M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux uns et aux autres, je formulerai quelques considérations générales.
Certains intervenants ont parlé de précipitation excessive. Permettez-moi de vous dire qu’il n’y a pas, à mes yeux, de précipitation excessive, ni à l’égard de la modernisation nécessaire de la justice, ni à l’égard des intéressés, et encore moins à l’égard du Sénat.
La modernisation de la justice est aujourd’hui une exigence. Ce que j’ai constaté en arrivant dans ce ministère, c’est la grande distance qui existe aujourd’hui entre le citoyen et la justice. Le citoyen a le sentiment de ne pas comprendre le fonctionnement de notre justice, qu’il s’agit d’un lieu clos qui lui est extérieur. Il est donc indispensable d’entreprendre une modernisation qui n’a que trop tardé.
N’oublions pas que la justice est probablement à la fois l’une des institutions les plus essentielles de notre pays et celle qui a le moins bénéficié de l’adaptation aux évolutions de notre société au cours des dernières décennies. Nous n’avons donc pas trop de temps aujourd’hui pour réconcilier le citoyen avec sa justice.
Il n’y a pas non plus de précipitation excessive à l’égard des avoués et de leurs salariés. Je note, en effet, que la réforme a été annoncée au mois de juin 2008, donc voilà dix-huit mois, et un certain nombre de personnes ont déjà pris des dispositions pour s’adapter.
Il n’y a pas davantage de précipitation à l’égard du Sénat. Outre le fait que le Gouvernement n’a pas demandé l’examen en urgence de ce texte pour permettre le débat, c’est au début du mois d’octobre que l’Assemblée nationale s’est prononcée, et nous sommes à la fin du mois de décembre.
Vous m’objecterez sans doute que les fêtes approchent et qu’il est trop tard. Cela veut-il dire – ce pourrait être un choix ! – que le Sénat comme l’Assemblée nationale ne doivent plus débattre de textes à partir du 15 décembre ? Cela ne me paraît pas très raisonnable. Nous nous sommes inscrits dans le temps de la réflexion et dans celui du progrès, puisque des avancées ont été réalisées, mais sans précipitation.
À l’égard de l’ensemble de nos concitoyens, il est indispensable que les différents éléments du puzzle de la modernisation de l’État, en particulier de la justice, puissent se mettre en place.
S’il y avait davantage de temps, trouverait-on des solutions plus simples ? Je n’en suis pas certaine ! J’ai bien écouté les uns et les autres et s’il fallait faire l’unanimité dans cet hémicycle aujourd’hui, je me demande sur quel sujet celle-ci porterait. Très franchement, je ne vois rien qui permette de dessiner une réforme qui serait à la fois simple et consensuelle. Le seul résultat auquel nous aboutirions sans doute serait un statu quo, dont la plupart des intervenants considèrent qu’il ne serait pas non plus satisfaisant.
Les solutions ne sont pas faciles, car les positions respectives correspondent à des intérêts qui ne sont pas forcément convergents. Je ne prendrai que deux exemples.
Le premier concerne les délais de mise en œuvre de la réforme : certains souhaitent une période transitoire longue et d’autres aucune période transitoire. Nous voyons bien que les préoccupations sont totalement différentes.
Le second exemple a trait aux indemnisations : certains veulent qu’elles soient maximales et d’autres, considérant l’intérêt du justiciable – parfois les mêmes –, estiment que le montant de la taxe ne doit pas être trop important pour ne pas alourdir le coût.
Face à tout cela, une certaine humilité s’impose ; nous sommes là pour trouver les solutions les plus justes et qui correspondent le mieux à l’ensemble des besoins : la modernisation de notre justice, certes, mais également la prise en compte des personnes.
C’est pourquoi je souhaite – nous nous connaissons depuis longtemps, les uns et les autres, nous avons travaillé sur de nombreux textes – que nous recherchions ensemble ces solutions, y compris avec ceux qui, dès le départ, ont décidé qu’ils ne voteraient pas la réforme, afin de réaliser de véritables avancées en la matière.
Évitons les excès de langage et les procès en sorcellerie. N’allons pas trop loin dans des interprétations qui n’ont rien à voir avec la réalité.
Non, monsieur Mézard, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur les avoués ; il ne s’agit pas non plus d’enterrer une catégorie de personnes. Ce n’est pas le problème ! Nous devons tenter de trouver un système qui nous permette de répondre à l’attente de nos concitoyens.
