M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Un projet de loi de finances, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, ne saurait être une loi d’orientation ou une simple loi d’expérimentation. Or ce que vous nous proposez, c’est de légiférer à l’aveugle.
Malgré les efforts méritoires que vous faites, monsieur le rapporteur général, permettez-moi de vous dire que, sans modifier l’assiette, vous n’y arriverez pas ! La preuve : vous avez proposé en commission de mettre des options dans la seconde partie du projet de loi de finances, en préfiguration de ce que pourrait être la nouvelle répartition, afin que le Gouvernement puisse faire des simulations à partir des compétences telles qu’elles sont actuellement réparties, ce qui permettra de boucler l’affaire lorsque nous aurons débattu, ici, de la réforme des collectivités territoriales.
Comme vient de l’indiquer notre collègue Gérard Collomb, on ne peut pas délibérer sur des expériences qui ne sont pas chiffrées. Vous-même en êtes convenu, monsieur le rapporteur général : dès le 9 septembre, vous avez en effet dit à Mme la ministre que vous ne feriez pas cette réforme sans simulations. Or, au moment où nous nous apprêtons à l’examiner, nous ne disposons toujours pas de simulations. Et les options que vous proposerez ne sauraient suffire pour légiférer.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous invitons, mes chers collègues, à voter la motion tendant à opposer la question préalable, brillamment défendue par notre collègue Gérard Collomb.
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Pour ma part, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, je me félicite du dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances qui nous est soumis. En effet, cela fait plusieurs années que le groupe CRC-SPG s’oppose par principe et sur le fond aux différents projets de loi de finances qui nous sont proposés par le gouvernement actuel, notamment en défendant une motion tendant à opposer la question préalable.
Permettez-moi de résumer les raisons de notre opposition radicale au projet de loi de finances pour 2010.
Si le premier texte de la législature était prétendument destiné à soutenir le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat – il s’agissait de la loi TEPA –, le présent projet de budget peut se résumer à une équation assez simple : tout pour alléger les impôts des entreprises et des ménages les plus aisés et tout pour accroître les impôts de la très grande majorité des salariés et de leurs familles. Aux uns, la suppression de la taxe professionnelle, pas de taxe carbone, toujours moins d’ISF et d’impôt sur le revenu ! Aux autres, la taxe carbone, la mise en cause de la prime pour l’emploi, la hausse des impôts locaux et de l’impôt sur le revenu.
Le projet de budget qui nous est soumis cette année est véritablement caricatural !
M. Alain Fouché. Moins que vos propos !
M. Bernard Vera. Après avoir rendu aux entreprises 24 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés dans le cadre du plan de relance, après avoir consacré des milliards d’euros au remboursement anticipé de la TVA et au crédit d’impôt recherche, vous vous apprêtez à reverser 11,7 milliards d’euros au titre de la taxe professionnelle ! Pour quel résultat ? Plus de chômage et plus de déficit public !
Les salariés et leurs familles, quant à eux, sont mis à rude épreuve : l’évolution du barème de l’impôt sur le revenu ne suffira pas à éviter la hausse de la cotisation moyenne, tandis que certaines dispositions correctrices verront leur portée amoindrie.
Le détournement de l’accord Bino conduira à reprendre 100 millions d’euros de la poche des salariés d’outre-mer. Quant à la mise en œuvre du RSA en métropole, elle va permettre à l’État d’économiser tant sur la prime pour l’emploi, à hauteur de 1 milliard d’euros, que sur les allégements de fiscalité locale ! Et pendant ce temps, la compensation aux départements ne cesse de diminuer…
Il ne s’agit là que de quelques exemples des choix effectués dans le projet de loi de finances pour 2010, le summum étant atteint avec la création de la taxe carbone, qui nous semble être un mauvais coup porté à la cause de la protection de l’environnement.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, le groupe CRC-SPG votera cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai été très intéressé par la démonstration de M. Collomb. Les quelques lueurs que je possède sur le sujet me conduisent à essayer de lui porter la contradiction.
