Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je vais répondre brièvement aux questions qui m’ont été posées, dans un débat d’une grande qualité qui est à l’honneur du Sénat. Permettez, mesdames, messieurs les sénateurs, à celui qui, depuis sa thèse de doctorat, a consacré de nombreuses années de sa vie aux questions de non-prolifération nucléaire de rendre hommage non seulement au travail du rapporteur, mais aussi aux interventions de l’ensemble des membres de votre assemblée, dont l’analyse des faits comme les réflexions présentées ont été excellentes.
Je me félicite également du consensus qu’a recueilli, sur l’ensemble des travées, l’approbation de ce texte et donc la ratification de cette convention nucléaire franco-indienne. Parallèlement à celle qui lie l’Inde aux États-Unis et à la Russie, cette convention va permettre un développement de l’énergie nucléaire propre en Inde, qui compte 1,2 milliard d’habitants, et cela dans des conditions de sécurité permettant à l’AIEA d’être sûre qu’aucune de ces installations ne participe, de près ou de loin, au développement des programmes nucléaires militaires de ce très grand pays.
Vous avez, les uns et les autres, soulevé toute une série de questions de fond qui, je me permets de le dire, madame la présidente, appelleraient un vrai débat dans les deux assemblées, débat que, personnellement, je ne crains aucunement. En effet, plus on développera la connaissance de nos concitoyens sur ces sujets, mieux on confortera le consensus sur notre système de dissuasion militaire et sur nos programmes nucléaires civils, qui sont exemplaires et qui contribuent à faire aujourd’hui de la France l’un des pays pionniers à l’approche du sommet de Copenhague. En ce début de XXIe siècle il est bon de garder à l’esprit les questions stratégiques de fond.
Bien évidemment, je ne saurais ce matin me substituer ni au Premier ministre, ni à mes excellents collègues de la défense et des affaires étrangères. Toutefois, le modeste secrétaire d’État aux affaires européennes que je suis va tenter, sinon de vous répondre (M. Didier Boulaud rit.), du moins de donner un éclairage aux questions de fond qui ont été posées.
À M. de Montesquiou, qui a parlé de garanties unilatérales données par l’Inde, je me permets de répondre qu’un certain nombre des systèmes de contrôle acceptés par l’Inde ne sont pas unilatéraux. Ils résultent d’un accord passé avec l’AIEA, et donc de l’application d’un texte qui a une valeur juridique et qui va au-delà de simples garanties unilatérales ! L’Inde a adopté un plan de séparation entre ses installations nucléaires militaires, d’une part, et civiles, d’autre part.
Il en a été de même pour la France quand elle a signé, vingt-quatre ans après son ouverture à la signature, ce traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
Monsieur de Montesquiou, vous m’avez également interrogé, comme d’autres intervenants, sur le Pakistan et Israël ? Quid de l’élargissement à d’autres pays, particulièrement à ceux-là, de la dérogation au traité, qui revient à leur accorder un statut d’exemption ?
Vous connaissez la doctrine d’Israël. Ce pays ne reconnaît pas la possession d’armes nucléaires et n’est pas prêt, à l’heure actuelle, à accepter de signer le TNP, ni même d’ailleurs un système d’exemption. Mais cela peut changer…
S'agissant du Pakistan, la question a été posée. Pour m’y être rendu lorsque je m’occupais notamment de l’Afghanistan, je sais qu’un certain nombre d’officiels pakistanais ont émis le désir de voir se développer dans leur pays une industrie nucléaire civile et donc de trouver un système similaire à celui de l’Inde. À ce stade, et sans engager plus avant le Gouvernement, je note simplement que l’histoire du développement nucléaire au Pakistan n’est pas, de ce point de vue, particulièrement rassurante !
Si l’industrie nucléaire de l’Inde a proliféré à partir d’installations civiles et si ce pays a veillé ensuite à ne disséminer ni la connaissance, ni la technologie, et encore moins les installations nucléaires civiles, on peut être beaucoup plus critique à l’égard de la Corée du Nord, du Pakistan et de certains autres pays.
L’exemple du docteur Abdul Qadeer Khan, que j’ai jadis rencontré à Islamabad et dont la carrière va de l’usine d’enrichissement d’uranium hollandaise, Urenko, jusqu’à la création de la bombe atomique pakistanaise, n’est pas très rassurant à cet égard, d’autant qu’il a récemment été élargi par la justice pakistanaise !
