PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Croatie
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation de cinq députés de la Diète de Croatie, conduite par le président de la commission des lois, le docteur Goran Marić. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Cette délégation est accompagnée de notre excellente collègue Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Cette délégation participera demain, sur l’initiative du rapporteur général du budget, M. Philippe Marini, à une réunion de la commission des finances du Sénat consacrée notamment à la Croatie, pays avec lequel nous entretenons des liens d’amitié étroits.
Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que nos collègues croates portent à notre institution. Je garde un excellent souvenir de la visite officielle que j’ai effectuée à Zagreb, en octobre dernier, en compagnie de Mme André.
Au nom du Sénat de la République, je forme des vœux pour que leur séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays, et je leur souhaite la plus cordiale bienvenue. (Nouveaux applaudissements.)
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Modernisation de l'agriculture et de la pêche
Discussion d’un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (procédure accélérée) (projet n° 200, texte de la commission n° 437, rapport n° 436).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l’économie, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise agricole que nous vivons marque la fin de trente ans d’histoire agricole française et européenne. Elle constitue un tournant majeur pour notre agriculture.
Notre responsabilité à tous, parlementaires ou membres du Gouvernement, est de défendre un secteur stratégique pour notre nation. Je veux dire ici, au moment où nous commençons l’examen d’un projet de loi d’une importance décisive pour elle, que je crois dans les forces et les atouts de l’agriculture française.
Agriculture ne veut pas dire seulement tradition et passé ; agriculture veut dire aussi innovation, recherche, compétitivité, développement durable et, tout simplement, pour la France, avenir.
Encore faut-il que nous soyons lucides sur la nouvelle donne agricole mondiale qui est en train de se dessiner. Cette dernière est source d’une volatilité des prix insupportable pour la grande majorité des agriculteurs. En un an, le prix du blé peut passer de près de 300 euros la tonne à 100 euros à peine ; en un an, le prix du lait peut passer de plus de 400 euros la tonne à moins de 230 euros ; en un an le prix des matières premières peut varier selon une fourchette de 50 % à 80 %.
Dans cette nouvelle donne agricole mondiale, on voit aussi apparaître de nouveaux acteurs, comme l’Inde, la Chine, le Brésil ou la Russie.
Hier, nous n’avions que peu de concurrents quand nous exportions du blé à destination de l’Égypte, du Maroc, de l’Algérie ou d’autre pays africains. Aujourd’hui, nous devons compter avec tous les pays du bassin de la mer Noire.
Hier, nous n’avions pas à nous soucier de la production de beurre et de poudre de lait dans les pays éloignés, comme la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, nous savons qu’une production excédentaire dans ce pays peut déstabiliser l’ensemble du marché laitier mondial.
Hier, nous étions seuls à maîtriser certaines techniques de production agricole. Nous savons aujourd’hui que le Brésil, la Chine ou l’Inde sont sur le point de les dominer aussi bien que nous, si tel n’est pas déjà le cas. Certains pays sont même parfois capables d’aller plus loin.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, c’est aussi une politique agricole commune en cours de redéfinition.
En 1957, notre seul objectif était de produire le plus possible pour nourrir chacun. Pour l’atteindre, le seul moyen était une gestion administrée de l’offre. Demain, nous devrons répondre à la demande. Demain, nous devrons nous adapter toujours davantage aux exigences du consommateur.
À monde nouveau, agriculture nouvelle. Il est temps de donner les moyens à notre agriculture de relever les défis immenses auxquels elle doit faire face : le défi de la volatilité, pour stabiliser les revenus des agriculteurs ; le défi de la compétitivité, pour redonner de la puissance à notre agriculture face à la concurrence de nouveaux acteurs ; le défi de l’environnement et de la sécurité sanitaire, enfin, pour répondre aux attentes des consommateurs et prendre en compte les impératifs de développement durable et de sécurité sanitaire.
La présentation de ce projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche intervient donc à un moment décisif pour notre agriculture. Ce texte donnera aux agriculteurs les instruments nécessaires pour faire face à cette nouvelle donne agricole mondiale.
Notre agriculture a d’abord besoin d’un cap politique : ce cap, c’est celui de l’alimentation.
