Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, d’autres orateurs l’ont dit avant moi, le Conseil européen des 10 et 11 décembre sera le premier à se tenir après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Si vous vous félicitez, monsieur le secrétaire d’État, du franchissement de cette étape pour la construction européenne, parlant même de « révolution » pour l’Europe, vous ne pouvez néanmoins cacher que son adoption s’apparente à un long périple qui aura duré plus de cinq années. Je me dois donc de rappeler quelques faits.
Le premier d’entre eux sonne comme un désaveu de la construction libérale incarnée par ce traité : la Constitution européenne, version initiale du traité de Lisbonne, rédigée dans le secret des institutions européennes par la « commission Giscard d’Estaing » a été majoritairement rejetée par le peuple français le 29 mai 2005. Les partisans du « non » apparaissaient alors comme les liquidateurs de l’Europe. Pourtant, il n’aura pas fallu longtemps aux tenants de cette Constitution pour mettre en musique un plan B, sous l’égide d’une conférence intergouvernementale.
Ce plan B, ou traité de Lisbonne, version « simplifiée » mais conforme de la Constitution européenne, a ainsi été de nouveau soumis aux États. De peur de voir une nouvelle fois ce texte rejeté, vous l’avez fait adopter, le 7 février 2008, par les seuls parlementaires nationaux, faisant ainsi le choix de nier le vote du peuple !
Ce déni de démocratie n’étant pas suffisant, le procédé choisi en Irlande est venu confirmer la rupture qui s’est instaurée entre les peuples et l’Europe : après que les Irlandais eurent repoussé le traité, à la suite d’une consultation imposée par la Constitution irlandaise, celui-ci a été de nouveau soumis à référendum. Au final, au prix d’arguments outranciers insistant sur les difficultés insurmontables que rencontrerait l’Irlande si elle n’adoptait pas ce texte, ce traité, pourtant caduc dès 2004, est entré en vigueur. Comment ne pas souligner les efforts considérables qui vous ont permis d’accomplir cette prouesse absolument inédite !
Nous estimons que ce processus de ratification donne un éclairage particulièrement négatif sur la possibilité d’une démocratisation de l’Union européenne.
Pour ce qui est du contenu même du traité, nous sommes particulièrement inquiets sur sa capacité à sortir l’Union de la crise qu’elle traverse aujourd’hui.
En effet, si le dogme de la concurrence libre et non faussée n’apparaît plus dans le corps du traité, il est repris dans un protocole annexe possédant la même valeur juridique.
En prônant la libre circulation des capitaux, la liquidation des services publics et l’indépendance de la Banque centrale européenne à l’égard des États, vous soumettez la construction européenne aux principes ultralibéraux qui ont pourtant conduit à la crise financière, économique et sociale que nous traversons actuellement et qui touche très durement les citoyennes et citoyens européens.
Pourtant, cette Europe de la finance que vous construisez depuis l’adoption du traité de Rome a fait la démonstration de son incapacité profonde à répondre aux attentes et aux besoins des peuples.
Ce traité pose donc les bases non d’un grand pas pour l’Europe, mais de la poursuite des politiques européennes ultralibérales qui ont conduit à la crise.
De plus, les grands changements institutionnels prévus dans le traité de Lisbonne s’avèrent limités. Si le Parlement européen voit les domaines de codécision renforcés, il ne dispose toujours pas du pouvoir d’initiative parlementaire. C’est tout de même un comble pour l’organe censé disposer du pouvoir législatif !
Quant au processus de désignation ayant abouti à la nomination de Herman Van Rompuy à la présidence du Conseil et de Catherine Ashton à la tête de la diplomatie, il illustre une nouvelle fois le fonctionnement de cette Europe : c’est la prime au marchandage interétatique, en dehors de toute considération d’intérêt général.
Par ailleurs, nous estimons que la personnalisation et la concentration des pouvoirs au sommet constituent un poison pour la démocratie. Selon mon ami Francis Wurtz, fin connaisseur des institutions européennes, « à l’échelle de l’Union européenne, ce serait même un défi mortel à la souveraineté ». Il note également très justement que « ce qui manque le plus à l’Europe, ce n’est pas un président du Conseil, mais bien plus un projet politique dans lequel les peuples puissent se reconnaître et s’investir ». Je partage pleinement cette analyse.
