Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte tendant à autoriser la ratification d’un accord de coopération nucléaire civile signé entre la France et l’Inde le 30 septembre 2008 s’inscrit effectivement dans le cadre général de la politique extérieure française dans le domaine nucléaire civil.
Cependant, en permettant à l’Inde, pays non-signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, de bénéficier de l’exportation de technologies en matière d’énergie nucléaire, cet accord déroge aux règles internationales dans ce domaine. En effet, les quarante-cinq pays du Groupe des fournisseurs nucléaires avaient adopté un mois auparavant, par consensus, une décision exemptant l’Inde de la clause « des garanties généralisées » édictée par l’Agence internationale de l’énergie atomique et interdisant l’exportation de ces technologies vers les États qui n’acceptent pas ses contrôles.
Cette décision a ainsi rendu possible la concrétisation d’accords avec trois grands pays : les États-Unis, la Russie et la France.
Il faut aussi noter que cet accord précise qu’il n’est pas envisagé pour l’instant de transférer des technologies liées à l’enrichissement ou au retraitement du combustible nucléaire.
Cette décision prend donc en compte la situation particulière de l’Inde, qui est une démocratie, mais aussi l’une des trois grandes puissances dites « émergentes » et le sixième consommateur mondial d’énergie, aux besoins énormes du fait d’une forte croissance économique et d’une croissance démographique exponentielle.
Mais elle a surtout pu être prise grâce à l’attitude très positive de l’Inde dans plusieurs domaines. Celle-ci a en effet accepté les contrôles de l’AIEA sur ses activités nucléaires civiles et pris plusieurs engagements concrets en matière de non-prolifération, notamment celui de contribuer à la conclusion d’un traité multilatéral d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Cette attitude tranche, effectivement, avec celle de son voisin, le Pakistan.
Cependant, comment apprécier alors le lancement expérimental, très récent, de missiles de moyenne portée pouvant être équipés de têtes nucléaires ? Comment apprécier la volonté réaffirmée des dirigeants indiens de se doter de missiles nucléaires pouvant frapper à 5 000 kilomètres de distance ? L’Inde s’inscrit-elle alors dans le contexte de la récente assemblée générale de l’ONU, et tout particulièrement de la réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité consacrée à la non-prolifération et présidée par le Président Obama ?
À l’unanimité de ses quinze membres, le Conseil a adopté une résolution appelant à l’instauration d’un monde dénucléarisé sous la houlette du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Rédigé par les États-Unis, le texte enjoint aux 189 États signataires du TNP de respecter leurs obligations, et aux non-signataires, dont l’Inde et le Pakistan, de le rejoindre pour le rendre universel. Il me semble qu’il reste encore beaucoup à faire pour que ces deux pays – et je pourrais ajouter Israël – décident, dans leurs discours et dans leurs actes, d’aller en ce sens. C’est pourquoi la décision du Groupe des fournisseurs nucléaires qui a permis la signature de ces accords, tout particulièrement de celui qui nous occupe aujourd’hui, soulève un certain nombre de questions.
Je m’inquiète tout d’abord du risque de fragilisation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Il ne faudrait pas en effet que cette décision apparaisse comme une prime accordée aux pays non signataires, qui pourraient de la sorte bénéficier d’une coopération nucléaire civile bien qu’ils développent parallèlement un programme nucléaire militaire.
Je crains également que, si l’on n’y prenait garde, ce type d’accord de coopération nucléaire n’exacerbe les tensions et ne fragilise un peu plus encore la situation dans cette région du monde.
L’Inde apparaît en effet progressivement comme l’interlocuteur privilégié des grandes puissances, au détriment d’un Pakistan de plus en plus instable et inquiet de l’accroissement de l’influence de son voisin en Afghanistan. Le second attentat meurtrier contre l’ambassade indienne à Kaboul, jeudi dernier, en est une nouvelle illustration.
Comment, par ailleurs, justifier cet accord dérogatoire face à l'Iran, où le lien entre nucléaire civil et arme nucléaire est constamment posé ?
Ainsi, sur le fond, cet accord pose le problème de la difficulté à évaluer les risques du passage de certains pays du nucléaire civil au nucléaire militaire sans que la communauté internationale puisse intervenir efficacement.
