M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 228, présenté par M. About, et ainsi libellé :

Amendement n° 218 rect.

Alinéa 3

Remplacer les mots :

intention de suspendre sa ratification,

par le mot :

volonté

La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Je pense que nous pourrions trouver une solution allant dans le sens de la position de la commission des finances, que je soutiens ardemment, comme je soutiens ardemment celle de M. le ministre, en rappelant que le contrôle fiscal et la lutte contre la fraude ont été affirmés à plusieurs reprises comme un objectif de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel, puisqu’il s’agit de l’application pure et simple du principe d’égalité des citoyens, depuis 1789, devant la loi et, en particulier, devant les charges publiques.

Monsieur le ministre, nous pourrions peut-être trouver une solution, qui, au fond, découle du droit. Vous disposez d’une liste mentionnant ce que j’appellerais « les États qui ne jouent pas le jeu », pour employer un langage qui ne blesse personne. La discussion revient finalement à déterminer qui figure ou doit figurer dans cette liste, à partir de l’amendement de la commission des finances.

La solution me semble très simple. Nous avons, dans la Constitution, un article 55 selon lequel les traités, accords, engagements internationaux de toute nature s’appliquent à la France et notre pays y est tenu sous condition de réciprocité. Il suffirait de rédiger ainsi la phrase proposée par l’amendement n° 218 rectifié : « Y sont également ajoutés les États ou territoires qui ne respectent pas l’obligation de réciprocité prévue à l’article 55 de la Constitution ».

Comme les Suisses, surtout lorsqu’il est question d’argent, sont particulièrement malins, je crois qu’ils comprendront facilement ce que cela signifie. Il s’agit simplement de rappeler que la République française est un État de droit, que dans un État de droit, notamment en ce qui concerne les relations internationales, la réciprocité est la règle absolue et que l’une des parties n’a aucune obligation si l’autre ne respecte pas ce qu’elle a signé.

Je propose donc la rédaction suivante : « Y sont également ajoutés les États ou territoires qui ne respectent pas l’obligation de réciprocité prévue à l’article 55 de la Constitution ».

M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 229, présenté par M. Charasse, et ainsi libellé :

Amendement n° 218 rect.

Alinéa 3

Après le mot :

qui

rédiger comme suit la fin de cet alinéa :

ne respectent pas l'obligation de réciprocité prévue à l'article 55 de la Constitution

La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Je l’ai dit tout à l’heure, l’article 14, tel qu’il résulte des débats à l’Assemblée nationale, constitue une avancée fort limitée dans la lutte contre les paradis fiscaux et, bien sûr, contre la fraude fiscale. J’ajouterai, pour reprendre les propos de notre collègue Michel Charasse, que l’objectif général devrait être que chacun, particulier ou entreprise, participe au financement des charges publiques à concurrence de ses moyens.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé quelques éléments de contexte, notamment au sujet de la Suisse. Après l’épisode de la liste des 3 000 évadés fiscaux, que personne n’a encore vue en France, après celui de l’ancien employé de la banque HSBC soupçonné de l’avoir volée, le gouvernement suisse se mettrait brusquement à tousser et M. le ministre, craignant que l’histoire aille trop loin, nous inviterait à la prudence.

Or, nous ne sommes pas en guerre et, pour ma part, je souscris complètement à la formulation exprimée à la fois par M. le rapporteur général, à l’occasion de la présentation de l’amendement, et par M. le président de la commission des finances.

Comme eux, nous constatons la vive inquiétude des Françaises et des Français, en particulier après la crise, devant les situations de fraude rencontrées à travers le monde, notamment en Suisse, pays qui abrite des fraudeurs. En ce sens, je serais tenté de dire que cet amendement permet de répondre aux demandes exprimées par la quasi-totalité de nos concitoyens.

Par ailleurs, nous ne pouvons admettre que soient déposés, sur cet article 14, des amendements qui, au lieu de l’améliorer, le rendent moins lisible et, de fait, moins efficace, je pense aux amendements qui suivent et que nous ne voterons donc pas.

