de charges pour le travail occasionnel des agriculteurs.
Le balancier ne penche pas systématiquement en défaveur du ministère de l’agriculture. Je tiens à rassurer Jean-Pierre Raffarin sur ce point.
Le deuxième point souligné par Jean-Pierre Raffarin concerne les conséquences régionales des décisions que nous prenons. Je le redis avec force : je suis contre la concentration excessive des exploitations, contre l’uniformisation de la production agricole en France, contre l’extension sans fin des surfaces d’exploitation ; mais je suis pour la diversité des productions, pour le maintien de l’activité dans l’ensemble des régions françaises – y compris en Lozère, cher Jacques Blanc, et dans le Cantal, cher Pierre Jarlier –, je suis pour le maintien de l’agriculture partout sur notre territoire, y compris dans les zones intermédiaires !
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’en viens au troisième point évoqué par Jean-Pierre Raffarin : le secteur laitier. Il fut, pour tous les Français, le symbole de la crise dramatique traversée par l’agriculture. C’est pourquoi, comme le ministère, vous y avez accordé une attention toute particulière, mesdames, messieurs les sénateurs.
Finalement, comme le montrent les travaux de l’interprofession sur les indices de prix, ceux que nous menons sur les plans de développement des filières, ceux de la Commission et, principalement, de Dacian Cioloş pour un règlement européen de régulation du marché du lait disponible d’ici à la fin de l’année 2010 : nous sommes engagés sur le bon chemin ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures dix, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Labarre, MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, d'une motion n°39.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (procédure accélérée) (n° 437, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, auteur de la motion.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres de notre groupe estiment que le présent projet de loi est en contradiction avec la Constitution, parce qu’il ne respecte pas la Charte de l’environnement.
Si besoin est, rappelons que, en inscrivant dans le préambule de la Constitution une référence « aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 » et en plaçant ainsi ce texte sur le même plan que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 a conféré une valeur constitutionnelle à la Charte.
Ce texte, en son article 6, dispose : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Or nous estimons que la forêt constitue un véritable patrimoine écologique et social. Pourtant, l’article 15 du présent projet de loi entend « renforcer la compétitivité de la filière de production, de récolte, de transformation et de valorisation des produits forestiers ».
Alors qu’il faudrait soustraire ce patrimoine forestier à la vision de court terme et de rentabilité dictée par le marché, le Gouvernement propose une véritable marchandisation de la forêt, en contradiction avec le développement durable de celle-ci.
En effet, l’exploitation des forêts doit être réalisée dans le sens de l’intérêt général. Or le texte organise une privatisation des missions exercées par l’ONF, l’Office national des forêts, qui s’inscrit directement dans la logique du démantèlement de cet établissement public.
De plus, force est de le constater, le Gouvernement tient en piètre estime le Parlement, puisqu’il multiplie, dans ce projet de loi, sur des sujets variés, les dispositions lui permettant de légiférer par ordonnance, c’est-à-dire sans le débat ni l’aval de la représentation nationale : c’est le cas aux articles 2, 15 bis, 17 et 24.
Avant son examen en commission, le texte proposé par le Gouvernement en contenait d’ailleurs davantage, alors qu’aucune urgence ne peut justifier ce recours excessif aux ordonnances. Il s'agit là d’une nouvelle preuve, s’il en fallait, des dérives monarchistes de la Ve République. Qu’il est loin l’objectif affiché par Nicolas Sarkozy de rendre du pouvoir au Parlement !
Toutefois, en étudiant le présent texte, on comprend fort bien pourquoi le Gouvernement souhaite limiter le plus possible le débat parlementaire.
Pour nous, cette loi de modernisation aurait dû être l’occasion de réorienter rapidement et massivement l’agriculture vers des systèmes de production écologiquement responsables et permettant aux paysans de vivre décemment. Néanmoins, le Gouvernement ne semble pas souscrire à ces objectifs, si ce n’est, parfois, dans les discours du Président de la République, qui se voudraient rassurants pour les agriculteurs !
En effet, le but premier du Gouvernement est purement électoral : récupérer des votes qui lui échappent de plus en plus, comme on l’a vu lors du dernier scrutin régional. Monsieur le ministre, les agriculteurs ne sont pas dupes de votre opération politicienne, qui ne règle rien à leurs problèmes !
Pis, le présent projet de loi prévoit une véritable restructuration globale de l’agriculture française, au nom de la culture de l’entreprise et de la compétitivité. L’élimination des petits paysans devrait en être encore accélérée.
Nous nous félicitons que certains points très dangereux aient été supprimés par la commission, en particulier l’article 11, le plus emblématique de la conception du Gouvernement, qui introduisait le statut d’agriculteur-entrepreneur. Cette disposition visait clairement à faire le tri entre les agriculteurs et à favoriser un type d’agriculture écologiquement dangereux et socialement injuste. Toutefois, il subsiste dans ce projet de loi de nombreux outils qui, soit ne régleront rien aux problèmes des agriculteurs, soit les aggraveront.