Pour cette raison, contrairement à vous, monsieur le secrétaire d’État, je déplore la volonté de M. Barroso de constituer une nouvelle Commission européenne plus libérale encore que la précédente puisqu’elle comptera treize conservateurs, huit libéraux et six socialistes. Dans ces conditions, comment pourra-t-elle esquisser les réponses nécessaires face à la crise ?
En effet, nous estimons que la mission première de cette nouvelle Commission, comme de l’ensemble des institutions européennes, devrait résider dans sa capacité à répondre à l’urgence sociale de l’Union européenne. Ainsi, la crise a entraîné la disparition de 4 millions d’emplois, ce chiffre devant, selon statistiques de cette même Commission, atteindre 7 millions l’année prochaine.
Nous déplorions, lors de l’examen de la contribution de la France au budget de l’Union européenne, la faible ampleur des crédits liés à l’agenda de la politique sociale. Nous confirmons ici que seule une détermination farouche de l’ensemble des institutions communautaires permettra d’endiguer la crise sociale, par des mesures concrètes en faveur de l’emploi, des salaires et du pouvoir d’achat.
La question est donc la suivante : les dirigeants européens trouveront-ils le moyen de lier l’idée de construction européenne avec celle d’un progrès social au bénéfice de tous ? Il s’agit de bâtir une Europe qui protège et non une Europe qui déshumanise face à un marché omnipotent et omniscient.
Alors que la crise financière reprend aux États-Unis, nous attendons des initiatives fortes en faveur de la régulation des marchés financiers. On peut, en particulier, s’inquiéter des tensions pesant sur les crédits immobiliers en Espagne et en Grande-Bretagne. Nous déplorons également que la valse des bonus exorbitants des traders ait repris partout dans le monde, aux États-Unis comme en Europe, notamment en France.
Nous serons également très attentifs à la stratégie qui succédera à la stratégie de Lisbonne, dont les défaillances sont patentes. Au lieu de faire de l’économie européenne la plus compétitive du monde, cette stratégie l’a conduite dans une crise dramatique, en appelant à toujours à plus de réductions de la dépense publique et en confiant au secteur privé la responsabilité d’organiser les services publics. Cette politique s’inscrit dans le droit fil de l’Accord général sur le commerce des services, qui considère l’ensemble des activités humaines comme des marchandises. C’est une impasse sociale, économique et environnementale.
Le programme de Stockholm sera également au menu du Conseil européen. Loin de permettre la construction d’une Europe de justice, d’égalité, de fraternité, de coopération et de solidarité, il renforce le caractère sécuritaire des politiques relatives aux migrations, faisant craindre à terme des atteintes aux droits fondamentaux des migrants, considérés uniquement sous l’angle de leur valeur marchande. Alors que le principe de libre circulation est à l’honneur concernant les capitaux, il en est tout autrement quand il s’agit des hommes. J’ai fait part de mes craintes le 17 novembre dernier à Bruxelles, en évoquant une « Europe forteresse ».
Ce dernier point confirme notre analyse sur la vocation de l’Europe aux yeux de ses dirigeants : ils souhaitent une Europe de la finance et des marchés et non une Europe des peuples.
Dans ce cadre, et alors que se tient en ce moment même la conférence de Copenhague, nous estimons que la proposition des Européens reste en deçà des enjeux.
En effet, quelle que soit l’issue de ces discussions, qui portent pour l’essentiel sur la répartition de l’effort entre États membres, la contribution européenne s’annonce déjà insuffisante au regard de l’objectif mondial de contenir le réchauffement de la température moyenne du globe dans la limite de 2 degrés. Dans le « paquet énergie-climat » adopté au printemps, l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à 2020 par rapport à 1990, alors que, selon les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, cet effort devrait être de l’ordre de 25 % à 30 % pour que soit atteint l’objectif mondial de diminution de 50 % de ces émissions d’ici à 2050 par rapport à 1990.
