Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner est très attendu par les agriculteurs et les acteurs de la ruralité, car les choix que nous ferons conditionneront l’avenir d’un secteur économique majeur de notre pays, mais aussi celui de nos territoires ruraux, notamment en moyenne montagne, où les actifs agricoles représentent une part importante des emplois.
Tous les orateurs qui m’ont précédé l’ont dit, nos agriculteurs doivent aujourd’hui faire face à une crise sans précédent : c’est toute notre ruralité qui est menacée par cette situation, malheureusement inscrite dans la libéralisation des marchés.
Les plus fragiles ne peuvent plus faire face, et ce sont près de 4 % de nos exploitations qui disparaissent chaque année. Les territoires ruraux, notamment dans les zones d’élevage extensif, subissent des pertes démographiques d’une ampleur qui remet en cause leur avenir.
Nos agriculteurs, impuissants face à la volatilité des prix et au poids des grands groupes alimentaires, dont ils sont de plus en plus dépendants; nourrissent par ailleurs de vives inquiétudes face aux orientations de la PAC 2013.
Si le commissaire européen à l’agriculture a été rassurant sur ce point lors de son audition au Sénat, aujourd’hui, c’est l’incertitude pour nos agriculteurs, et toute notre société est concernée.
En effet, la maîtrise de l’évolution de la concentration urbaine, la sécurité et la qualité de notre alimentation ou encore les grands équilibres écologiques sont au cœur des débats qui s’ouvrent ici aujourd’hui.
Dans ce contexte, notre appareil économique agricole et agroalimentaire a besoin de réponses structurelles pour s’adapter à ces enjeux et aux conséquences de la mondialisation des marchés dans une Europe de plus en plus libérale.
C’est le sens de ce texte, qui a fait l’objet d’une large concertation, donné lieu à plus de cent auditions au Sénat et qui est le fruit d’un travail de fond de notre ministre, de nos rapporteurs et de la commission, travail que nous nous devons de saluer.
Cela ne vous surprendra pas, monsieur le ministre, c’est en tant que représentant des élus de la montagne et de l’Association des maires de France que j’évoquerai quelques sujets particulièrement sensibles… sans pour autant aborder les biens de section (Sourires), question sur laquelle nous reviendrons d’ailleurs dans le cadre de la discussion des articles.
Les élus de la montagne mènent un combat incessant pour une meilleure reconnaissance des handicaps inhérents à la spécificité de leurs territoires, où les modes d’exploitation sont plus difficiles qu’ailleurs et moins rentables.
Pourtant, cette agriculture de montagne crée des produits d’une grande qualité, basée sur la richesse de nos savoir-faire, et joue un rôle fondamental pour le maintien de notre biodiversité.
Aussi, elle doit être encouragée par une juste rémunération de ses filières de qualité, qui peuvent générer une réelle valeur ajoutée, notamment en développant les circuits courts, aspect qui constitue une des orientations intéressantes du présent projet de loi
Cependant, il faudra veiller à ce que les modes de contractualisation prévus prennent en compte la spécificité de ces productions et la nature des charges qui s’imposent à elles, notamment pour les productions sous signe de qualité reconnue. C’est tout le débat de l’avenir des productions AOC qui est en jeu ici, mais aussi celui de la réelle reconnaissance d’une dénomination officielle de l’appellation « montagne » fondée sur de réels critères de qualité.
Plus généralement, dans le contexte actuel, la contractualisation est sans doute nécessaire, mais elle doit être mise en place avec le souci de ne pas conduire à l’intégration, contraire à la culture même de nos agriculteurs et à la tradition agricole, contraire à la liberté d’entreprendre.
