M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis plus d’un an que j’ai l’honneur de siéger à la Haute Assemblée, je me suis impliqué dans de nombreux projets de réforme présentés et défendus par le Gouvernement. Dans tous les textes où nos établissements et services publics étaient en cause, j’ai vu des intérêts privés commerciaux profiter des réformes, sans garantir la moindre retombée positive pour la collectivité.
Il en va ainsi de la « mutation », pour ne pas dire de la suppression, à terme, du service public hospitalier, de l’abandon du fret de proximité aux opérateurs privés, ou encore de la « transformation » du statut de La Poste, c'est-à-dire la prochaine ouverture aux fonds privés, pour ne citer que ces exemples.
À chaque fois, ces réformes ont été menées tambour battant, sous couvert de RGPP et d’efficience, à chaque fois également pour « sauver » un organisme public asphyxié par le désengagement de l’État.
Or telle n’est pas la raison d’être de ce nouveau projet de loi. Si ses promoteurs se proposent d’ouvrir le monopole actuel des jeux d’argent et de hasard aux opérateurs privés, le texte ne répond à aucune nécessité curative pour nos opérateurs historiques. Le PMU et la Française des jeux se portent bien, alimentent les recettes de l’État, participent au financement de la filière sportive, créent des emplois, contribuent à l’aménagement du territoire, préservent le tissu économique
Vous avez avancé, monsieur le ministre, successivement il est vrai, d’autres raisons pour justifier cette réforme.
Vous avez d’abord argué d’un impératif européen de libéralisation du marché, mais vous avez été démenti par la Cour de justice des Communautés européennes qui, dans un arrêt du 8 septembre 2009, nous confirme que les raisons impérieuses d’intérêt général priment celles du marché et autorisent les États nationaux à maintenir une organisation monopolistique des jeux d’argent.
Changement de pied, vous avez alors plaidé que seule l’ouverture serait à même « d’assécher » l’offre illégale de jeux en ligne. C’est mathématiquement impossible : que pèseront 50, 100, voire 500 opérateurs agréés par l’ARJEL face aux 25 000 sites illégaux actuels ? Il est au surplus totalement illogique de prétendre que l’ARJEL sera à même de réaliser ce que l’État ne fait pas lui-même. L’argument est donc doublement irrecevable.
De mauvais esprits ont prétendu établir un lien rétrospectif entre les dirigeants de grandes entreprises privées, notamment des médias et télécommunications, qui spéculent déjà sur la manne des paris en ligne, et un groupe de dîneurs anodins réunis autour du Président de la République un soir de mai 2007. Mais seul le hasard n’en doutons pas a permis que ces dirigeants et ces convives soient en réalité les mêmes. Il suffit de surcroît de ne plus clairement faire la part entre le domaine public et le domaine privé pour n’y voir aucun conflit d’intérêt.
Mais la représentation nationale mérite de meilleures explications que ces faux-semblants et, hors cette dernière hypothèse farfelue – celle de satisfaire aux intérêts privés de quelques-uns –, aucun motif d’intérêt général ne vient expliquer et justifier la nécessité que nous aurions de légiférer en faveur d’une libéralisation des jeux d’argent et des paris en ligne.
J’entends bien le discours rassurant qui nous est tenu d’une ouverture encadrée et limitée, un discours ambitieux même qui n’exclut pas de « servir de modèle à une régulation européenne des paris en ligne ».
À cet égard, l’article 1er A de ce projet de loi emporterait l’adhésion s’il n’était le reflet d’un double langage. L’encadrement « strict » qu’il prévoit sur les jeux d’argent et de hasard, au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé, suffit en lui-même à inscrire dans la loi le principe du monopole actuel. L’adjectif « strict » signifie en effet, si l’on regarde la définition dans le Larousse, « qui ne laisse aucune liberté ».
La conséquence nécessaire et logique de cette stricte condition serait de confier l’organisation des jeux d’argent et des paris aux opérateurs historiques. Eux seuls seraient à même de garantir la mise en place d’un encadrement effectivement strict. Nous matérialiserions ainsi ce qui n’est pour l’heure qu’une pétition de principe, dont le propre est de n’être pas normative.
En réalité, le moins que l’on puisse dire est que les modalités proposées pour cette ouverture suscitent de fortes inquiétudes.