Il est important que chacun exprime sa position pour déterminer les points sur lesquels nous pouvons trouver des terrains d’entente. Je ne dresse pas de liste a priori, parce que je pense que la discussion peut nous permettre de progresser.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué un certain nombre de questions dont nous avons déjà débattu, notamment les motivations et la directive « Services ». Vous prétendez que celle-ci ne s’applique pas. Certes, un certain nombre de dispositions de notre droit sont incompatibles avec la directive,…
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je l’ai dit !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … qu’il s’agisse du nombre des avoués, de l’agrément par le garde des sceaux ou du remboursement du droit de présentation. Nous pouvons en discuter, mais je ne suis pas certaine que cela ait beaucoup d’intérêt ni sur le fond du dossier ni sur les solutions à trouver.
Se pose ensuite le problème du renchérissement du coût de la procédure. Il est vrai que la taxe remplacera l’ensemble des frais d’avoués : aujourd’hui, les parties doivent rémunérer deux professionnels.
Vous avez raison de souligner l’absence de garantie dans la mesure où il n’y a pas de tarif. C’est une discussion que nous devons avoir avec les avocats – j’ai commencé à en parler avec certains d’entre eux –, parce que l’intérêt commun passe aussi par la prise en compte de l’intérêt du justiciable et je pense que certaines dispositions peuvent nous permettre d’avancer en la matière.
J’en viens maintenant à votre crainte d’une désorganisation des cours d’appel.
N’oubliez pas que la dématérialisation est aujourd’hui en cours ; j’ai signé récemment un texte en la matière. La dématérialisation a pour objet à la fois de simplifier la procédure et de la rendre plus sûre. Certes, nous devons être très attentifs aux difficultés qui peuvent résulter de sa mise en œuvre, mais nous savons très bien qu’à terme elle facilitera le travail quotidien des avocats et des juridictions.
Comme je l’ai dit dès mon arrivée au ministère, il s’agit d’un véritable saut technologique. Je souhaite d’ailleurs la mise en place d’un groupe de travail de très haut niveau chargé de réfléchir aux effets de la dématérialisation sur le fonctionnement des juridictions et, au-delà, sur notre conception du droit.
Monsieur le rapporteur, vous avez lancé le débat sur la réforme de la postulation territoriale devant les tribunaux de grande instance. C’est un sujet sur lequel j’entends également lancer une analyse dans les mois à venir.
Puisque vous avez effectué une comparaison avec la fin du monopole des commissaires-priseurs et des courtiers-interprètes, je vous rappelle – mais vous le savez sans doute déjà – que le Conseil constitutionnel comme le conseil d’État ont jugé qu’il n’y avait pas, en la circonstance, atteinte au droit de propriété.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Pas le Conseil d’État !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Nous en reparlerons sans doute, mais, honnêtement, je ne vois pas ce qui pourrait nous inciter à penser que, sur le plan juridique, la situation serait radicalement différente d’une profession à l’autre.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Elle l’est !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Les personnes concernées continueront d’exercer un métier.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Un autre métier !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Certes, monsieur le président de la commission, mais il n’en demeure pas moins que celui-ci englobera pour partie l’activité des avoués.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, puisque cette profession n’existera plus !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. C’est le propre de la réforme ! En tant que juriste, la décision du Conseil constitutionnel ne souffre à mes yeux aucune ambiguïté : il n’y a pas privation de propriété au sens de l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais si !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Le Conseil constitutionnel l’a vérifié, il n’y a pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Le Conseil d’État, quant à lui, a considéré que l’indemnisation devait être raisonnable, mais qu’il n’y avait pas lieu d’indemniser à la fois la valeur du droit de présentation et les conséquences de la perte du monopole.
Selon ma propre analyse juridique, la position exprimée par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État peut s’appliquer à la situation des avoués.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Sûrement pas !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez, comme la quasi-totalité des intervenants, ce qui, du reste, est tout à fait compréhensible, abordé l’avenir des salariés des offices d’avoués. Je peux d’ores et déjà vous annoncer qu’un certain nombre de mesures ciblées ont été prévues afin d’aider à leur reconversion.