Le développement du nucléaire civil doit donc s’accompagner d’un effort sans précédent pour que la communauté internationale renonce définitivement au développement de l’arme nucléaire en définissant un plan d’éradication totale de l’arsenal nucléaire existant.
Toutefois, nous pensons qu’il faut tenir compte favorablement des engagements pris par l’Inde en matière de contrôles, notamment par l’AIEA, et du fait que cet accord, bien encadré, ne concerne que le nucléaire civil.
Nous le pensons d’autant que cet accord, qui marque une nouvelle étape de notre partenariat stratégique avec ce pays, servira efficacement le développement de l’Inde et, espérons-le, le bien-être de ses populations.
Il est aussi un signe de reconnaissance de la qualité de notre technologie dans le domaine de l’énergie nucléaire, de la compétitivité de nos entreprises et du savoir-faire des salariés qui la mettent en œuvre. Il est donc également profitable à l’économie et aux emplois dans notre pays.
Pour cet ensemble de raisons, le groupe CRC-SPG votera en faveur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération nucléaire civile avec l’Inde. Mais vous avez compris, mes chers collègues, que ce n’est pas sans réticence : nous considérons que la sagesse devrait conduire à l’avenir le gouvernement français et le Groupe des fournisseurs nucléaires à ce que tout nouvel accord dans ce domaine avec l’Inde soit subordonné à sa signature du traité sur la non-prolifération.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me suis inscrit pour un temps de parole de vingt-cinq minutes, mais rassurez-vous, mon intervention ne durera pas autant.
M. Pierre Fauchon. C’est dommage !
M. Didier Boulaud. C’était simplement pour le plaisir d’avoir pour une fois un très long temps de parole.
Je me suis d’ailleurs demandé ce qui était arrivé en conférence des présidents ! Lorsque nous avions abordé les problèmes de la dissuasion nucléaire dans cet hémicycle voilà deux ou trois ans, nous avions disposé en tout et pour tout de dix minutes pour nous exprimer.
Je pensais seulement vous effrayer, mes chers collègues, en vous annonçant que j’allais parler vingt-cinq minutes !
M. Didier Boulaud. Mes chers collègues, je saisis l’occasion offerte par le débat sur ce projet de loi pour aborder un sujet, hélas, peu traité dans notre enceinte : celui de la politique française de coopération nucléaire civile et de ses relations avec la politique de lutte contre la prolifération nucléaire.
D’ailleurs, je devrais plutôt dire politique de « contrôle de la prolifération nucléaire », ce serait une appellation plus proche de la réalité internationale.
Je ne reviendrai pas sur les aspects, si bien développés dans le très instructif rapport de notre collègue Xavier Pintat, relatifs à l’intérêt de cette convention.
En revanche, je m’attarderai sur ce qui apparaît comme une contradiction : le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire et la prolifération nucléaire à but militaire.
Bref, quelle est la politique française d’exportation du nucléaire civil et quelle est notre politique en matière de nucléaire militaire aussi bien en France que dans le monde ?
Très récemment, le dossier nucléaire a été mis sur la table de l’ONU par le président des États-Unis, Barack Obama ; dans la foulée, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 1887 en faveur du désarmement nucléaire.
Ce texte « appelle tous les États à négocier en vue d’une réduction des arsenaux nucléaires et à œuvrer à l’élaboration d’un traité de désarmement général et complet sous strict contrôle international ».
S’agit-il d’une déclaration de principe – une de plus pourrait-on dire – ou s’agit-il d’une feuille de route ?
Nous devrions, dans ce dernier cas, faire une analyse fine et approfondie des conséquences pour la France d’une telle évolution.
Certains pensent qu’il n’y a pas de relation entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire.
Toutefois, le cheminement de l’Inde hier, les prétentions de l’Iran aujourd’hui et peut-être demain, les accords passés ici ou là au sud de la Méditerranée, notamment avec la Libye, l’Algérie, montrent bien qu’il y a une relation entre nucléaire civil et nucléaire militaire.
Souvent l’essor de l’un accompagne – ou cache – le développement de l’autre. Foin d’hypocrisie ! À l’heure actuelle, la communauté internationale doit faire face à des régimes qui veulent acquérir la bombe atomique sous couvert d’un programme nucléaire civil.
Mais il y a aussi l’aspect économique et diplomatique. En la matière, le nucléaire, marchandise sensible, est difficile à manier et peut poser problème.