Je n’en dirai pas plus. Mais, personnellement, je doute que soit étendu à d’autres pays le régime d’exemption accordé à l’Inde après des années de négociations et un examen très approfondi de la part non seulement des États-Unis, de la France et de la Russie, mais aussi de pays exportateurs. Cela me permet de répondre en même temps à d’autres orateurs, notamment MM. Didier Boulaud et Michel Billout, qui se sont inquiétés de la fragilisation du système du traité sur la non-prolifération. Vraiment, je ne pense pas que l’exemption indienne fasse immédiatement et massivement jurisprudence.
J’en viens à la question de l’Iran posée, entre autres, par MM. Boulaud, Billout et de Montesquiou. À la différence de l’Inde, ce pays est signataire du traité sur la non-prolifération. Dès lors comment obtenir l’arrêt de l’enrichissement, que nous appelons de nos vœux, alors que le traité signé en 1968 ne l’interdit pas expressément, pas plus qu’il ne prohibe le retraitement ?
Le traité de non-prolifération était en effet fondé sur le principe d’un échange entre l’accès au nucléaire civil et le renoncement aux armes nucléaires. Ce n’est que postérieurement, dans les années soixante-dix, avec la constitution du groupe des exportateurs de biens nucléaires au lendemain du premier essai indien, que le régime des garanties a été progressivement élargi, et les parties sensibles du cycle – l’enrichissement et le retraitement, qui permettent de développer soit le nucléaire civil, soit le nucléaire militaire –, sécurisées.
En ce qui concerne l’Iran, le problème est que ce pays a engagé un programme très important d’enrichissement, qui lui permet de disposer de plus d’une tonne et demie d’uranium enrichi, alors qu’il n’a toujours pas de réacteur nucléaire civil en fonctionnement. C’est ce décalage pour le moins frappant qui nous conduit à penser que la sécurité internationale impose d’obtenir l’arrêt de cet enrichissement et le démantèlement des installations qui y contribuent.
M. Robert Badinter. Et si nous ne l’obtenons pas ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Au-delà, il faudrait que l’enrichissement nécessaire au nucléaire civil se fasse en dehors de ce pays.
Ce point nous permet d’ailleurs de revenir à une autre question, fort intéressante, posée par M. Boulaud sur les méthodes d’enrichissement pour les pays qui ne sont pas tentés par la prolifération. Du côté français, nous avons essayé de mettre en œuvre cette fameuse idée de banque du combustible, annoncée dès 1946 dans le plan Baruch, EURODIF et URENCO pouvant finalement être assimilées à des installations multinationales d’enrichissement. La création d’une telle banque faisait partie des engagements de campagne du Président Sarkozy et nous soutenons naturellement les initiatives qui pourraient être prises des deux côtés de l’Atlantique, entre Européens ou avec les États-Unis.
Vous sembliez reprocher implicitement à la France de développer des programmes nucléaires civils, monsieur Boulaud. Ils me semblent pourtant indispensables aujourd’hui, tant pour le développement de nombreux pays que pour lutter sérieusement contre le réchauffement climatique, à condition de s’assurer qu’ils ne contribuent pas, à terme, à la fabrication de matières fissiles militaires. Il convient pour cela de sécuriser les aspects sensibles du cycle, de construire des installations multinationales d’enrichissement et de retraitement ou, sinon, d’organiser le rapatriement de ces matières.
En revanche, je vous rejoins sur le fait que l’on ne consacre ni assez de temps ni assez d’argent à cette question. Je souhaiterais pour ma part qu’elle soit évoquée dans le cadre d’une réflexion globale sur l’avenir de la non-prolifération.
J’en viens aux réflexions de M. Fauchon, qui s’interroge sur la raison pour laquelle les uns ont droit à la bombe, et les autres non. Quid du désarmement, quid de la résolution 1887 adoptée tout récemment lors de ce Conseil de sécurité très extraordinaire présidé par le Président Obama, en présence des chefs d’État ?
Partout dans le monde, on débat aujourd’hui du désarmement général – global zero –, et cette question faisait encore l’objet d’une convergence bipartisane à la une du journal Le Monde hier. À l’instar de M. Boulaud, je pense que nous devons débattre de ce sujet essentiel, mais en gardant les yeux ouverts. Si la France souhaite aller vers un désarmement général et complet, nous ne devons pas oublier ceux qui prolifèrent pendant que nous discutons de cette question à l’ONU. Ne soyons pas naïfs, monsieur Fauchon : il n’y a peut-être pas de principe général qui condamne les puissances à être inégales, mais il y a un principe de sécurité élémentaire. Contrairement au général Gallois, je crois en réalité que plus il y a de fous nucléaires, moins on rit… Par ailleurs, la non-prolifération paraît d’autant plus indispensable que des acteurs non-étatiques pourraient mettre la main sur des armes nucléaires.