Je souhaite que chaque situation soit prise en compte. Je le disais tout à l’heure en aparté, ce n’est malheureusement pas la première fois que je suis amenée à assumer de telles responsabilités. Je me suis ainsi occupée, dans des fonctions antérieures, de la restructuration de GIAT Industries et de la reconversion de son personnel, ce qui, par rapport à la réforme actuelle, concernait beaucoup plus de monde.
À l’époque, des solutions individualisées ont pu être trouvées ; personne n’a été abandonné. (M. Jean-Pierre Godefroy se montre très dubitatif.) C’est pour moi une grande source de satisfaction.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est bien cet état d’esprit qui m’anime aujourd’hui en ce qui concerne les salariés des offices d’avoués : nous avons la même obligation ! Tout un panel de réponses très différentes sont susceptibles d’être apportées ; certaines d’entre elles ont d’ailleurs été évoquées par les uns et les autres. Cela va de la création de 380 emplois dans les juridictions au maintien de certains salariés auprès des avoués devenus avocats, en passant par des créations de poste, même en nombre limité. Bien entendu, il est totalement exclu que les 52 000 avocats se décident, demain, à embaucher chacun un salarié ; si tel était le cas, on manquerait de personnel ! Je reste pourtant convaincue que, pour exercer dans de bonnes conditions les nouvelles obligations qui leur incomberont, les professionnels concernés auront besoin de s’adjoindre des personnes compétentes en la matière. Parallèlement, compte tenu de l’âge moyen et des caractéristiques propres à la profession, seront également envisagés des départs à la retraite.
Il nous revient d’accompagner tous ces salariés, de façon qu’aucun d’eux ne reste sur le bord du chemin.
Madame Mathon-Poinat, vous avez évoqué le coût de la réforme. Permettez-moi de vous rappeler ce que j’ai dit tout à l’heure : la nouvelle taxe remplacera l’ensemble des frais d’avoués des parties et le perdant prendra à sa charge une partie des frais d’avocats ; le texte que j’ai annoncé à cet égard, s’il est indépendant de la réforme, est tout de même un élément à prendre en considération.
En ce qui concerne la situation des salariés, j’apporterai simplement deux précisions : chacun pourra conclure une convention de reclassement et l’ancienneté sera prise en compte dans le calcul de l’indemnisation ; nous aurons l’occasion d’en reparler.
Vous avez également abordé le fonctionnement des cours. J’ai déjà répondu, je n’y reviens pas.
Monsieur Détraigne, vous, comme d’autres, avez émis des doutes sur l’utilité de la réforme. S’il est normal que le débat ait lieu, je considère pour ma part que celle-ci a tout son intérêt, notamment parce qu’elle va nous permettre d’atteindre un objectif plus large, la modernisation de notre justice, que personne ne peut, me semble-t-il, contester. Au demeurant, si le projet de loi ne vient en discussion qu’aujourd’hui, la réforme est annoncée depuis longtemps.
En outre, je tiens à vous préciser que la communication électronique n’est pas en place pour tous les avoués dans l’ensemble des cours d’appel. Le système en est encore au stade de l’expérimentation.
Hormis le coût de la réforme, vous avez aussi posé la question des compétences. Je l’ai dit tout à l’heure, les avoués sont effectivement des juristes de bon niveau. En devenant avocats, ils pourront notamment tirer profit de leur expérience : aux dires de certains avocats, ils auront même un avantage sur ces derniers ! Ils se verront également ouvrir un droit à la formation continue. Pour en connaître quelques-uns, je sais que les avoués sont parfaitement capables de faire face aux réformes, parfois nombreuses, mise en œuvre dans notre droit.
Vous l’avez vous-même souligné, le taux de l’indemnisation a été porté à 100 %. Il est difficile de ne pas reconnaître l’effort gouvernemental, surtout au regard des problèmes que rencontrent actuellement nos concitoyens.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas un argument !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Monsieur Anziani, selon vous, si le justiciable a bien conscience qu’il lui faut rémunérer deux professionnels, il ne comprend pas forcément le rôle de chacun. C’est d’autant plus vrai qu’il lui arrive de ne pas rencontrer l’avoué, et ce malgré les émoluments qu’il lui paie. Voilà un élément supplémentaire de nature à nourrir le sentiment de complexité qui peut exister dans ce domaine.