Pour autant, rien n’assure que l’engagement européen sera respecté : les mécanismes prévus dans la directive du 23 avril 2009 s’avèrent peu contraignants et le marché carbone, qui crée de véritables « droits à polluer », sera étendu en 2013. Il s’imbrique dans un système de spéculation sur la pollution, ce que dénonce très justement notre collègue Fabienne Keller dans sa proposition de résolution. Elle déplore l’absence de contraintes liées à ce marché, estimant qu’il « souffre en particulier d’une absence de régulation et d’un cadre normatif très léger ». Elle estime que ce marché de quotas ne doit pas être, une fois créé, « abandonné à la logique ordinaire des marchés financiers. ». C’est pourtant ce qu’organise cette directive. Nous avons en effet des doutes sur la capacité du marché à réguler les émissions de gaz à effet de serre quand c’est le marché lui-même qui est à l’origine de leur explosion.
La Commission européenne a, de plus, établi une liste de 164 secteurs industriels qui seront exemptés de tout effort : la sidérurgie, la cimenterie, mais aussi une bonne partie de l’industrie manufacturière, notamment l’armement et les laboratoires pharmaceutiques. Si l’Union européenne se refuse à contraindre ses industriels à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à la hauteur de leurs responsabilités, elle refuse tout autant de remettre en cause sa politique économique, malgré l’échec de celle-ci en matière environnementale. En témoigne notamment la fuite en avant que constitue l’ouverture à la concurrence du secteur des transports et de l’énergie, associée au refus d’établir un bilan.
Pourtant, dans le secteur des transports, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 26 % entre 1990 et 2006. Au final, l’essentiel de l’effort climatique européen sera une nouvelle fois supporté par les consommateurs, ce que nous déplorons.
Tels sont les sujets sur lesquels les sénateurs du groupe CRC-SPG souhaitaient, monsieur le secrétaire d’État, attirer votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du Conseil européen des 10 et 11 décembre reflète la transition européenne, profonde et positive, à laquelle nous assistons.
Tout d’abord, il s’agit d’une transition institutionnelle réussie, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne à compter du 1er décembre dernier. C’est un immense progrès pour l’Union européenne, la logique de la fuite en avant par un élargissement sans approfondissement ne pouvant, nous n’avons jamais cessé de le répéter, se poursuivre indéfiniment. Désormais, l’Europe des Vingt-sept aura les moyens institutionnels de ses ambitions, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. À cet égard, je ne rejoins donc pas le pessimisme de notre collègue Jean François-Poncet.
La transition est également environnementale. Elle se poursuit à l’heure actuelle, avec les négociations du sommet de Copenhague. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, il faut parvenir, le plus vite possible, à un accord juridiquement contraignant. Or, pas plus qu’en matière institutionnelle, l’Europe n’a à rougir dans ce domaine. Unie et incitative, elle a même été exemplaire, en particulier sous l’égide de la présidence française, qui, rappelons-le, a fait adopter le « paquet énergie-climat ».
Nous ne pouvons que nous féliciter de l’engagement, sous l’autorité du Président de la République, de l’« équipe France », composée de personnalités telles que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, ou Jean-Louis Borloo. Si nous obtenons un accord ambitieux à Copenhague, nous le devrons en grande partie à cette équipe.
Enfin, la transition devrait être économique, et c’est à ce point que je consacrerai l’essentiel de mon intervention.
Tirer les leçons de la profonde crise que nous traversons implique de nous interroger sur les fondamentaux de l’économie européenne, afin de sauvegarder le modèle de croissance sociale auquel nous sommes tant attachés.
En matière économique, la nécessité pour l’immense majorité des États membres de l’Union de rééquilibrer leurs finances publiques est criante. Aujourd’hui, vingt États sur vingt-sept sont « hors des clous » de Maastricht.
Mais un tel redressement ne sera possible que si l’Union parvient à mettre en place une véritable stratégie commune de sortie de crise.
L’Europe est en mal de relance parce qu’elle est aujourd’hui privée d’impulsion. Or le moteur européen est bien connu : c’est, depuis toujours, le couple franco-allemand.
La France et l’Allemagne, les deux grandes puissances de l’Union, ne sont toujours pas parvenues à mettre en place une impulsion économique commune. Aucune ligne économique générale ne se dégage de leurs dynamiques, ce qui pose une fois de plus, mais avec une acuité nouvelle, la question de la politique budgétaire de l’Union.
