M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, en remplacement de M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Mme Catherine Troendle, en remplacement de M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à préciser que la paternité de ce rapport revient à M. Bernard Saugey, que j’ai l’honneur de remplacer ce soir.
La mission « Relations avec les collectivités territoriales » et le compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales » ne retracent que très imparfaitement la réalité et la complexité des relations financières entre l’État et les territoires.
En effet, avec 2,5 milliards d’euros de crédits, la mission « Relations avec les collectivités territoriales » n’a qu’un poids marginal, puisqu’elle représente moins de 3 % de l’effort financier de l’État en faveur des collectivités.
Le compte d’avances aux collectivités, quant à lui, ne fait pas partie des concours financiers de l’État stricto sensu : bien que doté de près de 65 milliards d’euros, il se borne à matérialiser la fonction de « fermier général » que l’État assure auprès des collectivités.
Ces deux lignes budgétaires paraissent donc peu significatives, et peu représentatives des choix de gestion opérés par l’État dans ses relations avec les collectivités territoriales.
Aussi, plutôt que de me livrer à une description exhaustive des crédits alloués à la mission et au compte de concours financiers, j’aimerais profiter de cette occasion pour exprimer devant vous les préoccupations et les souhaits de la commission des lois.
Cette dernière a tout d’abord émis des craintes sur le ralentissement des dépenses d’investissement des collectivités territoriales.
En effet, l’investissement local a diminué de 3,2 % en 2008, et il devrait encore reculer en 2009 sous l’effet cumulé de la crise économique et du cycle électoral. Ce constat est inquiétant, dans la mesure où les collectivités territoriales réalisent près des deux tiers de l’investissement public civil et jouent un rôle crucial pour le développement de notre pays : cette tendance à la baisse doit donc être combattue.
Or, force est de constater que le projet de loi de finances pour 2010 ne va pas assez loin dans la promotion de l’investissement local.
Certes, des mesures ambitieuses ont été prises par le Gouvernement. Je pense notamment aux « conventions FCTVA », lancées au début de l’année 2009, et qui ont rencontré un indéniable succès. Ainsi, ce sont plus de 20 000 collectivités qui se sont engagées, malgré la crise économique, à investir davantage en 2009 qu’elles ne l’avaient fait entre 2004 et 2007, pour un montant prévisionnel de dépenses d’environ 55 milliards d’euros.
Le Sénat a d’ailleurs sensiblement amélioré ce dispositif. D’une part, il l’a assoupli, en prévoyant que les restes à réaliser seraient pris en compte pour le calcul des dépenses réelles d’équipement des collectivités signataires ; d’autre part, il a reconduit le mécanisme de versement anticipé du FCTVA en 2010, donnant ainsi une « seconde chance » aux 20 000 collectivités qui n’ont pas encore souscrit une convention.
Malgré cette avancée considérable, la commission des lois a marqué son inquiétude face à certaines dispositions du projet de loi de finances pour 2010 qui pourraient freiner l’investissement des collectivités territoriales.
Tout d’abord, comme l’année passée, je m’interroge sur la légitimité de l’inclusion du FCTVA dans l’enveloppe normée. En effet, le FCTVA n’est pas une dotation de l’État, c’est un remboursement acquitté par ce dernier auprès des collectivités territoriales : son montant ne saurait, dès lors, être encadré. Le projet de loi de finances ne limite d’ailleurs pas la croissance du FCTVA, qui n’est soumise à aucun plafonnement.
En revanche, puisque le FCTVA est inclus dans l’enveloppe normée, son augmentation pèse sur les autres concours sous enveloppe : à la progression de l’investissement, correspond mécaniquement une contraction des crédits consacrés au financement des dotations de fonctionnement.
Votre commission des lois a émis des doutes sur l’efficacité de ce mécanisme. Dans un contexte économique difficile, il est en effet discutable - voire impossible - d’imposer aux collectivités territoriales de réduire leurs dépenses, tout en leur demandant d’investir pour pallier les carences de l’initiative privée.
