compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Godefroy,
M. Jean-Noël Guérini.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt de rapports du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :
- le rapport sur l’activité du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale entre juillet 2008 et juin 2009, en application de l’article 44 de la loi n° 98-1267 du 30 décembre 1998 de finances rectificative pour 1998,
- et le rapport évaluant l’expérimentation d’une nouvelle sanction administrative en cas de fraude aux aides personnelles au logement, en application de l’article 110 de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le second à la commission des affaires sociales.
3
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en vigueur du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
4
Ventes volontaires de meubles aux enchères publiques
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2006-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, présentée par M. Philippe Marini (proposition de loi n° 210, 2007-2008 ; texte de la commission n° 534 rectifié, 2008-2009 ; rapport n° 533, 2008-2009 ; rapport pour avis n° 52, 2009-2010).
Dans la discussion générale, la parole est à Philippe Marini, auteur de la proposition de loi.
M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il serait plus juste de dire que cette proposition de loi a deux auteurs : Yann Gaillard, qui, en 2000, avait été rapporteur pour avis de la loi qu’il s’agit de modifier à présent et qui a été également l’auteur d’un rapport d’information très remarqué sur le marché de l’art, et moi-même.
Outre une approche commune, plusieurs raisons nous ont conduits à nous engager sur ce sujet.
Les ventes aux enchères publiques sont, certes, une technique de vente – et, de ce point de vue, elles relèvent très logiquement du droit et sont mises en œuvre par des professionnels appartenant à des domaines juridiques réglementés,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Philippe Marini. ...sous la tutelle bienveillante du ministère de la justice – mais les préoccupations à prendre en compte appartiennent aussi aux sphères de l’économie et de la culture, et, dans notre analyse comme dans nos propositions, nous avons été particulièrement motivés par les considérations relatives au marché de l’art.
Ce type de marché doit être, autant qu’il est possible, transparent…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Philippe Marini. ...et les techniques de régulation auxquelles il est fait appel, à juste titre, dans le contexte de la crise financière, ont tout lieu de s’appliquer avec la même exigence, mutatis mutandis, au domaine qui nous intéresse ici.
La commission des lois, et je veux saluer tout particulièrement son rapporteur, notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx, a bien voulu reprendre la balle au bond et se livrer à toutes les consultations auxquelles les initiateurs de la proposition de loi n’avaient pu accorder le temps nécessaire. Yann Gaillard et moi-même avons été à l’origine de la démarche, laquelle, très logiquement, a été structurée et abordée avec l’indispensable souci de pluralisme par la commission des lois.
Je souhaite le dire d’emblée, même si les rédactions sont assez largement différentes de celles qu’avec Yann Gaillard nous avions présentées en janvier 2008, les intentions sont, dans l’ensemble, les mêmes, les objectifs sont identiques et les solutions très proches ; je me retrouve donc très bien dans le texte excellemment élaboré par la commission des lois.
Je me livrerai tout d’abord à quelques brèves réflexions sur la modernisation du secteur des ventes aux enchères avant d’en venir à des points plus spécifiques du texte.
Dans le contexte actuel, on peut penser qu’il est moins urgent que voilà un peu plus d’un an et demi d’envisager le marché de l’art sous l’angle des avantages fiscaux. Rappelons-nous que, il n’y a pas si longtemps, la précédente ministre de la culture avait missionné une personnalité au sujet des ventes publiques et que l’essentiel des conclusions du rapport établi par celle-ci se résumait à des demandes d’avantages fiscaux supplémentaires, en d’autres termes de nouvelles niches fiscales. L’heure n’est manifestement plus à cela…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet !
M. Philippe Marini. Cependant, il convient de rappeler que le contexte économique dans lequel se déroulent les opérations qui nous intéressent aujourd’hui est, dans une certaine mesure, déterminé par le droit fiscal.
Il demeure paradoxal, du point de vue de la sauvegarde du patrimoine, que le mécanisme de la TVA aboutisse à taxer les importations et à subventionner les exportations. Ainsi, les biens faisant l’objet d’échanges dans le cadre de ventes aux enchères ne peuvent échapper au droit commun applicable en matière de TVA, qui, au demeurant, chacun le sait, est un droit communautaire.