Il faut continuer à sécuriser le traité de non-prolifération l’an prochain et encourager tout ce qui va dans le sens du désarmement. Si les États-Unis et la Russie s’entendent d’ici à la fin de l’année sur un traité limitant les armes offensives, la France s’en réjouira, tout comme elle a approuvé le démantèlement du bouclier anti-missile que les Américains envisageaient d’implanter en République tchèque et en Pologne, et qui faisait obstacle à un accord sur les armes offensives.
Oui, nous souhaitons une réduction du niveau d’armes, qui est bien trop élevé à l’heure actuelle – plusieurs dizaines de milliers d’armes sont en circulation. Nous souhaitons la fixation d’un seuil minimal d’armements. Nous y sommes du côté français : nous avons fait de gros efforts de désarmement unilatéral dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, en réduisant notre arsenal de missiles à courte et moyenne portée et la voilure de notre système de dissuasion dans son ensemble. Je souhaiterais que d’autres nations en fassent autant et qu’à terme ce contrat entre les puissances nucléaires et les autres États passe par un renforcement du traité de non-prolifération.
Enfin, n’oublions pas que, dans la plupart des cas, les proliférateurs ne sont pas passés par les centrales électronucléaires pour fabriquer la bombe atomique, mais par des facilités dédiées et des technologies très précises portant sur ces segments sensibles du cycle que sont l’enrichissement et le retraitement. En général, un réacteur de recherche suffit largement. Le paradoxe est que l’exemption consacrée par cette convention concerne l’un des très rares pays, sinon le seul, qui ait proliféré à partir d’un réacteur électronucléaire acheté au Canada.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de l’article unique.
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire (ensemble deux annexes), signé à Paris le 30 septembre 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
8
Article 65 de la Constitution
Discussion d'un projet de loi organique
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution (projet n° 460 rectifié, 2008-2009 ; texte de la commission n° 636, 2008-2009 ; rapport n° 635, 2008-2009).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre d’État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 organise la modernisation de nos institutions en vue de développer, au quotidien, la vie démocratique dans notre pays. Le projet de loi organique que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui vise à la mise en œuvre de la volonté ainsi exprimée en ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature.
Permettez-moi tout d’abord de souligner le travail remarquable effectué sur ce texte par votre commission des lois, en particulier par son rapporteur.
La justice constitue l’un des piliers de l’unité de notre pays. Elle l’est aujourd’hui plus que jamais, au moment où la mondialisation, le développement d’un certain communautarisme et la contestation de l’autorité sont autant d’éléments centrifuges qui contribuent au délitement de notre unité nationale.
C’est pourquoi il est essentiel de réapprendre aux Français que les règles de droit, s’appliquant par définition à tous, incarnent cette unité et que la justice est sans doute l’institution la plus déterminante pour asseoir la conscience de cette unité.
Dans cette optique, le renforcement de la confiance dans la justice et l’adaptation de l’institution judiciaire aux exigences d’une démocratie moderne constituent les enjeux de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Deux objectifs sont au cœur du texte : offrir de nouvelles garanties d’indépendance à l’autorité judiciaire – l’évolution des attributions et de la composition du Conseil supérieur de la magistrature y contribuera –, mais aussi rapprocher la justice du citoyen. À cet égard, la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par le justiciable représente, sinon une révolution, à tout le moins une véritable avancée dans notre droit et dans les rapports du justiciable à la justice.
Les débats en commission ont permis à la fois d’atteindre ces objectifs et de respecter un juste équilibre entre l’effectivité de la saisine par le justiciable et la nécessaire sérénité de la justice, qui doit toujours demeurer l’une de nos préoccupations majeures.
Le projet de loi organique précise les attributions et la composition du Conseil supérieur à partir de trois principes : l’indépendance, l’ouverture, la transparence.
L’indépendance d’abord, parce que c’est un élément fondamental des valeurs de la justice. Le Président de la République cesse de présider le Conseil supérieur de la magistrature. Le garde des sceaux perd, par là même, sa qualité de vice-président. La procédure de nomination du secrétaire général et les modalités de réunion du Conseil doivent donc être adaptées en conséquence.