Je voudrais saluer la proposition de M. le rapporteur général et de M. le président de la commission des finances. Il s’agit ici d’inscrire la Suisse sur la liste des territoires non coopératifs. Une telle initiative, dont nous partageons pour une fois le contenu et les intentions, montre, si besoin était, que la lutte contre la fraude fiscale devrait commencer par un examen critique des pratiques en cours au sein même de l’Europe, c’est-à-dire à nos portes et devant nous.

Nous jugeons cette mesure impérative et, d’ailleurs, il faudrait sans aucun doute également inscrire la principauté de Liechtenstein, la principauté d’Andorre, la principauté de Monaco, le Grand-Duché de Luxembourg, ou encore les îles anglo-normandes sur cette liste des territoires non coopératifs. Vous le savez, mes chers collègues, c’est dans ces pays que se pratique, peut-être pas pour l’essentiel, mais, en tout cas, pour beaucoup, la fraude fiscale dont nous nous plaignons depuis le début de cette discussion.

Par conséquent, nous soutenons l’amendement n° 218 rectifié et nous le voterons.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Je crois qu’il faut à la fois affirmer une position de soutien au Gouvernement dans son action contre la fraude et éviter d’aggraver la situation de ses discussions avec la Suisse. D’ailleurs, je ne crois pas que le législateur puisse lancer, au quotidien, des « opérations opportunité ».

Par conséquent, la solution proposée par notre excellent collègue Michel Charasse convient.

Si nous décidons de modifier ce texte, il faut à tout le moins ôter la notion d’intention de suspendre, qui est tout à fait provocante. Nous avons eu d’autres conflits avec la Suisse ; notre histoire est émaillée de difficultés avec « le coffre-fort de l’Europe ». Il faut donc trouver une formulation moins accidentelle et moins provocante, à laquelle, me semble-t-il, M. le ministre pourrait se rallier.

Je le répète, la formulation proposée par M. Charasse me paraît convenable. Nous pouvons également partir de l’amendement n° 218 rectifié en précisant « … ont manifesté publiquement leur intention de ne pas la ratifier », pour éviter cette notion de suspension qui me paraît choquante. De plus, cette formulation est plus claire. C’est donc une autre modification possible du texte.

En tout cas, le Gouvernement, notamment M. le ministre lui-même, est engagé dans une affaire difficile. Notre objectif ne doit pas être de lui compliquer la tâche.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Je m’exprimerai ici en qualité non pas de président de groupe, mais de sénateur de Lorraine.

Il faut trouver des mots qui, comme le souhaite la commission des finances et je souscris pleinement à sa position, mettent chacun en face de ses responsabilités, en particulier l’ensemble des pays avec lesquels nous avons des relations commerciales. Pour autant, il ne faut pas créer une situation difficile pour les régions transfrontalières.

À cet égard, je voudrais rappeler que le Grand-Duché de Luxembourg est aujourd’hui le premier employeur lorrain, avec près de 70 000 salariés et qu’il est toujours très sensible lorsqu’on lui dresse un procès d’intention. Je pense également à la situation des Savoyards : il y a 70 000 transfrontaliers qui travaillent sur le canton de Genève.

M. Michel Charasse. Ils gagnent de l’argent !

M. Gérard Longuet. Ils font également bien vivre leur département, voire plusieurs départements.

Je pense donc que les mots choisis doivent être les plus justes et les moins blessants. C’est pourquoi la formulation proposée par M. Nicolas About ou celle qui a été présentée par M. Michel Charasse me conviennent parfaitement, dès lors qu’elles n’affichent pas une suspicion délibérée.

Alors qu’en Suisse, notamment à Genève, les élections cantonales ont évincé les partis extrémistes anti-français, il serait malheureux de donner à ces partis des raisons de relancer une guerre qui n’aurait pas de sens.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. En cohérence avec la position que nous défendons afin d’appuyer le Gouvernement dans sa lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, nous avons adopté en commission des finances l’amendement de MM. Arthuis et Marini.