Il existe d’ailleurs, je le dis au passage, des États qui ont choisi un modèle différent du nôtre. On observera ainsi qu’en Italie, s’il y a des ventes, l’exportation d’œuvres d’art n’est pas possible : ces œuvres ne peuvent être vendues qu’à des acheteurs qui les conserveront sur le sol italien.
Une telle solution, parfaitement concevable, est conforme au droit européen, mais elle n’est probablement pas dans l’intérêt des professions du négoce, qu’elles soient traditionnelles ou plus intégrées.
En tout état de cause, dès lors que la France a fait le choix d’avoir un marché de l’art qui soit en communication avec l’ensemble du monde, il faut bien appliquer à celui-ci les règles de base en matière de TVA.
Au demeurant, le handicap doit être relativisé, car lorsque les collectionneurs sont des non-résidents, ce qui est tout de même assez fréquent, la TVA est restituée.
Je rappelle à ceux qui remettent en cause, assez régulièrement, le régime de la TVA que la modification de celui-ci relève, dans les institutions communautaires, du principe de l’unanimité et qu’il n’est pas simple d’obtenir un changement des règles du jeu.
S’agissant du droit de suite, qui est lui aussi souvent contesté – dans bien des cas, à juste titre –, il me semble important de préciser que c’est nous, Français, qui l’avons inventé et qui avons convaincu, à l’époque, nos partenaires européens de l’appliquer, démarche qui avait sans doute été inspirée, pour une part, par un certain nombre de professionnels du secteur…
Peut-être sera-t-il possible à la France de reconsidérer sa position au cas où les Britanniques obtiendraient la prorogation au-delà de 2012 du régime particulier qui est le leur : il leur permet de n’appliquer le droit de suite qu’aux seuls artistes vivants. Mais, jusqu’à ce que cette opportunité, à laquelle il faudra être attentif, se matérialise, il est difficile à la France de transformer radicalement sa position en la matière.
Nous pouvons, certes, mes chers collègues, être préoccupés par la place décroissante de notre pays sur le marché mondial des ventes de produits culturels et d’art, où nous ne « pèserions » qu’un peu plus de 6 % des transactions globales. Cette branche d’activité est aujourd'hui structurée par des entreprises mondiales qui fournissent des services et s’efforcent de développer leurs parts de marché, mais aussi par un très grand nombre de professionnels d’origine française – commissaires-priseurs, antiquaires, experts… – qui forment un tissu auquel il faut veiller.
À cet égard, et c’est l’une des utiles initiatives qui seront proposées à notre assemblée, il me semble qu’un amendement prévoit la préservation du titre de commissaire-priseur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet !
M. Philippe Marini. En même temps qu’un symbole, c’est la marque d’un respect envers toute une profession, son passé et les valeurs qu’elle incarne.
Le législateur de la loi de 2000 avait mis en place tout un arsenal de protection, afin de permettre aux usagers de s’y retrouver et de faire progresser la transparence dans un domaine où elle n’est guère facile à imposer.
Mais si l’étendue des garanties juridiques suffisait à assurer la compétitivité d’un marché, cela se saurait ! De ce point de vue, on ne peut esquiver une question simple : comment se fait-il que les majors anglo-saxonnes aient pu s’assurer, en moins de quarante ans, la domination presque sans partage du marché mondial de l’art, alors que, dans leurs clauses contractuelles, ces entreprises de service ne garantissent en rien, en dehors des faux manifestes, l’authenticité des œuvres vendues ?
Que l’on ne dise pas que le nouveau régime, celui que nous allons adapter afin de le mettre en conformité avec le droit européen, serait à l’origine de cette position dominante ! Celle-ci est en effet acquise sur le marché mondial depuis bien longtemps.
J’en viens au second point d’ordre général que je souhaite développer. Il est légitime, mes chers collègues, de poursuivre le processus de mise en conformité avec le droit européen. Au demeurant, nous serons à peu près dans les délais, puisque la date limite est fixée à la fin de l’année 2009 et que nous entamons le travail législatif avant cette échéance.
La promulgation de la loi interviendra un peu plus tard, mais, par rapport à d’autres domaines, et grâce à l’initiative parlementaire, qu’il faut saluer, nous serons presque en conformité avec les règles du marché européen.
Il convient de se mettre à l’heure du monde en acclimatant dans notre univers juridique un certain nombre de principes, en particulier en acceptant de substituer, pour les professionnels, un régime déclaratif à l’agrément préalable. Il faut moins de règles tatillonnes, moins d’examens a priori, pour faire plus de place aux contrôles a posteriori tels que ceux de loyauté ou de sincérité.