En outre, les collectivités sont actuellement confrontées à de nombreuses incertitudes sur le montant et les caractéristiques des ressources dont elles bénéficieront à l’avenir. Ces incertitudes ne sont pas sans conséquence sur leurs décisions de dépenses. Face à ce manque de visibilité, les collectivités risquent d’être plus prudentes, et donc de repousser l’engagement de leurs programmes d’investissement au cours des mois prochains.
L’attitude de l’État a donc un impact direct sur les dépenses des collectivités : plus il saura inspirer confiance aux décideurs locaux en adoptant une attitude de transparence et en associant les élus aux réformes qu’il entend mener, plus son action de soutien de l’investissement sera efficace.
Pour finir, je voudrais rappeler qu’une large partie des dépenses des collectivités territoriales résultent des normes obligatoires qui leur sont imposées. En 2009, ces normes ont représenté un surcoût de près de 500 millions d’euros, ce qui est considérable.
Répondant à ce constat, la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, présidée par notre excellent collègue Alain Lambert,...
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Catherine Troendle, en remplacement de M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis de la commission des lois. ... a été instituée à la fin de l’année 2008 pour se prononcer sur les projets de normes nationales ou communautaires ayant vocation à s’appliquer aux collectivités.
Après avoir salué sa création l’année dernière, nous pouvons désormais saluer le bilan de la commission, qui a pleinement répondu aux objectifs qui lui étaient assignés : non seulement elle a réussi à diffuser une véritable culture de l’évaluation financière au niveau central, mais, surtout, elle a eu un effet régulateur sur l’activité des administrations centrales et a apaisé leur « réflexe prescriptif ».
La commission des lois appelle le Gouvernement à renforcer et à développer ce type d’initiatives, afin de fluidifier les relations entre l’État et les collectivités territoriales.
Alors que la décentralisation arrive à maturité, les élus locaux doivent être parties prenantes dans l’élaboration des normes qui les concernent, et avoir leur mot à dire sur les réformes dont ils sont les destinataires. Consultés et informés, ils doivent surtout être écoutés et entendus : ce n’est qu’à cette condition que les nouvelles responsabilités données aux collectivités territoriales au titre de la maîtrise des finances publiques et de la relance de l’économie apparaîtront dans leur pleine légitimité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Paul Blanc. Bravo !
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle également qu’en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Bertold Brecht disait : « Il y a un certain nombre de choses qui sont proprement irréalisables pour l’homme s’il ne les fait pas dans les règles : les choses absurdes ». Nous voilà donc au cœur de notre sujet : l’examen nocturne d’une mission absurdement dénommée « Relations avec les collectivités territoriales ».
Rituellement, notre rapporteur pour avis, Bernard Saugey, et les intervenants à cette tribune, rappellent en effet que cette mission ne donne qu’une idée très partielle, sinon inexacte, des sommes réellement en jeu. Ils rappellent l’absence totale de lisibilité des relations financières entre l’État et les collectivités locales. Et c’est de pire en pire.
Je cite Bernard Saugey : « On assiste ainsi à une marginalisation des crédits budgétaires, et donc de la mission “ Relations avec les collectivités territoriales ”, au profit des prélèvements sur recettes, des avances et des transferts de fiscalité ». Le montant total des dotations budgétaires de la mission n’est fixé qu’à 2,541 milliards d’euros sur 88,864 milliards d’euros, soit moins de 3 % des prétendus « concours de l’État aux collectivités territoriales », contre 4,3 % en 2009.
Dans ce brouillard, les contreparties d’impôts payés par les collectivités locales – comme le FCTVA - les compensations de captations d’impôts locaux dont on a oublié qu’ils le furent – je pense à l’essentiel de la dotation globale de fonctionnement - les compensations de suppressions d’impôts - comme la taxe professionnelle – ainsi que la compensation de charges transférées prennent des allures de « concours », autrement dit d’« aides » de l’État aux collectivités territoriales.
Ce mode de présentation est si commode pour les gouvernements qu’on ne les voit pas renoncer à une technique de camouflage d’une telle efficacité avant longtemps.