Or, dans cette affaire, la responsabilité de notre pays pourrait être aujourd’hui déterminante. La France est en retard par rapport à son voisin d’outre-Rhin. L’Allemagne a initié bien avant nous son ajustement économique. Dans les années quatre-vingt-dix, le chancelier Kohl mettait en place la retraite à soixante-sept ans, avec l’appui des socialistes. Le socialiste Gerhard Schröder fit de même en matière de protection sociale, avec l’agenda 2000. Le résultat est frappant : le taux de dépenses par rapport au PIB est de sept points inférieur en Allemagne.
Non seulement l’Allemagne a su mener ces réformes, mais elle dispose également d’au moins deux atouts économiques maîtres par rapport à la France.
Le premier est une base industrielle beaucoup plus puissante que la nôtre, ce qui lui permet de supporter sans trop souffrir un euro à 1,5 ou 1,6 dollar. Le différentiel de compétitivité entre nos deux pays est de quinze points.
Le second atout est d’ordre démographique. La démographie allemande est bien moins dynamique que la nôtre. Paradoxalement, les 650 000 ou 700 000 naissances par an, rapportées à 82 millions d’habitants, que notre voisin allemand enregistre depuis dix ans – à comparer aux 800 000 naissances françaises pour 62 millions d’habitants – constitueront pour lui un atout, car il n’aura pas à supporter le poids d’un trop grand nombre de jeunes à former. Cet avantage perdurera jusqu’en 2015 ; la démographie deviendra alors un handicap pour l’Allemagne. Mais, d’ici là, il faudra bien tenir et s’adapter.
Tous ces facteurs structurels expliquent le différentiel de trois points de déficit qui subsiste entre nos deux pays. En 2008, l’Allemagne avait un déficit budgétaire égal à zéro, quand celui de la France était de 3 % du PIB.
En raison de la crise, ces deux pays ont vu leur déficit structurel augmenter de 5 %, pour s’établir à 8 % du PIB pour la France, contre 5 % pour l’Allemagne. Tous ces facteurs structurels nous placent face à nos responsabilités.
Faute pour notre pays de procéder aux ajustements structurels qui s’imposent, le couple franco-allemand demeurera un « attelage bancal », pour reprendre l’expression de Christian Saint-Etienne. Le couple franco-allemand est aujourd’hui bien trop déséquilibré, ce qui nous affaiblit et nous décrédibilise vis-à-vis de l’Allemagne.
Le Président de la République semble en avoir pleinement conscience, comme en témoigne, pour ne prendre qu’un exemple, le fameux rendez-vous annoncé du printemps 2010 sur les retraites.
C’est la France que le couple franco-allemand attend pour repartir ! Ce sont des réformes de la France que l’Europe attend pour retrouver son moteur économique, et pour rebondir ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. - M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, mes chers collègues, je partage le sentiment de M. le secrétaire d’État : nous avons des difficultés à organiser ces débats, y compris sur des sujets importants comme la préparation du Conseil européen. Il y a bien sûr des raisons contingentes – nous venons d’achever l’examen du projet de loi de finances –, mais ce n’est pas la première fois que nous avons du mal à intéresser nos collègues, quelle que soit leur appartenance politique. La méthode est-elle insuffisamment pédagogique ? Le débat, par trop formel, donne-t-il l’impression que l’on ne peut pas agir sur les choses ? Nous devrons en tout cas y réfléchir. (M. le président de la commission des affaires européennes opine.)
J’en viens maintenant au fond de mon intervention.
Les 10 et 11 décembre prochains se tiendra le premier Conseil européen depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Nous avons de nouvelles institutions. Ce n’est sans doute pas fracassant, mais on note quelques progrès et, surtout, on sort de toutes ces années de « patinage » autour des questions institutionnelles. C’est quand même une page qui se tourne.
Un président du Conseil européen et un Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères ont été nommés. Je pense qu’il faut leur faire confiance. (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.) Ils ne sont pas connus, mais ils ne sont pas les premiers dans l’histoire, et peut-être montreront-ils des qualités importantes.
Reste que la méthode de désignation a tout de même été un peu désagréable : ces deux noms subitement sortis du chapeau masquent difficilement les marchandages. La nomination par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement n’est pas en cause, mais, si on veut rétablir le lien entre l’opinion publique, les citoyens d’Europe et les institutions européennes, il faut s’y prendre autrement. Il faudrait créer un mouvement, susciter l’intérêt, permettre aux gens de s’identifier un tant soit peu à leurs dirigeants.
