Sommaire
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
Secrétaires :
MM. François Fortassin, Jean-Paul Virapoullé.
2. Dépôt d’un rapport du Gouvernement
3. Cumul des fonctions et des rémunérations. – Adoption d’une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. François Fortassin, en remplacement de M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi ; Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois ; Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur.
M. Jean Louis Masson, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. François Zocchetto, Richard Yung, Jacques Mézard, Laurent Béteille.
Mme la secrétaire d'État, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Clôture de la discussion générale.
Demande de priorité de l’amendement no 4. – M. le président de la commission, Mme la secrétaire d'État. – La priorité est ordonnée.
Amendements nos 4 (priorité) du Gouvernement, 3 rectifié bis de M. Richard Yung et 2 de M. Yvon Collin. – Mme la secrétaire d'État, MM. Richard Yung, François Fortassin, le rapporteur, Daniel Raoul, le président, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cointat, Laurent Béteille, Nicolas Alfonsi, René Garrec. – Rejet, par scrutin public, de l’amendement no 4 ; rejet des amendements nos 3 rectifié bis et 2.
Adoption de l'article.
Adoption de l’ensemble de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
4. Lutte contre les violences de groupes. – Adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice ; François Pillet, rapporteur de la commission des lois.
Mme Éliane Assassi, MM. Jean-Pierre Sueur, Jacques Mézard, Laurent Béteille, Charles Gautier, Serge Dassault, Mme Alima Boumediene-Thiery.
M. le secrétaire d'État.
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l'article 1er A
Amendement n° 12 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 13 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur. – Retrait.
Amendement n° 34 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Mme Alima Boumediene-Thiery.
Amendements identiques nos 1 de M. Charles Gautier, 35 de Mme Éliane Assassi et 52 de M. Jacques Mézard. – M. Jean-Pierre Sueur, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le secrétaire d'État, Charles Gautier. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery.
Amendements identiques nos 2 de M. Charles Gautier et 36 de Mme Éliane Assassi. – M. Charles Gautier, Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Pierre Sueur. – Rejet des deux amendements.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 19 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Amendement n° 17 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 16 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Adoption.
Amendement n° 18 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Mme Alima Boumediene-Thiery.
Amendements identiques nos 3 de M. Charles Gautier, 37 de Mme Éliane Assassi et 51 de M. Jacques Mézard. – M. Charles Gautier, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet des trois amendements identiques.
Adoption de l’article.
Amendements identiques nos 4 de M. Charles Gautier et 38 de Mme Éliane Assassi. – M. Jean-Pierre Sueur, Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 54 de la commission. – MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 39 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 21 rectifié de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Adoption.
Amendement n° 22 rectifié de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. – Rejet.
Amendement n° 5 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le secrétaire d’État, Jean-Pierre Sueur, le président de la commission. – Rejet.
Amendement n° 28 rectifié bis de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État, Laurent Béteille. – Rejet.
Amendement n° 6 de M. Charles Gautier. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 24 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 23 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 7 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 8 de M. Charles Gautier. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 26 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
Amendement n° 9 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
M. le président.
Adoption de l’article modifié.
Amendements identiques nos 10 de M. Charles Gautier, 40 de Mme Éliane Assassi et 53 de M. Jacques Mézard. – M. Jean-Pierre Sueur, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 30 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet.
MM. Bernard Frimat, le président de la commission, le président.
Amendement n° 29 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet par scrutin public.
Le scrutin donnant lieu à pointage, le résultat du vote sur l’article est réservé.
Article additionnel après l'article 4 bis
Amendement n° 27 rectifié bis de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Adoption, par scrutin public, de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 41 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 32 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d’État. – Rejet par scrutin public.
Adoption, par scrutin public, de l’article.
MM. Jean-Pierre Sueur, le président, Mme Éliane Assassi, M. le président de la commission.
Amendement n° 42 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Adoption de l'article.
Article 4 quinquies (supprimé)
Amendement n° 43 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 44 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 45 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Adoption de l'article.
Adoption de l’article après pointage du scrutin public.
Amendement n° 46 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendements nos 11 de M. Charles Gautier et 33 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – M. Charles Gautier, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Pierre Sueur. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Amendement n° 47 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 6
Amendement n° 14 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 48 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 49 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 50 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. Jean-Pierre Sueur, Mme Éliane Assassi, MM. Antoine Lefèvre, Jacques Mézard.
Adoption de la proposition de loi.
M. le secrétaire d'État.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Paul Virapoullé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d’un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur le contexte et les perspectives d’évolution de la Direction générale de l’aviation civile, établi en application de l’article 193 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, et sera disponible au bureau de la distribution.
3
Cumul des fonctions et des rémunérations
Adoption d’une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (nos 8, 87, 88).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin, en remplacement de M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la genèse de la proposition de loi déposée par mon collègue et ami Yvon Collin est liée à la nomination récente d’Henri Proglio, PDG de Veolia, entreprise privée cotée au CAC 40, à la tête d’EDF, première entreprise publique par le nombre de ses salariés et l’importance de son chiffre d’affaires. Cette nomination est essentiellement le fait de la volonté du Président de la République, qui, semblerait-il, ne souhaitait pas le renouvellement du mandat de Pierre Gadonneix, actuel PDG d’EDF.
Il s’agit d’un cas de figure insolite et inhabituel, qui a incontestablement suscité une certaine émotion, pour ne pas dire davantage. J’ai eu l’occasion de qualifier cette situation de « berlusconienne », analyse qui n’a pas vraiment enthousiasmé l’heureux récipiendaire mais que je maintiens.
De quoi s’agit-il ?
Je veux d’abord écarter très clairement tout argument lié à la compétence de M. Proglio, car celle-ci n’est pas en cause ici, ou à son salaire : ce n’est pas là ce qui m’intéresse. Je considère en revanche qu’il est bon de rappeler certains principes républicains devant cette assemblée, afin que l’opinion publique puisse en prendre connaissance. Ces principes veulent que, lorsque deux entreprises n’ont pas la même finalité – du moins jusqu’à ce jour ! –, on puisse légitimement considérer que la nomination à la tête de l’une d’un PDG qui continue à garder un pied dans l’autre fait planer la menace d’un conflit d’intérêt.
Lorsqu’une nomination concerne une entreprise publique dans laquelle la participation de l’État est aussi importante, il est tout à fait normal que la Haute Assemblée ait son mot à dire. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à avoir réagi : M. le président de la commission des finances du Sénat, notre excellent collègue Jean Arthuis, a lui aussi stigmatisé cette situation lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Pour avoir assisté à cette séance, je ne peux pas dire que les réponses fournies aient été extrêmement convaincantes…
EDF est un établissement public à caractère industriel et commercial chargé d’une mission de service public. À ce titre, il lui incombe d’assurer un service universel de fourniture d’électricité aux ménages les plus démunis ainsi que dans les zones les moins accessibles. Son chiffre d’affaires est important, de même que sa capitalisation boursière, même si le groupe a perdu quelques millions d’euros l’an dernier, à la suite d’une politique d’expansion coûteuse et peut-être mal maîtrisée.
Quant à Veolia Environnement, c’est une entreprise privée issue de la Compagnie générale des eaux, la CGE. Leader mondial des services à l’environnement, elle poursuit une finalité exclusivement lucrative. Près des deux tiers de son capital sont flottants. La Caisse des dépôts et consignations, son premier actionnaire institutionnel, détient moins de 10 % de son capital.
Il est à noter que la CGE avait été scindée en deux entités, Veolia Environnement et Vivendi Universal, cette dernière étant présidée par Jean-Marie Messier. Chacun sait que celui-ci fut, dans un passé récent, un gestionnaire extrêmement rigoureux et particulièrement avisé, voire un visionnaire. On connaît la suite… (M. le président de la commission des lois sourit.)
Ce cumul potentiel de fonctions suscite d’autant plus l’incompréhension qu’il va à l’encontre des grands principes républicains – je les ai déjà rappelés – qui commandent que la défense de l’intérêt général et la prise en compte des besoins de nos concitoyens les plus démunis se fassent dans des conditions transparentes et irréprochables sur le plan éthique. Toute la question est là ! « On ne nous dit pas tout ! », commenterait une humoriste de grand talent. (Sourires.)
Nous sommes d’ores et déjà quelque peu échaudés. Il fut en effet un temps où ceux qui craignaient la privatisation de Gaz de France étaient qualifiés soit d’esprits obtus, soit d’empêcheurs de tourner en rond, soit de personnes malintentionnées, voire nuisibles. On sait ce qu’il est advenu.
La commission de l’économie a eu l’occasion d’auditionner M. Proglio. Il a fait observer que, grâce à lui, EDF et Veolia seraient plus forts. C’est donc bien qu’il pense à un rapprochement !
Mes chers collègues, je livre à votre méditation une autre de ses observations, que j’ai trouvée choquante. Il a affirmé devant la commission qu’EDF, renforcée, devait nouer des contacts très étroits avec Gazprom pour prendre les autres pays européens en tenaille. Je ne partage pas tout à fait une telle conception de l’Europe. Un renforcement des liens entre ces deux sociétés peut certes présenter un intérêt, mais, selon l’idée que je me fais de l’Europe, il est évident que l’on ne doit pas se comporter en prédateur. Or c’est bien de cela qu’il s’agit ! Les prédateurs peuvent avoir quelque utilité, mais parfois ils sont nuisibles.
Je n’évoquerai pas la rémunération de M. Proglio,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais vous allez en parler quand même…
M. François Fortassin. … sinon pour mentionner qu’elle serait deux fois et demie supérieure à celle de M. Gadonneix, qui, jusqu’à preuve du contraire, ne donnait pas dans le misérabilisme !
Ce montant serait versé à M. Proglio tout simplement pour lui assurer une rémunération… décente. Nous ne donnons probablement pas la même signification aux mots : l’adjectif « décent » n’est sans doute pas apprécié de la même façon par les élus du peuple et par les grands chefs d’entreprise de notre pays… (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. François Fortassin. Un autre point nous gêne particulièrement. Les entreprises publiques sont tenues de respecter « des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique ». Or il sera certainement difficile de définir ce « haut niveau » – la définition de l’« éthique » devrait être plus simple. Tout cela est extrêmement savoureux.
De surcroît, sans même y avoir été invité, M. Proglio a précisé au cours de son audition qu’il n’avait ni résidence secondaire, ni bateau, ni train de vie très élevé. À l’évidence, ce monsieur doit être un grand économe qui assure l’avenir de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ! (Sourires.)
Si l’on considère que, toujours selon ses déclarations, M. Proglio resterait à Veolia pour présider un conseil de surveillance qui ne se réunit pas plus de cinq ou six fois par an, on peut se poser une question : pourquoi cette multiplication d’intérêts et cette sorte de « doublonnage », à nos yeux tout à fait anormales ?
Je l’affirme très nettement : le cas de M. Proglio me paraît beaucoup plus révélateur et plus choquant que la nomination avortée de M. Jean Sarkozy à la tête de l’Établissement public pour l’aménagement de la Défense, l’EPAD. Certes, s’il avait porté un autre patronyme, M. Jean Sarkozy n’aurait sans doute pas été sollicité. Mais il est un élu du peuple ! Le poste de président de l’EPAD revient à un conseiller général : à partir du moment où M. Jean Sarkozy détenait un tel mandat, sa nomination n’aurait rien eu de choquant sur le principe.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous ne demandez tout de même pas que les présidents des grandes entreprises publiques soient des élus !
M. François Fortassin. Non, monsieur Hyest : je souhaite simplement qu’il n’y ait pas mélange des genres.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Justement, ne mélangez pas ! Comparaison n’est pas raison !
M. François Fortassin. J’entends bien, mon cher collègue, mais il me semble avoir tout de même le droit de porter une appréciation, dût-elle vous déplaire, et je suis certain que tous les membres de cette assemblée m’ont compris. Le public présent dans les tribunes appréciera, lui aussi !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Y aurait-il quelques maires de votre département ?
M. François Fortassin. Non, ils sont venus hier : je n’ai pas amené la claque, le groupe du RDSE est une trop petite formation pour être aussi bien organisée que le groupe UMP !
M. le président. Poursuivons, mes chers collègues !
M. Yvon Collin. Ne nous égarons pas…
M. François Fortassin. La controverse actuelle, je le répète, n’est pas saine pour la République, que nous devons défendre, voire pour la démocratie.
Mais peut-être considère-t-on – il faut nous le dire ! – que M. Proglio est un homme providentiel,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’est pas mal !
M. François Fortassin. … et que c’est ce qu’il faut pour diriger EDF ! En mon âme et conscience, je croyais que le seul homme providentiel en France était le Président de la République : point n’est besoin d’en multiplier le nombre, cela ne ferait qu’altérer son caractère providentiel ! (Rires.)
Que se trame-t-il en secret ? S’agit-il d’une grande opération industrielle visant à opérer un rapprochement organique entre les deux entreprises EDF et Veolia ? Prépare-t-on la privatisation d’EDF ? On nous a assuré que La Poste ne serait pas privatisée, mais la même promesse avait été faite à propos de Gaz de France. On peut donc être un peu sceptique, d’autant plus que la caractéristique de tout gouvernement, de celui-ci comme d’autres, est d’avoir des vérités à géométrie variable…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Celui-ci moins que d’autres !
M. François Fortassin. Les deux projets industriels peuvent être complémentaires ; mais, dans un souci de clarté et de transparence, ne procédons pas à un mélange des genres !
Avant de conclure, je vous prie de bien vouloir remarquer, monsieur le président, que je n’ai pas tout à fait épuisé mon temps de parole.
M. le président. Je l’ai noté, mon cher collègue !
M. François Fortassin. Les membres du groupe du RDSE sont très heureux du dépôt de cette proposition de loi, dû à l’initiative de son président Yvon Collin, et se félicitent que sur d’autres travées se soit manifestée une sensibilité commune.
Je remercie la commission des lois d’avoir choisi de ne pas rejeter ce texte sur la forme. J’ose espérer que, sur le fond, notre analyse n’est pas totalement stupide et mérite un débat, le débat qui va s’engager. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je relève que M. Fortassin n’a remis en cause ni le principe du cumul ni celui de la rémunération, ce qui montre bien qu’il s’agit d’une question de principe, et je le remercie des propos qu’il a tenus à l’égard de la commission des lois. Nous avons effectivement abordé ce dossier dans toute sa complexité.
Comme il l’a lui-même indiqué, le problème posé concerne un grand capitaine d’industrie. Il est essentiel que la France ait de grandes industries pour défendre ses intérêts : encore faut-il qu’elle ait de grands capitaines, et encore faut-il que les règles fixées permettent que leur nomination se déroule dans des conditions non discutables.
J’ai donc l’honneur de rapporter la proposition de loi déposée par notre collègue Yvon Collin et plusieurs membres du groupe du RDSE tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé.
Ce texte ne saurait être extrait de son contexte, à savoir que l’État envisage de nommer à la tête d’EDF l’actuel président de Veolia qui, tout en abandonnant ses fonctions de directeur général, conserverait celles de président.
Compte tenu des débats qu’a provoqués récemment une autre nomination, il est bon que de telles décisions interviennent dans la plus grande transparence alors même que le contexte juridique est complexe et les pratiques insuffisamment encadrées.
Le cumul de fonctions est-il possible au regard de la loi ? La réponse est oui. Le cumul de rémunérations est-il possible entre fonctions publiques et privées ? La réponse est oui.
Dans le premier cas, la loi fixe un cadre très précis. Est-ce suffisant ? Peut-être pas. Dans le second cas, la loi est, c’est le moins que l’on puisse dire, peu contraignante ou discrète, selon qu’il s’agit d’entreprises publiques ou privées, et la pratique l’emporte fréquemment sur les textes. Est-ce satisfaisant ? Peut-être pas.
Aux termes du décret du 30 mars 2009 relatif aux conditions de rémunération des dirigeants des entreprises aidées par l’État ou bénéficiant du soutien de l’État du fait de la crise économique et des responsables des entreprises publiques, « le ministre chargé de l’économie veille à ce que [ces entreprises] respectent des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique ». C’est donc sous l’angle de cette exigence de droit et de pratique que nous devons examiner la proposition de loi qui nous est soumise.
J’aborderai tout d’abord la limitation du cumul des fonctions de dirigeant mandataire social dans les sociétés commerciales.
Dans la mesure où de nombreuses entreprises du secteur public sont constituées sous la forme de sociétés anonymes dotées soit d’un conseil d’administration, soit d’un directoire et d’un conseil de surveillance, s’appliquent à elles les conditions relatives au cumul des mandats sociaux figurant dans le code de commerce.
La loi fixe des règles de limitation propres à chaque type de sociétés anonymes. Ainsi, dans les sociétés dotées d’un conseil d’administration, un même administrateur ne peut détenir plus de cinq mandats sociaux ; on ne peut exercer qu’un seul mandat de directeur général de société anonyme ou de président de directoire. Ces règles ne valent que pour les sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français et sont de surcroît assouplies pour les filiales.
Au-delà des règles de droit, les entreprises se sont engagées d’elles-mêmes, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, à respecter certains principes dits de « gouvernement d’entreprise » définis par leurs pairs. Ainsi, le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, ont adopté à l’usage de leurs adhérents un « code de gouvernement d’entreprise ». De telles règles sont relativement usitées dans les pays anglo-saxons, où elles sont souvent qualifiées de « soft law » : leur violation n’est pas juridiquement sanctionnée.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement est amené à exercer un contrôle direct sur la nomination par le Président de la République à certains emplois. L’article 13 de la Constitution prévoit ainsi en son cinquième alinéa : « Une loi organique détermine les emplois ou fonctions […] pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. »
Cette disposition permet en conséquence de soumettre au veto du Parlement la nomination des dirigeants de certaines entreprises publiques indépendamment de leur statut juridique. Le projet de loi organique relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, adopté par l’Assemblée nationale le 29 septembre 2009, comporte l’énumération limitative des onze entreprises qui pourront être concernées, parmi lesquelles EDF.
Avant même l’adoption définitive par le Parlement des projets de loi organique et ordinaire relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. Henri Proglio a été entendu respectivement par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 27 octobre dernier, et par la commission de l’économie du Sénat, le 28 octobre dernier, dans la perspective de sa désignation par décret du Président de la République aux fonctions de président-directeur général d’EDF, annoncée pour la date du 25 novembre prochain.
Nous ne pouvons que nous féliciter d’une initiative destinée à assurer la transparence de cette nomination alors même que l’article 13 de la Constitution, dans l’attente des lois organique et ordinaire relatives à son application, n’est pas encore entré en vigueur.
J’en viens à la question des rémunérations.
La rémunération des dirigeants mandataires sociaux fait depuis 2001 l’objet d’un encadrement de plus en plus strict, soit en vertu de la loi, soit en vertu du règlement. S’y sont ajoutés des principes de bonne gouvernance définis par les entreprises elles-mêmes.
Le dispositif législatif applicable aux sociétés commerciales est précis. La rémunération des dirigeants de sociétés relève d’abord de la compétence des organes sociaux de celles-ci, avec certaines limitations. Des règles de procédures ont été prévues, en particulier le passage par le mécanisme des conventions réglementées. Des interdictions de fond s’appliquent notamment aux éléments de rémunération dont le bénéfice n’est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire.
De longue date s’applique une réglementation particulière à l’égard des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques. Cette réglementation se cumule avec celle qui est éventuellement applicable à ces entreprises à raison de leur statut de sociétés commerciales. La détermination de la rémunération de ces dirigeants, le traitement et les autres éléments de rémunération d’activité s’opèrent dans le cadre d’un contrôle ministériel, par décision conjointe du ministre chargé de l’économie et des finances et du ministre intéressé.
Des règles de bonne gouvernance ont également été imposées par les entreprises elles-mêmes. En matière de rémunérations, le code de gouvernance d’entreprise établi par l’AFEP et le MEDEF pose certains principes pour la détermination de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux et définit le rôle du conseil d’administration. Il prévoit ainsi que la détermination de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux relève de la responsabilité des conseils d’administration ou de surveillance et se fonde sur les propositions du comité des rémunérations.
Lors de son audition, Mme Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires, l’ADAM, est allée plus loin dans son exigence, considérant que, si les règles de notre économie posent le principe de la liberté, qui ne doit pas être remis en cause, il n’en convient pas moins que la détermination des rémunérations des dirigeants de société soit mieux encadrée.
Aussi estime-t-elle que, bien qu’il revienne effectivement au conseil d’administration d’apprécier le montant de la rémunération et de ses accessoires, l’encadrement de ces rémunérations doit être fixé statutairement par l’assemblée générale des actionnaires, les conseils d’administration n’offrant pas les garanties nécessaires de transparence. L’actualité récente concernant d’anciens dirigeants de très grandes entreprises françaises ne fait que confirmer cette appréciation.
Je souhaite maintenant revenir sur l’audition de M. Proglio, puisqu’elle a été évoquée. Menée par la commission de l’économie le 28 octobre dernier, elle aura permis de préciser plusieurs points importants.
M. Proglio est membre d’EDF depuis 2004 et, en cette qualité, en préside le comité stratégique sans avoir connu jusqu’aujourd’hui de conflit d’intérêt.
L’ensemble des décisions et des positions d’EDF et de Veolia concernant la filiale commune aux deux sociétés, la société Dalkia, ont été prises par les deux groupes dans le respect d’obligations de transparence répondant aux normes internationales les plus élevées.
Pour ce qui est des fonctions de dirigeant de Veolia, le conseil d’administration a procédé au transfert des pouvoirs exécutifs au nouveau directeur général, conformément aux dispositions du droit des sociétés précédemment évoquées.
Au sujet de sa rémunération, M. Proglio a souligné qu’au sein de Veolia il bénéficiait du vingt-huitième salaire, par ordre d’importance, parmi les patrons du CAC 40, et que son souhait était de conserver, pour les deux fonctions cumulées, un niveau de rémunération comparable. Il s’est engagé à limiter ses droits à la retraite, qui se trouveraient ainsi figés, et à renoncer à toute distribution nouvelle d’options, engagement confirmé le 30 octobre dernier par un communiqué de Veolia.
Dans un tel contexte, avons-nous intérêt à légiférer ?
Il n’y a sans doute pas lieu d’interdire dans son principe la possibilité d’un cumul de fonctions de direction dans une entreprise du secteur public et dans une entreprise du secteur privé, non plus que celle d’un cumul de rémunérations. En revanche, se pose effectivement la question légitime de l’intérêt d’un encadrement de cette pratique afin que celle-ci n’intervienne qu’après un examen approfondi, au cas par cas, de sa pertinence.
La proposition de loi avait pour objet de soumettre l’examen de la possibilité de cumul de fonctions à la commission de déontologie, qui exerce un double contrôle. Le premier est destiné à prévenir la constitution de toute situation de conflit d’intérêt constitutif du délit de prise illégale d’intérêts sanctionné par l’article 432-13 du code pénal. Le second, de nature déontologique, est destiné à éviter la survenue de certaines situations, bien que les faits concernés ne puissent être qualifiés pénalement.
Le droit en vigueur permet de surcroît l’intervention de la commission de déontologie à l’égard d’un fonctionnaire qui serait nommé dirigeant d’une entreprise intervenant dans le secteur concurrentiel, dans un délai de trois ans suivant sa nomination et au regard des fonctions précédemment exercées.
Si la saisine de la commission de déontologie a toute sa pertinence lorsqu’il s’agit d’apprécier la situation d’un fonctionnaire entrant dans le secteur privé, il n’en va pas de même dans le cas du dirigeant d’une société privée entrant dans une société publique. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a été amenée à considérer que l’examen d’une telle situation devait relever de l’Agence des participations de l’État, l’APE. Celle-ci serait donc appelée à donner son avis sur la nomination à des fonctions de dirigeant mandataire social dans une entreprise du secteur public d’une personne exerçant des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé.
Afin d’assurer le respect de l’article 13 de la Constitution, il reviendrait au ministre de l’économie, lorsque est concernée l’une des entreprises publiques relevant de cette protection constitutionnelle, de transmettre l’avis de l’APE aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat avant que celles-ci ne rendent leur avis.
Nous avons lu sur ce point une proposition d’amendement du Gouvernement tendant à préciser les conditions d’information des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais uniquement dans le cadre de cet article 13. Il vous est donc demandé, madame la secrétaire d’État, de vous engager explicitement à ce que le champ de cette proposition, qui, dans la forme, est plus que satisfaisante, soit étendu aux dirigeants des entreprises ne relevant pas de l’article 13 qui se trouveraient dans une situation identique, et que leur nomination fasse l’objet d’un avis de l’APE qui serait annexé au rapport annuel de l’agence.
C’est sous le bénéfice de ces observations et des engagements sollicités que je vous propose, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi soumise à notre assemblée dans la forme arrêtée par la commission des lois.
Madame la secrétaire d’État, vous me permettrez de conclure en formulant un vœu.
Dans sa préface au rapport annuel, intitulé L’État actionnaire, établi par l’APE pour 2009, Mme Christine Lagarde précise : « L’État, en tant qu’actionnaire d’entreprises de notre pays, doit en permanence les amener à converger vers trois priorités qui sont les siennes : contribuer à l’avenir industriel de la France, créer de la valeur pour notre économie et fournir aux 1,5 million de salariés concernés des perspectives d’emploi. » Je souhaiterais, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement, dans le droit-fil des exigences formulées dans le décret du 30 mars 2009, y ajoute une quatrième priorité : le respect par ces entreprises des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.)
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de la ministre, Mme Christine Lagarde.
Je veux vous dire tout l’intérêt que le Gouvernement porte à une proposition de loi dont l’objet est d’encadrer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé.
Cet intérêt ne vaut cependant que s’il n’y a pas de mélange des genres.
Mme Nicole Bricq. Ah !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. En effet, nous ne sommes pas là aujourd’hui pour évoquer la stratégie des entreprises publiques, n’en déplaise à M. Fortassin, que je remercie néanmoins de m’avoir fourni l’occasion de rappeler qu’il n’est évidemment pas question de fusion entre EDF et Veolia, pas davantage qu’il n’est question de privatisation d’EDF.
Nous ne sommes pas là non plus, autre mélange des genres, pour traiter d’une situation individuelle, en l’occurrence celle du futur président d’EDF, même s’il est vrai, comme l’ont indiqué MM. Vial et Fortassin, que la situation de M. Henri Proglio est à l’origine de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.
Henri Proglio, on l’a rappelé, a été auditionné au Sénat le 28 octobre dernier par la commission présidée par M. Emorine. Il a également été entendu à l’Assemblée nationale, en application de la Constitution telle qu’elle a été révisée à la demande du Président de la République.
Le 6 novembre, Mme Christine Lagarde a répondu dans cet hémicycle même à un certain nombre de questions. Tout d’abord, il n’y a jamais eu et il n’y aura pas de conflit d’intérêt, l’évolution de la gouvernance de Veolia permettant au président d’EDF d’exercer pleinement ses fonctions exécutives dans l’entreprise publique. Quant à la rémunération, je rappelle qu’elle n’est pas fixée aujourd’hui, M. Proglio n’étant pas encore président d’EDF. Le comité de rémunération de l’entreprise fera une proposition sur laquelle le Gouvernement se prononcera.
M. Proglio a indiqué qu’il souhaitait conserver – ce qui, vous en conviendrez, est somme toute légitime et raisonnable – un niveau de revenu global comparable à celui qui était le sien chez Veolia.
Pas de mélange des genres, donc : l’objet de tout texte législatif, et celui-ci ne fait pas exception, est de se prononcer sur un certain nombre de principes, en l’occurrence sur un ensemble de situations au sujet desquelles l’État, dans son rôle d’actionnaire – actionnaire unique, actionnaire majoritaire, voire actionnaire minoritaire –, sera amené à se prononcer sur les questions de nomination et de rémunération des dirigeants.
Je voudrais me féliciter de la qualité du travail qu’ont mené ensemble les auteurs de la proposition de loi, le président de la commission, M. Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur, M. Jean-Pierre Vial. Le travail a été particulièrement constructif, j’ai pu le constater moi-même, en particulier grâce à l’écoute et à la bienveillante attention de M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi, ainsi que de M. Michel Charasse. Nous avons ainsi abouti, comme l’a indiqué M. Vial, à un très bon travail de synthèse.
Avant de commenter précisément celui-ci, je voudrais vous redire à quel point cette proposition de loi, inspirée par un souci de transparence – encore une fois, lorsqu’il n’y a pas de mélange des genres ! –, rejoint certaines préoccupations du Gouvernement.
Nous avons souhaité accentuer le contrôle ministériel auquel sont soumises les entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire majoritaire, notamment pour ce qui concerne les rémunérations. En outre, nous avons été les premiers en Europe à mettre en place dans ce domaine un système d’encadrement pour les entreprises bénéficiant d’un soutien de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les dispositions de la loi de finances rectificative d’avril 2009, dont les décrets d’application ont été pris très rapidement, dès la fin de ce même mois d’avril. Vous les connaissez d’autant mieux qu’elles ont été très largement inspirées par les travaux du président de la commission des finances, M. Arthuis.
Qu’il s’agisse des stock-options, des rémunérations variables, des indemnités de départ ou des retraites chapeau, notre dispositif est complet et couvre un large champ puisqu’il s’applique aux sociétés qui bénéficient du soutien de l’État via la Société de prises de participation de l’État, la Société de financement de l’économie française, ou encore le Fonds de développement économique et social, le FDES. Il a été étendu aux constructeurs automobiles aidés par l’État dans le cadre du plan de relance ainsi qu’aux entreprises cotées dans lesquelles l’État détient une participation, qui doivent respecter scrupuleusement le code éthique élaboré, sur l’initiative du Gouvernement, notamment de Christine Lagarde, par l’AFEP et le MEDEF.
Ce code éthique, vous le savez, prévoit l’interdiction du cumul entre contrat de travail et mandat social, le plafonnement du montant des indemnités de départ, qui sont interdites si le dirigeant échoue, le renforcement de la comparabilité et de la transparence en matière de rémunérations.
Cette transparence, le Gouvernement l’a également mise en pratique à l’occasion de la parution du dernier rapport de l’Agence des participations de l’État, rapport qui, étant public, permet aux parlementaires, mais aussi à tous les citoyens, d’être pleinement informés de la composition des conseils d’administration ou de surveillance des entreprises relevant du périmètre de cette agence, mais également de connaître le montant et les conditions de rémunération des dirigeants.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, tous ces dispositifs attestent de la communauté de préoccupation entre les auteurs de la proposition de loi, ceux qui l’ont remaniée et le Gouvernement : tous partagent la même volonté de transparence et de rigueur.
J’en viens à la proposition de loi elle-même. Elle s’inscrit dans le nouveau dispositif constitutionnel, qui, je le répète, permet d’associer les assemblées parlementaires à la nomination des dirigeants des plus grandes entreprises. En l’occurrence, il s’agit d’élargir, pourrait-on dire, les conditions dans lesquelles les assemblées parlementaires formuleront un avis sur ces nominations.
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, il n’existe pas d’incompatibilité de principe entre une fonction exécutive dans une entreprise publique et un ou plusieurs mandats non exécutifs dans des entreprises privées.
Les dirigeants des entreprises publiques qui ont la forme de sociétés commerciales sont des agents de droit privé, puisque les structures dont ils sont responsables sont des personnes morales de droit privé. Ils sont soumis aux règles du code de commerce relatives au cumul des mandats – je ne les rappellerai pas, mesdames, messieurs les sénateurs, car vous les connaissez parfaitement.
Par ailleurs, il ne nous semble pas justifié, bien au contraire, qu’un dirigeant de droit privé d’une entreprise publique soit empêché d’exercer une autre fonction dans une société privée dès lors que cette seconde activité ne nuit pas à la conduite de ses responsabilités dans le cadre de la direction de l’entreprise publique. Une telle interdiction reviendrait en fait à appauvrir la capacité de gouvernance et de participation avisée à la direction des entreprises publiques d’un certain nombre de dirigeants.
Je voudrais préciser le sens de l’amendement gouvernemental qui sera présenté tout à l’heure et sur lequel j’ai été interrogée.
Tout d’abord, monsieur le rapporteur, vous avez souhaité que l’Agence des participations de l’État puisse en tant que telle fournir des documents aux assemblées parlementaires. Nous n’avons aucune objection à cet égard. Nous estimons même que l’information pourrait être encore plus large. En effet, l’Agence des participations de l’État, au sein de la direction générale du Trésor et de la politique économique, n’est que l’un des services auxquels le ministre de l’économie peut demander de fournir aux assemblées parlementaires un avis dûment éclairé. En outre, les questions en cause peuvent concerner des entreprises qui n’entrent pas dans le champ de la compétence de l’APE.
C’est pourquoi nous avons souhaité indiquer, dans la rédaction de l’amendement que je défendrai, que toute la transparence serait assurée par le ministre des finances – aujourd’hui, Christine Lagarde – à partir des avis des différentes entités du ministère des finances concernées, parmi lesquelles, bien entendu, figure l’APE.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous m’avez demandé si le rapport de l’APE, qui est transmis aux assemblées parlementaires, pourrait contenir des informations relatives aux entreprises qui n’entrent pas dans le champ de l’article 13 de la Constitution, de façon à rendre celles-ci plus transparentes, conformément à l’objet de la présente proposition de loi. Je vous confirme que tel sera le cas, ainsi que le Gouvernement l’a indiqué durant les travaux préliminaires menés avec vous-mêmes et les auteurs de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre souci de transparence nous amène à considérer d’un œil tout à fait intéressé cette proposition de loi. Nous avons pensé pouvoir, en accord avec vous, en améliorer encore la formulation. L’adoption du texte de la commission assorti de l’amendement du Gouvernement dont je viens de donner le sens permettra, je le crois, d’avancer sur la voie de la transparence et, au-delà des principes, je le répète, d’améliorer la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État possède des intérêts. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand j’ai appris par la presse que M. Henri Proglio allait être nommé à la tête d’EDF et conserverait néanmoins ses fonctions de président de Veolia, j’ai été pour le moins surpris !
On nous parle de compatibilité des cumuls et de vérification des règles de déontologie. Certes ! Mais cette affaire pose le problème du cumul des fonctions – j’insiste sur cette notion, qui doit être bien distinguée de celle de cumul des mandats – en politique comme dans le monde des affaires, d’ailleurs.
Or cette différence n’est pas assez soulignée dans le rapport de la commission. On dresse un parallèle entre M. Proglio et, par exemple, M. Desmarest, qui est à la fois président du conseil d’administration de Total et simple administrateur d’Air Liquide ou d’autres sociétés, ainsi que membre du conseil de surveillance d’Areva. De même, on nous cite l’exemple de Mme Lauvergeon qui, elle, est présidente du directoire d’Areva et simple administrateur de GDF.
Mes chers collègues, je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’on puisse cumuler les fonctions de PDG d’une grande société nationale, par exemple EDF, avec celles de simple administrateur dans des sociétés privées. Toutefois, le cumul en cause ici est tout à fait différent : il s’agit d’être à la fois le grand patron d’EDF et le président de Veolia !
Certes, on prétend que M. Proglio n’exercera pas de fonction exécutive chez Veolia. Mais c’est là d’une distinction subtile, à l’anglo-saxonne : tout le monde sait bien que, s’il reste président de cette entreprise, il continuera à tenir les manettes !
Je l’affirme tout net : soit nous considérons qu’il est possible de continuer à cumuler, dans tous les domaines, en politique comme dans le monde des affaires et ailleurs, soit nous estimons que certaines fonctions requièrent un plein-temps et qu’il n’est pas possible d’en exercer deux à la fois, même si un dirigeant peut accessoirement être administrateur de société. Je me réjouis donc de cette proposition de loi, qui me paraît très pertinente. Il s’agit d’un premier pas, même s’il est timide et ne règle pas vraiment le problème.
La question qui mérite d’être posée, me semble-t-il, c’est celle du cumul de fonctions qui requièrent chacune un plein-temps, et ce quel que soit le domaine. Il n’est pas possible d’assumer correctement deux ou trois activités de ce type, sans compter qu’il existe un risque de confusion des genres !
On nous parle de déontologie. C’est assurément très sympathique, et l’on peut toujours vérifier qu’il n’existe pas de conflit entre deux fonctions, notamment. Mais tout le monde sait bien que, en matière de déontologie, il faut toujours distinguer la pratique et la théorie !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, la déontologie est une question de pratique, pas de théorie !
M. Jean Louis Masson. Certes, monsieur le président de la commission des lois, et les grands débats théoriques sur la déontologie, dans cette enceinte ou ailleurs, sont fort sympathiques. Reste qu’il faut encore examiner, dans la pratique, la façon dont ces règles sont appliquées !
Je voterai cette proposition de loi, mais en restant sur ma faim. Comme toujours quand il est question de cumul de fonctions, nous ne sommes pas allés assez loin. Il me semble que la France compte suffisamment de talents pour qu’il ne soit pas nécessaire de confier de façon abusive à une même personne deux ou trois fonctions simultanées de chef d’entreprise ! Les hauts cadres ayant la compétence nécessaire, dans leur domaine respectif, pour diriger une société ne manquent pas !
Pour conclure, je tiens à réaffirmer ma totale opposition au cumul des fonctions. Or M. Proglio est bien dans ce cas, car les auteurs du rapport de la commission ont confondu ceux qui siègent dans plusieurs conseils d’administration – pourquoi pas, en effet ? – et ceux qui assument deux fonctions à plein-temps, ce qui n’est ni décent, ni correct, ni aussi efficace que l’on voudrait nous le faire croire. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous n’avons rien confondu du tout : nous avons cité des exemples qui existent à l’étranger !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun l’a rappelé, cette proposition de loi est née de la polémique liée à la décision du Président de la République de désigner M. Henri Proglio aux fonctions de président-directeur général d’EDF alors que celui-ci est actuellement président du conseil d’administration de la société Veolia Environnement, concurrente directe des services publics dans un grand nombre de domaines. Or, pour pouvoir jouer sur les deux tableaux, ce chef d’entreprise réputé proche de Nicolas Sarkozy semble mener actuellement des discussions pour conserver la présidence du conseil de surveillance de Veolia.
En l’absence de cadre juridique régissant ce type de cumul, M. Proglio pourrait donc prendre la tête d’une entreprise concurrente dans laquelle l’État détient 85 % des parts, mais qui pèse 72 milliards d’euros en Bourse !
Pour éviter ce mélange des genres et pallier le vide juridique concernant ce type de nominations, mais aussi parce que la réponse de Mme Christine Lagarde à notre collègue Jean Arthuis lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 5 novembre dernier est apparue bien légère, nos collègues du groupe du RDSE ont déposé une proposition de loi dont l’objet initial était d’améliorer l’encadrement de ce type de cumul de fonctions et de « veiller à la préservation des intérêts de l’État, qui ne sauraient être compromis par la direction simultanée et unique de plusieurs entreprises publiques et privées, et éventuellement concurrentes ».
Or je serais bien en peine de pouvoir débattre des vices et des vertus de ce texte, puisqu’il a été intégralement remanié par la commission des lois ! À nos yeux, il s’agit tout bonnement d’un véritable « détournement de fond » de l’initiative parlementaire au profit du Gouvernement. Celui-ci a saisi l’occasion offerte par une proposition de loi qui permettait un encadrement, certes timide, de ce nouveau type de pantouflage pour construire une procédure sur mesure permettant à M. Proglio de prendre la tête d’EDF sans perdre celle de Veolia.
Ainsi, le premier article de cette proposition de loi prévoyait initialement que ce type de nomination soit soumis à l’avis de la commission de déontologie de la fonction publique. Après examen par la commission des lois, cette disposition a été supprimée pour être remplacée par un simple avis de l’Agence des participations de l’État, l’APE.
Or, à quoi sert cette instance ? Créée en 2003 dans le cadre de la réforme de l’État par le ministre Francis Mer, l’APE est censée permettre à l’État actionnaire de jouer correctement son rôle auprès des entreprises dans lesquelles il détient des parts. C’est elle qui gère les opérations de cession de titres ou de privatisation pour l’État.
Depuis sa création, cette agence est régulièrement critiquée. En effet, au lieu d’être l’outil de politique industrielle à disposition du ministère de l’économie, elle n’est, dans la pratique, qu’une structure de gestion des participations de l’État.
La commission des lois a donc refusé que la commission de déontologie de la fonction publique soit désignée pour examiner ce type de nominations. Mais en quoi l’APE est-elle plus compétente pour juger des possibles conflits d’intérêts liés à ce type de cumul ? Son inutilité flagrante lors de l’affaire EADS laisse augurer le contraire.
Quant au second article de la proposition de loi, qui limitait le cumul des rémunérations, il a tout simplement été supprimé et remplacé par une disposition prévoyant un simple avis de l’APE sur « le montant global des rémunérations de toutes natures de l’intéressé au titre de ce cumul ». En d’autres termes, le pouvoir de contrainte de cette agence sera proche de zéro.
Le nouveau directeur d’EDF a sans doute une vision stratégique d’EDF-Veolia à faire valoir, mais la possibilité de cumuler les rémunérations est un facteur fort qui explique son obstination à s’accrocher aux deux fonctions.
En somme, cette proposition de loi a été vidée de son contenu et remplacée par un dispositif d’une extrême permissivité, taillé sur mesure pour un proche du Président de la République, dont les contraintes seront inopérantes.
Nous voterons donc contre, mais nous soutiendrons l'amendement qui a été déposé par nos collègues du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat est d’importance et d’actualité.
Le Sénat s’est d’ailleurs déjà saisi de ce sujet à l’occasion de la dernière séance de questions d’actualité au Gouvernement, puisque le président de la commission des finances a posé une question extrêmement claire à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Malheureusement, nous sommes laissés sur notre faim – et c’est peu dire ! –, car il n’a pas obtenu de réponse. (Mme Anne-Marie Escoffier opine.)
Plusieurs questions se posent à nous.
Peut-on diriger deux entreprises importantes simultanément ?
Le législateur a déjà répondu non à cette question, en modifiant voilà quelques années le code de commerce. À mon sens, cette rectification, pourtant attendue, n’est pas suffisante, puisqu’il est permis d’occuper dans le même temps les fonctions de président non exécutif d’une société et celles de président-directeur général ou de président du directoire d’une autre société.
À l’époque, nous ne sommes pas allés assez loin et il nous faudra y revenir. Car, là encore, la réponse est non : il ne doit pas être possible de diriger simultanément deux entreprises d’importance, a fortiori lorsque chacune d’entre elles compte plusieurs centaines de milliers de salariés.
Autre question : peut-on gérer une entreprise publique et une entreprise privée simultanément ? En France, le principe de base, c’est qu’une entreprise est privée. Par dérogation, elle est publique lorsqu’elle est chargée d’une mission spécifique au service de l’intérêt général. Elle est alors soumise à des règles spécifiques. Ainsi, son dirigeant a pour mission principale de défendre l’intérêt général, qui dépasse la somme des intérêts particuliers. En revanche, le dirigeant d’une entreprise privée, qu’elle soit cotée ou non au CAC 40, a en charge la défense des intérêts des actionnaires, qui lui ont confié leur argent, même s’il exerce aussi une mission d’utilité auprès des clients, des fournisseurs ou des salariés.
On le perçoit spontanément, instinctivement même : il peut y avoir conflit d’intérêts entre les deux fonctions. D’ailleurs, si la situation, me semble-t-il, ne s’est encore jamais présentée en France, c’est bien parce que l’on a toujours considéré intuitivement qu’il était impossible de diriger en même temps une entreprise publique et une entreprise privée.