Monsieur le ministre, vous glorifiez la contractualisation qui, selon vous, permettra d’assurer une rémunération à tous les agriculteurs. Vous voulez nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Au moment où la production agricole a besoin de régulation et de maîtrise des volumes, la contractualisation ne nous apparaît pas comme une solution aux crises actuelles : elle est incapable de remplacer une politique agricole, la somme des contrats ne pouvant aboutir à la maîtrise des volumes et des prix, comme nous allons vous le démontrer.
En effet, les industriels auront tendance à ne pas contractualiser tous les volumes, afin de conserver un minimum de souplesse. Ce seront alors les volumes non contractualisés qui joueront le rôle de variable d’ajustement, ce qui conduira à une inévitable baisse des prix moyens payés aux paysans.
Par ailleurs, comme on l’a vu récemment pour le lait, si l’un des acteurs le souhaite, le contrat n’a plus de valeur, et les pouvoirs publics doivent alors intervenir pour rétablir la situation.
En effet, un contrat reste un rapport de forces qui, en l’occurrence, sera forcément défavorable au producteur, confronté à de puissants industriels. Seule la loi, porteuse de l’intérêt général, pourrait garantir un droit au revenu pour les paysans, en interdisant la vente à perte par exemple, et en fixant des prix minimums rémunérateurs. Or un prix contractualisé n’entre pas forcément dans cette catégorie !
Le Gouvernement met également en avant un autre outil : le système assurantiel de l’article 9.
Tout d’abord – faut-il le rappeler ? –, un mécanisme d’assurance ne crée pas de richesses nouvelles, mais répartit celles qui existent déjà. Jamais donc il ne pourra remplacer une politique publique, ni remédier à l’instabilité des prix agricoles !
Surtout, le système qui est proposé aujourd’hui peut se résumer à cette formule : « Beaucoup d’argent public au profit des compagnies d’assurance, au bénéfice d’une minorité d’agriculteurs ». Nous sommes dans la même logique d’élimination : il y aura ceux qui pourront se payer de bonnes couvertures et ceux qui en seront incapables et qui, en cas de problème, devront cesser leur activité. Contre ce système, notre groupe propose un mécanisme mutualisé de garantie contre les aléas.
De plus, nous regrettons que la commission ait supprimé le principe de l’institution d’une taxe pour freiner l’artificialisation des terres. Aujourd’hui, la situation est dramatique : 50 000 à 80 000 hectares de terres agricoles changent de destination chaque année. Au rythme de consommation actuelle, une mesure d’urgence de type moratoire aurait dû être envisagée.
Pour le long terme, le Gouvernement, en reprenant une proposition de la Confédération paysanne, avait eu raison d’instaurer une « taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement ».
La commission a supprimé l’article 13 au motif qu’une telle taxe existait au profit des communes. Mais il s’agit d’un dispositif optionnel. Moins de 5 000 communes l’ont institué, et il ne permet donc pas de lutter contre l’artificialisation des terres.
Nous pensons donc que la loi doit rendre obligatoire une telle taxe. Au demeurant, si le principe qui avait été posé par le Gouvernement constituait une avancée, force est de constater que le taux prévu, de 5 % à 10 %, était totalement inadéquat. Certaines terres se vendent jusqu’à 200 fois plus cher après classement. Ainsi, cette taxe n’aurait rien résolu. Nous vous demandons d’instituer une taxe plus efficace, autour de 50 %. À titre de comparaison, je mentionnerai qu’elle existe au Danemark, où elle est fixée à 80 %, afin de lutter contre l’artificialisation des terres agricoles. C’est en ce sens que nous avons déposé nos amendements.
Tels sont les outils mis en place par cette loi qui ne permettent pas de répondre aux enjeux posés par l’agriculture, quand ils ne les aggravent pas.
Cela dit, le projet de loi brille aussi par ses lacunes. Ainsi, alors que la majorité des paysans, qui se tuent à la tâche, ne gagne pas suffisamment pour vivre décemment, ce projet de loi ne comporte aucun volet social.
Le Figaro, journal que l’on ne peut accuser de bolchévisme (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.) titrait le 27 avril : « Un paysan français se suicide chaque jour. » Parce que les agriculteurs sont de plus en plus précarisés, ils se suicident plus que les membres des autres professions. Le taux de suicide des agriculteurs exploitants est le plus élevé parmi les différentes catégories socioprofessionnelles. Il s’élève à 32 pour 100 000, contre 28 chez les ouvriers et 8 pour les professions intellectuelles supérieures. Et que nous propose le Gouvernement ? Rien.
Le législateur aurait été inspiré d’instituer la règle de prix rémunérateurs, afin de garantir à tous les agriculteurs un droit au revenu.
Ce projet de loi aurait dû être aussi l’occasion de s’attaquer au problème de l’accès au métier et au statut de l’exploitant.
L’accès au métier de paysan est conditionné par l’accès au statut social de chef d’exploitation. Celui-ci confère une reconnaissance de l’activité agricole de la personne, et donne accès aux droits spécifiques des paysans. Le problème réside dans le fait que l’accès au statut est conditionné par la direction d’une ferme, dont l’importance doit être au minimum d’une demie SMI, ou surface minimum d’installation.