Deuxième principe : l’ouverture. De fait, notre société s’ouvre et il nous faut prendre en compte cette évolution. La composition du Conseil supérieur de la magistrature intègre cette exigence. Six personnalités qualifiées seront nommées par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, comme c’est déjà le cas pour bien d’autres autorités. Le texte prévoit d’ailleurs l’application à ces nominations de la procédure de l’article 13 de la Constitution, modifié l’an passé, ce qui offre une garantie supplémentaire.
Le nouvel article 65 de la Constitution prévoit en outre la désignation d’un avocat en tant que membre du Conseil supérieur. Le texte que je vous soumets en précise les modalités et, notamment, lève les incompatibilités entre les fonctions de membre du Conseil supérieur et la profession d’avocat. Nous aurons sans doute l’occasion d’en discuter.
Troisième principe : la transparence. Les attributions du Conseil supérieur de la magistrature, dans le domaine des nominations, sont élargies. Il rendra désormais un avis sur toutes les nominations des magistrats au parquet, y compris sur les emplois pourvus en conseil des ministres, essentiellement le procureur général près la Cour de cassation et les procureurs généraux près les cours d’appel. L’indépendance des magistrats du parquet s’en trouvera renforcée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai indiqué voilà quelques instants, l’autre volet du projet de loi organique, à savoir la saisine directe du Conseil supérieur par le justiciable, est une authentique innovation dans le droit français. Sa mise en œuvre vise à garantir l’effectivité du mécanisme tout en préservant la stabilité de l’autorité judiciaire : il y a là un équilibre essentiel, mais qui n’est pas facile à établir.
La saisine directe du Conseil supérieur porte d’abord sur la matière disciplinaire. Il faut le rappeler, il est déjà possible, par voie de recours, de contester éventuellement des décisions juridictionnelles ou de dénoncer le fonctionnement défectueux de la justice : ce sont l’appel et la cassation, d’un côté, l’action contentieuse sur le fondement de la responsabilité de l’État, de l’autre.
En revanche, à ce jour, en matière disciplinaire, le justiciable n’a aucune possibilité de saisir directement le Conseil supérieur. Seuls le garde des sceaux et les chefs des cours d’appel peuvent dénoncer à l’instance disciplinaire les manquements des magistrats.
Désormais, si ce texte est adopté, tout citoyen pourra directement saisir le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’il estimera que, à l’occasion d’une procédure judiciaire, le comportement – j’insiste sur ce terme – d’un magistrat mérite de faire l’objet d’une qualification disciplinaire.
Ce droit de saisine doit être accessible, mais il doit aussi être encadré.
L’encadrement du droit repose sur l’esprit même de la loi constitutionnelle. Le nouveau droit vise à protéger les libertés du citoyen ; il ne doit pas pour autant aboutir à une déstabilisation des magistrats ou de l’institution tout entière.
L’accessibilité est garantie par le fait que les exigences de forme sont finalement très peu contraignantes. Il suffit au justiciable d’écrire une lettre retraçant de manière détaillée les faits et griefs allégués. Il n’a pas besoin de recourir aux services d’un avocat.
Néanmoins, afin de parer à tout risque de déstabilisation, le projet de loi organique prévoit un filtrage à deux niveaux de la demande du justiciable.
Premièrement, la plainte devra être jugée recevable. En effet, il faut empêcher les dénonciations intempestives, susceptibles de porter atteinte à la sérénité du travail des magistrats. En tant qu’élus, nous savons bien que certains citoyens ont une vision telle de la justice qu’ils en viennent à contester systématiquement l’attitude des magistrats ou les décisions qu’ils rendent.
Le filtrage consistera d’abord, pour la section compétente – ou la commission des requêtes – du Conseil supérieur de la magistrature à vérifier qu’un certain nombre de conditions sont remplies, et en premier lieu que le requérant est bien concerné par la procédure à l’occasion de laquelle il conteste le comportement d’un magistrat.
En deuxième lieu, la plainte ne peut viser que le comportement du magistrat dans l’exercice de ses fonctions.