Des aménagements sont envisagés : un président non exécutif serait nommé et aurait, à ses côtés, un vice-président, qui serait en quelque sorte un garant, du fait de sa notoriété et de son expérience.
J’en profite pour dire que quand on est, dans le même temps, président d’une autorité administrative indépendante et président du conseil d’administration d’une grande entreprise nationale comme Renault, cela fait beaucoup, même si, à mes yeux, il n’est nullement question de remettre en cause les compétences de M. Schweitzer, qui est pressenti pour être vice-président de Veolia. Tout cela ne me semble pas très sain.
Pour éviter que ce type de nominations ne survienne dans d’autres domaines, tels l’aéronautique ou l’armement – ce serait juridiquement possible aujourd'hui –, il nous faut intervenir et interdire que le dirigeant d’une entreprise publique puisse gérer simultanément une entreprise privée. Nous sommes très nombreux à ressentir cette nécessité. Jusqu’à présent, nous n’avions pas eu besoin de légiférer, car le cas ne s’était pas encore présenté. Aujourd'hui, cela s’impose.
La question du rapprochement éventuel d’EDF et de Veolia est tout autre. Nous sommes prêts à en débattre. Nous pouvons nous appuyer sur l’exemple récent et pertinent de GDF et de Suez. Les deux présidents, qui représentaient chacun les intérêts de sa société, se sont rapprochés, ont discuté avec leur conseil d’administration et avec leurs conseils et sont parvenus à un accord, en préservant à la fois l’intérêt général et les intérêts particuliers de la société Suez. Après de nombreuses discussions, ils sont parvenus à une parité qui a satisfait l’ensemble des intervenants. C’est sans doute ainsi qu’il faut procéder si nous voulons que d’autres rapprochements de ce type aient lieu.
Madame la secrétaire d'État, chacun a du mal à imaginer que, à partir du moment où il sera président de Veolia et d’EDF, M. Proglio n’ait pas la tentation d’opérer des synergies, peut-être nécessaires, entre les deux groupes et même d’aller au-delà. Pour ma part, je considère tout à fait judicieux d’envisager de nommer M. Proglio à la tête d’EDF : il a largement fait la preuve de sa compétence par le passé et je ne doute pas qu’il n’ouvre des perspectives à ce groupe.
Cette proposition de loi nous a réjouis parce qu’elle est l’occasion d’un débat d’actualité. Cependant, je le dis devant le rapporteur Jean-Pierre Vial, elle nous a mis dans l’embarras. Convenez, chers collègues du RDSE, que si l’idée était bonne, la rédaction n’était peut-être pas parfaite.
Mme Nicole Bricq. Nous sommes là pour l’améliorer !
M. François Zocchetto. Il n’était sans doute pas pertinent de prévoir l’avis de la commission de déontologie de la fonction publique, alors que celle-ci connaît seulement de la situation des agents publics qui passent dans le secteur privé. En commission des lois, grâce à l’important travail mené par le rapporteur, nous avons imaginé que l’Agence des participations de l’État pourrait intervenir. Malheureusement, on constate que, et le Gouvernement nous a éclairés sur ce point, cela n’entre pas dans les missions de cette agence.
Au final, le texte est deux fois bouleversé : le Gouvernement propose maintenant un amendement qui prévoit un rapport du ministre chargé de l’économie. C’est bien mais tout à fait insuffisant et réducteur par rapport au problème posé. En outre, cela dénature totalement la proposition de loi.
À titre personnel – je ne sais pas ce que feront mes collègues –, je ne peux m’associer à cette proposition de loi. Je le regrette vivement, car il s’agit d’un sujet important et d’actualité. De surcroît, et sur ce point je suis d’accord avec vous, madame la secrétaire d'État, il ne se limite pas au cas de M. Proglio, mais pourrait concerner d’autres dirigeants. (Mme Anne-Marie Escoffier et MM. Jacques Mézard et Jean-Jacques Pignard applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue l’initiative de nos collègues du groupe RDSE. Le débat que la proposition de loi qu’ils ont déposée ouvre aujourd'hui rejoint celui que nous avons commencé voilà une dizaine de jours sur l’encadrement des rémunérations dans le secteur financier et dans le secteur boursier et que nous poursuivrons lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Il s’agit donc d’une nouvelle étape dans cette discussion de première importance.
Nous regrettons que cette proposition de loi soit en quelque sorte ad hominen, puisqu’elle vise principalement M. Proglio, dont il ne cesse d’être question, et ne concernera jamais, à regarder l’ensemble des entreprises du secteur public, que trois ou quatre cas. Ce n’est pas opportun. Il s’agit donc d’un texte dont le champ est extrêmement restreint. Est-ce une bonne façon de légiférer ? Je vous laisse en débattre.
L’actualité a mis en lumière les effets néfastes d’une absence de réglementation. Il est vrai que le cas ne s’était encore jamais présenté. M. Henri Proglio devrait être nommé cette semaine à la tête du groupe public EDF tout en restant président du conseil d’administration du groupe privé Veolia. Certes, il existe des cas relativement nombreux dans lesquels une personne exerçant une fonction de direction dans une société est également titulaire d’un mandat social non exécutif dans une autre société. Le nombre de cumuls est limité à cinq par la loi et à trois par le code de bonne conduite du MEDEF et de l’Association des grandes entreprises françaises, mais cette limite est assez peu suivie dans la pratique.
Dans le cas de M. Proglio, le problème est plus prégnant, car il s’agit de cumuler des fonctions de direction. Nommer à la tête d’EDF un dirigeant issu du secteur privé n’a rien de choquant. M. Proglio a certainement toutes les compétences requises pour mener à bien la mission que l’État souhaite lui confier. Il est d’ailleurs déjà responsable du comité stratégique d’EDF. En revanche, il est choquant qu’il dirige une entreprise publique dont l’État détient 90 % du capital tout en continuant à exercer des responsabilités dans un groupe privé, qui, de surcroît, est présent dans le même domaine d’activité !
Le fait que les administrateurs de Veolia lui aient attribué le titre de « président non exécutif » n’enlève rien au caractère curieux – j’allais dire scandaleux (M. René Garrec s’exclame) – de cette nomination. Notre collègue François Fortassin est allé jusqu’à parler de méthodes « berlusconiennes ». C’est est un peu sévère, mais on comprend ce que cela signifie. C’est tout de même de l’acrobatie que de nommer un président non exécutif. Certes, il existe des cas où le président n’est pas le directeur général, et nous en avons plusieurs illustrations.
Mais pourquoi M. Proglio n’est-il pas resté purement et simplement administrateur de Veolia ? Dans un tel cas de figure, que l’on connaît, il aurait eu tout autant de poids dans les discussions au sein du conseil d’administration de Veolia.
M. Laurent Béteille. Mais non !
M. Richard Yung. En outre, cela nous aurait permis d’éviter le débat que nous avons aujourd’hui.
Pourquoi ne veut-il pas quitter la présidence de Veolia ? C’est, au fond, la question que l’on se pose et qui suscite toujours des pensées et des arrière-pensées.
Est-ce par sentimentalisme, parce qu’il est dans l’entreprise depuis trente ou trente-cinq ans ?
Est-ce le signe d’un déficit de talents dans notre pays ? Aurions-nous si peu de patrons de dimension internationale que nous serions obligés d’en utiliser un pour deux postes ?
Faut-il y voir, de la part de l'État, une manière de le récompenser ?
Ou s’agit-il, comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, d’un rapprochement stratégique entre EDF et Veolia ? C’est là un sujet que je me garderai de mettre de côté et qui mérite un débat, (M. Jacques Mézard acquiesce), comme celui qui a eu lieu autour de la fusion GDF-Suez.
Faut-il que la France se dote d’un deuxième grand opérateur international en matière d’énergie ? Je n’ai pas la réponse à cette question.
Ce débat est donc nécessaire, mais il ne faut pas le mener de façon masquée, larvatus prodeo ! Or, à l’heure actuelle, nous avons l’impression qu’il y a une volonté de ne pas nous dévoiler le projet stratégique, qui existe, bien sûr, derrière cette nomination. De ce fait, nous en sommes réduits à des conjectures.
La situation de cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise publique et de dirigeant d’une entreprise privée est porteuse de nombreux risques, que tout le monde a présent à l’esprit, en particulier le risque de conflit d’intérêts, qui est accentué par le fait qu’EDF et Veolia, outre leurs participations croisées – EDF détient 4 % du capital de Veolia – opèrent dans des domaines analogues et possèdent même une filiale commune, Dalkia, détenue à 66 % par Veolia et à 34 % par EDF.
Mme Lagarde nous dit : « Le conseil d’administration d’EDF s’est engagé, si M. Proglio était nommé président, à éviter toute situation de conflits d’intérêts ». Je suis sûr qu’elle est sincère lorsqu’elle tient ces propos. Mais nous sommes bien placés pour demander un peu plus de garanties dans ce domaine, l’histoire récente nous ayant largement éclairés et échaudés.
En outre, comment expliquer, si ce n’est par la crainte de voir surgir des conflits d’intérêts, que le conseil d’administration de Veolia ait créé un poste de président non exécutif et nommé Louis Schweitzer, ancien président de Renault, comme vice-président chargé du bon fonctionnement de la gouvernance ? Là encore, c’est une drôle d’acrobatie ! Jamais nous n’avons vu cela dans les conseils d’administration de grandes entreprises ! On va nommer un vice-président chargé, au fond, de vérifier que le président applique les règles éthiques de haut niveau. Cela me paraît un peu curieux !
Le président Arthuis estime – cela a été dit – qu’un tel cumul « serait un contournement des règles de bonne gouvernance ». Cela montre que le débat relatif au cumul des fonctions transcende les clivages politiques.
J’en veux pour preuve l’amendement du groupe socialiste, qui a été adopté par le Sénat lors de l’examen du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales – M. Teston ici présent peut en attester –, visant à empêcher le président du conseil d’administration de La Poste, transformée contre notre volonté en société anonyme, de détenir une autre responsabilité dans une entreprise, quelle qu’elle soit, publique ou privée. Cette disposition, votée par l’ensemble du Sénat, toutes tendances confondues, prouve qu’il a bien la perception d’un certain malaise dans ce domaine.
Pourquoi l’État, qui est l’actionnaire majoritaire d’EDF, ne vient-il pas devant le Parlement pour expliquer quel mandat il donne à M. Proglio et sur quel projet la nomination de celui-ci a été envisagée ?
Mme Lagarde a indiqué qu’il « pourra réaliser des opérations stratégiques très importantes ». Certes, nous pouvons envisager plusieurs hypothèses, mais nous aimerions bien savoir de quelles opérations il s’agit et en débattre. Or, pour l’instant, nous sommes dans l’obscurité.
Selon la presse, M. Proglio devrait opérer le rapprochement stratégique des deux groupes. On nous explique, en effet, que la tendance mondiale est au rapprochement de l’énergie et de l’environnement : GDF-Suez, E.ON en Allemagne, Iberdrola en Espagne, etc. Je le répète : nous, nous sommes prêts à en débattre, mais pas dans ces conditions, c’est-à-dire de façon un peu camouflée.
J’ajouterai une simple remarque : n’est-il pas paradoxal de vouloir nommer à la tête d’EDF celui qui préside depuis cinq ans le comité stratégique du groupe public, alors même que le Premier ministre a récemment critiqué certains choix stratégiques d’EDF, en matière notamment de gestion du parc nucléaire ou de tarification ? Permettez-moi ce clin d’œil.
Je subodore aussi que la nomination de M. Proglio répond également à des objectifs comptables : il s’agit de mettre à la charge des consommateurs d’électricité, donc de tous les Français, le désendettement de Veolia – il est prévu qu’EDF passe de 4 % à 15 % du capital de Veolia et en devienne ainsi l’actionnaire de référence – en échange d’une montée d’EDF au capital de Dalkia, leur filiale commune. In fine, on aboutira à une valorisation de Veolia et de Dalkia. Ce sera bon pour les actionnaires de ces deux entreprises, mais que va y gagner, au fond, EDF ? Je laisse la question ouverte.
Ensuite, s’agissant de la question du cumul des rémunérations, Mme Lagarde a récemment déclaré devant le Sénat que M. Proglio ne cumulera pas plusieurs rémunérations et percevra « une seule et unique rémunération », dont le montant, semble-t-il, n’a pas encore été fixé.
Cependant, M. Proglio a indiqué son souhait de garder, en tant que président d’EDF, un niveau de revenu comparable à celui dont il jouissait chez Veolia, ce qui est compréhensible, et légitime de son point de vue, mais signifie que sa rémunération sera de l’ordre du triple de celle de son prédécesseur, M. Gadonneix.
Le cas d’espèce auquel j’ai fait référence montre la nécessité de légiférer. Cependant, le dispositif que nous examinons ne nous semble pas satisfaisant.
Des critiques, sur lesquelles je ne reviendrai pas, ont été émises sur la consultation de la commission nationale de déontologie de la fonction publique. Une telle disposition n’était pas pertinente, dans la mesure où cette commission, essentiellement composée de hauts fonctionnaires, avait pour simple mission d’examiner si les activités privées que les agents de l’administration envisagent d’exercer ne sont pas incompatibles avec les fonctions qu’ils exerçaient antérieurement.
En revanche, la substitution de l’Agence des participations de l’État, qui a fait l’objet d’un premier amendement du rapporteur, puis d’un amendement du Gouvernement, n’emporte pas notre adhésion.
L’Agence des participations de l’État a pour vocation d’être le bras séculier, si j’ose dire, de l’État et du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, dans sa stratégie industrielle. Elle n’a ni souci ni capacité ni compétence dans le domaine éthique ou en matière de politique de rémunérations.
Au surplus, comment se convaincre que cette agence, composée pour l’essentiel de hauts fonctionnaires ou d’anciens hauts fonctionnaires des finances, au demeurant tous très estimables, prendra sur elle d’émettre des opinions différentes de celles de son ministre de tutelle, auquel elle destine ses rapports ? Personne ne peut croire cela ! Nous sommes dans un théâtre d’ombres !
Je le répète, l’Agence des participations de l’État n’a pas pour vocation de faire ce qu’il est envisagé de lui demander aujourd'hui et elle ne le fera pas.
Pour toutes ces raisons, nous avons préféré, pour notre part, nous prononcer clairement sur la non-compatibilité du cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise publique et d’une entreprise privée.
Nous proposons – c’est l’objet de notre amendement – d’interdire purement et simplement ce cumul et, bien sûr, dans la foulée, le cumul de rémunérations.
Notre amendement, je l’ai dit, s’inscrit dans le prolongement des propositions que le groupe socialiste a déjà présentées ces dernières semaines, afin de réformer la gouvernance des entreprises.
Je pense également à la proposition de loi initiée par notre excellente collègue Nicole Bricq, visant à réformer le statut des dirigeants de société et à encadrer leurs rémunérations.
Mme Nicole Bricq. Merci !
M. Richard Yung. Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons été amenés à déposer un amendement qui, nous le croyons, instaurerait une politique beaucoup plus claire et simple en matière de non-cumul. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon propos a simplement pour ambition de compléter l’excellente intervention de notre collègue François Fortassin.
Nous avons considéré, dans notre groupe, qu’il fallait sortir d’un silence un peu trop assourdissant, y compris syndical, relatif à la nomination du nouveau président d’EDF.
L’urgence de l’actualité nous commandait de réagir au plus vite, afin que notre assemblée puisse discuter et s’exprimer sur cette question plus que symbolique s’agissant de la conception que l’on peut avoir de la République.
Mais la question soulevée reste d’une brûlante pertinence, et va au-delà des contingences du moment. Elle est, en outre, particulièrement parlante quant à la conception de l’intérêt général de l’exécutif, qui n’est pas effrayé par un conflit d’intérêts aussi manifeste. Et je citerai les propos tenus par le Président de la République : « Comment peut-on justifier l’injustifiable ? ».
La nomination du prochain président d’EDF échappera à la nouvelle procédure de l’article 13 de la Constitution, tandis que nous attendrons le 21 décembre prochain pour enfin examiner le projet de loi organique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Jacques Mézard. Les compétences du futur président d’EDF ne sont aucunement en cause – il les a démontrées dans sa carrière – et les questions de rémunération relèvent d’un autre débat plus global.
La question posée aujourd’hui est d’une cardinale importance : il s’agit de la possibilité de cumuler la présidence d’EDF, établissement public à caractère industriel ou commercial chargé d’une mission de service public, et la présidence du conseil d’administration de Veolia, entreprise privée, cet EPIC et cette entreprise réalisant à eux deux plus de 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Il n’est pas sain de cumuler des fonctions de direction dans le secteur public et dans le secteur privé, en raison, d’abord, d’un risque évident de conflit d’intérêts, d’autant que ce précédent emblématique, certes, très rare et quasi unique, pourra se décliner et ce, sans aucun véritable garde-fou, sans oublier les exigences de compatibilité avec les règles du droit européen de la concurrence.
De deux choses l’une : soit il s’agit d’un choix d’intérêt personnel du futur président d’EDF et pour l’intérêt général cela ne saurait être une justification, soit il s’agit de mettre en place la stratégie de la constitution d’un nouveau groupe, d’une fusion, auquel cas il faut le dire clairement.
Il existe des signes avant-coureurs inquiétants, dont la cession en cours par la Caisse des dépôts de la moitié du capital de Transdev à Veolia, décision peu respectueuse du choix du service public de nombre de collectivités locales. De la même manière, est envisagé d’ici à quelques mois l’apport d’EDF à Veolia de sa participation minoritaire dans la filiale commune Dalkia.
Quel est l’intérêt du futur président d’EDF, pouvant bénéficier d’une confortable retraite de Veolia, de conserver la présidence du conseil d’administration de Veolia alors qu’il a déclaré, lors de son audition devant la commission de l’économie du Sénat, qu’il n’aura plus qu’à présider six ou sept conseils d’administration par an, ce qui signifie que 98 % de son temps sera consacré à EDF ? S’il y a une logique, qu’on nous la dise !
Concernant les risques de conflit d’intérêts, dire qu’il n’a pas eu connaissance de sujets susceptibles d’en créer n’est aucunement une garantie pour l’avenir.
Il y a là une véritable question de principe extrêmement importante pour tous ceux qui sont attachés à la réussite d’EDF, à la poursuite et à la diversification de son développement.
La synergie des deux groupes, que l’on nous vante, nécessite-t-elle une situation mettant en péril l’indépendance de l’établissement public EDF ?
Monsieur le rapporteur, nous reconnaissons volontiers que notre proposition de loi initiale était imparfaite et aurait mérité un travail plus approfondi. L’actualité et les règles de dépôt et de discussion nous imposaient, comme je l’ai rappelé, d’agir au plus vite. C’est donc bien volontiers que nous avons accueilli vos remarques et vos commentaires, conscients des lacunes originelles.
Mais celles-ci n’en enlèvent pas moins la pertinence du cœur de notre propos. Notre proposition était peut-être inadéquate en droit ; le texte qui nous est soumis est-il adéquat au fond ?
S’agissant de la question du cumul de fonctions, le droit prévoit déjà un certain nombre de prohibitions et de limites à destination des agents publics, des membres de cabinet ou des mandataires sociaux de sociétés commerciales, et il est issu de la loi Sapin de 1993 créant la commission de déontologie.
Cependant, rien dans le droit n’interdisait actuellement que le dirigeant d’une société commerciale puisse également occuper des fonctions similaires à la tête d’une entreprise publique, y compris le cas échéant en additionnant les rémunérations afférentes. Voilà sans doute la preuve que nul n’avait imaginé qu’un tel cas de figure se produirait.
Nous en convenons, le choix de soumettre l’appréciation du conflit d’intérêts à la commission de déontologie créait de jure une nouvelle compétence à la charge de celle-ci.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On ne peut pas !
M. Jacques Mézard. Notre rapporteur a choisi de réécrire notre proposition de loi. Certes, notre bébé n’était peut-être pas formidable mais maintenant il n’est plus exactement le même…
Au passage, le simple fait que notre commission n’ait pas rejeté en bloc ce texte dénote que les questions soulevées engendrent un véritable malaise sur toutes les travées. Si nous saluons l’approche constructive de la commission, nous considérons que le texte qu’elle propose ne règle pas le problème qui nous intéresse.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le vôtre non plus !
M. Jacques Mézard. C’est un signe, pas une solution. Il faut vraisemblablement aller plus loin pour clarifier ce grave problème…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comment ?
M. Jacques Mézard. … en interdisant purement et simplement ce cumul de fonctions.
M. Jacques Mézard. Pour notre part, nous souhaitons par défaut que l’Agence des participations de l’État se prononce non seulement sur la globalité des rémunérations qu’un dirigeant pourrait percevoir, mais aussi sur le montant maximal de celles-ci. Dans le contexte actuel de crise, dans lequel nos compatriotes qui connaissent de graves difficultés économiques sont de plus en plus nombreux, il est normal que l’État préserve au mieux ses intérêts patrimoniaux en fixant les plafonds de rémunération.
En conclusion, notre groupe se félicite d’avoir suscité le débat sur une question qui touche aux fondements mêmes du pacte républicain et qui confine à des valeurs aussi fondamentales. Il est donc naturel que les représentants de la nation s’emparent de cette question, d’autant que l’actualité récente a mis en lumière plusieurs cas de nominations qui ont frappé nos compatriotes.
Nous nous réjouissons donc que chacun, ici, dans cet hémicycle soit amené à prendre position sur ce sujet, dans toute la sérénité qu’appelle un débat démocratique. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)
M. Yvon Collin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée par plusieurs de nos collègues du groupe RDSE et dont nous sommes aujourd’hui saisis, est motivée par un cas particulier, ce qui, tout le monde s’accorde à le dire, n’est pas la meilleure façon de légiférer.
Elle vise, d’une part, à encadrer le cumul des fonctions de mandataire social d’une entreprise publique et d’une entreprise privée, par l’intervention obligatoire de la commission de déontologie de la fonction publique.
Elle prévoit, d’autre part, un encadrement de la rémunération au titre des différentes fonctions, lorsque le cumul est autorisé.
Comme notre excellent rapporteur M. Jean-Pierre Vial l’a rappelé, à juste titre, il n’est pas rare qu’une même personne exerce plusieurs mandats sociaux relevant d’entreprises appartenant au secteur privé et au secteur public. D’ailleurs, il n’est pas toujours aisé de déterminer si une entreprise appartient au secteur privé ou au secteur public. Cela prendrait beaucoup de temps dans certains cas marginaux, notamment pour les filiales.
C’est pourquoi les membres du groupe UMP estiment qu’il n’est pas souhaitable d’interdire, dans son principe, le cumul de fonctions de direction dans une entreprise du secteur public et une entreprise du secteur privé, tout comme le cumul de rémunérations.
Il n’est nullement justifié d’empêcher un dirigeant de droit privé d’une entreprise publique d’exercer une autre fonction dans une entreprise privée, dès lors bien sûr que cette seconde activité ne nuit pas à l’exercice de ses fonctions dans le cadre de la direction de l’entreprise publique.
Ce qui est possible dans le privé, on l’interdirait dans le public, au détriment de ce dernier ! Par exemple, le dirigeant de l’entreprise publique ne pourrait pas exercer un mandant social dans une filiale alors que, cette filiale étant commune par définition avec des entreprises privées, le dirigeant de l’entreprise privée en aurait la possibilité !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Laurent Béteille. Cette mesure risque de conduire à une situation illogique, qui nuirait au secteur public.
En revanche, la question de l’intérêt d’un encadrement de cette pratique se pose tout à fait légitimement.
L’État doit faire preuve de la plus grande vigilance et de la plus grande transparence afin de prévenir tout risque de conflits d’intérêts pouvant subvenir par l’existence même de telles situations.
Je crois pouvoir le dire, avec mon collègue auteur de la proposition de loi, les règles actuelles, issues tant du droit des sociétés que du droit de la fonction publique, ne permettent pas de prendre en compte de façon satisfaisante les situations de cumul.
Il n’est pas donc illégitime de prévoir, sur le plan législatif, le suivi d’une procédure particulière préalablement à ce type de cumul permettant un examen approfondi, au cas par cas, de sa pertinence.
Toutefois, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement est amené à exercer un contrôle direct sur la nomination à certains emplois.
Cette disposition permet, en conséquence, de soumettre au veto du Parlement la nomination des dirigeants de certaines entreprises publiques, indépendamment de leur statut juridique.
Elle pourra donc intervenir dans l’hypothèse où le Président de la République souhaiterait désigner à la tête d’une entreprise publique, mentionnée par le projet de loi organique que nous allons bientôt examiner, une personne qui, le cas échéant, continuerait à exercer certaines fonctions dans le secteur privé.
J’en viens maintenant au texte même de la proposition de loi. Les dispositifs tels qu’ils avaient été envisagés à l’origine par les auteurs de la présente proposition de loi ne nous semblent pas pertinents.
Je reviendrai brièvement sur le choix de la commission de déontologie. Si cette disposition était retenue, la situation de cumul serait examinée par une commission rattachée au ministre chargé de la fonction publique. Cette commission aurait ainsi à connaître de la situation de personnes qui n’ont aucune attache avec un organe de l’administration.
La composition actuelle de cette commission n’apparaît donc pas adéquate pour traiter de la situation de personnes venant du secteur privé et n’ayant eu, précédemment à leurs fonctions dans une entreprise publique, aucun lien avec l’administration.
Notre rapporteur propose de faire intervenir l’Agence des participations de l’État, service dépendant du ministère de l’économie. Cela nous semble nettement plus adapté pour vérifier la compatibilité d’une situation de cumul avec les intérêts patrimoniaux de l’État.
En outre, nos collègues du groupe RDSE avaient souhaité poser, à l’article 2, une interdiction de cumul de rémunérations liées à des fonctions de mandataire social simultanées dans une entreprise du secteur public et dans une entreprise du secteur privé.
Là encore, cette interdiction brutale ne nous semble pas justifiée. En effet, dès lors que le cumul de fonctions dans une entreprise du secteur privé et une entreprise du secteur public est jugé compatible tant par l’État actionnaire que par les actionnaires des sociétés relevant du secteur privé, il n’y a pas lieu d’interdire toute rémunération au titre des fonctions privées.
En outre, le champ d’application de l’interdiction visée par les auteurs de la proposition de loi, qui concerne tous les mandataires sociaux et même l’ensemble des actionnaires, nous semble trop étendu.
Par conséquent, nous rejoignons, là aussi, la position de notre rapporteur selon laquelle il n’est pas souhaitable de prévoir une telle interdiction.
Tout comme lui, nous estimons plus cohérent que ce soit l’Agence des participations de l’État qui se prononce également sur le montant global des rémunérations de toutes natures de l’intéressé au titre de ce cumul.
Le Gouvernement a déposé un amendement qui tend à préciser et à recadrer le dispositif proposé par la commission des lois.
Il s’agit, en effet, de replacer l’intervention de l’Agence des participations de l’État dans le cadre plus général de l’organisation administrative du ministère de l’économie.
À partir du moment où cette agence est d’ores et déjà amenée à donner un avis au ministère de l’économie s’agissant des décisions relatives à la nomination ou à la rémunération des dirigeants des entreprises dont elle assure le suivi, le Gouvernement considère qu’il n’est pas nécessaire de le prévoir dans la loi, puisque cette procédure existe déjà, dans le cadre du fonctionnement interne du ministère.
Nous partageons cette analyse.
L’amendement du Gouvernement prévoit un dispositif cohérent destiné à éclairer pleinement les assemblées sur les questions relatives aux conflits d’intérêts et aux rémunérations.
Un rapport spécifique du ministère chargé de l’économie sera, en effet, adressé aux assemblées parlementaires en vue de l’examen des nominations soumises aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.
Il permettra ainsi aux membres des commissions compétentes de disposer d’une information précise sur les questions relatives aux conflits d’intérêts et aux rémunérations.
En outre, non seulement l’Agence des participations de l’État mais également tout service compétent dépendant du ministère de l’économie pourront ainsi contribuer à l’élaboration de ce rapport.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP adoptera le dispositif équilibré qui nous est proposé car il permettra un encadrement raisonnable et transparent des situations de cumul de fonctions de direction. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Après les excellentes interventions des différents orateurs et les propos que j’ai présentés tout à l’heure au nom de Mme Christine Lagarde, je souhaite simplement revenir sur quelques points de convergence.
Premièrement, bien qu’une législation ne concerne pas un cas particulier, certains d’entre vous se sont de nouveau interrogés sur la nomination du futur président d’EDF, M. Proglio, en reconnaissant cependant de façon unanime, je tiens à le souligner, sa grande compétence.
Mme Nicole Bricq. Oui ! Là n’est pas le problème !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Vous l’avez tous dit, il est extrêmement positif pour une entreprise publique, en l’occurrence EDF, qu’un très important dirigeant d’une entreprise privée puisse mettre ses talents, son expérience et ses valeurs morales à son service. Comme tout chef d'entreprise, M. Proglio saura défendre les intérêts d’EDF dans ses différentes parties prenantes, et notamment les intérêts de l’actionnaire qu’est l’État.
Puisqu’il a été beaucoup question du cumul de fonctions, je rappellerai à mon tour que, la gouvernance de Veolia ayant été modifiée, les fonctions exécutives et de direction générale seront exercées non plus par M. Proglio, mais par son successeur, M. Frérot.
Comme il l’a indiqué lui-même lors de son audition devant la commission de l’économie du Sénat, présidée par M. Emorine, M. Proglio n’aura plus dès lors qu’à présider « six ou sept conseils d’administration par an », et « 98 % de son temps sera consacré à EDF ». Le Gouvernement se réjouit de cette décision, somme toute bien normale compte tenu de l’importance qu’EDF revêt à tous égards. Par sa taille, par son engagement dans le domaine énergétique, notamment dans le nucléaire, cette entreprise joue un rôle stratégique pour notre pays.
Deuxièmement, j’entends revenir sur la méthode employée, qui a fait l’objet de nombreuses remarques.
À l’inverse de ce qu’ont prétendu certains orateurs, je peux affirmer en toute franchise que l'ensemble du processus de nomination est marqué par la plus totale transparence.
M. Daniel Raoul. Oh !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. C’est en anticipant sur la future loi organique prévue pour mettre en application sur ce sujet la réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République et par le Gouvernement que M. Proglio a été auditionné par les commissions compétentes du Sénat et de l’Assemblée nationale.
Dès le début, il nous a semblé tout à fait naturel de travailler, pour reprendre les termes employés à l’instant par M. Béteille, sur un « encadrement raisonnable et transparent » des situations de cumul concernées.
Encore une fois, il existe de nombreuses convergences entre les approches que nous pouvons avoir les uns et les autres. J’ai rappelé tout à l’heure la manière dont le Gouvernement, notamment depuis quelques mois, a souhaité encadrer, sans pour autant les rendre inadéquates et inefficaces, les rémunérations des dirigeants des entreprises publiques entendues au sens large. Je n’y reviendrai pas.
Troisièmement, je ne peux pas ne pas dire un mot sur toutes ces hypothèses, trouvées le plus souvent dans la presse, concernant telle ou telle évolution d’EDF, de Veolia, de leur filiale commune Dalkia, que sais-je encore. Ce qui fait foi aujourd'hui en la matière, ce sont les déclarations de M. Proglio, faites en toute transparence devant votre commission compétente et devant celle de l’Assemblée nationale. Je vous invite donc à vous y référer comme moi.
Peut-être y aura-t-il le moment venu à prendre en considération une proposition formulée au Gouvernement par le conseil d’administration d’EDF. Mais, actuellement, je le confirme une nouvelle fois, le Gouvernement n’a été saisi d’aucun projet touchant à l'évolution d’EDF ou à d’éventuels rapprochements.
Je ne le répéterai jamais assez, plutôt que de relayer, pas toujours avec la meilleure foi, d’ailleurs, telle ou telle supputation que l’on peut trouver dans la presse, mieux vaut se référer aux déclarations claires et nettes du président d’EDF ainsi que des différents membres du Gouvernement qui ont eu à se prononcer sur le sujet, au premier rang desquels Mme Lagarde.
Enfin, quatrièmement, pour en revenir au texte proposé par la commission des lois et eu égard aux propos tenus par certains d’entre vous, j’estime que l’APE mérite sans doute un peu plus de considération.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Dans son rapport publié en 2009, l’Agence des participations de l’État fournit toutes sortes d’informations, beaucoup plus d’ailleurs que l’année dernière, et ce en application des dispositions voulues par le Gouvernement. Elle détaille en particulier, dans une annexe que je vous invite à consulter, les données que j’ai rappelées tout à l’heure en matière d’encadrement, de non-cumul et de rémunération pour chaque personne concernée et nom par nom.
Pour autant, comme M. le rapporteur et M. Béteille l’ont indiqué, l’avis de l’APE ne constitue pas le seul éclairage dont le ministre des finances s’inspire et dont il souhaite pouvoir informer la représentation nationale. C’est donc avec le souci de prendre en compte l’avis de l’APE, mais pas seulement, que nous avons rédigé l’amendement auquel il a été fait allusion à plusieurs reprises.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais vous apporter sur ce sujet important. Je vous remercie d’avoir bien voulu le traiter de manière raisonnable et avec une volonté de transparence. Je vous remercie également de ne pas céder au mélange des genres et en particulier de ne pas faire de supputations sur des évolutions d’entreprise qui sont complètement hors sujet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, force est de constater que nous nous trouvons dans une situation quelque peu paradoxale.
Nos collègues du RDSE l’ont eux-mêmes reconnu, en déposant une telle proposition de loi, leur objectif premier était d’ouvrir le débat sur cette question. Ils auraient donc pu choisir une autre voie pour ce faire, par exemple une question orale avec débat.
S’ils ont souhaité effectivement introduire de la transparence dans les règles de nomination et de cumul, ils n’ont jamais eu l’intention d’interdire tout cumul. Pour bien connaître l’historique des commissions de déontologie « anti-pantouflage » successives, je sais combien d’efforts le Parlement a dû consentir pour aboutir à des règles à peu près claires en la matière. Il fut un temps où certaines nominations n’étaient même pas soumises à l’avis de la commission de déontologie, sous prétexte qu’elles ne posaient aucun problème !
À des époques anciennes, j’ai eu à connaître de cas franchement scandaleux, à l’image de ce directeur d’un important service de l’État dans le domaine de la défense qui s’est retrouvé, du jour au lendemain, patron d’une grande entreprise privée du secteur. Cette manière de procéder était pour le moins gênante, d’autant qu’il y a tout de même un délai minimal à respecter.
Dans leur texte initial, nos collègues ont proposé que « le cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise du secteur public et de dirigeant d’une entreprise du secteur privé [soit] soumis à l’avis préalable de la commission de déontologie ». Or, en l’état actuel, celle-ci n’est pas compétente pour se prononcer sur la nomination dans le secteur public d’une personne venant du privé. Elle n’a en effet à connaître que de la situation d’un fonctionnaire quittant l'administration pour occuper des fonctions d’encadrement et des responsabilités dans une entreprise privée, pas forcément, d’ailleurs, à un poste de direction.
La commission, notamment son rapporteur, a donc ouvert le dialogue avec les auteurs de la proposition de loi, en s’efforçant de trouver un système qui permette plus de transparence dans le cas où – il n’y en a eu qu’un pour le moment – un dirigeant d’une société privée, nommé dans une entreprise publique, conserverait des responsabilités dans la première.
À titre personnel, je pense que le patron de Veolia, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas choisi la solution la plus confortable en acceptant de devenir aussi celui d’EDF. Il aurait très bien pu décider de rester chez Veolia, qui est une réussite industrielle tout à fait extraordinaire au niveau international, y compris dans le domaine des relations sociales. Cela a encore été rappelé cet après-midi, de l’avis unanime, Henri Proglio est reconnu comme un chef d’entreprise tout à fait éminent.
Ses qualités seront, me semble-t-il, d’un grand apport dans la perspective de l’évolution nécessaire d’EDF. Qu’il veuille garder un œil sur la maison qu’il a construite, après tout, pourquoi pas ? Du reste, il ne demandera pas de rémunération supplémentaire et ne cumulera pas les deux fonctions puisqu’il ne sera plus le P-DG de Veolia, cette entreprise ayant décidé de scinder le poste en deux, en distinguant la présidence du conseil d’administration de la direction générale de l'entreprise. Une telle décision est d’ailleurs conforme à l’esprit de la loi sur les sociétés, qui avait notamment pour objectif de mettre fin aux usages constatés en la matière dans certaines sociétés.
Parce qu’elle partageait la finalité des auteurs de la proposition de loi, la commission des lois s’est appuyée sur ce véhicule législatif pour proposer un texte satisfaisant. Si aucun accord n’était apparu, elle se serait contentée de la rejeter purement et simplement.
Madame la secrétaire d'État, vous avez souligné à juste titre le rôle important que sera appelée à jouer l’APE, qui, aujourd'hui, n’intervient pas dans ce domaine. Son implication est de nature à garantir la transparence du dispositif. Telle est la volonté affichée par la commission des lois. Contrairement à ce que pensent certains de mes collègues, le texte qu’elle a adopté me paraît répondre aux vœux des auteurs de la proposition de loi et à l’esprit qui a présidé à leur démarche. Il ne s’agissait aucunement de prévoir l’interdiction de tout cumul. Ceux qui, aujourd'hui, prônent cette solution devront déposer un autre texte.
La commission a également engagé le dialogue avec le Gouvernement, qui est tout de même concerné au premier chef par les nominations des dirigeants d’entreprises publiques, en vertu des dispositions de l'article 13 de la Constitution. Je ne vois d’ailleurs pas quelles autres sociétés pourraient y être soumises. Dans l’attente de la loi organique qui apportera les précisions nécessaires, ces nouvelles dispositions constituent un progrès indéniable en termes de transparence. Le Gouvernement aura obligation de fournir au Parlement tous les éléments lui permettant de se prononcer sur de telles nominations.
Saisie d’une proposition de loi, la commission peut choisir entre deux attitudes à l’issue de la discussion qu’elle engage en son sein : si ses objectifs concordent avec ceux des auteurs de la proposition de loi, elle peut proposer son propre texte ; sinon, elle se contente d’opposer un refus. Puisque, en l’occurrence, elle se situait dans le premier cas, elle s’est donc efforcée de trouver le meilleur système possible, en travaillant dans un esprit de dialogue et de conviction avec le Gouvernement. Le texte de la commission, amendé par le Gouvernement, me paraît à cet égard pouvoir satisfaire tout le monde.
Voilà, mes chers collègues, les éléments d’information sur les étapes de la procédure que je souhaitais soumettre à votre réflexion.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Après l’article 9 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, il est inséré un article 9-1 ainsi rédigé :
« Art. 9-1. – La nomination à des fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membre du directoire ou de président du conseil de surveillance dans une entreprise mentionnée à l’article 1er de la présente loi concurremment à des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé est soumise à l’avis préalable de l’agence des participations de l’État, service placé auprès du ministre chargé de l’économie, dont l'organisation et les modalités de fonctionnement sont définies par voie réglementaire.
« Ce service émet un avis auprès de l’autorité administrative investie du pouvoir de nomination sur la compatibilité de ce cumul avec les intérêts patrimoniaux de l’État. Dans ce cadre, il se prononce également sur le montant global des rémunérations de toutes natures de l’intéressé au titre de ce cumul.
« Lorsque la nomination mentionnée au premier alinéa est soumise aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, cet avis est transmis aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, avant que celles-ci rendent leur avis. »
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le président, la commission demande l'examen en priorité, à l’article 1er, de l’amendement n° 4 du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. La priorité est de droit.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 9-1. - La nomination à des fonctions de président du conseil d'administration, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire dans une entreprise du secteur public mentionnée à l'annexe de la loi organique prévue par le cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, concurremment à des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé, fait l'objet d'un rapport spécifique du ministre chargé de l'économie, relatif à la compatibilité de ce cumul avec les intérêts patrimoniaux de l'État et au montant global des rémunérations de toutes natures susceptibles d'être perçues par l'intéressé au titre de ce cumul.
II. - Alinéa 4
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
Ce rapport, élaboré avec le concours des services compétents du ministère de l'Économie, au nombre desquels l'Agence des participations de l'État, est transmis...
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Je remercie le président de la commission des lois d’avoir demandé la priorité sur cet amendement, ce qui va permettre de clarifier le débat.
À vrai dire, notre amendement a déjà fait l’objet de nombreuses allusions, et même plus, puisque, M. Hyest vient de le rappeler, il résulte d’un travail commun, entre les auteurs de la proposition de loi – dans toute la mesure possible –, la commission des lois et M. le rapporteur, que je remercie encore, et le Gouvernement.
Il s’agit de préciser, d'une part, le champ d’action qui fera l’objet du rapport que le ministre chargé de l'économie sera peut-être amené à transmettre au Parlement et, d'autre part, les bases sur lesquelles ce rapport sera établi.
Comme on l’a dit, le rapport sera établi, notamment, sur la base d’informations fournies par l’Agence des participations de l’État. Cette agence, je le rappelle, est un service dépendant du ministère de l’économie, donc placé, actuellement, sous l’autorité de Mme Christine Lagarde. Le Gouvernement a souhaité que ladite agence, tout en étant citée dans les textes, ne soit pas la seule à éclairer le ministre dans le rapport qui sera remis au Parlement.
L’amendement du Gouvernement a pour objet de consacrer la légitimité du rapport du ministre, dans un souci de transparence, et de prévoir les modalités de son élaboration de la façon la plus efficace possible.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Yung, Anziani et Peyronnet, Mme Klès, MM. Navarro et Bodin, Mmes Chevé, Laurent-Perrigot, Cerisier-ben Guiga et Bourzai, M. Todeschini, Mme M. André, MM. Raoul et Marc, Mme Blondin, MM. Bérit-Débat, Berthou et Guillaume, Mmes Khiari et Printz, M. Besson, Mme Campion, MM. Bourquin et Sutour, Mmes Alquier, Bricq et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 9 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'exercice des fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membre du directoire ou de président du conseil de surveillance dans une entreprise mentionnée à l'article 1er de la présente loi est incompatible avec l'exercice de fonctions similaires, y compris non exécutives, dans une entreprise du secteur privé. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Il s’agit d’une proposition alternative à celle qui vient d’être exposée par le Gouvernement. Notre amendement tend en effet à poser le principe de l’incompatibilité entre les fonctions de direction d’une entreprise publique et celles d’une entreprise du secteur privé.
Il vise à prévenir les conflits d’intérêts consubstantiels à des cumuls de ce genre, tout en réglant la question du cumul des rémunérations liée à l’exercice concomitant de ces fonctions.
Pour nous, il est évident que les critères de gestion d’une entreprise publique et ceux d’une entreprise privée diffèrent, notamment parce que la seconde recherche une rentabilité financière pour répondre à l’attente de ses actionnaires. Cela ouvre un champ de conflits considérables.
Notre amendement concerne les fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membres du directoire ou de président du conseil de surveillance. Je note d’ailleurs que les règles actuellement applicables en matière de cumul et de bonne gouvernance n’ont pas évité le développement de concentrations de pouvoirs au sein des conseils d’administration, frappés par une endogamie assez générale. Du reste, si le cumul de mandats d’administrateur est limité à cinq, voire à trois dans le cadre du fameux code de bonne conduite, celui-ci est assez peu suivi, et l’on peut parler d’incantation. C’est dire que nous avons des raisons de nous méfier !