À vous entendre, cette réforme trouverait son origine dans les idées de M. Attali, reprises par M. Darrois. Mais rappelez-vous que, dès 2001, dans son rapport remis à Mme Lebranchu, alors garde des sceaux, M. Bouchet évoquait déjà l’idée d’une fusion entre les deux professions. Il faut le souligner, en la matière, M. Attali n’a rien inventé. Vous avez fait allusion à une certaine logique du capitalisme… Il convient de faire attention aux propos que l’on tient.
Je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, l’indemnisation des jeunes avoués intégrera le capital restant dû, ce qui permettra à ces derniers de vivre d’un revenu décent sans avoir à rembourser d’emprunt pendant la période transitoire au cours de laquelle ils devront s’adapter à leur nouveau métier. Vous avez évoqué la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Or l’arrêt Lallement ne traitait que de l’expropriation d’un agriculteur, situation tout de même quelque peu différente.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Une expropriation reste une expropriation !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Je ne reviendrai pas sur le reclassement des salariés, le coût et le calendrier de la réforme, points sur lesquels j’ai déjà répondu.
À propos de la dématérialisation, je précise qu’un bâtonnier référent sera chargé de régler les difficultés éventuelles. Je le répète, nous sommes aujourd’hui en phase d’expérimentations. Disons-le franchement, au vu des problèmes informatiques que mon ministère rencontre, ce n’est pas une procédure aisée à mettre en œuvre ! Pour autant, les expérimentations nous permettent d’identifier les points de blocage. Il est de plus prévu de dispenser des formations dans les greffes et dans les barreaux. Ce sont autant d’éléments qui nous permettront de réagir rapidement.
Par ailleurs, l’étude d’impact a effectivement envisagé l’éventualité d’une augmentation des contentieux, mais rien n’est moins sûr. Je vous rappelle que la réforme vise à simplifier l’appel. Si une telle augmentation se confirme, cela voudra dire qu’aujourd’hui les justiciables ne font pas appel en raison du coût de la procédure. C’est un point sur lequel nous devons avancer.
Monsieur Mézard, j’ai d’autant mieux accepté ce texte « sous bénéfice d’inventaire », pour reprendre votre expression, que je l’ai moi-même modifié. C’est du reste logique, et c’est ainsi que je conçois ma responsabilité ministérielle. Je vous l’ai dit tout à l’heure, le travail des avoués n’est ni contesté ni remis en cause ; malgré tout, il convient de procéder à un certain nombre d’évolutions nécessaires.
Vous m’avez interrogée sur l’incohérence qu’il y aurait à avoir délivré, cette année, des diplômes d’aptitude à la profession d’avoué, alors même que cette dernière est appelée à disparaître. La décision a été prise en concertation avec les professionnels concernés, à leur demande, pour permettre aux nouveaux diplômés de bénéficier de la passerelle vers la profession d’avocat.
Vous avez également évoqué l’aide juridictionnelle, autre sujet qui me préoccupe beaucoup. Comme vous le savez peut-être, j’ai confié une mission à MM. Bélaval et Arnaud en vue d’améliorer notre visibilité sur cette réforme importante, qui devra se faire dans le courant de l’année 2010 ; j’espère même pouvoir la présenter avant l’été prochain.
J’ai déjà répondu sur le coût de la réforme, ainsi que sur l’indemnisation tant des salariés que des avoués eux-mêmes. Je ne reviens pas non plus sur la période transitoire, si ce n’est pour dire que les positions diffèrent sur ce point ; j’en dirai davantage dans un instant.
Madame Des Esgaulx, je vous remercie d’avoir souligné l’utilité de la réforme et rappelé la concertation qui l’a précédée.
La période transitoire est effectivement nécessaire, car tout ne peut pas se faire du jour au lendemain. Mais elle ne doit pas être trop longue. Je note d’ailleurs que, sur cette question, les positions ont varié au cours du temps, parfois chez les mêmes personnes. En pareil cas, c’est souvent le juste équilibre qui constitue la meilleure solution.
En outre, les avoués bénéficieront d’un certain nombre de passerelles, à la fois vers le métier d’avocat et celui de magistrat.
L’indemnisation des salariés sera effectuée par le biais d’un versement direct par le fonds d’indemnisation. Cette mesure, que vous approuvez, me semble-t-il, va nous permettre d’aller beaucoup plus vite.