C’est une évidence, la fonction première de l’agriculture est de nourrir. La légitimité de notre agriculture tient à la qualité de l’alimentation qu’elle apporte à tous les Français. C’est pour cela que le Gouvernement a tenu à ce que le titre Ier du projet de loi vise à mettre en place une politique publique de l’alimentation.
Cette politique publique doit garantir une alimentation saine à tous les Français, en rassemblant des instruments d’intervention jusque-là dispersés. Elle reposera sur des objectifs nutritionnels contraignants et contrôlés pour la restauration collective, en particulier scolaire et universitaire.
Personne ne peut se résigner à l’augmentation de l’obésité en France, même si ce phénomène est mieux contenu que dans d’autres pays développés ; personne ne peut se résigner à ce que ce problème de santé publique se concentre sur les personnes aux revenus les plus faibles : la question de l’alimentation est avant tout une question sociale.
Cette politique publique de l’alimentation défendra aussi un nouveau modèle de commercialisation des produits, pour mettre fin aux aberrations que nous constatons tous. Il n’est pas raisonnable, en effet, que les produits agricoles parcourent en moyenne 2 000 kilomètres, avant de se retrouver sur la table du consommateur ! Nous développerons donc les circuits courts, en modifiant le code des marchés publics et en préservant les terres agricoles à proximité des grandes agglomérations.
Au-delà de ces mesures, c’est un modèle alimentaire que nous voulons défendre : contre l’uniformisation des produits, nous défendons la diversité du goût ; contre la confusion de l’origine et des labels, nous défendons la transparence et l’identification des produits.
Mais il n’y aura pas d’alimentation sans agriculteurs, et pas d’agriculteurs sans un revenu stable et décent pour chacun d’entre eux.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Charles Revet, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le premier objectif du projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd’hui est donc de garantir aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre dignement de leur travail.
Il n’est pas acceptable que des milliers de producteurs, en France, vendent leurs produits au-dessous de leur coût de revient. Il n’est pas acceptable que des biens agricoles qui ont demandé de la patience, du temps et de l’énergie soient produits à perte.
Pour atteindre cet objectif, nous devons changer de modèle économique. Trop de producteurs investissent des sommes considérables pour moderniser leur exploitation, pour se doter d’équipements performants, sans savoir ce qu’ils vont toucher à la fin du mois. Pour leur donner de la visibilité sur leurs revenus, nous allons mettre en en place des contrats écrits obligatoires mentionnant un prix, un volume et une durée.
Je connais, bien entendu, les inquiétudes des producteurs par rapport aux contrats. Je veux leur dire que nous avons entouré ceux-ci de toutes les garanties nécessaires.
Première garantie : ce sont les interprofessions qui négocieront en première instance les contrats, afin que les particularités de chaque filière soient respectées.
Deuxième garantie : les pouvoirs publics garderont une capacité d’examen concernant la mise en œuvre de ces contrats.
Troisième garantie : les interprofessions pourront fixer des indicateurs de tendance de marché qui serviront à la conclusion des contrats.
Ce modèle de contrat ne se limitera pas, j’en suis convaincu, au seul territoire français. Il deviendra une référence en Europe. Il a d’ailleurs déjà fait l’objet d’une réflexion approfondie au sein de la Commission européenne.
Je veux également être clair sur un point : les contrats seuls ne feront pas tout. Ils devront s’appuyer sur une régulation des marchés à l’échelle européenne pour stabiliser les prix et nous permettre de réagir en cas de crise. Un observatoire des volumes, de nouveaux outils de gestion des marchés, des instruments d’intervention plus flexibles et plus efficaces me paraissent donc indispensables. Nous avons engagé ce combat pour la régulation des marchés, à l’échelle européenne ; nous le mènerons jusqu’au bout.
Face à la multiplication des aléas économiques, climatiques et sanitaires, nous devons aussi offrir des garanties plus solides aux producteurs.
Les dérèglements climatiques, l’intensification des échanges et la spéculation sur les marchés des matières premières ont conduit, depuis quelques années, à des phénomènes de sécheresse ou d’inondation de plus en plus fréquents, à des crises sanitaires multiples et à l’accroissement de la volatilité des prix. Il ne s’agit pas de nier cette réalité, mais de donner aux agriculteurs les moyens d’y faire face.