Le président Sarkozy a pris l’habitude, à chacun de ses voyages à l’étranger, de signer des contrats – je devrais plutôt dire des « promesses de vente »... – sur le nucléaire civil, avec des accords pour construire des réacteurs nucléaires ou offrir une assistance technique à un certain nombre d’États arabes, mais aussi asiatiques. À cet égard, certains ont même pu parler de « diplomatie nucléaire ».
Nous devrions pouvoir, à mi-mandat, effectuer un bilan de cette politique de coopération nucléaire et pouvoir étudier ses concrétisations aussi bien que les promesses non tenues et les engagements défaillants. Ce bilan doit être éclairé par une discussion prenant en compte des critères géopolitiques, sur les conséquences stratégiques d’une telle diplomatie.
Le dossier nucléaire de l’Inde est un bon modèle du mélange du nucléaire civil et militaire et de leurs interactions.
La réalisation par l’Inde, État non partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, d’un programme nucléaire militaire, attesté par un premier essai nucléaire en mai 1974, a entraîné un arrêt pratiquement complet de la coopération internationale en matière civile. Par la suite, l’Inde a accepté de placer sous le contrôle de l’AIEA une partie de son programme nucléaire civil, ainsi que toutes les activités futures susceptibles de bénéficier d’une coopération nucléaire civile. Cette décision, ainsi que les engagements pris par l’Inde en matière de non-prolifération ont conduit le Groupe des fournisseurs nucléaires à autoriser une reprise des transferts de biens et technologies nucléaires avec l’Inde.
Est-ce un exemple pour d’autres pays ? L’avenir seul le dira !
Cependant, nous savons que le comportement responsable de l’Inde en matière de non-prolifération nucléaire et les engagements nouveaux pris à cet égard par ce pays ont conduit le Groupe des fournisseurs nucléaires à lever les obstacles qui s’opposaient à la reprise de la coopération nucléaire civile avec l’Inde. En conséquence, cette évolution sera étudiée avec attention par d’autres pays qui voudront peut-être demain suivre un chemin similaire ; il faudra alors étudier attentivement les conséquences d’une telle « prolifération »... positive.
Toutefois, j’estime que la représentation nationale n’a pas suffisamment étudié cette question et les conséquences de la politique de notre pays en la matière.
Je ne souhaite pas critiquer, contester ou polémiquer. Mon objectif est simplement d’attirer votre attention, de présenter cette problématique et d’obtenir que la Haute Assemblée fasse preuve d’initiative en abordant sans complexes ni tabous cette question, parce que nous avons devant nous des échéances importantes.
D’abord, le traité de réduction des armes stratégiques, connu sous le nom de START, signé en 1991, arrive à son terme le 5 décembre. Entre Washington et Moscou, l’époque semble être à la détente. En juillet dernier, le président Obama et le président Medvedev se sont engagés à signer un nouveau traité réduisant leur nombre de têtes nucléaires. Comme nous savons que la Russie et les États-Unis possèdent environ 95 % des armes atomiques mondiales, ce mouvement décroissant pourrait avoir des conséquences sur les 5 % restants et cela nous concerne.
Ensuite, deuxième échéance importante, en 2010 aura lieu l’évaluation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP.
Voilà un très bref récapitulatif de la situation de ce traité, conclu en 1968, entré en vigueur en 1970 et initialement prévu pour vingt-cinq ans, qui a été prolongé de façon indéfinie en 1995 avec une évaluation prévue tous les cinq ans.
Il a été ratifié par 189 pays, dont l’Iran et les cinq grandes puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité.
Aux termes du TNP, les puissances nucléaires s’interdisent de transférer des armes nucléaires et d’aider un pays à s’en doter.
Les États signataires non dotés d’armes nucléaires s’engagent à ne pas en mettre au point ni en acquérir. En contrepartie, l’accès aux usages pacifiques de l’énergie atomique leur est garanti sous réserve d’un contrôle par l’Agence internationale de l’énergie atomique.
L’Inde et le Pakistan, devenus puissances nucléaires de facto en 1998 après des essais atomiques à leur actif, n’ont pas signé le TNP. Israël n’a jamais reconnu publiquement disposer d’un arsenal nucléaire et s’est toujours refusé à signer le traité. En septembre 2009, la Conférence générale de l’AIEA a exprimé « sa préoccupation » dans une résolution appelant Israël à abandonner l’arme nucléaire.