Sur le plan du fonctionnement, je m’interroge sur le rôle du président du Conseil européen. Il va présider le Conseil, soit ! Donc, il aura un petit marteau et tiendra l’agenda. Mais fera-t-il plus que cela ? Pourra-t-il orienter l’ordre du jour, fixer certaines priorités et user de son influence ? Jouera-t-il un rôle politique ou sera-t-il simplement un distributeur de parole ? Il est sans doute impossible de répondre aujourd’hui à ces questions, mais nous serons attentifs.
Je m’interroge également sur le lien qu’entretiendra ce président permanent, désigné pour deux ans et demi, avec les présidences tournantes, qui subsistent. L’articulation entre ces deux institutions est difficile à comprendre. Le président du Conseil sera-t-il représenté dans tous les conseils ministériels spécialisés ?
Je suis certes satisfait qu’il y ait une représentation de l’Union européenne au plan international, mais elle est presque pléthorique : désormais, il y a trois numéros de téléphone ! Surtout, comment tout cela va-t-il s’organiser ? Qui va être le mâle alpha ?
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Il ne faut pas être trop cartésien…
M. Richard Yung. La mise en place du futur service européen pour l’action extérieure est une affaire importante que l’on n’a pas encore parfaitement assimilée. Comment la France voit-elle les choses dans ce domaine ? A-t-elle fait des propositions ? Et comment ce service va-t-il s’articuler avec nos ambassades ? J’imagine que les frictions seront nombreuses… Les ambassadeurs de France, comme les autres d’ailleurs, ne vont pas être particulièrement ravis de voir arriver d’autres ambassadeurs, avec leurs bicornes, qui prétendront représenter l’Union européenne. Il y aura un problème de définition des compétences et de fonctionnement. Je sais que Mme d’Achon devait rendre un rapport sur le sujet au sein du ministère des affaires étrangères. Vous a-t-elle déjà rendu ses conclusions et, si oui, pourriez-vous nous en présenter les grandes lignes, monsieur le secrétaire d’État ?
Je me réjouis de la nomination d’un commissaire chargé des droits fondamentaux. Cela va dans le bon sens. On mesure l’importance de ces questions quand on voit ce qu’il est advenu de l’accord SWIFT, qui a finalement été signé au nom de la lutte contre le terrorisme, et pas au nom des droits fondamentaux des citoyens européens.
Quant à la désignation de deux députés européens supplémentaires, qui ne présente pas de lien direct avec ce Conseil européen, il me semble que la France n’a pas choisi la bonne méthode et a fait preuve d’imprévision. Nous aurions pu anticiper. Au lieu de cela, nos représentants auront la qualité de simples observateurs, ce qui revient à nous faire perdre deux sièges. Ce n’est pas très démocratique… Mais nous aurons l’occasion de revenir sur cette question, et de vous dire tout le mal que nous pensons de la solution retenue.
Sur le réchauffement climatique, tout le monde sent bien que l’Union européenne doit jouer un rôle moteur dans les négociations qui se déroulent actuellement. Des grandes zones développées du monde, l’Europe est la plus en avance dans ce domaine et, compte tenu des positions américaines, c’est par l’intermédiaire de l’Union européenne que des décisions ambitieuses pourront être formalisées.
Mais l’Union est-elle désormais capable de parler d’une seule et même voix sur ces questions ? Je ne sais pas, mais sans doute nous le direz-vous, monsieur le secrétaire d’État…
L’Union européenne s’est engagée à réduire d’ici à 2020 ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport aux niveaux de 1990. Cet objectif est-il suffisant ? Je n’en suis pas si certain, car il ne représente qu’une réduction de 10 % par rapport à la situation actuelle.
L’Union a certes déclaré être prête à porter cet objectif à 30 %. Cependant, cet engagement est conditionné aux efforts des autres pays industrialisés et des pays émergents. On risque donc d’entrer dans la mécanique du « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette »…
Nous regrettons aussi l’absence d’objectifs intermédiaires contraignants pour voir, pays par pays, quels progrès ont été réalisés. En l’absence de tels bilans d’étape, rien ne se passera jusqu’en 2019. Puis ce sera la panique générale, on multipliera les grandes déclarations, et l’objectif ne sera pas atteint.