Elle présente, en premier lieu, le risque évident « d’assécher », non pas le jeu illégal, cela est illusoire, mais bien plutôt le seul qui soit autorisé actuellement, et ce au détriment de la filière hippique et de la Française des jeux. Ce risque est tel qu’il a suscité l’ajout unanime par nos collègues députés d’un cinquième alinéa à l’article 1er destiné à « éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ».
Monsieur le ministre, la régulation que ce projet de loi met en place nécessitera d’être encore enrichie par d’autres garanties pour devenir aussi « crédible et équilibrée » que vous le dites. Je pense au pari à cote fixe, dont il faut proposer la suppression ; à la volonté d’être opérationnels pour la Coupe du monde de football – merci Henry ! - qui risque d’entraîner l’attribution d’agréments « allégés » par l’ARJEL ; et à l’ouverture « amnistiante » que pourrait entraîner l’entrée en vigueur de la loi pour tous ceux qui opèrent aujourd’hui illégalement.
En second lieu, mon inquiétude tient au fait que la multiplication des opérateurs, d’une part, la viabilité et la rentabilité des agréments, d’autre part, emportent nécessairement une augmentation constante du nombre de joueurs en ligne, à laquelle ils sont conditionnés, et donc une augmentation corrélative des risques d’addiction. De même, baisser encore le taux de prélèvement implique, pour compenser la perte de recettes, d’élargir l’assiette, donc le nombre de joueurs.
À cet égard, je citerai simplement le professeur de psychiatrie Michel Lejoyeux, chef de service à l’hôpital Bichat, qui estime « qu’il existe une règle simple pour toutes les addictions : l’augmentation de l’offre augmente le risque qu’une personne potentiellement dépendante le devienne ». Il se dit particulièrement inquiet de l’impact des nouvelles publicités qui vont apparaître. Nous y reviendrons à l’article 4 bis.
Vous ne pouvez, sans contradiction flagrante, prétendre prévenir l’addiction avec de telles mesures qui sont précisément la cause du phénomène.
Ce projet de loi marque une rupture importante. Quel avenir trace-t-il ? Au regard des exigences européennes, une ouverture du marché, même régulée, amoindrit automatiquement, par contrecoup, le caractère impérieux de l’intérêt général. En d’autres termes, une ouverture mesurée abaisse nécessairement les impératifs d’ordre public et social que le monopole reconnu au PMU et à la Française des jeux avait placés en haut de l’échelle.
La perspective est donc celle d’une régulation toujours moins justifiable à Bruxelles et il faudra céder toujours plus aux opérateurs jusqu’à l’ouverture complète. Ce projet de loi signe inéluctablement la disparition, à terme, de nos opérateurs historiques.
Est-il besoin d’exposer les conséquences économiques et sociales qu’entraînerait l’étouffement de notre filière hippique, dont le financement est assuré par les paris ? Les paris financent les courses, qui en sont le support. Dans mon département, la filière du trot illustre bien l’ancrage dans le territoire et dynamise son développement économique.
J’exprimerai ici encore une crainte ultime. Sans rien méconnaître de l’utilité, de la nécessité aujourd’hui d’internet – ce serait idiot ! – et parce que nous en connaissons aussi les méfaits, il est de notre responsabilité d’en limiter si possible l’usage dans certains domaines.
Internet est un plaisir solitaire, alors que les jeux d’argent et de hasard « en dur » obligent encore le joueur à sortir de chez lui pour se rendre au PMU ou au café-tabac du coin. Au-delà des risques de « la toile » pour la santé publique, une autre question se pose également à nous, qui vraisemblablement nous sépare : celle du vouloir faire vivre ensemble. Nous nous opposerons donc à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur le président, je souhaite maintenant répondre aux différents intervenants.
Monsieur Dupont, vous avez évoqué le nombre d’emplois directs et indirects induits par la filière hippique. Le rapport du PMU de 2008, auquel je me suis référé, indique que ce chiffre s’élève à 70 000, ce qui est considérable.
Vous avez repris l’ensemble du projet de loi tel que nous avons pu l’examiner en commission des finances et vous avez confirmé votre attachement au Comité consultatif des jeux dont vous proposez la création. Ce point, très important, sera discuté ultérieurement.
Par ailleurs, s’agissant du calendrier, vous avez rappelé l’historique de la présentation du projet de loi qui est aujourd'hui soumis à l’examen du Sénat.
À ce sujet, certains orateurs ont soutenu que le Gouvernement travaillait dans l’urgence et voulait brader la discussion afin d’aboutir à l’adoption d’un texte avant la Coupe du monde de football…
M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !
M. Éric Woerth, ministre. Quoi qu’il en soit, après avoir été soumis au conseil des ministres au mois de juin 2008 puis examiné par l’Assemblée nationale voilà quelques mois, le présent projet de loi est aujourd’hui soumis au Sénat. Le moins que l’on puisse dire est que la procédure n’est pas d’une rapidité excessive ! Le Gouvernement a laissé du temps à la discussion, notamment au sein de la société dans son ensemble, et à la prise en compte des problèmes de santé, notamment.
Monsieur Trucy, je vous remercie du travail que vous avez réalisé. Nous le poursuivrons aujourd'hui et demain.
M. About, rapporteur pour avis, a appelé l’attention sur les aspects sanitaires et sociaux de l’ouverture à la concurrence du marché des jeux, dimension des problèmes auquel je le sais toujours très vigilant. Loin d’assaisonner d’une pincée de sanitaire et social le fameux pâté d’alouette – un cheval, une alouette !- le Gouvernement a réalisé un travail très équilibré.
Le jeu pose les problèmes du contrôle et de l’addiction, du rapport social que d’aucuns peuvent entretenir avec lui. Il conduit à évoquer les plus fragiles, les mineurs mais aussi les personnes faibles qui peuvent à un moment donné se laisser entraîner.
Sur ces sujets, le projet de loi comporte de nombreuses propositions, élaborées en collaboration avec les professionnels concernés, afin de construire un système équilibré et très protecteur.
Monsieur Ambroise Dupont, le calendrier, certes tendu, pourra être respecté, si aucun grain de sable ne vient se glisser dans le processus tel que nous le prévoyons.
Le présent projet de loi devrait être adopté à la fin du mois de mars, puis promulgué au mois d’avril. Ce même mois sera consacré à la publication des décrets et à la constitution de l’ARJEL. Le mois de mai sera réservé à l’instruction des candidatures, sachant que le cahier des charges sera préparé en temps masqué.
Monsieur de Montgolfier, à l’issue de cette procédure, des agréments devraient être octroyés aux nouveaux jeux qui commencent à se diffuser en France, conformément à la position du Gouvernement. Il y aura donc bien agrément, et toute solution différente serait en contradiction avec ce que nous n’avons cessé de défendre.
En matière de fiscalité, personne ne détient la vérité. Le Gouvernement, il est vrai, abaisse le taux de la fiscalité. De ce fait, le réseau du PMU, réseau « en dur » par excellence, bénéficiera d’un gain très substantiel.
Dans le même temps, parce que la fiscalité est très « sensible », si je puis dire, le Gouvernement entend sécuriser les recettes fiscales de l’État et se rattraper sur le volume et élargit en contrepartie l’assiette. N’allez pas croire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement souhaite inciter nos concitoyens à jouer plus : il s’agit de leur permettre de le faire en toute légalité. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) N’oubliez pas que les Français jouent déjà ! Il suffit d’allumer son ordinateur pour pénétrer dans un monde totalement irréel et illégal. Si vous niez la réalité de ces jeux illégaux, vous nous condamnez à continuer de jouer aux gendarmes et aux voleurs, à multiplier les dépôts de plaintes, tout cela pour n’obtenir que de rares poursuites et le plus souvent pour aboutir à un renvoi préjudiciel. Si vous voulez poursuivre dans cette voie, fort bien ! Demeurez aveugles et sourds et combattez pour le maintien du monopole en France… Mais telle n’est pas la réalité.
M. François Marc. La réalité, c’est la misère des gens !
M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement, en instaurant une taxation, veut faire passer certaines pratiques de l’ombre, c’est-à-dire de l’illégalité, à la lumière, autrement dit à la légalité, mais à une légalité maîtrisée. C’est évidemment nettement plus compliqué que la position prise par certains ici !
Monsieur Vera, vous souhaitez interdire le recours à la publicité. Mais, à partir du moment où l’opérateur respecte les règles, la publicité est protectrice. Comme toujours, les contrebandiers seront nombreux sur internet. Il s’agit de pouvoir faire la différence entre ces contrevenants et les opérateurs respectueux des règles.