La Corée du Nord est sortie du traité en janvier 2003. En octobre 2006, elle a fait exploser sa première bombe atomique. Les discussions internationales pour obtenir sa dénucléarisation sont au point mort depuis le retrait de la table des négociations de Pyongyang en avril 2009. En mai 2009, elle a annoncé avoir réussi un nouvel essai nucléaire.
À la fin de l’année 2003, l’Iran a accepté un protocole additionnel, signé par une centaine d’États, qui permet un contrôle inopiné et approfondi des sites et activités nucléaires. En février 2006, le président Mahmoud Ahmadinejad a ordonné la fin de l’application du protocole.
La Corée du Nord, comme l’Iran, ont été visés par des sanctions de l’ONU pour leurs activités nucléaires ou balistiques.
La Syrie, l’Égypte, l’Irak, le Nigeria et Taïwan sont ou ont été soupçonnés d’avoir des activités nucléaires militaires. Plusieurs pays ont renoncé officiellement à un armement nucléaire : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, le Kazakhstan, le Bélarus, l’Ukraine et la Libye.
Voilà pour ce bref rappel destiné à mettre en lumière l’intérêt de ce dossier afin de nous inciter à nous occuper rapidement de ces questions.
Nucléaire civil, nucléaire militaire, exportation de technologies sensibles, politique de non-prolifération... voilà des sujets qui concernent directement la sécurité de notre pays, la sécurité de l’Europe et donc la paix dans le monde.
Quels sont les trois piliers du TNP ? La non-prolifération, le désarmement et la coopération pour les usages civils de l’énergie nucléaire.
J’estime que l’exemption décidée au bénéfice de l’Inde illustre une certaine inadaptation du TNP aux réalités actuelles. Il ne faudrait pas affaiblir cet édifice, comme cela a été dit, et ainsi faciliter à d’autres pays moins regardants que l’Inde des interprétations ou des lectures ad hoc du régime international de non-prolifération.
Quelle est la situation actuelle ?
Récemment, le Parlement européen s’est ému devant l’absence de progrès dans la réalisation des objectifs du TNP, comme en fait état le rapport d’Angelika Beer en avril 2009.
Cette situation est paradoxale : d’un côté, des inquiétudes sur une prolifération nucléaire militaire non maîtrisée et, de l’autre, une demande accrue, et une disponibilité plus grande, de technologies nucléaires !
Elle est paradoxale aussi, parce que coexistent en même temps des initiatives nombreuses prônant un désarmement nucléaire radical, telles la campagne « Global Zero » ou la proposition de désarmement de Henry Kissinger et de George Shultz, et une demande internationale croissante sur le nucléaire civil. Hier, nous avons pu lire dans le quotidien Le Monde un article transcourants sur ces questions.
Notre pays ne peut pas rester sur le bord de la route et regarder passer les débats et les propositions qui, directement ou indirectement, concernent aussi bien notre capacité de dissuasion nucléaire que la politique française de coopération dans le domaine nucléaire civil.
Ainsi, la prochaine conférence d’examen de 2010 des parties au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires revêt pour nous une très grande importance.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France et quelles sont les initiatives que notre pays entend porter lors de cette conférence de 2010 ?
Je considère essentiel que notre pays ne soit pas isolé quand la communauté internationale, dans ses différentes enceintes, traite des questions de défense et de sécurité, le nucléaire, civil ou militaire, en faisant partie.
C’est pourquoi j’ai approuvé sincèrement l’adoption, par le Conseil européen le 12 décembre 2003, d’une stratégie de l’Union européenne contre la prolifération des armes de destruction massive.
Aujourd’hui, presque sept ans plus tard, nous sommes en droit de nous interroger sur le bilan et les effets d’une telle stratégie.
Avez-vous, monsieur le secrétaire d’État, des éléments à nous communiquer à cet égard ?
Par ailleurs, toujours sur l’Europe, concrètement, quel est l’avis du Gouvernement sur les propositions existantes en vue de placer la production, l’utilisation et le retraitement de tout le combustible nucléaire sous le contrôle de l’AIEA ?
La France soutient-elle le Conseil et la Commission européenne qui seraient disposés à contribuer financièrement, à hauteur de 25 millions d’euros, à la création d’une banque de combustibles nucléaires placée sous le contrôle de l’AIEA ?
