M. Alain Anziani. Cet article dispose en effet : « Les dispositions du code de procédure pénale relatives à la surveillance judiciaire et à la surveillance de sûreté dans leur rédaction résultant des chapitres Ier, Ier bis et Ier ter de la présente loi sont immédiatement applicables après la publication de la présente loi. »
Le Conseil constitutionnel aura peut-être à se prononcer sur l’application immédiate de certaines dispositions. Par une sorte de glissement, l’application immédiate de la surveillance de sûreté se transposerait à la rétention de sûreté. Voilà une difficulté.
Certes, de nombreuses dispositions du projet de loi peuvent faire l’objet de discussions, mais, sur ce point, sans doute le texte qui nous est soumis gagnerait-il à être plus clair. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous voterons cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Le motif principal d’inconstitutionnalité réside dans la loi précédente, mais est encore élargi par ce texte, dont l’objectif principal est de permettre l’application de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental de façon immédiate, puisque celle-ci n’aurait d’effet que dans un très grand nombre d’années.
Or la rétention de sûreté est une peine – nous pouvons tourner autour du pot, si vous m’autorisez cette expression, mais, dans la mesure où elle est décidée par le juge, c’est bien de cela qu’il s’agit – qui rétablit de fait la perpétuité.
Évidemment, elle se distingue de l’internement psychiatrique. Il est inutile de revenir sur ce débat qui a déjà eu lieu. Toutefois, il nous faut constater que le problème de la définition des troubles de la personnalité demeure. Le législateur n’en est pas responsable, cela tient sans doute aux incertitudes de la psychiatrie.
Toujours est-il que, par des glissements successifs, on en vient à officialiser le rétablissement de la perpétuité, de la relégation définitive ou de la mort sociale, peu importe comment on l’appelle. C’est très grave, notamment au regard des principes fondamentaux de notre droit qui sont rappelés dans la Constitution.
Madame la garde des sceaux, vous avez affirmé que les arguments que j’avais faits valoir étaient des contrevérités. Pour qu’il soit inscrit au Journal officiel que vous m’avez à tort taxée de menteuse, je rappelle avoir fait remarquer que, en moins de trente ans, la population carcérale avait doublé. Et même si elle a baissé légèrement récemment, cela ne change strictement rien à cette réalité, qui fonde toute mon argumentation. Pour ma part, je continue de penser qu’il n’existe pas de lien direct entre l’aggravation de la loi pénale et les évolutions de la criminalité. Évidemment, à cette question de fond, vous ne répondez pas !
Par ailleurs, je ne nie pas que les intentions de soins en milieu carcéral existent – c’est d’ailleurs sur ce point que le rapporteur m’a répondu –, mais, dans ce domaine comme en amour, seuls les actes comptent. Ainsi, Francis Évrard, le meurtrier du petit Enis, a passé trente-deux ans en prison sans soins ni suivi psychiatrique !
Voilà qui doit nous conduire à réfléchir à l’applicabilité et à l’application des lois que nous votons et non à nous conduire comme des girouettes élaborant sans cesse des textes tendant à confirmer ou à aggraver les lois que nous avons déjà adoptées ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je souhaite revenir sur les deux griefs d’inconstitutionnalité avancés par Alain Anziani, auxquels je n’ai pu répondre lorsque j’ai donné l’avis de la commission sur la motion, puisque Charles Gautier ne les avait pas évoqués, et qui me semblent ne pas pouvoir prospérer.
Certes, la surveillance de sûreté peut prolonger les obligations du suivi socio-judiciaire ou de la surveillance judiciaire. Il n’en reste pas moins que seules pourront y être soumises les personnes condamnées à au moins quinze années d’emprisonnement pour les crimes que vous connaissez.
C’est pourquoi la modification du seuil pour le placement en surveillance judiciaire – de dix ans à sept ans – ne change rien. Même si elle est en surveillance judiciaire, la personne condamnée à une peine d’emprisonnement inférieure à quinze ans ne pourra être placée en surveillance de sûreté, encore moins en rétention de sûreté.