Sur la question du financement de l’aide pour les pays les plus pauvres, la France a pris une initiative heureuse, le plan « justice climat », qui serait financé par la création d’une taxe sur les transactions financières. Permettez-moi au passage de me réjouir que l’abominable taxe Tobin, qui suscita hier tant de sarcasmes, soit aujourd’hui parée de toutes les vertus. Il n’y a pas de copyright sur les bonnes idées, et je me réjouis que celle-ci soit reprise. Nous souhaiterions toutefois obtenir des précisions sur le mécanisme de cette taxe.
Enfin, qu’en est-il des discussions sur l’harmonisation des taxes carbone, ou plutôt des taxes destinées à lutter contre l’émission de gaz à effet de serre ? La France a pris l’initiative d’en créer une.
Mme Annie David. Une contribution, et non une taxe !
M. Richard Yung. Il en existe dans d’autres pays. Il convient de les harmoniser. Ce point figure-t-il à votre programme de négociations, monsieur le secrétaire d’État ?
Concernant le programme Espace de liberté, de sécurité et de justice, le texte proposé n’est pas très satisfaisant ; il ne fait que reprendre, sans les enrichir ni les formaliser, les programmes précédents. Il faudrait au contraire profiter de cette occasion pour renforcer les droits fondamentaux, notamment dans le domaine de l’immigration, par exemple en interdisant la rétention des mineurs ou en levant les obstacles à l’exercice du droit au regroupement familial.
Nous regrettons que les droits liés à la citoyenneté européenne ne soient pas développés, en particulier qu’aucune initiative ne soit prise en matière de coopération consulaire communautaire. Nous avons déjà évoqué ce sujet avec M. Kouchner lors du débat budgétaire : il ne se passe quasiment rien dans ce domaine. Ce vide ne peut qu’étonner, car, de toute évidence, à l’heure du rétrécissement de toutes les représentations consulaires, c’est un formidable terrain d’application. Mais pour l’heure, il n’est question que d’ouvrir des bureaux communs de délivrance des visas Schengen.
M. le président. Il serait temps de conclure, monsieur Yung.
M. Richard Yung. Je vais conclure, monsieur le président.
J’aurais eu des choses à dire sur l’aspect financier et sur les autorités de supervision. Nous aurions préféré une seule autorité de supervision pour les trois domaines. Ce n’est pas le choix qui a été fait.
Nous jugeons également le plan de relance économique bien timoré. Vous avez d’ailleurs reconnu que la Commission doit prendre toute sa place dans le dispositif, mais jusqu’à présent cette dernière n’a pas fait preuve de beaucoup d’enthousiasme !
Telles sont les quelques observations que je souhaitais faire sur les trois grands sujets de la réunion d’après-demain. (M. le président de la commission des affaires européennes applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la Suède préside cette semaine le dernier Conseil à présidence tournante de l’Union européenne.
« Relevons le défi », le thème de la présidence suédoise de l’Union européenne ne pouvait être mieux choisi : institutions, économie, climat… Désormais, avec le traité de Lisbonne, l’Europe peut mieux décider de son destin.
En effet, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre, une nouvelle figure apparaît : un président stable et à plein temps du Conseil européen.
Le Belge Herman Van Rompuy a été désigné pour occuper cette nouvelle fonction. Peu connu du grand public, qualifié d’« horloger des compromis impossibles », il a peut-être sauvé la Belgique de l’éclatement, et donc de la disparition.
Pour lui, le président du Conseil européen n’a « qu’un profil possible, celui du dialogue, de l’unité et de l’action ».
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est déjà pas mal !
M. Aymeri de Montesquiou. Depuis l’interrogation ironique de Kissinger, « l’Europe, quel numéro de téléphone ? », on mesure le chemin parcouru.
Désormais, la représentation de l’Union sur la scène internationale sera assurée par M. Van Rompuy et par Mme Catherine Ashton, désignée concomitamment Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Deux nouveaux postes pour, espérons-le, une véritable diplomatie européenne !
Dès qu’elle aura passé avec succès l’oral devant le Parlement européen, Mme Ashton cumulera en fait deux fonctions existantes : celle de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et celle de commissaire aux relations extérieures.