Avec la crise que nous connaissons, il serait vain de croire que les bases de la taxe professionnelle vont continuer à augmenter comme elles l’ont fait par le passé, et ce pour deux raisons. La première, c’est que la taxe professionnelle est devenue la spécialité d’innombrables cabinets fiscaux qui, chaque année, trouvent des parades pour freiner l’augmentation des bases de cette taxe. La seconde, c’est qu’il n’est pas concevable de taxer l’investissement privé dans une période où il faut précisément le faire redémarrer.
Nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable. Pourquoi ?
Tout d’abord, comme l’a dit très justement M. le rapporteur général, nous devons examiner de près le texte qui nous est proposé afin de pouvoir en tirer un certain nombre de conséquences.
Ensuite, en reprenant l’assiette de la valeur ajoutée – car, on me permettra de le signaler au passage, c’était presque l’assiette initiale de la taxe professionnelle – puisqu’on prend en compte les bénéfices des entreprises et l’ensemble des salaires, on offre aux collectivités territoriales un impôt qui progressera plus vite que ne l’a fait la taxe professionnelle depuis quelques années. Cet élément me paraît de nature à répondre à beaucoup d’objections.
Le problème réel auquel nous allons être confrontés – et c’est pourquoi le groupe UMP tient absolument à ce que la discussion se poursuive –, c’est la territorialisation de la cotisation sur la valeur ajoutée. C’est ce qui va permettre aux communautés urbaines, aux grandes villes, aux départements et aux communautés de base, qu’elles soient ou non à taxe professionnelle unique, de bénéficier de bases dont l’augmentation sera plus rapide que celles de la taxe professionnelle. Personne ne l’a dit, alors que c’est un élément très important.
Si l’on examine ce qui s’est passé entre 1945 et aujourd'hui, on s’aperçoit que la base valeur ajoutée – c'est-à-dire, en fait, le PIB – a progressé plus vite que les bases de la taxe professionnelle. Il n’y a donc pas de marché de dupes. Le véritable problème se pose entre nous : comment territorialiser cette cotisation sur la valeur ajoutée ? Pour répondre à cette question, mes chers collègues, …
M. Gérard Longuet. Il faut débattre !
M. Jean-Pierre Fourcade. …il faut effectivement examiner le texte et en débattre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix, par scrutin public, la motion n° I-136, tendant à opposer la question préalable et dont l’adoption entraînerait le rejet du projet de loi de finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 89 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 188 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini, Collomb et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° I-137 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des finances le projet de loi de finances pour 2010 adopté par l'Assemblée nationale (n° 100, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. François Marc, auteur de la motion.
M. François Marc. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la motion de procédure qu’avait défendue mon collègue Gérard Collomb et qui vient d’être repoussée avait pour objet d’arrêter là l’examen du présent projet de loi de finances. Pour ma part, je vais vous proposer de travailler plus…
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Pour gagner plus ? (Sourires.)
M. François Marc. À cet égard, nous avons particulièrement apprécié la référence que M. le rapporteur général a faite ce matin au Discours de la méthode, lorsqu’il a proposé de fractionner le problème qui nous préoccupe tant en plusieurs morceaux et d’y apporter des solutions au fur et à mesure.
Nous demandons maintenant, quant à nous, que soit consacrée à l’examen du dispositif en question une durée réellement suffisante. Car ce n’est manifestement pas le cas actuellement. De même qu’une loi doit rester une loi, une loi de finances doit rester une loi de finances, ce qui implique des travaux préparatoires accrus.
M. le rapporteur général disait aussi ce matin qu’il fallait « appeler un chat un chat ». À mon sens, le texte que nous examinons est, au mieux, une esquisse de projet de loi de finances, et il nous paraît dangereux de légiférer dans le brouillard !
Tout d’abord, nous sommes préoccupés parce que ce texte souffre d’insuffisances rédhibitoires sur la forme. Ainsi, l’absence de simulations valides a été relevée par l’ensemble des parlementaires, de gauche comme de droite. D’ailleurs, comment peut-on porter une appréciation sur un nouveau dispositif sans disposer de simulations précises quant à ses effets ?
Contrairement à ce que vous nous avez affirmé, madame la ministre, à l’évidence, il n’y a pas eu de parallélisme entre les simulations réalisées pour les entreprises – elles sont engagées depuis plusieurs mois – et celles qui ont été faites pour les collectivités locales : s’agissant de ces dernières, nous disposons tout juste de quelques indications, et encore ne nous ont-elles été communiquées que ces derniers jours. Il y a incontestablement eu des difficultés pour nous fournir ces informations.
M. François Marc. À nos yeux, il est inacceptable que la suppression annoncée de la taxe professionnelle s’effectue dans un tel manque de transparence. Il semble que cette réforme contraigne de fait à procéder à de multiples ajustements au cours des mois à venir. Pour reprendre une formule qu’a employée un sénateur de la majorité, je dirai que la « clause de revoyure » ne suffit pas. De nombreuses questions demeurent en effet sans réponse.
En outre, le Sénat ne peut pas se satisfaire des modalités calendaires qui ont été imposées par le Gouvernement. Pourtant, l’inversion du calendrier était une revendication de bon sens ! Le principe de réalité devrait nous conduire à voter d’abord la réforme des collectivités territoriales et, ensuite seulement, celle de la taxe professionnelle. Comment peut-on envisager sérieusement de mener la réforme des moyens avant celle des compétences ? La seconde doit trouver ses fondations dans les choix et principes de la première !
Le travail relatif au volet territorial de la réforme n’est pas achevé ; c’est un fait. C’est même la commission des lois du Sénat qui a souligné cette totale inadaptation dans un communiqué en date du 29 octobre.
Il est clair que le calendrier parlementaire est inapproprié et il est irréaliste de vouloir régler tous les aspects d’une réforme aussi importante dans un laps de temps aussi contraint que celui qui nous est accordé pour la discussion budgétaire.
Vous le savez, au Sénat, il a été décidé de scinder l’article concerné en deux, conformément aux règles de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Alors que nous sommes appelés à examiner, en première partie, les règles qui s’appliqueront dès 2010, c’est-à-dire la suppression de la taxe professionnelle pour les entreprises, nous aborderons en seconde partie la réforme des finances locales à partir de 2011.
Il y aura donc obligation de repasser devant le Parlement avant le 30 juin 2010, à l’occasion soit d’un collectif budgétaire, soit d’une loi ordinaire concomitante à la réforme des collectivités territoriales.
Il n’a échappé à personne que ce vote en deux temps répondait à une logique purement politique. Il s’agit de créer une sorte de rideau de fumée pour s’extraire des admonestations de certains soutiens de la majorité. L’objet du dispositif est clair : donner des gages aux sénateurs frondeurs en renvoyant à plus tard les sujets sensibles, faute de simulations et de préparation sérieuse de la réforme.
Le Sénat ne saurait se satisfaire d’un tel petit « arrangement entre amis ».
Changer les règles en cours de route, voilà un étonnant message envoyé aux Français sur le mode de fonctionnement du Parlement ! Celui-ci ne peut pas se contenter de se prononcer sur le seul volet « entreprises » de la réforme. Il est indispensable d’indiquer précisément aux élus, dès l’examen du projet de loi de finances pour 2010, sur quelles recettes de substitution ils pourront compter pour mener à bien leurs projets locaux.
Je l’ai dit, l’impréparation de ce texte est patente ! L’improvisation du Gouvernement et la confusion de la majorité règnent depuis le début de la discussion budgétaire au Parlement.
Il est à noter que, sur la taxe professionnelle, seule la voix de Bercy a été entendue. Nous n’avons jamais entendu le point de vue du ministère de l'intérieur, curieusement absent de ce débat alors qu’il a la responsabilité des collectivités territoriales. Le manque d’investissement du ministre de l'intérieur est d’autant plus déroutant qu’il s’agit de mettre en œuvre une promesse électorale de son ami le Président de la République !
Les conditions d’examen parlementaire de la réforme illustrent également les dysfonctionnements du parlementarisme et les dérives du quinquennat. La promesse présidentielle de suppression de la taxe professionnelle aboutit à démanteler certains acquis de la décentralisation pour tenter de mieux régenter les collectivités territoriales.
Au fond, ces arguments majeurs sur l’improvisation coupable du Gouvernement sont, à eux seuls, déjà suffisants pour justifier un retour en commission, afin d’examiner le projet de loi de finances de manière beaucoup plus approfondie.
Encore une fois, monsieur le rapporteur général, je ne critique pas le travail qui a été effectué par la commission.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ah !
M. François Marc. En revanche, je considère qu’il n’a pas pu être mené de manière suffisamment fouillée. D’autres séances seront nécessaires,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est bien pour cela que nous procédons en deux temps !
M. François Marc. … probablement pendant plusieurs mois. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) Mais il serait stupide de voter une loi dès aujourd'hui !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. L’adjectif « stupide » est excessif !
M. François Marc. En effet, nous ne disposons pas, selon nous, des éléments qui permettraient de rationaliser ce choix budgétaire très exigeant.
Au cours des dernières semaines, nombre de critiques ont émané d’anciens Premiers ministres et ministres de l’actuelle majorité.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je vois que vous variez vos références !
M. François Marc. Certains ont même déclaré : « On se fout du monde » !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il y a des propos qu’on ne devrait pas se permettre !
M. François Marc. Les associations d’élus, dans leur intégralité, se sont également fait l’écho de la profonde et légitime inquiétude de leurs membres, qui, à la tête des collectivités territoriales, sont les premiers investisseurs publics du pays.
Ainsi, malgré les explications qui ont été apportées, la détresse et le pessimisme des maires ont été palpables tout au long du congrès des maires, qui se termine aujourd'hui.
L’incertitude qui pèse sur les recettes de substitution fait craindre une baisse de l’investissement des collectivités locales. C’est tout de même paradoxal à l’heure où le Gouvernement compte sur ces investissements pour la bonne marche de son plan de relance ! Et les responsables d’entreprise reconnaissent eux-mêmes que l’investissement public est vital pour leur activité.
En outre, un tel projet de réforme induit une sérieuse remise en cause de l’autonomie fiscale, ce qui est tout simplement inacceptable ! Les pertes de recettes seront certes compensées en partie par la création de nouveaux impôts ou le transfert d’impôts d’État, mais les collectivités ne disposeront ni de la capacité de déterminer l’assiette ni du droit de fixer le taux. Il est reproché à ces recettes compensatoires et à ces dotations promises par l’État d’être aléatoires et de ne correspondre qu’à un instant donné. De ce point de vue, il y a un réel problème de confiance dans la parole de l’État lorsqu’il s’agit de transferts, de garanties et de contreparties.
Quelques années à peine après le vote, dans ce même hémicycle, du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, nous sommes en droit de nous demander dans quels méandres ces libertés sont en train d’être jetées !
Arrêtons-nous quelques instants sur les dotations budgétaires de substitution. Là encore, le brouillard est assez épais ! Les mécanismes de garantie restent flous et les compensations de l’État diminuent au fur et à mesure des années. Le passé proche montre d’ailleurs que l’évolution des concours de l’État est largement contrainte par la situation des finances publiques. Le Gouvernement se sert de l’indexation de ces dotations comme variable d’ajustement, et ce sont les collectivités locales qui en pâtissent. Le projet de loi de finances pour 2010 prévoyant déjà une baisse de près de 6 % des dotations de compensation d’exonération de fiscalité locale, on imagine la suite !
Nous refusons également le basculement de la charge des impôts locaux sur les ménages. Actuellement, la répartition de la charge des impôts locaux entre les ménages, pour 49 %, et les entreprises, pour 51%, est à peu près à l’équilibre. Mais, après la réforme, nous allons passer à 70 % pour la part des ménages, contre 30 % pour la part des entreprises. Les collectivités territoriales bénéficieront de la liberté de vote quasi uniquement sur les impôts ménages, entraînant de fait un risque de sollicitation supplémentaire de ce seul impôt laissé à portée d’autonomie fiscale.
Et que dire de l’absence totale de péréquation et de solidarité financière entre les territoires ? Maintien des inégalités actuelles, gel du montant des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, gel du fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France : autant de dispositions contenues dans le projet de loi de finances pour 2010 qui illustrent le peu d’intérêt porté à la péréquation. Pourtant, l’objectif de renforcement de la solidarité financière entre les collectivités doit être un impératif !
Le cadeau que le Gouvernement fait aux entreprises coûtera à l’État plus de 5 milliards d’euros à compter de 2011, et même plus de 11 milliards d’euros en 2010. Le déficit sera inévitablement payé un jour par l’ensemble des Français, qui subiront une hausse de leurs impôts. Est ainsi oublié le discours du Gouvernement selon lequel il se refuse à augmenter d’une quelconque manière les impôts ! C’est du moins ce qu’il prétend… En fait, le Gouvernement laissera les collectivités locales se charger du « sale boulot ».
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. François Marc. Ce sont les élus qui supporteront l’impopularité !
Au vu de la configuration politique des contre-pouvoirs en place dans les territoires, la manœuvre est claire : on leur transfère une part d’impopularité !
Enfin, le dispositif proposé dans ce projet de loi de finances comporte de nombreux effets pervers. Mon collègue Gérard Collomb en a mentionné quelques-uns tout à l’heure. Pour ma part, je préciserai que le barème progressif conduira à de nouvelles iniquités entre contribuables, créant ainsi un risque de rupture d’égalité devant l’impôt. En effet, la cotisation reposera finalement plus sur le chiffre d’affaires que sur la valeur ajoutée. Or la référence au chiffre d’affaires n’est en aucun cas pertinente ; elle aurait pour conséquence d’éloigner l’assiette de la capacité contributive des entreprises, au lieu de l’en rapprocher.
En outre, le lien entre les entreprises et les territoires risque de se dégrader, la nature des tissus d’activités, notamment pour les PME ou les grands groupes, affectant profondément la répartition des ressources fiscales.
Mes chers collègues, il est clair que deux visions antagonistes de la décentralisation, deux conceptions très différentes du rôle des collectivités locales, de leurs relations avec l’État et de leur capacité à incarner l’intérêt général, s’opposent dans ce débat.
Mme Nicole Bricq. Exact !
M. François Marc. Nous ne sommes pas d’accord avec la conception très libérale de l’action publique, régressive en termes de services publics locaux.
Nous pensons que la réforme des finances locales est une occasion majeure de renforcer le lien de citoyenneté local et de consolider les valeurs républicaines d’égalité. C’est ainsi, me semble-t-il, que les 500 000 élus de nos territoires se verraient légitimés et confortés dans leur mission de service public.
C’est la raison pour laquelle nous demandons un report total de la réforme. Réformer, oui, mais pas n’importe comment et à n’importe quel prix ! Nos concitoyens ne doivent pas subir les conséquences d’un blocage du Gouvernement, trop fier pour reconnaître que cette réforme est inaboutie et qu’il faut en différer l’examen.
Le Parlement ne doit donner son vote ni à des mesures relevant du règlement, ni à des lois d’expérimentation.
« L’ensemble des actions qui sont menées par les collectivités territoriales ne sont pas aujourd’hui clairement financées, il faut donc le savoir avant de voter », a déclaré un sénateur de la majorité. Cette remarque résume parfaitement le propos que je viens de tenir.
Nous le répétons : il est nécessaire de repousser la réforme de la taxe professionnelle jusqu’à l’adoption des textes portant clarification des compétences des collectivités territoriales. Si l’on se réfère à l’axiome énoncé par Nicolas Sarkozy devant l’Association des maires de France en 2007 selon lequel « on ne réforme pas la France contre les élus locaux », nous devrions pouvoir être entendus !
Pour toutes ces raisons, nous demandons que le présent projet de loi de finances soit examiné plus avant en commission. Si la décentralisation mérite certes des améliorations, le Parlement a toute légitimité à refuser, en l’état, ce texte inabouti. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Comme François Marc l’a supposé, je vais être amené à m’opposer à la motion tendant au renvoi à la commission.
Tout d’abord, la commission pense avoir fait tout son possible depuis que ce sujet est sur la table. Monsieur Marc, vous qui en êtes membre, vous le savez fort bien ! Le rapport écrit, que plusieurs d’entre vous ont bien voulu citer, mes chers collègues, est d’ailleurs là pour le montrer.
En réalité, cette année deux rapports généraux ont été élaborés et non un seul, de la même manière que deux débats vont avoir lieu. Un rapport entier de 250 pages, hors annexes, traite uniquement de la question de la taxe professionnelle. Il reprend toute la problématique et indique un certain nombre de pistes de raisonnement.
Par ailleurs, grâce au président Jean Arthuis, pour la première fois, en tout cas depuis que j’exerce les fonctions de rapporteur général de la commission des finances, trois réunions consécutives consacrées uniquement à des débats d’orientation ont eu lieu. Nous nous sommes appuyés sur un certain nombre de documents et avons pris en considération les positions des uns et des autres. À l’issue de ces réunions, la commission a bien voulu me donner certains mandats. À trois reprises, donc, nous avons disséqué des pans entiers du sujet que nous examinons aujourd'hui. Demain matin, se déroulera une nouvelle réunion de la commission des finances au cours de laquelle les amendements dits « extérieurs » vont être examinés, ainsi que des sous-amendements ou des rectifications complémentaires que je serai amené à vous soumettre, mes chers collègues, sur les matières qui vont être traitées en première partie du projet de loi de finances.
Très sincèrement, il n’est pas possible d’escompter d’un renvoi à la commission dans les jours, voire les semaines qui viennent un progrès très substantiel en ce qui concerne tant la méthode que le fond.
Qu’allons-nous faire si la motion tendant au renvoi à la commission est rejetée ? Nous allons commencer l’examen de la première partie du projet de loi de finances et, lors de la discussion de la seconde partie, la commission proposera des dispositifs sur lesquels elle a déjà largement avancé et d’autres qui vont nécessiter de nouvelles concertations pour trouver les bonnes solutions. Cette remarque porte plus particulièrement sur la répartition des nouvelles cotisations économiques entre les strates de collectivités territoriales. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors du débat spécifiquement consacré aux recettes des collectivités territoriales.
Ce sujet doit vraiment être traité en toute transparence, en fonction des éléments dont nous disposons aujourd’hui.
Mes chers collègues, je préconise que le Sénat poursuive l’examen du projet de loi de finances. Le sujet est extrêmement difficile mais, on le sait, le diable est dans les détails ; or cette réforme en comporte beaucoup ! De nombreux diables doivent donc être pourchassés. (Sourires.) La seule façon de les pourchasser est de prendre le texte à bras-le-corps, de le malaxer comme il convient et d’améliorer, avec le concours du Gouvernement et de ses services, la compréhension du dispositif, de telle sorte que nous puissions, selon nos choix respectifs, nous y engager ou non.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-137 rectifié, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
articles de la première partie