J’en viens à l’article 8 ter, dont le premier alinéa dispose : « Les dispositions du code de procédure pénale relatives à la surveillance judiciaire et à la surveillance de sûreté dans leur rédaction résultant des chapitres Ier, Ier bis et Ier ter de la présente loi sont immédiatement applicables après la publication de la présente loi. »
Je tiens à souligner que la quasi-totalité des dispositions du projet de loi concerne la procédure pénale. Certes, l’article 112-2 du code pénal prévoit qu’une règle de procédure pénale plus sévère ne peut avoir une application rétroactive. Toutefois, contrairement au principe de non-rétroactivité des incriminations et des peines plus sévères, cette règle n’a pas valeur constitutionnelle mais n’a qu’une valeur législative. Le législateur peut donc y déroger par une disposition expresse. Tel est précisément l’objet de l’article 8 ter. Par conséquent, sur ce point non plus, il n’y a pas inconstitutionnalité.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 155 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale (n° 258, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, faut-il le rappeler encore une fois, c’est à la suite d’un fait divers atroce que ce texte, enterré pendant un an, a été inscrit à l’ordre du jour des travaux du Parlement.
Si de tels faits sont de véritables drames auxquels nous ne pouvons évidemment que compatir, leur réutilisation à des fins politiques est inadmissible. Ils ne peuvent justifier une surenchère sécuritaire et répressive. C’est pourtant une pratique à laquelle le Gouvernement a désormais systématiquement recours depuis 2002, où chaque événement tragique fait naître ou resurgir un projet de loi.
En 2008, le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental avait été présenté au Parlement dans un contexte identique. Ce n’est pourtant ni l’émotion ni la peur que chacun d’entre nous peut ressentir qui doivent guider l’action du législateur.
En s’appuyant sur des émotions, le législateur manipule l’opinion publique, s’en sert pour conduire une politique toujours plus attentatoire aux libertés publiques. En nous laissant guider par la peur, par l’obsession sécuritaire, nous sommes incidemment conduits par prudence à enfermer toujours plus longtemps – et pourquoi pas à perpétuité – et à surveiller toujours davantage, au nom d’un principe de précaution qui se fonde sur une appréciation non objective et non scientifique de l’éventualité qu’une personne condamnée ayant purgé sa peine puisse récidiver.
On manipule l’émotion légitimement ressentie, on fait peur en agitant des faits divers, dans cette société du spectacle dénoncée par Guy Debord, où le crime devient une marchandise médiatique jouant sur une fascination morbide. Tout se passe comme Daniel Boorstin l’affirmait dans les années soixante : « Nous n’allons pas mettre l’image à l’épreuve de la réalité, mais mettre la réalité à l’épreuve de l’image ».
Ces faits divers souffrent d’une distorsion médiatique et politique. Ils mettent toujours plus en avant des événements tragiques, mais heureusement isolés, et laissent ainsi penser, à tort, à une inflation de ces crimes, dont le principal avantage est de permettre la mise en place d’une politique de contrôle, de surveillance, d’enfermement et de justifier des mesures attentatoires aux libertés publiques !
Si l’on s’efforce un tant soit peu de sortir de l’émotion, ce qui est de notre devoir et ce qu’ont fait deux chercheurs en criminologie, Annie Kensey et Pierre-Victor Tournier, on constate que la récidive de crime à crime ne représente que 1 % des cas !
À chaque horrible assassinat relayé par les médias, devrons-nous durcir davantage la loi ? La rétention de sûreté créée en 2008 franchissait déjà des limites bien dangereuses en permettant l’enfermement d’un condamné, une fois la peine purgée, sans jugement, sans nouveau fait, pour une durée indéterminée et au motif d’une dangerosité impliquant une éventualité de récidive : la prison après la prison pour un fait non commis.