Et cette année, avec la suppression de la taxe professionnelle, l’allégement de 4,5 milliards d’euros de l’impôt économique territorial, avec l’invention de la « compensation relais de la réforme de la taxe professionnelle » - une dénomination qui ne s’invente pas ! - tous les records sont battus : les concours de l’État aux collectivités territoriales augmentent de 31,558 milliards d’euros, soit près de 58 % ; 44,1 % de ce qui restait aux collectivités de ressources fiscales sont remplacés par une perfusion : vive l’autonomie locale !
L’année 2010, nous a dit Philippe Marini, sera pour les collectivités une « année blanche ». Il parle, évidemment, des recettes, car, pour les dépenses, particulièrement les dépenses à caractère social, il risque d’en être autrement. Année blanche, peut-être, mais, pour être équitable, la compensation devrait être calculée sur les bases et les taux 2010 ou, au minimum, sur des bases 2010 et des taux 2009.
Or, après l’effort signalé du Sénat, nous en sommes à base 2010 et taux 2008 majoré, au plus, de 0,6 %, avec l’assurance d’une recette plancher au moins égale au produit 2009.
Autrement dit, en 2010, les collectivités sont même privées du pouvoir de modifier le taux de ce qui leur reste d’impôt économique local, la cotisation locale d’activité, la CLA.
Et ce n’est pas qu’un mauvais moment à passer.
Certes, en 2011, la « compensation relais » disparaîtra, mais pour être remplacée par des dotations qui disent leur nom et des dotations déguisées en impôts. Comment appeler autrement en effet des contributions dont l’État définit et l’assiette et le taux ?
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. C’est le Parlement qui l’a faite, pas le Gouvernement !
M. Pierre-Yves Collombat. Augmentation des « vraies dotations » puisqu’en 2011, selon l’étude d’impact annexée au projet de loi de finances, « l’autonomie financière » passe, pour les communes, de 62,5 % à 61,7 %, pour les départements, de 66,4 % à 62,9 %, et, pour les régions, de 54,3 % à 49,7 %.
Augmentation des « faux impôts » et, avec elle, effondrement de « l’autonomie fiscale » des collectivités locales. La seule marge de manœuvre - d’ailleurs précaire - des régions est un bricolage de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ; celle des départements, le foncier bâti.
Et tout ce dispositif a été mis place pour financer une promesse du candidat Nicolas Sarkozy faite au patronat, sur le dos des collectivités locales, sans effet constatable sur la compétitivité de nos entreprises.
Je ne me lasserai pas de le répéter, dussé-je vous lasser : l’impôt économique territorial n’a qu’une influence marginale sur la compétitivité des entreprises françaises.
« Les analyses économiques », dit, après beaucoup d’autres, le Conseil des prélèvements obligatoires dans un récent rapport, « tendent à montrer que la localisation d’un investissement dépend principalement de critères économiques, géographiques et humains ».
En 2008, 95 500 entreprises françaises seulement ont été exportatrices, soit 3,2 % des entreprises payant la taxe professionnelle. Ces exportations ont représenté 410 milliards d’euros, soit presque cent fois plus que la baisse de l’impôt économique dont bénéficiera la totalité des entreprises ! Réduire la contribution de l’ensemble des entreprises pour, au mieux, améliorer à la marge la compétitivité de 3,2 % d’entre elles, voilà l’exploit!
L’observation de l’indice des prix industriels en sortie d’usine montre la même chose. Le comble, c’est que même l’étude d’impact montre que ce n’est pas le secteur industriel qui bénéficiera le plus de la mesure ; en bénéficieront, dans l’ordre, les secteurs de la construction, de l’agriculture, des services aux particuliers, dont chacun sait qu’ils sont particulièrement exposés à la concurrence internationale ! (Sourires.)
Étrangler des collectivités qui, malgré leurs insuffisances, réalisent les trois quarts de l’investissement public, remplacer un système complexe par une usine à gaz dont personne ne connaît ni le plan ni ce qu’elle produira, pour un cadeau fiscal de 4,5 milliards d’euros, sans effet sur la compétitivité de nos entreprises, c’est absurde, aussi absurde que de prétendre redresser les finances publiques en multipliant les cadeaux fiscaux.
En effet, selon le rapport, l’engagement de l’État serait « structuré par l’impératif de redressement des finances publiques ». On aurait souhaité que ce ne soit pas seulement sur le dos des collectivités !