Évidemment, nous n’allons pas, monsieur Longuet, déclarer la guerre à nos voisins.

M. Gérard Longuet. Ce serait préférable !

Mme Nicole Bricq. Mais reconnaissez qu’à partir du moment où un État s’est engagé dans une stratégie coopérative à la suite du G20 et a signé une convention, en refusant ensuite de la ratifier, il manque à sa parole. Je pense qu’il faut soutenir le Gouvernement pour permettre à notre pays de parler d’égal à égal avec ses partenaires, afin que ceux-ci reviennent à des stratégies raisonnables et coopératives. C’est l’engagement qu’ont pris tous les pays à la suite du G20.

Je pense que la proposition de la commission est raisonnable. Plutôt que d’écrire « leur intention de suspendre sa ratification », il vaut mieux utiliser le terme de « volonté », qui est plus simple et plus compréhensible. Le Parlement n’utilise pas le langage diplomatique. Il veut affirmer une volonté, une action.

Tout à l’heure, de manière désolante, le Sénat n’a pas voulu stigmatiser des États dont on sait très bien qu’ils sont encore et toujours des paradis fiscaux au sein même de l’Union européenne. Là, à mon sens, il ne faut pas hésiter à le faire, tous ensemble parce que l’unanimité du Parlement renforcera la position de la France.

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.

M. Yann Gaillard. J’ai soutenu en commission des finances l’amendement de MM. Arthuis et Marini, que le ministre dit ne pas souhaiter.

M. le président. Il en demande même le retrait !

M. Yann Gaillard. En effet. Notre intention est d’abord de soutenir le ministre dans le combat très difficile qu’il mène. Si vraiment le ministre lui-même ne le souhaite pas, j’en conclus que le mieux peut être l’ennemi du bien.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. À ce stade, mes chers collègues, je voudrais préciser quelques éléments.

D’abord, nous pouvons nous réjouir de débattre de cette question dans un hémicycle parlementaire…

M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. Effectivement !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … parce qu’elle relève bien de notre responsabilité.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le texte dont nous sommes saisis est utile et intéressant. Il nous conduit à nous poser des questions, ce qui est normal. En tant que parlementaires, nous réagissons à l’actualité, en fonction de l’image que les médias nous renvoient de ce sujet. Si nous ne le faisions pas, nous ne serions pas dans notre rôle.

Nous savons bien que nous devons naviguer entre des écueils. Entre États du continent européen – pour ne parler que de ceux-là –, membres ou non de l’Union européenne, j’y reviendrai, nous entretenons des liens multiformes. Il a été question des régions frontalières, c’est vrai. Mais nous sommes nécessairement partagés entre deux mouvements : d’un côté, nous devons faire vivre l’esprit européen, donc éviter de monter en épingle des sujets de conflit, et, de l’autre, nous courons le risque important de l’hypocrisie, qui nous guette dans cette période, le risque d’employer des mots qui ne correspondent pas à la réalité des choses.

Le risque de l’hypocrisie, au-delà des aspects moraux sur lesquels je ne m’étends pas, c’est un très grand risque politique. En effet, s’engager devant l’opinion publique sur des mesures que l’on ne veut pas ou que l’on ne peut pas mettre en œuvre, c’est se placer en porte-à-faux. (Mme Michèle André et M. Thierry Repentin acquiescent) Et le risque n’est pas celui de tel ou tel dirigeant politique, c’est celui du système représentatif et démocratique dans son ensemble. Il ne faut pas hésiter à prendre le problème à ce niveau.

M. Thierry Repentin. Vous avez raison !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. J’en viens aux pays de l’Union européenne, et je terminerai par nos amis de la Confédération suisse.

J’ai en mémoire un élément d’actualité récente qui a donné lieu à une dépêche que je vais vous lire : « le Luxembourg et l’Autriche, deux des derniers bastions du secret bancaire en Europe, ont bloqué, mardi 20 octobre, un projet d’accord de l’Union européenne avec le Liechtenstein pour coopérer contre la fraude fiscale et obtenir de la principauté un meilleur accès aux informations ».