Cette référence pose de nombreux problèmes : elle ne permet pas les installations progressives dans une période où la pression foncière s’est fortement accentuée. Elle diffère fortement d’un département à l’autre, provoquant de fortes inégalités sur les territoires. Elle revient à nier l’existence des pluriactifs pour lesquels l’activité agricole est secondaire, et elle ne permet pas de prendre en compte les projets à haute valeur ajoutée à l’hectare, car intégrant la valorisation, la transformation ou la commercialisation des produits de l’exploitation.
Nous proposons donc de faire dépendre l’octroi du statut, non plus à une taille minimum d’exploitation, mais à une déclaration d’heures de travail, comme cela existe déjà pour certaines activités.
Nous dénonçons par ailleurs le statut de cotisant solidaire, qui n’ouvre aucun droit professionnel à des paysans en activité. Les cotisants solidaires non retraités exerçant une activité agricole sont environ 100 000 en France. Les pouvoirs publics ont reconnu implicitement la réalité de leur activité en leur accordant en 2008 des droits pour les accidents du travail, les maladies professionnelles, et prochainement pour la formation professionnelle. Il est désormais nécessaire d’aller plus loin en ouvrant l’accès au statut de chef d’exploitation à ces cotisants solidaires. Voilà ce qui serait une décision de justice sociale !
Il est consternant de constater que cette loi ne mentionne nullement l’inscription du modèle agricole français au sein d’un environnement international, particulièrement européen, surtout dans la perspective de l’échéance de 2013 pour la politique agricole commune.
Deux crises additionnent aujourd’hui leurs effets : la crise écologique, qui disqualifie notre modèle de développement économique basé sur le productivisme ; la crise économique causée par le néolibéralisme mondialisé, qui a partout dérégulé les échanges.
L’agriculture se trouve au confluent de ces deux crises, et il devient urgent d’y porter remède. Le modèle productiviste d’agriculture intensive doit laisser la place à une agriculture soucieuse de l’environnement, avec des productions relocalisées. Les crises successives que l’agriculture a connues ces dernières années, je pense à la crise du lait, montrent que les politiques de dérégulation, initiées par l’Organisation mondiale du commerce et soutenues par l’Union européenne, doivent prendre fin.
La France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, à savoir la mise en place d’un prix minimum indicatif européen pour chaque production, l’activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, une politique douanière européenne garantissant que les produits importés sont fabriqués dans des conditions sociales et environnementales acceptables, et sont payés à un juste prix aux producteurs.
De même, la France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de mécanismes de production pour certaines productions, et l’activation, en cas de crise exceptionnelle, d’outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.
Enfin, nous devons mettre en place les outils permettant une véritable planification de la transition écologique de l’agriculture. Nous devons tendre vers une agriculture beaucoup plus diversifiée, réintégrant activité agricole et élevage, rapprochant les cycles du carbone et de l’azote. Nous devons tendre vers une agriculture relocalisée, autonome, valorisant la richesse potentielle des écosystèmes cultivés, en lieu et place de systèmes basés sur l’usage intensif d’engrais chimiques et de pesticides, et sur la motorisation à outrance.
Cette agriculture que nous devons promouvoir nous permettra donc de contribuer à la lutte contre le changement climatique, de diminuer l’utilisation de carbone fossile et des autres ressources non renouvelables, de produire des aliments de meilleure qualité, de protéger l’environnement des contaminations diverses, et de restaurer la biodiversité.
Mais cela implique une agriculture plus intensive en temps de travail et en emplois et donc, à la fois, des prix rémunérateurs pour que le travail agricole soit payé à son juste prix, et une véritable politique foncière volontariste permettant de stopper la course à l’agrandissement des exploitations, voire, dans certaines régions, d’inverser ce phénomène en facilitant l’installation d’agriculteurs.
Une loi qui ne prendrait pas en compte l’ensemble des aspects que je viens d’évoquer ne répondrait pas aux enjeux lancés par l’agriculture du XXIe siècle.
Loin d’améliorer la situation, elle ne ferait que retarder la date ou il nous faudra prendre des décisions drastiques pour réparer les dégâts sociaux et environnementaux du libéralisme, et du modèle d’agriculture productiviste qui lui est lié.
Une disposition législative adéquate pourrait encadrer efficacement les plans régionaux de développement de l’agriculture durable, et l’action des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, de telle sorte qu’ils soient dans l’obligation de répondre à certains de ces objectifs, notamment en matière de politique foncière et de transition écologique de l’agriculture.
Malheureusement, le Gouvernement est trop soucieux d’enjeux électoraux à court terme. Il est pris en tenaille par ses dogmes libéraux de dérégulation entière de l’économie, qui nous ont pourtant menés au bord du gouffre. Nombreux sont les parlementaires, y compris au sein de la majorité, qui savent que cette loi ne résoudra rien. Mais c’est parce qu’en outre nous la jugeons anticonstitutionnelle au regard de la Charte de l’environnement que nous vous appelons, mes chers collègues, à voter la motion d’irrecevabilité que nous avons déposée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)