Et j’en reviens à mon propos initial : ce qui est absurde doit impérativement être fait dans les règles ; d’où le luxe de chiffres, de taux, de normes circonstancielles dans la présentation de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », cette chambre de bonne d’un immeuble « finances locales » en état de péril imminent.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour donner un air de cohérence à ce qui n’en a pas, lui donner un air présentable, le Gouvernement alterne faux motifs de satisfaction et vrais motifs d’inquiétude.
Côté face, le FCTVA n’est soumis à aucun plafond et évoluera de 6,4 %. On ne voit d’ailleurs pas comment le Gouvernement aurait pu faire autrement, compte tenu des engagements du plan de relance. Côté pile, cela se fait au prix d’une limitation à 0,6 % de la progression de la dotation globale de fonctionnement - soit la moitié du taux de l’inflation officielle – DGF qui devient clairement la variable d’ajustement du dispositif.
Autant dire que l’avenir, pour le « contrat de stabilité » c’est d’être de plus en plus stable, et à la baisse.
Côté face, la péréquation poursuit sa marche victorieuse ; 70 millions d’euros de plus pour la dotation de solidarité urbaine, répartie selon des critères que je renonce à vous exposer puisque je n’y ai rien compris, et 50 millions d’euros supplémentaires pour la dotation de solidarité rurale. Côté pile, le complément de garantie de la dotation forfaitaire des communes est rogné, et ne garantira donc plus rien.
Côté face, les dotations d’investissement, en incluant le FCTVA, augmentent de 5,4 %. Côté pile, l’augmentation, hors FCTVA qui, encore une fois, est non une aide mais le remboursement partiel d’une taxe payée par les collectivités,…
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne suis pas toujours d’accord avec ce qu’a dit M. Jospin, vous savez ! J’essaie de penser, même mal, mais par moi-même.
M. Jean-Pierre Sueur. Toujours !
M. le président. Veuillez poursuivre, mon cher collègue, et ne pas vous laisser distraire !
M. Pierre-Yves Collombat. Cette augmentation, donc, à considérer uniquement les subventions de l’État, dotation globale d’équipement communale et départementale – c’est effectivement une vraie dotation -, dotation de développement rural, produit des amendes de radars, dotation « collèges », ne dépasse pas 12 millions d’euros.
C’est à se demander si le Gouvernement réalise bien le rôle économique des collectivités locales, s’il réalise bien ce qui se passera lorsqu’elles ne pourront plus assurer les trois quarts de l’investissement public !
Tel est l’enjeu fondamental du remplacement de la taxe professionnelle par un ensemble d’impôts économiques rapportant globalement 4,5 milliards d’euros de moins et, CLA mise à part, transformés en quasi-dotations.
Échanger un impôt stupide contre un système fiscal catastrophe, il paraît que c’est une réforme ! Ce n’est pas vraiment notre avis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Paul Blanc. En d’autres termes, ne changeons rien !
M. Pierre-Yves Collombat. Si c’est pour faire pire...
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » offre, cette année, une connotation particulière, puisqu’elle intervient à quelques semaines à peine de la suppression de la taxe professionnelle, telle que définie à l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010.
Il me paraît donc extrêmement difficile de ne pas aborder cette question dès lors que, faute d’éléments nouveaux que le Gouvernement pourrait nous fournir, on peut légitimement se demander ce que deviendra cette partie de la loi de finances.
Il est également difficile de ne pas relever que la norme d’évolution des concours de l’État est toujours aussi contrainte en matière de prélèvements sur recettes - dotations et FCTVA - et que le rythme de progression des concours de l’État aux collectivités locales est fixé pour 2010 à 1,2 % et celui de la DGF, à 0,6 %.
Une fois encore, je tiens à souligner que ses quatre programmes – le périmètre concernant l’outre-mer, la dotation forfaitaire accordée aux communes concernées par la délivrance des titres sécurisés, la dotation de développement urbain et le fonds de soutien aux communes touchées par le redéploiement territorial des armées – respectent globalement les engagements pris par l’État.