Voilà une réalité de la vie communautaire. Il y a ce que l’on dit et il y a un théâtre d’ombres qui s’agitent et sur lesquelles s’exercent toutes sortes d’influences. Si nous adressons aux opinions publiques des messages, si nous leur tenons un certain langage, elles doivent être assurées de notre détermination. De la réalité de cette détermination dépend notre crédibilité, et, à cet égard, si l’on utilise des formules, si l’on vote des dispositions législatives, il faut les vouloir et pouvoir les mettre en application.

C’est la raison pour laquelle il faut éviter les mots excessifs, surtout à l’égard de nos vieux amis et partenaires de la Confédération où ces mots-là, naturellement étrangers au tempérament national, n’ont pas leur place.

M. Michel Charasse. Point d’argent, point de Suisse !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Lors d’un déplacement que j’ai fait il y a quelques mois à Berne, j’ai eu le sentiment, après avoir rencontré le responsable du département fédéral des finances, ses collaborateurs et des membres des deux chambres du Parlement, que si accord d’association ou d’assistance administrative il y avait, la ratification serait sans doute un chemin très long et semé d’embûches. On me laissait d’ailleurs entendre que le recours à la votation populaire n’était pas à exclure.

Dans l’intervalle, le ministre du budget et ses collègues du Gouvernement ont mené un travail extrêmement utile et important de conviction à tel point que, jusqu’à une date très récente, il a pu sembler que l’on s’acheminait vers l’effectivité des accords avec la Suisse, ce qui, au départ, n’allait pas du tout de soi.

Puis, ces derniers jours, nous le savons, les choses ont pris un tour plus passionné à partir d’un épisode qui n’est pas directement lié à la convention en question, qui a à voir avec une liste, mais il ne s’agit pas de la même liste, elle n’a pas le même statut ni la même finalité. (Sourires.)

Peut-être faut-il laisser cette pression s’alléger. En tout état de cause, il est nécessaire que le Parlement exprime le souci qu’en cette période de post-crise on mette de côté toutes les hypocrisies pour aller dans le sens que souhaitent les femmes et les hommes de toutes conditions, de toutes opinions qui nous ont élus, et c’est à ce mouvement que nous voulons contribuer.

Quelle est la meilleure façon de le faire ? Comme le dit très justement Yann Gaillard, si l’on souhaite aider le Gouvernement, on ne peut pas être plus gouvernementaux que le Gouvernement, plus royalistes que le roi, puisque, après tout, c’est au Gouvernement qu’il revient d’apprécier les situations.

La commission mixte paritaire sera de toute façon saisie de cet article, puisque des modifications vont y être apportées, et le débat s’y poursuivra.

Peut-être est-il possible de retenir une autre formulation (Mme Nicole Bricq approuve), de ne pas retenir la notion de suspension car elle peut être considérée comme visant spécifiquement la situation actuelle de la Confédération suisse. (M. Jean-Pierre Fourcade acquiesce.) Après réflexion, peut-être faudra-t-il envisager une formulation du type de celle qu’a formulée M. About.

Je ne sais pas, monsieur le président, si nous pouvons nous prononcer à l’instant même ou s’il est encore possible de demander la réserve de cet amendement…

M. Gérard Longuet. Réservons !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … de manière à trouver, d’ici à la fin de la discussion du projet de loi de finances rectificative, une solution la plus consensuelle possible. Telle est la question que je pose et je n’irai pas au-delà dans ma contribution à cet utile débat.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, puis-je être direct ?

MM. Jean-Pierre Fourcade et Jean-Claude Carle. Oui !

Mme Nicole Bricq. Oui, l’heure est venue !

M. Éric Woerth, ministre. Nous sommes en confiance, ne me compliquez pas les choses ! Nous sommes dans un processus difficile, où le Gouvernement a montré sa volonté d’agir. Si tel n’était pas le cas, je comprendrais certaines attitudes. D'ailleurs, je remercie encore ceux d’entre vous qui, dès ce matin et encore à l’instant, ont apporté leur soutien au travail du Gouvernement et plus particulièrement, puisque c’est ma tâche, au travail que j’effectue sur ce sujet. Mais ne cherchez pas à faire mon bonheur contre mon propre gré ! (Sourires.)