Seule une politique vigoureuse de régulation européenne en amont pourra juguler les risques d’effets pervers de cette contractualisation et, à titre personnel, je reste convaincu que la maîtrise de la production constitue la seule vraie garantie de régulation. Après tout, il n’est peut-être pas utopique de penser que ce débat pourrait être remis sur la table sous de nouvelles formes…
En ce qui concerne le statut d’agriculteur entrepreneur, si j’estime que le fléchage des soutiens publics en faveur d’une agriculture durable et sécurisée est justifié, je partage la position du rapporteur,…
M. Gérard César, rapporteur. Ah !
M. Pierre Jarlier. … qui a conduit à la suppression de l’article.
C’est en effet au Parlement de définir le statut de l’agriculteur entrepreneur.
J’ajoute qu’il faut absolument éviter une agriculture à deux vitesses, qui verrait certains agriculteurs, notamment les plus petits, privés des soutiens publics en raison de la nature de leur statut.
Concernant les mesures qui intéressent particulièrement les collectivités, j’évoquerai trois points sensibles.
En premier lieu, le texte initial du Gouvernement prévoyait la création d’une taxe en cas de cession d’un terrain nu devenu constructible à la suite d’une modification des documents d’urbanisme ; cette taxe, qui se serait appliquée à toutes les communes, aurait été perçue par l’État alors que la compétence « urbanisme » relève des communes.
Or il existe déjà une taxe forfaitaire levée à l’initiative des communes, qui a pour vocation de compenser une part des investissements d’équipement engagés par les communes pour rendre les terrains constructibles.
La commission a choisi de supprimer l’article relatif à cette taxe : c’est une excellente initiative, car il serait difficile de déterminer sa justification, et son niveau ne la rendrait pas dissuasive.
En deuxième lieu, la commission de la consommation des espaces agricoles donne un avis consultatif sur toute question relative à la régression des surfaces agricoles.
En l’état, l’esprit du projet de loi est satisfaisant dans la mesure où l’avis de cette commission reste consultatif et que les collectivités compétentes en matière d’urbanisme sont également associées.
Toutefois, on peut regretter qu’une nouvelle entité soit créée : même s’il s’agit d’une section spécifique des CDOA, les commissions départementales d’orientation de l’agriculture, la commission de la consommation des espaces agricoles constitue en effet une nouvelle couche du « magma » des commissions auquel les élus ont de plus en plus de mal à faire face.
C’est en amont qu’il faudra mieux encadrer l’évolution de l’urbanisation, avec la généralisation des SCOT, décidée au Sénat, sur l’initiative du président de la commission de l’économie, dans le cadre du Grenelle II, ou avec une incitation plus forte à l’élaboration de documents d’urbanisme à une échelle pertinente.
Enfin, en troisième lieu, je veux parler de la restauration scolaire.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Pierre Jarlier. Le projet de loi rend obligatoire l’application des recommandations adressées aux collectivités et se réfère à un décret qui prescrit le contenu des règles nutritionnelles obligatoires.
Le projet d’arrêté, qui, à ma connaissance, est déjà en cours de préparation, prévoit notamment le respect de portions spécifiques par aliment, par âge et par enfant.
Mme Nathalie Goulet. C’est déjà fait !
M. Pierre Jarlier. Ce dispositif est inadapté à la réalité quotidienne de la grande majorité des cantines scolaires, notamment en milieu rural.
Il entraînera de nouvelles charges qui impacteront le prix des repas. Oui, il faut rendre certaines recommandations obligatoires dans l’intérêt des enfants, mais définir un cadre trop rigide pour les portions alimentaires reviendrait à exclure les circuits courts de la restauration scolaire, au bénéfice des grandes sociétés spécialisées dans la préparation des repas, ce qui irait à l’encontre de l’esprit de ce texte et remettrait en cause la pérennité de nombre de petites cantines scolaires, très appréciées en milieu rural.
M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui !
M. Pierre Jarlier. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus comme les organisations agricoles seront très attentifs à l’évolution de ce texte dans le débat parlementaire, car l’avenir de la plupart des territoires ruraux est directement lié au maintien de la présence forte d’une agriculture familiale, à échelle humaine.
C’est un enjeu capital pour un aménagement du territoire équilibré et porteur de cohésion sociale.