Cependant, même si les crédits de cette mission constituent une très faible part des sommes versées par l’État aux collectivités locales, et même si je reconnais qu’il faut aller vers la réduction des dépenses publiques, il n’en reste pas moins que c’est un service minimum qui nous est proposé : 0,6 % d’augmentation de la DGF, c’est la moitié de l’inflation prévisionnelle pour 2010.
Il en résultera que les autorisations d’engagement seront probablement inférieures, en 2010, à ce qu’elles ont été en 2009, ce que nous ne pouvons tous que regretter.
Je veux bien, à titre personnel, donner quitus au Gouvernement de ce budget. Comment ne pas le faire ? Je vois mal comment on pourrait demander l’interruption de programmes qui sont commencés sauf à mettre davantage en péril des finances locales qui, pour certaines, ne le sont déjà que trop.
Toutefois, je ne puis m’empêcher de me demander, comme nous tous, quelles que soient nos sensibilités politiques, ce qu’il reste aujourd’hui et, surtout, ce qu’il restera demain de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ainsi que du compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales » si la taxe professionnelle n’est pas remplacée par un dispositif précis et abouti. Mais peut-être serons-nous fixés, samedi prochain, quant au mode de compensation prévu.
Certes, d’ores et déjà, des grandes lignes se dessinent. Les collectivités percevront 15,5 milliards d’euros, dont 11,4 milliards d’euros fournis par la valeur ajoutée sur la base des entreprises soumises au barème progressif à partir de 500 000 euros, la différence étant compensée par l’État, par des dégrèvements opérés sur les entreprises non soumises audit barème de 500 000 euros. Soit !
Mais qui garantira la pérennité de ce système dans l’avenir ? Il a été dit et répété, ici et ailleurs, qu’il était paradoxal de commencer une réforme des collectivités territoriales par la suppression de leur principale recette. Cela revient à mettre la charrue devant les bœufs, comme le dit la sagesse populaire, ou, pour reprendre l’excellente formule de Jean-Pierre Chevènement à cette même tribune il y a quelques jours, ajouter du fouillis au fouillis.
Comment dès lors ne pas avouer ma perplexité devant ce budget dont on ne sait même pas s’il pourra être appliqué dans quelques semaines ? Comment se prononcer, monsieur le secrétaire d’État, alors que chacun est ici dans l’incertitude ?
L’abstention de mon groupe sur les crédits de cette mission me paraît être la sagesse.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette année encore, le projet de loi de finances, sous couvert de vouloir « maîtriser la dépense publique », étrangle toujours un peu plus les finances locales.
En premier lieu, en 2010 comme en 2009, les compensations apportées par les dotations sont très nettement insuffisantes.
Pour ce qui est des dotations liées aux compétences transférées par les dernières lois de décentralisation, l’ensemble des concours aux collectivités territoriales ne devrait augmenter que de 0,70 % cette année, alors que l’inflation prévisible est estimée par la Banque centrale européenne à 1,2 % et pourrait même atteindre 1,4 %.
L’évolution de la dotation générale de décentralisation sera donc inférieure à l’inflation, avec des taux de 0,56 % pour les départements et 0,60 % pour les collectivités locales.
Si l’on additionne les manques à gagner résultant de la non-indexation de la dotation de décentralisation sur l’évolution de l’inflation et de la non-indexation de la dotation générale de fonctionnement, dont l’augmentation est plafonnée pour 2010 à 0,6 % – soit la moitié de l’inflation prévisionnelle –, ce sont environ 300 millions d’euros qui font défaut pour compenser comme il serait nécessaire les charges liées à la décentralisation.
Ces 300 millions d’euros s’ajoutent aux effets de la décentralisation telle qu’elle a été conçue en 2004 qui, en prenant pour référence le coût historique des transferts, n’a pas prévu d’instrument de stabilisation permettant de tenir compte des évolutions, notamment économiques et démographiques, observées dans certains territoires.
Ensuite, la suppression de la taxe professionnelle aura des conséquences désastreuses sur les capacités de financement des collectivités.