En supprimant la concurrence entre ces deux fonctions, le traité donne une plus grande cohérence à l’action extérieure de l’Union, cohérence qui sera accrue par le fait que Mme Ashton présidera le Conseil des ministres des affaires étrangères et qu’elle s’appuiera sur un service européen d’action extérieure.
Ce nouveau service doit regrouper à la fois les services extérieurs de la Commission, ceux du secrétariat du Conseil et des diplomates détachés par les États membres. J’imagine que vous travaillez d’ores et déjà à définir son périmètre et ses missions.
M. Aymeri de Montesquiou. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quand sera-t-il mis en place ? Disposera-t-il d’une section distincte dans le budget de l’Union ?
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Bonnes questions !
M. Aymeri de Montesquiou. Pour autant, l’Union va-t-elle s’exprimer d’une seule voix grâce au traité de Lisbonne ? Je l’espère, mais on peut craindre des frictions internes dans le triangle composé par le président du Conseil européen, le président de la Commission et le Haut représentant.
De même, la présidence tournante ne disparaît pas complètement. Sera-t-elle présente dans les sommets avec les pays tiers lorsque ceux-ci ne portent pas seulement sur des sujets de politique étrangère, mais concernent également les politiques communautaires comme le commerce, l’énergie ou les initiatives régionales ? Le format « troïka » subsistera-t-il ? Qui représentera l’Union au G8 et au G20 ?
Il est difficile d’imaginer l’articulation de ce nouveau meccano institutionnel. Les risques de cacophonie, et donc de confusion, sont réels.
Quoi qu’il en soit, la création de ces deux postes, président du Conseil européen et Haut représentant, ne suffira pas à définir et à défendre les intérêts communs aux Européens, et à créer une communauté de vision et d’action à l’égard du monde extérieur, autrement dit une véritable politique étrangère commune.
M. Van Rompuy et Mme Ashton auront, certes, une partition à jouer, mais ils resteront au mieux des modérateurs si les grands pays, notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France aux traditions diplomatiques et aux intérêts différents, ne sont pas enclins à se concerter et n’ont pas la volonté de faire preuve d’unité pour décider une dynamique capable d’entraîner la machine institutionnelle. C’est la condition du succès de la diplomatie européenne.
L’autre condition est d’avancer dans la construction de l’Europe de la défense, car, aujourd’hui, la diplomatie est encore amputée d’une partie de sa crédibilité.
Je suis convaincu que seule une Europe politique dotée de tous les attributs de la puissance, et en premier lieu d’une politique européenne de sécurité et de défense crédible, peut permettre à notre continent de commencer à peser sur les affaires du monde et de contribuer aux grands équilibres.
Or soyons lucides : depuis Saint-Malo, nous n’avons guère avancé sur ce plan. La tentation est grande de voir dans la politique européenne de sécurité et de défense au mieux une intention, au pire une incantation rituelle.
Certes, vingt-trois opérations souvent modestes ont été ou sont actuellement menées par l’Union au titre de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, et celle-ci a démontré sa réactivité dans la crise en Géorgie. Cependant, dans la réalité, ces opérations sont la plupart du temps à dominante civile et de faible ampleur au regard du discours et des ambitions affichées. On est loin de la force de projection de 60 000 hommes annoncée à Helsinki !
Pourtant, les risques et les menaces auxquels nous sommes confrontés collectivement le long de cet arc de crise qui s’étend désormais de la Mauritanie à l’Afghanistan appellent des réponses à l’échelle européenne.
La crise doit aussi encourager les Européens à dépenser mieux et, donc, à mettre davantage leurs moyens en commun. C’est bien sûr indispensable sur le plan financier, mais la défense européenne doit aussi traduire une volonté diplomatique commune.
On le sait, la PESD a été longtemps hypothéquée par la méfiance des Américains, qui nous suspectaient de vouloir fragiliser le lien transatlantique. Avec le retour de la France au sein de l’OTAN et la nouvelle administration américaine, ce débat est désormais derrière nous.
J’ai été de ceux qui ont soutenu la décision du Président de la République parce qu’elle devait permettre au projet européen d’avancer.