C’est aussi un enjeu considérable de développement durable, car nos agriculteurs sont en première ligne face à ce défi qui nous concerne tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Alain Vasselle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre agriculture est en situation de naufrage.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, pratiquement toutes les exploitations agricoles sont en perdition, dans l’ensemble des filières, les plus touchées étant les filières élevage, les filières végétales et les filières fruits et légumes.
La profession vous a lancé un appel au secours à la fin de l’été dernier ; vous leur avez lancé une bouée de sauvetage dès l’automne. Vous avez colmaté quelques brèches des embarcations en maintenant la plupart hors d’eau, mais la tempête sévit toujours !
Il vous faut consolider les embarcations si vous ne voulez pas qu’elles soient emportées par les flots de la volatilité des cours.
Le Président de la République, en commandant de la flotte, vous a invité à imaginer la boîte à outils qui devrait permettre à la profession de résister à ce grand creux et d’éviter le péril dans l’immédiat. Ainsi venez-vous défendre aujourd'hui devant le Parlement ce projet de loi de modernisation de l’agriculture.
Que faut-il attendre de la future loi ? Va-t-elle répondre de manière durable aux difficultés économiques de notre agriculture ?
Ces difficultés sont-elles conjoncturelles ou structurelles ? Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet…
Les mesures que vous nous proposez, monsieur le ministre, ont, pour nombre d’entre elles, un caractère structurel. Elles restent cependant soumises aux aléas du marché, qu’il s’agisse de l’Observatoire des prix et des marges ou de la contractualisation.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est vrai !
M. Alain Vasselle. Les dispositifs d’assurance concernant les aléas climatiques et les revenus devraient en partie répondre aux situations les plus préoccupantes. Cependant, ils ne permettront en aucun cas à ce stade de remettre à flot sans risque les exploitations agricoles.
Les vraies réponses, c’est de l’échelon européen que nous les attendons, avec la remise en service d’outils de régulation des marchés et la mise en place d’un filet de sécurité, comme celui que les Américains assurent à leurs agriculteurs.
Quelles sont, monsieur le ministre, les chances pour notre pays d’obtenir une réponse à ces attentes ?
Sans prix à la hauteur des coûts de production, à la couverture des amortissements et à l’obtention d’un revenu décent, cette loi risque d’être source de déception !
Quelques-uns de vos prédécesseurs avaient tenté de s’aventurer dans l’exercice auquel vous nous invitez, mais sans succès. Il leur était opposé – ou il était opposé à nos amendements – des contre-indications européennes. Je pense notamment à l’encouragement aux accords interprofessionnels ou aux groupements qui auraient pu se heurter aux règles de la concurrence.
La boîte à outils que vous nous proposez permettra sans doute le pilotage et le contrôle de certains risques, mais en quoi permettra-t-elle de peser sur les marchés pour assurer aux agriculteurs le revenu indispensable à leur survie et à la vie durable de leurs exploitations ?
Quelles sont vos intentions, monsieur le ministre, à défaut de prix « porteurs », en matière de baisse des charges, d’allégement de la réglementation ou d’encouragement à la diversification dans des conditions économiques viables ?
À titre d’exemple, quelles initiatives prendrez-vous pour limiter le poids des normes, qu’elles soient sociales ou environnementales ?
Coût de la main-d’œuvre, mesures relatives aux installations classées, obligation de couverture hivernale des sols, règles relatives à l’utilisation des produits phytosanitaires, politique de soutien à la production d’énergies renouvelables, coût du transport des matières premières, service public de l’équarrissage, accès aux biotechnologies, taux de change intracommunautaire, tout cela pèse lourdement sur la compétitivité de nos exploitations.
À quelle harmonisation des normes au niveau européen faut-il s’attendre ?
Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que les agriculteurs allemands ou suédois soient plus compétitifs que les agriculteurs français ?
Enfin, pourriez-vous nous donner quelques indications quant à vos intentions en ce qui concerne le devenir du FFIPSA, le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, qui reste déficitaire ?