Il est à craindre que le fait de confier à un dirigeant des fonctions non exécutives donne seulement l’apparence d’une bonne gouvernance, sans empêcher ce dirigeant de prendre part au processus de décision.
La solution que nous vous proposons est, certes, radicale, mais elle a le mérite d’être plus simple et plus efficace que celle qui est suggérée par la commission.
On voit mal, en effet, surtout dans la rédaction proposée par le Gouvernement, où sont les progrès. Après l’Agence des participations de l’État, c’est maintenant le ministre lui-même qui va faire un rapport sur la nomination à laquelle il va lui-même procéder ! Comment attendre que la lumière jaillisse d’un tel système, hermétiquement clos ? Quant à la publication de la nomination dans le rapport annuel de l’Agence, qui interviendra dix-huit mois ou deux ans après, vous conviendrez que ce n’est pas sérieux au regard du débat qui nous occupe aujourd'hui !
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. Collin, Charasse, Alfonsi, Barbier et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Marsin, Mézard, Milhau, Plancade, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Après les mots :
le montant global
insérer le mot :
maximum
La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Il nous paraît indispensable d’inscrire dans la loi qu’il appartient à l’Agence des participations de l’État de fixer le montant global maximum des rémunérations pouvant être perçues au titre du cumul des fonctions.
Cette notion de rémunération maximale est tout à fait conforme aux exigences de l’esprit républicain que nous avons évoqué tout à l’heure. Nous ne sommes pas contre le fait que les dirigeants de grandes entreprises publiques puissent percevoir des rémunérations importantes, mais encore faut-il que celles-ci soient encadrées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. La commission est, bien évidemment, favorable à l’amendement n° 4 du Gouvernement, sous le bénéfice des observations qui ont été apportées.
Nous avons pris note de l’engagement de Mme le secrétaire d'État que les entreprises situées hors du champ de l’article 13 de la Constitution feront l’objet d’un avis annexé au rapport annuel de l’Agence des participations de l’État. Même s’il s’agit, en quelque sorte, d’un cadre théorique, il me paraît important, dans la logique et la rigueur de ce dispositif, de le prévoir.
En revanche, la commission ne peut qu’être défavorable à l’amendement n° 3 rectifié bis. Il s’agit non pas d’une alternative, mais d’une proposition qui va à l’encontre du dispositif prévu.
Pour ce qui est de l’amendement n° 2, j’aurais tendance à en suggérer le retrait à ses auteurs ; sinon, l’avis serait défavorable. Nous l’avons dit en commission, outre que cet amendement ne serait pas compatible avec l’amendement n° 4 du Gouvernement s’il était adopté, il est contraire au principe même du rapport dans son architecture.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 3 rectifié bis et 2 ?
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Même avis. M. le rapporteur s’est tellement bien exprimé qu’il me dispense d’argumenter.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote sur l’amendement n °4.
M. Daniel Raoul. Il ne s’agit pas précisément d’une explication de vote, monsieur le président. Je voudrais comprendre pourquoi ces trois amendements font l’objet d’une discussion commune alors que tous ne s’excluent pas l’un l’autre.
Que l’amendement n° 4 du Gouvernement soit examiné en priorité, soit, mais son adoption ne devrait pas faire tomber les deux autres, en tout cas, pas après les explications que je viens d’entendre de la part des auteurs des amendements. Je conteste la lecture qui est faite de ces trois amendements et souhaite qu’il soit procédé à une discussion séparée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela a été fait !
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis vient bien en discussion commune avec l’amendement n° 4. L’amendement n° 2 pourrait éventuellement être transformé en sous-amendement à l’amendement n° 4. À défaut, en cas d’adoption de l’amendement n° 4, les deux autres amendements tomberaient.
M. Nicolas About. Absolument !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l'amendement n° 4.
Mme Nicole Bricq. Le groupe socialiste apporte son entier soutien à l’amendement n° 3 rectifié bis de M. Yung.
Nous avons déposé au Sénat, voilà à peu près un an, une proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations. Nous sommes attachés, notamment pour les entreprises aidées par l’État – particulièrement pour celles qui relèvent du statut d’entreprise publique – au respect des bonnes règles de gouvernance.
Mme la secrétaire d'État a raison : nul ici n’a mis en cause les compétences de M. Proglio. Tout son parcours professionnel a prouvé ses qualités d’entrepreneur. Mais il se trouve qu’il est, en plus, membre de cinq conseils d’administration.
Monsieur Hyest, pour faire suite à la proposition de loi précitée, vous avez organisé, le 11 mars dernier, une table ronde au cours de laquelle nous avons auditionné de nombreuses personnes : des membres du MEDEF, des administrateurs, des actionnaires… Tous se sont accordés pour dire que la bonne règle était de ne pas dépasser trois mandats d’administrateur.
Au travers de notre amendement, nous voulons rappeler ces principes. S’agissant de l’encadrement des rémunérations, particulièrement des bonus, Mme la ministre de l’économie s’est engagée à ce que, d’ici à la fin de l’année, nous dressions un bilan exhaustif de l’encadrement des rémunérations et des bonus par toutes les règles de bonne conduite qui ont été édictées à la place d’un dispositif législatif.
Aujourd'hui, nous avons l’occasion de voter un dispositif législatif et nous entendons le faire, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, que nous remercions, une fois encore, d’avoir ouvert le débat.
Le Gouvernement doit se rendre compte que ces questions de cumul, de rémunérations comme de fonctions, sont désormais d’ordre public. Elles sont l’un des éléments à l’origine de la crise financière dont nous sortons à peine.
Aujourd'hui, nous avons l’occasion d’émettre un vote et nous le ferons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Madame la secrétaire d'État, quand nous vous avons interrogée sur la finalité de ce cumul de fonctions, vous nous avez répété à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas procéder à un mélange des genres et qu’il n’y avait pas de projet industriel derrière cette nomination. Mais c’est bien ce qui m’inquiète le plus ! S’il y avait un vrai projet industriel, nous serions prêts à en discuter. Mais, s’il n’y en a pas, cela veut dire que nous sommes en face d’une opération purement personnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les explications données sur ce dossier par le président de la commission des lois et par le rapporteur, en commission comme en séance publique. Bien entendu, je voterai l’amendement du Gouvernement. Je vais donc faire confiance au Gouvernement.
Mme Nicole Bricq. Par les temps qui courent, ce n’est pas prudent !
M. Christian Cointat. En réalité, et la nuance n’est pas négligeable, je veux faire confiance au Gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est aventureux !
M. Christian Cointat. Car je ne vous cache pas que je ressens un certain malaise. Les personnes ne sont nullement en cause. Mais je suis trop attaché au service public, à la fonction publique, à ce qui relève de l’État, pour ne pas m’alarmer lorsque l’on mélange public et privé. J’ai peut-être tort (Non ! sur les travées du groupe socialiste.), mais c’est mon sentiment intime. Je me suis engagé en politique lorsque le général de Gaulle est revenu aux affaires. Le sens public, le sens du public sont des concepts qui comptent pour moi.
M. Jean-Louis Carrère. Vous devez être déçu !
M. Christian Cointat. Alors, oui, je veux faire confiance au Gouvernement. J’espère que je n’aurai pas à le regretter.
Mme Nicole Bricq. Il vaut mieux avoir des remords que des regrets !
M. Christian Cointat. Je n’aimerais pas que, demain, un même homme puisse cumuler les fonctions de président de la SNCF et de président d’une entreprise de construction de véhicules, par exemple. Certes, l’amendement du Gouvernement prévoit qu’un rapport du ministre chargé de l’économie, relatif à la compatibilité du cumul, sera remis au Parlement. Mais si l’on autorise le cumul des fonctions entre le public et le privé, cela risque de se produire.
Je vais donc faire confiance au Gouvernement et voter l’amendement no 4. Mais, madame la secrétaire d’État, si vous me permettez de paraphraser Montesquieu, je vais voter d’une main tremblante. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille. J’admets, comme François Zocchetto, que l’on veuille interdire tout cumul, au sein du secteur privé, au sein du secteur public, et entre les secteurs privé et public.
Toutefois, l’adoption de l’amendement de nos collègues socialistes reviendrait à interdire au dirigeant d’une entreprise publique de cumuler une fonction de direction et un mandat social,…
M. Richard Yung. Non !
M. Laurent Béteille. …alors qu’un tel cumul est autorisé dans le secteur privé.
Des entreprises publiques et privées peuvent être en concurrence et avoir intérêt à détenir des participations ou un mandat social dans une entreprise ayant une activité complémentaire. On l’interdit dans l’entreprise publique et on l’autorise dans l’entreprise privée. Ce n’est pas convenable, parce que, ce faisant, on pénalise le secteur public.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. Nous ne voterons pas l’amendement du Gouvernement pour deux raisons.
En premier lieu, nous considérons que cet amendement s’écarte beaucoup trop de l’esprit du texte initial.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. François Fortassin. Malgré l’habileté sémantique du président de la commission des lois, nous sommes loin d’être convaincus.
En second lieu, permettez-moi de vous dire que vous ouvrez la boîte de Pandore.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. François Fortassin. Croire qu’il n’y aura que le cas particulier que nous avons évoqué, c’est faire preuve d’une naïveté extraordinaire. Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous êtes naïf, monsieur le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas une injure !
M. François Fortassin. Cet amendement nous entraîne dans un système dangereux.
Que va penser l’homme de la rue ? On ne pourrait pas, dans le même temps, être receveur des postes et tenir un bureau de tabac, mais on pourrait être président de La Poste et directeur général d’une entreprise de vente d’automobiles, par exemple ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Je voterai contre l’amendement du Gouvernement.
Lorsque l’on observe des règles non écrites – et c’est l’usage dans d’autres pays que le nôtre –, on va au plus simple : il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas !
En France, les règles font toujours l’objet d’une délibération. Quand je lis, dans l’amendement du Gouvernement, que la nomination à certaines fonctions fera l’objet « d’un rapport spécifique du ministre chargé de l’économie, relatif à la compatibilité de ce cumul avec les intérêts patrimoniaux de l’État et au montant global des rémunérations », je considère qu’il faut s’arrêter tout de suite ! Il importe de rester extrêmement simple !
Un fait divers, si j’ose dire, à savoir la nomination de M. Proglio à la tête d’EDF, nous conduit à légiférer. Je regrette que le Sénat soit amené à travailler de cette façon. Puisqu’il doit se prononcer, qu’il le fasse, mais j’estime, pour ma part, qu’il doit voter des deux mains contre l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. René Garrec, pour explication de vote.
M. René Garrec. C’est l’intervention de M. Alfonsi qui me conduit à prendre la parole.
Il est vrai que les règles non écrites soulèvent bien des difficultés. Tous ceux d’entre nous qui ont fait du droit public ont un souvenir commun : pas de loi ad hominem ! Ce texte n’est pas une « loi Proglio » ; elle a une portée beaucoup plus large, et personne ne s’y est trompé.
La question du cumul mérite d’être posée. Elle l’a déjà été en 1988. À l’époque, les rémunérations des patrons d’entreprise étaient tarifées. Un patron de la sidérurgie gagnait 120 000 francs par mois, le président du conseil d’administration de l’Association technique de l’importation charbonnière, fonctions que j’exerçais à l’époque, percevait 85 000 francs. Ce système a totalement disparu et c’est une bonne chose.
Aujourd’hui, le problème est différent : il s’agit de savoir si le patron d’une entreprise privée peut exercer des fonctions dans le service public, et inversement.
Autoriser ce cumul serait une très bonne chose pour notre pays. On ne peut certes pas apporter une réponse au détour d’un texte qui n’est pas mûrement réfléchi, en cédant à un coup de cœur. Pour certains, autoriser un tel cumul semble difficile à comprendre, exagéré. D’une certaine façon, c’est vrai ! Néanmoins, lorsqu’il s’agit de légiférer, on ne peut pas raisonner de façon affective. L’amendement du Gouvernement me convient dans la mesure où il apporte une solution, au moins temporaire, à un problème réel.
Il est préférable de se référer à la règle écrite, même s’il ne faut pas lui demander plus que ce qu’elle peut donner.
Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai l’amendement du Gouvernement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 81 :
Nombre de votants | 325 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l’adoption | 156 |
Contre | 169 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Un décret en Conseil d'État prévoit les conditions dans lesquelles le conseil d'administration ou le conseil de surveillance d'une société à l'égard de laquelle l'État s'est financièrement engagé ne peut pas décider l'attribution d'actions aux dirigeants et mandataires sociaux dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186-1 et L. 225-197-1 à L. 225-197-6 du code de commerce.
Il prévoit également les conditions dans lesquelles des éléments de rémunération variable, indemnités et avantages indexés sur la performance ne peuvent pas être octroyés aux dirigeants et mandataires sociaux de ces mêmes sociétés.
Les sociétés mentionnées aux deux alinéas ci-dessus sont celles :
- auxquelles l'État a directement consenti un prêt, accordé sa garantie à l'occasion d'un prêt ou dans lesquelles il a investi ;
- auxquelles la société de financement de l'économie française a consenti un prêt ;
- dont les émissions de titres financiers ont été souscrites par la société de prise de participation de l'État ;
- ou dans lesquelles le fonds stratégique d'investissement a, directement ou indirectement, investi.
II. - Les conventions visées au deuxième alinéa du A du II de l'article 6 de la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l'économie déjà conclues à la date de publication de la présente loi sont révisées en conséquence du I ci-dessus.
Cet amendement n’est pas soutenu.
Article 2
(Supprimé)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Lutte contre les violences de groupes
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public (proposition n° 506, 2008,2009, texte de la commission n° 86, rapport n° 85)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, garantir la sécurité et la tranquillité de nos concitoyens en adaptant nos moyens face à une délinquance sans cesse évolutive relève de notre responsabilité partagée. La proposition de loi soumise à votre examen vise donc à renforcer la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public.
Ce texte, adopté par l'Assemblée nationale, a fait l'objet d'un examen approfondi par votre commission des lois. Je tiens à saluer le travail tout à fait remarquable effectué par celle-ci, et particulièrement par son rapporteur.
Comme chacun peut le constater, les hommes et les femmes chargés de la protection des Français doivent faire face à un accroissement de la violence de la part des délinquants. Élus locaux, nous sommes tous amenés à le vérifier quotidiennement sur le terrain.
Deux faits étayent ce constat.
Il s’agit, premièrement, du rôle des bandes dans la montée des violences. Leurs liens avec les trafics de stupéfiants, voire les trafics d'armes, sont connus. En recherchant la confrontation violente avec les forces de l'ordre, ces bandes peuvent être à l'origine de véritables scènes de guérilla urbaine, comme l’illustrent les événements de Gagny. Il ne s’agit là que d’un exemple, mais plusieurs d’entre nous – c’est notamment mon cas – ont vécu par le passé ce type de situation dans des villes de province. Nous avons tous ces incidents en mémoire. Ils causent un trouble très important et masquent souvent d’autres trafics et agissements.
Il s’agit, deuxièmement, de l’extension de la violence à des lieux longtemps préservés et essentiels à la cohésion sociale.
C'est, hélas ! le cas de l'école. Ce phénomène, qui n’existait pas lorsque j’ai commencé à exercer des mandats électifs, est apparu peu à peu, d’abord subrepticement, puis de manière beaucoup plus importante. Des événements récents ont révélé que les établissements scolaires pouvaient devenir le théâtre de violences inacceptables à l’encontre des élèves et du corps enseignant. Et les faits se multiplient.
Cela concerne également, dans un tout autre registre, les stades. Rien n'est plus opposé à l'esprit du sport que les violences qui perturbent trop souvent nos manifestations sportives. Sont en cause non seulement les grands matchs dits « à hauts risques », mais également les rencontres amateurs du samedi et du dimanche après-midi, dans nos communes, sur les stades de quartiers.
Ainsi, la délinquance évolue et nos réponses doivent également évoluer. La proposition de loi vise donc à adapter nos réponses en prévoyant de nouveaux moyens et des mesures ciblées sur certains lieux symboliques, que je viens d’évoquer.
Tout d’abord, contre la délinquance violente, le texte prévoit de nouveaux moyens pour combler les lacunes existantes. Ces moyens sont juridiques, opérationnels et technologiques.
Concernant les moyens juridiques, les incriminations contre les bandes violentes sont aujourd'hui insuffisantes, qu'il s'agisse de l'interdiction des attroupements ou de l'association de malfaiteurs.
L'infraction de participation à une bande violente permet de mieux appréhender la réalité du phénomène. La participation à une bande constituée pour commettre des atteintes aux personnes et aux biens sera désormais punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Ladite infraction permet de lutter contre les différentes formes du phénomène, qu'il s'agisse du regroupement de personnes qui se connaissent, tels les gangs qui se constituent ici et là, ou du regroupement de personnes qui n’ont pas de liens a priori, mais se retrouvent volontairement en un lieu donné pour commettre une action commune violente. C'est le cas des black blocs ou d’un certain nombre de bandes de casseurs qui se retrouvent à l’occasion ou en marge de manifestations, avec les effets que nous connaissons.
Cette infraction permet également de lutter contre l'impunité, clairement recherchée par les personnes agissant en groupe. Elle n'établit pas pour autant une responsabilité collective. Cet aspect sera, je n’en doute pas, l’un des éléments du débat à venir. En participant concrètement au groupe et en poursuivant un même objectif délictueux, chacun, en effet, se rend personnellement coupable. On n’est pas là par hasard !
Afin de lutter contre les infractions commises à visage dissimulé, la proposition de loi prévoit l'introduction d'une nouvelle circonstance aggravante. Les agressions à visage dissimulé augmentent le traumatisme des victimes et compliquent le travail d'identification de la justice. À ce sujet, un décret en Conseil d'État du 19 juin 2009 incrimine d’ailleurs le fait de dissimuler volontairement son visage en marge d'une manifestation. Il est logique d’alourdir les sanctions prononcées pour toute agression commise à visage dissimulé.
Pour faciliter le travail des forces de l'ordre, de nouveaux moyens opérationnels et technologiques sont prévus.
La proposition de loi précise ainsi le cadre d'exercice de la police d'agglomération. En effet, la délinquance moderne se joue des frontières administratives et, pour adapter l'organisation de la sécurité aux bassins de délinquance, la police d'agglomération renforcera la coordination entre les services de sécurité. Les compétences du préfet de police en matière de maintien de l’ordre public seront donc étendues aux départements de Paris et à ceux de la petite couronne.
Des moyens technologiques sont également prévus. L'enregistrement audiovisuel par les services de police constitue un progrès et permettra de confondre plus aisément les auteurs d'agressions, même s’ils portent une capuche ou un foulard pour dissimuler leur visage. Il facilitera l'administration de la preuve, souvent complexe dans un contexte de groupe. Il favorisera les bonnes pratiques policières, en permettant d’établir la vérité sur les circonstances et le déroulement effectif des événements, si l’intervention de police devait ensuite être mise en cause. Il conviendra, naturellement, de préciser le régime juridique de ces enregistrements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, adapter nos réponses suppose de nouveaux moyens contre la délinquance violente.
Protéger nos concitoyens exige également, je le disais tout à l’heure, des mesures ciblées sur certains lieux symboliques.
Ainsi, contre la violence dans les stades, le dispositif en vigueur doit être renforcé, en premier lieu les mesures de prévention. La proposition de loi permet de doubler la durée des interdictions administratives de stade. Celles-ci pourront être portées à six mois et interviendront dès le premier trouble à l'ordre public. Les mesures de répression doivent également être renforcées. L'incrimination de la détention et de l'usage des fumigènes est particulièrement adaptée aux spécificités de la violence dans les stades. Certains de ces engins sont des plus dangereux, y compris pour ceux qui les manipulent
Sanctuariser l'école est le second objectif qui sous-tend le texte soumis à votre examen. L'école est un lieu d’apprentissage, où se transmettent les règles de la vie en commun ; elle doit le demeurer. Les événements récents ont montré la nécessité de protéger les écoles, leurs abords et les personnels qui y travaillent.
Pour protéger l'école, il faut la préserver des violences venues de l'extérieur. Ces violences, commises par des personnes mal intentionnées qui pénètrent dans l'enceinte d'un établissement sans y être autorisées, peuvent parfois entraîner un drame.
L'intrusion dans un établissement scolaire sera punie d'un an d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. La peine pourra être aggravée, la détention étant susceptible d’atteindre sept ans et l’amende pouvant s’élever à 100 000 euros si l’agression est perpétrée par plusieurs personnes armées. Il s’agit d’une avancée pour la sécurité des élèves et des enseignants.
L'introduction d'une arme dans l'enceinte scolaire constituera un délit en soi, punissable de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. La sécurisation des abords de l'école contribue à la protection des élèves comme des professeurs. La proposition de loi complète à cet égard le code pénal en ajoutant une circonstance aggravante pour les faits de vols et d’extorsions commis à proximité des établissements scolaires.
Enfin, la sécurité des personnels de l'éducation nationale doit être renforcée. L'autorité des professeurs est aujourd'hui la cible de ceux qui s'en prennent à toute autorité légitime. Les personnels de l’éducation nationale et leurs proches doivent bénéficier d'une protection identique à celle qui est accordée aux agents dépositaires de l'autorité publique. Le texte soumis à votre examen prévoit que les sanctions réprimant les atteintes à ces personnels soient aggravées dès lors que les faits sont liés aux fonctions exercées par la victime. Afin de mieux prendre en compte la réalité du terrain, la proposition de loi étend ce dispositif à leurs proches.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la sécurité est la première des libertés ; elle est la condition de toutes les autres : liberté de s'instruire dans les écoles de la République ; liberté d'y enseigner ; liberté de participer à des événements sportifs ; liberté de manifester pour exprimer ses idées, sans craindre la menace de casseurs et de pillards qui puissent dénaturer ces rassemblements pacifiques et légitimes ; liberté, tout simplement, d'aller et venir dans la rue en toute tranquillité, sans redouter les exactions de bandes violentes.
La présente proposition de loi nous donne les moyens de mieux préserver ces libertés par des mesures concrètes. Respectueuse de nos principes, elle réaffirme un objectif que nous partageons tous : garantir la protection de chacun, en toutes circonstances, sur tous les territoires de la République. C'est notre devoir ! C'est notre responsabilité au service de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est saisie de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, adoptée par l'Assemblée nationale le 30 juin dernier.
Malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics au cours de la dernière décennie, le phénomène des bandes persiste et, dans certains quartiers défavorisés, il s'enracine et trouble gravement les conditions d’existence de nos concitoyens qui y vivent.
Dans le prolongement des engagements pris par le Président de la République au lendemain des graves violences commises en mars 2009 dans un lycée de la région parisienne, M. Christian Estrosi, alors député, a déposé la présente proposition de loi.
Tout en souscrivant à l’objectif de mieux prendre en compte la spécificité du phénomène des bandes, la commission des lois a souhaité apporter un certain nombre de modifications à ce texte, dans le respect des principes fondamentaux de notre droit pénal et de la cohérence de l’échelle des peines.
Je partirai du constat de la spécificité du phénomène des bandes, avant d’évoquer les modifications apportées au texte par la commission. Je conclurai en attirant l’attention du Gouvernement sur un certain nombre de points qui nous semblent importants.
Pour ce qui est tout d’abord du constat, depuis plusieurs décennies, les grandes agglomérations françaises sont périodiquement traversées par des flambées de violences émanant le plus souvent de jeunes gens issus de quartiers défavorisés : cité des Minguettes à Vénissieux, en 1981 puis en 1983, Vaulx-en-Velin en 1990, Nîmes en 2003, etc.
Pourtant, pendant de nombreuses années, les pouvoirs publics n’ont pas semblé prendre la mesure du caractère spécifique du phénomène des bandes violentes. D’après les personnalités que j’ai entendues, et notamment des sociologues, la notion de « bande » ne fait réellement l’objet d’une attention particulière que depuis cinq à six ans. De ce fait, peu de données objectives sont disponibles pour tenter de cerner précisément ce phénomène.
Selon une étude réalisée par la direction centrale de la sécurité publique en mars 2009, il existerait 222 bandes violentes en France, regroupant environ 2 500 membres réguliers et autant de membres occasionnels. Les quatre cinquièmes de ces bandes seraient localisées en région parisienne, et un peu moins de la moitié de leurs membres seraient âgés de moins de dix-huit ans.
À la différence des gangs américains, qui comptent parfois plusieurs milliers de membres, les bandes françaises les plus structurées ne comporteraient guère plus de cinquante personnes.
En outre, il est important d’opérer des distinctions. En particulier, il est essentiel de distinguer les « bandes » des groupes politiques extrémistes, tels que ceux qui se sont manifestés au sommet de l’OTAN à Strasbourg, en avril 2009, ou à Poitiers, voilà quelques semaines.
À la différence de ces groupes d’extrémistes, qui agrègent au gré des manifestations des individus ne partageant pas de vie en commun, les bandes constituent de véritables formes de sociabilité alternative. La notion de territoire revêt pour elles une valeur quasi sacrée, le groupe ne fonctionne que collectivement, les actes de violences sont toujours accomplis en commun, le plus souvent dans des territoires « neutres » tels que les espaces scolaires ou les transports en commun.
Les pouvoirs publics n’ont pas attendu le dépôt de cette proposition de loi pour lutter contre les violences urbaines. L’action engagée par les pouvoirs publics à cet effet a d’ailleurs produit des résultats significatifs : la délinquance urbaine a baissé de 33 % entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2008.
Néanmoins, d’après les informations que j’ai recueillies, ces données globales masquent une certaine radicalisation des phénomènes de violences, concentrés sur un nombre restreint de quartiers en difficulté et d’individus au passé judiciaire lourd.
Dans un avis rendu en janvier 2008, le Conseil national des villes a mentionné l’existence de noyaux durs et pérennes de jeunes délinquants dans un certain nombre de quartiers en difficulté.
En outre, un double constat semble faire l’unanimité. D’une part, les agressions perpétrées contre les forces de l’ordre sont en hausse : les violences à personnes dépositaires de l’autorité publique se sont accrues de plus de 4 % entre 2007 et 2008, atteignant environ 26 000 faits signalés par an. D’autre part, ces violences se caractérisent par une banalisation du recours aux armes : le nombre de ports et de détention d’armes prohibées a augmenté de plus de 9 % entre 2007 et 2008.
Face aux violences commises en groupes, notre droit pénal n’est certes pas totalement démuni.
En premier lieu, notre droit punit des mêmes peines que l’auteur des faits le complice de l’infraction.
En deuxième lieu, la législation pénale considère dans un grand nombre d’hypothèses le fait que l’infraction ait été commise par plusieurs individus agissant en groupe comme une circonstance aggravante. Deux situations sont envisagées par le code pénal : celle de la commission en réunion et celle, plus grave, de la commission en bande organisée.
En troisième lieu, notre droit reconnaît, depuis le code napoléonien de 1810, l’existence d’un délit d’appartenance à une association de malfaiteurs, aujourd’hui défini par le code pénal comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation – le terme est important –, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».
Enfin, les groupements spontanés peuvent être poursuivis sur le fondement du délit d’attroupement, armé ou non, défini par le code pénal comme « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ».
De leur côté également, les tribunaux n’hésitent pas à retenir la responsabilité de tous les membres d’un groupement informel qui s’est rendu coupable d’un crime ou d’un délit, dès lors qu’une faute peut être imputée à chacun d’entre eux.
Néanmoins, l’ensemble de ces mesures n’apparaît pas tout à fait suffisant pour lutter efficacement, de façon préventive, contre les violences commises en groupes. En effet, les dispositions relatives aux attroupements visent plutôt les violences commises par des groupes politiques extrémistes, et les mesures relatives à la criminalité organisée et l’association de malfaiteurs concernent les bandes criminelles présentant un certain degré d’organisation et une activité inscrite dans la durée.
En revanche, notre droit ne parvient pas à prévenir de façon suffisamment efficace les violences commises par des bandes informelles, peu structurées, constituées sur une base territoriale et se livrant de façon régulière à des formes de délinquance allant de simples actes d’incivilités à des délits graves. Ce sont ces groupes que tente de prendre en compte la présente proposition de loi.
La commission des lois a donc entendu conforter la démarche des députés. Néanmoins, son attention a été appelée sur un certain nombre de difficultés que pourrait susciter l’application de ce texte par les forces de sécurité ou par les juridictions. C’est pourquoi elle a souhaité modifier le texte en étant guidée par trois grandes préoccupations.
Premièrement, la commission a souhaité amender ou supprimer les dispositions qui lui paraissaient susceptibles d’ouvrir la voie à une forme de responsabilité collective, qui serait incompatible avec les principes fondamentaux de notre droit pénal. C’est ainsi qu’elle a profondément transformé la définition du délit d’appartenance à une bande, qui figure à l’article 1er de la proposition de loi.
Deuxièmement, la commission a souhaité restaurer une certaine cohérence dans l’échelle des peines retenue par le texte. Elle a notamment modifié les peines encourues en cas d’intrusion armée dans un établissement scolaire. En ce qui concerne l’appartenance à une bande, elle a considéré que les peines encourues en cas de préparation d’une infraction ne devaient pas être aussi sévères, voire plus sévères, que les peines encourues en cas de commission de l’infraction.
Troisièmement, la commission a veillé à ce qu’une protection accrue soit conservée pour les personnels de l’éducation nationale et leurs proches, le texte prévoyant de sanctuariser les établissements scolaires.
Enfin, quatrièmement, la commission des lois a supprimé un certain nombre de dispositions qui lui paraissaient satisfaites par le droit en vigueur. Par exemple, elle a supprimé les mesures relatives au port d’arme dans un établissement scolaire, car des dispositions du code de la défense répriment déjà sévèrement, et de façon générale, le port d’armes de première, de quatrième et de sixième catégorie. Ces mesures s’appliquent, bien évidemment, dans les établissements scolaires.
Par ailleurs, la commission a souhaité compléter la proposition de loi.
Sur ma suggestion, elle a inséré un article tendant à faciliter la création de polices d’agglomération. Il nous a en effet semblé que la constitution de polices d’agglomération était un moyen privilégié pour mieux lutter contre les violences commises par les bandes, qui se caractérisent par leur extrême mobilité. Rappelons à ce sujet que 57 % des personnes interpellées chaque jour à Paris ne résident pas intra-muros. Il est donc essentiel de donner aux forces de l’ordre les moyens de mieux s’organiser pour faire face à cette forme de délinquance qui évolue rapidement.
En outre, la commission a constaté que les manifestations sportives constituaient un terrain d’action privilégié pour les bandes violentes. Elle a adopté un amendement de notre collègue Laurent Béteille tendant à élargir le champ du délit d’introduction de fumigènes dans les enceintes sportives. Elle a également adopté un amendement de notre collègue François-Noël Buffet visant à rendre plus dissuasives les interdictions administratives qui peuvent être prononcées par le préfet à l’encontre de supporters violents.
L’ensemble de ces dispositions donnera ainsi aux forces de l’ordre et aux magistrats les outils juridiques nécessaires pour mieux lutter contre les violences commises en bandes.
Néanmoins, un certain nombre de mesures ne pourront s’appliquer qu’après l’édiction de mesures réglementaires, et je souhaiterais attirer l’attention du Gouvernement sur deux points, certes ponctuels, mais qui me semblent importants.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’article 2 bis, qui prévoit de permettre au préfet d’autoriser les agents de surveillance ou de gardiennage des immeubles collectifs d’habitation à porter une arme de sixième catégorie pour assurer leur sécurité, le décret en Conseil d’État qui définira les modalités d’application de cet article devra préciser, conformément à l’intention des députés, que seules les matraques de type bâton de défense ou tonfa, à l’exclusion de toute autre arme, pourront être autorisées, et, surtout, que cette arme ne peut être utilisée qu’en cas de légitime défense.
En outre, j’attire votre attention sur l’article 4 bis, qui autorisera les propriétaires d’immeubles collectifs d’habitation à transmettre aux forces de l’ordre les images des systèmes de vidéosurveillance installés dans les parties communes des immeubles afin de permettre à celles-ci de préparer leur intervention lorsque celle-ci s’avère nécessaire.
La commission a encadré ces dispositions et a souhaité que leur mise en œuvre soit précisée par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui est compétente en matière de vidéosurveillance dans les lieux privés. Il nous a en effet semblé essentiel de maintenir un équilibre entre, d’une part, la nécessité de permettre aux forces de l’ordre de rétablir la jouissance paisible des lieux dans les parties communes des immeubles, et, d’autre part, la nécessité de veiller à ce que la mise en œuvre de ces dispositions ne porte pas une atteinte injustifiée au droit au respect de la vie privée.
En conclusion, je pense que la question des violences commises par les bandes requiert toute l’attention des pouvoirs publics.
De fait, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui viendra compléter un ensemble de mesures récemment prises par le Gouvernement afin de mieux lutter contre les bandes : mise en place d’unités territoriales de quartiers et de compagnies de sécurisation, renforcement des dispositifs de sécurisation des établissements scolaires, etc. Ces efforts doivent être poursuivis et encouragés.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter la présente proposition de loi dans la rédaction qu’elle vous soumet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’est qu’un énième texte sécuritaire porté par le Gouvernement qui fait suite à un fait divers : l’intrusion d’une bande de jeunes dans un lycée professionnel.
Ainsi, le Président de la République, qui se veut toujours plus réactif, a annoncé dans la foulée de cet événement une nouvelle loi qui viserait plus particulièrement les bandes violentes, avec le but affiché de « démanteler les bandes pour prévenir les violences qu’elles pourraient commettre ». Il a alors fait appel à un fidèle parmi les fidèles en la personne de Christian Estrosi, alors député, pour déposer une proposition de loi qui fut débattue à l’Assemblée nationale en mars dernier et qui atterrit au Sénat huit mois après.
Ce texte va venir durcir encore plus notre arsenal pénal en aggravant des sanctions déjà existantes, mais aussi en créant les incriminations de participation à une bande supposée violente et de dissimulation volontaire du visage.
On peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’une telle loi au regard de la longue liste de lois sécuritaires adoptées depuis 2002.
Cette accumulation de dispositifs législatifs proposés après chaque fait divers et que vous vous empressez de médiatiser largement n’a fait que complexifier la mise en œuvre de ceux-ci.
De plus, il n’est pas certain qu’une nouvelle loi soit indispensable pour résoudre le problème des bandes violentes. En effet, il existe déjà dans notre code pénal les incriminations de « bande organisée », « d’association de malfaiteurs », de « violences en réunion » ou encore « d’attroupement ».
On peut donc s’interroger, j’y insiste, sur l’apport de votre nouveau dispositif en matière de lutte contre ce genre de délinquance. Notre arsenal pénal en vigueur est tout à fait capable d’y répondre.
Sur le fond donc, il ne s’agit que d’un texte qui s’appuie sur l’émotion suscitée par le fait divers que vous avez habilement entretenu pour mieux, ensuite, flatter votre électorat.
De plus, vous utilisez le volet sécuritaire prétendument pour lutter contre le phénomène de violence de groupes, alors que l’échec de votre politique en matière de lutte contre la délinquance est patent, comme le démontrent les récentes statistiques en la matière.
Encore une fois, vous restez muet sur la prévention, alors même qu’il s’agit d’un élément essentiel pour parvenir à lutter contre la délinquance. Mais cela suppose des moyens ambitieux affectés, d’une part, à la prévention et, en tout premier lieu, à l’éducation nationale pour assurer la réussite scolaire du plus grand nombre, d’autre part, à la brigade des mineurs et à la protection judiciaire de la jeunesse pour un vrai travail d’alternative à la prison, qui est trop souvent criminogène.
Par ailleurs, il serait utile de mettre en place des comités de suivi réunissant régulièrement les différents partenaires de la sécurité et de la prévention.
M. Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats, a quant à lui souligné l’importance du renseignement et de la prévention en matière de lutte contre les bandes. Il estime ainsi qu’« une lutte efficace contre les phénomènes de bandes suppose en amont que soient effectués des actions de prévention et un travail de police de proximité, afin de mieux connaître les bandes et d’identifier leurs membres ; que des mesures soient prises pour assurer la sécurité dans les établissements scolaires ; enfin, que des actions pédagogiques soient menées ».
Monsieur le secrétaire d’État, il serait temps de réfléchir plus sérieusement sur les moyens les plus efficaces pour résoudre ce problème, qui prendra véritablement de l’ampleur si l’on en reste à vos politiques en la matière.
Par ailleurs, ce texte peut porter gravement atteinte aux libertés publiques. Il crée une infraction de participation à une bande ayant l’intention de commettre des infractions. Ainsi, votre dispositif précise que le groupement peut être formé de façon temporaire « en vue de la préparation » d’infractions. Il instaure donc une présomption d’infraction. Il reviendra alors aux forces de l’ordre de prouver que ce groupement avait l’intention de commettre des violences.
Ce système risque d’engendrer des pratiques arbitraires de la part des personnes chargées d’appliquer la loi. Le fait que vous instauriez un délit d’appartenance à une bande violente sans jamais définir cette notion renforce ce problème. Je n’ose imaginer les difficultés qui vont alors en découler.
À ce propos, M. Alain Bauer, président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance, n’a-t-il pas souligné, lors de son audition au Sénat, que « dans les phénomènes de bandes de quartiers, très souvent, les infractions sont commises sans qu’il y ait nécessairement eu de préparation ou de concertation préalables ; ce sont souvent des actes impulsifs, réactifs et d’opportunité » ?
On peut donc se demander comment une loi qui doit permettre à la police d’intervenir en amont des violences et des dégradations va pouvoir s’appliquer. On voit là toute l’inutilité et l’inefficacité de ce texte.
Ajoutons que, dans la pratique, arrêter un groupe supposé violent, qui peut très bien être composé de plusieurs dizaines d’individus, est simplement impossible tant les moyens humains et matériels des forces de l’ordre sont insuffisants.
Comment rendre applicables vos nombreuses mesures quand, en application de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, le Gouvernement supprime 4 000 postes de policiers, des commissariats de quartiers, et, dans le même temps, impose aux forces de l’ordre une politique du chiffre et une culture du résultat ?
Cette proposition de loi va avoir comme conséquence de renvoyer des personnes devant la justice pour des faits qu’elles n’ont pas encore commis, mais qu’elles avaient sûrement l’intention de commettre. Il s’agit là d’un grand recul dans notre système judiciaire.
Les juges devront donc rechercher la qualification pénale non pas en fonction des faits commis, mais selon l’intention de passer à l’acte, véritable casse-tête pour les juridictions pénales, qui peut aussi mener à l’arbitraire.
Ce dispositif n’aura d’autre effet que d’augmenter les statistiques policières et, surtout, d’accroître de façon significative le nombre de fichiers policiers. Mais peut-être est-ce là le véritable but de cette proposition de loi…
L’autre illustration de l’inutilité de ce texte, c’est la fameuse disposition qui vise à punir une personne qui dissimule « volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée ». Cette mesure est symptomatique de votre loi « inutile est dangereuse », comme le rappelle le syndicat de la magistrature. Il est en effet assez illusoire de penser qu’un tel dispositif puisse fonctionner.
Le fait que, dorénavant, vous prévoyiez que la dissimulation du visage sera une circonstance aggravante pourrait porter à sourire, si ce n’était pas aussi grave.
M. Alain Fouché. Si vous aviez été à Poitiers il y a quelques jours, vous auriez vu ce qui s’est passé !
Mme Éliane Assassi. Car si le fait de masquer son visage complique la tâche de la police pour appréhender l’auteur de l’infraction, cela ne peut pas être juridiquement un facteur aggravant. Sinon, selon un raisonnement par l’absurde, le fait de commettre une infraction à visage découvert devrait être une circonstance atténuante.
Le texte tel qu’il est formulé pourrait être utilisé pour remettre en cause la liberté de manifester. Des policiers n’ont-ils pas affirmé eux-mêmes que cette loi ne s’appliquera, dans les faits, que lors de manifestations ?
Voici donc un système qui ne sera en rien utile pour lutter contre les violences de groupes, lesquelles sont pourtant, j’y insiste, un véritable problème, mais qui va permettre de criminaliser l’action sociale.
Cette mesure est dangereuse non seulement pour les libertés publiques, mais également pour la sécurité des personnes lors de manifestations pacifiques, par exemple lorsque des groupes de casseurs s’y seront introduits et que la police « chargera » la foule pour poursuivre les individus cagoulés. Nul doute que cela risque de créer des troubles au lieu d’y mettre un terme.
Mais cette proposition de loi va encore plus loin dans l’atteinte qu’elle porte à l’action militante lorsqu’elle sanctionne d’un an d’emprisonnement « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire ». En effet, ce dispositif qui vise particulièrement les locaux scolaires pourrait être étendu à d’autres lieux publics occupés lors de conflits sociaux.
Je comprends tout à fait la nécessité de trouver des solutions pour protéger les personnes chargées d’une mission de service public, mais il ne me semble pas que ce texte y réponde. À mon sens, il s’agit ici, pour le gouvernement, de redorer son blason devant les enseignants, qui ont largement souffert des « réformes » gouvernementales, avec la suppression de nombreux postes, notamment des postes de surveillants, ce qui a pu entraîner une augmentation des intrusions dans les établissements scolaires.
Il y a donc dans cette proposition de loi de quoi porter une grave atteinte à l’action militante, les manifestants risquant ainsi de se voir poursuivis au nom de la lutte contre les violences de groupes. Ce texte est extrêmement dangereux, j’y insiste, alors même que l’objectif annoncé est de mieux protéger les citoyens. Nous devons souligner son peu de cohérence ; rappelons-le, ce dispositif a été pensé dans l’urgence et manque donc du recul indispensable lorsque l’on traite un sujet aussi délicat. On observe ainsi une grande hétérogénéité dans les mesures qui y sont opportunément insérées. On peut d’ailleurs s’étonner de la présence de certaines dispositions qui n’ont qu’un rapport ténu avec le sujet, pour ne pas dire aucun rapport.
Il semble que vous preniez prétexte de cette proposition de loi pour y rattacher certaines mesures comme la vidéosurveillance ou encore la possibilité donnée aux agents des propriétaires et gestionnaires d’immeubles de se munir d’arme. Il y a donc un risque de multiplication des bavures et, de fait, vous affichez votre volonté de privatisation de la sécurité, alors que l’on peut voir les dangers de ce système dans les pays qui y ont recours.
La faculté donnée à ces mêmes propriétaires de transmettre les images de vidéosurveillance dans les parties communes qui sont « susceptibles » de nécessiter l’intervention des forces de l’ordre va dans le même sens et entretient un climat de tension.
Enfin, qu’ajouter de plus à ce qui a déjà été dit concernant la disposition visant à réécrire le délit d’occupations des halls d’immeubles ? La nouvelle formulation que vous proposez ne la rendra toujours pas applicable.
Cette proposition de loi, qui a été élaborée dans l’urgence, je l’ai dit, est peu cohérente et rassemble surtout de nombreuses dispositions hétérogènes qui n’ont pour réel lien que d’aggraver des sanctions prévues dans d’autres lois.
Nous comprenons très bien la visée électorale de ce texte, alors même que vous tendez à revenir fortement sur le terrain sécuritaire à la veille des élections. Cependant, il ne s’agit pas que d’une simple loi d’affichage : elle fait courir de graves risques au mouvement social. On risque donc de voir se reproduire le même schéma que pour les nombreux textes répressifs qui ont été adoptés ces dernières années et qui ont été détournés de leur esprit initial pour réprimer les acteurs de mouvements sociaux.