De même, vous prônez l’interdiction du pari à cote, mais cela conduirait à une interdiction quasi totale du pari sportif, donc au maintien de l’offre illégale actuelle. Sur des dizaines de milliers de sites, des centaines de milliers de participants joueront aux gendarmes aux voleurs. À ce jeu, sur internet, nous sommes assez souvent perdants, et pas uniquement dans le domaine des jeux en ligne…
Monsieur Marc, je ne suis vraiment pas d’accord avec vous quand vous décrivez la France comme « l’élève docile de l’Union européenne ». Notre pays est attaqué sur ce point depuis bien longtemps et n’a pas trouvé, jusqu’à ce jour, la réponse adéquate. Contester ce fait révèle une méconnaissance du sujet. La seule solution est de séparer le bon grain de l’ivraie, de définir des règles et de faire en sorte qu’elles soient respectées.
Le Gouvernement ferait, dites-vous avec d’autres, le jeu des opérateurs, serait aux mains des intérêts privés,…
M. François Marc. Oui !
M. Éric Woerth, ministre. … bref, aux mains de l’argent sale. Vous soutenez fréquemment ce point de vue, de façon extraordinairement insultante, d’ailleurs, insinuant que les opérateurs de jeu sont des voyous, tandis que vous seriez les seuls détenteurs de la morale.
M. Claude Bérit-Débat. C’est vous qui le dites !
M. Éric Woerth, ministre. Une telle attitude est, c’est le moins que l’on puisse dire, agaçante et, en tout cas, insultante. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Nous vous agaçons, nous le savons, mais notre attitude n’a rien d’insultant !
M. Éric Woerth, ministre. Les opérateurs qui recevront l’agrément sont des entreprises employant des salariés. Il n’est pas scandaleux d’être salarié de droit privé servant des intérêts privés, pas plus qu’il n’est scandaleux d’être entrepreneur et de travailler sur internet, à partir du moment où, bien évidemment, on le fait dans un cadre légal.
Les opérateurs qui auront joué pendant la période interdite ne bénéficieront d’aucune amnistie. C’est même tout le contraire ! Le Gouvernement veut remettre les compteurs à zéro et repartir sur de nouvelles bases légales.
Je remercie enfin M. Yvon Collin de son intervention très équilibrée.
M. le président. Monsieur le ministre, en raison de la retransmission télévisée, à dix-sept heures, de la séance de questions cribles thématiques, qui sera présidée par M. le président du Sénat, je me vois dans l’obligation de vous interrompre et de suspendre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Questions cribles thématiques
avenir des territoires ruraux
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’avenir des territoires ruraux.
Monsieur le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été installés à la vue de tous.
La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le ministre, à l’issue des assises de la ruralité, le chef de l’État a prononcé, le 9 février, un discours sur la nouvelle économie de la ruralité.
Deux constats nous font douter de sa réelle volonté de passer aux actes pour assurer l’avenir des territoires ruraux.
Premièrement, depuis 2002 et encore plus depuis 2007, il n’y a jamais eu autant de mesures aux conséquences défavorables pour les territoires ruraux. En voici quelques exemples.
Pour les services de l’État, la révision générale des politiques publiques, la RGPP, supprime des postes dans les gendarmeries ou impose la nouvelle carte judiciaire, qui complique encore l’accès à la justice.
Dans les services publics industriels et commerciaux, la tendance est aussi à la réduction de l’offre, particulièrement en milieu rural : diminution de la desserte de gares, accélération du processus de transformation des bureaux de poste en APC ou en RPC, c'est-à-dire en agences postales communales ou en relais-poste commerçants.
En outre, l’État n’a aucune politique pour traiter la question de la diminution de la présence médicale et paramédicale.
Quant à la loi « Hôpital, patients, santé, territoires », elle poursuit la remise en cause de notre système de soins.
Comment ne pas rappeler aussi qu’il a fallu attendre le grand emprunt pour que l’État s’engage enfin pour le haut et le très haut débit ? Cela n’empêchera pas qu’en 2020 les entreprises et les habitants des territoires ruraux figureront encore parmi les 30 % de non desservis.
La seconde raison de notre scepticisme par rapport aux annonces du chef de l’État tient au fait qu’il n’a pas évoqué la charte sur l’organisation de l’offre des services publics et au public en milieu rural, signée en juillet 2006 par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, et plusieurs partenaires.
Or cette charte, ignorée depuis la fin du printemps 2007, pourrait apporter des éléments de réponse en faveur du maintien des activités et des services rendus à la population, sous réserve de lui donner un caractère contraignant.