Pour cela, il est indispensable de renforcer les dispositifs assurantiels. Pour la première fois dans l’histoire de notre agriculture, nous allons donc mettre en place des dispositifs assurantiels pour l’ensemble des filières agricoles, sans exception. Le Gouvernement étudiera un mécanisme de réassurance publique qui avait été écarté jusqu’à présent. Avec l’aide de l’Europe, il maintiendra également un niveau élevé de subvention des assurances, à hauteur de 65 %, de façon à inciter le plus grand nombre d’agriculteurs possible à s’engager dans cette voie.
Cet engagement de l’État signifie que l’assurance sera de la responsabilité de tous, pour une meilleure répartition des responsabilités entre les producteurs et la puissance publique.
Ces garanties plus solides passent aussi par une refondation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, qui continuera à indemniser les dégâts climatiques, mais dont le champ d’intervention sera élargi aux risques sanitaires et environnementaux. Cela ne dispensera cependant pas les agriculteurs de mettre en place des fonds de mutualisation, qui seront soutenus par l’État. Donner plus de responsabilités à chacun contribuera aussi à assurer l’avenir de l’agriculture.
Les aléas touchent également la forêt, et ce de manière plus fréquente. La tempête de 1999 devait être la « tempête du siècle ». Or, nous l’avons vu, dix ans plus tard, la tempête Klaus s’est révélée plus grave encore. Nous développerons donc aussi des assurances destinées à couvrir le risque de tempête en forêt, pour que les forestiers disposent des mêmes outils que les autres agriculteurs.
Avec ces nouveaux instruments économiques, nous pourrons engager une profonde rénovation des circuits de commercialisation des produits agricoles.
Les producteurs doivent d’abord se regrouper en organisations de producteurs et au sein d’interprofessions : plus ils sont dispersés, plus ils sont en position de faiblesse pour négocier les prix avec l’aval de la filière ; plus ils seront unis et organisés, plus ils seront forts. La future loi nous permettra donc de dresser le bilan de l’organisation économique des producteurs, pour en tirer toutes les conséquences. Nous continuerons les négociations avec la Commission européenne afin d’obtenir les aménagements nécessaires au droit de la concurrence et de permettre aux producteurs de mieux se regrouper face aux industriels et aux distributeurs.
Nous voulons aussi rééquilibrer le partage de la valeur au sein de la filière alimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes.
Nous supprimerons totalement les pratiques de remises, rabais et ristournes. Nous encadrerons le prix après vente : plus aucun fruit ou légume qui n’aura pas été commandé ne pourra se retrouver sur un marché ; plus aucun fruit ou légume ne pourra quitter une exploitation sans que les modalités de fixation de son prix aient fait l’objet d’un contrat écrit.
La grande distribution appliquera enfin une baisse automatique de ses marges en période de crise, sur la base de l’accord signé hier sous l’égide du Président de la République et qui sera applicable dès cet été.
Pour nous assurer que ces instruments donneront des résultats, nous renforcerons l’Observatoire des prix et des marges. Ce dernier étudiera tous les produits agricoles, sans exception, et analysera les coûts de production. Il rendra un rapport au Parlement. Son président aura la responsabilité d’analyser les données et de procéder aux interprétations nécessaires.
Toutes ces décisions dessinent une nouvelle organisation des filières agricoles. Elles expriment une solidarité nouvelle et indispensable entre leurs différents acteurs : distributeurs, industriels et producteurs. Car nous devons tous en avoir conscience : ce n’est pas en opposant les uns aux autres que nous trouverons des solutions aux difficultés actuelles. C’est au contraire en travaillant ensemble, en répartissant les efforts de manière équitable, en améliorant notre organisation économique et en rééquilibrant les rapports de force au profit des producteurs que nous dégagerons des voies d’avenir.
La France est la première puissance agricole européenne. Elle ne le restera que si elle préserve ses terres agricoles.
Dans cette perspective, le projet de loi tend à mettre en place un observatoire national chargé d’étudier la consommation des terres agricoles, d’identifier les zones de plus grande perte et de proposer des moyens pour éviter une telle situation. Nous ne pouvons pas continuer à perdre 200 hectares de terres agricoles chaque jour, soit l’équivalent d’un département tous les dix ans.
Nous créerons des commissions départementales, composées de professionnels et d’élus des collectivités, ayant pour mission de donner un avis sur les déclassements de terres agricoles.