La conséquence naturelle de ce dispositif est la reconnaissance du rôle central du Conseil des ventes, clef de voûte de tout l’édifice. Cette autorité de régulation, dont l’indépendance est indispensable, doit, du fait de sa composition et des décisions qu’elle prend, inspirer confiance à l’ensemble des acteurs du marché.
J’en arrive au texte tel qu’il résulte des délibérations de la commission des lois. Plusieurs points de notre proposition de loi initiale n’ont pas été retenus. Peut-être notre approche était-elle trop radicale… (Sourires.)
Indépendamment de la suppression des charges de commissaires-priseurs judiciaires, que nous avions envisagée à titre exploratoire et pour faire réagir, il s’agit tout d’abord du choix de statut de société commerciale. Ce statut peut toujours être choisi, mais il ne saurait être imposé. (M. le président de la commission des lois acquiesce.) Je reconnais que la commission des lois a fait preuve d’empirisme à cet égard ; en l’état actuel des choses, cette volonté d’équilibre peut se comprendre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est la directive !
M. Philippe Marini. Il s’agit, ensuite, de l’obligation de recours à des commissaires aux comptes dans les sociétés de vente, au-delà d’un certain chiffre d’affaires. Cette obligation, pourtant protectrice, n’a pas été retenue. Mais, en tout état de cause, les sociétés de vente les plus importantes pourront toujours, si elles l’estiment utile pour inspirer confiance, avoir recours à des commissaires aux comptes et publier les comptes et les observations de ceux-ci.
La question du courtage a récemment suscité quelques débats : faut-il ou non autoriser les sociétés de ventes et les filiales françaises des majors anglo-saxonnes à faire du courtage ?
Certains estiment qu’il convient d’octroyer cette possibilité, car, si celle-ci est interdite, la transaction s’effectuera de l’autre côté de la Manche. D’autres, en revanche, craignent une nouvelle baisse des parts de marché des professionnels classiques du négoce d’œuvres d’art.
La commission des lois a été bien avisée, là encore, de permettre aux sociétés de vente, dans le cas où la mise aux enchères ne serait pas pertinente, de jouer un rôle d’intermédiation entre acquéreurs et vendeurs grâce à une technique de gré à gré. Cette approche de la commission est fondée, mais seulement dans la mesure où il existe un lien entre l’opération de courtage et la vente publique. (M. Jean-Jacques Hyest opine.) Nous en débattrons certainement lors de l’examen des articles ; en apportant une explication à l’occasion de nos travaux, nous pourrions apaiser les craintes exprimées par un certain nombre de professionnels.
J’en viens au régime des notaires et des huissiers, sujet délicat s’il en est et qui trouve son origine dans des rivalités anciennes. Nous avions pensé, en tant qu’initiateurs de la proposition de loi, que la question des rapports entre ces professions changeait de nature avec la mise en place d’un système simplement déclaratif. Dès lors que l’agrément serait supprimé, il y aurait sans doute cohérence puisque les opérateurs de ventes aux enchères seraient soumis à l’autorité de régulation, quel que soit leur statut juridique ; une certaine forme d’égalité de traitement serait ainsi assurée.
La commission des lois a retenu une autre formule. À titre personnel, je m’en remets bien volontiers à sa sagesse, car elle connaît mieux que les auteurs de la proposition de loi les conditions essentielles d’activité de ces professions. Nous voyons ici, comme en d’autres domaines, qu’il est toujours difficile d’arbitrer entre des intérêts professionnels nécessairement contradictoires.
J’aborderai maintenant les pouvoirs, la composition et les compétences de l’autorité de régulation du marché.
Il me semble que, pour être pleinement légitime, la composition de cette autorité doit être interministérielle. En effet, les préoccupations d’ordre économique, culturel, juridique et judiciaire doivent être unies dans une même approche de régulation.
Un point retiendra l’attention : la nomination du président de l’autorité de régulation. Il serait légitime que celui-ci soit nommé par le Premier ministre et qu’il soit choisi parmi des magistrats, eux-mêmes désignés à partir des propositions de leur corps d’origine, avec l’accord du garde des sceaux. Ce serait une reconnaissance du caractère interministériel de l’autorité en même temps qu’un compromis raisonnable.