Pendant la présidence française, les membres de l’Union se sont engagés à renforcer leurs capacités militaires. Où en est-on ? Quelles initiatives ont été prises pour donner un nouvel élan à cette politique et pour faire en sorte que l’Europe ne soit pas une immense Croix-Rouge ?
Il nous faut progresser sur un juste partage du coût des opérations et sur leur mise en œuvre plus rapide, et nous devons développer une industrie européenne d’armement autonome, puissante et compétitive. C’est une nécessité stratégique et une assurance de crédibilité.
Au-delà de la diplomatie et de la défense, comment redonner un sens politique à une construction européenne qui en a fortement besoin pour prospérer ? Pour être légitime, une communauté doit être porteuse d’un message, d’une histoire, d’un projet que ses membres puissent partager, présenter et offrir au reste du monde.
On le sait, le message de réconciliation ne fait plus recette et l’intégration économique ne suscite guère d’enthousiasme en dépit de ses résultats.
C’est en donnant corps à l’idée qu’elle incarne un modèle de développement juste et durable que l’Union européenne pourra trouver une légitimité nouvelle auprès de ses citoyens.
Les États membres partagent nombre de valeurs et de principes économiques et sociaux qui les distinguent des autres pays ou régions du monde, notamment des États-Unis, de la Chine et des autres pays émergents.
L’Union doit démontrer sans cesse qu’elle met en œuvre des décisions et des politiques conformes à ces valeurs, qu’il s’agisse de la définition de principes de régulation d’un monde globalisé où la multipolarité agressive et anarchique semble se profiler, des négociations qu’elle conduit dans le cadre de l’OMC, des politiques d’ajustement mises en œuvre pour prendre en charge les effets négatifs de la crise financière, des politiques d’aide au développement qui font, d’ores et déjà, l’objet d’importants financements communs, ou encore des politiques environnementales sur lesquelles, nous le voyons aujourd’hui à Copenhague, l’Europe est pionnière, résolue et unie.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour faire en sorte que le cadre institutionnel stable et durable fourni par le traité de Lisbonne ne reste pas sans réelle plus-value décisionnelle ; notre place dans le monde est en cause. Il doit aussi être l’occasion d’indiquer aux Européens un « horizon de sens » capable de les réunir autour d’un projet commun. Saisissons cette opportunité pour dire, avec Winston Churchill, que « l’histoire [nous] sera indulgente car [nous avons] l’intention de l’écrire ». (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, il est dommage qu’un débat de cette nature ait lieu à une heure aussi avancée. Il faudra, monsieur le président Haenel, que vous vous battiez, et nous vous soutiendrons, pour que les débats européens prennent toute leur place dans notre calendrier.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Tout à fait !
M. Jacques Blanc. C’est un débat intéressant qui nous occupe aujourd'hui. Certains disent qu’il s’agit du Conseil de la nouvelle Europe. Ce n’est pas encore tout à fait le cas. Certes, le traité de Lisbonne s’applique depuis le 1er décembre, mais le Conseil sera présidé par la présidence tournante suédoise. Il sera intéressant de voir comment se positionneront le président stable, qui a été nommé, et le Haut représentant, qui participera au Conseil sans en être membre directement.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Exactement !
M. Jacques Blanc. Il y a là, je pense, une observation intéressante à faire pour voir comment la situation va évoluer.
Je veux dire à Jean François-Poncet, pour qui j’ai une grande admiration, qu’il a été un peu dur. S’il s’était agi de mettre en place un opéra ou une comédie, ce ne sont pas M. Van Rompuy et Mme Ashton qui auraient été nommés ! Ces deux personnalités de qualité ne sont ni des stars ni des vedettes. Elles démontreront sans doute leur efficacité et donneront un contenu réel aux fonctions qui ont été créées et qui sont susceptibles de donner une nouvelle dimension politique à l’Europe.
C’est vrai, tout ne repose pas sur une seule personne, mais l’Europe, ce n’est pas les États-Unis ! Le choix qui a été fait est un choix différent. J’espère, pour ma part, que ces personnalités politiques feront leurs preuves…
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Mais bien sûr !
M. Jacques Blanc. … et démontreront que le traité de Lisbonne apporte bien une réponse à l’attente politique que nous avions exprimée. Ne commençons pas à détruire ce que ce traité peut apporter.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est très français !