M. le président. Quelle est votre question, cher collègue ?
M. Michel Teston. Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à le faire ? Est-il enfin prêt à des actes concrets et nécessaires pour assurer l’avenir des territoires ruraux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur Teston, votre panorama ne fait ni dans la modération ni dans l’optimisme.
M. Daniel Raoul. Il est objectif !
M. Michel Mercier, ministre. Vous avez fait une peinture un peu excessive de la réalité !
La conclusion des assises des territoires ruraux, apportée par le Président de la République à Morée, et les suites données à ces assises iront dans le sens de réponses pragmatiques et concrètes, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins en milieu rural dont vous avez parlé.
Le Président de la République a en ce sens annoncé que nous aurions chaque année des crédits pour financer des maisons médicales pluridisciplinaires. Ainsi, 250 maisons médicales seront financées sur trois ans. Des internats ruraux pour la formation des médecins généralistes seront mis en place. Tout cela doit être acté dans un comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires, ou CIACT, présidé par le Premier ministre d’ici le mois d’avril.
Pour les autres services publics, le même CIACT reprendra la charte des services publics pour la rendre opposable. Nous négocions actuellement avec les grandes entreprises de réseau pour faire en sorte que cette charte devienne un point central de la réponse aux attentes des populations qui vivent dans ces territoires ruraux et qui ont besoin de services publics modernes, des services publics du XXIe siècle et non du XIXe siècle !
De la même façon, nous ferons en sorte que l’internet à haut débit soit présent dans tous les territoires ruraux.
Ce sont ces mesures concrètes que nous entendons mener. Je souhaite non pas une énième loi sur les territoires ruraux, mais des mesures concrètes et perceptibles dès maintenant pou répondre aux attentes des populations.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Lozach. Si l’avenir des services publics en milieu rural est à l’image de ce que nous avons connu ces vingt dernières années, il est sombre, pour ne pas dire sinistré.
Derrière cette problématique, se pose la question de l’égalité des chances entre les territoires et celle de la péréquation. Or celle-ci régresse, tous les chiffres l’attestent. Les rapports sénatoriaux de 2003 et de 2004 de nos collègues Claude Belot et Jean François-Poncet sur la péréquation interdépartementale et sur la péréquation interrégionale sont restés totalement ignorés par les gouvernements successifs.
Jeudi dernier, le 18 février, j’entendais la ministre de l’économie Christine Lagarde affirmer sur une radio nationale que les Hauts-de-Seine devaient aider la Creuse. Cela fait vingt ans que j’entends ce discours ! Ce rééquilibrage ne s’opérera pas mécaniquement ni spontanément. Il doit être imposé par la loi. Or la péréquation ne fait que reculer.
D’où la grande déception qui a été la nôtre à l’issue du discours prononcé à Morée, car le Président de la République n’a pas évoqué l’avenir des zones de revitalisation rurale ou l’actualisation de la loi sur le développement des territoires ruraux de février 2005. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour deux minutes maximum.
M. Gérard Le Cam. L’avenir des territoires ruraux est devenu, ces derniers mois, une des préoccupations majeures du Gouvernement. L’Association des maires ruraux de France a d’ailleurs regretté des délais trop courts et une organisation précipitée.
En 2004, M. Gaymard présentait la loi relative au développement des territoires ruraux comme le texte qui devait favoriser un regain de développement du monde rural.
Force est de constater un échec cuisant de ce texte à l’heure où toutes les productions agricoles sont en crise.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous souhaitez en faire des territoires d’innovation. Derrière cette rhétorique délicieuse se cache difficilement l’énormité des atteintes portées au monde rural par la droite ces dernières années. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Vous pouvez toujours afficher haut et fort vos objectifs, monsieur le ministre, la réalité est la suivante : quels que soient les domaines d’activité, vous avez délaissé et affaibli ces territoires qui vous sont si chers.
Fort heureusement, de très nombreuses collectivités locales de base ont servi d’amortisseur social face à la destruction des services publics poursuivie par l’État.
Et c’est justement à ces collectivités locales que s’attaque le Gouvernement par la réforme territoriale, en les dépouillant de leurs ressources et de leurs compétences.
La présence postale se réduit à des points contact qui n’offrent pas tous les services, notamment bancaires, d’un bureau de poste, et dont les horaires ne sont pas assurés. En matière de transport, l’État s’est totalement désengagé de la desserte des territoires enclavés.
La fracture numérique touche 31 % de la population et 70 % du territoire. Là encore, les territoires ruraux sont les grands oubliés.