Pour les exonérations des charges sociales, j’attire votre attention sur le fait qu’il existe déjà un dispositif de droit commun, communément appelé le dispositif « Fillon ».
Par ailleurs, les recrutements prévus dans les services judiciaires seront mis en œuvre dès la promulgation de la loi. Aujourd’hui, les chefs de cour sont en train de recenser les besoins qui peuvent exister ici ou là. Je réponds ainsi à plusieurs questions qui ont été posées.
Monsieur du Luart, je vous confirme mon souhait de ne laisser aucun salarié sans solution. Sans aller jusqu’à garantir un résultat immédiat, j’ai confiance en notre capacité à trouver pour tous une solution. La participation de l’État se traduit d’ores et déjà par un geste important puisqu’il crée 380 postes dans les greffes.
Vous pouvez y voir une marque de l’intérêt que le Gouvernement porte au sujet : sur les 1 500 salariés concernés, la mesure en touche plus de 20 %.
Comme vous l’avez souligné, monsieur Gélard, nous sommes confrontés à un problème de calendrier. Ce n’est pas M. le président Arthuis qui me démentira, il faut bien, à un moment, faire passer les textes, sauf à attendre le suivant ! C’est vrai, vous avez commencé par le projet de loi de finances rectificative. Je suis consciente du côté discutable de l’exercice. Je suis moi-même gênée qu’on puisse soumettre au Parlement certaines mesures spécifiques avant même qu’il n’ait discuté du texte qui porte sur le fond.
J’en viens à la taxe partagée entre toutes les parties en appel. Chacune acquitte un montant de 150 euros.
En outre, le projet de loi de finances rectificative prévoit d’étendre l’exonération fiscale applicable aux avoués qui cèdent leur office pour prendre leur retraite à ceux qui cesseront leur activité professionnelle lors de l’entrée en vigueur de la réforme.
Outre cet élément non négligeable, il existe aussi, monsieur du Luart, un volet social important qui va au-delà d’une simple indemnisation des salariés auxquels des solutions concrètes sont proposées.
Madame Dini, au sujet de la rupture du contrat de travail, je rappelle que l’indemnisation des salariés tient compte de l’ancienneté et des spécificités des personnes en cause.
Nous nous sommes préoccupés de la situation des femmes, notamment de celles qui sont peu diplômées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai privilégié la création de postes de catégorie B et C sur ceux de catégorie A, la règle voulant que le recrutement dans la fonction publique s’effectue au regard des diplômes. Parce que je me suis intéressée à la situation très concrète de ces femmes qui risquent de rencontrer des difficultés, j’ai souhaité leur offrir davantage de possibilités. Je crains d’autant moins les reproches que j’ai pris soin de prévoir, pour les plus diplômées, celles qui ont vocation à appartenir à la catégorie A, toutes les passerelles qui leur permettront d’accéder à d’autres professions juridiques.
Nous avons longuement réfléchi au problème de la période transitoire. Nous avons fait en sorte que les informations soient largement diffusées et longtemps à l’avance. Ce qui se produira en 2011 a été annoncé dès 2008, ce qui permet une préparation sur tous les plans, matériel et psychologique.
Madame Klès, le recours à l’avoué n’est pas obligatoire devant la chambre sociale. Il ne l’est pas davantage en outre-mer. Et la justice n’en est pas pour autant désorganisée ! J’invite donc à la mesure. On peut tenir un certain nombre de propos ; encore faut-il le faire de la façon la plus objective et concrète possible.
La communication électronique a un coût de 60 euros par mois et par cabinet d’avocats. Elle peut être utilisée en première instance et en appel. Quant à l’équilibre financier, le nombre d’appels, hors aide juridictionnelle, est de 125 000 par an. Le calcul a été fait d’une façon précise.
Les avocats sont en train de s’équiper des matériels et des logiciels qui permettent de communiquer avec les TGI et les cours d’appel. Comme je vous l’ai dit, des expérimentations sont en cours.
J’espère avoir été exhaustive au cours de cette très longue réponse. Je vous remercie, monsieur le président, de votre indulgence.