La taxe professionnelle représente 22,6 milliards d’euros de ressources nettes en 2008 pour les collectivités territoriales. Le nouvel impôt leur procurera 12,7 milliards d’euros. Il y aura donc une perte de 9,9 milliards d’euros que l’État s’est engagé à compenser, pour 2010 seulement à l’heure actuelle. Mais peut-être la commission des finances modifiera-t-elle ce dispositif samedi.
Si tel n’est pas le cas, le manque à gagner dans les années à venir conduira inéluctablement les collectivités locales à reporter la charge des dépenses sur des ménages déjà fortement touchés par des hausses souvent importantes des impôts locaux.
La taxe professionnelle représente la moitié des ressources fiscales des collectivités locales. À l’heure actuelle, 48 % des ressources proviennent des ménages et 52 % des entreprises. Après la réforme, la proportion sera de 75 % pour les ménages et de 25 % pour les entreprises. Cette réforme risque donc de provoquer l’asphyxie financière des communes, placées dans l’incapacité d’équilibrer leurs budgets.
En outre, la suppression de la taxe professionnelle coupera le lien entre les entreprises et les territoires, et plus précisément entre communes et activité économique. À terme, ce sont les équipements publics et les investissements dans les services publics qui seront restreints et, par ricochet, les populations qui seront pénalisées.
C’est une sorte de double peine pour les familles, qui auront moins de services publics, mais qui paieront plus d’impôts locaux.
Si, aux termes de l’article 72-2 de la Constitution, la loi « prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales», ces dispositifs ne sont pas satisfaisants. La réforme de la dotation de solidarité urbaine est « gelée » et le montant de la dotation de développement urbain est limité à sa valeur de l’année dernière, ce qui laisse très peu de marges de manœuvre pour une véritable péréquation.
Comme on peut le constater, le projet de budget pour 2010 s’inscrit dans une politique de réduction drastique des ressources des collectivités locales, appuyée par un discours centralisateur de dénigrement de l’échelon local.
À vous écouter, monsieur le secrétaire d’État, les élus seraient trop nombreux et les collectivités formeraient un « millefeuille » coûteux et incompréhensible pour nos concitoyens. Autant d’idées battues en brèche dès que l’on dresse un bilan de l’action des collectivités, et de leurs élus !
Les collectivités réalisent en effet 73 % de l’investissement public – chiffre qui n’est contesté par personne –, alors que, depuis les lois de décentralisation de 1982, 2003 et 2004, on leur transfère toujours plus de compétences, qui ne sont d’ailleurs pas systématiquement compensées.
Malgré cela, les collectivités ne contribuent au déficit public qu’à hauteur de 10 %, et ce de façon quasi constante depuis 1982. N’oublions pas que, contrairement à l’État, elles sont soumises à l’obligation de voter leur budget en équilibre.
Les financements croisés sont, eux aussi, accusés d’être une source de complexité, alors qu’ils ne représentent que 5 % des dépenses globales et sont indispensables à la réalisation de nombreux projets.
La question du coût des collectivités mérite donc d’être réexaminée.
Quant aux 500 000 élus que compte la France, il faut rappeler que ce sont en très grande majorité des bénévoles qui s’investissent chaque jour pour assurer la mise en œuvre de leur programme d’actions au plus près de nos concitoyens.
Avec le projet de budget pour 2010 et la réforme des collectivités locales, le Gouvernement veut, par une politique centralisatrice inégalitaire, couper court à une démocratie locale qui, depuis longtemps, ne lui est plus électoralement favorable.
L’attaque est d’ailleurs si frontale qu’aucune association représentative n’est pour cette réforme et que de nombreux élus de la majorité sont troublés, comme l’ont si bien montré les réactions des maires réunis voilà peu à l’occasion de leur congrès annuel.
Le Gouvernement louvoie pour tenter d’atteindre son objectif de recentralisation et de réduction des services publics locaux. Il avance masqué, en découpant la réforme en cinq projets de loi et en étranglant financièrement les collectivités locales.
Après avoir réduit leurs ressources, le Gouvernement nous demandera de réformer ces institutions, et ce n’est que in fine que nous débattrons des compétences des collectivités territoriales. La logique aurait voulu que nous procédions tout autrement.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)