Les attentes sont donc nombreuses : merci, monsieur le ministre, de ne pas décevoir la profession ! Vous avez déjà beaucoup œuvré pour elle, en obtenant des résultats positifs limitant la casse.
C’est l’avenir de notre agriculture qui est en jeu ; nous comptons sur vous, comme vous pouvez compter sur le soutien du Parlement dans votre combat européen pour la défense des prix et de notre économie agricole. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
M. Jean-Jacques Mirassou. Dommage, car on n’a pas tout dit !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie chacun d’entre vous de ses remarques, de ses propositions et de ses questions. Je vais vous répondre en commençant par souligner les points d’accord, pour passer ensuite aux points, moins nombreux, de désaccord, qui ressortent de vos interventions.
Les points d’accord correspondent aux points essentiels de cette loi qui, je tiens à le dire, n’est pas une « boîte à outils » mais marque un changement important dans le cap que nous fixons à l’agriculture française.
Il y a accord d’abord sur l’objectif, à savoir l’alimentation de tous les Français ; une alimentation sûre, une alimentation saine, voilà le vrai défi de l’agriculture française, comme le défi de l’agriculture européenne sera de garantir la sécurité alimentaire et sanitaire des 500 millions de citoyens européens.
Si nous ne parvenons pas à assurer cette légitimité à l’agriculture européenne, nous n’assurerons pas en regard la légitimité nécessaire à la politique agricole commune.
Le deuxième point d’accord sur lequel je tiens à insister dès maintenant et qui a été souligné en particulier par Jacques Blanc et Pierre Jarlier, c’est la nécessité de préserver la diversité de l’agriculture française.
Notre agriculture ne ressemble pas et ne ressemblera jamais à l’agriculture de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Danemark ou d’autres pays du Nord. Ce n’est pas souhaitable, ce n’est pas ce qu’attendent les agriculteurs et ce n’est pas l’intérêt de notre pays.
Il est bon de rappeler, ensuite, et c’est notre troisième point d’accord, que l’agriculture française a des atouts, un potentiel et un bel avenir devant elle si nous savons prendre les bonnes décisions au bon moment. Tel est l’objet du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter.
Le quatrième point d’accord concerne la nécessité de bâtir une régulation européenne des marchés agricoles.
Aucun gouvernement n’a fait autant pour la régulation européenne que celui de François Fillon, sous l’impulsion du Président de la République. Nous avons obtenu en ce domaine des résultats concrets, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir.
Le cinquième point d’accord pourra faire l’objet d’un large consensus : il s’agit de saluer le travail remarquable des rapporteurs, Gérard César et Charles Revet, qui a permis, sous l’impulsion du président de la commission de l’économie du Sénat, Jean-Paul Emorine, d’améliorer considérablement le texte du Gouvernement. Je suis certain que le débat en séance publique nous permettra de l’améliorer encore davantage.
Je tiens à le dire à Jean-Jacques Mirassou, avec un peu de malice : ce travail sérieux et rigoureux n’a pas été fait à la hâte, mais sur le long terme. Des centaines d’auditions et de consultations ont été menées, durant plusieurs mois, pour obtenir un résultat à la hauteur des enjeux. Le texte que le Gouvernement vous propose n’a donc pas été écrit à la va-vite, mais il est l’expression d’une réflexion profonde.
Le principal point de désaccord est résumé dans l’intervention de Bernard Cazeau.
Ce projet de loi, monsieur le sénateur, n’a rien de partiel ou de superficiel : il ne reste pas à la surface, mais traite le fond des problèmes.
Vous reprochez au Gouvernement de n’avoir aidé les agriculteurs, au travers du plan d’urgence, qu’à hauteur de 1,8 milliard d’euros sous forme de prêt à taux bonifié. Vous oubliez qu’il leur a également accordé une aide budgétaire de 650 millions d’euros.