Les pouvoirs de l’autorité de régulation pourraient aussi être complétés et étendus. J’ai constaté avec plaisir que des amendements de la commission des lois allaient dans ce sens, avec la possibilité de se constituer partie civile.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Il y avait là une lacune, heureusement comblée par la commission.
Nous pourrons également insérer, au cours de la discussion parlementaire, le pouvoir de médiation et celui de diligenter des enquêtes.
Je conclurai mon propos en évoquant le régime de l’expertise.
Je me réjouis que la commission ait choisi une solution très voisine de celle qui figurait dans le texte initial de la proposition de loi, en s’en remettant pour une part à des associations représentatives qui auront la charge de faire respecter un code de déontologie.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette discussion est importante. Il s’agit d’un domaine économiquement significatif et symbolique, qui puise ses racines au plus profond de notre patrimoine et recouvre l’activité de nombreuses professions. Il est, et pourrait l’être encore davantage demain, un élément du rayonnement international de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis très honorée d’être le rapporteur, au nom de la commission des lois, de la proposition de loi de nos collègues Philippe Marini et Yann Gaillard tendant à modifier la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
Je voudrais souligner, en premier lieu, tout l’intérêt que présente cette proposition de loi.
Le texte prévoit une libéralisation et une adaptation « aux exigences d’un espace économique toujours plus ouvert ». Il est important de comprendre que la définition des conditions juridiques d’exercice de l’activité de ventes volontaires aux enchères a elle-même un impact déterminant sur le développement de ce secteur.
En fait, la proposition de loi, qui a pour objet d’accroître la concurrence et le dynamisme, arrive à un moment clef, qui tient d’abord au constat que l’on peut faire sur le marché lui-même, au bilan qui s’impose de la loi du 10 juillet 2000, et à la transposition nécessaire de la directive « services » qui doit intervenir avant la fin de cette année.
S’agissant du marché, on observe son déclin, une concentration des activités entre les mains de quelques opérateurs et le développement du recours à internet.
Le recul du marché français dans le domaine des ventes aux enchères d’objets et d’œuvres d’art est incontestable. Ainsi, l’avis rendu par le Conseil économique, social et environnemental en mars 2008 souligne que l’évolution de ce marché est alarmante : au premier rang dans les années cinquante, la France ne représente plus désormais que 6,5 % du marché mondial. Paris réalise en fait, en un an, les ventes de New York en un mois. La France se voit aujourd’hui disputer la troisième place, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, par la Chine.
Il convient de préciser que les ventes de mobiliers et d’objets d’art représentent près de 54 % du montant total des ventes : 36,5 % correspondent aux ventes de véhicules d’occasion, 5,1 % aux ventes de chevaux, 3,4 % aux biens d’équipements ou industriels et 1 % aux vins.
Le nombre de sociétés de ventes volontaires agréées et de personnes habilitées à diriger les ventes a continûment progressé depuis la loi du 10 juillet 2000, mais l’activité paraît se concentrer entre les mains d’un petit nombre d’acteurs réalisant les ventes les plus importantes.
Les deux sociétés de vente d’origine anglaise, Sotheby’s et Christie’s, se placent très largement en tête du montant des ventes volontaires, tous objets confondus. Elles dominent le secteur des ventes d’art. La société Artcurial est la seule société de ventes volontaires française à dépasser 60 millions d’euros de ventes par an. En fait, l’organisation est marquée par une dispersion des structures dont la plupart réalisent un chiffre d’affaires réduit ne leur donnant pas la taille critique suffisante pour affronter une concurrence internationale.
Certes, Drouot réalise près de 500 millions d’euros de ventes chaque année, mais il constitue, en fait, une holding rassemblant soixante-quinze sociétés de ventes volontaires indépendantes.
Depuis la loi de 2000, aucune maison de vente française n’est parvenue à acquérir une dimension internationale, à l’exception d’Arqana, devenue un acteur européen des ventes de chevaux.
Enfin, le marché se caractérise par un développement du recours à internet. Toutefois, il faut préciser que ce moyen a surtout permis le développement du courtage aux enchères, que la loi du 10 juillet 2000 a distingué des ventes aux enchères par voie électronique. À la compétition entre opérateurs d’enchères physiques et opérateurs d’enchères dématérialisées s’ajoute une concurrence, parmi ces derniers, entre les opérateurs d’e-enchères qui se placent sous le statut de sociétés de ventes volontaires et ceux qui s’en affranchissent et ont le statut de courtier. La croissance des enchères électroniques doit pouvoir se faire dans la confiance de ceux que j’appellerais les « e-enchérisseurs ». Offrir un cadre régulé assorti d’une protection des « e-consommateurs » paraît être un enjeu de modernisation de la filière des enchères, d’autant plus qu’internet a ouvert de nouveaux horizons et n’empiète que partiellement sur le marché existant.