Peut-on, doit-on soutenir d’autres initiatives visant à la multilatéralisation du cycle du combustible nucléaire en vue de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire ?
Mes chers collègues, vous le voyez, les sujets sensibles ne manquent pas et, en dehors de tout esprit polémique, je souhaite que ces matières soient abordées par notre assemblée.
Il s’agit là d’une composante forte de notre politique étrangère et de notre politique de défense. Le nucléaire, sous toutes ses formes, ne doit pas rester à la porte de la Haute Assemblée. Pour autant, le groupe socialiste votera le projet de loi qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’Inde est un pays démocratique et responsable et il est devenu un acteur incontournable de la vie internationale. Il se trouve aujourd'hui à un tournant essentiel de son développement.
Véritable puissance en devenir, ce géant démographique, au taux de croissance en constante augmentation, a un besoin vital de redéfinir sa politique énergétique afin de répondre à d’énormes besoins dans ce domaine.
Par ailleurs, l’Inde, sixième consommateur mondial d’énergie, se retrouve face un double défi : tout d’abord, limiter sa dépendance énergétique auprès d’autres pays et surtout prendre en compte les impératifs liés au réchauffement climatique.
L’Inde a fait le choix responsable de l’énergie nucléaire, ce qui suppose la reprise d’une coopération internationale rompue en 1974, lorsque ce pays a procédé à son premier essai nucléaire.
Depuis, nous le savons bien, la situation a évolué, notamment à l’issue des trois ans de négociations entre l’Inde, l’AIEA et le groupe des fournisseurs nucléaires ou NSG – Nuclear Suppliers Group.
En mai dernier, l’Inde a conclu avec l’AIEA un nouvel accord de garanties dotant l’AIEA de pouvoirs d’inspection et de contrôle des installations et activités nucléaires civiles.
Enfin, rappelons-le, bien que l’Inde ne soit pas un État partie au traité sur la non-prolifération nucléaire, ce pays – cela a été largement souligné sur tous les bancs – a adopté en 2006 un plan de séparation entre ses installations civiles et ses activités nucléaires militaires.
De son côté, la France, par l’expertise qu’elle a pu acquérir en tant que puissance nucléaire et en tant qu’État partie au traité sur la non-prolifération, se trouvait tout naturellement être un partenaire responsable et capable d’offrir à l’Inde le partenariat stratégique dont elle a besoin.
En outre, la France et l’Inde avaient posé le principe d’une coopération nucléaire civile en 2005 et en 2006, afin d’aboutir à un accord de coopération pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.
Aujourd’hui, l’Inde répond aux critères du régime international de non-prolifération, ce dont nous nous réjouissons.
Cet accord est l’occasion d’un partenariat stratégique unique et de coopération avec la France dans des domaines tels que la recherche fondamentale, la gestion du combustible nucléaire et de ses déchets, la sûreté et la radioprotection, la fusion nucléaire dans le cadre d’ITER.
La mise en œuvre de l’accord est une formidable promotion de notre champion national, AREVA. C’est de bon augure pour conclure d’autres partenariats qui auront des répercussions importantes sur notre économie et sur l’emploi.
Cet accord conforte notre position en matière de réduction des gaz à effet de serre en faisant le choix du nucléaire comme source propre d’énergie, évitant ainsi le réchauffement climatique.
De plus, il est en cohérence avec notre politique extérieure dans le domaine du nucléaire civil, qui vise à promouvoir, à l’échelle mondiale, un développement responsable des usages nucléaires civils.
Je veux terminer en rendant un hommage particulier à l’action du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, qui a su, par sa volonté politique, renforcer ce partenariat stratégique en dépassant les clivages d’influence traditionnels de notre diplomatie.
En effet, contrairement à ce que disait à l’instant notre collègue Didier Boulaud, je me félicite de l’engagement du Président de la République dans ce domaine.
Je veux aussi saluer l’excellent travail de notre rapporteur, M. Xavier Pintat, dont nous connaissons tous la compétence et la motivation.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi autorisant l’approbation de cet accord de coopération. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Pierre Fauchon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en tant que président du groupe interparlementaire d’amitié France–Inde du Sénat, vous comprendrez que j’approuve sans réserve cet accord de coopération.