Nous proposons enfin d’instaurer une taxe sur la spéculation des terres agricoles. Je souhaite que son produit soit affecté en priorité à l’installation des jeunes agriculteurs. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Pour que la France reste la première puissance agricole européenne, elle doit non seulement garder ses terres agricoles, mais aussi poursuivre ses efforts en matière d’innovation. L’innovation a fait la force de notre agriculture. C’est elle qui nous permettra de conserver une agriculture performante et durable.
Pour cela, nous accompagnerons les exploitations, par exemple en encourageant le développement de la méthanisation.
Ce processus permettra aux exploitants d’utiliser les effluents d’élevage et de les traiter ; ils pourront ainsi produire de l’énergie, afin d’améliorer leur autonomie énergétique ou de la revendre, qu’il s’agisse de gaz ou d’électricité, pour en tirer un revenu complémentaire, comme cela se pratique dans toutes les grandes puissances agricoles européennes, en particulier en Allemagne et aux Pays-Bas.
Une agriculture durable est dans l’intérêt de tous, qu’il s’agisse des citoyens, de plus en plus attentifs à la qualité de leur environnement, ou des agriculteurs eux-mêmes, qui ont fait des efforts considérables d’adaptation au cours de ces dernières années et qui doivent réduire leur dépendance aux énergies fossiles. Agriculture et développement durable vont de pair, pourvu que nous respections le rythme d’adaptation des exploitants et la nécessaire harmonisation des règles européennes.
Le Gouvernement a souhaité que le présent projet de loi concerne aussi la pêche. En effet, en 2012, la réforme de la politique commune des pêches précédera celle de la politique agricole commune. Il est indispensable de doter ce secteur, qui a déjà fait d’énormes efforts de restructuration, d’outils performants avant la réforme.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle dans le domaine des produits de la mer. Les importations, qui représentent 80 % de notre consommation, s’élèvent à 4 milliards d’euros et notre production à 1,5 milliard d’euros seulement, alors que la France possède la deuxième zone de pêche du monde.
Nous allons donc réformer la gouvernance des pêches et de la conchyliculture, en clarifiant les rôles des différentes organisations et en leur confiant de nouvelles responsabilités.
Nous allons également améliorer les relations entre pêcheurs et scientifiques, en mettant en place un comité de liaison scientifique et technique. Nous leur permettrons de travailler ensemble à l’évaluation des ressources, afin que les décisions de gestion des stocks soient acceptées par tous.
Enfin, nous développerons la pisciculture marine en France, car malgré le formidable potentiel de nos côtes maritimes, elle ne couvre que 15 hectares.
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous faciliterons l’accès aux espaces maritimes dans le respect des règles environnementales.
Pour que le présent projet de loi soit complet, le Gouvernement a souhaité que l’outre-mer fasse l’objet d’un titre à part entière. Les états généraux de l’outre-mer, lancés par le Président de la République en 2009, ont fait ressortir très clairement la nécessité de favoriser la diversification agricole dans ces territoires.
En effet, comment accepter que le taux de chômage y soit supérieur à 20 %, alors que l’agriculture représente un gisement d’activité si important ? Comment accepter que seulement 17 % de la viande de bœuf consommée en Guyane soit produite localement ou que la part du lait local ne représente que 5 % de la consommation en Martinique ? Les marges de progrès existent ; le dynamisme de la filière de la banane en est la preuve.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd’hui prévoit donc les mesures nécessaires au renforcement des chambres d’agriculture, à la préservation du foncier agricole et au développement de la pêche et de l’aquaculture. Il y a urgence : si rien n’est fait, il n’y aura plus, dans trente ans, de terres agricoles aux Antilles.
L’agriculture est un secteur d’avenir, non un reliquat du passé. Activité stratégique pour la nation, au même titre que l’énergie, l’industrie ou la défense, elle est un pilier, et non une composante accessoire de notre économie.
Ce projet de loi s’inscrit dans une stratégie globale du Gouvernement pour construire une nouvelle donne agricole.
Le plan de soutien exceptionnel à l’agriculture, décidé par le Président de la République et doté de 1,8 milliard d’euros, a permis aux exploitations de surmonter leurs difficultés conjoncturelles.
Les plans de développement, filière par filière, que j’annoncerai dans les prochains mois permettront de redonner à nos entreprises agricoles la compétitivité qui leur est indispensable.