On voit bien, à travers les amendements, que les mots se cherchent : « volonté », « intention… », « …article 55 de la Constitution ». On n’est pas tout à fait « calé ». Tout cela est très créatif mais, au fond, le signal envoyé est que l’on a en réalité envie d’aller plus loin dans la polémique plutôt que de chercher l’apaisement. Apaisement ne veut pas dire laxisme, mais même fermeté dans le cadre du droit et entre partenaires qui s’apprécient.

En ce qui concerne, par exemple, les autorités suisses, je souhaite que, très rapidement, la suspension du processus de ratification soit levée. Ne rendons pas plus difficile non plus, pour l’opinion suisse, la possibilité d’aller vers cette ratification. Nous souhaitons que les pays qui, comme la Suisse, ont signé avec nous des conventions les ratifient, fassent entrer dans leur droit la capacité que nous aurons d’échanger des informations fiscales au sens de l’OCDE.

Je vous demande, pour une fois, de me faire confiance.

M. Jean-Claude Carle. Pourquoi « pour une fois » ?

M. Éric Woerth, ministre. Je vous le demande solennellement sur ce sujet.

Comme quelques preuves l’attestent, je suis à l’origine de la liste des paradis fiscaux, à la suite de l’affaire du Liechtenstein. Cela a été oublié, ce n’est pas grave, je ne souhaite pas laisser mon nom dans l’histoire pour ce fait ! (Sourires.)

Cette affaire du Liechtenstein était finalement comparable à celle que nous vivons,…

M. Michel Charasse. Elles se ressemblent !

M. Éric Woerth, ministre. … excepté le fait que les autorités allemandes s’étaient procuré une liste dans d’autres conditions que ne l’ont fait les autorités françaises. Nous avions obtenu par le biais d’autres fiscs une liste de contribuables français qui semblaient vouloir échapper au fisc français.

Nous nous sommes dit que l’affaire du Liechtenstein était importante et les conclusions que nous en avons tiré, c’est que la liste des paradis fiscaux établie par l’OCDE, qui en faisait apparaître trois, ne correspondait pas à la réalité et qu’il y en avait beaucoup plus. Il était difficile de croire que le monde tournait avec trois paradis fiscaux ! Cela voulait dire que cette liste ne servait à rien et que, dans ce domaine, les États ne jouent pas leur rôle.

Nous avons donc engagé un processus qui a conduit le G20 – la crise est arrivée dans l’intervalle – à établir une nouvelle liste de paradis fiscaux : une liste grise, puis la signature de conventions.

Ensuite, j’ai mis en œuvre des mesures. J’aurais très bien pu ne pas le faire – je suis responsable du contrôle fiscal. Je pourrais mener en bateau, invoquer le fait que le monde est difficile. J’agis, et cela me vaut de prendre des coups, même parfois dans la presse, ce qui est surprenant. C’est très difficile. Nous travaillons sereinement, en respectant le droit. Je ne vais pas pour autant mettre le feu aux relations internationales de la France avec tel ou tel pays, qui relèvent de la diplomatie ; moi, mon métier, c’est de « faire du fiscal », ce qui est tout à fait différent.

Nous pouvons apaiser la situation en expliquant notre démarche, tout en restant très fermes. Les contribuables français relèvent de l’État français, qui, lorsque ceux-ci ne respectent pas la loi, a le droit, à partir d’informations obtenues légalement, de mandater un contrôle fiscal pour vérifications. Il n’est pas si facile de faire évoluer les choses, tout comme il n’est pas aisé pour les pays concernés de modifier leur culture, voire leur modèle économique. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui voyagez beaucoup, vous savez qu’il ne faut pas sous-estimer ces difficultés.