En troisième lieu, la plainte ne peut, en principe, être reçue que lorsque le magistrat du siège n’est plus saisi de la procédure en cause ou lorsque le parquet n’est plus chargé du dossier. Cette règle étant posée, il est néanmoins prévu que, à titre exceptionnel, et dans des procédures qui seraient particulièrement longues, le Conseil supérieur pourra être saisi au cours de la procédure. La commission des lois du Sénat a proposé cette avancée pour tenir compte d’une réalité que notre droit ne saurait effectivement ignorer. Il s’agit là d’une juste appréciation des différences de situation qui peuvent exister selon les procédures en cours.
Le président de la section pourra ainsi rejeter les plaintes qui ne remplissent pas ces conditions et qui apparaissent irrecevables, abusives ou manifestement infondées.
La plainte doit ensuite viser un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire : c’est le deuxième niveau du filtrage. Pour vérifier cette condition, des informations et des observations seront recueillies par la section du Conseil supérieur auprès des chefs de cour.
Afin de dissiper les doutes éventuels sur les qualités du magistrat, la procédure doit, dans le même temps, trouver une issue rapide. C’est la raison pour laquelle les chefs de cour se sont vu impartir un délai de deux mois pour répondre aux demandes d’information qui leur sont adressées par la section du Conseil supérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’entrerai pas davantage dans le détail de ce texte, dont l’esprit et la philosophie correspondent simplement à la volonté de rapprocher la justiciable de la justice, en même temps que de conforter l’image d’indépendance de notre justice.
Le Conseil supérieur de la magistrature doit refléter ce que doit être la justice du xxie siècle, une justice moderne, reconnue, transparente, une justice qui soude l’unité nationale. Nous avons besoin plus que jamais d’une justice qui soit fière de ses valeurs, fière des principes sur lesquels elle repose, d’une justice irréprochable, consciente de la nécessaire exemplarité de chacun des magistrats, d’une justice proche des justiciables, en phase avec la société, au cœur de notre démocratie
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs du projet de loi organique que j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre appréciation et à votre vote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, avec la révision du 23 juillet 2008, l’article 65 de notre Constitution, consacré au Conseil supérieur de la magistrature, est non seulement passé de neuf à onze alinéas, mais il a surtout fait l’objet d’une réécriture totale.
La composition, l’organisation et les attributions du Conseil supérieur en sont profondément modifiées. Le nombre de ses membres n’appartenant pas à la magistrature a été augmenté, les magistrats devenant minoritaires lorsque les formations statuent sur les nominations, mais siégeant à parité avec les non-magistrats dans les formations disciplinaires.
La révision met fin à la présidence du Conseil supérieur par le Président de la République, qui demeure cependant garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Elle met également fin à la vice-présidence du ministre de la justice. Ce dernier, bien que n’étant plus membre du Conseil, peut participer aux séances de ses formations, sauf en matière disciplinaire.
La nouvelle rédaction de l’article 65 de la Constitution élargit les attributions du Conseil supérieur en lui permettant de donner un avis simple au ministre de la justice sur les nominations aux emplois de procureur général.
Enfin, la récente loi constitutionnelle innove largement en permettant la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable. On peut d’ailleurs opérer, à cet égard, un rapprochement avec le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61–1 de la Constitution, qui ouvre la possibilité pour tout justiciable de saisir le Conseil constitutionnel aux fins d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori et que le Sénat vient d’adopter.
Ces différentes réformes, touchant un organe essentiel au fonctionnement de la justice dans notre pays, seront mises en œuvre par le projet de loi organique qui est aujourd’hui soumis en premier lieu au Sénat.
Si l’on s’attache tout d’abord à ce droit de saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables, on doit constater qu’il s’inscrit dans le cadre d’un débat récurrent sur la responsabilité des magistrats.
D’ailleurs, le législateur a déjà réfléchi récemment à un tel dispositif : lors de l’examen de la loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats. Le mécanisme alors adopté, qui aurait permis à toute personne, physique ou morale, estimant que le comportement d’un magistrat était susceptible de constituer une faute disciplinaire, de saisir d’une réclamation le médiateur de la République, a été censuré par le Conseil constitutionnel.
Cet aspect de la question de la déontologie et de la discipline des magistrats, qui se situe au cœur du débat sur la justice depuis une dizaine d’années, et qui a encore été exacerbé par les graves dysfonctionnements mis en évidence dans l’affaire d’Outreau, restait donc, au moins partiellement, sans réponse.
Au-delà, c’est tout le problème de la confiance des citoyens à l’égard de leur justice qui se trouve posé, même si une étude réalisée en 2008 par le Conseil supérieur de la magistrature montrait que 63 % des personnes interrogées maintenaient leur confiance dans la justice, score certes moins flatteur que pour les hôpitaux – 89 % de taux de confiance –, l’école – 82 % –, l’armée – 81 % –, la police – 76% – ou la fonction publique – 73 % –, mais sensiblement supérieur à la confiance exprimée, mes chers collègues, à l’égard des élus – 44% – ou des médias – 31%.
L’ambition du projet de loi, relayée par la commission, qui a adopté sur ce point un certain nombre d’amendements, réside dans la recherche d’un équilibre entre la responsabilité disciplinaire des magistrats, fondée sur leurs obligations déontologiques et la préservation de la sérénité et de l’indépendance de la justice.
Il convient donc de donner à la saisine du justiciable son plein effet, sans pour autant prendre le risque de déstabiliser les juges. Il s’agit là d’une évolution considérable dans la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire, dont les saisines par le ministre de la justice ou les chefs de cour se comptaient jusqu’à présent, chaque année, sur les doigts des deux mains, voire d’une seule ; il y en aura vraisemblablement, dans les années à venir, des dizaines ou des centaines.
La révision constitutionnelle et le projet de loi organique répondent sur ce point à la demande, largement exprimée, d’un renforcement de la responsabilité disciplinaire des magistrats. Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation, et Julie Joly-Hurard ont écrit à juste titre : « L’époque où l’on présupposait que l’autorité et le crédit de la justice reposaient sur le silence gardé à propos des fautes commises par les juges, pour maintenir, par la dissimulation, le mythe du juge irréprochable, est aujourd’hui révolue. La culture du secret n’est socialement plus admise. Bien au contraire, l’autorité de la justice comme la confiance des justiciables en celle-ci sont actuellement et plus que jamais fondées sur la transparence de la procédure et de la jurisprudence disciplinaires, qui permet à tout citoyen de vérifier que les fautes révélées sont effectivement et proportionnellement sanctionnées. »
La commission des lois a également été animée par le souci de renforcer l’indépendance de la justice. Dans la mesure où le constituant, sur l’initiative du Sénat et notamment de Jean-Jacques Hyest, rapporteur du projet de révision constitutionnelle, a consacré une exigence de parité entre les membres magistrats et les membres non-magistrats pour la composition des formations du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en matière disciplinaire, la commission a veillé à ce que cette règle ne puisse être contournée, par exemple en cas d’absence ou d’empêchement des présidents de formation.
Rappelons que tous les conseils de justice de l’Union européenne, les homologues de notre Conseil supérieur de la magistrature, sont majoritairement composés de magistrats, à deux exceptions près : la Belgique et la République slovaque, qui pratiquent une stricte parité. Cette exigence est également exprimée par plusieurs textes européens, dont la Charte européenne sur le statut des juges du Conseil de l’Europe.
Enfin, la commission s’est efforcée de garantir l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature. Elle a ainsi souhaité inscrire dans le texte organique les obligations déontologiques particulières d’indépendance, d’impartialité et d’intégrité auxquelles doivent satisfaire les membres du Conseil.
Dans le même esprit, elle a précisé les conditions dans lesquelles un membre doit s’abstenir de siéger en raison des doutes que sa présence ou sa participation au délibéré pourraient faire peser sur l’impartialité de la décision rendue.
Elle a également cherché à concilier la présence ès qualités d’un avocat au sein du Conseil supérieur, voulue par le constituant, avec les difficultés que peut créer, en raison d’éventuels conflits d’intérêt, la poursuite par cet avocat d’activités au sein des tribunaux, mais aussi avec le trouble que pourrait légitimement éprouver un justiciable apprenant que le conseil de son adversaire serait susceptible d’intervenir dans le déroulement de la carrière de celui qui juge leur différend.
Le souci de l’unité du corps judiciaire, à laquelle la commission demeure attachée en dépit des turbulences que connaît aujourd’hui le statut du parquet, a également inspiré certains amendements, portant par exemple sur la création de commissions des requêtes, en charge du filtrage des plaintes des justiciables, communes pour le siège et pour le parquet.
Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, c’est une étape importante de la mise en œuvre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 que nous abordons aujourd’hui. Puisse-t-elle largement contribuer à réconcilier les Français avec leur justice et à développer des relations apaisées entre les différents pouvoirs.
La commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi organique enrichi des amendements qui l’ont d’ores et déjà modifié pour constituer le texte dont nous allons débattre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)