C’est pourquoi nous nous opposons fermement à l’adoption de ce nouveau texte. Du reste, nous avons déposé des amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, il s’agit donc de la quinzième loi relative à la sécurité en sept ans, après quatorze textes qui se sont traduits par cent seize modifications du code pénal et en attendant les suivantes. Nos magistrats ont, vous le savez, beaucoup de mal à assimiler ces changements constants.
Le scénario est naturellement toujours le même ; vous le connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État. Il se passe un fait divers crapuleux, un acte de violence ou un acte de récidive, bien entendu inacceptable. Et M. le Président de la République apparaît sur le perron de l’Élysée pour dire toute son indignation et annoncer une nouvelle loi. En attendant la prochaine…
Faut-il perpétuellement légiférer et est-il honnête – j’emploie ce mot à dessein –, eu égard aux problèmes qui se posent, de proposer une législation supplémentaire sans apporter les moyens nécessaires ? Les lois multiples, redondantes et surabondantes sont-elles la bonne réponse ? Ce sont les moyens qui manquent le plus, monsieur le secrétaire d’État.
Faire un article de loi sur la violence dans les enceintes d’établissements d’enseignement scolaire, pourquoi pas ? Mais est-il cohérent de conduire une politique aboutissant à une diminution du nombre d’adultes dans lesdits établissements pour encadrer les jeunes et pour les éduquer ? La lutte contre la récidive est, bien sûr, nécessaire, mais lorsque se multiplient ce que les gardiens de prison appellent les « sorties sèches », sans préparation à la réinsertion professionnelle et sociale, lutte-t-on véritablement contre la récidive ?
Quand les jeunes sont livrés à eux-mêmes, qu’il y a moins de temps scolaire, par exemple le samedi, cela va-t-il dans le bon sens ?
Autrement dit, ce qui compte, ce sont les actes ; ce ne sont pas les juxtapositions et les accumulations législatives.
Ce texte est-il utile ? Vous avez essayé de nous expliquer qu’il l’était, monsieur le secrétaire d’État, mais je ne suis pas sûr que vous en soyez persuadé. D’ailleurs, je vous ai senti moins convaincu qu’en d’autres temps.
Si la nécessité de lutter contre les bandes violentes n’est pas discutable, il convient de s’interroger sur l’existence d’un vide juridique dans le droit pénal qui empêcherait cette lutte. Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, notre arsenal pénal comporte des lacunes. Mais existe-t-il un vide juridique ? Nous considérons, comme Mme Assassi, que tous les comportements que cette proposition de loi prétend viser sont déjà constitutifs de délits dans l’état actuel du droit pénal.
Au regard des multiples incriminations déjà existantes, l’introduction d’un délit de bandes soulève la question de sa conformité au principe consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Les dispositions que vous nous proposez sont-elles nécessaires?
Je prendrai un premier exemple. La protection des enceintes scolaires et des personnels qui œuvrent à l’éducation et à l’encadrement des jeunes dans les établissements scolaires. Vous proposez une mesure nouvelle, qui est surabondante par rapport à ce qui existe.
Monsieur le secrétaire d’État, nous allons vous faire une proposition concrète ; c’est notre amendement n° 11 : il prévoit d’appliquer aux personnels qui travaillent dans les enceintes scolaires, mais aussi à toutes les personnes chargées d’une mission de service public, victimes d’une infraction ayant entraîné une interdiction temporaire de travail, commise à raison de leurs fonctions, les dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale, lequel prévoit une réparation intégrale des dommages ou le versement d’une indemnité.
Proposer, comme vous le faites, une mesure qui existe déjà et qui ne sert à rien, c’est facile. Mais vous nous tenez, vous et vos collègues, monsieur le secrétaire d’État, des discours sur les victimes ! Quand des personnels chargés d’une mission de service public sont victimes, pensez-vous qu’il est juste de leur appliquer les dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale qui prévoit une réparation intégrale des dommages ou le versement d’une indemnité ?
Si vous n’acceptez pas notre amendement, nous considérerons que vous ne prenez pas les dispositions nécessaires pour venir en aide aux victimes, que vous êtes un spécialiste des belles paroles. Mais tel n’est pas habituellement votre cas et je suis persuadé que vous allez nous le démontrer.
Ce texte est très largement inconstitutionnel, et je ne vous cache pas, monsieur le secrétaire d'État, que nous étudions la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel.
M. Charles Gautier. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. À cet égard, un remarquable article de M. Hubert Lesaffre paru dans la revue des Petites affiches du mois d’août 2009 est particulièrement éclairant.
Les incertitudes constitutionnelles de ce texte tiennent au fait que le délit de groupe est susceptible de donner naissance à une responsabilité pénale collective et de porter une atteinte disproportionnée à des libertés par ailleurs constitutionnellement garanties.
D’ailleurs, monsieur le rapporteur, votre rapport écrit le démontre, puisque, à la page 19, on peut y lire : « Ce faisant, l’articler premier tend à créer une nouvelle “infraction-obstacle”, s’inscrivant ainsi dans un mouvement contemporain du droit pénal tendant à pénaliser, en amont de la commission d’infractions, les comportements menaçants susceptibles de déboucher sur des atteintes aux personnes ou aux biens. »
Vous le savez bien, la règle fondamentale de notre droit est que l’on punit les actes : tout acte délictueux ou criminel doit être puni. Mais on ne punit pas des intentions !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Même la « loi anti-casseurs », que nous avons pourtant combattue, monsieur le secrétaire d’État, ne prenait en compte que les actes préparatoires au délit, jamais les intentions !
Je rappelle qu’en matière pénale deux principes fondamentaux issus de la jurisprudence de la Cour de cassation sont intégrés dans le code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » ; « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
Ces principes s’opposent ainsi à l’établissement d’une responsabilité collective, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de M. Yves Mayaud, « une responsabilité qui pèserait sur une personne au titre d’une participation à une infraction commise par plusieurs, mais sans qu’il soit possible de savoir qui, des participants, a précisément réalisé le fait qui en constitue la matérialité ».
Ainsi, à l’article 1er de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous avez remplacé l’expression « en connaissance de cause », qui manque de précision et de clarté, par l’adverbe « sciemment » ; mais c’est encore très imprécis. Cette rédaction permettra d’engager la responsabilité pénale d’une personne pour la simple connaissance de son appartenance, fût-elle temporaire, à un groupement, fût-il fugitif, circonstanciel, inconstitué, dont seuls quelques éléments ont des intentions malveillantes, et quand bien même les intentions de ladite personne ne le seraient pas.
De plus, la rédaction initiale de ce même article mentionnait que le groupement « poursuit le but ». Certes, vous avez là encore modifié la formulation, monsieur le rapporteur, mais cela ne change pas le fond. Il existe un réel risque d’engagement d’une responsabilité pénale pour autrui, ce qui est clairement inconstitutionnel.
L’établissement d’un lien avec un groupe dont certains membres sont effectivement animés d’intentions délictueuses créera, à l’égard de tous les autres, une présomption d’intention. Cet élément se révèle totalement contraire au principe de la présomption d’innocence en vertu duquel « le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009.
Concernant la liberté individuelle, le texte prévoit une peine identique pour des faits de nature différente, alors que le code pénal opère une distinction entre les violences ayant entraîné des interruptions temporaires de travail plus ou moins longues, ou encore les dégradations de biens présentant, ou non, un danger pour les personnes.
En outre, l’instauration du délit de groupe conduirait à ce résultat paradoxal que, dans certaines situations, l’intention de commettre un forfait serait punie autant, voire, parfois, plus sévèrement que la commission du délit lui-même.
Vous le voyez, mes chers collègues, tout cela pose un grand nombre de problèmes et ne résout rien.
Pour finir, je voudrais dire quelques mots sur l’article 2 bis, un article dont vous avez essayé de défendre le bien-fondé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d’État, mais avec beaucoup de mal. D’ailleurs, je dois vous éclairer sur cette disposition, car peut-être n’êtes-vous pas au courant de la déclaration qu’a faite tout à l'heure M. Brice Hortefeux devant la commission des lois. M. le ministre de l’intérieur a dit qu’il était « réservé » sur cet article, …
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Charles Gautier. Voilà !
M. Jean-Pierre Sueur. …qui donne la possibilité à tout agent salarié d’un organisme de logement d’être armé !
Mme Éliane Assassi. Absolument !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, cette question est suffisamment grave pour que vous m’accordiez encore quelques minutes…
Ainsi, tout agent salarié d’un organisme de logement se trouverait potentiellement détenteur d’une arme.
Tout d’abord, cela va poser de nombreux problèmes pour les gardiens d’immeuble, qui seront perçus comme ayant les mêmes attributs que les policiers.
M. Nicolas About. Évidemment !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne suis pas sûr que cette mesure favorisera le calme dans les cités et aidera ces agents à accomplir la mission qui est la leur.
Ensuite, il faut être sérieux sur ces questions. Il est normal que la police soit armée eu égard aux missions qu’elle assume et à la formation que les fonctionnaires de la police ont reçue. Mais étendre le port d’arme aux agents de surveillance ou de gardiennage présente de grands risques et n’apporte vraiment rien. Aussi suis-je en accord total avec la réserve émise par M. le ministre de l’intérieur. J’espère que le Gouvernement sera cohérent, monsieur le secrétaire d'État. Mais, je n’en doute pas…
En conclusion, ce texte est inutile, redondant et inconstitutionnel. Il s’agit d’un texte d’affichage, qui n’apporte aucun moyen nouveau. C’est pourquoi nous voterons bien entendu contre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes tous contre la violence, contre les violences de groupe, mais aussi, sans nul doute, contre la violence faite à nos principes généraux du droit.
Aujourd’hui, le Sénat est une nouvelle fois saisi d’un texte portant sur la lutte contre l’insécurité. Notre collègue Jean-Pierre Sueur l’a rappelé, il s’agit, pour être précis, du quinzième texte depuis 2002 ! Une telle célérité à faire voter, année après année, ces textes relèverait presque d’une tendance obsessionnelle !
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Apporte-t-on une réponse adéquate à un phénomène nouveau ? Tel n’est pas mon point de vue. On lutte contre l’insécurité, qui est d’abord insupportable pour les citoyens les plus faibles, …
M. Charles Gautier. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. … non pas en accumulant les lois, mais en mettant en œuvre les moyens prévus par la loi ! Ainsi, est-il sain d’accumuler des textes nouveaux, quitte, ensuite, à accumuler des textes de simplification ? Est-ce cela la clarification ?
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard. Est-il raisonnable de voir arriver au Sénat un texte adopté par l’Assemblée nationale comprenant des incriminations déjà prévues depuis un temps immémorial par le code pénal et qui ont finalement été éliminées grâce à la sagesse de M. le rapporteur ?
Plus on a de règles, moins on les applique ; tous les praticiens ont pu expérimenter cet adage.
Les violences de groupes ne sont pas un phénomène nouveau, mais ce phénomène se modifie avec l’évolution de la société et les techniques de communication actuelles.
Le texte qui nous est soumis n’est pas sans rappeler – mais en pire ! – la « loi anti-casseurs » de juin 1970 punissant instigateurs et auteurs de violences de groupes. C’est la loi du 23 décembre 1981 qui l’a abrogée, loi que vous avez votée, me semble-t-il, monsieur le secrétaire d'État !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Jacques Mézard. Mettre hors d’état de nuire les petits caïds, démanteler les bandes organisées tenant certains quartiers, éloigner les sauvageons : tel fut le souhait pertinent de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.
Les questions de fond sont simples ! L’arsenal juridique actuel suffit-il ? Nous considérons que oui. Les moyens d’assurer la sécurité et la prévention, et d’abord les moyens en personnels sur le terrain, sont-ils suffisants ? Nous estimons que non.
Que sont devenues les promesses d’un ancien ministre de l’intérieur – qui a accédé aux plus hautes fonctions depuis ! –, qui proclamait devant les députés en juillet 2002 que « l’éradication des zones de non-droit livrées à l’économie souterraine et à la loi des bandes constitue un devoir prioritaire » ?
La majorité dispose depuis sept ans de tous les leviers qu’elle voulait pour mettre en œuvre son programme.
M. Charles Gautier. Exactement !
M. Jacques Mézard. Mais les objectifs n’ont pas été atteints, le sentiment d’insécurité entretenu rejoignant au final les données qui confirment une hausse de la délinquance. Et je ne ferai pas de commentaire superflu sur la statistique pénale.
De fait, la présente proposition de loi est l’exemple même de ce que Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, qualifiait en 2005 de « dégénérescence de la loi en instrument de la politique spectacle ».
La formule est simple, mais ô combien ! dangereuse : isoler un fait divers qui émeut l’opinion pour occuper la scène médiatique, stigmatiser le laxisme, rédiger, pour ne pas dire bâcler, le texte, le faire adopter au plus vite, et... plus rien !
À ce propos, les conclusions de l’auteur de la proposition de loi sont éclairantes, puisqu’elles font directement dériver celle-ci d’un fait divers survenu en mars dernier à Gagny, un acte « particulièrement inqualifiable [qui] a suscité un profond émoi chez nos concitoyens ». C’est ce que l’on appelle de la politique émotive : un empilement de textes répressifs, sans même laisser sécher l’encre du précédent, ni même rendre possible leur application, faute d’avoir publié les décrets nécessaires.
Ce texte apparaît non seulement potentiellement inefficace, mais aussi peu compatible avec les libertés publiques.
L’escalade dans la violence, devenue de plus en plus gratuite, est, en revanche, réelle, preuve que le durcissement de la politique pénale depuis 2002 a constitué une réponse inefficace. Les facteurs d’aggravation sont multiples : défense d’un territoire et d’un trafic, ghettoïsation, désocialisation et échec scolaire, conception initiatique du passage en prison, politiques de réinsertion défaillantes.
L’article 1er de cette proposition de loi crée ainsi un délit de participation à un groupement violent. En dépit des améliorations que M. le rapporteur a voulu apporter à la rédaction de ce dispositif, force est de constater que cette nouvelle incrimination institue une responsabilité pénale collective au mépris des principes fondamentaux de notre droit pénal.
Au demeurant, ces dispositions sont parfaitement redondantes au regard de ce que prévoit le code pénal : les articles 222-7 à 222-16-2 du code pénal font déjà des atteintes volontaires à la personne commises en groupe une circonstance aggravante.
On nous a affirmé que cet article était destiné à combler des lacunes juridiques, mais encore faudrait-il nous le démontrer ! S’il vise les bandes délinquantes, en quoi se distingue-t-il de la bande organisée prévue par l’article 132-71 du code pénal ? S’il concerne les groupes spontanés, en quoi se distingue-t-il de la participation délictueuse à un attroupement prévue par l’article 431-3 ? Quelle est la différence avec le guet-apens prévu par l’article 132-71-1 que vous avez créé en 2007 ?
Par ailleurs, pourquoi ne pas se fonder sur la notion de coaction, plutôt que de créer une nouvelle infraction ? La jurisprudence incrimine déjà le coauteur.
Tout aussi inutiles et inefficaces sont les articles 5 et 7 du texte, censés mieux protéger les personnels des établissements scolaires, alors que des dispositifs législatifs existent déjà. La loi du 17 juin 1998 avait déjà fait des violences, avec ou sans ITT, commises « à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif, ou aux abords d’un tel établissement » une circonstance aggravante.
De surcroît, l’article qui renforce la protection des personnels des établissements scolaires est parfaitement redondant avec la protection dont ceux-ci bénéficient en tant que « personnes chargées d’une mission de service public ».
J’aurais également pu évoquer l’article 1er bis, que notre commission a eu l’heureuse idée de supprimer, et dont les dispositions reprenaient celles du 13° de l’article 222-13. Nous voici, par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, en pleine politique d’affichage !
Ce texte est inutile, certes, mais il est également dangereux. Nous nous réjouissons que M. le rapporteur ait supprimé l’article 2, qui plaçait dans la même situation juridique les personnes participant à un attroupement délictuel sans arme que celles portant des armes apparentes.
Tout aussi éloquente est l’analyse faite par M. le rapporteur, pour qui la rédaction votée par l’Assemblée nationale est contraire au principe de responsabilité individuelle, l’un des fondements de notre droit pénal.
Nous sommes aussi très inquiets quant à la finalité de l’article 3, qui vise à aggraver les peines encourues dans un certain nombre d’infractions commises en ayant dissimulé tout ou partie du visage. Les débats que mènent en ce moment nos collègues députés membres de la mission d’information sur le port de la burqa synthétisent parfaitement, par analogie, les problématiques essentielles soulevées par cet article. Il n’est tout simplement pas possible d’imposer à chacun d’être en état de contrôle permanent et de faire de l’espace public une vaste zone de vidéosurveillance.
Cet article soulève surtout des difficultés d’ordre pratique, que même les syndicats de police ont mises en avant. Comment faut-il comprendre les termes « dissimulant volontairement » ? Ne craignez-vous pas, monsieur le secrétaire d'État, d’inciter à une escalade inutile, le port d’une cagoule devenant un signe distinctif de provocation, avec un risque de conflit de jurisprudence, toujours incompris ensuite par les forces de l’ordre ?
Je passerai rapidement sur l’article 4 ter relatif au délit d’occupation abusive des halls d’immeuble, mesure symbolique votée en 2003 et tentative de réparation juridique de bric et de broc. Nous ne voyons pas en quoi le fait de remplacer le mot « entravant » par le mot « empêchant » apportera un début de solution.
Monsieur le secrétaire d'État, nous connaissons votre engagement républicain, votre tolérance. J’ai envie de vous dire, avec infiniment de respect : « Pas vous, pas ça ! ». Vous comprendrez que la majorité du RDSE s’oppose à cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que certains le veuillent ou non, le changement parcouru en sept ans est considérable.
Alors qu’entre 1997 et 2002 la délinquance n’avait cessé d’augmenter d’année en année, une véritable remise en ordre a été engagée, une réelle rupture a été amorcée.
Force est aujourd’hui de le constater, les engagements pris par le président de la République, alors ministre de l’intérieur, sont tenus et nous nous rapprochons vraiment, certes encore insuffisamment, de ce degré de sécurité que les Français ont appelé de leurs vœux lors de l’élection présidentielle.
Grâce au volontarisme du chef de l’État et à la détermination du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, la délinquance diminue de façon significative depuis sept ans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la délinquance générale a baissé de 15 % depuis 2002, ce qui représente tout de même deux millions de victimes en moins, et c’est ce qui m’importe. Pour le seul mois d’octobre, elle a diminué de 6 % environ par rapport à octobre 2008.
Si ces chiffres sont, certes, encourageants, il reste malheureusement toujours plus à faire, et la lutte contre l’insécurité reste aujourd’hui une priorité. Les choses vont mieux, mais nous avons encore du chemin à parcourir dans ce combat de tous les jours.
La délinquance est en constante mutation. La société change, la délinquance aussi ; elle prend des formes et une acuité nouvelle, comme en témoigne l’augmentation du phénomène de bandes. Ce phénomène n’est pas marginal. Selon le ministère de l’intérieur, en plus des bandes qui se forment de manière éphémère, il existe deux cent vingt-deux bandes organisées en France, liées notamment au trafic de drogues. Elles comptent environ cinq mille personnes, dont la moitié sont mineures.
Ce phénomène évolue à la fois par son ampleur, son mode d’action, le degré d’intensité de la violence et les dégâts qu’il engendre. Il démontre que la délinquance peut avoir de multiples facettes. Il se traduit par des atteintes à l’intégrité physique de victimes innocentes, mais aussi par la dégradation ou la destruction de biens. En outre, il peut s’agir de violences commises par les membres d’une bande à l’encontre des membres d’une bande adverse, parfois au nom d’une guerre de territoires.
Ce phénomène se caractérise aussi par une délinquance de comportement. Je vise notamment les casseurs qui s’infiltrent dans les manifestations, non pour défendre une idée, mais avec pour unique objectif de troubler l’ordre public et de se confronter aux forces de l’ordre. Très souvent, l’intention n’est pas crapuleuse et les violences sont gratuites, comme en témoignent l’action de l’ultragauche et le phénomène des black blocs, qui ont sévi à Strasbourg, ou encore à Poitiers, le 10 octobre, lors d’une manifestation organisée par un collectif anticarcéral pendant un festival.
Nous observons une multiplication des violences dirigées contre l’autorité républicaine. Ce sont des actes de haine commis notamment à l’encontre d’enseignants, de personnels éducatifs et d’élèves, que ce soit dans l’enceinte ou aux alentours des établissements d’enseignement scolaire. Chaque année, 25 000 cas de violences sont ainsi recensés contre des personnes qui incarnent les institutions de la République. Les récents événements qui se sont produits à Gagny et à Lagny-sur-Marne ne peuvent nous laisser indifférents.
Les violences peuvent être individuelles, mais elles apparaissent encore plus intolérables lorsqu’elles sont collectives. La sécurité concerne l’ensemble de la société : la protection de nos concitoyens contre la violence est un droit fondamental dans un pays démocratique. La justice est le fondement de l’unité de notre société et nous ne saurions laisser certains y porter atteinte.
C’est pourquoi, en avril 2009, le Président de la République a souhaité confier à la représentation nationale l’élaboration d’une proposition de loi. Lors de son discours au lycée de Gagny le 18 mars, il déclarait : « Ce qui manque à notre arsenal, c’est de pouvoir poursuivre et condamner les personnes qui constituent une bande dans le but de commettre des atteintes aux personnes ou aux biens ».
Les personnes qui agissent en groupe savent, en effet, mettre à profit les failles juridiques de notre système ; celles-ci aboutissent à une véritable impunité et favorisent les agissements des bandes.
La loi n’établit pas de responsabilité collective et ne reconnaît que les auteurs, coauteurs ou complices, pour lesquels il faut établir une responsabilité de manière individuelle.
Qu’on le veuille ou non, certaines incriminations sont mal adaptées aux nouvelles formes de violences commises par les bandes. Si les attroupements sur la voie publique peuvent être sanctionnés, cette incrimination ne répond pas aux agissements des bandes qui se caractérisent aujourd’hui par leur grande mobilité. L’incrimination d’association de malfaiteurs concerne la préparation des délits et elle est punissable de cinq ans d’emprisonnement. Mais elle ne correspond pas à la réalité des actes commis par les bandes, à savoir principalement des violences volontaires commises en réunion, causant une incapacité temporaire de travail de moins de huit jours et donc punies de trois ans d’emprisonnement.
Face à ces lacunes, les élus locaux, les forces de l’ordre et la justice elle-même se retrouvent impuissants. Les élus locaux, qui sont les premiers à être confrontés à ces phénomènes et qui vivent l’insécurité au quotidien, ne peuvent rendre compte de leur engagement à leurs électeurs. Police et gendarmerie, confrontées au problème d’identification, sont découragées. La justice, qui ne dispose pas des moyens légaux pour imputer la responsabilité, se retrouve accusée de laxisme.
Or les résultats en matière de sécurité sont tributaires de l’engagement de tous ces acteurs, qui doivent être dotés des moyens d’agir. Cette proposition de loi témoigne de la volonté de répondre à une telle préoccupation.
Le texte qui est aujourd’hui soumis à notre examen est sous-tendu par un double objectif : mieux réprimer les actes commis par les bandes violentes à l’égard tant des personnes que des biens et mieux protéger les élèves et les personnes travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire.
Je voudrais féliciter notre rapporteur pour le remarquable travail de remise en forme qu’il a accompli.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Laurent Béteille. Ce dispositif deviendra, j’en suis persuadé, un outil dont nous constaterons l’efficacité.
La proposition de loi prévoit plusieurs mesures permettant de mieux réprimer les actes commis par les bandes violentes. C’était incontestablement une nécessité étant donné l’inefficacité des textes précédents dans ce domaine. Elle ne crée nullement une infraction d’intention et, selon moi, des éléments constitutifs clairs permettront d’éviter le risque d’inconstitutionnalité.
Le code pénal est complété afin d’instaurer une circonstance aggravante lorsque certaines violences sont commises, par exemple à l’aide de cagoules, par des personnes qui souhaitent éviter d’être identifiées et poursuivies par la justice. Contrairement à nos collègues, qui se sont indignés de cette mesure, tous ceux qui ont assisté à un certain nombre de violences dans la rue comprennent l’intérêt évident d’une telle mesure.
Les modalités d’application du dispositif figurent dans le texte. En particulier, les services de police judiciaire pourront utiliser des enregistrements audiovisuels. Cette possibilité sera un gage à la fois d’efficacité et de bonnes pratiques policières.
Je me félicite que, sur l’initiative du rapporteur, la commission des lois ait limité les risques d’atteinte à la vie privée : la transmission des images relèvera de la seule initiative du bailleur, s’effectuera en temps réel et sera strictement limitée au temps nécessaire à l’intervention des forces de l’ordre.
Je ne vais pas reprendre, mesure après mesure, l’ensemble du dispositif.
Je remercie M. le rapporteur d’avoir pris en compte des amendements prévoyant des dispositions pour les violences commises à l’intérieur des stades, notamment celui que j’avais proposé.
La présente proposition de loi permettra de mieux protéger les personnes et les biens, en particulier dans le milieu éducatif, ce qui constituait l’une de nos principales préoccupations.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, me réjouir de cette réforme importante et nécessaire proposée par M. Christian Estrosi. Toutefois, nous sommes réunis aujourd’hui non pas pour nous adresser des félicitations, mais pour agir.
Il nous faut adresser un message clair, et si possible unanime, à ceux qui seraient tentés de porter atteinte à notre État de droit et aux fondements de notre République.
C’est la raison pour laquelle le groupe UMP votera cette proposition de loi, telle qu’elle a été enrichie par les excellentes propositions de notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voici une proposition de loi que j’ai déjà l’impression d’avoir combattue. En effet, cela fait maintenant sept ans que, régulièrement, nous travaillons sur ce sujet et le Gouvernement apporte inlassablement la même réponse.
Ce discours pourrait être celui que j’ai prononcé en 2002, lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, ou celui que je prononce chaque année, lors de la discussion du projet de loi de finances, sur la mission « Sécurité », ou encore celui que j’ai prononcé à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Je n’entrerai pas dans le détail ; la liste serait bien trop longue ! En effet, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le quinzième texte en matière de sécurité depuis 2002...
Encore une fois, ce texte fait suite à un fait divers et, en l’occurrence, il fait écho à l’intrusion, dans un lycée professionnel de Gagny, de plusieurs individus portant des cagoules et munis de barres de fer. Il pose la question de la surenchère sécuritaire du Gouvernement, qui durcit la législation pénale à chaque fait divers.
Le discours qui entoure ce texte a d’ailleurs évolué pour s’adapter aux événements survenus à Poitiers en octobre dernier. À cette occasion, M. le ministre de l’intérieur avait déclaré vouloir « dissoudre les groupuscules violents ». De nombreuses personnes, qui s’inquiètent du risque d’extension de l’incrimination concernant les bandes aux nouvelles formes de mobilisation et d’action militantes, nous ont alertés lors de la publication de la présente proposition de loi.
Monsieur le secrétaire d’État, l’arsenal législatif permettant aux services de renseignements de ce pays d’enquêter et de localiser les individus en question n’existe-t-il pas déjà ? Le contraire serait inquiétant ! Vous vous en tenez, encore une fois, à l’affichage politique dont vous êtes coutumier, afin de flatter une partie de votre électorat, en sachant pertinemment que ces mesures sont soit totalement inutiles, soit dangereuses.
Je m’attacherai tout d’abord à vous montrer, mes chers collègues, en quoi ce texte est inutile.
Les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat se fondent sur une étude de la direction centrale de la sécurité publique portant sur les bandes identifiées et dont les auteurs reconnaissent eux-mêmes que la différence entre un groupe momentané et une bande structurée est difficilement qualifiable. La nature des liens qui réunit les membres est variable, depuis les bandes de quartier qui s’approprient un territoire jusqu’aux groupes très spontanés qui se forment pour en découdre.
Le texte que nous examinons aujourd’hui n’évoque jamais les raisons de ces attroupements violents. À aucun moment, son auteur ne cherche une explication à ces violences. Or leur explosion dans les quartiers défavorisés résulte en grande partie de la politique gouvernementale, qui attise les malaises sociaux, aggrave les inégalités territoriales, accentue la ghettoïsation…
Cette proposition de loi est d’ailleurs une illustration de cette réalité. Elle ne contient aucune mesure de prévention, ne portant que sur le renforcement des sanctions. Lors de son examen en commission, M. le rapporteur a lui-même reconnu qu’il s’agit d’apporter aux forces de l’ordre et aux magistrats « un certain nombre de solutions adaptées à la spécificité des violences commises en bandes ». Il reconnaît donc que cette proposition de loi n’a aucune vue préventive, qu’elle ne concerne en rien la prévention de la délinquance.
L’article 3 est à cet égard caractéristique. Il vise à créer une circonstance aggravante de « dissimulation volontaire de tout ou partie du visage » pour de nombreuses atteintes aux biens et aux personnes. Nous cherchons encore le caractère préventif de cette mesure… Sur le fond, on affirme ainsi qu’un acte est moins grave si son auteur n’a pas cherché à dissimuler son visage ! La justice appréciera !
Ce texte n’a qu’un seul objet : permettre aux forces de l’ordre d’appréhender, d’incarcérer et de ficher. Alors que vous nous parlez beaucoup de vidéosurveillance, monsieur le secrétaire d’État, le système mis en place est en réalité celui de la « fichéosurveillance » !
Les violences qui ont eu lieu à Gagny en mars dernier n’auraient-elles pu être évitées si des adultes avaient été présents en plus grand nombre dans l’établissement ? Mais le Gouvernement choisit de supprimer les postes de surveillant.
Les dégradations qui ont eu lieu à Poitiers n’auraient-elles pu être évitées si les forces de l’ordre avaient été plus nombreuses et mieux préparées ? Ne s’agit-il pas, tout simplement, d’une question de moyens ?
Tous les acteurs de terrain que je rencontre régulièrement l’affirment, le problème particulier des bandes relève non pas de la loi, mais des actions locales des CLSPD, les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
Quant à la justice, elle doit multiplier les travaux d’intérêt général et prendre des mesures d’éloignement des quartiers. Mais elle n’a pas les moyens de s’engager résolument dans cette voie, ces mesures étant, hélas, onéreuses.
L’inutilité de ce texte apparaît de manière flagrante quand on sait qu’il ne comporte que des incriminations déjà existantes. Les syndicats de magistrats auditionnés par la commission l’ont bien souligné, les dispositions actuelles du code pénal permettent d’ores et déjà de réprimer les infractions visées : délinquance en bande organisée, guet-apens, embuscade, attroupement, rébellion, association de malfaiteurs, violences aux personnes, vols, destructions et dégradations commises en réunion… Tout cela est déjà prévu !
M. le rapporteur rappelle lui-même que le « droit pénal n’était pas totalement démuni face aux violences commises en groupe ». Bel euphémisme ! Il admet plus loin qu’il manque aux autorités les moyens d’agir préventivement contre les bandes.
Néanmoins, je tiens à saluer le fait que M. le rapporteur a tout de même permis la suppression, en commission des lois, des articles les plus mal rédigés de ce texte, dont les dispositions étaient, selon ses propres mots, « déjà satisfaites par le droit en vigueur ». Pire, la commission a dû « restaurer une certaine cohérence dans l’échelle des peines retenue par le texte ». Par exemple, l’instauration du délit de groupe, tel que défini dans la rédaction initiale, aurait conduit à punir plus sévèrement l’intention de commettre que la commission du délit elle-même !
Ce texte est également dangereux.
En premier lieu, des dérives restent possibles, les dispositions prévues pouvant concerner les nouvelles formes de contestation et de mobilisation. En effet, le caractère très général des formulations pourrait permettre d’appliquer ce texte bien au-delà de ce que prévoit son exposé des motifs, par exemple aux occupants illégaux de logements vacants qui contestent la politique du logement du Gouvernement, aux faucheurs d’OGM ou à n’importe quel citoyen présent lors de la dispersion d’une manifestation au climat tendu !
Les propos tenus par M. le ministre de l’intérieur après les événements de Poitiers, en octobre dernier, ne nous ont pas rassurés sur ce point, bien au contraire : être suspect, c’est être coupable ; être un opposant, c’est être un délinquant !
En second lieu, cette proposition de loi remet en question la liberté individuelle, à laquelle le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle.
Son article 1er vise à instaurer un délit de groupe, donnant naissance à une responsabilité pénale collective. Or la Cour de cassation a introduit en matière pénale deux principes fondamentaux à valeur constitutionnelle : nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Cet article risque d’établir une responsabilité collective, en permettant de juger une personne pour des actes qu’une autre personne aura eu l’intention de commettre ou aura commis. M. le rapporteur a souhaité le modifier, afin de le rendre plus conforme à nos principes constitutionnels. Cependant, la rédaction adoptée par la commission n’est toujours pas convaincante. Certains juristes plaident déjà pour un recours devant le Conseil constitutionnel, compte tenu des menaces que ce texte fait peser sur les deux principes à valeur constitutionnelle que j’ai rappelés.
De nombreux commentateurs ont comparé cette proposition de loi à la loi dite « anti-casseurs » de 1970. Souvenons-nous : l’application de ce texte avait entraîné des poursuites contre des syndicalistes, et non contre des groupes armés ! C’est la raison pour laquelle François Mitterrand en avait demandé l’abrogation au Parlement dès son arrivée au pouvoir, en 1981.
Nous ne pourrons donc, mes chers collègues, voter un texte si vide de sens et si dangereux pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de l’examen de cette proposition de loi. En effet, j’ai l’expérience de ces problèmes dans ma ville de Corbeil-Essonnes, où j’ai pu constater maintes fois l’impossibilité, pour la police, de faire condamner des délinquants mineurs, comme si le fait d’être mineur donnait le droit d’être délinquant !
La plupart du temps, les policiers sont dans l’incapacité d’apporter la preuve qu’un délinquant a été l’auteur de tel fait précis. La justice le relâche donc, et il recommence dès le lendemain…
Mes chers collègues, je souhaiterais vous soumettre trois propositions, qui figurent peut-être d’ailleurs dans cette proposition de loi, que je n’ai pas lue dans son intégralité.
M. Charles Gautier. Quel aveu !
M. Serge Dassault. Je propose tout d’abord de ramener l’âge de la majorité pénale de dix-huit ans à seize ans, étant donné qu’aujourd’hui les jeunes de cet âge ont largement la maturité que l’on avait autrefois à dix-huit ans. Actuellement considérés comme mineurs, ils devraient pouvoir être condamnés comme les autres, car pour l’heure leurs aînés, sachant qu’ils ne risquent rien devant la justice, les utilisent pour mener leurs opérations.
Ma deuxième proposition concerne le délit de complicité. Tout individu faisant partie d’une bande qui agresse des policiers ou les empêche d’effectuer leur travail doit être condamné au même titre que les auteurs des actes proprement dits.
Par exemple, il arrive fréquemment que les forces de police, après avoir réussi à stopper une voiture volée, se trouvent aussitôt encerclées par des jeunes qui veulent les empêcher d’arrêter le délinquant. Celui-ci peut alors prendre la fuite, et la police ne peut rien faire ! Il convient donc de considérer ceux qui empêchent la police de faire son travail comme des complices et les punir aussi sévèrement que le voleur.
De même, lorsque des policiers sont victimes de jets de pierres, il leur est difficile d’identifier clairement leurs agresseurs. Ils en sont réduits à interpeller au hasard un ou deux membres du groupe. Ceux-ci devraient encourir la même peine que l’auteur des lancers de pierres, qui ne sera pas forcément identifié. On éviterait ainsi à la police de travailler pour rien, en arrêtant des délinquants que la justice relâchera dès le lendemain sans même une admonestation, dont ils n’auraient au demeurant tenu aucun compte !
Le délit de complicité devrait donc être inscrit dans la loi. Tout individu qui participe à une agression contre la police ou l’empêche de faire son travail devrait encourir la même peine que l’auteur principal des faits, même si ce dernier n’est pas identifié. Il est tellement facile de rejeter la responsabilité sur un autre et de prétendre qu’on était là par hasard…
Enfin, ma troisième proposition concernera la lutte contre la délinquance.
Quand on a, à l’instar du Président de la République, la volonté de lutter contre l’insécurité, il faut avoir à l’esprit que si des jeunes deviennent des délinquants, c’est parce qu’ils n’ont pas de métier. Ayant quitté le collège sans avoir rien appris, ils traînent dans les rues, où ils sont pris en charge par de plus âgés et finissent par sombrer dans la délinquance, rejoignant ainsi les troupes des trafiquants de drogue, des voleurs de voitures…
Tout se tient : cette proposition de loi concerne la justice, mais elle devrait également viser l’éducation nationale. Si celle-ci formait les jeunes à des métiers et si l’on supprimait le collègue unique, source de tous ces maux, il y aurait moins de délinquants et moins de problèmes d’insécurité dans nos communes.
Je livre ces trois propositions à votre sagacité, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en espérant qu’elles pourront être retenues, au plus grand bénéfice de la tranquillité de nos quartiers et de l’efficacité de l’action de la police, laquelle fait le maximum mais se trouve légitimement découragée lorsqu’elle voit que les délinquants qu’elle arrête sont relâchés aussitôt, faute de loi permettant de les condamner. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte dont l’origine parlementaire masque difficilement l’empreinte profonde du Gouvernement. Une proposition de loi qui vise, en une dizaine d’articles, à retoucher pas moins de trente-cinq articles du code pénal me semble relever clairement d’une commande du ministre de l’intérieur.
L’entrée au Gouvernement de l’auteur de cette proposition de loi est d’ailleurs édifiante. La séparation des pouvoirs laisse ici la place à la confusion des pouvoirs, avec une finalité à peine masquée : éviter le contrôle du Conseil d’État sur un texte qui opère de graves changements dans notre tradition pénale.
Je ne reviendrai pas sur l’extrême variété des mesures contenues dans ce texte. Je me bornerai à faire quelques commentaires sur celles qui nous semblent les plus scandaleuses.
Une nouvelle incrimination, celle de la participation à un groupement violent, constitue le cœur de cette proposition de loi.
Permettez-moi de faire un petit retour en arrière. Nous nous souvenons tous des épisodes dramatiques de l’incendie du centre de rétention administrative de Vincennes et de la révolte survenue dans celui du Mesnil-Amelot.
À cette époque, M. Hortefeux, alors ministre de l’intérieur, avait pointé du doigt les associations d’aide aux sans-papiers, les qualifiant de groupuscules d’agitateurs et de provocateurs, ayant pour seul dessein de détruire les centres de rétention administrative. Il avait même déposé une plainte contre un collectif de sans-papiers et interdit une manifestation devant le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot.
Ces épisodes auraient pu rester isolés si vous n’aviez pas appelé, à l’époque, à un meilleur contrôle de ces groupements, en évoquant le fichage de leurs membres et la possibilité de les interdire, de manière préventive selon vous : le bouc-émissaire était tout trouvé.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui s’inspire très directement de ces événements. Vous avez beau clamer dans la presse que la nouvelle infraction concernera les bandes violentes, vous savez très bien qu’elle aura vocation à s’appliquer aux associations et collectifs qui œuvrent aujourd’hui dans le domaine de la solidarité – qu’il s’agisse d’aider les sans-papiers ou les mal-logés –, ainsi qu’aux syndicats.
Ne pouvant interdire les regroupements pacifiques spontanés de bénévoles et d’acteurs de la solidarité, la majorité a inventé un « gadget juridique » pour appréhender les membres de ces structures, toujours de manière préventive selon vous, en les condamnant pour des faits qu’ils n’ont pas commis et ne commettront certainement jamais.
Le danger d’une telle infraction de « participation à un groupement violent » réside dans son caractère extensible à toute forme de groupement et, finalement, à toute association ou tout collectif qui projetterait, par exemple, d’organiser l’occupation d’un immeuble à l’abandon pour attirer l’attention des médias sur le mal-logement, notamment des étudiants. Ses membres pouvant désormais être fichés, depuis votre décret datant de la Sainte-Edvige, même s’il a changé de nom, ils seront appréhendés avant même d’avoir mis les pieds dans le logement vacant.
Voici l’objet de cette disposition révélé au grand jour : en recourant aux notions floues de « groupement », de « participation » et de « préparation », vous créez toutes les conditions d’une nouvelle criminalisation des mouvements de solidarité.
Au passage, vous portez atteinte à un principe fondamental du droit pénal : l’exigence d’un élément matériel pour fonder une condamnation. En effet, cette infraction pourra être constituée en l’absence de faits matériels de violence et en l’absence même d’un commencement d’exécution, qui permet normalement de qualifier la « tentative ».
Après la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, destinée, là encore selon vous, à lutter de manière préventive contre la récidive en se fondant sur un supposé état de dangerosité, et non sur un fait établi, vous inaugurez aujourd’hui, avec cette proposition de loi, une nouvelle ère de la justice pénale : celle d’une justice virtuelle, qui se fonde sur les potentialités, les approximations et la dangerosité présumée, au lieu de reposer sur la matérialité des faits.
Introduire une telle infraction dans le code pénal implique un bouleversement, dont le Conseil constitutionnel ne manquera pas de sanctionner le caractère anticonstitutionnel, comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Jean-Pierre Sueur. Cette infraction instaure en effet une présomption de culpabilité difficilement compatible avec la présomption d’innocence.
De plus, ce délit risque de faire l’objet d’une interprétation hasardeuse par les juges, faute d’une incrimination stricte. C’est la porte ouverte à l’arbitraire, puisque les juges devront se fonder non pas sur des faits commis, mais sur un incertain pronostic de passage à l’acte.
Je ne reviendrai pas maintenant sur les autres dispositions de la proposition de loi, toutes aussi farfelues les unes que les autres, mais nous pouvons d’ores et déjà faire quelques constats.
En ouvrant la possibilité de confier des armes aux agents de surveillance, vous transformerez des gardiens d’immeuble en policiers, et demain en shérifs ! À l’inverse, en prévoyant la transmission d’images de vidéosurveillance à la police, vous transformez les policiers en gardiens d’immeuble !
Un tel mélange des genres témoigne de la confusion dans laquelle sont exercées aujourd’hui les missions de sécurité, par une police qui ne cesse de se plaindre de conditions de travail devenues insupportables. Nous reviendrons également sur ce point.
En définitive, si elle concerne effectivement la sécurité, cette proposition de loi n’en demeure pas moins un texte d’affichage médiatique et électoraliste, qui n’apporte absolument rien à la protection des personnes et de leurs biens, ni en termes de prévention. Il se limite à une répétition, assortie d’un léger toilettage, de dispositions qui existent déjà, et ne permettra même pas une meilleure application de celles-ci. Vous donnez l’impression de sans cesse réinventer l’eau chaude…
Il est vrai que, pour vous, il s’agit d’ajouter une couche supplémentaire au mille-feuille sécuritaire indigeste que vous nous fabriquez depuis 2002. À l’approche des élections régionales, c’est un argument électoral de plus pour flatter la fraction la plus dure de votre électorat.
Les élus Verts ne cautionneront pas une telle démarche et voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale, qui a parfois porté sur les intentions prêtées aux uns et aux autres, a été fort intéressante.
Tout d’abord, madame Assassi, il ne s’agit pas d’un texte d’affichage. Cette proposition de loi comporte des réponses extrêmement concrètes à des situations nouvelles. En effet, la délinquance évolue et n’est plus celle que nous connaissions voilà trente ou quarante ans, ou même plus récemment.