Il marque une nouvelle étape dans le partenariat stratégique qui nous lie à la République de l’Inde depuis 1998.
Pour la France, il ouvre des perspectives de coopération bilatérale avec le pays qui deviendra bientôt – nous le répétons depuis un petit moment ! – le deuxième marché au monde en matière de nucléaire civil.
En Inde, la mise en œuvre de cet accord va contribuer à satisfaire les besoins énergétiques considérables – M. de Montesquiou nous a livré les données chiffrées – que génèrent le développement économique et la croissance démographique formidables de ce pays, qui ne tardera pas à être le pays le plus peuplé au monde et donc la plus grande démocratie. En effet, l’Inde, rappelons-le, est une authentique démocratie ; on ne peut pas en dire autant de tous les pays.
Au sein de la délégation qui accompagnait le Président de la République lors de sa visite d’État de janvier 2008 – vous en faisiez partie, monsieur le secrétaire d'État –, j’ai constaté l’ampleur des besoins énergétiques de ce pays. En Inde, près de 450 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité et de nombreuses régions sont confrontées à une pénurie chronique d’approvisionnement.
Enfin, au-delà des volontés concordantes qu’ont manifestées les deux gouvernements et des intérêts convergents des deux pays, cet accord est l’aboutissement d’un processus dont il faut souligner l’importance politique pour l’ensemble de la communauté internationale. J’ajouterai au passage que, dans ce processus, l’ancien Président de la République Jacques Chirac a joué, voilà bien des années, un rôle tout à fait important.
Grâce aux négociations qui ont jalonné ce processus, l’Inde a accepté de placer sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, une partie de son programme nucléaire civil ainsi que toutes les activités futures susceptibles de bénéficier d’une coopération nucléaire civile.
C’est cette décision, mais aussi les engagements pris en matière de non-prolifération, qui ont conduit le groupe des fournisseurs nucléaires à autoriser une reprise des transferts de biens et technologies nucléaires vers l’Inde. Tant mieux !
Les conditions qui ont été posées à la reprise de la coopération nucléaire civile avec l’Inde, un État non partie au traité sur la non-prolifération, dont aucune discipline ne lui était jusqu’alors applicable, l’ont incité à souscrire volontairement à des engagements concrets, notamment en matière de non-prolifération. On constate la fécondité des accords que l’on peut mener, même en dehors des voies officielles et consacrées ! Cette politique de conditionnalité stricte a permis de lancer un processus vertueux. Elle pourrait avoir valeur d’exemple.
Je n’ose pas penser à l’Iran, dont la situation est bien particulière et à l’égard de laquelle, personnellement, mes réflexions ne sont pas celles qui sont le plus officiellement proclamées. En effet, mes chers collègues, je m’interroge toujours sur la raison fondamentale et morale pour laquelle certains États détenteurs de l’arme atomique ont déclaré que d’autres n’avaient pas le même droit. En vertu de quelle loi inscrite dans les cieux ? Elle y est inscrite tellement haut qu’il est difficile de la lire ! (Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Je comprends très bien la position du point de vue de la politique de sécurité, de la Realpolitik qui, monsieur le secrétaire d'État, fait naturellement partie de nos obligations. Mais, de là à l’ériger en principe souverain... Voilà qui me laisse quelque peu perplexe ! Mais je referme cette parenthèse !
La relation de confiance que ce cheminement a permis de nouer entre le groupe des fournisseurs nucléaires et l’Inde est l’un des éléments qui permettront à ce pays d’occuper toute sa place au sein de la communauté internationale.
Au-delà de cet effet direct, il faut noter au passage qu’il s’agit d’une étape qui sera importante, en tout cas significative, vers l’accession de la République indienne à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies – cela dépasse bien évidemment le cadre de cet accord, mais cela n’en reste pas moins une question très importante – et, d’une manière plus générale, son association à un G8 élargi que la France appelle de ses vœux. Ce projet de loi est donc l’aboutissement d’une évolution très positive, porteuse de paix et de sécurité dans une région dont nous connaissons l’importance stratégique et pour laquelle notre pays éprouve une naturelle et spontanée sympathie, fort bien exprimée en son temps, je l’ai dit tout à l’heure, par le président Jacques Chirac et, plus récemment, par le président Nicolas Sarkozy.
Je ne pense pas vous surprendre en vous disant que nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)