Je souhaite que cette réforme nécessaire se déroule dans la plus grande sérénité, à la recherche des meilleures solutions. C’est, en tout cas, dans cet esprit, que nous allons travailler sur ce texte dans cette enceinte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Michel et Anziani, Mme Klès, M. Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°18.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel (n° 140, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Robert Badinter, co-auteur de la motion.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, c’est, en quelque sorte, pour moi, une commission d’office ! Il ne m’appartenait pas de défendre cette question préalable. Cette tâche incombait à notre ami Jean-Pierre Michel, qui vous prie de l’excuser, car son train a beaucoup de retard.
J’ajoute que les moyens de communication et de dématérialisation n’ayant pas encore atteint le chemin de fer depuis Belfort, je ne sais rien de ce qu’il voulait vous dire ! C’est donc l’heure de l’improvisation.
Du moins cet exercice aura-t-il deux mérites.
Le premier, c’est celui de manifester ma reconnaissance à l’égard de la profession d’avoués, y compris d’avoués près la cour.
Il y a plus d’un demi-siècle, j’ai appartenu à cette corporation, ceux qu’on appelait les « clercs de la basoche ». Et je l’avoue, ce n’est pas sans nostalgie que je me souviens de l’époque où j’ai été clerc d’avoué près le tribunal, puis clerc d’avoué près la cour d’appel ; c’est ainsi qu’on formait –sérieusement, paraît-il ! – les avocats. Je filais, à travers un Paris déjà froid, sur ma mobylette pour toucher une rémunération mensuelle de 2 euros par mois !
En mémoire des heures heureuses que j’ai vécues à ce moment-là, je remercie tous ceux qui appartiennent aujourd’hui à cette profession.
Le deuxième mérite de cet exercice d’improvisation, c’est de m’adresser au doyen Gélard, aussi savant qu’à son habitude et aujourd’hui particulièrement talentueux. Il me paraîtrait juste que la Chambre nationale des avoués à la cour d’appel, autrement dit la compagnie des avoués, vous élève une statue. Comme l’aurait dit notre ami, le regretté président Jean Foyer avec lequel j’ai, en son temps, rompu tant de lances, Ave Gélard morituri te salutant ! (Sourires.)
Sur le fond, c’est simple. La question préalable consiste à dire que ce n’est pas le moment de débattre. C’est tout ! Depuis des décennies, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il est temps d’en finir, de créer une profession unique, laquelle sera la profession d’avocat. Le processus est en cours, il se réalise par étapes : après la suppression des avoués près le tribunal de grande instance viendra inévitablement le jour où disparaîtront les avoués près la cour d’appel.
Pour autant, était-ce le moment ? Je n’en suis pas du tout convaincu, pas plus, me semble-t-il, qu’aucun d’entre nous !
Vous aussi, madame la ministre d’État, vous accomplissez la mission qui vous est assignée. Ainsi invoquez-vous la nécessité de moderniser la justice. Cette perspective de modernisation a tant enthousiasmé mon vieil ami Jacques Attali qu’il a glissé, dans le cours de son rapport-fleuve, une proposition d’action immédiate s’agissant de la profession d’avoué près la cour d’appel.
Entre le dépôt du rapport Attali et la situation économique actuelle, on ne peut pas dire que nous soyons - hélas ! – dans la même condition. Et si bon nombre des sujets qu‘il avait évoqués ont été abandonnés, il aurait mieux valu, en ce qui concerne celui qui nous occupe, en différer également l’examen.
Je reprends l’un de vos arguments en faveur de la réforme que vous proposez, c’est un pas nécessaire vers la modernisation, qu’aurait d’ailleurs esquissé Mme Le Branchu. Je vais vous faire une confidence : on me l’avait déjà demandé ! Le Premier président Jean-Claude Magendie a raison : le cœur de la dématérialisation, c’est la numérisation.
À cet égard, dans l’état où sont les professions judiciaires, il est évident que les études d’avoués des grandes cours d’appel sont beaucoup mieux à même de répondre à la demande, par leurs pratiques, par la concentration des moyens numériques à leur disposition, que ne le sont la plupart des avocats.
À partir de là, finissons d’abord ce qui est essentiel, c’est-à-dire la dématérialisation et passons ensuite à la suppression des avoués près la cour.
Vous dites que les justiciables n’y comprennent rien. Ils ne sont pas sots ! Je ne pense pas que telle soit votre pensée. Quand on leur explique que, pour leur pourvoi en cassation, ils iront chez un avocat au conseil, ils le comprennent. Je ne les ai jamais vus s’émouvoir du rappel de la règle vieille de deux siècles qui fait intervenir un avoué près la cour pour le travail procédural.