Par ailleurs, quel bilan peut-on tirer du régime issu de la loi du 10 juillet 2000 ? Il s’agit d’une ouverture encadrée de l’activité des ventes volontaires.
Adaptant notre législation aux règles communautaires, la loi précitée a établi une distinction entre les activités de ventes aux enchères publiques relevant de l’autorité publique, c'est-à-dire les ventes judiciaires, et celles relevant de la liberté du marché, les ventes volontaires. Elle a mis fin au monopole des ventes volontaires en étendant l’accès à ce marché aux huissiers de justice et aux notaires, et ce à titre accessoire.
Cependant, d’une manière générale, la libéralisation est un peu restée au milieu du gué. Par exemple, la France est le seul pays au monde à interdire la vente de biens neufs aux enchères. La loi du 10 juillet 2000 a opéré une ouverture a minima du segment volontaire. La réglementation actuelle entrave le développement du marché des enchères sur le territoire et nuit à la compétitivité des opérateurs face au dynamisme des structures anglo-saxonnes.
Enfin, la directive « services » impose des modifications de la réglementation française des ventes aux enchères. Elle entraîne la libéralisation de la prestation de services en supprimant les régimes d’autorisation ou de contrôle préalables, sauf s’ils sont justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général. Elle vise la simplification des procédures et formalités applicables aux prestataires, notamment en créant des guichets uniques. En outre, elle prévoit le renforcement des garanties d’information apportées aux clients par les prestataires de services et le maintien d’un niveau de garantie élevé. Ainsi, la procédure d’agrément des sociétés de ventes volontaires par le Conseil des ventes doit être supprimée.
Pour trois raisons, à savoir l’évolution du marché, le bilan des neuf années d’application de la loi de 2000 et la transposition de la directive européenne, la présente proposition de loi permet de prendre position sur des enjeux économiques et culturels majeurs, notamment d’élargir l’offre de biens ou de services offerts, les restrictions actuelles engendrant des distorsions de concurrence et un détournement d’échanges au détriment de la France.
La commission des lois a adopté soixante et un amendements de son rapporteur, qui tendent à réécrire largement la proposition de loi initiale, tout en en préservant les principales orientations, comme M. Marini l’a souligné tout à l’heure. Les modifications adoptées visent à conforter l’objectif de libéralisation des modalités d’exercice de l’activité de ventes volontaires, à améliorer et à simplifier l’organisation de ce marché, à conforter les garanties apportées au public des ventes aux enchères et, enfin, à réformer le statut des courtiers de marchandises assermentés.
En premier lieu, afin de marquer l’objectif de libéralisation du secteur des ventes volontaires, la commission des lois a substitué à la logique d’interdiction des ventes aux enchères assortie d’exceptions un principe d’autorisation de ces ventes. C’est l’article 1er.
Elle a retenu, à l’article 2, les deux caractéristiques essentielles des ventes aux enchères, c'est-à-dire l’intervention d’un tiers mandataire du propriétaire du bien mis en vente et l’adjudication.
À l’article 4, la commission des lois a supprimé toute obligation de forme juridique pour l’exercice de l’activité de ventes volontaires, conformément aux prescriptions de la directive « services » – je le souligne à l’intention de M. Marini –, ces ventes restant des actes civils et les contestations étant soumises à l’appréciation des tribunaux civils, à l’exception des ventes de marchandises en gros relevant des tribunaux de commerce.
La commission a ouvert, à l’article 3, la possibilité aux opérateurs de ventes volontaires de vendre des biens neufs et de réaliser des ventes en gros pour donner aux opérateurs français des possibilités équivalentes à celles de leurs concurrents étrangers.
À l’article 7, elle a donné aux opérateurs la possibilité de réaliser des ventes de gré à gré. Là encore, monsieur Marini, cette approche est fondée sur les prescriptions de la directive « services » en matière de pluridisciplinarité. Ces ventes seront réalisées sur mandat écrit du propriétaire – c’est une position de la commission des lois et de son président – afin d’offrir davantage de garanties et elles feront l’objet d’un procès-verbal. Toutes les précautions nécessaires ont été prises sur ce point.