L’objet de cette proposition de loi est de permettre de sanctionner des individus qui participent activement – c’est-à-dire matériellement – et sciemment à un groupe ayant l’intention de commettre des violences. Contrairement à ce que vous indiquez, elle n’instaure aucune présomption de culpabilité : il faudra, comme pour toutes les infractions, démontrer une participation matérielle et une intention de commettre des actes délictueux.
Mme Éliane Assassi. Relisez le texte !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’ai parfois eu le sentiment, peut-être à tort, que la répression d’un certain nombre d’actes vous gênait. Par exemple, je ne vois pas pourquoi nous devrions hésiter à apporter des réponses plus appropriées à des comportements délictueux nouveaux tels que ceux qui ont pu être constatés récemment à Poitiers.
Monsieur Sueur, votre argumentation, talentueuse comme à l’accoutumée, n’en a pas moins été parfois spécieuse, du moins de mon point de vue.
M. Jean-Pierre Sueur. Quand, par exemple ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. À vous entendre, ce texte serait à la fois inutile, parce qu’il créerait des incriminations redondantes avec d’autres qui existent déjà, et néfaste, voire liberticide : il y a là une contradiction !
Nous pensons, pour notre part, qu’il est utile et que nous avons besoin de nouvelles incriminations. En effet, l’infraction d’association de malfaiteurs concerne plutôt la criminalité organisée, surtout orientée vers les trafics. Quant à celle de participation à une bande armée, elle ne permet pas de réprimer les protagonistes d’une manifestation violente dès lors qu’ils ne sont pas armés.
Par ailleurs, le texte, monsieur Sueur, ne consacre pas de responsabilité pénale pour autrui. Il prévoit, à son article 1er, que la participation à un groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de dégradations de biens doit être caractérisée par un ou plusieurs faits matériels. C’est donc bien une participation individuelle, personnelle, que vise la proposition de loi.
À l’article 2 bis, le régime prévu pour les agents de surveillance ou de gardiennage, notamment ceux qui sont employés par des bailleurs sociaux, que nous évoquions avec M. le rapporteur, dont je salue une fois encore la qualité et la précision du travail, nous semble finalement très proche de celui des agents de la SNCF ou de la RATP. Il suffit de relire l’article pour voir que tout se déroulera sous le contrôle très strict du préfet, comme c’est le cas actuellement pour les agents qui peuvent déjà disposer d’armes.
Monsieur Sueur, je ne prétends pas qu’il ne puisse y avoir débat sur la situation dans laquelle ces agents pourraient se trouver placés dans certains cas, du fait qu’ils seront armés. Parfois, le recours à cette possibilité n’aurait aucun sens, mais, dans des circonstances bien particulières, certains de ces agents, de manière très contrôlée, pourraient être armés. Je me réfère encore une fois, à cet instant, au cas des agents de la SNCF ou de la RATP.
M. Jean-Pierre Sueur. Il faudra que vous en parliez à M. Hortefeux !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur Mézard, vous estimez que ce texte est motivé par des considérations démagogiques ou de circonstance. Pour ma part, ma longue expérience de terrain, qui m’a amené à envisager certaines innovations en termes de lutte contre l’insécurité, fait que je ne suis pas choqué que l’on puisse chercher des réponses adaptées aux situations nouvelles auxquelles nous sommes confrontés.
Précisément, ce texte offre de nouveaux outils, pour les forces de police, mais aussi pour la défense des libertés publiques. Ainsi, l’article 4 vise l’enregistrement audiovisuel des interventions des policiers ou des gendarmes en vue de restituer le déroulement des opérations, l’objectif étant également d’assurer le plus complet respect des droits des citoyens. Cette possibilité d’enregistrement n’est donc pas liberticide : elle permettra au contraire de protéger tant les policiers que les citoyens.
Par ailleurs, si la rédaction initiale de la proposition de loi comportait peut-être en effet certains risques de doublons ou de conflits en matière d’infractions, le travail de la commission des lois du Sénat a permis d’y remédier.
Vous avez en outre affirmé, monsieur Mézard, que le Gouvernement souhaitait jouer de la circonstance aggravante de dissimulation du visage pour réglementer l’expression dans l’espace public. Cette question ne peut être liée, comme vous l’avez fait d’une façon à mon sens quelque peu malaisée dans votre argumentation, à celle du port de la burqa : les deux problématiques sont tout à fait différentes. Dans cette proposition de loi, la dissimulation du visage est non pas un délit, mais une circonstance aggravante de certaines infractions. Je ne crois pas que le port de la cagoule va devenir une provocation du seul fait de ce texte. Cette pratique constitue déjà un véritable problème, comme en témoignent les agissements violents de certaines personnes cagoulées lors des dispersions de manifestations. Je reviendrai d’ailleurs sur la dénaturation de manifestations pacifiques et démocratiques que peut engendrer ce phénomène.
Monsieur Béteille, je vous remercie d’avoir resitué les vrais enjeux de cette proposition de loi, en écartant certains procès d’intention.
Vous avez eu raison de mettre en exergue le développement du phénomène des bandes, dont la violence, souvent extrême, s’exerce certes contre les forces de l’ordre, mais aussi entre elles. En effet, il s’agit également de protéger des jeunes qui, comme l’a souligné M. Dassault, se sont fourvoyés, et peuvent tout autant être victimes qu’auteurs d’actes de violence.
Comme vous l’avez souligné par ailleurs, ces violences portent souvent atteinte à la liberté de manifester, car les manifestants sont les premières victimes des casseurs, et ce à un double titre : d’une part, en raison des atteintes à leur personne ou à leurs biens ; d’autre part, parce que le message véhiculé par leur manifestation pacifique se trouve dénaturé et brouillé. Dans ces conditions, j’affirme que réprimer de manière plus efficace ces phénomènes relativement nouveaux est une façon de protéger la liberté de manifester.
Enfin, monsieur Béteille, c’est également à juste titre que vous avez souligné que les violences commises contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, les enseignants et, de façon générale, les personnes chargées d’une mission de service public sont intolérables. Sanctuariser les établissements scolaires, en particulier, correspond à une exigence démocratique.
Monsieur Christian Gautier, vous avez opposé ce texte à la nécessaire prévention de la délinquance. Or les deux sujets sont liés, et apporter des réponses à un type nouveau de délinquance n’est pas contradictoire avec la mise en œuvre de politiques de prévention.
Par ailleurs, vous avez critiqué le fait que l’arsenal législatif soit modernisé à la suite d’événements ayant choqué l’opinion publique. Or, dans un pays démocratique, l’apparition de nouvelles formes de délinquance qui défraient la chronique constitue un indicateur à prendre en compte, sans qu’il s’agisse pour autant de légiférer sous le coup de l’émotion. Il convient de se donner le temps de la réflexion, même si nos concitoyens sont sensibles à juste titre à ces évolutions. Il en va d’ailleurs de même dans nos fonctions d’élus locaux, qui nous imposent de faire preuve de sang-froid tout en étant réactifs.
Le Gouvernement cherche donc non pas à faire de l’affichage, mais à répondre au développement du phénomène des violences de bandes, que nous constatons tous sur nos territoires, que ce soit en région parisienne ou en province. Ces bandes, qui se forment souvent à l’occasion d’un événement particulier, ne sont pas structurées et sont souvent constituées de casseurs voulant éviter d’être identifiés. La présente proposition de loi n’a d’autre objet que de répondre très concrètement à ces mutations des formes de délinquance : lorsque les faits délictueux évoluent, la loi doit également évoluer.
Ces phénomènes de violences de bandes, qu’ils traduisent un rejet radical des représentations de la société ou la volonté de s’approprier un territoire, sont inacceptables dans une société démocratique. Ils intéressent à la fois la sécurité publique et la justice.
Vous contestez, monsieur Gautier, la constitutionnalité de l’infraction de participation à une bande, jugeant que sa création constitue un retour à la loi « anti-casseurs » et l’affirmation d’une responsabilité collective. De tels propos m’étonnent, car il ne s’agit pas d’une nouveauté, cette infraction étant très similaire à celle d’association de malfaiteurs, constituée par le simple fait de s’associer en vue de commettre un délit et que vous n’avez jamais envisagé de supprimer par le passé. Il est important de pouvoir intervenir en amont, à partir d’éléments constitués.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour contrer ces phénomènes de bandes, qui impliquent souvent des jeunes –mais pas uniquement, comme l’ont montré les événements de Poitiers –, plusieurs d’entre vous ont mis l’accent sur la nécessité de conduire des actions de prévention de la délinquance.
Ce sujet me tient très à cœur, à la fois en tant qu’élu local et en tant que secrétaire d’État à la justice. Le Gouvernement est très engagé dans cette démarche. Un rapport sur ce sujet vient d’être remis au Premier ministre dans le cadre du plan gouvernemental de prévention de la délinquance, qui comporte des déclinaisons locales, mises en œuvre sous l’égide des parquets, des représentants locaux de l’État et des collectivités territoriales : les groupes locaux de traitement de la délinquance ou les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance représentent, par exemple, des innovations tout à fait intéressantes.
Toujours en ce qui concerne la prévention, vous avez également insisté, monsieur Dassault, sur les réponses à apporter en matière d’éducation ou d’insertion par le travail, grâce à des formations adaptées, destinées notamment aux jeunes non diplômés. Nous connaissons votre engagement sur ces questions, et c’est à juste titre que vous considérez que des améliorations sur ces différents points auraient des effets positifs sur la vie au quotidien de ces jeunes dans nos cités et limiteraient le risque qu’ils sombrent dans la délinquance.
Nous pensons comme vous qu’il est inadmissible que certains délinquants s’en prennent aux forces de police, dont le rôle est de tous nous protéger. Il n’est pas sain pour notre modèle démocratique et républicain de stigmatiser systématiquement les forces de police au moindre problème, même quand elles ne sont pas impliquées, par exemple dans le cas de violences entre bandes.
Les règles générales applicables en matière de complicité, par ailleurs, permettent déjà de sanctionner ceux qui entravent l’action des policiers. Le présent texte pourra également être utilisé pour sanctionner des groupes qui se constituent dans le dessein de s’attaquer aux forces de police.
Madame Boumediene-Thiery, cette proposition de loi ne vise absolument pas à interdire les groupes pacifiques ou bénévoles. La liberté de manifester n’est pas en cause ; au contraire, ce texte contribuera à mieux la protéger, comme je l’ai dit tout à l’heure. Il ne faut pas attribuer à ses partisans des intentions qu’ils n’ont pas.
Il ne s’agit pas d’un texte de circonstance : il vient compléter et adapter notre dispositif législatif. Nous avons déjà apporté certaines réponses réglementaires, mais il paraît utile de passer également par la loi.
Cette proposition de loi, qui avait déjà fait l’objet d’un très bon travail à l’Assemblée nationale, a également bénéficié d’une réflexion de grande qualité de la commission des lois du Sénat, ainsi que nous pourrons le constater lors de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi.
(M. Guy Fischer remplace M. Jean-Léonce Dupont au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
Chapitre Ier
Dispositions renforçant la lutte contre les bandes violentes
Articles additionnels avant l'article 1er A
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l'article 707 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le service compétent pour les mineurs et les jeunes majeurs désigne aussitôt un éducateur, tuteur référent chargé de suivre l'exécution de la sanction, et communique à la personne concernée et le cas échéant à ses représentants légaux le nom de la personne désignée. »
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. L’article 707 du code de procédure pénale pose, dans ses dispositions générales, les modalités de l’exécution des sentences. Il est donc essentiel de rappeler à cette occasion l’adaptation nécessaire à une meilleure efficacité de l’ensemble des sanctions éducatives que le juge peut prononcer.
À l’heure actuelle, la prise en charge du mineur ou du jeune majeur reste très anonyme : il peut ainsi être renvoyé d’éducateur en éducateur pour le suivi de la mesure éducative le concernant, alors qu’il lui serait nécessaire, surtout s’il est primo-délinquant, de disposer d’un éducateur référent.
Le présent amendement vise donc à compléter le dispositif en précisant que, par principe, le service compétent nomme en son sein un tuteur référent chargé de suivre l’exécution de la mesure éducative de bout en bout. Le mineur concerné et ses représentants légaux seront avertis de cette nomination.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La question de l’exécution des sanctions prononcées à l’encontre des mineurs, qui mérite une réflexion approfondie, sera prise en compte dans le projet de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945. Il convient en effet d’assurer une meilleure mise en œuvre des décisions des juridictions pour enfants.
En tout état de cause, cet amendement s’éloigne assez fortement de l’objet de la présente proposition de loi. Je propose d’en renvoyer la discussion à l’examen du projet de loi portant modification de l’ordonnance de 1945, dont le Gouvernement a annoncé le dépôt pour l’été 2010.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Je partage l’avis de M. le rapporteur, pour les mêmes raisons. Cette question, qui relève de la pratique et non de la loi, pourra effectivement être réglée dans le cadre de la réforme du droit des mineurs.
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article 15-1 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, après les mots : « décision motivée », sont insérés les mots : « et dans un délai ne pouvant excéder trois mois ».
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Cet amendement de bon sens traite du problème récurrent du délai des jugements, eu égard à l’âge des personnes poursuivies et éventuellement condamnées.
Lorsqu’il existe un trop grand décalage entre la commission des faits et l’intervention du jugement, ce dernier n’a aucune efficacité, tout simplement parce qu’il frappe une personne qui n’est plus celle qui a commis l’acte. De surcroît, l’intéressé aura pu offrir à son entourage le spectacle de l’impunité, c’est-à-dire l’exact contraire de l’établissement de l’ordre et de la loi, et commettre, entre-temps, de nouveaux actes délictueux.
Autrement dit, plus une personne est jeune, plus le jugement doit intervenir rapidement. C’est seulement dans cette mesure qu’il peut avoir un sens à la fois pédagogique pour la personne condamnée et d’utilité sociale pour l’entourage de celle-ci.
Nous souhaitons donc que lorsque le prévenu est mineur au moment des faits, et notamment s’il n’a pas encore fait l’objet d’une condamnation, le jugement soit prononcé dans un délai de trois mois à compter de la clôture du dossier, c’est-à-dire de la date de la réception du dossier d’enquête par le parquet.
Pour ce genre d’affaires, il est important que les décisions soient rapides, tant pour l’auteur des faits et pour la victime que pour le corps social, qui doit constater une réaction de la société à des faits qui troublent gravement l’ordre public.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Nous sommes tout à fait d’accord avec la première partie de votre exposé, mon cher collègue : un amendement ayant le même objet a déjà été adopté à l’Assemblée nationale, et la commission des lois du Sénat, pour plus de lisibilité, a transféré la disposition correspondante à l’article 4 sexies. Vous avez donc satisfaction.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Monsieur Charles Gautier, l’amendement n° 13 est-il maintenu ?
M. Charles Gautier. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L’article 1er A a été supprimé par la commission, mais l’amendement n° 34, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, tend à le rétablir dans la rédaction suivante :
L'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifié :
1° Le I et le II sont ainsi rédigés :
« I. - Sont autorisés par décret du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense nationale. L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés est publié en même temps que le décret autorisant le traitement.
« II. - Sont autorisés par la loi les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et :
« 1° Qui intéressent la sécurité publique ;
« 2° Qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté ;
« 3° Qui portent sur des données mentionnées au I et II de l'article 8. »
2° Le III et le IV sont abrogés.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il y a quelques semaines, un décret, publié le jour de la Sainte-Edwige (sourires sur les travées du groupe socialiste), créait deux bases de données, qui sont en réalité des fichiers dont l’un concerne directement la proposition de loi que nous examinons, puisqu’il vise au fichage des membres de bandes organisées violentes.
Nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à avoir désapprouvé la création par décret de fichiers dont la mise en œuvre est susceptible de porter atteinte au droit et à la vie privée.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement visant à apporter quelques modifications à la loi informatique et libertés, en vue de subordonner la création de fichiers de ce type à une autorisation du Parlement.
En premier lieu, sans modifier le régime réglementaire des fichiers relatifs à la sûreté et à la défense, nous proposons de prévoir que leur création fasse nécessairement l’objet d’un décret, auquel sera obligatoirement joint un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.
La seconde modification, qui est la plus importante, vise à donner au Parlement un droit de regard sur la création de fichiers relatifs à la sécurité publique, à la prévention ou à la poursuite d’infractions.
Je tiens à rappeler, à cet égard, que le pouvoir exécutif ne détient pas le monopole de la protection des libertés individuelles. Le Sénat et l’Assemblée nationale doivent pouvoir, au même titre que le Gouvernement, décider de la création de tels fichiers et de leur contenu.
Cet amendement tend à aménager cette possibilité, en ajoutant à la liste des données soumises au contrôle du Parlement celles qui sont dites « sensibles ». De ce fait, un débat pourra avoir lieu au Parlement sur ces questions. Du reste, nous aurions dû pouvoir débattre de la présence d’informations sur l’origine géographique des personnes dans la base de données relative à la prévention des atteintes à la sécurité publique, dont le décret portant la création a été publié sans même que le Parlement ait été informé préalablement.
Je vous propose, mes chers collègues, de prévenir de nouvelles surprises de cet ordre. Si vous adoptez cet amendement, la création de tout fichier sera soumise au contrôle préalable du Parlement, et ne pourra être décidée par le Gouvernement sans son consentement. Il me semble que c’est la moindre des choses, s’agissant d’un domaine où les atteintes aux libertés sont patentes.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Outre le fait que cet amendement est assez éloigné de l’objet de la proposition de loi, je précise que nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne se sont prononcés, dans leur rapport consacré au droit à la vie privée à l’heure des mémoires numériques, en faveur de la compétence exclusive du législateur en matière de création de fichiers de police.
L’article 4 de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, qui a été déposée la semaine dernière, tend à mettre en œuvre cette préconisation. Je propose donc de renvoyer la discussion de l’amendement à l’examen de cette proposition de loi et, dans cette attente, j’émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Outre l’argument développé par M. le rapporteur, je rappelle que la création de ces fichiers est autorisée par arrêté du ministre concerné ou, lorsqu’ils comportent des données sensibles, par décret en Conseil d’État.
Votre proposition, madame la sénatrice, tend à encadrer trop rigoureusement la procédure de création de ces fichiers, au risque de freiner le mouvement actuel de régularisation, sans apporter de garantie véritablement nouvelle. Elle contredit en outre l’esprit de la réforme de 2004 permise par la loi informatique et libertés, qui allège les formalités préalables à la création des fichiers. Elle contrevient, enfin, aux articles 34 et 37 de la Constitution, en élevant au niveau législatif des dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. On peut toujours considérer qu’il faut davantage passer par la loi, mais ce serait l’objet d’un débat en soi. Il conviendra, le moment venu, de faire la part des choses.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout d’abord, il est clair que l’amendement présenté par Mme Boumediene-Thiery est lié au texte.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, le Gouvernement, en l’espèce M. le ministre de l’intérieur, a explicitement prévu la lutte contre ce type de violences dans les attendus d’un décret publié un dimanche récent. Il est donc difficile d’arguer que cet amendement n’a pas de rapport avec la présente proposition de loi !
Par ailleurs, je suis très étonné de votre argumentation, monsieur le secrétaire d’État, sur un sujet de cette importance pour les libertés publiques.
L’un des décrets pris par M. Brice Hortefeux prévoit la possibilité de procéder au fichage des opinions politiques, syndicales, philosophiques et religieuses des personnes, par exemple pour lutter contre les violences dans les stades, sujet également traité dans le présent texte. Je m’étais insurgé contre la possibilité d’un tel fichage à l’occasion d’une question d’actualité au Gouvernement, en demandant à Mme Yade si elle pensait vraiment qu’il était nécessaire, pour lutter contre la violence dans les stades, de ficher les opinions philosophiques ou religieuses des citoyens et des responsables des clubs sportifs. C’est totalement aberrant ! Je suis persuadé que le Parlement, s’il avait été saisi, n’aurait pas cautionné une telle dérive.
Je rappelle qu’une proposition de loi ayant été déposée par Mme Batho, députée socialiste, et M. Bénisti, député de l’UMP, puis adoptée par la commission des lois de l’Assemblée nationale, ainsi qu’un rapport de Mme Escoffier et de M. Détraigne, adopté par la commission des lois du Sénat, préconisent que le Parlement soit saisi préalablement à la création de ce type de fichiers, ce que M. Hortefeux s’est empressé de ne pas faire ! (M. le président de la commission des lois proteste.)
Je m’étonne, monsieur le secrétaire d’État, que vous contredisiez les députés et les sénateurs que je viens de citer, en expliquant qu’il serait inconstitutionnel que le Parlement soit saisi ou que ce serait contraire à la loi informatique et libertés. Il est évident que la création de fichiers relatifs aux opinions des citoyens pose un grave problème au regard des libertés publiques et relève du Parlement !
Si cet amendement de Mme Boumediene-Thiery était adopté, au moins cette proposition de loi acquerrait-elle quelque consistance !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De toute façon, vous ne la voterez pas !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous soutenons cet amendement avec beaucoup de force.
M. le président. En conséquence, l’article 1er A demeure supprimé.
Article 1er
Après l’article 222-14-1 du code pénal, il est inséré un article 222-14-2 ainsi rédigé :
« Art. 222-14-2. – Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
« Dans l’année suivant la publication de la loi n° du renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation des dispositions du présent article. »
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article vise à réprimer non pas les violences commises en bande, mais, de manière préventive, le simple fait de participer à une bande, même si cette dernière n’a pas commis de violences.
Nous souhaitons la suppression de cette disposition, pour plusieurs raisons.
D’abord, cette nouvelle incrimination ne se justifie pas. Il existe déjà un arsenal juridique amplement suffisant pour sanctionner les infractions virtuelles visées par la disposition présentée : violences commises en groupe, violences entre bandes rivales, atteintes aux biens commises en réunion, sanction préventive des attroupements, association de malfaiteurs, etc.
Ces incriminations sont potentiellement applicables aux faits évoqués à l’article 1er. Une seule différence doit être relevée, mais elle est de taille : normalement, une personne est punie pour des actes matériels précis, conformément au principe de la légalité des délits et peines. Or l’article 1er vise une incrimination exclusivement fondée sur l’intention, en l’absence de faits matériels de violence. Sur la base d’éléments matériels qui n’ont rien à voir avec l’infraction elle-même, on va décider que ces personnes vont commettre des violences, alors qu’elles ne passeront peut-être jamais à l’acte.
L’élément intentionnel suffit en l’occurrence, alors qu’en droit pénal une infraction se définit non seulement par un élément psychologique, mais également par un élément matériel : la réalisation de l’intention.
L’article 1er a précisément pour objet de punir les membres d’une bande avant qu’ils ne commettent les violences visées : il s’agit purement et simplement d’une présomption de culpabilité.
Un juge ne recourra jamais à un tel article : d’abord, aucun magistrat ne fondera une condamnation sur une intention, puisque les faits matériels évoqués dans le texte sont flous ; ensuite, il faut que la personne ait participé « sciemment » à un groupement qui projette de commettre des violences, or comment le juge va-t-il s’assurer que cette participation est intervenue en connaissance de cause ?
Les modifications apportées au texte par la commission des lois n’y changent rien : le délit en cause reste un délit virtuel, que notre droit récuse. On ne condamne pas en fonction du virtuel, monsieur le secrétaire d'État !
Enfin, ce délit est en totale contradiction avec le principe constitutionnel de personnalité des délits et des peines, qui interdit la responsabilité pénale collective : on ne peut être poursuivi que pour ses propres actes. Or, aux termes de l’article 1er, c’est bien le simple fait de participer à une bande violente qui constituerait un délit.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 35 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 52 est présenté par MM. Mézard et Collin.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Jean-Pierre Sueur. La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait la création, dans le code pénal, d’un article 222-14-2 ainsi rédigé :
« Le fait de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou des destructions ou dégradations de biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. »
Ce texte visait à réprimer non pas les faits, mais l’intention de participer à des violences portant atteinte aux personnes ou aux biens. Il posait d’emblée la question de l’intention délictueuse, qui est complexe à établir, car cela suppose, d’une part, la preuve que le groupement s’apprête à commettre des faits répréhensibles, et, d’autre part, la connaissance par chacun des membres du groupe des infractions préparées.
Je vous donne acte, monsieur le rapporteur, que la rédaction que vous proposez est meilleure, ou en tout cas moins mauvaise ! Elle se rapproche de la rédaction de l’article 450-1 du code pénal, qui définit l’association de malfaiteurs.
Toutefois, cet article nous paraît tout à fait inutile et susceptible de poser de lourds problèmes.
Il est inutile, car l’arsenal législatif actuel est, à l’évidence, suffisant. En effet, les textes en vigueur prévoient déjà que les violences ou dégradations sont punies plus sévèrement lorsqu’elles sont commises en réunion. La jurisprudence a étendu la notion de réunion à toute personne ayant pris part au groupe pour faire masse. Pourquoi, alors, ajouter une nouvelle disposition, puisque l’objectif est atteint ?
Par ailleurs, les circonstances aggravantes s’appliquent à tous les complices et coauteurs. Pour les actes de violences, la préméditation et le guet-apens sont des circonstances aggravantes. La loi du 5 mars 2007 a, en outre, créé le délit d’embuscade, qui consiste dans le fait d’attendre en un lieu déterminé et durant un certain temps des représentants des forces de l’ordre dans le dessein « caractérisé par un ou plusieurs faits matériels » de commettre à leur encontre des violences avec usage ou menace d’une arme.
De manière subsidiaire, j’ajoute que la rédaction de l’article 1er ne conserve pas l’architecture du code pénal, dont le livre II est consacré aux personnes et le livre III aux biens. Or le nouvel article 222-14-2 qu’il tend à créer, pour l’intégrer au livre II du code pénal, réprime la participation à un groupement en vue de la commission d’atteintes non seulement aux personnes, mais également aux biens. Ce n’est pas très cohérent !
En conclusion, je souhaite insister sur le fait que le dispositif de l’article 1er s’appliquerait à un groupement « même formé de façon temporaire ». Quelle temporalité prendre en compte, monsieur le secrétaire d'État ? Si, pendant quelques minutes, des personnes demeurent les unes à côté des autres,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le temps de parole est écoulé !
M. Jean-Pierre Sueur. … font-elles partie, pour autant, d’un groupement ? Qu’entend-on par « groupement formé de façon temporaire » ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est fini !
M. Jean-Pierre Sueur. Il serait tout à fait étrange, voire exorbitant, de punir une personne pour s’être simplement trouvée à côté d’une autre, animée pour sa part d’intentions violentes ou se préparant à commettre des actes répréhensibles ! Qu’est-ce qu’un regroupement aléatoire de personnes se côtoyant à titre tout à fait temporaire ? Nous sommes ici dans l’imprécision la plus totale, dans une confusion générale ! Bien entendu, le Conseil constitutionnel ne pourra admettre une rédaction aussi confuse.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. M. Sueur a parlé quatre minutes, monsieur le président !
M. le président. Mes chers collègues, essayons de respecter les temps de parole !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne faut pas essayer, il faut les respecter ! Nous avons des pendules électroniques pour cela !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 35.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er, qui crée une présomption d’infraction en instaurant l’infraction de participation à un attroupement ayant l’intention de commettre des violences.
Si une personne se trouve dans un groupe qui semble se préparer à commettre des infractions, elle pourra être inquiétée par la justice. L’absence de toute définition de la notion de bande peut laisser un très large pouvoir d’interprétation à celles et à ceux qui seront chargés d’appliquer la future loi. L’arbitraire est à craindre, et les problèmes, au lieu d’être résolus, risquent de se trouver aggravés.
Les juridictions pénales qui vont être saisies sur ce motif d’accusation auront ainsi beaucoup de difficultés à appliquer la mesure. Elles devront en effet se fonder non sur des faits commis, mais sur la volonté de la personne de passer à l’acte. En clair, il leur faudra constater ce que les membres de la bande auraient pu faire !
La présomption d’infraction sera donc suffisante pour déclarer la culpabilité de la personne. Il s’agit, en fait, d’une présomption de culpabilité. En poussant jusqu’au bout le raisonnement, une personne pourra être poursuivie alors qu’aucune infraction n’aura été commise.
Comme cela a été indiqué lors des auditions de la commission, les violences commises en groupe ont souvent un caractère spontané. Il sera donc très compliqué de prouver l’intention délictuelle de la personne mise en cause.
De plus, il est bien rare que les forces de l’ordre soient présentes dès le début du passage à l’acte. Rapporter la preuve de la responsabilité individuelle de la personne pour cette incrimination sera donc pratiquement impossible.
Enfin, dans le cas où la personne commet une infraction, des textes existants, comme celui qui est relatif aux violences en réunion, peuvent être appliqués, et d’une manière plus efficace. Point n’est donc besoin d’une loi supplémentaire, je le répète, pour réprimer les violences commises en groupe.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 52.
M. Jacques Mézard. Cet amendement a également pour objet la suppression de l’article 1er, puisque nous considérons que l’arsenal juridique actuel permet déjà de réprimer les délits commis en groupement.
Le rapport de la commission rappelle les objectifs visés par la création de l’incrimination et les propos de l’auteur de la proposition de loi : « L’infraction nouvelle a une visée avant tout préventive, en amont de la commission de faits de violences ou de dégradations. »
Le rapport rappelle aussi, très justement, qu’il existe déjà « une incrimination proche du délit d’appartenance à une association de malfaiteurs ». Effectivement, l’article 450-1 du code pénal réprime « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».
On nous objecte que ces dispositions ne sont pas adaptées à la répression de violences légères. L’argumentation aurait pu être meilleure, car il était possible, à cette fin, de modifier la rédaction de l’article 450-1 du code pénal !
En réalité, il s’agit d’un effet d’annonce : il faut envoyer un message médiatique.
La commission, qui a certes amélioré le texte, a adapté la rédaction du délit « afin de viser la personne qui participe sciemment à un groupement (même formé de façon temporaire) en vue de la préparation de violences ou de dégradations. […] En outre, cette rédaction substitue à la notion de “but poursuivi”, celle de “préparation”, qui est susceptible d’être caractérisée par des éléments matériels plus objectifs (une annonce sur un blog ou un port d’arme par exemple). »
Que l’on puisse fonder des poursuites sur un port d’arme, soit, mais sur une annonce sur un blog… Je souhaite bon courage aux magistrats pour essayer d’établir une jurisprudence stable en la matière !
En résumé, l’arsenal législatif existant est suffisant. Il suffit de l’appliquer correctement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit ici de l’un des articles phares de la présente proposition de loi.
Le phénomène des bandes n’est pas sociologiquement connu depuis très longtemps. Toutes les personnes que nous avons interrogées nous ont parlé de la spécificité des bandes actuelles et de cette forme de délinquance.
Ainsi, M. Alain Bauer, sociologue qui préside l’Observatoire national de la délinquance, a tenu les propos suivants à cet égard : « La criminalité change et évolue. Les outils pour la combattre sont multiples, mais souvent lents à mettre en place. Dans un État de droit, la loi doit être utilisée de plus en plus pour s’adapter au mode opératoire. »
En s’exprimant ainsi, ce sociologue fait du droit pénal, parce qu’à l’inverse de toutes les autres branches du droit, exception faite du droit fiscal, le droit pénal s’interprète restrictivement, et il n’appartient pas à un magistrat de déterminer quels sont les éléments constitutifs d’une infraction.
Dès lors qu’une forme de délinquance n’est pas envisagée par les textes existants, les juges ne peuvent y répondre. L’article 1er de la proposition de loi tend à combler une telle lacune. Vous craignez, mes chers collègues, que les magistrats ne fassent une interprétation large de sa rédaction, or c’est juridiquement impossible, puisque, en droit pénal, ils doivent en rester à une interprétation stricte.
Pour le reste, nous devons maintenant nous concentrer non pas sur le texte de l’Assemblée nationale, mais sur celui de la commission des lois du Sénat, qui a considérablement modifié la rédaction de l’article 1er, sur trois points.
Premièrement, la définition de l’infraction a été revue afin de viser la personne qui participe à une bande dans le but de préparer des violences ou des dégradations. Dans cette rédaction, le groupement est non pas le sujet de l’action, mais seulement le moyen de préparer des violences. Il s’agit bien ici de viser la responsabilité personnelle de l’individu, et non d’instaurer une forme de responsabilité collective. La lecture du texte permet de l’établir très nettement.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas toujours très clair !
M. François Pillet, rapporteur. Deuxièmement, la nouvelle rédaction a substitué la notion d’acte préparatoire à celle de buts poursuivis, laquelle me paraissait effectivement assez floue. Cette notion d’acte préparatoire est plus objective, et figure d’ailleurs déjà dans notre droit, au sein de la définition du délit d’association de malfaiteurs, qualification sur laquelle nous ne pouvions cependant pas nous appuyer, parce qu’un groupement ou une bande se constitue fugacement, ex nihilo.
M. Jean-Pierre Sueur. Des gens qui se trouvent sur le même trottoir !
M. François Pillet, rapporteur. Ne faites pas dire au texte ce qu’il ne dit pas, monsieur Sueur, et surtout ne faites pas dire aux magistrats qui l’interpréteront ce qu’ils ne diront jamais !
La préparation de violences volontaires contre les personnes ou d’atteintes aux biens devra en outre être caractérisée par des faits matériels, comme par exemple des annonces sur un blog, en effet. Voilà qui nous rapproche d’autres infractions, telles les menaces contre les biens ou les personnes, qu’elles soient verbales ou écrites.
M. Jacques Mézard. Justement !
M. François Pillet, rapporteur. Troisièmement et surtout, nous avons souhaité abaisser les peines encourues, afin que la préparation de l’infraction ne soit pas punie à la même hauteur, voire plus sévèrement, que l’infraction elle-même.
En conclusion, je considère que la commission est parvenue à un équilibre entre la nécessaire poursuite des infractions visées et le respect des principes généraux du droit. Les poursuites sur le fondement de ce texte ne seront d’ailleurs peut-être pas nombreuses, et je m’en réjouis à l’avance. En effet, quelque 222 bandes et 2 500 personnes seulement peuvent potentiellement être concernées par le dispositif.
La commission émet un avis défavorable.
M. René Garrec. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. L’argumentation que vient de développer M. le rapporteur est à la fois précise, complète et convaincante. Je ne vais pas la paraphraser, et me bornerai à revenir sur la définition du nouveau délit, qui a été améliorée par la commission des lois du Sénat. Elle est désormais suffisamment précise pour ne créer aucune responsabilité collective : nous le martèlerons autant que nécessaire ! Il s’agit bien d’une infraction dite « obstacle », comme il en existe d’autres aujourd’hui dans notre droit pénal, et non d’une infraction qui serait fondée sur des éléments virtuels.
Émettre un avis défavorable est vraiment la seule réponse possible à ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. Mes chers collègues, on ne cesse de nous répéter qu’il faut moderniser notre législation et l’adapter à la délinquance d’aujourd’hui, qui prendrait des formes auparavant inconnues, au nombre desquelles le phénomène des bandes. À qui fera-t-on croire cela ? Les bandes existent depuis que la société existe ! La mémoire collective aura retenu la bande à Bonnot, voilà un siècle, les « J3 » ou les bandes de West Side Story, qui nous ramènent plus de cinquante ans en arrière… Il s’agit donc d’un phénomène ancien.
Par ailleurs, M. le rapporteur a cité un sociologue qui ne l’a jamais été, mais passons… Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État, vous essayez de nous rassurer en affirmant qu’il ne s’agit pas de fonder l’infraction sur des éléments virtuels. Cependant, vous avez vous-même reconnu, parce que c’est l’évidence, qu’une manifestation peut être détournée de son objet et mal se terminer, par des bris de vitres, des attaques contre les forces de l’ordre ou d’autres dérapages du même type. Les participants à la manifestation étaient venus avec des intentions diverses, celles des fauteurs de troubles n’étant pas les mêmes que celles des organisateurs. Or distribuer des tracts pour appeler à une manifestation constitue un fait préparatoire, qui pourra servir à fonder ultérieurement des poursuites si la dispersion donne lieu à la commission de faits délictueux ! N’importe quel manifestant pourra être incriminé ! Si c’est ce que vous voulez, dites-le, mais il est inconcevable de faire porter à quelqu’un la responsabilité d’un acte commis par une personne venue se mêler à la manifestation uniquement pour la détourner de son objet.
M. René Garrec. Il ne s’agit pas uniquement des manifestations !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, je voudrais rendre hommage à M. le rapporteur : monsieur Pillet, vous êtes vraiment un bon soldat, et on en a souvent besoin en politique, dans tous les partis, d’ailleurs…
M. Charles Revet. Faut-il le prendre comme un compliment ?
M. Jean-Pierre Sueur. Mais oui, c’est un vrai compliment ! Et il vous revient, monsieur le rapporteur, parce que vous avez fourni de grands efforts pour rendre le texte plus acceptable – ou moins inacceptable. Cependant, votre argumentation confine à l’argutie.
M. Charles Revet. Je me doutais bien que cela allait tourner…
M. Jean-Pierre Sueur. Vous le sentiez venir, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Charles Revet. Le début était trop gentil ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il ne s’agit pas d’être méchant, il s’agit d’être concret !
Imaginez que vous vous teniez sur le trottoir avec d’autres collègues. C’est là votre droit le plus strict, et vous pouvez même vous aventurer sur la chaussée si vous participez à une manifestation, ce qui est tout à fait estimable. Cependant, le simple fait de côtoyer des personnes ayant des intentions violentes fait de vous un membre d’un de ces groupements temporaires visés à l’article 1er.
Or vous nous expliquez, monsieur le rapporteur – et c’est là que j’admire votre dialectique –, que le groupement ne saurait être considéré comme l’auteur des faits s’il y a passage à l’acte, car ce serait inconstitutionnel, mais qu’il est un moyen. Une personne est présente, par hasard, au milieu d’un groupement conjoncturel, de surcroît temporaire, et ce groupement devient le moyen par lequel un individu est censé accomplir un acte répréhensible… Pour prendre une comparaison que tout le monde comprendra, une pierre sera considérée comme une arme par destination si elle sert à commettre un acte de violence.
En définitive, le groupement conjoncturel, temporaire et aléatoire, par vous qualifié de moyen, monsieur le rapporteur, permettrait d’exclure la responsabilité collective, puisque la personne en question agit individuellement au moyen dudit groupement… Vous déployez de grands efforts pour nous convaincre, mais je suis au regret de vous dire que vous n’y êtes pas parvenu.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 35 et 52.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis
(Supprimé)
M. le président. Je rappelle que l’article 1er bis a été supprimé par la commission.
Article 2
(Supprimé)
M. le président. Je rappelle que l’article 2 a été supprimé par la commission.
Article 2 bis
Après l’article 11-4 de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, sont insérés trois articles 11-5, 11-6 et 11-7 ainsi rédigés :
« Art. 11-5. – Les propriétaires, exploitants ou affectataires d’immeubles ou groupes d’immeubles collectifs à usage d’habitation peuvent constituer une personne morale dont l’objet est l’exercice, pour le compte de ses membres, de l’activité mentionnée au 1° de l’article 1er, dans les conditions prévues par l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation.
« Les agents de cette personne morale peuvent être nominativement autorisés par l’autorité préfectorale à porter une arme de sixième catégorie dans l’exercice de leurs missions.
« Un décret en Conseil d’État précise les types d’armes susceptibles d’être autorisés, leurs conditions d’acquisition et de conservation par la personne morale, les modalités selon lesquelles cette dernière les remet à ses agents, les conditions dans lesquelles ces armes sont portées pendant l’exercice des fonctions de gardiennage ou de surveillance et remisées en dehors de l’exercice de ces fonctions, les modalités d’agrément des personnes dispensant la formation à ces agents ainsi que le contenu de cette formation.
« Art. 11-6. – Les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire ou, pour les ressortissants étrangers, dans un document équivalent, ne peuvent exercer les fonctions prévues à l’article 11-5. Il en va de même :
« 1° Si l’agent a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion non abrogé ou d’une interdiction du territoire français non entièrement exécutée ;
« 2° S’il a commis des actes, éventuellement mentionnés dans les traitements automatisés et autorisés de données personnelles gérés par les autorités de police, contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs ou de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État.
« L’embauche d’un agent par la personne morale constituée en application de l’article 11-5 est subordonnée à la transmission par le préfet de ses observations relatives aux obligations mentionnées aux alinéas précédents.
« Art. 11-7. – La tenue et la carte professionnelle, dont les agents des personnes morales prévues à l’article 11-5 sont obligatoirement porteurs dans l’exercice de leurs fonctions, ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police.
« Dans des cas exceptionnels définis par décret en Conseil d’État, ils peuvent être dispensés du port de la tenue. »
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article est important, car il témoigne de manière frappante de la volonté du Gouvernement de privatiser une des missions régaliennes de l’État : le maintien de la sécurité publique.
En donnant la possibilité à des agents de surveillance et de sécurité non seulement de se comporter comme des agents de police, mais en plus de porter une arme, ce texte pousse le désengagement de l’État à son paroxysme.
La situation de la police nationale est catastrophique : j’en veux pour preuve la journée nationale d’action du 3 décembre prochain. Nous connaissons les raisons de ce malaise : pertes d’effectifs, quotas imposés, conditions de travail qui se dégradent.
À ces problèmes, que répond le Gouvernement ? La solution est simple : transformer des gardiens d’immeuble en policiers. Tel est en effet l’objet de cet article, inspiré par des préoccupations avant tout budgétaires : les problèmes d’effectifs dans la police et la gendarmerie sont résolus par le recours à la sous-traitance en matière de sécurité publique. Employer cette méthode est grave, puisqu’elle vise finalement à une privatisation rampante des missions de service public. Après La Poste, il semble que le tour de la police soit venu !
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur les dangers d’une telle démarche. Les agents de police reçoivent une formation complète, alliant la maîtrise des armes et le respect de la déontologie. Ne peut s’improviser policier qui veut. Or c’est pourtant exactement ce que cet article prévoit : les agents de sécurité pourront porter des armes, et pas seulement des bâtons de défense comme les tonfas, mais également des couteaux ou des armes de poing. L’ironie est poussée à son maximum, puisqu’il est même prévu que les agents de sécurité pourront ne pas porter de tenue identifiable !
Monsieur le secrétaire d’État, ce mélange des genres est grave et dangereux. L’autorité de la police repose sur son unicité, sur sa cohésion, sur sa compétence exclusive pour assurer les missions de sécurité. Nous refusons que des agents de sécurité, dont la formation est rudimentaire et dont le recrutement ne repose sur aucun concours, puissent se substituer à la police. C’est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 36 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier, pour présenter l’amendement n° 2.
M. Charles Gautier. Selon les députés qui l’ont introduit par voie d’amendement, l’article 2 bis est censé faire suite au constat selon lequel « les parties communes de certains immeubles d’habitation gérés par les bailleurs sociaux sont régulièrement occupées par des bandes. Pour répondre à cette situation, de nombreux bailleurs ont constitué des groupements d’intérêt économique afin d’assurer la surveillance des immeubles telle qu’elle est prévue par l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation. À Paris, par exemple, les agents de ce groupement d’intérêt économique, dénommé GPIS, effectuent des rondes dans le patrimoine privé des bailleurs sociaux, assurant ainsi la sécurité de presque 70 000 logements et les interventions sur appel des locataires.