La qualité et la proximité des soins ne sont plus assurées : la fermeture de services de chirurgie – 182 blocs opératoires sont menacés – et de maternités touche de plein fouet les zones rurales.
Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à porter une politique en totale contradiction avec les actions menées jusqu’ici par votre gouvernement pour enfin assurer un avenir aux territoires ruraux, un avenir qui se dégage de la désertification et de la dévitalisation auxquelles vous les avez jusqu’ici condamnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre. Monsieur le sénateur, je suis d’accord avec vous sur un point : les territoires ruraux constituent une préoccupation majeure pour le Gouvernement. Nous essayons, après les assises des territoires ruraux, auxquelles 80 000 personnes ont participé, d’élaborer une politique la plus concrète possible en faveur des habitants de ces territoires.
Il s’agit non pas de faire une nouvelle loi, mais, par des mesures concrètes, de marquer la préoccupation du Gouvernement envers ces territoires d’avenir – et ce n’est pas pour moi de la rhétorique, j’en suis convaincu.
Vous avez évoqué la question de la présence postale. Je le dis et je le répète, à vous, monsieur Le Cam, à M. Teston et à l’ensemble des membres du Sénat : la France est le seul pays où la loi garantit la présence de 17 000 points poste. En Europe, aucun autre pays n’a pu acter un tel progrès.
M. René-Pierre Signé. Pour combien de temps ?
M. Michel Mercier, ministre. Jusqu’à ce que vous votiez une loi supprimant ces 17 000 points poste ! En tout cas, ce n’est pas ce gouvernement qui en prendra l’initiative. Nous vous laisserons le faire, peut-être avec d’autres, mais nous, jamais !
Nous l’avons dit et répété. Nous avons répondu, sur ce point, à une véritable attente de la population.
Pour ce qui concerne la fracture numérique, le grand emprunt sera mobilisé. Une mission a été confiée à l’un d’entre vous, le sénateur Hervé Maurey, qui est chargé de trouver les voies et moyens pour abonder le fonds numérique créé par la loi Pintat. Nous recevrons très vite les premiers projets émanant des collectivités locales pour répondre précisément à ce besoin de supprimer la fracture numérique.
Donc, sur les deux points que vous avez indiqués, des réponses concrètes peuvent vous être apportées.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, pour la réplique, c'est-à-dire pour une minute maximum.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le ministre, avec 96 médecins généralistes pour 100 000 habitants, l’Allier a la couverture la plus faible d’Auvergne, qui est une région déjà très mal desservie.
M. Denis Badré. Il y a pire !
Mme Mireille Schurch. C’est le conseil général qui a dû proposer une bourse pour attirer de jeunes médecins !
Comment le centre hospitalier de Montluçon pourra-t-il retrouver son équilibre financier avec un déficit de plus de 7 millions d’euros ?
Depuis 2001, l’éducation a perdu près de 100 enseignants dans ce département. La fermeture du centre départemental de Météo-France de Vichy-Charmeil est programmée pour 2012. La Protection judiciaire de la jeunesse va être supprimée. La direction départementale de la jeunesse et des sports a perdu deux tiers de ses agents. En deux ans, 15 % des bureaux de poste ont été fermés. Le tribunal de commerce de Moulins a disparu. On ne compte plus les suppressions de trains entre Bordeaux et Lyon et la ligne nationale entre Paris et Ussel est abandonnée.
À l’image du Conseil d’État, qui a qualifié d’erreur manifeste la fermeture du tribunal de grande instance de Moulins, ce dont je me réjouis,…
M. le président. Veuillez conclure, madame Schurch.
Mme Mireille Schurch. … les habitants de l’Allier pourraient qualifier d’erreurs manifestes vos mesures, monsieur le ministre, qui dessinent un avenir bien sombre à nos départements ruraux, si vous n’inversez pas radicalement votre politique.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, pour deux minutes maximum.
Mes chers collègues, je demande vraiment à chacun de respecter son temps de parole.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, le Président de la République a annoncé une série de mesures en faveur des territoires ruraux. Le Parlement, il y a plus de cinq ans déjà, a voté la loi sur le développement de ces mêmes territoires, sans toutefois que cela se révèle tout à fait adéquat pour obtenir le résultat souhaité.
En effet, la réalité du monde rural, et encore davantage en zone de montagne, est notamment celle d’une dépendance aux transports individuels, répondant à une obligation de mobilité.