Enfin, la commission a assoupli les conditions de mise en œuvre de la vente après enchères, qualifiée communément « after sale », en supprimant le délai de quinze jours – c’est l’article 11 –, les conditions de la garantie de prix qui n’aurait plus à être couvert par un contrat avec une banque ou une assurance – c’est l’article 13 –, ainsi que les conditions de la remise en vente après folle enchère en portant de un à trois mois le délai pendant lequel le propriétaire d’un bien ayant fait l’objet d’une folle enchère peut demander sa remise en vente – c’est article 15.
En deuxième lieu, s’agissant de l’objectif visant à améliorer et à simplifier l’organisation du marché des ventes volontaires, la commission des lois n’a pas retenu les dispositions du texte initial tendant à faire du Conseil des ventes volontaires une autorité publique indépendante de plein exercice, dotée d’importants pouvoirs d’investigation et de sanction, ces modifications ne paraissant pas correspondre à la logique de simplification et d’allégement des procédures définies par la directive « services ».
Elle a adopté les amendements de son rapporteur tendant à préciser et à compléter les attributions du Conseil des ventes volontaires, qui serait chargé d’assister les centres de formalités des entreprises pour la déclaration des opérateurs, d’identifier les bonnes pratiques et de promouvoir la qualité des services.
À l’article 22, elle a porté la durée du mandat des membres du Conseil de quatre ans à cinq ans non renouvelables.
Elle a prévu que le Conseil des ventes volontaires comprendrait un membre du Conseil d’État, deux membres de la Cour de cassation, un membre de la Cour des comptes, trois personnalités ayant exercé l’activité d’opérateur de ventes volontaires, trois personnalités qualifiées désignées par les ministres de la justice, de la culture et du commerce, ainsi qu’un expert. Elle a confié la nomination du président du Conseil des ventes volontaires au Premier ministre et la fixation des cotisations assurant le financement du Conseil au ministre de la justice.
À l’article 23, la commission des lois a renforcé les règles de déport applicables aux membres du Conseil des ventes volontaires dans le cadre des délibérations en matière disciplinaire.
Elle a adopté, à l’article 6, un amendement de son rapporteur définissant un nouveau régime de déclaration des opérateurs de ventes volontaires destiné à se substituer au régime d’agrément incompatible avec la directive « services ». Pour procéder à cette déclaration, les opérateurs pourront s’adresser à un guichet unique constitué par les centres de formalités des entreprises.
La commission a retenu, à l’article 12, la possibilité pour les opérateurs volontaires de tenir leurs registres sous une forme électronique.
Souhaitant préserver la profession de commissaire-priseur judiciaire et lui permettre d’accomplir les activités liées aux ventes volontaires, la commission a adopté les amendements en ce sens de son rapporteur. Elle a supprimé les dispositions du texte initial prévoyant la disparition de la profession de commissaire-priseur judiciaire. Il s’agit des articles 32, 39 et 40.
Elle a permis aux commissaires-priseurs judiciaires de réaliser des ventes de gré à gré sous mandat, d’exercer dans le cadre de leurs sociétés de ventes des activités de transport, d’édition et de diffusion en rapport avec les ventes volontaires qu’ils organisent. C’est l’article 42.
Elle a défini, à l’article 4, le caractère accessoire de l’activité de ventes volontaires des notaires et des huissiers de justice, cette activité ne pouvant pas excéder 20 % du chiffre d’affaires annuel brut de l’office de ces officiers publics et ministériels.
Enfin, elle a prévu que les notaires et les huissiers de justice réalisant des ventes volontaires devraient satisfaire aux mêmes conditions de qualification que les opérateurs de ventes volontaires. Toutefois, les notaires et les huissiers réalisant des ventes au 1er janvier 2010 seraient réputés remplir ces conditions. En tout état de cause, nous aurons l’occasion d’examiner tout à l'heure quelques modifications sur ce point, qui ont été présentées en commission des lois ce matin.
En troisième lieu, conformément à l’objectif visant à conforter les garanties apportées au public des ventes aux enchères, la commission des lois a adopté des amendements de son rapporteur tendant à introduire les dispositions suivantes :
Le mandat donné par le propriétaire du bien pour procéder à une vente aux enchères doit être établi par écrit – c’est l’article 7.