« Afin de sécuriser des sites particulièrement problématiques, ils procèdent à des visites approfondies du patrimoine, à des rondes renforcées et mènent des opérations conjointes ou coordonnées avec les services de police. »
Le présent article prévoit donc que les agents de la personne morale ainsi constituée seront nominativement autorisés par l’autorité préfectorale à porter une arme de sixième catégorie.
Mes chers collègues, nous ne pouvons que nous étonner d’une telle disposition ! En effet, aux termes de l’article 10 de la loi n° 83-629 réglementant les activités privées de sécurité, les transporteurs de fonds se voient refuser ce même port d’armes s’il existe un dispositif de destruction des billets et si les fonds sont transportés dans des véhicules banalisés, de même que les agents exerçant des activités de protection de l’intégrité physique des personnes. Ces professionnels sont pourtant autrement plus exposés aux agressions que les agents de personnes morales que je viens d’évoquer !
Le port d’armes ne doit être autorisé que dans des circonstances très particulières. L’autoriser trop largement risquerait d’entraîner une généralisation de l’usage des armes qui n’est pas souhaitable. La sécurité doit être assurée par l’État, et le manque de fonctionnaires de police dans certains quartiers ou cités ne doit pas être pallié par la création de « milices » privées.
Dans le rapport de la commission, la mention selon laquelle « la tenue et la carte professionnelle » de ces agents « ne doivent pas entraîner une confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police » en dit long sur le mélange des genres qui est à l’œuvre…
Nous demandons donc la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 36.
Mme Éliane Assassi. Notre groupe, lui aussi, souhaite la suppression de cet article, qui tend à permettre aux propriétaires et aux exploitants d’immeubles d’armer leurs agents chargés de la sécurité. Ainsi, pour lutter contre les bandes violentes, on nous propose rien de moins que d’armer les agents qui surveillent les immeubles !
On peut d’ailleurs trouver étrange qu’une telle disposition figure dans un texte qui vise à lutter contre les bandes violentes, car cela donne à entendre que les membres de ces groupes sévissent tous dans des immeubles. Un raccourci facile est ainsi établi entre les quartiers populaires et la délinquance et, de la sorte, on stigmatise encore plus les jeunes de ces quartiers.
Outre qu’elle est dangereuse, bien entendu, cette disposition est irresponsable : ce n’est pas en élargissant la détention d’armes que l’on réglera le problème de l’occupation des entrées d’immeubles, par exemple. Au pis, elle risque fort de susciter une grave augmentation des « bavures », sinon des homicides.
Sans vouloir être désobligeante à leur égard, je rappellerai que les agents concernés n’ont qu’une vague notion de l’usage de ces armes. Ce ne sont pas des membres des forces de l’ordre et, comme je le soulignais tout à l'heure, ils ne peuvent pallier la réduction du nombre de policiers sur le terrain.
Pour reprendre les théories de Max Weber, seul l’État doit disposer du droit à l’usage de la violence légitime ; seule la puissance publique doit être habilitée à user de la force quand la situation l’exige.
Cette quasi-police privée pourra donc se doter d’armes de sixième catégorie, c'est-à-dire, pour être précis, de bombes lacrymogènes, de poings américains, de matraques, de couteaux – bref, un véritable arsenal !
Non seulement vous ouvrez ainsi la porte à la privatisation de la sécurité, mais vous mettez en place un dispositif extrêmement dangereux, qui ne fera qu’envenimer des situations déjà tendues. En effet, on n’a jamais vu une situation violente se régler durablement par un recours à cette même violence, or c’est exactement ce que vous proposez !
Cette disposition s’inscrit dans une logique d’ouverture croissante des missions de service public au secteur privé. Or la sécurité des citoyens doit rester l’apanage de la seule puissance publique. C’est pourquoi nous nous opposons farouchement à cette mesure, qui sera contre-productive car elle ne fera que favoriser l’usage de la violence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Je puis comprendre que l’on s’oppose à ce type de dispositions, mais on aurait pu le faire plus tôt, puisque la loi du 12 juillet 1983 – cette date n’est pas anodine ! –, qui réglemente les activités de sécurité privées, autorise déjà des agents de sécurité ou de gardiennage à porter une arme, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État…
Le dispositif présenté à l’article 2 bis de la proposition de loi est beaucoup plus précis, dans la mesure où il limitera cette autorisation aux armes de sixième catégorie et où un décret en Conseil d'État, qui sera spécifiquement dédié à ce type d’activités, viendra réglementer ses conditions d’application.
Ce décret précisera que seules les matraques, du type des bâtons de défense ou des tonfas, seront autorisées. Sur le modèle du décret relatif aux agents de surveillance de la RATP et de la SNCF, il précisera également que l’arme ne peut être utilisée qu’en cas de légitime défense : ce ne sera pas un moyen d’agression. Enfin, le décret prévoira une formation professionnelle obligatoire aux techniques de défense avec ce type d’armes de sixième catégorie.
Pour toutes ces raisons, et surtout eu égard au fait que certains agents de sécurité ou de gardiennage sont déjà autorisés à porter une arme qui, grâce à ce texte, sera exclusivement de sixième catégorie, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Comme ce point semble sensible, je me permettrai de m’y attarder quelque peu, quitte à reprendre parfois certains des arguments excellemment développés par M. le rapporteur.
Tout d'abord, je le répète, nous précisons des possibilités qui existent déjà, et pour cause : le personnel qui travaille dans des immeubles ou des groupes d’immeubles est confronté à des agressions. Rien qu’à Paris, en 2007, 63 agents de sécurité du groupement parisien inter-bailleurs de surveillance, une société honorable et qui a pignon sur rue, ont été victimes de violences verbales ou physiques dans l’exécution de leurs fonctions ; en 2008, ce nombre s’élevait à 112, sur un effectif de 300 agents. Il s'agit donc d’un problème réel, et non d’un phantasme.
Si certaines des questions posées par les auteurs des amendements sont légitimes, ce texte apporte toutes les garanties nécessaires.
Mme Boumediene-Thiery indiquait à l’instant que les armes de sixième catégorie comprenaient les couteaux : je souligne tout de même que la référence aux armes de sixième catégorie se trouve complétée par un renvoi à un décret en Conseil d'État, qui précisera les choses. Les armes de sixième catégorie dont il s’agit ici seront plutôt des bombes lacrymogènes ou autres matériels qui sont habituellement affectés à ces personnels. Aucun risque ne sera pris.
Outre cette garantie, que M. le rapporteur a déjà rappelée, seuls les agents des personnes morales créées spécifiquement par les bailleurs pour exercer exclusivement une mission de gardiennage et de surveillance de leurs immeubles seront autorisés à porter ces armes. Cette disposition restrictive évitera, notamment, que des agents travaillant pour une entreprise de sécurité privée prestataire d’un bailleur social ne bénéficient de cet armement.
L’embauche des agents en question sera subordonnée à la transmission par le préfet de ses observations. Les armes ne leur seront remises qu’à l’issue d’une formation.
Enfin, ces agents, qui ne pourront bien sûr user de leur arme qu’en cas de légitime défense, n’ont évidemment pas vocation à se substituer aux forces de l’ordre. Cet argument ne tient pas ! Les agents de sécurité existent déjà, ils font partie de notre société, mais ils n’ont ni les mêmes missions, ni les mêmes armements, ni les mêmes moyens d’action que les forces de l’ordre, dont ils ne constituent pas une variable d’ajustement !
Il ne faut donc pas intenter de procès d’intention. Il s’agit de répondre à un besoin très concret, en faisant preuve de prudence et en restant fidèles à l’esprit de l’État de droit.
Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué 1983 : à cette époque, certains d’entre nous étaient de jeunes députés. Aujourd'hui, nous sommes de jeunes sénateurs. (Sourires.)
M. Charles Revet. L’essentiel, c’est d’être jeune !
M. Jean-Pierre Sueur. Il est permis d’évoluer, même s’il n’est pas nécessaire de le faire autant que M. le secrétaire d'État...
Comme vous, monsieur le secrétaire d'État, nous n’acceptons pas que des personnes soient agressées. Pour autant, et c’est là que la confusion demeure, il est impossible de soutenir que toute personne susceptible d’être agressée puisse de facto revendiquer un port d’arme. Vous voyez où nous conduirait sinon le raisonnement !
M. Charles Gautier. Ce serait le Far West !
M. Jean-Pierre Sueur. La police républicaine veille à la sécurité publique : elle est là pour prévenir et réprimer les agressions et c’est à ce titre que ses agents bénéficient d’un port d’arme. Étendre cette autorisation remettrait en cause l’existence même de cette institution républicaine qui est chargée de la sécurité publique.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous pose une nouvelle fois la question, car vous ne m’avez pas répondu. Ce matin, en commission, M. le ministre de l’intérieur, que j’ai interrogé sur l'article 2 bis, a fait part de ses critiques et s’est dit « réservé ». Cela figurera au compte rendu des travaux de la commission. Ces propos témoignent donc d’une divergence d’appréciation entre le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice.
Certes, ce n’est pas la première fois, mais, si vous demandiez que le vote de ces amendements identiques n’intervienne qu’après la suspension de nos travaux, vous pourriez mettre à profit le délai pour vous concerter avec le ministre de l’intérieur. (M. le secrétaire d'État fait des signes de dénégation.) Ainsi pourrions-nous savoir ce que pense le Gouvernement.
J’ai appris à l’école que le Gouvernement était un.
M. René Garrec. C’était une bonne école ! Cela n’a pas changé !
M. Jean-Pierre Sueur. Si le ministre de l’intérieur a émis des réticences, ce n’est pas pour rien : il a bien senti les risques de dérives que recelait cet article.
Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'État, vos efforts pour défendre cet article sont méritoires, mais vous avez bien conscience de ce qui arrivera si un port d’arme peut être accordé à tous les salariés, à tous les employés, à tous les agents d’organismes « propriétaires, exploitants ou affectataires d'immeubles ou groupes d'immeubles collectifs à usage d'habitation ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. Et pourtant, c’est cela, la réalité !
Au prochain fait divers, au prochain acte de violence, imagine-t-on le Président de la République venir annoncer sur le perron de l’Élysée : « Françaises, Français, nous allons faire une nouvelle loi pour mettre fin à ces actes de violence intolérables » ?
Non, vraiment, monsieur le secrétaire d’État, il faut que le Gouvernement se concerte. Ce sera très utile pour la République !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur Sueur, le mieux est l’ennemi du bien.
Vous avez beau développer vos arguties avec le talent qui est le vôtre, votre description du travail des sociétés de surveillance, et des dérives dramatiques vers une situation de non-droit qui ne manqueraient pas de résulter du présent texte, m’a paru totalement déconnectée de la réalité.
Il y aura bien une concertation interministérielle, notamment avec le ministère de l’intérieur, mais pour déterminer précisément le contenu du décret.
C'est la raison pour laquelle je ne sollicite aucun délai supplémentaire sur ces amendements identiques, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 36.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l’article 2 bis, à l’amendement n° 19, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
«, lorsque les immeubles ou groupes d'immeubles collectifs à usage d'habitation dans lesquels ils assurent les fonctions de gardiennage ou de surveillance sont particulièrement exposés à des risques d'agression ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 2 bis ouvre la possibilité à des agents de surveillance et de sécurité de porter des armes.
Nous sommes absolument opposés à une telle mesure, qui n’a d’autre objet que de permettre une privatisation partielle des missions de sécurité notamment dévolues à l’État.
En l’occurrence, la confusion des genres est patente : rien ne justifiera que des agents de surveillance et de sécurité puissent porter des armes, si ce n’est leur simple volonté !
Vous évoquiez la loi de 1983, mais je vous rappelle que c’est tout de même la liberté de porter des armes qui a conduit à l’augmentation catastrophique des crimes racistes et sécuritaires à l’origine de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, dont le slogan était : « Arrêtez la chasse, nous ne sommes pas du gibier ». On le voit bien, ce port d’arme est très dangereux.
Il convient donc qu’un contrôle soit opéré, puisqu’il ne s’agit pas, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, de simplement utiliser des bâtons de type tonfa. La manœuvre va bien plus loin.
Aussi, il importe de subordonner l’autorisation du port d’arme à l’existence d’un risque.
Ce risque est simple à déterminer : nous avons vu, dans le passé, des agents de sécurité se faire attaquer sans pouvoir se défendre. Dans ce cas-là, il existe un risque, et nous ne pouvons le nier.
Je vous propose donc, par cet amendement, de subordonner une autorisation de port d’arme à un risque établi d’agression possible.
L’autorisation de port d’arme ne saurait être un blanc-seing donné à la privatisation des missions de sécurité, venant appuyer la démarche du Gouvernement qui consiste à sommer la police de faire, chaque année, plus avec moins !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’exposé des motifs pourrait m’amener à exprimer de nombreuses réserves, mais le texte de l’amendement me paraît intéressant. Il correspond d’ailleurs à l’intention exprimée, à l’Assemblée nationale, par l’auteur de l’amendement dont est issu cet article.
La commission émet donc un avis favorable. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ainsi, nous débutons la soirée dans un consensus parfait !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement était a priori plus réservé.
En effet, la référence au risque particulier d’agression pouvant évidemment stigmatiser un certain nombre de territoires, l’appréciation du préfet nous paraissait plus appropriée.
Cela étant, après avoir écouté la commission, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'autorisation mentionnée à l'alinéa précédent ne peut faire l'objet d'aucune délégation. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit du caractère nominatif de l’autorisation de port d’arme.
Les services de surveillance et de sécurité dont il est question sont, en général, non pas créés par la copropriété, mais assurés par des entreprises sous-traitantes ; c’est d’ailleurs le cas pour près de 50 % des ceux qui existent à Paris.
L’article 2 bis prévoit une autorisation nominative. Cependant, qu’adviendra-t-il si le titulaire de l’autorisation n’exerce pas lui-même les missions prévues ? Ce n’est pas là un cas d’école.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de préciser non seulement que l’autorisation est nominative, mais aussi qu’elle ne peut faire l’objet d’aucune délégation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est contradictoire !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La précision visée par l’amendement n’apportant rien de nouveau, elle paraît inutile : l’autorisation de port d’arme relève du pouvoir de police administrative du préfet et elle est, à ce titre, nominative. Elle ne peut pas faire l’objet d’une délégation. Le Conseil d’État est vigilant, et sa jurisprudence, constante.
En outre, la rédaction serait source de difficultés si l’on en faisait une interprétation a contrario.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 9
1° Au début de cet alinéa, insérer une phrase ainsi rédigée :
Les agents des personnes morales prévues à l'article 11-5 doivent être identifiables.
2° Remplacer les mots :
les agents des personnes morales prévues à l'article 11-5
par le mot :
ils
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit ici du caractère identifiable des agents.
Le risque encouru par la création de véritables milices privées est celui d’une confusion des genres, que j’ai évoquée précédemment, entre agents de surveillance et police nationale.
Nous savons très bien que ce risque est probable. C’est d’ailleurs pourquoi il est prévu, dans cet article, que les tenues ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des agents de la police nationale.
Cependant, les garanties apportées par l’article contre une telle confusion sont légères.
Tout d’abord, il n’est pas écrit explicitement que les agents doivent être identifiables. C’est pourtant un point important, car l’absence d’une telle précision signifie qu’ils pourront être en civil.
Ensuite, le dernier alinéa de l’article prévoit de manière expresse la possibilité de dispenser les agents du port de la tenue et de la carte professionnelle, ce qui est un comble ! Nous reviendrons sur ce point à l’occasion de l’amendement suivant.
À ce stade, nous vous proposons d’inscrire dans la loi que les agents habilités sont identifiables. Cet ajout évitera que les tenues ne soient de nature à créer une confusion, que ce soit avec la police ou, simplement, avec les habitants du quartier.
Cette disposition permettra de beaucoup mieux reconnaître les agents de surveillance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Même si l’on peut considérer que l’obligation de porter une tenue et une carte professionnelle répond déjà à l’obligation que vous souhaitez inscrire dans la loi, la précision apportée par l’amendement n’apparaît ni inutile ni redondante. Aussi, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je m’apprêtais à m’en remettre à la sagesse du Sénat pour les raisons que vient d’évoquer M. le rapporteur, mais, pour ces mêmes raisons, j’émettrai un avis favorable !
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à supprimer l’exonération du port de la tenue.
Nous avons bien conscience du fait que la mode est actuellement à la privatisation, mais, lorsque l’on touche aux missions fondamentales, la confusion des genres peut avoir des conséquences très graves.
Nous ne voyons aucune raison qui puisse justifier la possibilité, pour des agents de surveillance, de ne pas porter une tenue spéciale ni leur carte professionnelle, comme je l’ai dit précédemment.
Il est étonnant que, au sein de ce même article, l’accent soit d’abord mis sur l’absence de confusion entre agents de sécurité et agents de police pour, ensuite, autoriser cette confusion, voire l’encourager.
Nous avons toutes les raisons de craindre que ces dérogations ne portent en elles des risques d’excès.
Ainsi, les agents de sécurité pourraient se prendre pour des agents de police, alors qu’ils n’en ont ni la formation, ni l’expérience : ce serait leur donner un pouvoir trop important.
En outre, les dérogations risqueraient de se banaliser.
Ces agents ne doivent pas se substituer à la police nationale dans la mission de sécurisation des quartiers. Ce n’est pas leur rôle et ils ne sont pas formés pour cela. Le maintien de la paix et de la sécurité publiques reste une mission régalienne de l’État.
Ne prenons pas le risque de voir ces agents se substituer peu à peu à notre police ! Cela pourrait satisfaire le ministère de l’intérieur, mais la police nationale est avant tout une police républicaine, avec une tradition, une déontologie et, surtout, une hiérarchie. Il serait intolérable de la « court-circuiter » dans ses missions en recourant à des substituts privatisés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’alinéa prévoyant que, dans des cas exceptionnels définis par décret en Conseil d’État, les agents de surveillance peuvent être dispensés du port de la tenue, est calqué sur les dispositions relatives au service de sécurité de la RATP et de la SNCF.
On peut imaginer que les solutions prévues pour certains agents peuvent être adaptées à d’autres.
Dans certaines hypothèses, il paraît légitime de prévoir qu’un agent de surveillance ou de gardiennage peut être dispensé du port d’une tenue spéciale.
Je me propose de solliciter l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je ne suis pas insensible à l’argumentation de Mme Alima Boumediene-Thiery. Le sujet mérite quelques précisions.
Tout d’abord, la matière relève non de la loi mais du décret, en l’occurrence un décret en Conseil d’État.
Certains agents de la SNCF ou de la RATP sont affectés à des missions de sécurité. Il ne faut pas s’interdire d’emblée et complètement cette possibilité de dispense de port de la tenue pour des interventions très clairement délimitées et exceptionnelles.
Je suis à 99 % d’accord avec vous, madame Boumediene-Thiery, mais, me référant expressément à ces entreprises très républicaines que sont la SNCF et la RATP - même si personne n’est exempt de critique -, j’estime qu’il faut maintenir cette possibilité pour en user dans le cadre très strict que je viens de rappeler.
Votre amendement est pertinent. Néanmoins, le Gouvernement est défavorable en considération de ces cas très exceptionnels.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2 bis, modifié.
(L'article 2 bis est adopté.)
Article 3
(Non modifié)
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après le 14° des articles 222-12 et 222-13, il est inséré un 15° ainsi rédigé :
« 15° Par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
2° Après le 9° de l’article 311-4, il est inséré un 10° ainsi rédigé :
« 10° Lorsqu’il est commis par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
3° L’article 312-2 est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Lorsqu’elle est commise par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
4° Après le 5° de l’article 322-3, il est inséré un 6° ainsi rédigé :
« 6° Lorsqu’elle est commise par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
5° (Supprimé)
6° L’article 431-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’infraction définie au premier alinéa est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque son auteur dissimule volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifié. » ;
7° L’article 431-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si la personne armée dissimule volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée, la peine est également portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende. »
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 3 prévoit une circonstance aggravante de dissimulation volontaire de visage pour un certain nombre d’infractions aux personnes et aux biens.
Le 20 juin 2009 était publié un décret créant une infraction de port de cagoule durant les manifestations publiques.
Ces deux mesures ne sont que les deux faces d’une même médaille : celle de l’affichage !
Nous nous opposons à un renforcement des dispositifs répressifs si, au préalable, ne sont pas mis à plat les outils existants, les résultats de leur mise en œuvre ainsi que leur utilité ou leur efficacité.
Le Gouvernement fabrique un millefeuille sécuritaire indigeste sans jamais poser la question de l’efficacité des lois qu’il fait voter, et ce non pas depuis 2007, mais depuis 2003. Il faudrait également s’interroger sur les décrets d’application qui restent en suspens.
Beaucoup de lois sont votées, mais peu sont appliquées !
Depuis six ans, les lois répressives s’entassent, sans que jamais la question de l’utilité, de l’effectivité ou de l’efficacité des mesures votées soit posée. Il n’y a pas d’évaluation.
Il serait opportun d’étudier ces questions avant toute nouvelle salve sécuritaire.
Vous pourrez toujours nous dire que vous n’y êtes pour rien et que cette proposition de loi est d’origine parlementaire : je vous répondrai que le parlementaire qui l’a déposée est aujourd’hui membre du Gouvernement, ce qui en dit long sur la méthode de contournement qui est ici utilisée !
Nous nous opposons à cette nouvelle disposition, tout simplement parce qu’elle est inutile : pensez-vous sérieusement qu’une personne décidera d’attaquer une banque sans cagoule parce qu’elle risque, sinon, une aggravation de peine ? Pensez-vous, avec la généralisation de la vidéosurveillance, qu’une personne renoncera à dissimuler son visage pour ne pas être punie plus sévèrement ? Évidemment, la réponse est non !
Nous ne cautionnerons pas cette nouvelle aggravation de l’inflation pénale, d’autant moins qu’il ne s’agit ici que de satisfaire un certain électorat que vous semblez vouloir chouchouter à l’approche des élections régionales.
C’est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de cet article.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 37 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 51 est présenté par MM. Mézard et Collin.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier, pour défendre l’amendement n° 3.
M. Charles Gautier. L’article 3 de la proposition de loi vise à instaurer une circonstance aggravante lorsque l’auteur de certaines violences sur des personnes ou de dégradations de biens dissimule volontairement tout ou partie de son visage afin de ne pas être identifié.
Cette circonstance aggravante s’applique à plusieurs infractions : les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours ; les violences ayant entraîné une ITT égale ou inférieure à huit jours ; le vol aggravé ; l’extorsion aggravée ; les destructions, dégradations ou détériorations aggravées de biens appartenant à autrui ; la participation délictueuse à un attroupement ; enfin, la participation armée à un attroupement.
Cet article créant une circonstance aggravante de port de la cagoule est un palliatif pour le Gouvernement, qui est dans l’impossibilité de faire de la simple dissimulation du visage un délit.
Un décret du 19 juin 2009 punit d’une contravention de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public.
Quelle est l’utilité d’une telle circonstance aggravante ?
On peut volontairement dissimuler son visage lors d’un regroupement sans pour autant avoir de mauvaises intentions : pour se protéger du froid, pour éviter d’être reconnu dans les médias ou par les Renseignements généraux.
Pour de vrais casseurs, le port de la cagoule a certes pour but d’empêcher l’identification, mais c’est justement aussi un moyen pour les forces de l’ordre de repérer plus facilement les casseurs potentiels et de concentrer leurs effectifs sur eux.
La loi peut-elle sérieusement laisser penser que le fait de dissimuler son visage lors d’une extorsion présente le même caractère de dangerosité – justifiant une aggravation de la peine encourue de sept à dix ans d’emprisonnement – que le fait de commettre une extorsion avec violence ou sur personne vulnérable ou à raison de l’appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion ou à raison de son orientation sexuelle ?
Dans l’exposé des motifs, l’auteur de la proposition de loi précise qu’il appartiendra au juge de qualifier les moyens de la dissimulation volontaire du visage.
Or la définition juridique des infractions revient au législateur, auquel le juge ne saurait se substituer. Il ne lui appartient en théorie que d’apprécier si les circonstances de fait permettent de caractériser les différents éléments constitutifs de l’infraction.
Ces dispositions n’ont aucunement vocation à prévenir des violences ou des dégradations commises par des casseurs.
De surcroît, faire de la dissimulation du visage une circonstance aggravante revient à considérer que la même infraction commise à visage découvert serait moins grave !
Il va être difficile de « définir où finit la capuche et où commence la cagoule » !
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 37.
Mme Éliane Assassi. Avec cet amendement nous souhaitons nous opposer à la fameuse circonstance aggravante pour « dissimulation volontaire de tout ou partie du visage » qui est ici créée pour les atteintes aux personnes et aux biens. C’est évident, cette disposition n’aura aucun effet dissuasif, puisque les auteurs préféreront malheureusement toujours commettre leurs délits le visage dissimulé pour éviter d’être reconnus. Il paraît même très naïf de croire qu’il pourrait en être autrement.
Nous sommes donc devant une disposition de pur affichage qui n’aura aucune conséquence sur le phénomène des violences de groupes.
De plus, le juge qui aura la charge de qualifier s’il y a bien eu dissimulation volontaire de tout ou partie du visage rencontrera de grandes difficultés en raison de cette formulation très floue.
Le représentant du Conseil national des Barreaux, le bâtonnier Olivier Fouché, a critiqué cette circonstance aggravante de dissimulation du visage. Il juge « difficile de définir où finit la capuche et où commence la cagoule ».
M. Charles Gautier. Voilà !
Mme Éliane Assassi. Il y a tout lieu de penser que cette mesure sera très difficilement applicable. Elle risque même d’être détournée de son objet pour viser, par exemple, des personnes participant à des manifestations.
Cette mesure semble être une réponse aux incidents qui ont lieu en marge de certaines manifestations, je pense ici à ce qui s’est produit à Strasbourg, lors de la manifestation anti-OTAN.
Vous faites donc toujours un amalgame entre les manifestants et les casseurs, en essayant de criminaliser les premiers. Mais n’est-ce pas logique de la part d’un gouvernement qui reste sourd aux revendications de la rue, puisque, selon l’expression très chère à la droite, « ce n’est pas la rue qui gouverne » ?
Cette disposition est par ailleurs contre-productive. Elle ne permettra en rien de prévenir les troubles. Bien au contraire, elle risque de les aggraver.
Lors des auditions, les policiers eux-mêmes ont affirmé que cette disposition trouverait à s’appliquer uniquement pendant les manifestations.
Au surplus, cette mesure s’inspire d’une loi allemande qui n’a pas pu être appliquée. Gageons qu’il en sera de même ici.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s’oppose à cet article, dont il demande la suppression.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 51.
M. Jacques Mézard. Notre amendement a le même but que les précédents : la suppression de l’article 3.
La notion de « dissimulation volontaire en tout ou partie du visage » constitue un masque juridique pour multiplier des incriminations de manière souvent subjective, amenant inéluctablement à l’arbitraire et à des jurisprudences contradictoires.
Cet article 3, qualifié d’« article cagoule », ne vise précisément pas que les cagoules !
Une personne qui commet le type d’infraction visé par l’article 222-12 avec des lunettes fumées dissimule-t-elle en partie son visage ?
M. Charles Gautier. Et un chapeau ?
M. Jacques Mézard. C’est un exemple parmi d’autres. Toutes les personnes portant des lunettes de soleil tomberont-elles sous le coup de cette circonstance aggravante ?
Avec une telle circonstance aggravante, l’article semblerait même inviter à commettre ces infractions, mais à visage découvert !
Le rapport de la commission comporte des éléments de bon sens. Seule la conclusion ne me paraît pas en cohérence avec l’argumentation.
Passons sur le décret du 19 juin 2009, qui est, totalement catastrophique pour les libertés. Avec l’article 3, l’opération est différente.
Mais relisons le rapport : « Le dispositif proposé par l’article 3 n’aurait ainsi pas vocation à se limiter aux seules violences de groupes ni aux violences commises sur la voie publique. ».
Cet article 3 balaie donc très large !
Je poursuis la lecture.
« Si l’effet dissuasif de cette circonstance aggravante n’emporte pas la conviction, la disposition permettra en revanche de mieux prendre en compte le traumatisme de la victime lorsque l’auteur de l’infraction a agi à visage dissimulé. ».
Au regard des principes juridiques, ce n’est pas sérieux !
Monsieur le rapporteur, vous nous l’avez dit tout à l’heure très justement, la loi pénale est d’interprétation stricte.
En l’occurrence, on pourrait faire beaucoup mieux, mais on fait très mal !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous livrer d’abord une réflexion purement personnelle : quand on est républicain, comment peut-on prétendre circuler librement sur le domaine public le visage dissimulé ?
Mme Éliane Assassi. Oh !
M. Jean Bizet. C’est très vrai !
M. François Pillet, rapporteur. C’est une liberté qu’il me paraît pour le moins curieux de revendiquer.
M. Charles Gautier. C’est ainsi !
M. François Pillet, rapporteur. Loin de rassurer, c’est une liberté qui, au contraire, inquiète. Elle n’est donc pas légitime.
M. Charles Gautier. Mais est-elle condamnable ?
M. François Pillet, rapporteur. Telle est mon opinion personnelle : quand on est républicain, on circule sur le sol de la République à visage découvert, pour pouvoir être reconnu.
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Quand on est républicain, on défend la liberté !
M. François Pillet, rapporteur. En règle générale, quand on porte une cagoule, ce n’est pas dans ce but !
J’en viens maintenant à l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 3, 37 et 51.
Certes, il est toujours possible de s’interroger sur l’effet dissuasif d’une telle disposition. Cela étant, chers collègues de l’opposition, allez donc interroger les personnes qui, à Poitiers, ont vu déferler non pas des manifestants, mais bien des délinquants cagoulés dans les rues de leur ville : vous vous rendrez compte à quel point elles ont été traumatisées. Et vous verrez peut-être la situation d’un autre œil, car personne ne peut s’affranchir du principe républicain qui veut que, lorsque l’on circule sur le territoire de la République, on n’a pas honte d’être reconnu.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. À l’évidence, il y a un vrai désaccord de fond entre, d'un côté, la commission et le Gouvernement, et, de l’autre, les sénateurs de l’opposition.
Mme Éliane Assassi. C’est toute la différence entre la droite et la gauche !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Pour ma part, ce n’est pas à ce niveau que je placerais notre débat.
Mme Éliane Assassi. Il y a, d’un côté, la réaction, et, de l’autre, les partisans de la liberté !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Nous sommes un certain nombre à être confrontés à ces problèmes dans nos villes, sur le terrain. Si nos concitoyens sont, pour la plupart, de parfaits républicains, de vrais progressistes, ils sont nombreux à considérer certains comportements comme tout simplement attentatoires à leurs libertés.
Mme Éliane Assassi. Idéologie !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Sans vouloir être déplaisant à votre égard, madame, j’ai tout de même l’impression, en vous écoutant, que nous ne parlons pas des mêmes réalités.
Mme Éliane Assassi. C’est à moi que vous parlez ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Il y a chez certains, pour des raisons qu’il ne m’appartient pas d’analyser, comme un refus de voir les choses en face.
Mme Éliane Assassi. C’est une plaisanterie !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je l’assume et je le dis clairement, nous sommes là au cœur de la proposition de loi. Incriminer le fait de dissimuler son visage à l’occasion de manifestations publiques est l’un des éléments clés de la lutte contre les violences de groupes.
Ne faisons pas de comparaisons hâtives avec des manifestations folkloriques ou avec des comportements individuels sans rapport avec le texte, tels que le port d’un passe-montagne ou d’une cagoule en hiver. Ne sortons pas du cadre de la loi, qui fait de la dissimulation du visage une circonstance aggravante d’actes commis dans un contexte bien précis.
Dès lors que les circonstances ne répondent pas aux exigences posées par la proposition de loi pour que l’infraction soit constituée, chacun peut s’exprimer librement, y compris dans sa tenue vestimentaire, et le Gouvernement n’a pas l’intention d’empêcher qui que ce soit de s’habiller comme il l’entend.
L’instauration d’une nouvelle circonstance aggravante est nécessaire pour prendre réellement la mesure, dans de telles situations, de la gravité des infractions. Chacun le sait, avec le visage dissimulé, une personne est d’autant plus dangereuse qu’elle est plus difficile à identifier et, donc, à poursuivre et à condamner, sans parler des risques de récidive. Il suffit de discuter avec une victime pour s’apercevoir qu’elle est plus impressionnée et donc le préjudice subi plus important quand l’agresseur a le visage dissimulé.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis clairement défavorable sur ces amendements identiques. Assumons notre désaccord avec leurs auteurs, tant il est vrai que l’article 3 se situe au cœur de la logique défendue dans le cadre de ce texte ô combien républicain.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je suis pour le moins surpris par les explications que je viens d’entendre !
M. Charles Gautier. Elles sont époustouflantes !
M. Jacques Mézard. Monsieur le rapporteur, même à titre personnel, comment pouvez-vous trouver anormal que nos concitoyens puissent vouloir se promener avec une cagoule ou je ne sais quel autre accessoire qui leur dissimulerait partiellement le visage ? Que je sache, ce ne sont pas tous des délinquants !
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Mézard. Pour le coup, ce sont vos propos qui ne sont pas du tout républicains !
M. François Pillet, rapporteur. Mais si !
M. Jacques Mézard. Heureusement que les millions de nos concitoyens qui se promènent avec un passe-montagne ou une cagoule ne sont pas tous des délinquants potentiels !
M. François Pillet, rapporteur. Cela n’a rien à voir !
M. Charles Gautier. Et les casques de moto ?
M. Jacques Mézard. Nous ne pouvons que rester ébahis devant ce type de raisonnement !
Monsieur le secrétaire d'État, je ne peux vous laisser dire que la disposition s’applique dans un cadre très déterminé. Au contraire, il est clairement indiqué dans le rapport que cette circonstance aggravante concerne non pas les seules violences de groupes ou celle qui sont commises sur la voie publique, mais nombre d’infractions de portée beaucoup plus générale.
En nous opposant à l’extension du champ de cette circonstance aggravante à des cas qui ne se limitent justement pas à ceux que vous nous avez indiqués, nous nous posons en défenseurs du respect d’un principe républicain qui nous est cher à tous !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 37 et 51.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 3 bis (nouveau)
L’article 34 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et aux libertés des communes, des départements et des régions est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa du III est supprimé ;
2° Il est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« IV. – Par dérogation aux dispositions du III, le préfet de police a en outre la charge de l’ordre public dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne et y dirige l’action des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie nationale.
« En outre, le préfet de police, en sa qualité de préfet de la zone de défense de Paris, dirige les actions et l’emploi des moyens de la police et de la gendarmerie nationales d’une part pour leurs interventions concourant à la régulation et la sécurité de la circulation sur les routes de la région d’Île-de-France dont la liste est fixée par l’autorité administrative, d’autre part pour leurs missions concourant à la sécurité des personnes et des biens dans les transports en commun de voyageurs par voie ferrée de la région d’Île-de-France.
« V. – Un décret en Conseil d’État peut déroger aux dispositions du I et du III en tant qu’elles fixent les limites territoriales de la compétence du préfet de département en matière d’ordre public. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 38 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, après vous avoir bien écouté, je voudrais connaître votre opinion sur les personnes qui mettent des gants pour échapper à la recherche des empreintes ADN.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Des empreintes digitales, plutôt !
M. Jean-Pierre Sueur. De toutes les empreintes, monsieur le président de la commission !
M. François Pillet, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec le sujet !
M. Jean-Pierre Sueur. Au contraire, ce genre de comportement traduit la volonté de se soustraire à la recherche des preuves : voilà une manière pour celui qui accomplit un acte répréhensible de dissimuler son identité !
M. Charles Gautier. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. Par cohérence, vous ne pourrez donc qu’être favorable à l’aggravation des peines en de telles circonstances. Sinon, comment justifiez-vous cette différence de traitement ?
Peut-être daignerez-vous me répondre. Si vous ne le voulez pas,…
M. Jean-Pierre Sueur. … comprenez que je ne puisse rien faire d’autre que d’en prendre acte.
J’en viens maintenant à l’amendement n° 4, qui est l’évidence même. Il ne devrait donc poser aucune difficulté.
En effet, l’article 3 bis, introduit sur votre initiative, monsieur le rapporteur, tend à compléter la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, afin de prévoir que, par dérogation aux dispositions confiant au préfet la charge de l’ordre public dans le département, le préfet de police de Paris est compétent en matière d’ordre public et de direction des forces de police dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.
Il va de soi que cette disposition n’a pas de rapport avec le présent texte.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si !
M. Jean-Pierre Sueur. Il serait beaucoup plus cohérent de la faire figurer dans le prochain projet de loi dit « LOPPSI 2 ». Je ne vois d’ailleurs pas quels arguments vous pourriez avancer pour vous y opposer.
J’invite donc mes collègues à voter cet amendement de suppression, de manière que nous puissions débattre de cette question, qui, d’ailleurs, ne va pas de soi, à la faveur de l'examen du texte « LOPPSI 2 ».
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 38.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, compte tenu des certitudes que vous avez exprimées à l’article précédent, j’espère que nous n’allons pas tous être obligés de porter un masque en cas de pandémie extrême de la grippe A/H1N1. Sinon, nous serons nombreux à être frappés par les dispositions que vous venez de faire voter ! (Exclamations sur les bancs des commissions et du Gouvernement.)
C’est que, moi aussi, au bout d’un moment, je n’ai plus d’autre solution que de raisonner par l’absurde : vous êtes tellement ancrés dans vos certitudes que les bras m’en tombent parfois !
Comme M. Sueur, nous demandons la suppression de l'article 3 bis, introduit en commission, qui vise à renforcer les pouvoirs du préfet de police de Paris.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Chers collègues de l’opposition, je croyais benoîtement que cet article 3 bis ne poserait aucune difficulté. Je suis au regret de constater que tel n’est pas le cas.
Le fait d’inscrire une telle disposition dans la présente proposition de loi n’a rien de choquant, car cette dernière – nous vous rejoignons au moins sur ce point ! – n’a pas pour seul but d’instituer de nouvelles infractions, mais a vocation à renforcer la lutte contre les violences. Cela passe aussi par l’amélioration du dispositif sur le plan organisationnel.
Aujourd'hui, seuls 43 % des individus interpellés à Paris sont des Parisiens. Il est nécessaire, à l’évidence, d’adapter l'organisation des forces de l’ordre à l’évolution de la délinquance.
La mesure que j’ai proposée me semble avoir recueilli un large consensus parmi tous ceux qui administrent les communes de la périphérie de Paris. Je dois le dire, j’ai été particulièrement conforté par la prise de position sur ce sujet de M. Bartolone, qui a publié ce matin une tribune dans la presse intitulée La sécurité ne doit pas s’arrêter aux portes de Paris, dans laquelle il écrit que l’idée d’une police d’agglomération face à une délinquance qui ne connaît pas de frontières départementales fait sens.
Voilà qui montre toute la légitimité de cet article au sein d’un texte visant à renforcer la lutte contre les violences de groupes.
En conséquence, j’émets un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression nos 4 et 38.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je suis également défavorable à ces amendements de suppression. En refusant d’octroyer au préfet de police de Paris une telle compétence sur l'ensemble des départements concernés, on met à mal la lutte, que le présent texte a pour vocation de faciliter, contre les violences commises par des bandes extrêmement mobiles.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 38.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 54, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
aux dispositions
insérer les mots :
du I et
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3 bis, modifié.
(L'article 3 bis est adopté.)
Article 4
Après l’article 15-3 du code de procédure pénale, il est inséré un article 15-4 ainsi rédigé :
« Art. 15-4. – Lorsque les services et unités de police ou de gendarmerie procèdent à l’enregistrement audiovisuel d’une de leurs interventions réalisées en tous lieux, publics ou privés, aux fins de restituer le déroulement des opérations, l’enregistrement est conservé au siège du service ou de l’unité.
« Si l’intervention a conduit à l’établissement d’une procédure judiciaire ou qu’elle intervient dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, la réalisation de cet enregistrement est mentionnée dans un procès-verbal versé au dossier de la procédure.
« En cas de contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention, cet enregistrement est, sur décision du procureur de la République, du juge d'instruction ou de la juridiction de jugement, versé au dossier de la procédure afin d’être consulté. Il en est de même s’il apparaît que la consultation de cet enregistrement peut être utile pour déterminer la participation d’une ou plusieurs des personnes mises en cause ou poursuivies aux faits qui leur sont reprochés. Le versement de l’enregistrement au dossier est de droit quand il est demandé par la personne à qui est reprochée une infraction commise pendant l’intervention. Les huit derniers alinéas de l'article 114 ne sont pas applicables. Lorsqu'une partie demande la consultation de l'enregistrement, cette demande est formée et le juge d'instruction statue conformément aux deux premiers alinéas de l'article 82-1.
« Le fait, pour toute personne, de diffuser un enregistrement réalisé en application du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
« Le fait qu’un enregistrement réalisé en application du présent article ne puisse être consulté en raison d’une impossibilité technique ne constitue pas une cause de nullité de la procédure.
« Un décret précise les modalités d’application du présent article. Il détermine en particulier la durée de conservation et les modalités de destruction de l’enregistrement dans les cas prévus par les trois premiers alinéas.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux enregistrements réalisés au cours d’une procédure afin de servir comme élément de preuve, qui sont placés sous scellés conformément aux dispositions du présent code. »
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il ne nous semble guère opportun d’insérer une telle disposition dans un texte qui vise à renforcer la lutte contre les violences de groupes.
En pratique, le dispositif instauré dans un but affiché de réduire les contestations a posteriori en permettant une plus grande transparence des opérations de police peut être réduit à néant. En effet, rien n’est prévu quant aux moyens matériels dont seront pourvues les forces de l’ordre. En outre, la nullité de procédure ne pourra être invoquée.
Par ailleurs, l’article 4 nous renvoie à un décret dont les dispositions nous sont pratiquement inconnues. Or il est toujours très désagréable de voter un article sans pouvoir en mesurer l’étendue exacte, faute d’avoir connaissance du contenu du décret auquel il renvoie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Les violences de groupes donnent souvent lieu à des affrontements sévères avec les forces de l’ordre. Il paraît donc nécessaire de favoriser le recours à l’enregistrement audiovisuel des interventions de ces dernières, afin d’établir de façon objective les responsabilités de chacun grâce à des preuves quasi scientifiques. Pourquoi donc nous priver d’un tel progrès dans la recherche de la vérité ?
De plus, dans sa rédaction issue des travaux de la commission, l’article 4 prévoit que le versement de l’enregistrement au dossier sera de droit lorsqu’une personne aura été mise en cause au cours de l’intervention.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. On ne peut pas être d’accord avec la suppression d’une disposition qui est aussi importante pour l’équilibre du dispositif.
L’enregistrement audiovisuel de leurs interventions par les services et les unités de police ou de gendarmerie, quelle que soit la nature de l’acte, contrôle ou interpellation, doit permettre d’établir plus facilement la réalité de leurs conditions d’exécution, par exemple, dans le cas de contestation par les intéressés. De plus, les forces de l’ordre savent ainsi que leurs interventions seront filmées.
Tout cela me paraît une bonne chose pour les uns comme pour les autres.
L’expérimentation déjà menée par certains services de police, notamment en région parisienne, est apparue très positive : l’annonce sur les lieux que l’intervention de la police serait enregistrée a eu, à chaque fois, un effet apaisant en ce sens qu’elle semble avoir incité le public concerné à une certaine mesure et à un comportement plus respectueux.