Selon vous, les contrats ne représentent pas un changement majeur pour l’agriculture. Au contraire ! Les contrats sont la seule garantie pour les agriculteurs de bénéficier d’un revenu stable et d’une visibilité sur leurs revenus dans les années à venir. Je n’ai entendu aucune proposition alternative au contrat, sur quelque travée que ce soit, permettant de stabiliser le revenu des agriculteurs. Il s’agit bien d’un changement important ; la preuve en est que cette proposition sera reprise à l’échelon européen.
Le dispositif relatif aux terres agricoles est insuffisant, dites-vous. Or je n’ai jamais vu, dans les lois d’orientation agricole présentées par le parti socialiste, de dispositions permettant d’enrayer l’hémorragie des terres agricoles ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Vous trouvez également insuffisant le dispositif assurantiel. C’est pourtant un changement majeur, qui est attendu par les agriculteurs. Ce n’est tout de même pas le budget de l’État ou les finances publiques qui permettront de protéger les agriculteurs contre les risques les plus importants !
Enfin, vous avez dit que la régulation européenne n’apportera pas un changement important et que le Gouvernement n’a rien obtenu en la matière.
Je vous rappelle que le principe des quotas laitiers a été défendu en 1999 par le gouvernement de M. Jospin, qui s’est fait sèchement battre par l’ensemble des pays européens, à Bruxelles. Le démantèlement des quotas date de cette époque ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Sur tous ces sujets, vous avez violemment attaqué le Gouvernement. Je tiens donc à vous faire part de ma conviction de fond, qui est aussi une remarque de politique générale : les actions lancées par le Gouvernement pour répondre aux inquiétudes des agriculteurs français, aux échelons national et européen, seront plus efficaces que la société du care dont on nous a récemment parlé.
M. Jean-Jacques Mirassou. Personne n’a compris !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’en viens au périmètre de la loi.
Le problème des retraites agricoles a été évoqué, à juste titre, par des orateurs de toutes tendances. Il s’agit effectivement d’un sujet important, qui mérite d’être traité.
Nous avons été reçus par Éric Woerth afin d’examiner le moyen de poursuivre la revalorisation des petites retraites agricoles, que nous avons engagée voilà deux ans. Nous étudions actuellement la mise en place de dispositifs qui permettront à tous les agriculteurs de bénéficier du minimum vieillesse.
Vous avez raison, monsieur Le Cam, il s’agit d’un sujet majeur. Trop d’agriculteurs touchent, encore aujourd’hui, une retraite de l’ordre de 510, 520 ou 530 euros, alors que le minimum vieillesse s’élève à plus de 700 euros. Ce n’est pas acceptable ! Nous trouverons des solutions concrètes pour remédier à cette situation.
S’agissant des négociations internationales, la loi n’a évidemment pas pour rôle de définir l’orientation des positions françaises. Mais je tiens à répondre à Jean-Michel Baylet, qui a abordé cette question, que nous continuerons à défendre vigoureusement la position qui est la nôtre : nous avons atteint la limite extrême des concessions possibles en matière agricole dans le cadre de l’OMC, et nous n’irons pas plus loin.
J’ajoute, monsieur Le Cam, que nous sommes opposés à toute concession supplémentaire dans le domaine agricole, dans le cadre de l’OMC ou dans celui des négociations avec le MERCOSUR, car elle se solderait inévitablement, comme vous l’avez dit, par de nouvelles difficultés pour plusieurs filières, notamment celle de l’élevage.
Toutes les promesses faites par le Gouvernement en matière d’aides agricoles et de cohérence entre ces aides et la politique gouvernementale de rétablissement des finances publiques seront tenues, et toutes les aides promises seront versées. Mais, s’agissant des aides supplémentaires, je préfère consacrer les moyens dont nous disposons à des dépenses d’investissement et d’avenir plutôt qu’à de nouvelles aides immédiates qui disparaîtront « dans le sable », et j’assume cette décision.