Pensez-vous que la taxe carbone ou les solutions simplistes de covoiturage soient pertinentes quand il s’agit de faire dix kilomètres pour aller à la pharmacie ou chez le boucher ?
Le monde rural souffre d’une atonie économique. Les outils d’appui à la création et à l’implantation d’entreprises sont inaccessibles, car ils sont trop nombreux et trop sectorisés. Les démarches sont trop lourdes, trop longues, et les administrations sont peut-être trop nombreuses à s’occuper des mêmes dossiers. Le dysfonctionnement du fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, en est l’illustration.
Tout cela pourrait être aménagé par des mesures simples et accessibles à tous. Le Gouvernement ne pourrait-il accompagner les actions des collectivités, qui réalisent de louables efforts pour diverses implantations ?
Monsieur le ministre, ne pourrait-on envisager une authentique péréquation, permettant de véritables actions, ou encore, comme je l’ai souvent proposé dans cet hémicycle, mettre en place des zones franches, des zones franches rurales, cela va de soi, y compris avec les territoires voisins au-delà de nos frontières ? Il serait intéressant d’observer où de telles mesures nous conduiraient.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue !
M. Claude Biwer. En ce qui concerne l’offre de soins, je crois que jouer sur le numerus clausus serait une idée intéressante. Et ne perdons pas de vue que la création d’infrastructures routières et ferroviaires de qualité ainsi que le développement du haut débit constituent des initiatives indispensables.
Monsieur le ministre, je vous remercie des propositions et des solutions que vous pourrez nous apporter. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre. Monsieur Biwer, vous avez posé suffisamment de questions pour remplir toute une séance du Sénat ! (Sourires.) Comme M. le président limite mon temps de parole à deux minutes, je répondrai seulement sur certains points de votre intervention.
Tout d'abord, je rappelle que le Gouvernement est prêt à la péréquation, comme nous l’avons souligné lors du débat sur la taxe professionnelle. Je suis moi-même venu défendre cette idée devant la commission des finances du Sénat.
Le Président de la République, lors de son discours de Morée, nous a engagés à ouvrir très vite le chantier des dotations que l’État verse aux collectivités locales, pour aboutir notamment à une plus grande équité entre les communes rurales et les communes urbaines. J’entends bien mener ce débat, afin que, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, un premier pas au moins ait été franchi dans cette direction.
Monsieur le sénateur, vous avez posé bien d’autres questions encore. Je reviendrai d’un mot sur l’accès aux soins, car il s'agit d’un véritable problème, qui est posé dans tous les cas.
La modification du numerus clausus constitue une réponse intéressante, mais il faudrait attendre dix ans pour en percevoir les effets ! Or, nous savons que nous devons adopter des mesures efficaces avant cette échéance. C’est ce que nous nous efforçons de faire en créant un système de bourses destinées à des étudiants qui accepteront de travailler en milieu rural. Le Président de la République a annoncé que quatre cents bourses seraient accordées dans ce cadre.
La formation, à travers des internats ruraux, peut également constituer une solution adaptée, tout comme les maisons de santé pluridisciplinaires.
Toutefois, un problème global se pose dans notre pays. Je le rappelle, sur dix jeunes qui terminent leurs études de médecine, un seul s’installe comme médecin libéral, en zone urbaine comme en zone rurale, d'ailleurs. Il faut donc revoir l’ensemble de notre médecine libérale.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, pour la réplique, en moins d’une minute ! (Sourires.)
M. Claude Biwer. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos réponses. Je suis bien conscient que tous les problèmes ne peuvent être résolus rapidement ni aisément.
Néanmoins, les besoins qui se manifestent dans les zones rurales sont importants et les propos qui sont tenus aujourd'hui révèlent notre inquiétude mais aussi notre espoir de voir la situation évoluer.
C'est la raison pour laquelle nous insistons régulièrement sur la péréquation, surtout à l’heure où la répartition de nombreuses taxes bouge. Nous avons appris avec surprise que la répartition de la DGF, la dotation globale de fonctionnement, pourrait être améliorée, dans le sens d’une plus grande équité. J’en serais pour ma part ravi.
Enfin, comme vous le savez, monsieur le ministre, après qu’une loi a été votée au Parlement, il faut parfois attendre de longues années pour qu’elle entre en application. Espérons que, ensemble, nous trouverons les solutions qui conviennent, avec cette exigence de rapidité que nous évoquions à l’instant. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.