Nous signons des conventions avec de grands pays. Nous en signons également avec des petits États, comme l’île de Man, Saint-Marin ou Andorre. Ces conventions font sens aussi bien pour nous que pour eux. Je me suis rendu dans ces États, j’ai vu le plus vieux parlement du monde. Ils doivent changer. En tant que signataire de la convention, la France va vérifier tout cela. La communauté internationale fera de même au travers d’un contrôle qui sera fait par les pairs.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a voté un dispositif aux termes duquel « les États et territoires qui n’ont pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties et auxquels notre pays avait proposé, avant le 1er janvier de l’année précédente, la conclusion d’une telle convention » sont soumis aux sanctions prévues dans les articles que nous allons examiner. Il existe donc bien une « voiture-balai » dans la législation temporaire française, avant que le texte soit voté.

Faites-moi confiance, faites confiance au Gouvernement. Dans ce processus extrêmement difficile, de grâce, n’ajoutons pas une crise à la crise ! Ce n’est pas utile. Restons fermes. Envoyez ce message de fermeté comme vous avez su le faire. Mais, au-delà, ne compliquez pas la situation.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, vous avez les accents de la sincérité et nous ne doutons ni de votre engagement ni de votre détermination. Le Sénat est bien sûr derrière vous dans la lutte que vous menez contre les paradis fiscaux.

Jusqu’à récemment, si la mondialisation était là, les moyens de transports et de communication étaient dérisoires. Aujourd'hui, la donne a totalement changé, et la financiarisation s’est emparée du monde. Les pratiques au travers des paradis fiscaux ne sont plus tolérables. Mais il ne suffit pas d’être convaincu qu’il est nécessaire de les faire disparaître pour que ceux-ci disparaissent.

Nous sommes à vos côtés, mais il est également important que, à un moment donné, la représentation nationale puisse exprimer le ressenti, l’attente et l’impatience de nos concitoyens.

Rien n’est pire que l’annonce d’une volonté qui ne se traduit pas par des actes, ce qui nous conduits à afficher une sorte d’impuissance politique, et c’est ce que nos concitoyens ne tolèrent plus. Nous devons donc trouver un juste équilibre entre la volonté exprimée et la capacité à faire.

Monsieur le ministre, au terme de ce débat, accepteriez-vous de réserver l’article 14 afin que nous puissions élaborer en commission une rédaction qui tienne compte des interventions des uns et des autres et proposer au Sénat un texte qui manifeste bien notre volonté sans pour autant vous mettre en difficulté dans les négociations internationales ?

M. le président. Monsieur le président Arthuis, jusqu’à quand souhaitez-vous réserver l’article 14 ?

M. Jean Arthuis. Jusqu’après la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2010, demain après-midi, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?

M. Éric Woerth, ministre. Si le Sénat souhaite disposer de plus de temps pour travailler sur le sujet, cela ne me pose pas de difficultés. J’attire néanmoins votre attention sur la nécessité de ne pas en rajouter.

D’ailleurs, si nous constatons une telle agitation nationale et internationale, c’est bien qu’il se passe quelque chose. Autrement, ce ne serait pas le cas. Il y a donc bien une véritable « valeur ajoutée » politique.

Pour ma part, j’interprète plutôt cela comme un satisfecit, une incitation à persévérer dans cette voie. En effet, j’ai envie d’aboutir. En la matière, ce qui compte, c’est d’être efficace. Un tel sujet ne peut pas ne pas provoquer un certain nombre de polémiques. Nous allons vers un monde différent, mais la période transitoire est nécessairement un peu agitée. Ne soyons pas peureux ! Au contraire, examinons calmement la situation et faisons les choses correctement.

Monsieur le président, je ne m’oppose pas à la demande de réserve. Mais il faudra que notre dialogue soit le plus construit et le plus concis possible.

Mme Nicole Bricq. Nous allons vous aider !

M. le président. La réserve est de droit.

L’article 14 est donc réservé jusqu’après la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2010, demain après-midi.

Article 14 (réservé) (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2009
Discussion générale