Mieux vaut consacrer 100 millions d’euros à la modernisation des exploitations, et notamment à des investissements en matière de diagnostic énergétique, plutôt qu’à la prise en charge d’une nouvelle tranche d’intérêts d’emprunt, qui n’aura aucun effet à long terme sur la situation des agriculteurs. Bien entendu, j’aimerais pouvoir faire les deux. Mais il me semble plus raisonnable, dans le contexte budgétaire actuel, d’assumer une décision claire pour toute nouvelle dépense.
Mme Odette Herviaux a longuement parlé des prix, et à juste titre. Cette question majeure pour l’agriculture de demain fera l’objet du troisième point de mon intervention.
Comment définir des prix qui soient suffisamment rémunérateurs pour les agriculteurs français, c’est-à-dire qui leur permettent de couvrir les coûts de production ? La crise ne se définit pas seulement d’un point de vue statistique ou administratif. Il y a crise lorsque les prix agricoles ne couvrent plus les coûts de production.
Comme l’ont dit Didier Guillaume et Alain Fauconnier, pour sortir de la crise, il faut réévaluer les prix afin qu’ils soient suffisamment rémunérateurs pour les agriculteurs français.
Permettez-moi de préciser quel cap nous nous sommes fixé au travers de ce texte.
Contrairement à d’autres pays européens, notre objectif n’est pas de rechercher le prix le plus bas possible. C’est une voie que nous avons trop longtemps empruntée. Or tirer le plus possible ce prix vers le bas, c’est oublier que la production agricole a un coût, qui est supporté par les agriculteurs. Je préfère, pour ma part, un prix juste et rémunérateur, et j’assume ce choix. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, mais elles sont indispensables si nous voulons préserver l’agriculture française.
Je souhaite que nous parvenions à établir un prix qui soit le plus juste possible, c’est-à-dire compatible avec les coûts de production assumés par les agriculteurs, et que l’Observatoire des prix et des marges devrait permettre de définir. Je souhaite également que nous modifiions les règles de la commercialisation afin de faire bénéficier les producteurs agricoles de l’augmentation du prix. C’est une preuve supplémentaire du fait que cette loi n’est pas une boîte à outils !
La question de la compétitivité a été abordée à plusieurs reprises. Cette question, que nos partenaires européens nous posent aussi, ne saurait être écartée d’un revers de la main, comme si elle n’existait pas. Elle conditionne en effet la préservation de nos marchés, de nos parts de marché, et donc des débouchés pour nos produits agricoles.
Si nous faisions l’impasse sur la compétitivité, en estimant que ce problème n’est pas idéologiquement acceptable, les importations augmenteraient encore davantage. Je rappelle que les importations de lait frais en provenance d’Allemagne ont augmenté de 70 % depuis janvier 2010, que la production française de fruits et légumes a diminué au profit de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne, et que notre filière porcine souffre terriblement de la concurrence imposée par nos voisins allemands. En Allemagne, par exemple, 50 % des porcs sont abattus dans trois abattoirs seulement !
Telle est la réalité de la concurrence à laquelle nous devons faire face. On peut la nier ou estimer que ce sujet n’est pas intéressant. Les producteurs savent bien, quant à eux, que nous devrons traiter cette question. C’est ce que nous ferons, grâce au plan de développement des filières.
Vous ne pouvez pas, monsieur Muller, écarter la question de la compétitivité, même si c’est intellectuellement satisfaisant. Les agriculteurs savent pertinemment qu’ils doivent affronter des concurrents, et nous devons leur donner les moyens de lutter à armes égales.
Je vous rejoins toutefois sur un point : la compétitivité n’est pas incompatible avec le développement durable, bien au contraire.
Vous dites que le projet de loi ne prévoit aucune disposition permettant de concilier compétitivité des agriculteurs et développement durable. C’est faux ! Le Gouvernement consacre, cette année, 30 millions d’euros pour aider les agriculteurs à établir un diagnostic énergétique et à financer des installations de méthanisation. Grâce à ces mesures concrètes, nous pourrons concilier les impératifs de compétitivité, de prix agricoles rémunérateurs et de développement durable.