Le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche dont nous commençons aujourd'hui l’examen permettra à nos producteurs et à nos pêcheurs de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens et de dégager un revenu décent pour prix de leur travail.
À l’échelon européen, nous continuerons à défendre un modèle de régulation des marchés agricoles et le maintien d’une politique agricole commune forte.
Au plan international, nous soutiendrons également l’idée de régulation agricole, notamment lors de la présidence française du G20.
M. Jean-Paul Virapoullé. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce au travail remarquable qui a été effectué en commission, sous la présidence de Jean-Paul Emorine et avec le concours des rapporteurs, Gérard César et Charles Revet, qui ont permis d’améliorer le texte du Gouvernement, la France disposera des moyens de rester la première puissance agricole européenne et un acteur agricole majeur dans le monde de demain. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard César, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins de cinq ans, nous adoptions, dans cette enceinte, la loi d’orientation agricole pour donner à notre agriculture de nouveaux instruments de développement : regroupement des producteurs, modernisation du cadre juridique et fiscal applicable aux exploitations, encouragement à la diversification.
Peu d’entre nous imaginaient alors que le monde agricole connaîtrait tant de bouleversements en quelques années. En raison de la hausse des cours, il a vécu deux années exceptionnelles, le sommet ayant été atteint en 2007, essentiellement pour les grandes cultures ou le lait. Mais la chute n’en a été que plus brutale : depuis la mi-2008, les prix sont orientés à la baisse et la quasi-totalité des productions sont aujourd’hui en crise.
Notre agriculture connaît une situation inédite : après une première baisse de revenu de 23 % en 2008, les exploitants en ont enregistré une de 32 % en 2009. Aucun autre secteur de l’économie n’est aussi durement touché.
Le secteur du lait est emblématique. La vie des éleveurs laitiers est contraignante, mais leur revenu était considéré comme relativement stable. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, et, depuis maintenant deux ans, les acteurs du marché n’arrivent pas à se mettre d’accord.
Les apports de la loi d’orientation agricole n’ont pas été balayés, mais la situation actuelle justifie que le législateur intervienne de nouveau, par le biais de l’examen du présent projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Ce texte fait suite au grand débat sur l’agriculture lancé à l’automne dernier. Il est marqué par un double impératif : à court terme, répondre à l’urgence de la crise agricole ; à moyen terme, préparer notre agriculture aux changements prévisibles de la politique agricole commune après 2013.
L’urgence est telle qu’elle a été prise en compte avant même la discussion du présent projet de loi : le plan de soutien exceptionnel à l’agriculture a permis d’injecter plus de 1,6 milliard d’euros dans les exploitations, selon un bilan établi le mois dernier par notre collègue député Nicolas Forissier, nommé médiateur national pour le plan précité.
Par ailleurs, la loi de finances rectificative pour 2010 votée au mois de février dernier a prévu l’application, au 1er janvier de cette année, d’une exonération des charges patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels, ce qui donnera une bouffée d’air aux producteurs de fruits et légumes et aux exploitants viticoles, en particulier.
Le texte qui nous est soumis vise donc non seulement à répondre aux enjeux de court terme, mais aussi à fournir les instruments d’une politique agricole ambitieuse et rénovée.
Je salue au passage le choix du Gouvernement de saisir en premier le Sénat du présent projet de loi. Monsieur le ministre, nous y sommes très sensibles.
Ce choix est une marque de confiance en la qualité du travail sénatorial. Il montre aussi que, lorsqu’il y a urgence, le Sénat sait répondre présent.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné sur ce texte plus de cent-dix représentants d’entreprises ou d’organisations professionnelles, afin d’établir un diagnostic et une analyse partagés.
L’ensemble des personnalités rencontrées se sont accordées sur un point : le fonctionnement de l’économie agricole est aujourd’hui gravement perturbé, comme en témoignent les trois caractéristiques suivantes.
Première caractéristique : l’instabilité des prix est devenue extrêmement forte, d’une campagne à l’autre, mais aussi au cours d’une même année. L’agriculteur n’a plus de visibilité, plus de repères, tant les prix varient. Et ce phénomène concerne non plus les seules productions saisonnières très marquées par les conditions climatiques, comme les fruits d’été, mais toutes les filières.