Quand vous argumentez sur la réduction du coût, je vous le dis très franchement, vous ne me convainquez pas. Je ne crois pas que la réforme que vous entreprenez sera, pour les années à venir, porteuse d’économies. Mesurez que tous les cabinets d’avocats ne seront pas à même de procéder demain matin à la numérisation !
Quant aux plus grands cabinets, ceux qui sont très organisés, ils ont des frais généraux considérables. On ne peut pas leur demander de perdre de l’argent avec cette activité. À cet égard, les honoraires échappant à toutes taxes de ces cabinets, qui seront, à mon avis, les seuls capables d’assumer ce complément d’activité, seront inévitablement – et légitimement – plus élevés que ceux qui sont aujourd’hui pratiqués par les avoués prés la cour d’appel. Ces derniers n’ont pas de clients personnels et sont organisés en fonction de leurs correspondants.
Quelles que soient les perspectives que vous êtes en droit d’en espérer sur le long terme, vous ne pouvez attendre de cette réforme ni une amélioration des services, ni une réduction des coûts.
Que va-t-il se passer ? Je laisse de côté la querelle juridique, brillamment évoquée par le doyen Gélard, pour en venir à la vérité humaine qu’il est toujours important de rappeler.
Il est toujours douloureux de quitter une profession qu’on a affectionnée. Que vont devenir ces personnes ? Que pourront faire les plus âgés, qui vont perdre leurs correspondants ?
Peut-être les meilleurs – j’entends en chiffre d’affaires – retrouveront-ils, au sein de très grands cabinets, une possibilité d’activité comme conseil. Mais ce n’est ni leur formation initiale, ni leur compétence souveraine.
De patrons d’une PME, ils vont donc devenir associés secondaires d’une grande firme : on reconnaîtra que, à leur âge, ce n’est pas une perspective souriante.
Et comment s’effectuera le reclassement professionnel des avoués âgés qui n’ont pas derrière eux un tel niveau d’études ? Quant aux plus jeunes, qui ont investi dix ou quinze ans dans cette voie, ils vont devoir se reconvertir. Ils le feront – le savoir juridique existe –, mais ce ne sera pas facile.
Au-delà de l’expropriation, traitée à l’article 17 du projet de loi en effet – je connais la jurisprudence : n’insistons pas –, la question qui se pose est, disons-le, celle des personnels.
Je sais bien que la Chancellerie a fait un effort –350 salariés, c’est très bien –, mais, tout de même, pour les avoir si bien connus en mon temps de basoche, je puis dire que ces personnels chaleureux, et même assez joyeux, avaient la formation exigée à l’époque, pas celle que recherchent les grands cabinets d’affaires d’aujourd'hui.
À un certain âge, après des décennies d’un travail itératif, avoir à se reconvertir, espérer trouver sur le marché tel qu’il est un nouvel emploi sera une très grande épreuve pour eux et, surtout, pour elles, car il s’agit essentiellement de femmes.
Réforme aujourd'hui indispensable ? Je ne le crois pas. Réforme envisageable à long terme ? J’en suis convaincu. Tel est bien le sens de cette motion tendant à opposer la question préalable : ce n’est pas le moment !
Je constate l’état actuel de nos finances publiques, imprévisible au moment de la parution du rapport Attali ; je connais les préoccupations de nos concitoyens et je m’interroge : va-t-on encore ajouter des chômeurs aux chômeurs, des mécontents aux mécontents ?
Et tout cela, pour quoi ? Pas pour la satisfaction du justiciable ! Pas pour la modernisation de la justice, laquelle passe, j’en suis convaincu, par la dématérialisation, d’ailleurs avec les cabinets ou les offices ministériels existants…
Non, c’est tout simplement le résultat d’un de ces singuliers mouvements presque autonomes qui, d’une idée jaillie au sein d’une commission puis approuvée par le Président de la République, enclenchent la machine.
Et voilà que nous nous retrouvons un jour à voter des lois dont, au fond de nous-mêmes, nous percevons bien qu’elles ne sont ni urgentes ni abouties ! D’où cette question préalable, madame le garde des sceaux, monsieur le président, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)