Le quatrième point de mon propos, qu’a longuement évoqué Daniel Soulage, concerne l’assurance agricole, chère au cœur de Jean-Paul Emorine.
Ce projet de loi pose le principe de la réassurance publique dans l’agriculture. C’est un changement de cap majeur ! Cela montre bien, là encore, que ce texte n’est pas une boîte à outils. Aucun gouvernement précédent, de droite ou de gauche, n’a réussi à imposer ce principe.
Les agriculteurs pourront désormais bénéficier d’instruments assurantiels, quelles que soient les filières concernées, y compris celles de l’élevage ou des fourrages. Toutes les filières agricoles auront donc les moyens de s’assurer, comme c’est déjà le cas dans les autres pays européens. Cette réforme importante et utile permettra aux agriculteurs de se prémunir contre les aléas que j’ai eu l’occasion de mentionner.
Gérard Le Cam a souligné, avec beaucoup de justesse, qu’il fallait éviter les effets d’aubaine. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne met pas en place immédiatement le dispositif de réassurance publique, mais en pose seulement le principe. Nous voulons en effet étudier, au préalable, les voies et moyens permettant aux assureurs privés de faire de la réassurance, avant que l’assurance publique puisse jouer.
En d’autres termes, nous calquerons le dispositif sur le modèle en vigueur pour le risque terroriste. Ce sera aux assureurs privés de prévoir un dispositif de réassurance en cas de risque important. Ainsi, la réassurance publique n’interviendra qu’en cas de circonstances exceptionnelles, par exemple si l’ensemble du territoire français était touché par la sècheresse.
Mais, je le répète, il faut éviter les effets d’aubaine. Les assureurs privés doivent exercer toutes leurs responsabilités. La réassurance publique ne doit jouer qu’en toute dernière instance. Ces remarques s’adressent à Gérard Le Cam et à Yannick Botrel.
Le caractère obligatoire de l’assurance a été évoqué à plusieurs reprises, notamment par Didier Guillaume, Daniel Soulage, Jean-Paul Emorine et Aymeri de Montesquiou. Sur ce point, mon opposition est non pas de principe, mais pragmatique.
En effet, en l’espèce, je veux bien essayer de faire modifier les règles européennes, mais j’ai l’humilité de reconnaître que ce sera probablement l’un de mes successeurs qui, s’il le veut également, y parviendra. Si j’échoue dans cette voie et si la France met en place un système d’assurance obligatoire, le principe de subsidiarité jouera à plein et notre pays perdra les 100 millions d’euros de subventions européennes dont il bénéficie au titre de l’assurance. Très concrètement, la mise en place d’un tel dispositif assurantiel coûtera chaque année 380 millions d’euros au budget de l’État, avec un niveau de subvention de 50 %, au lieu du taux de 65 % que nous permet d’atteindre l’Union européenne.
C’est pour cette raison toute pragmatique que je préfère renoncer, pour le moment, à l’assurance obligatoire et mettre sur pied un dispositif fortement incitatif, avec un taux de subvention de 65 %.
Monsieur Muller, je vous le répète : il ne s’agit absolument pas d’un dispositif néolibéral. Les néolibéraux seraient-ils prêts à subventionner des primes assurantielles à hauteur de 65 % ? Je suis sûr et certain qu’un véritable néolibéral n’accepterait jamais de mettre en place un dispositif de réassurance publique, une telle démarche étant opposée à sa doctrine. C’est au contraire un principe de régulation majeure que nous posons dans le présent projet de loi.
Un cinquième point est au cœur de nos discussions, celui des contrats. Jean-Michel Baylet a utilisé une belle expression, disant que les contrats sont nécessaires à une relation transparente et équilibrée entre les acteurs de la filière. C’est ce que nous voulons justement construire. Comme Didier Guillaume et Jean-Pierre Raffarin l’ont affirmé, ce système est inspiré du modèle coopératif, aux vertus duquel je continue à croire, indépendamment des critiques que j’entends ici ou là.