Aux termes de l’article 18, la publicité devra mentionner le délai de prescription applicable aux actions relatives à des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Le délai de prescription de cinq ans défini par la loi du 17 juin 2008 sera maintenu.
Une information devra être donnée au public sur l’intervention d’experts dans l’organisation de la vente – c’est l’article 27 – et sur la nature des garanties souscrites par les experts en matière d’assurance – c’est l’article 28.
L’article 29 prévoit que l’opérateur de ventes volontaires devra vérifier le respect des obligations des experts auxquels il recourt et en informer le public.
À l’article 5, le prestataire de services se limitant à offrir une infrastructure électronique lui permettant de réaliser des opérations de courtage aux enchères par voie électronique devra informer clairement le public sur la nature du service proposé, distinct de la vente aux enchères. Un prestataire de services délivrant des informations susceptibles d’entraîner dans l’esprit du public une confusion entre son activité et la vente aux enchères publiques devra être soumis aux dispositions du code de commerce relatives aux ventes volontaires.
À l’article 31, la commission a adopté un amendement de son rapporteur permettant au Conseil des ventes volontaires de reconnaître le code de déontologie des groupements d’experts qui lui paraissent offrir des garanties de compétence, d’honorabilité et de probité.
En quatrième et dernier lieu, comme conséquence de la suppression du monopole des ventes volontaires de marchandises en gros, la commission des lois a défini, selon l’objectif visé, un nouveau statut des courtiers de marchandises assermentés, qui n’auraient plus le monopole des ventes volontaires de marchandises en gros. Ce sont les articles 45 et 46. Par conséquent, ces courtiers seraient non plus officiers publics, mais assermentés dans leur spécialité auprès d’une cour d’appel pour l’exercice des ventes judiciaires en gros. Le nouveau statut des courtiers de marchandises assermentés serait inscrit dans le code de commerce.
Enfin, la commission des lois a adopté un amendement de son rapporteur tendant à modifier l’intitulé de la proposition de loi afin de marquer son objectif de libéralisation du secteur des ventes volontaires de biens meubles aux enchères publiques.
Par ailleurs, onze amendements de son rapporteur ont été adoptés ce matin en commission des lois, tendant à apporter des précisions et des compléments utiles au texte. Nous les examinerons tout à l'heure.
Je terminerai mon intervention en soulignant que la modernisation du secteur, à laquelle participera la proposition de loi qui vous est soumise, devrait s’accompagner d’un certain nombre de points non exhaustifs, en particulier de mesures fiscales pour maintenir la localisation ou encourager la relocalisation sur la place de la France des ventes d’art du patrimoine culturel français, ce qui suppose de revoir la TVA à l’importation et le droit de suite.
Je ne méconnais pas les difficultés, rappelées tout à l'heure par M. Marini, liées à la législation européenne, mais rien n’interdit, de mon point de vue, de réfléchir à des pistes validées par la Commission européenne et s’inspirant, notamment, des dispositifs de type « crédit d’impôt cinéma ».
Des distorsions fiscales de concurrence frappent inégalement les opérateurs exerçant en France.
Pour les firmes multinationales, il est possible de proposer aux vendeurs de vendre, à New-York par exemple, des objets dont la vente en France occasionnerait la perception d’un droit de suite. Une telle tendance est d’autant plus encouragée que les exportations sont exonérées de TVA, de même que les livraisons vers un autre pays de l’Union européenne.
Symétriquement, la relocalisation des ventes en France n’est guère intéressante sur le plan fiscal, sachant que les importations et les acquisitions intracommunautaires sont imposées à la TVA et que le droit de suite est susceptible de jouer. C’est l’une des raisons du faible dynamisme des ventes d’art moderne et contemporain de ces dernières années.
Par ailleurs, la transposition de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur a été réalisée dans le texte de la commission des lois qui vous est présenté.
Ce texte offre au marché français une occasion de relancer efficacement les enchères publiques. Il comporte un dispositif de libéralisation du marché des ventes publiques mobilières volontaires, dans le respect d’une concurrence saine et loyale, avec un juste équilibre entre liberté, régulation et le souci de protéger le consommateur.
Au final, mes chers collègues, votre rapporteur estime que ce texte de la commission des lois constitue une avancée incontestable pour le secteur des enchères. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)