Ces enregistrements sont encore plus utiles lorsque les violences de groupes se préparent. En effet, il arrive que l’intervention se déroule dans des conditions confuses et donne lieu à de nombreuses interpellations. Dans ces cas-là, l’enregistrement pourra être fort utile pour déterminer qui, parmi les personnes mises en cause, a effectivement participé aux actes de violence. Je réponds ainsi à certaines des questions que vous m’avez posées tout à l’heure sur la présence fortuite de personnes sur les lieux.
Pour moi, ces enregistrements constituent vraiment un élément important du dispositif et personne ne devrait avoir lieu de s’en plaindre.
Le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 21 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
en tous lieux, publics ou privés
par les mots :
dans un lieu public ou ouvert au public
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit de limiter le recours à la vidéo aux lieux publics ou ouverts au public.
L’article 4 prévoit la possibilité de filmer des interventions de police et le régime de conservation de ces enregistrements.
Si cette disposition traduit une volonté de transparence dans la conduite des opérations de police, comme c’est d’ailleurs le cas en ce qui concerne les gardes à vue, il semble toutefois nécessaire de limiter les possibilités, pour la police, de filmer tout et n’importe quoi, quel que soit le lieu.
La plupart du temps, ces enregistrements ne seront pas utilisés dans le cadre d’une poursuite ou d’une enquête pénale. Ils dormiront dans des tiroirs !
Le régime de ces enregistrements « dormants » laisse perplexe : des personnes auront pu être filmées, dans des lieux privés, chez elles, ou dans des lieux spécifiques, en totale violation de leur droit à la vie privée et à l’intimité. Et que prévoit cet article pour le droit d’accès à ces enregistrements ? Rien !
Nous sommes là devant la mise en œuvre d’un système de vidéosurveillance mobile, mais totalement déconnecté du droit commun de la vidéosurveillance : ni droit d’accès illimité, puisque celui-ci n’est possible que sous conditions, ni alignement sur le droit commun de la vidéosurveillance.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de limiter la possibilité de recourir à cette méthode au seul cas d’un lieu public ou ouvert au public ; j’ai apporté cette dernière précision pour répondre à la demande de la commission.
Il est impératif de ne pas rompre avec le principe selon lequel la vidéosurveillance ne saurait aboutir, de manière détournée, à porter atteinte au droit à la vie privée de nos concitoyens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Le dernier alinéa de l’article 4 prévoit déjà que les dispositions de cet article ne sont pas applicables aux enregistrements réalisés au cours d’une procédure afin de servir comme élément de preuve au cours d’une perquisition, par exemple.
Néanmoins, la précision apportée par l’amendement nous paraît intéressante et permettra de lever toute ambiguïté.
En outre, à la demande de la commission, vous avez accepté, madame Alima Boumediene-Thiery, de rectifier votre amendement afin de viser également les lieux ouverts au public.
La commission est donc favorable à l’amendement n° 21 rectifié.
M. Charles Gautier. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 22 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la Commission nationale de déontologie de la sécurité est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement aux règles de déontologie de la sécurité, et ayant fait l'objet d'un enregistrement réalisé en application du présent article, elle peut demander la consultation de l'enregistrement audiovisuel. Il est mis à sa disposition dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'État. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit maintenant de l’accès aux enregistrements par la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
La mise en œuvre du dispositif prévu par cet article soulève des questions importantes, notamment concernant la possibilité de produire les enregistrements dans le cadre d’une procédure pénale.
Tel qu’il est rédigé, l’alinéa 4 de l’article ne garantit pas que les enregistrements puissent être utilisés dans une procédure où la personne poursuivie est un agent de police.
De ce fait, il faut craindre que les enregistrements ne soient utilisés pour étayer une infraction de rébellion - cet exemple est d’ailleurs cité dans le rapport de la commission -, sans que l’on ait l’assurance qu’ils puissent l’être par une victime de violences policières.
Je vous proposerai dans quelques instants un amendement pour remédier à cette carence en établissant que le versement de l’enregistrement est également de droit lorsqu’il est demandé par une victime de violences policières et que l’enregistrement est de nature à étayer ses allégations.
Je souhaitais initialement donner ce pouvoir au Défenseur des droits, mais, comme on m’a objecté qu’il n’existait pas encore, j’ai choisi de permettre à la CNDS, chargée du respect de la déontologie de la sécurité, d’utiliser cet enregistrement susceptible de lui permettre d’établir l’allégation de violence policière dont elle est saisie.
J’ai donc rectifié cet amendement, me disant, après réflexion, que mieux valait renforcer les pouvoirs d’une autorité existante.
Si la vocation de cette disposition est de rendre transparentes les interventions policières, il me semble fondamental que la CNDS puisse avoir accès à ces enregistrements.
Je vous propose un mécanisme souple et très simple, qui permettra à la CNDS d’exploiter les enregistrements lorsqu’ils sont de nature à établir des faits pouvant constituer des manquements aux règles de déontologie ou des violences policières dont nous serions victimes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission ne s’est pas prononcée sur cet amendement rectifié. En effet, l’amendement, dans sa rédaction initiale, visait le Défenseur des droits. Nous vous avions demandé de bien vouloir le retirer parce que la loi organique relative au Défenseur des droits n’a pas encore été adoptée.
À titre personnel, il me semble que l’amendement n° 22 rectifié fait plus ou moins double emploi avec l’amendement n° 28 rectifié bis, qui prévoit que le versement de l’enregistrement à la procédure est de droit lorsque l’intervention a donné lieu au dépôt d’une plainte.
Les garanties sont suffisantes. En outre, le Parlement va bientôt examiner l’ensemble de ces questions, dans le cadre du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits ; ses compétences en matière de déontologie de la sécurité seront alors discutées.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 22 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Cet amendement est satisfait, puisque la CNDS, comme toutes les autorités administratives indépendantes, dispose d’ores et déjà de pouvoirs d’enquête et qu’elle peut enjoindre à toute personne, publique ou privée, de communiquer toutes informations et pièces utiles ; ce sera notamment le cas des enregistrements audiovisuels des interventions de police.
C et amendement n’est pas opportun dans la mesure où la CNDS n’a pas vocation à être absorbée par le Défenseur des droits.
Cette réponse devrait vous rassurer complètement : votre amendement est satisfait. Vous pourriez le retirer.
M. le président. Madame Boumediene-Thiery, l'amendement n° 22 rectifié est-il maintenu ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je le maintiens, monsieur le président.
L’explication de M. le secrétaire d’État me donne à penser qu’il ne faut pas le retirer. Puisque la CNDS continuera d’exister, il vaut d’autant mieux inscrire dans la loi son droit à accéder aux documents enregistrés qu’elle est très souvent sollicitée sur des problèmes de manquements et de violences policières, et il arrive qu’elle rencontre des difficultés pour obtenir certains dossiers.
En effet, même si, en tant qu’autorité indépendante, elle peut, en principe, avoir accès à ces documents, elle se heurte à de véritables barrages, notamment lorsqu’il s’agit de violences policières, comme celles que nous avons connues récemment à Argenteuil ou en Franche-Comté.
Il serait donc important de l’inscrire dans la loi. Cela permettrait de renforcer les pouvoirs de la CNDS et, partant, la déontologie qu’elle a vocation à garantir.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission dans lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La CNDS a la possibilité de se procurer les enregistrements quand ils existent. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Franchement, madame la sénatrice, la suspicion permanente que vous jetez sur toute la hiérarchie policière est exagérée. Vous donnez l’impression qu’elle se refuse absolument à clarifier les faits quand il y a des incidents !
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est la réalité !
M. Jean Desessard. C’est le corporatisme !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La CNDS peut obtenir les enregistrements !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Actuellement, nous sommes confrontés à cette réalité !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai qu’il vaut sans doute beaucoup mieux être masqué et tabasser les flics !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Et les deux personnes âgées à Argenteuil ?
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4, première phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Cet enregistrement est placé sous scellés. Il est versé au dossier de la procédure.
II. - Alinéa 4, troisième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. L’article 4 tend à permettre, lorsque les forces de l’ordre ont procédé à l’enregistrement audiovisuel de leurs interventions, le versement de ces enregistrements au dossier de la procédure selon, toutefois, une procédure dérogatoire au droit commun.
La généralisation de l’enregistrement audiovisuel des interventions de police et de gendarmerie est souhaitable. Ces enregistrements apportent des éléments de preuve qui peuvent être utiles pour établir les éléments à charge ou à décharge, ou rendre compte des circonstances d’une interpellation.
Il est paradoxal de permettre le recueil d’éléments de preuve tout en se privant de la possibilité de les utiliser. Ainsi, l’extraction de clichés à partir de ces enregistrements par les enquêteurs dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance pour versement à la procédure serait passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, puisque la consultation aurait lieu hors du cadre légal.
Il faudrait que ces enregistrements relèvent du régime de droit commun applicable aux pièces de procédure.
Enfin, il est pour le moins curieux de prévoir que les impossibilités techniques qui empêcheraient le visionnage des images constitueront une cause de nullité de la procédure. Cette disposition résulte d’une confusion entre règle de procédure et élément de preuve, le défaut de preuve ne conduisant, en droit français, qu’à la relaxe ou l’acquittement et, en aucun cas, à une nullité de procédure, sauf violation de règles procédurales dans le recueil de la preuve.
Nous allons vous proposer une série d’amendements pour rendre à ce dispositif toute son efficacité.
Il ne faut pas limiter le versement au dossier de la procédure de ces enregistrements aux seuls cas de contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention ou lorsqu’il peut être utile pour déterminer la participation aux faits reprochés d’une ou plusieurs personnes mises en cause ou poursuivies.
Notre premier amendement tend à prévoir que le versement de ces enregistrements au dossier de la procédure est de droit afin que l’ensemble des parties puissent y avoir accès. Dans le but d’éviter toute contestation, nous proposons que cet enregistrement soit placé sous scellés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il ne paraît pas opportun de prévoir le versement systématique des enregistrements audiovisuels réalisés en intervention par les forces de l’ordre, et ce pour deux raisons essentielles. Premièrement, dans la grande majorité des cas, l’intervention ne donne pas lieu à contestation. Deuxièmement, un archivage systématique des données enregistrées risquerait de poser des problèmes, sinon budgétaires, du moins matériels, aux forces de police.
Pour apaiser votre inquiétude, je rappelle que l’article 4 adopté par notre commission, c’est-à-dire rectifié, prévoit un grand nombre d’hypothèses de versement de l’enregistrement à la procédure. Cela peut intervenir sur décision du procureur de la République, sur décision du juge d’instruction, sur décision de la juridiction de jugement et à la demande de toute personne mise en cause à l’occasion de l’intervention, c’est-à-dire soit du prévenu, soit de la partie civile.
L’article 4 me paraît apporter toutes les garanties suffisantes. C’est la raison pour laquelle j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je considère que cet amendement, notamment la mise systématique sous scellés des enregistrements, serait une erreur et qu’il risquerait d’être contre-productif. Il introduirait une lourdeur telle que les greffes pourraient même être dissuadés d’y recourir. Tel n’est pas l’objectif.
Le dispositif actuel présente toutes les garanties. M. le rapporteur en a fait état, je n’y reviendrai donc pas. Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déclaré que la CNDS ne ferait pas partie du périmètre du Défenseur des droits. Je vous remercie d’avoir apporté cette précision intéressante au Sénat. À ma connaissance, aucun autre membre du Gouvernement n’a fait une telle déclaration. Il me paraît en effet souhaitable de maintenir la spécificité de la CNDS.
Lorsque nous avons débattu de la révision constitutionnelle, j’ai eu l’honneur de demander à cinq reprises à Mme Rachida Dati de bien vouloir nous dire quel serait le périmètre de la nouvelle institution du Défenseur des droits et je me suis heurté à un mutisme total.
Monsieur le président de la commission des lois, les parlementaires sont habilités à saisir la CNDS. Lorsque nous le faisons, du moins est-ce ainsi que je travaille, nous prenons beaucoup de précautions afin d’intervenir à bon escient. Il ne me paraît pas juste de voir a priori de la méfiance ou de la défiance à l’égard de la police dans le fait de solliciter la CNDS ou de souhaiter, par voie d’amendement, qu’elle dispose ou puisse disposer d’enregistrements.
Une telle suspicion ne rendrait pas compte du respect que nous avons pour la police de notre pays. (M. le président de la commission des lois s’exclame.)
Simplement, nous considérons que toute institution, quelle qu’elle soit, doit pouvoir être contrôlée, et la police nationale n’échappe pas à la règle. C’est en l’occurrence le rôle de la CNDS. Il n’y a donc pas lieu de nous faire un procès d’intention à cet égard.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais oui !
M. Jean-Pierre Sueur. En ce qui concerne l’amendement no 5, nous ne sommes pas du tout convaincus par les arguments tant de la commission que du Gouvernement.
En effet, l’alinéa 4 de l’article 4 s’applique dans le cadre prévu par l’alinéa 3 du même article, dont je me permets de vous rappeler les termes : « Si l’intervention a conduit à l’établissement d’une procédure judiciaire ou qu’elle intervient dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, la réalisation de cet enregistrement est mentionnée dans un procès-verbal, versé au dossier de la procédure ».
L’alinéa 4 prévoit que, dans le cas d’une contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention, l’enregistrement est versé au dossier de la procédure.
Dès lors que l’alinéa 3 s’applique, nous considérons qu’il convient dans tous les cas que l’enregistrement soit versé au dossier de la procédure.
Le fait qu’il soit placé sous scellés constitue une garantie. Un versement systématique au dossier de la procédure est une garantie supplémentaire et majeure du respect du droit. De cette façon, toutes les parties peuvent y accéder, au même titre qu’elles ont accès à l’ensemble des pièces du dossier.
Nous n’avons pas demandé la suppression de cet article. Nous voulons l’améliorer et nous considérons que l’application du droit commun à ces enregistrements constitue une garantie très forte. Je ne vois pas à quel titre on pourrait s’y opposer.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur Sueur, en vous écoutant, j’ai pris conscience que mon intervention sur la CNDS avait été mal comprise. Peut-être ai-je commis un lapsus du fait de l’emploi d’une double négation. En tout état de cause, je constate que mon propos a été mal interprété.
Je tiens donc à dire clairement que la CNDS a bien vocation à être absorbée dans le périmètre du Défenseur des droits.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous nous décevez, c’était la bonne nouvelle de la soirée !
M. Charles Gautier. Nous avions compris l’inverse !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Merci de m’avoir permis d’apporter cette précision. J’avais dit que cet amendement n’était pas opportun, d’où sans doute la double négation.
Le projet de loi organique a déjà été examiné par le Conseil d’État. Je ne vous livre donc pas un scoop. Il devrait être prochainement examiné par le Parlement afin de déterminer les pouvoirs du Défenseur des droits.
Je suis désolé de vous décevoir, monsieur Sueur, mais, par honnêteté intellectuelle, je me devais d’apporter cette précision.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est dommage !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le secrétaire d’État, vous savez la part que le Sénat a prise dans l’élaboration des missions du Défenseur des droits.
Le texte qui a été déposé sur le bureau du Sénat prévoit la suppression de la CNDS, puisque la loi du 6 juin 2000 est abrogée, mais aussi celle du Médiateur, du Défenseur des enfants et de l’article L 221-5 du code de l’action sociale et des familles.
Je me permets toutefois de rappeler que c’est le Parlement qui fait la loi. Certaines institutions vont sans doute disparaître, mais d’autres pourraient subsister,…
M. Jean-Pierre Sueur. Nous allons en reparler !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … qui ne figurent pas sur la liste proposée par le Gouvernement. Cela pourrait arriver !
M. Jean-Pierre Sueur. On verra !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Sueur, les citoyens pourront saisir directement le Défenseur des droits sans passer par l’intermédiaire d’un parlementaire, ce qui n’est pas de peu d’intérêt. En outre, les pouvoirs du Défenseur des droits seront plus importants que ceux d’autres institutions, y compris la CNDS.
C’est dans cet esprit que nous avions, nous, au Sénat, travaillé pour étendre les pouvoirs du Médiateur de la République. À l’origine, les citoyens devaient demander à un parlementaire de transmettre leur requête. Mais nous nous sommes aperçus qu’il était préférable d’instituer une saisine directe. Il en sera de même pour le Défenseur des droits.
M. le président. L'amendement n° 28 rectifié bis, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 4, après la troisième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le versement de l'enregistrement au dossier est également de droit, à la demande d'une partie, lorsque l'intervention ayant fait l'objet d'un enregistrement a donné lieu au dépôt d'une plainte et que cet enregistrement est susceptible, selon l'auteur de la plainte, d'apporter la preuve des faits qu'il allègue.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Comme l’a rappelé M. Sueur, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à avoir été saisis par des personnes victimes de violences policières. Je puis vous affirmer, monsieur Hyest, qu’il ne s’agit pas de fantasmes.
Je pourrais citer plusieurs exemples, pris en région parisienne, à Montreuil, au Blanc-Mesnil ou à Argenteuil, mais aussi en Franche-Comté, à Cannes et ailleurs. Des violences policières ont souvent, malheureusement, été à l’origine de situations dramatiques et nombres d’entre elles ont donné lieu à une saisine de la CNDS.
Sans entrer dans un débat de fond, je tiens néanmoins à attirer votre attention sur le phénomène, inquiétant, du classement sans suite des plaintes visant à mettre en cause de tels comportements.
La CNDS, qui travaille très souvent avec nous, a précisément été mise en place pour permettre une meilleure poursuite des manquements aux règles de déontologie de la sécurité. Elle apporte la garantie d’un certain contrôle, nécessaire dans toute République et dans toute démocratie.
Le dispositif qui nous est proposé aujourd’hui pourrait se révéler utile, voire important dans le cadre de ces procédures.
Toutefois, une analyse plus précise de la rédaction de l’article 4 montre que, en réalité, la production des enregistrements dans le cadre d’une plainte pour violence policière sera souvent impossible. Je connais des cas où, en effet, il n’a pas été possible de produire d’enregistrement.
Le versement de cet enregistrement au dossier est de droit lorsqu’il est demandé par la personne à qui il est reproché une infraction. Lorsque c’est un agent qui est soupçonné d’un manquement aux règles de déontologie, il suffit qu’il refuse le versement de l’enregistrement au dossier pour que la victime perde ainsi une chance d’établir la réalité des agissements allégués.
Une des graves lacunes de ce texte tient au caractère unilatéral du dispositif. L’égalité des armes commande qu’une pièce puisse être produite par l’une ou l’autre des parties, sans favoriser l’une par rapport à l’autre, qu’elle soit ou non dépositaire de l’autorité publique.
Si nous sommes soucieux de garantir la transparence dans la conduite des interventions de police, nous devons autoriser l’enregistrement et permettre qu’il soit produit dans le cadre d’une procédure, y compris quand elle est diligentée contre un agent des services de police. C’est à ce prix que la disposition remplira son office.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons que le versement de l’enregistrement soit également de droit lorsque l’intervention qui a donné lieu à l’enregistrement est suivie d’une plainte pour violence policière et que la victime estime, même contre l’avis de l’agent, que l’enregistrement est susceptible d’étayer ses dires.
En refusant cette possibilité, vous ôtez tout intérêt à l’article 4. Pis, vous immunisez certaines pratiques, au risque d’en permettre l’impunité, rare, heureusement, dans le champ de la protection pénale, mais réelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’article 4 prévoit qu’en cas de contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention l’enregistrement est versé au dossier de la procédure à la demande du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement.
La commission a néanmoins considéré qu’il n’était pas inutile de préciser que l’enregistrement est de droit versé au dossier lorsqu’il est susceptible de permettre à la personne qui porte plainte d’étayer les faits qu’elle avance.
Dans mon esprit, ce n’est pas la marque d’une défiance à l’égard de la police ou des enquêteurs. Si une personne dont la vitrine a été « caillassée » au cours d’une manifestation demande le versement de l’enregistrement au dossier de l’instruction, cela peut faciliter l’identification de l’auteur des faits.
À la demande de la commission, Mme Alima Boumediene-Thiery a accepté de clarifier les termes de son amendement. Dans sa rédaction actuelle, même si l’exposé des motifs demeure inacceptable, cet amendement peut éviter des interprétations inopportunes. La commission y est donc favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Pour une fois, le Gouvernement ne suivra pas l’avis de la commission, bien que je comprenne parfaitement les arguments de M. le rapporteur.
On ne peut pas, comme le fait le groupe socialiste au travers de nombreux amendements, et l’amendement n° 28 rectifié bis est de ceux-là, stigmatiser ainsi constamment le travail de la police, d’autant qu’en l’occurrence la garantie existe, et elle est assurée non seulement par le procureur de la République, mais aussi par le juge d’instruction et par la juridiction de jugement.
Le policier peut, s’il se sent mis en cause, demander le versement de l’enregistrement au dossier. Dès qu’il y a contestation, il y a plainte, et donc intervention d’un magistrat. Le versement de l’enregistrement au dossier est donc possible, avec la garantie d’un juge.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille. Les garanties que souhaitent les auteurs de l’amendement existent déjà. Cette disposition serait donc redondante. Par ailleurs, elle apparaît vexatoire. En tout état de cause, elle stigmatise la police.
Je ne voterai donc pas cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4, quatrième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, nous aurons l’occasion au cours de nos nuits d’insomnie de nous pencher sur vos doubles négations, fâcheuses en l’espèce, même si vous y avez trouvé une explication, au reste quelque peu confuse, pour justifier votre précédente déclaration.
Mais, monsieur le président de la commission, nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet en temps utile. Sachez d’ores et déjà que je ne suis pas favorable à l’absorption de la CNDS par le Défenseur des droits.
Que la saisine passe par le filtre des parlementaires me semble constituer plutôt une garantie. En effet, nous avons tous à cœur d’analyser de manière très approfondie les dossiers qui nous sont présentés avant de saisir la CNDS.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous accusez d’être des donneurs de leçons. Je vous prie de ne pas nous faire de procès d’intention. Vous avez vu dans nos amendements une stigmatisation de la police. Au nom du groupe socialiste, je récuse avec la dernière énergie cette accusation !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Regardez vos amendements !
M. Jean-Pierre Sueur. Je connais de nombreux fonctionnaires de police qui font preuve d’un grand dévouement et d’un remarquable professionnalisme. Nul ne peut nous faire dire le contraire !
Certes, il arrive, comme dans toutes, absolument toutes les professions, qu’il y ait des dérives, des bavures, des fautes. La CNDS existe justement pour les traiter. Les tribunaux ont également leur rôle à jouer. Mais on ne peut pas nous accuser de stigmatiser la police au prétexte que l’une de nos collègues a déposé un amendement permettant de donner un moyen d’agir supplémentaire à la CNDS, avec l’accord de M. le rapporteur.
Vous nous reprochez de donner des leçons, soit, mais il n’y a pas de raison de vous laisser insinuer, monsieur le secrétaire d’État, que nous stigmatisons et fustigeons les fonctionnaires de la police nationale, envers lesquels nous manifestons au contraire le plus grand respect. Je tiens à le dire hautement dans cette enceinte !
L’amendement n°6 est parfaitement cohérent, monsieur le président, avec l’amendement précédemment défendu par Charles Gautier. L'article 4 prévoit que les huit derniers alinéas de l'article 114 du code de procédure pénale ne sont pas applicables s'agissant des enregistrements. Ces alinéas prévoient qu'après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et des actes du dossier.
Nous proposons, par notre deuxième amendement, de supprimer cette restriction afin de faire rentrer ces enregistrements dans le droit commun. Cette logique est, à nos yeux, imparable sur le plan de l’équité et du droit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Les huit derniers alinéas de l’article 114 du code de procédure pénale sont relatifs aux copies des pièces de procédure qui peuvent être délivrées aux avocats des parties tout au long de l’instruction. Il ne paraît pas opportun de permettre que les enregistrements des interventions des forces de l’ordre puissent faire l’objet de copies susceptibles d’êtres diffusées.
L’article 4 prévoit d’ailleurs que la transmission d’un enregistrement réalisé dans de telles conditions est punissable d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. En revanche, et c’est là, me semble-t-il, que vous faites une confusion, l’enregistrement peut parfaitement être consulté selon les modalités fixées par le juge d’instruction, comme le sont toutes les pièces du dossier.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 4, dernière phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
« Lorsqu'une partie demande la consultation de l'enregistrement, cette demande est formée par écrit dans les conditions mentionnées au dixième alinéa de l'article 81 et le juge d'instruction dispose d'un délai de 5 jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour s'opposer à la consultation de l'enregistrement par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts, ou toute autre personne concourant à la procédure. Cette décision peut être déférée, dans les deux jours de sa notification, au président de la chambre d'instruction qui statue dans un délai de 5 jours ouvrables par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cet amendement concerne précisément la procédure prévue par l’article 4 pour le traitement de la demande de consultation de l'enregistrement formulée devant un juge d'instruction.
La procédure prévue est celle qui est mentionnée à l'article 82-1 du code de procédure pénale, selon laquelle les parties peuvent saisir le juge d'instruction afin que soit ordonnée la production, par l'une d'entre elles, d'une pièce utile à l'information.
D’un point de vue matériel, nous proposons une procédure semblable, à un détail près. En effet, l'article 82-1 du code de procédure pénale permet au juge d'instruction de s'opposer à cette demande, par décision motivée, dans un délai d'un mois. Mais rien n'est prévu en cas de refus !
Afin de prévenir les lenteurs inhérentes à de telles décisions, et surtout d’éviter l’absence de contrôle des refus, nous vous proposons une procédure différente de celle, rudimentaire, qui est prévue par l'article 82-1 du code de procédure pénale.
Le juge d'instruction, saisi d’une telle demande, ne pourrait ainsi refuser la consultation de l'enregistrement que dans un nombre de cas précis, notamment s’il existe des risques de pression à l'égard de la victime, des personnes mises en examen, de l'avocat, des témoins, ou des personnes participant à la procédure pénale.
Conformément au droit commun, l'ordonnance refusant la consultation devrait être spécialement motivée et être rendue dans un délai de cinq jours ouvrables. Le demandeur disposerait alors d’un délai de deux jours à partir de la notification de refus pour déférer cette décision au président de la chambre de l'instruction, qui devrait alors statuer dans les cinq jours.
Cette procédure est plus à même de respecter les droits de la défense que celle qui est prévue par l'article 4 de la proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois du Sénat. Elle instaure en effet des délais plus courts, des conditions plus strictes pour le refus d'une consultation, et, surtout, un droit d'appel contre la décision de refus du juge d'instruction.
Ce sont là des principes élémentaires dans un procès équitable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. J’avoue ne pas bien comprendre la difficulté procédurale que vous évoquez. En effet, votre amendement tente d’instaurer une procédure spéciale pour la consultation des enregistrements réalisés par les forces de l’ordre.
Cette solution serait source de complications inutiles, puisque l’article 82-1 du code de procédure pénale permet d’ores et déjà à une partie de demander au juge d’instruction la consultation de l’enregistrement. Si le juge n’entend ne pas faire droit à cette demande, il rend une ordonnance motivée qui peut être déférée devant le président de la chambre de l’instruction. Il est de plus possible, si le juge d’instruction ne statue pas dans un délai d’un mois, de saisir directement le président de la chambre de l’instruction.
L’amendement que vous proposez n’apporte rien et reprend une procédure existante.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis identique à celui de la commission.
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 4
I. - Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lorsque la juridiction de jugement a été saisie, toute personne ayant la qualité de prévenu ou d'accusé est en droit d'obtenir la délivrance, à ses frais, le cas échéant par l'intermédiaire de son avocat, de la copie de l'enregistrement audiovisuel soumis à la juridiction de jugement devant laquelle elle est appelée à comparaître.
II. - En conséquence, à la première phrase
Remplacer les mots :
, du juge d'instruction ou de la juridiction de jugement
par les mots :
ou du juge d'instruction
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à introduire une distinction dans la procédure prévue pour la consultation des enregistrements.
En effet, l'article 4 ne fait pas de différence entre une consultation au stade de l'instruction et une consultation demandée devant la juridiction de jugement. Cette distinction se justifie pourtant pour plusieurs raisons. Ainsi, les principes du secret de l'enquête et de l'instruction ne sont pas applicables devant la juridiction de jugement. Cette distinction, élémentaire, conduit naturellement à considérer la procédure de consultation selon son état d'avancement.
Cette exigence est issue, rappelons-le, non seulement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, relative à l'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais également de la position de la Cour de cassation.
Nous vous proposons donc de dissocier les fonctions de poursuite et de jugement, en conférant, devant la juridiction de jugement, un droit à obtenir une copie numérique de l'enregistrement, sans restriction autre que celle tirée de la volonté du prévenu ou de l'accusé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement est satisfait par l’article R-155 du code de procédure pénale, qui prévoit qu’une copie des pièces de la procédure est délivrée aux parties lorsque des poursuites ont été engagées et que la copie est demandée pour l’exercice des droits de la défense ou de la partie civile.
La commission se prononce donc pour un retrait de cet amendement et émettra, à défaut, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Boumediene-Thiery, l’amendement n°23 est-il retiré ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Cet amendement tend à supprimer l'alinéa 5 qui dispose que le fait, pour toute personne, de diffuser un enregistrement réalisé en application du présent article est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
En effet, il est paradoxal de permettre le recueil d'éléments de preuve tout en se privant de la possibilité de les utiliser ! Là encore, nous proposons simplement d'appliquer le droit commun.
L'article 434-22 du code pénal sanctionne le bris de scellés et le détournement d'objet placé sous scellés. Dans le cadre de l'instruction, l'article 114-1 du code de procédure pénale dispose que « le fait, pour une partie à qui une reproduction des pièces ou actes d'une procédure d'instruction a été remise, de la diffuser auprès des tiers, est puni de 3 750 euros d'amende ». Enfin, l'article 226-13 du code pénal prévoit que « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par son état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».
Les dispositions actuelles sont donc suffisantes, et il n'est pas utile d'apporter une restriction supplémentaire à l'utilisation de ces enregistrements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’ensemble des dispositions du code de procédure pénale relatives aux enregistrements prévoient des sanctions pénales destinées à prévenir leur diffusion. C’est ainsi le cas pour les enregistrements des gardes à vue, ceux des interrogatoires en matière criminelle ainsi que ceux des auditions de mineurs. L’objectif est de garantir une certaine confidentialité pour ces pièces de procédure. Mais ces dispositions protègent également le mineur ou le bénéficiaire de la présomption d’innocence. Il ne s’agit pas de faire passer ces pièces dans le domaine public pour que, par exemple, les déclarations du mineur soient systématiquement diffusées dans le public. À l’inverse, ces dispositions n’empêchent pas le procureur de la République de décider de rendre public l’enregistrement, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou faire cesser un trouble à l’ordre public.
La commission émet par conséquent un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Les restrictions à la diffusion et l’infraction prévue par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, ou loi Guigou, restent tout à fait pertinentes en l’occurrence.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’alinéa 6 prévoit que « le fait qu'un enregistrement réalisé en application du présent article ne puisse être consulté en raison d'une impossibilité technique ne constitue pas une cause de nullité ».
Il nous paraît paradoxal d’imaginer que des impossibilités techniques qui empêcheraient le visionnage des images puissent constituer une cause de nullité de l’ensemble de la procédure. Cette disposition nous semble résulter d'une confusion entre règle de procédure et élément de preuve.
Le défaut de preuve ne conduit en droit français qu'à la relaxe ou à l'acquittement et en aucun cas à une nullité de procédure sauf, bien sûr, en cas de violation de règles procédurales dans le recueil de la preuve.
Nous proposons donc de supprimer cette restriction.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’enregistrement des interventions des forces de l’ordre ne fait l’objet d’expérimentations que depuis 2008. Des difficultés techniques apparaissent encore régulièrement. Dans ces conditions, il semble tout de même important de le préciser, l’impossibilité de consulter un enregistrement pour des raisons techniques ne peut pas constituer une cause de nullité de la procédure. Il serait en effet aberrant d’annuler toute une procédure pour la seule raison qu’un enregistrement, mentionné au dossier et dont le visionnage est déterminant pour la suite de la procédure, n’est pas techniquement fiable et exploitable.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. M. le rapporteur a raison, il serait aberrant que toute la procédure soit annulée pour une simple impossibilité technique.
Imaginons par exemple que, à l’occasion d’un contrôle d’identité filmé par la police – enregistrement au demeurant facultatif –, et dans des conditions tout à fait respectueuses des droits, une personne extrêmement dangereuse soit arrêtée. Devra-t-on la remettre en liberté parce que l’enregistrement est illisible ? Si le magistrat considère, dans le cadre de la procédure, qu’il ne peut pas consulter la vidéo, il en tirera toutes les conséquences, mais l’automaticité, en l’occurrence, me paraît totalement absurde.
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7, première phrase
Après le mot :
décret
insérer les mots :
, pris après avis de la Commission nationale Informatiques et libertés,
II. - Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il détermine également les conditions dans lesquelles la Commission nationale informatiques et libertés contrôle la durée de conservation et la destruction de l'enregistrement dans les cas prévus au troisième alinéa.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet de placer les enregistrements effectués dans le cadre de la procédure prévue par cet article dans le champ des compétences de la CNIL.
Il nous semble en effet important que la CNIL ait un droit de regard sur les enregistrements, notamment ceux qui sont conservés sans être utilisés dans le cadre d’une procédure.
À ce titre, la CNIL doit pouvoir émettre un avis sur le décret d’application du dispositif créé par cet article. Les atteintes potentielles au droit à la vie privée sont trop importantes pour que l’on s’affranchisse du contrôle de cette autorité administrative indépendante.
Par ailleurs, par cet amendement, nous vous proposons que la CNIL puisse contrôler la durée de conservation et la destruction des données qui seront stockées, car aucune autorité administrative n’est prévue par le texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il ne faut pas confondre les notions en confondant les procédés.
Il n’est pas possible d’assimiler les enregistrements réalisés par les interventions des forces de l’ordre à des systèmes de vidéosurveillance ou à des traitements automatisés de données personnelles. Ce point pourra toutefois être précisé lors de l’examen du projet de loi dit « LOPPSI 2 », qui contient un certain nombre de dispositions relatives à la vidéosurveillance.
Néanmoins, en l’état du droit, la compétence de la CNIL en matière d’interventions de forces de l’ordre ne semble pas pouvoir se justifier. Je vous rappelle que la CNIL n’est pour l’instant pas compétente en matière de vidéosurveillance sur la voie publique.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Il s’agit d’un amendement de conséquence, puisque nous vous avons proposé d’appliquer aux enregistrements audiovisuels des interventions des forces de l’ordre les règles de droit commun.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Une logique en vaut une autre, et le dernier alinéa de l’article 4 apporte une précision importante, puisqu’il exclut du champ de cet article les enregistrements réalisés au cours d’une procédure judiciaire, qui demeurent régis par les dispositions spécifiques du code de procédure pénale, notamment leur placement sous scellés.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à vous annoncer une bonne nouvelle : la France s’est qualifiée pour participer à la Coupe du monde de football, en Afrique du Sud ! (Applaudissements.)
Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 4 bis
Après l’article L. 126-1 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 126-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 126-1-1. – Lorsque des événements ou des situations susceptibles de nécessiter l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie nationales ou, le cas échéant, des agents de la police municipale se produisent dans les parties communes des immeubles à usage d’habitation, les propriétaires ou exploitants de ces immeubles ou leurs représentants peuvent rendre ces services ou ces agents destinataires des images des systèmes de vidéosurveillance qu’ils mettent en œuvre dans ces parties communes.
« La transmission de ces images relève de la seule initiative des propriétaires ou exploitants d’immeubles collectifs d’habitation ou de leurs représentants. Elle s’effectue en temps réel et est strictement limitée au temps nécessaire à l’intervention des services de police ou de gendarmerie nationales ou, le cas échéant, des agents de la police municipale.
« Un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés définit les conditions d’application du présent article. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 40 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 53 est présenté par MM. Mézard et Collin.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 10.
M. Jean-Pierre Sueur. L’article 4 bis n’est pas anodin, car il permet aux gérants d’immeubles de transmettre les images de leurs systèmes de vidéosurveillance aux forces de l’ordre en dehors de toute logique d’investigation et de toute procédure.
Cet article ouvre cette possibilité « lorsque des événements ou des situations susceptibles de nécessiter l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie nationales ou, le cas échéant, des agents de la police municipale se produisent dans les parties communes des immeubles à usage d’habitation ». Vous aurez remarqué un mot particulièrement important dans l’alinéa que je viens de citer, je veux dire l’adjectif « susceptibles ».
Cela signifie que, si le gérant d’un immeuble estime qu’un incident peut se produire, il a la possibilité de donner ses enregistrements à la police.
Cette formulation est désastreuse, parce qu’elle est totalement vague. Un événement est toujours « susceptible » d’advenir ! Donc, à tout moment et sans raison, tous les films produits par les systèmes de surveillance installés dans les parties communes d’immeubles collectifs d’habitation peuvent être transmis à la police.
M. Charles Gautier. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. S’il s’agit d’une remise a posteriori à titre de preuve, ce texte est inutile, car les services de police peuvent se faire remettre de tels enregistrements sur simple réquisition. Donc, il ne peut s’agir que d’une procédure a priori.
On voit mal l’intérêt d’une telle disposition pour lutter contre la délinquance puisque, par hypothèse, au moment où les enregistrements sont remis, aucune infraction n’a été commise et aucune enquête n’est ouverte.
En réalité, ce texte s’inscrit, lui, dans une logique de suspicion et de stigmatisation. (M. le président de la commission des lois s’exclame.) Concrètement, les bailleurs pourront désigner ceux qui, de leur point de vue, posent problème a priori, sans autre cause : soit leur figure ne leur reviendra pas, soit, en les regardant, ils se diront que ces personnes sont « susceptibles » de commettre des actes délictueux.
C’est tout à fait inacceptable ! Si vous pensez le contraire, je suis curieux d’entendre vos arguments.
À titre tout à fait subsidiaire, j’ajoute que le texte reste muet sur le mode de transmission de ces images. Si la transmission se fait par wi-fi – n’oublions pas que la technique évolue très rapidement –, il y a un risque que les données soient captées par des tiers, ce qui peut constituer une atteinte à la vie privée.
Enfin, si un débat devait avoir lieu sur une telle disposition, il devrait s’inscrire dans le cadre de l’examen du texte « LOPPSI 2 ».
Sur le fond, cet article nous paraît extrêmement dangereux.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 40.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cette disposition que nous critiquons, comme nos collègues socialistes, permettrait aux propriétaires et aux exploitants des immeubles d’habitations, ou à leurs représentants, de transmettre les images de leurs systèmes de vidéosurveillance aux services de police.
Vous insérez donc, monsieur le secrétaire d’État, une disposition qui renforce le recours à la vidéosurveillance en dehors de toute procédure d’enquête. En effet, la possibilité qui est donnée à ces personnes morales privées est ouverte lorsque des événements ou des situations sont « susceptibles » de nécessiter l’intervention des forces de l’ordre.
Nous sommes donc en présence d’une disposition assez étrange. Je sais bien que la vidéosurveillance est considérée aujourd’hui comme une arme nouvelle et infaillible pour lutter contre l’insécurité, mais ce système de contrôle omniprésent est peu probant, et de toute manière très dangereux pour nos libertés.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 53.
M. Jacques Mézard. Dans la même logique, nous considérons que la législation actuelle est suffisante. D’ailleurs, les inquiétudes qui viennent d’être exposées sont en partie partagées par la commission, puisqu’un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés doit définir précisément les conditions de mise en œuvre du présent article. Gageons en effet qu’il posera de sérieuses difficultés d’application...
Donc, il vaut mieux en rester à la situation actuelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Le problème qui se pose est simple.
L’article L. 126-1 du code de la construction et de l’habitation autorise d’ores et déjà les propriétaires ou exploitants d’immeubles à usage d’habitation à accorder aux forces de l’ordre un droit d’accès permanent dans les parties communes, afin de rétablir la jouissance paisible des lieux. Voilà pour l’existant.
L’article 4 bis, inséré dans le texte de la proposition de loi par la commission des lois de l’Assemblée nationale, donne aux forces de l’ordre les moyens de préparer leur intervention, en leur permettant d’accéder en temps réel aux images des systèmes de vidéosurveillance installés dans les parties communes.
Ce n’est pas une mesure de répression. Il s’agit de permettre aux forces de police de visionner les images en temps réel, afin d’éviter, le cas échéant, la commission d’une infraction plus grave. Ne croyez-vous pas que, dans le métro, il eût été utile, de temps en temps, que les forces de police puissent intervenir avant qu’un viol collectif soit commis ? C’est de la prévention, et uniquement en temps réel.
Afin de limiter les risques d’atteinte à la vie privée, notre commission des lois a strictement encadré cette possibilité et a souhaité renvoyer à un décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL, pour la détermination des conditions d’application de cet article.
Les garanties apportées par la commission permettent de parvenir à un équilibre certain dans le domaine de la prévention.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de la possibilité complémentaire qu’apporte cet article.
En l’état actuel du droit, aucune communication d’image de vidéosurveillance prise dans des immeubles d’habitation n’est envisageable à des fins de prévention. Or cet article vise à remédier à cette lacune. Comme l’a dit M. le rapporteur, il est strictement encadré et sera précisé par un décret en Conseil d’État. Il ne faut donc pas le supprimer.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10, 40 et 53.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 30, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Supprimer les mots :
ou, le cas échéant, des agents de la police municipale
II. - Alinéa 3, seconde phrase
Supprimer les mots :
ou, le cas échéant, des agents de la police municipale
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. La possibilité, ouverte par cet article, de confier à la police municipale la compétence pour recevoir des informations recueillies par vidéosurveillance est étonnante et déborde du cadre des compétences fixées par le code de procédure pénale.
Prenons une situation simple : la police municipale est amenée à intervenir, sur transmission d’images, par un gardien d’immeuble.
Que pourra faire la police municipale ? En réalité, pas grand-chose, et c’est justement là où se situe le problème. Les policiers municipaux ne peuvent ni procéder à des contrôles d’identité ni verbaliser en dehors du champ de leur compétence.
Dans ce cas, à quoi servirait une intervention de la police municipale ?
Il est important de maintenir intacts les pouvoirs de chacune des composantes des forces de l’ordre, sans empiétement des unes sur les autres.
Ce serait sinon ouvrir la voie à un mélange des genres tout à fait nuisible, notamment lorsqu’il s’agit d’exercer les fonctions régaliennes de l’État.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons d’exclure la police municipale du dispositif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La référence aux agents de police municipale figure déjà dans un article du code de la construction et de l’habitation, qui autorise les propriétaires à faire appel à la police municipale et à lui accorder un droit d’accès permanent dans les parties communes, afin de rétablir la jouissance paisible des lieux.
De plus, l’intervention des agents de police municipale se justifie par le fait qu’il s’agit vraisemblablement d’une mission de médiation, qui, on le sait bien, relève tout à fait de la compétence des policiers municipaux, en application de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet le même avis défavorable que la commission.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 30.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Rappel au règlement
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, lorsque la conférence des présidents a organisé, dans le cadre de l’espace réservé aux groupes d’opposition ainsi qu’aux groupes minoritaires, ces trois demi-journées, elle a imparti une plage de quatre heures à chaque groupe. Il n’y a donc pas de groupe qui soit privilégié.