Deuxième caractéristique, moins nouvelle : le producteur a peu de pouvoir pour influer sur les cours. Malgré des efforts d’organisation, qui doivent encore être poursuivis, les agriculteurs restent petits et faibles face à l’aval des filières, beaucoup plus concentré.
Troisième caractéristique : l’agriculture est désormais pleinement exposée à la concurrence internationale. Après les réformes successives de la PAC, les prix mondiaux guident les marchés et s’imposent désormais aux agriculteurs européens. Il est illusoire de penser construire une quelconque digue pour y échapper. Si nous sommes trop chers, l’industrie ou la distribution se fourniront à l’étranger, comme c’est parfois déjà le cas aujourd’hui.
Face à ces évolutions, le monde agricole porte une double demande d’organisation et de régulation.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMAP, sera l’un des leviers d’une stratégie globale consistant à orienter la politique agricole vers plus de régulation. Je constate avec intérêt l’évolution des jugements sur ce texte. Ne nous faisons pas d’illusion : la LMAP n’est pas une baguette magique qui résoudra d’un seul coup l’ensemble des problèmes de la filière agricole. Aucune loi nationale concernant l’agriculture ne saurait l’être, d’ailleurs.
Il faut juger le texte pour ce qu’il est : une boîte à outils qui met en place des instruments utiles par leur combinaison : contrats, interprofessions, moralisation des relations commerciales pour la filière des fruits et légumes, assurance, plan régional de l’agriculture durable et foncier agricole. Toutes les mesures proposées vont dans le bon sens : celui du rééquilibrage des forces par une meilleure organisation des producteurs, la restructuration des marchés et l’organisation des filières.
La commission n’a pas remis en cause l’équilibre général du texte. Elle l’a toutefois beaucoup modifié, adoptant 123 amendements, provenant de tous les groupes. Elle a aussi réduit le nombre des ordonnances prévues par le projet de loi. De même, elle souhaite très clairement que le nombre de rapports soit le plus faible possible.
S’agissant du titre Ier, la commission a approuvé l’orientation prise en faveur d’une politique de l’alimentation, nouveau fondement de la légitimité d’une intervention publique dans le domaine de l’agriculture. Nous vous remercions, monsieur le ministre, d’avoir choisi de poser les fondements d’une politique publique de l’alimentation dans ce texte. En effet, tout est lié en matière d’agriculture et de consommation.
Le contenu du programme national pour l’alimentation a été enrichi, notamment pour permettre des actions en faveur des circuits courts.
L’alimentation passe par la connaissance des produits consommés. Aussi, la commission a ajouté un article 1er bis, qui fournit une base juridique pour imposer l’étiquetage obligatoire de l’origine des produits alimentaires, bruts ou transformés.
Les modalités d’application sont renvoyées à un décret, mais cet article permettra d’avancer. La commission appuie, par son texte, la position de la France dans les négociations menées actuellement au niveau européen pour modifier le règlement sur l’étiquetage des denrées alimentaires. Connaître la provenance de ce qu’il mange est un droit fondamental du consommateur.
La commission a également ajouté, au sein du titre Ier, un article concernant la formation obligatoire des professionnels en matière d’hygiène alimentaire et, sur proposition de notre collègue Françoise Férat, un article visant à moderniser l’enseignement agricole.
Le titre II est le cœur du texte. Nous avons souhaité en améliorer la rédaction pour que chacun des outils qu’il contient soit plus efficace.
À l’article 3, relatif aux contrats obligatoires, le texte de la commission tend à mettre en place un principe de subsidiarité : l’intervention des pouvoirs publics pour imposer le contrat ne sera possible que si l’interprofession n’arrive pas à s’entendre. Ce point me paraît très important.
Aux articles 4 et 5, la commission a souhaité renforcer l’encadrement des pratiques commerciales dans le secteur des fruits et légumes, en décidant, d’une part, que toute vente de fruits et légumes devrait faire l’objet d’un accord de prix conclu à l’avance, interdisant de fait la pratique du prix après vente et, d’autre part, que la pratique des trois « R » – remises, rabais et ristournes – serait désormais totalement proscrite, alors que votre texte, monsieur le ministre, ne prévoyait une telle interdiction qu’en cas de crise conjoncturelle.