Ce dispositif inadmissible est aujourd’hui encore durci, avec, entre autres, mais pas seulement, la quasi-obligation de suivre un traitement antihormonal. Mais quelle sera la prochaine étape ? Doucement mais sûrement, cette surenchère peut nous mener aux réactions les plus dangereuses.
Aujourd’hui, on enferme de manière indéfinie les condamnés dangereux ayant des troubles mentaux au lieu de les soigner, mais demain peut-être les éliminera-t-on définitivement pour s’assurer qu’ils ne récidivent pas. Cette logique est bien trop dangereuse et nous devons la refuser.
Aussi, à des fins que nous pouvons clairement qualifier d’opportunistes et d’électoralistes, ce projet de loi permet au Gouvernement d’afficher sa prétendue efficacité dans la lutte contre la récidive en exploitant la fibre sensible de l’insécurité.
Eh oui, madame la ministre d’État, entre un texte sur les violences de groupe, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, et le texte qui nous occupe aujourd’hui, il faudrait être naïf pour ne pas voir un tir groupé sur l’insécurité, thème cher à votre formation politique, à l’aube d’échéances électorales !
C’est toujours le même scénario et, encore une fois, nous n’y échappons pas !
Là est également le problème : la loi sert encore une fois de support de communication au Gouvernement. Elle lui permet, dans une démarche, que je qualifierais de populiste et d’électorale, de justifier d’une prétendue action dont la nécessité, je l’ai dit mais je le répète, est davantage fondée sur la capacité à agiter les peurs populaires qu’à s’appuyer sur une quelconque réalité de ce que représente la récidive.
Ce projet de loi est le quatrième à s’attaquer à la récidive depuis 2002 ! Si un constat devait être fait, j’aurais plutôt tendance à penser que cette multiplication de lois prouve l’incapacité des dispositions prévues précédemment à régler le problème et une vraie nécessité à changer de politique pénale.
Ce projet de loi s’inscrit davantage dans une démarche de communication. On pourrait imaginer qu’il vient pallier une absence ou une insuffisance de dispositifs, mais ce n’est évidemment pas le cas. Comme le souligne le rapport « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux » du 30 mai 2008 de Vincent Lamanda, que nous avons évoqué à plusieurs reprises, notre arsenal juridique est déjà suffisamment coercitif pour prévenir les risques de récidives.
En effet, la loi du 27 juin 1990 permet d’interner les malades mentaux, criminels ou non, préventivement, en dehors de toute conduite délictueuse ou de crime. La loi du 17 juin 1998 institue le suivi socio-judiciaire qui permet d’imposer aux condamnés des obligations telles que le placement sous surveillance électronique mobile et l’injonction de soins.
Le 12 décembre 2005, une nouvelle loi crée le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes et assortit la surveillance judiciaire d’un grand nombre d’obligations dans le délai de la réduction de peine accordée, notamment l’assignation à domicile et le maintien à distance des mineurs.
Enfin, la loi de 2008 instaure la rétention et la surveillance de sûreté qui permet tout de même l’enfermement à vie de criminels jugés dangereux selon un pronostic arbitraire !
Pour lutter contre la récidive, la loi ne fait pas défaut, loin de là. En créer une nouvelle est ainsi complètement inutile. Ce nouveau projet de loi venant s’ajouter à une profusion de mesures législatives n’est pas seulement inutile, il est également inadmissible.
Il illustre à quel point le Gouvernement méprise le travail des parlementaires. Il l’utilise bel et bien, n’hésitant pas à déposer projet de loi sur projet de loi, s’en servant comme d’un instrument d’affichage politique et ne se souciant guère de la qualité du travail produit ni du bon fonctionnement démocratique.
La dernière loi portant création de la rétention et de la surveillance de sûreté n’est que partiellement appliquée, pourtant, ce nouveau projet de loi a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en novembre 2008.
Ainsi, alors que le Gouvernement s’est permis d’attendre un an entre son dépôt et son inscription à l’ordre du jour fin 2009, le projet de loi est soudainement décrété urgent ! Quel motif peut donc justifier si soudainement la nécessité d’adopter une loi en procédure accélérée alors qu’une année a pu s’écouler sans que cela semble primordial ?
Surtout, si urgence il y a, elle vient du Gouvernement qui souhaite couper court au débat parlementaire : il est urgent d’amputer toujours davantage le Parlement des maigres pouvoirs qu’on a encore daigné lui laisser !
Et je ne suis pas seule à le penser : l’excès est tel que MM. Larcher et Accoyer ont annoncé la création d’un groupe de travail pour « améliorer la qualité de la loi et les conditions de son élaboration ». Eux-mêmes font le constat d’une loi qui devient trop déclarative et qui se dévalorise, d’une loi redondante, dont le projet de loi d’aujourd’hui est une parfaite illustration. « Une bonne loi », affirment-ils encore, « nécessite un temps de réflexion incompressible. Il en va de la sécurité juridique de nos concitoyens et du bon fonctionnement de la démocratie ».
Cet élément justifie à lui seul, pour le bon fonctionnement de la démocratie, que la délibération du projet de loi soit suspendue pour rétablir des conditions de débats parlementaires convenables !
Cependant, si ce seul élément le justifie pleinement, malheureusement, le contenu du texte nous donne encore bien d’autres raisons de l’invoquer.
En effet, nous sommes face à un constat invraisemblable : une absence totale d’étude d’impact. C’est alarmant. Comment débattre intelligemment, qui plus est, en procédure accélérée, si aucune étude d’impact sérieuse n’a été effectuée au préalable pour évaluer l’effet des lois précédentes pourtant nombreuses ?
Cette absence de transparence est véritablement problématique. L’adoption d’une nouvelle loi dans un domaine où le Gouvernement a tant légiféré ces dernières années ne doit se faire qu’après analyse des conséquences et de l’utilité des lois précédemment adoptées.
Cependant, on ne comprend que trop bien les raisons de cette absence : effectuer une étude d’impact reviendrait à supposer que cette loi a une autre intention que celle de donner l’illusion d’une action du Gouvernement. Cela mettrait également en lumière le fait que la plupart des mesures législatives d’ores et déjà adoptées par le Parlement en matière de récidive n’ont tout simplement pas les moyens de s’appliquer et sont inefficaces, et pour cause ! Nous avons ainsi souligné, par le biais d’amendements déposés en commission des lois et inspirés du rapport Lamanda, l’absence de moyens accordés à la justice.
Il est ainsi nécessaire de renforcer les secrétariats des services de l’application des peines des juridictions. Leur nombre insuffisant, face à l’augmentation spectaculaire de l’activité des juges de l’application des peines, peut se traduire par des retards dans le traitement des dossiers.
Dans le même esprit, il est indispensable que le Gouvernement augmente le nombre de conseillers d’insertion et de probation, de façon à permettre aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, d’effectuer des suivis renforcés et de mettre en place un accompagnement adapté à chaque condamné pour prévenir efficacement le risque de récidive.
Nous vous proposons également d’augmenter les effectifs des médecins coordonnateurs et les moyens dont sont dotés les services médicaux psychologiques afin de pallier leur pénurie dans le système judiciaire. À l’heure actuelle, les injonctions de soins ne peuvent être mises en place de façon satisfaisante dans plus de la moitié des juridictions !
Il paraît ainsi d’autant plus inutile de généraliser l’injonction de soins et de rendre le traitement antihormonal quasiment obligatoire que le suivi médical ne pourrait être effectif.
Enfin, une attention particulière doit être portée à la médecine pénitentiaire, en complétant la formation des médecins, en particulier des psychiatres, et en revalorisant les conditions matérielles de leur intervention en milieu pénitentiaire. Cette proposition entend remédier à l’insuffisance de l’intervention des médecins psychiatres dans les lieux de détention.
De plus, l’utilisation et les effets des traitements inhibiteurs de libido doivent impérativement faire l’objet d’une étude approfondie ! Leur utilité et leur efficacité ne sont pas avérées, leur utilisation est largement contestée par grand nombre de médecins et leurs effets secondaires sont encore mal connus ; il paraît donc aberrant de généraliser de tels traitements sans une meilleure connaissance de leurs effets réels et de leur capacité à apporter véritablement des solutions à des problèmes dont il ne faut pas oublier l’origine avant tout psychologique.
Une question se pose : comment appliquer des décisions de prise en charge psychiatrique des personnes en prison sans moyens humains et budgétaires supplémentaires ?
Or la France est le pays d’Europe qui dépense le moins par habitant pour sa justice : elle occupait en 2008 le trente-cinquième rang européen, avec un budget représentant seulement 2 % de celui de l’État.
Mais si cette absence d’étude permet également au Gouvernement d’éviter d’affronter les véritables causes de la récidive, la situation dramatique des prisons françaises et la nécessité d’entreprendre de véritables réformes adaptées sont frappantes.
Les conditions de détention dans les prisons françaises sont inhumaines, avec une augmentation du nombre de suicides en prison et des conditions de travail de l’ensemble des personnels totalement dégradées. La surpopulation carcérale, avec 55 000 places de prison pour 63 000 personnes incarcérées, est d’ailleurs la conséquence immédiate de la multiplication des lois répressives censée apporter des solutions à la récidive criminelle.
Le résultat est, bien au contraire, la création de structures inhumaines, non adaptées à la survie et qui peuvent entrainer de nouvelles souffrances, de nouvelles pathologies et de nouvelles violences. La prison est le véritable espace de l’injustice sociale, de la misère et de la souffrance. En cela, elle est elle-même créatrice de violence et de récidive. Il est donc urgent de changer de politique pénale, en se dirigeant vers un accompagnement et un suivi social, médical et judiciaire adapté, pendant les détentions.
L’accumulation de mesures pénales répressives ne résoudra en rien la question délicate de la récidive, elle l’aggravera même davantage, tant que les prisons françaises resteront cette « humiliation pour la République », selon les termes utilisés par la commission d’enquête sénatoriale, qui avait déjà tiré la sonnette d’alarme en 2000.
Je finirai en citant Vincent Lamanda, dans son rapport intitulé « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux ».
« Le phénomène [de récidive criminelle], à des degrés divers, selon les lieux et les époques, marque malheureusement l’histoire du monde. C’est pourquoi, il faut s’efforcer de le juguler au mieux, faute de pouvoir jamais le supprimer.
« L’objectif […] était bien celui-là : viser à une meilleure appréhension de ce risque, inhérent, en quelque sorte, à la nature humaine, et rechercher les moyens de le réduire toujours. […]
Il ne pouvait s’agir d’atteindre l’illusoire idéal d’une société sans récidive criminelle, mais de contribuer à éclairer […] une société qui, consciente de sa propre part de violence, se doit d’être lucide et vigilante à la fois. »
La lucidité, madame la ministre d’État, doit nous faire voir toute la responsabilité de l’État, de par son incapacité à donner les moyens nécessaires à la prévention de la récidive criminelle pour que les mesures existantes puissent s’appliquer.
La vigilance nous pousse aujourd’hui à affirmer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion sur ce texte, dangereux pour la loi, le Parlement, la justice française et la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mme Assassi fait des propositions tout à fait intéressantes qui reprennent d'ailleurs certaines mesures de caractère non législatif prônées par le rapport Lamanda.
Vous évoquez notamment, madame Assassi, l’augmentation souhaitable du nombre de conseillers d’insertion et de probation. Je ne peux qu’être d’accord. Mme la ministre d’État nous a d'ailleurs dit que quelques progrès avaient été réalisés sur ce point.
De la même manière, il est hautement souhaitable de renforcer les secrétariats des juges d’application des peines. Nous pouvons également tous être d’accord avec cette proposition, comme avec la nécessité de renforcer le nombre des médecins coordonnateurs. Sur ce dernier point, les moyens financiers ont été augmentés récemment. Toutefois, cela ne suffit pas ; il faut encore développer l’intérêt des médecins pour cette fonction. À cet égard, des efforts financiers ont été réalisés puisque leur indemnité a été presque doublée.
En revanche, l’intervention de Mme Assassi s’appuie également sur deux idées reçues que je ne peux pas partager.
La première concerne l’affaiblissement des pouvoirs du Parlement. Je n’ai pas constaté un tel affaiblissement, je suis très heureux de le dire, ni dans la loi pénitentiaire ni dans ce texte. Même si l’on peut regretter la multiplication des procédures accélérées, le Parlement a eu l’opportunité de montrer ses compétences. Depuis la dernière révision constitutionnelle, c’est davantage le cas encore avec la discussion en séance publique du texte modifié par la commission compétente. Ce n’est pas un mince avantage pour le Parlement.
Ce thème de l’affaiblissement des pouvoirs du Parlement n’est d’ailleurs pas récent. Je me souviens d’un débat où le Premier ministre Georges Pompidou, devant les députés, me semble-t-il, avait déclaré en substance : si je comprends bien, vous n’existez pas, ou à peine, et le Gouvernement n’est guère mieux loti ; notre débat ressemble à un exercice de style autrefois prisé, celui du dialogue des morts. (Sourires.)
Pour le reste, je cherche assez vainement les justifications de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Si j’en crois ce qui est indiqué dans son objet, il n’y aurait pas eu, au sujet de la récidive, suffisamment de travaux menés, de documents et de rapports publiés pour que nous puissions nous prononcer aujourd’hui en toute connaissance de cause.
Pourtant, pour s’en tenir à la période la plus récente, nombreux sont les rapports disponibles sur la récidive, qu’il s’agisse de ceux de MM. Burgelin et Lamanda, ou de celui de MM. Gautier – présent parmi nous aujourd’hui – et Goujon.
Nous pouvons simplement regretter de ne pas avoir de statistiques suffisamment précises, puisque, en matière criminelle, le taux de récidive oscille, selon les sources, entre 1 % et 5 %. Certains avancent même – je suis loin de les croire ! – le taux de 24 %. Le jour où l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales sera en mesure de travailler de manière performante, il nous fournira sans doute des statistiques intéressantes. Rappelons en effet que cet organisme n’a été mis en place que très récemment. Il nous faudra donc faire preuve d’un peu de patience !
Pour justifier son propos, Mme Assassi a invoqué une autre raison : ce texte ne servirait à rien.
Or il y est tout de même prévu un certain nombre de mesures de codification, à la suite des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel. Voilà, me semble-t-il, une heureuse initiative. Il y a, en outre, tous les points qui ont été cités par les uns et par les autres, notamment par Mme la ministre d’État. Ainsi, une personne soumise à certaines obligations ne pouvait pas, hier, être interpellée immédiatement par les services de police et de gendarmerie ; ce ne sera plus le cas demain. De telles dispositions constituent un réel progrès de l’État de droit.
Par conséquent, je ne vois, pour ma part, aucune raison valable pour suivre nos collègues du groupe CRC-SPG.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est dommage !
M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Je n’abuserai pas de la patience de la Haute Assemblée, M. le rapporteur ayant parfaitement répondu à Mme Assassi.
Je voudrais simplement, madame, vous rassurer sur un point. Vous prétendez que notre démarche relève de la communication pure. Or je suis en mesure d’affirmer, pour avoir longuement parcouru la presse ces derniers jours, que personne ne parle de ce projet de loi sur la récidive.
Mme Éliane Assassi. Pas en ce moment !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous travaillons, comme il est normal, pour l’intérêt général, et non pour la presse. Telle n’est d’ailleurs pas, vous le savez très bien, ma façon de faire.
Vous avez déploré un manque de moyens : nous vous avons donné suffisamment de précisions pour vous montrer que vous aviez tort. Certes, et je vous en rends grâce, votre discours reflète la position politique constante de votre parti sur ces questions. Mais je note également que, élections après élections, les Français vous disent ce qu’ils en pensent ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)