La présente proposition de loi a été examinée de dix-sept heures à vingt heures, soit durant trois heures, et la discussion se poursuit depuis vingt-deux heures. Il est actuellement vingt-trois heures quarante-cinq. Nous avons donc déjà consacré quatre heures quarante-cinq à ce texte !
Hier soir, un dépassement a certes été admis – dont acte ! –, mais il était moins important. La discussion de la proposition de loi présentée par David Assouline a été interrompue et reportée à la prochaine demi-journée réservée au groupe socialiste.
M. Charles Gautier. Même faute, même punition !
M. Bernard Frimat. Pour ma part, je souhaite qu’il n’y ait pas deux poids, deux mesures dans cette assemblée !
MM. Jean-Pierre Sueur et Charles Gautier. Très bien !
M. Bernard Frimat. Aussi, monsieur le président, je vous demande de lever la séance, ce qui me semblerait conforme à la décision prise par la conférence des présidents.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une question d’équité !
M. Bernard Frimat. Certes, je suis tout à fait conscient du désagrément que je vous cause et de la situation difficile dans laquelle je vous place, mais je suis dans mon rôle en vous le demandant et j’y suis contraint.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, monsieur Frimat.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, lorsqu’il s’agit d’examiner un texte important, le délai de quatre heures ne s’applique pas en tant que tel. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je rappelle que la Constitution prévoit simplement qu’une journée par mois est réservée aux groupes d’opposition et minoritaires. Le Gouvernement pourrait, à la limite, réclamer, avec l’accord de la majorité, tout le temps restant disponible dans la semaine. On oublie un petit peu cet aspect des choses, comme s’il s’agissait d’un droit égal. Or, je suis désolé, mais ce n’est pas du tout le cas !
Monsieur Frimat, nous étions certes convenus que les groupes pouvaient permuter de mercredi à jeudi par accord entre eux, mais je ne vois pas au nom de quoi on arrêterait la discussion d’un texte dont le Gouvernement souhaite aussi qu’il soit soumis au Sénat et voté,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … comme ce fut effectivement le cas à l'Assemblée nationale, d’autant qu’il ne reste que quelques amendements à examiner.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est possible si chacun veut bien faire un effort.
Sinon, ce serait trop facile d’empêcher l’adoption des textes ! La majorité aussi a des droits ! Autrement, cela n’a aucun sens.
Monsieur le président, je vous demande de poursuivre jusqu’à son terme l’examen de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Je vous remercie, monsieur le président, de me redonner la parole.
Sur le document fourni par la conférence des présidents qui fait apparaître, grâce à différentes couleurs, les espaces réservés aux groupes, on voit bien que le RDSE et l’UMP se partagent la journée d’aujourd'hui. Un accord a été passé sur un module de quatre heures. (M. le président de la commission des lois s’exclame.)
Monsieur Hyest, je suis désolé, mais telle a été la position de la conférence des présidents. Votre interprétation peut être différente, mais vous ne m’empêcherez pas d’avoir la mienne !
Il s’agit ici d’un principe d’équité.
Je ne pense pas que la majorité soit particulièrement maltraitée dans cette assemblée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle l’est !
M. Bernard Frimat. Je demande simplement que la décision prise par la conférence des présidents soit respectée parce que c’est ainsi que nous a été présentée l’organisation de nos travaux. Nous en faisons, monsieur le président, une question de principe.
Maintenant, nous nous sommes suffisamment exprimés, et nous vous écoutons, monsieur le président.
M. le président. Monsieur le président de la commission, monsieur Frimat, mes chers collègues, de la place qui est la mienne, j’observe, depuis la reprise de la séance, que nous travaillons dans une atmosphère excellente et que le débat est, disons-le, très intéressant et de bonne tenue.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Absolument !
M. le président. Monsieur Frimat, s’agissant de la proposition de loi UMP qui nous est soumise, je vous rappelle qu’une quarantaine d’amendements ont été déposés par le groupe socialiste et par le groupe CRC-SPG, ce dont je me réjouis d’ailleurs, puisqu’ils ont nourri la discussion.
En toute honnêteté, je ne me vois pas interrompre un débat auquel participent avec une attention soutenue l’ensemble de nos collègues. Je prends cette décision en mon âme et conscience et, s’il le faut, j’en répondrai devant la conférence des présidents ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Article 4 bis (suite)
M. le président. L'amendement n° 29, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Remplacer les mots :
La transmission de ces images
par les mots :
La décision de transmission de ces images est subordonnée à l'autorisation de l'autorité préfectorale, après avis de la commission départementale, dans les conditions prévues par le III de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation pour la sécurité. Elle relève...
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet de placer le dispositif créé par cet article sous le régime de droit commun de la vidéosurveillance.
L’article 4 bis met en place une véritable surveillance des parties communes des immeubles par un droit de réquisition des systèmes de vidéosurveillance. Aucune raison impérieuse n’est précisée en ce qui concerne l’encadrement de ces transmissions.
Cet article fait référence à des « événements ou des situations susceptibles de nécessiter l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie nationales ». Mais qui apprécie cette nécessité ? On se paye encore une fois de mots pour justifier l’injustifiable, une violation du droit à la vie privée des habitants de l’immeuble.
Gardons bien à l’esprit que ceux qui auront à subir ce dispositif ne l’ont pas désiré. La plupart sont de simples locataires, qui verront ainsi leurs allées et venues filmées, transmises aux autorités, sans aucun droit d’accès à ces images.
Pis encore, ils ne sauront même pas, en l’état actuel du texte, qu’ils peuvent être filmés. Leur a-t-on demandé leur avis ? Non ! Et c’est, à mon avis, très grave.
La principale question soulevée par ce dispositif est celle de sa compatibilité avec le droit commun de la vidéosurveillance tel qu’il est issu de l’article 10 de la loi sur la vidéosurveillance.
Je vous rappelle que cette loi prévoit, de manière très précise, l’hypothèse d’un raccordement des forces de police à un système de vidéosurveillance.
Le dispositif que vous souhaitez créer existe déjà, mais il est soumis à un contrôle.
D’abord, l’installation d’un système de vidéosurveillance est soumise à une décision du préfet, après autorisation de la commission départementale des systèmes de vidéosurveillance. Cet article a pour objet de court-circuiter cette procédure en s’affranchissant de tout contrôle. Le résultat est étonnant et montre bien comment cette proposition de loi est un gadget politique et médiatique. La loi spéciale vient vider de son sens le droit commun.
Un tel texte n’aurait jamais passé le test du Conseil d’État s’il lui avait été soumis. C’est certainement la raison pour laquelle le Gouvernement a volontairement choisi de le présenter sous la forme d’une proposition de loi. Celui qui avait déposé cette proposition de loi est d’ailleurs aujourd’hui devenu ministre...On est en plein mélange des genres !
Nous vous proposons de supprimer cette incohérence, dangereuse, en soumettant ce dispositif au droit commun de la vidéosurveillance, qui requiert l’autorisation du préfet et celle de la commission départementale des systèmes de vidéosurveillance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Les parties communes des immeubles constituent des lieux privés. De ce fait, ils ne relèvent pas du champ d’application de la loi de 1995. Les systèmes de vidéosurveillance implantés dans des lieux privés relèvent de la loi « Informatique et libertés » de 1978, donc de la compétence de la CNIL.
Dans ces conditions, la commission a prévu qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL, déterminera les conditions d’application de l’article 4 bis.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 29.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 82 :
Nombre de votants | 310 |
Nombre de suffrages exprimés | 308 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 155 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 157 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 4 bis.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Mes chers collègues, les scrutateurs m’informent qu’il y a lieu d’effectuer un pointage.
En attendant le résultat définitif, je vous propose de réserver le vote sur l’article 4 bis et de poursuivre la discussion des articles.
Article additionnel après l'article 4 bis
M. le président. L'amendement n° 27 rectifié bis, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 4 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 26-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. 26-1. - La transmission des images des systèmes de vidéosurveillance aux services de police ou de la gendarmerie nationale ou, le cas échéant, aux agents de la police municipale dans les cas prévus à l'article L. 126-1-1 du code de la construction et de l'habitation fait l'objet d'une autorisation générale qui est accordée par un vote à l'unanimité des voix des propriétaires. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à insérer un article additionnel après l’article 4 bis. Il porte sur l’autorisation de transmission des images des systèmes de vidéosurveillance qui doit être accordée par un vote de l’assemblée générale des copropriétaires.
Cet amendement a été rectifié à deux reprises.
Dans l’amendement d’origine n° 27, nous souhaitions que cette décision soit prise à l’unanimité. Puis nous avons rectifié l’amendement à la demande de la commission pour que la décision soit prise à la majorité qualifiée. Enfin, nous avons décidé de modifier à nouveau l’amendement pour en revenir à une décision prise à l’unanimité.
En effet, les images des systèmes de vidéosurveillance étant transmises aux autorités habilitées, il est à craindre que plusieurs propriétaires ne soient amenés à se faire imposer une telle décision sans pouvoir valablement s’y opposer.
La loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, qui organise les votes en assemblée générale des copropriétaires, prévoit, en son article 24, que, dans le silence de la loi, le vote est acquis à la majorité simple.
Toutefois, il existe des domaines dans lesquels l’unanimité est requise. Ainsi, est prise à l’unanimité la décision de supprimer le poste de concierge ou d’installer un interphone à la porte d’entrée d’un immeuble. Ce dernier exemple est important, puisqu’il concerne le recours aux nouvelles technologies, dont la vidéosurveillance fait partie.
Par conséquent, il serait intolérable d’imposer à un propriétaire la mise en place d’un tel système sans que son consentement ait été recueilli. C’est l’objet de cet amendement n° 27 rectifié bis, qui prévoit que la décision de transmettre les images d’un système de vidéosurveillance est soumise à une décision de l’assemblée générale des copropriétaires prise à l’unanimité des voix des propriétaires.
Ce matin, M. le rapporteur m’a suggéré de ne demander qu’un vote à la majorité des deux tiers. Après réflexion, j’ai décidé de maintenir l’exigence de l’unanimité, puisqu’il s’agit, en l’espèce, de prévoir l’accord de tous, sans exception aucune. Il serait en effet intolérable d’imposer à un propriétaire un tel système. Il me semble important de prévoir un droit de veto.
Par conséquent, je maintiens cette exigence en dépit des demandes de rectification de M. le rapporteur. Je renvoie d’ailleurs aux articles 24, 25 et 26 de la loi du 10 juillet 1965 qui prévoient l’unanimité dans de nombreux domaines, dont celui de la sécurité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission avait ouvert la possibilité d’une rectification. Celle-ci n’ayant pas été opérée, l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 27 rectifié bis.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 84 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 179 |
Contre | 158 |
Le Sénat a adopté.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4 bis.
M. Bernard Frimat. C’est une excellente nouvelle !
Article 4 ter
Le premier alinéa de l’article L. 126-3 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 126-3. – Le fait d'occuper en réunion les espaces communs ou les toits des immeubles collectifs d'habitation en empêchant délibérément l'accès ou la libre circulation des personnes ou le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende. »
M. le président. L'amendement n° 41, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’article 4 ter est, en fait, la simple réécriture d’une ancienne disposition phare : le délit d’occupation abusive des halls d’immeuble.
On peut tous s’étonner de voir réapparaître une mesure qui a pourtant fait la preuve de son caractère inapplicable. Mais au lieu de reconnaître cet échec, vous vous obstinez visiblement à rendre cette mesure applicable.
Je vous rappelle que cette disposition figurait à l’article L 126-3 du code de la construction et de l’habitation, mais qu’elle a été réformée depuis. En effet, d’une part, elle ne trouvait pas à s’appliquer et, d’autre part, les poursuites judiciaires sur ce fondement étaient plus que faibles.
Il n’est pas certain que le fait de remplacer le participe présent du verbe « empêcher » par celui du verbe « entraver » permette de résoudre le problème et de rendre la mesure plus effective. Il aurait à mon avis été plus sage de prendre en considération l’affirmation des représentants du Syndicat de la magistrature qui estiment qu’il s’agit d’une infraction inopérante dont les tribunaux ne savent que faire, et donc d’admettre l’inefficacité de cette mesure.
Il ne suffit pas de faire des lois pour faire des lois ; encore faut-il que celles-ci soient cohérentes et trouvent à s’appliquer ! Au nom de mon groupe, je demande la suppression de l’article 4 ter modifiant un article de loi qui a démontré toute son inconséquence et qui doit donc être abrogé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La modification rédactionnelle introduite par l’article 4 ter a uniquement pour objet d’assouplir les éléments constitutifs de l’infraction d’occupation abusive des halls d’immeubles.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 41.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 85 :
Nombre de votants | 310 |
Nombre de suffrages exprimés | 308 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 155 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 157 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 32, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - L'article L. 126-3 du code de la construction et de l'habitation est abrogé.
II. - Le sixième alinéa (5°) de l'article 495 du code de procédure pénale est supprimé.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à supprimer le délit d’occupation abusive des halls d’immeubles.
Régulièrement, nous avons droit à un « lifting » de l’article de loi relatif à ce délit. Et régulièrement, nous vous rappelons que cette disposition ne sert à rien, puisqu’elle n’est pas utilisée par les juges. Pourtant, la majorité UMP s’acharne, depuis 2003, date de création de ce délit dans la loi pour la sécurité intérieure, à le maintenir, en aménageant sa mise en œuvre, ou, comme aujourd’hui, en le toilettant, afin de rappeler au quidam qu’il existe bel et bien.
Le Gouvernement a beau chercher à encourager les condamnations prononcées sur le fondement de cette infraction, par exemple en confiant son jugement à un juge unique, rien n’y fait : les juges n’y recourent pas. Il est temps aujourd’hui de prendre acte de cet état de fait et de supprimer cette disposition, qui non seulement ne sert à rien, mais aussi stigmatise toujours les mêmes personnes : les jeunes, les habitants des cités, bref, tous ceux que votre majorité considère comme des délinquants potentiels.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Je ne suis pas certain que les habitants des cités calmes et respectueux de la loi républicaine partagent votre avis, madame Boumediene-Thiery.
Le nombre de condamnations prononcées sur le fondement de cette incrimination est en progression, puisqu’il est passé de 28 en 2003 à 127 en 2007.
Le Conseil national des villes, dans son avis rendu le 12 mars 2009, a rappelé que l’occupation abusive des halls d’immeuble « constituait une véritable difficulté ». Les magistrats que j’ai auditionnés estiment que le principal obstacle à l’application de cette incrimination réside dans l’insuffisance des dossiers transmis aux juridictions.
Considérant qu’il n’est pas opportun d’abroger cette infraction, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
J’ai été choqué par votre argumentation, madame Boumediene-Thiery. M. le rapporteur a eu raison de rappeler qu’il fallait à tout prix maintenir cette disposition.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 32.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 86 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 4 ter.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 87 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 185 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté.
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à l’heure, notre collègue Bernard Frimat a rappelé le principe d’équité, auquel nous sommes profondément attachés.
De nouvelles règles, parfaitement claires, arrêtées au terme d’un débat auquel nous avons tous participé, instaurent un temps pour chaque groupe. (M. le président de la commission des lois le conteste.)
Hier, un débat portant sur une proposition de loi de deux articles, présentée par le groupe socialiste, a été interrompu, car le temps était dépassé.
Or, aujourd’hui, le temps est plus que dépassé !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État, et M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. À cause de vous !
M. Jean-Pierre Sueur. Quel que soit le texte, tout sénateur peut déposer un amendement. Ce droit est imprescriptible.
Il nous semble essentiel d’appliquer de manière équitable à tous les groupes, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires, cette règle communément adoptée. Cette position vaut pour la situation actuelle, mais aussi pour l’avenir.
Nous avons cherché, par notre attitude – vous l’avez certainement compris – à marquer notre désaccord quant à ce fonctionnement. Le règlement nous permettrait d’ailleurs de demander environ vingt scrutins publics supplémentaires.
Il n’est peut-être pas utile de continuer sur le même mode. Mais nous souhaiterions que le message soit entendu et que, à l’avenir, les règles soient respectées.
S’agissant de la suite éventuelle de cette séance, c’est évidemment à vous d’en décider, monsieur le président.
M. le président. Je pense qu’il faut continuer le débat jusqu’à ce que le Sénat se soit prononcé sur ce texte, qui a donné lieu à un débat intéressant.
L’ordre du jour indiquait de surcroît que nous examinerions cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, à dix-huit heures trente et le soir.
Alors que certains de nos collègues sont venus spécialement pour ce débat, ce dernier serait brusquement interrompu…
Plusieurs sénateurs socialistes. Cela a été le cas hier !
M. le président. Je ne pense pas que ce soit une bonne manière de légiférer.
Je prends donc mes responsabilités et je souhaite, si le Sénat en est d’accord, que nous continuions.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce qui se passe actuellement est déterminant pour l’avenir.
De deux choses l’une : soit, comme hier soir, on décide d’interrompre le débat une fois le temps imparti écoulé et, dans ce cas, cette règle doit s’appliquer à tous les groupes, quelle que soit la frustration légitime que son application puisse engendrer ; soit on considère que tout débat engagé sur une proposition de loi doit aller à son terme et, dans ce cas, cette jurisprudence doit s’appliquer à tous les textes, quel que soit le groupe qui en est signataire.
Cette alternative, qui nous semble très claire, devra être soumise aux instances décisionnelles de notre assemblée. Dans tous les cas, il ne peut y avoir de règlement à géométrie variable.
Nous n’interviendrons plus dans cette séance sur des questions de procédure, mais nous souhaitons, monsieur le président, que vous nous donniez acte de nos interventions, et qu’une décision soit prise, dans un sens ou dans un autre.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Je partage les propos de mon collègue Jean-Pierre Sueur.
La question n’est pas de savoir si le débat d’aujourd’hui est plus intéressant que celui d’hier, mais si les groupes de l’opposition et de la majorité sont traités de manière égalitaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Selon la Constitution, la question ne se pose pas en ces termes !
Mme Éliane Assassi. Nous avons manifesté notre refus de certaines pratiques en multipliant les demandes de scrutins publics.
Pour ma part, je pense que nous devons être raisonnables et nous arrêter. Il n’en demeure pas moins que nous sommes confrontés à une vraie question démocratique, qu’il faudra bien résoudre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Une question démocratique, en effet : vous empêchez l’examen des propositions de loi de la majorité !
M. le président. Acte vous est donné de ces rappels au règlement, mes chers collègues.
Article 4 quater
L’article L. 126-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes coupables des infractions prévues aux deux premiers alinéas encourent également, à titre de peine complémentaire, une peine de travail d’intérêt général. »
M. le président. L'amendement n° 42, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La brièveté de mon intervention vous montrera que je n’empêche rien du tout, monsieur Hyest !
Cet amendement vise simplement à tirer les conséquences de la volonté que nous avons exprimée à l’article précédent.
Nous nous opposons évidemment à cette disposition qui accentue la peine encourue pour l’infraction d’occupation abusive des halls d’immeuble, en prévoyant une peine complémentaire de travail d’intérêt général.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’intérêt de cet article est d’offrir aux magistrats la possibilité de cumuler une peine d’emprisonnement ou d’amende avec une peine de travail d’intérêt général. Le juge peut ainsi négocier la peine qu’il va infliger.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 quater.
(L'article 4 quater est adopté.)
Article 4 quinquies
(Supprimé)
Article 4 sexies (nouveau)
Après l’avant-dernier alinéa de l’article 15-1 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les sanctions éducatives prononcées en application du présent article seront exécutées dans un délai ne pouvant excéder trois mois à compter du jugement. »
M. le président. L'amendement n° 43, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 sexies.
(L'article 4 sexies est adopté.)
Article 4 septies (nouveau)
À l’article L. 332-8 du code du sport, après les mots : « Le fait d’introduire » sont insérés les mots : «, de détenir ou de faire usage ».
M. le président. L'amendement n° 44, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet article vise à renforcer la répression autour des événements sportifs, laquelle, selon nous, n'a pas de rapport direct avec l'intitulé de la loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. C’est précisément l’illustration de ce que j’indiquais tout à l’heure à propos de l’interprétation restrictive de la loi pénale, puisque cette disposition fait suite à une décision du tribunal correctionnel de Nîmes.
L’article 4 septies apporte une précision bienvenue, puisqu’il étend à la détention et à l’usage le délit d’introduction de fumigènes dans les stades. Désormais, une personne qui use de fumigènes dans une enceinte sportive pourra être poursuivie même s’il est impossible de prouver qu’elle les a elle-même introduits.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 septies.
(L'article 4 septies est adopté.)
Article 4 octies (nouveau)
Le code du sport est ainsi modifié :
1° À l’article L. 332-16 :
a) Au premier alinéa, après les mots : « à l’occasion de manifestations sportives » sont insérés les mots : « ou par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations » ;
b) Au deuxième alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « six » et l’alinéa est ainsi complété :
« Toutefois, cette durée peut être portée à douze mois si, dans les trois années précédentes, cette personne a fait l’objet d’une mesure d’interdiction. » ;
c) Au quatrième alinéa, après le mot : « puni » sont insérés les mots : « d’un an d’emprisonnement et » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 332-18, après le mot : « dissous » sont insérés les mots : « ou suspendu d’activité pendant douze mois au plus » et après les mots : « actes répétés » sont insérés les mots : « ou un acte d’une particulière gravité et qui sont ».
M. le président. L'amendement n° 45, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement a le même objet que l’amendement n° 44.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 octies.
(L'article 4 octies est adopté.)
Article 4 bis (suite)
M. le président. Mes chers collègues, je suis maintenant en mesure, après pointage, de vous donner le résultat du dépouillement du scrutin n° 83 sur l’article 4 bis :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 184 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
Chapitre II
Dispositions renforçant la protection des élèves et des personnes travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire
Article 5
(Non modifié)
I. – Les 4° bis et 4° ter des articles 221-4, 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal sont ainsi rédigés :
« 4° bis Sur un enseignant ou tout membre des personnels travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire, sur un agent d’un exploitant de réseau de transport public de voyageurs ou toute personne chargée d’une mission de service public, ainsi que sur un professionnel de santé, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur ;
« 4° ter Sur le conjoint, les ascendants ou les descendants en ligne directe ou sur toute autre personne vivant habituellement au domicile des personnes mentionnées aux 4° et 4° bis, en raison des fonctions exercées par ces dernières ; ».
II. – Après le 3° de l’article 322-3 du même code, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis Lorsqu’elle est commise au préjudice du conjoint, d’un ascendant ou d’un descendant en ligne directe ou de toute autre personne vivant habituellement au domicile des personnes mentionnées au 3°, en raison des fonctions ou de la qualité de ces personnes ; ».
III. – L’article 433-3 du même code est ainsi modifié :
1° La dernière phrase du premier alinéa est supprimée ;
2° Au deuxième alinéa, après le mot : « voyageurs », sont insérés les mots : «, d’un enseignant ou de tout membre des personnels travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire » ;
3° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les mêmes peines sont applicables en cas de menace proférée à l’encontre du conjoint, des ascendants ou des descendants en ligne directe des personnes mentionnées aux deux premiers alinéas ou de toute autre personne vivant habituellement à leur domicile, en raison des fonctions exercées par ces personnes. »
M. le président. L'amendement n° 46, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Par cet amendement de suppression, nous voulons rappeler la redondance de cette disposition.
Si nous ne contestons pas le fait que les personnes qui travaillent dans les établissements scolaires doivent être particulièrement protégées, nous nous interrogeons sur la pertinence d’une mesure qui ne fait qu’expliciter une disposition déjà existante. Le rapporteur ne fait qu’admettre cet état de fait lorsqu’il affirme que notre droit prévoit « déjà des peines aggravées lorsque les violences sont commises sur une personne chargée d’une mission de service public, ce qui inclut les enseignants et les personnes travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire ». Or le fait d’élargir cette protection aux proches de ces personnes ne repose sur aucun argument solide, ce qui confirme plutôt la thèse d’une disposition purement démagogique.
On ne voit donc pas vraiment l’utilité d’une telle mesure, sauf à penser qu’il s’agit d’apaiser vos relations avec le corps enseignant, lequel a été particulièrement affecté par vos différentes réformes.
En tout état de cause, nous rappelons notre attachement à la protection de l’ensemble des personnels travaillant dans les établissements scolaires, mais estimons que le droit actuel est assez protecteur en la matière et que la disposition proposée est donc inutile.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. S’il devait exister une redondance, elle ne serait pas nouvelle en tout cas. Les textes ont commencé à énumérer toutes les « personnes chargées des missions de service public », et l’on ne voit pas pourquoi, dans ces conditions, les enseignants n’entreraient pas dans cette catégorie.
Mais, surtout, les dispositions permettent désormais d’accorder une protection particulière aux proches des enseignants. Ce ne sont malheureusement pas des cas d’école en matière d’infractions, et il ne me semble pas opportun de supprimer cette protection spéciale qui permettra, par exemple, de considérer comme aggravées les violences commises contre le fils ou la fille d’un enseignant à raison des fonctions exercées par son père ou sa mère.
En conséquence, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 11, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 706-14 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces dispositions sont applicables aux personnes chargées d'une mission de service public, victimes d'une infraction ayant entraîné une interdiction temporaire de travail, commise à raison de leurs fonctions. »
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. L’article 5 vise, d’une part, à préciser la circonstance aggravante pour les violences commises sur les personnels dans les établissements d’enseignement scolaire à raison de leur fonction et, d’autre part, à instaurer une même circonstance aggravante lorsque ces violences sont commises sur leurs proches, à raison de l’exercice de ces mêmes fonctions.
Les enseignants et personnels font déjà l’objet d’une protection particulière au titre d’agent de service public. La loi doit-elle devenir un catalogue, auquel on ajoute régulièrement des catégories au gré des faits divers ?
Mentionner telle ou telle personne aura-t-il un effet dissuasif ? Les délinquants savent déjà ce qu’ils encourent s’ils s’en prennent à un enseignant. Il est nécessaire de renforcer la prévention, notamment par le maintien de personnels aux entrées et aux sorties des établissements.
Ces dispositions peuvent-elles tenir lieu de réponse suffisante aux phénomènes de violences scolaires qui se développent ? On peut en douter.
Si vous voulez réellement faire quelque chose pour ces personnels chargés d’une mission de service public, victimes d’une infraction commise à raison de leurs fonctions ayant entraîné une interdiction temporaire de travail, faites-les bénéficier des dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale, qui prévoit une réparation intégrale des dommages ou le versement d’une indemnité !
M. le président. L'amendement n° 33, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 10
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne également la protection des personnes chargées d’une mission de service public.
Nous comprenons parfaitement l’objet des alinéas 6 à 8 de l’article 5, et nous souhaitons tous que les personnes qui assurent une mission de service public au sein des établissements soient protégées au titre de ces fonctions. Nous le souhaitons d’ailleurs tellement que, en réalité, le Parlement l’a déjà inscrit dans la loi : l’article 433-3 du code pénal vise la menace proférée à l’encontre d’une personne chargée d’une mission de service public. Les enseignants, les fonctionnaires et les agents sont donc déjà protégés par notre droit pénal contre de telles menaces.
Nous vous proposons donc de supprimer cette référence spécifique aux enseignants, qui, en l’état actuel du droit, bénéficient dans tous les cas de la même protection.
Je demande à M. le secrétaire d'État de nous expliquer ce qu’apporte au droit en vigueur cette nouvelle disposition. S’il n’existe pas de « plus-value », les alinéas 6 à 8 sont inutiles, sauf à faire croire que le Gouvernement prend des mesures en matière pénale pour des raisons d’affichage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Monsieur Gautier, tout à l’heure, vous avez parlé de « loi d’affichage » ; je n’en ai pas pris ombrage, et je pense donc que vous ne prendrez pas ombrage que je puisse considérer qu’il existe parfois des « amendements d’affichage » !
Je rappelle que, aux termes de l’article 706-14 du code de procédure pénale, toute personne victime d’une infraction peut obtenir une indemnité allouée par la commission d’indemnisation des victimes d’infractions.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Toutes les victimes !
M. François Pillet, rapporteur. Aussi, la distinction qu’apporte votre amendement n° 11 est inutile.
Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 33, j’opposerai les mêmes arguments que ceux que j’ai opposés à l’amendement n° 46.
Les alinéas 6 à 8 de l’article 5 visent à accorder une protection particulière aux proches des personnes chargées d’une mission de service public lorsqu’ils sont victimes de menaces proférées à raison des fonctions exercées par ces dernières.
Il ne me semble pas opportun de supprimer cette protection spéciale octroyée aux conjoints, aux ascendants et aux descendants de ces personnes chargées d’une mission de service public.
Aussi la commission émet-elle également un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. M. le rapporteur a fourni une réponse précise et complète. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 11.
M. Jean-Pierre Sueur. M. le secrétaire d'État a déclaré qu’il partage totalement l’avis de la commission. Or j’ai écouté attentivement les propos de M. le rapporteur, et j’en conclus donc que le Gouvernement considère, d’une part, que toute personne chargée d’une mission de service public victime d’une infraction commise à raison de ses fonctions et ayant entraîné une interdiction temporaire de travail bénéficie des dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale, d’autre part, que cet amendement est satisfait.
Il est important de le préciser, car ces propos, reproduits au Journal officiel, seront utiles pour interpréter la loi.
Est-ce bien la position du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Je pose la question à M. le secrétaire d'État !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Puisque cela m’est demandé, je vais expliciter les deux raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 11.
Tout d’abord, la suppression des dispositions de cet article, qui assure la protection spéciale que le droit pénal doit offrir aux enseignants et aux personnels d’établissement d’enseignement scolaire et à leurs proches, n’est pas justifiée.
En outre, cet amendement n’est pas conforme à la Constitution, puisque, en permettant aux victimes d’infractions commises à raison de leur fonction d’obtenir de la CIVI l’indemnisation de leur préjudice, il introduit une rupture dans l’égalité de traitement avec les autres victimes, sans que celle-ci soit objectivement justifiée.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est très différent de ce qu’a dit M. le rapporteur !
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
I. – Après le 9° de l’article 311-4 du code pénal, il est inséré un 11° ainsi rédigé :
« 11° Lorsqu’il est commis dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements. »
II. – L’article 312-2 du même code est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° Lorsqu’elle est commise dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements. »
III. – (Supprimé)
M. le président. L'amendement n° 47, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet article n’est qu’une suite de mesures visant à l’aggravation des peines. Or, je le répète, nous ne souscrivons pas à cette politique répressive. C’est pourquoi notre groupe propose sa suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’article 6 vise à aggraver les peines lorsque le vol ou l’extorsion sont commis au sein d’un établissement scolaire ou aux abords de celui-ci.
Cet article participe à l’évidence de la volonté de « sanctuariser » les établissements scolaires.
Je vous rappelle que des peines aggravées sont déjà prévues pour certaines infractions commises au sein d’un établissement scolaire. C’est notamment le cas du trafic de stupéfiants.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article additionnel après l'article 6
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 211-8 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 211-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-9 - L'État assure la sécurité des élèves et du personnel des établissements d'enseignement primaire et secondaire aux abords de ces établissements.
« Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Cet amendement se justifie par son texte même. Il s’agit là d’une proposition toute simple !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. À proposition simple, réponse simple : l’État dispose d’une compétence générale pour assurer la sécurité de tous nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national. Cet amendement, s’il était adopté, ne manquerait pas d’entraîner des raisonnements a contrario qui pourraient être malvenus.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Il s’agit d’une pétition de principe qui procède à un renvoi bien trop large au pouvoir réglementaire. La proposition de loi a justement pour ambition de limiter le renvoi au pouvoir réglementaire et de fournir les outils juridiques pour que cette sécurité soit effectivement assurée.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 7
Après l’article 431-21 du code pénal, il est inséré une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« De l’intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire
« Art. 431-22. – Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.
« Art. 431-23. – (Non modifié) Lorsque le délit prévu à l’article 431-22 est commis en réunion, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
« Art. 431-24. – Lorsque le délit prévu à l’article 431-22 est commis par une personne porteuse d’une arme, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
« Art. 431-25. – (Supprimé)
« Art. 431-26. – Les personnes physiques coupables de l’une des infractions prévues par la présente section encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L’interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 ;
« 2° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° bis Une peine de travail d’intérêt général ;
« 3° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ;
« 4° L’interdiction de séjour, suivant les modalités prévues par l’article 131-31.
« Art. 431-27. – (Supprimé)
« Section 6
« De l’introduction d’armes dans un établissement scolaire
(Division et intitulé supprimés)
« Art. 431-28. – (Supprimé)
M. le président. L'amendement n° 48, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Aux termes de cet article, le fait de s’introduire dans un établissement sans en avoir reçu l’autorisation est passible d’un an d’emprisonnement ; ce durcissement très important de la loi pourrait aboutir à des situations ubuesques, comme le placement en garde à vue de simples parents d’élèves.
De plus, telle qu’elle est formulée, cette mesure risque fortement d’être détournée de son objectif pour remettre en cause la liberté de manifester.
Ainsi, vous ne pouvez pas prétendre sérieusement que la formulation « ou de se maintenir » a pour but la répression des bandes. Ces dernières n’ont aucun intérêt à rester dans l’établissement après avoir commis des violences et des dégradations.
Le fait que la commission ait adopté un amendement tendant à préciser que l’infraction ne sera caractérisée que si l’intrusion a pour but « de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement » n’est pas en mesure de nous rassurer. En effet, il est bien évident qu’une manifestation est de nature à troubler la tranquillité.
Il semble bien que vous vouliez éviter de nouvelles occupations d’établissements scolaires, comme il y en a eu lors des derniers conflits relatifs à l’enseignement.
On perçoit donc la dérive que pourrait engendrer une telle disposition. C’est pourquoi nous en demandons la suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’article 7 a été profondément modifié par la commission afin que le délit d’intrusion dans un établissement scolaire ne soit constitué que lorsque l’intrusion a pour but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement.
Il n’est fait aucunement référence à une manifestation, dont on imagine d’ailleurs mal l’objet au sein d’un établissement.
La commission me semble parvenue à une rédaction équilibrée. Aussi émet-elle un avis défavorable sur l’amendement n° 48.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Cet article important de la proposition de loi est tout sauf liberticide. Il vise uniquement à mieux garantir la paix au sein des établissements scolaires et à permettre aux élèves et aux enseignants d’y travailler librement et dans des conditions propices à l’étude.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Article 7 bis
(Non modifié)
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 5° de l’article 398-1, les références : « 222-12 (1° à 14°), 222-13 (1° à 14°) » sont remplacées par les références : « 222-12 (1° à 15°), 222-13 (1° à 15°) », la référence : « 311-4 (1° à 8°) » est remplacée par la référence : « 311-4 (1° à 11°) » et, après la référence : « 322-14 », sont insérées les références : « , 431-22 à 431-24 » ;
2° Au septième alinéa de l’article 837, les références : « 222-12 (1° à 13°), 222-13 (1° à 13°) » sont remplacées par les références : « 222-12 (1° à 15°), 222-13 (1° à 15°) », la référence : « 311-4 (1° à 8°) » est remplacée par la référence : « 311-4 (1° à 11°) » et, après la référence : « 322-14 », sont insérées les références : « , 431-22 à 431-24 ».
M. le président. L'amendement n° 49, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’article 7 bis vise, par coordination, à inclure la plupart des dispositions adoptées dans le cadre de cette proposition de loi dans les compétences du juge unique statuant en matière correctionnelle.
La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 49.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 7 bis.
(L'article 7 bis est adopté.)
Article 8
La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
M. le président. L'amendement n° 50, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit d’un amendement de conséquence, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. La discussion des amendements a pleinement justifié les positions que nous avons défendues lors de la discussion générale.
La plupart des articles de cette proposition de loi n’apportent aucun élément nouveau par rapport aux dispositions en vigueur du code pénal. De fait, ce texte est non seulement redondant, mais, pis, dangereux, puisque sa philosophie est de punir les intentions.
Or notre tradition juridique est très claire : on punit et on réprime des actes, des faits, mais non des intentions. Il s’agit donc, à notre avis, d’une dérive de notre droit.
Une autre dérive aboutira à la dilution de la responsabilité individuelle, le groupe devenant, comme le disait M. le rapporteur, le moyen d’une action, une sorte d’arme par destination. On se trouvera donc dans des situations très arbitraires, qui susciteront chez les magistrats une grande perplexité.
Ce texte est à notre avis inconstitutionnel sur nombre de points, et il sera donc utile de saisir le Conseil constitutionnel.
Enfin, il est apparu aux yeux de tous que ce texte ne prévoyait pas de moyens. Vous m’objecterez, monsieur le secrétaire d’État, que tel n’est pas son objet. Nous sommes convaincus, pour notre part, que la plupart des problèmes soulevés par cette proposition de loi posent la question des moyens, qu’il s’agisse de moyens de répression, de police ou d’investigation. Ainsi les événements de Poitiers ont-ils démontré qu’il existait, dans certains cas, un déficit des moyens d’investigation. La solution à ce problème passe par des moyens matériels et surtout humains. De même, l’ensemble des moyens relatifs à l’éducation et à la prévention, notamment ceux dont devraient bénéficier les personnels des établissements scolaires, sont tout à fait décisifs.
Cette proposition de loi, qui n’est malheureusement qu’un texte d’affichage, n’aura que des effets de ce type, ce qui pose des difficultés de fait, de droit et d’ordre constitutionnel.
Nous maintenons par conséquent, au terme de ce débat, le vote négatif annoncé par mes collègues Charles Gautier et Alima Boumediene-Thiery lors de la discussion générale.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je confirme l’opposition de notre groupe à ce texte, et j’en ai donné les raisons à plusieurs reprises.
Pour autant, je ne me suis pas contentée de le condamner, puisque j’ai également formulé lors de la discussion générale un certain nombre de propositions, notamment quant à la prévention des violences. Mais la prévention ne fait visiblement pas partie de votre vocabulaire. Pour vous, seule la répression a force de loi ; je le regrette profondément, car, tout comme vous, je condamne toutes les formes de violence, qu’elles émanent ou non de bandes organisées. Mais je persiste à penser qu’il existe des solutions différentes de celles que prévoit ce texte.
Cette proposition de loi, dont l’auteur est bien connu, est un texte d’opportunité, flou et confus. Nous n’avons cessé de souligner les dangers qu’il recèle, tant il pourra être détourné de l’objectif qu’il affiche.
Je réaffirme donc, à l’issue de ce débat, notre farouche opposition à cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Au nom du groupe UMP, je souhaite tout d’abord remercier M. le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, pour sa qualité d’écoute qui nous a permis de débattre dans de bonnes conditions, même si, comme l’équipe de France de football, nous avons quelque peu joué les prolongations… Ces remerciements s’adressent aussi, naturellement, à M. le rapporteur, François Pillet, dont le travail de grande qualité a permis d’enrichir la proposition de loi.
Nos concitoyens sont légitimement attachés à leur République, fondée sur un principe fondamental : la sécurité.
Si la lutte contre l’insécurité, depuis 2002, a fait l’objet d’un volontarisme sans faille de la part du chef de l’État, celle-ci doit rester une priorité. En effet, la sécurité est l’affaire de tous, et nous ne saurions laisser certains porter atteinte à l’unité de notre société. C’est pourquoi nous soutenons pleinement le double objectif de cette proposition de loi : mieux réprimer les actes commis par les bandes violentes et mieux protéger les élèves et les personnes travaillant dans les établissements d’enseignement et d’éducation.
Les mesures proposées concilient les deux impératifs de prévention et de répression, sur lesquels toute réforme portant sur la sécurité doit se fonder. Ce double impératif a orienté tous nos votes dans le sens d’une aggravation des peines, à la fois lorsque les actes de violences ont été commis et avant qu’ils aient pu être perpétrés.
Le principe de prévention ne doit toutefois pas porter atteinte à nos libertés publiques. Nous nous félicitons ainsi que la commission, soucieuse de cet équilibre, ait su compléter certains des articles afin de limiter les risques d’atteinte à la vie privée.
Nous nous réjouissons en outre que, sur l’initiative de Laurent Béteille et François-Noël Buffet, les violences de groupe commises dans le contexte des manifestations sportives aient mieux été prises en compte.
Hier matin, dans ma région, un adolescent de treize ans scolarisé dans un lycée de Beauvais, muni d’un fusil de chasse et de vingt-cinq cartouches, projetait de tuer ses professeurs. Ce nouvel événement ne fait que traduire l’urgence qu’il y a à agir. C’est la raison pour laquelle nous approuvons l’ensemble des dispositions visant à sanctuariser nos écoles et nos structures d’éducation.
Je tiens donc à vous faire part, monsieur le secrétaire d’État, de notre soutien à ce texte et, plus généralement, à vos efforts et à ceux du Gouvernement pour renforcer la sécurité au service de nos concitoyens. Les membres du groupe UMP voteront donc cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. La majorité du groupe RDSE votera contre ce texte. Comme je l’ai rappelé lors de la discussion générale, nous sommes tous ici convaincus de la nécessité de lutter contre toutes les formes de violence. Ce qui nous sépare, ce sont des conceptions de fond.
Nous estimons, pour notre part, que trop de lois tue la loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il a raison !
M. Jacques Mézard. Nous considérons qu’il faut donner les moyens d’appliquer la loi et de simplifier nos textes juridiques, en particulier les codes, qui sont devenus illisibles et peu praticables. Je dois reconnaître – et je ne dis pas cela pour faire plaisir à M. Hyest – que le travail accompli sur la prescription était exemplaire à cet égard.
En matière pénale, on accumule les textes, sans grand souci de cohérence et en réagissant trop promptement sur des sujets qui touchent l’opinion publique. Notre collègue de l’UMP vient de nous dire que, hier, un adolescent a failli commettre des actes graves. Certes. Mais ce texte n’empêchera pas ce type de comportement…
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
M. Jacques Mézard. C’est cela, la réalité !
Nous sommes convaincus que le texte sur lequel nous allons nous prononcer posera des problèmes en matière de libertés publiques. Nous assistons à un glissement inquiétant de l’équilibre de notre droit pénal, qui s’oriente vers la répression de l’intention de commission du délit. Par ailleurs, ce texte, et notamment son article 3, donnera lieu à des jurisprudences tout à fait contradictoires. Où est le progrès ?
Nous devons avoir des objectifs clairs et disposer d’une véritable codification, et non pas d’une accumulation de textes n’aboutissant qu’à un affichage médiatique. Certes, la loi est faite pour être affichée ; il n’en reste pas moins que ce n’est pas la bonne solution !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Je tiens à remercier le Sénat d’avoir voté ce texte et, m’associant à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, à saluer la qualité du travail de la commission des lois.
Le texte que vous avez voté ne ressemble pas, bien au contraire, à la description qui en a été faite par certains. Ce texte pragmatique, en plus de fournir un cadre juridique, permettra de répondre, à l’aide des moyens adéquats, à l’évolution de la délinquance et aux attentes de nos concitoyens. Pour toutes ces raisons, il représente une avancée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 19 novembre 2009, à onze heures, à quatorze heures trente et le soir :
Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2010.
Rapport de M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances.
- Discussion générale ;
- Débat général sur les recettes des collectivités territoriales et la suppression de la taxe professionnelle (articles 2 à 3 et 13 à 20).
Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première partie : jeudi 19 novembre 2009 à onze heures.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 19 novembre 2009, à une heure dix.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD