M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Permettez-moi une considération plus personnelle.

Au sein du conseil général de la Charente-Maritime, je crois avoir joué un rôle significatif. Je suis devenu deuxième vice-président, puis premier vice-président du conseil régional. Au cours de ces différents mandats, j’ai toujours eu la chance d’être professeur à l’université de Poitiers, ville siège du conseil régional de Poitou-Charentes. J’ai réussi à tout faire, mais au prix de combien de kilomètres, de combien d’heures !

Quand on est élu, ce n’est pas uniquement pour avoir son nom sur des cartes de visites. On attend de l’élu qu’il fasse preuve d’une imagination qui n’est pas du ressort de l’administration territoriale. Il lui revient aussi d’accomplir un important travail de contrôle, source d’économies appréciables.

Alors, non, je ne crois pas que les élus locaux soient de trop sur le territoire ! S’il en est parmi eux certains qui ne font rien, c’est à chaque formation politique de faire le ménage chez elle ! Mais cela ne change rien au fait qu’il est d’une impérieuse nécessité de contrôler totalement le pouvoir administratif pour se prémunir contre toute une série de dérives qui peuvent coûter extrêmement cher.

M. Alain Vasselle. Exactement !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Je me permets en outre de ne pas partager votre optimisme, monsieur le secrétaire d'État, sur les deux mandats en un. Et je sais, pour m’en être entretenu personnellement avec M. Balladur, qu’il n’est pas du tout sûr de son coup…

On nous cite toujours l’exemple des conseillers de Paris, qui sont à la fois conseillers municipaux et conseillers généraux. Certes, mais sur un même territoire, et cela change tout ! Les juristes que j’ai consultés invoquent un risque majeur devant le Conseil constitutionnel. J’ignore ce que les « princes du droit » diront sur ce sujet, mais je ne peux que vous inciter à la plus grande prudence.

Du temps où j’étais président du conseil général de la Charente-Maritime, je tenais à ce que l’assemblée départementale soit toujours représentée lorsqu’il y avait une décision à prendre ou un contrôle à effectuer. J’avais une quinzaine de vice-présidents – car c’est eux que je sollicitais, et non pas les membres de mon administration –, et le plus difficile était d’en trouver un qui soit disponible. En effet, chacun avait un métier. Mais quelle richesse que d’avoir, à ce niveau-là, des élus qui sont dans la vie ! Au niveau parlementaire, cela devient plus difficile, même s’il y a de brillantes exceptions. En tout cas, il est très important que cet élu local, ce maire, cet homme reconnu, qui vit dans un marigot, petit ou grand, soit dans la vie et exerce un métier. Car le jour où il deviendra tout ce que vous voulez qu’il soit, il cessera d’être un professionnel de quoi que ce soit, sinon un professionnel de la politique, même dans un petit territoire. Et il sera complètement dépendant de son parti, quel qu’il soit, pour les investitures et pour le reste !

M. Alain Vasselle. Avec la proportionnelle, oui !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Avec ce que vous voulez créer, ce sera une mission impossible que de concilier vie personnelle, vie professionnelle et fonction d’élu. Ma conviction, fruit d’une longue expérience, c’est qu’il faut trouver des gens exerçant un métier, mais suffisamment disponibles pour assumer la fonction de maire de leur petite commune, de leur petit chef-lieu de canton. C’est à eux qu’il faut confier le contrôle permanent, au fil des déplacements.

Or, si vous allez au bout de votre idée, vous allez changer totalement la sociologie des élus et, ce faisant, vous prendrez un risque majeur.

Cela étant, les choses vont suivre leur chemin, mûrir. Vous allez rédiger un texte. Je suis convaincu que tous ceux qui vous y aideront examineront ce que nous avons écrit.

Nous serons à votre disposition pour vous dire le pourquoi du comment et vous expliquer ce qui nous a conduits à écrire ceci ou cela. Car notre rédaction est le fruit d’une réflexion, non celui du hasard. Si vous voulez nous mettre à contribution, nous serons très sensibles à votre demande et nous tiendrons à votre disposition.

J’ajoute, à l’intention de Gérard Larcher, que si j’ai accepté cette mission, c’est en me souvenant qu’il n’est pas un texte majeur concernant les collectivités territoriales qui ait été écrit contre le Sénat ou qui n’ait pas obtenu ici une large majorité. Et j’espère qu’il en sera ainsi pour la future réforme. Il faut que nous y arrivions ! (Applaudissements.) Sinon, c’est le Sénat lui-même, dans son rôle majeur de représentation des collectivités territoriales, le cœur de notre métier, qui sera mis en question !

J’ai le sentiment d’avoir travaillé, au cours de ces huit mois, avec une équipe d’honnêtes gens, élus et administratifs, tous soucieux d’améliorer l’organisation territoriale. Nous n’avons nullement fait preuve, cher Alain Vasselle, de conservatisme. Nous sommes, au contraire, allés très loin dans l’exploration des voies de réforme. Il faut maintenant que les acteurs locaux s’emparent du sujet, et vous avec eux, monsieur le secrétaire d'État, et nous avec eux. Ainsi, l’horloge France tournera beaucoup plus rond qu’elle ne le fait actuellement ! Elle le mérite ! (Vifs applaudissements sur l’ensemble des travées.)

M. le président. Merci, mon cher collègue, de conclure ainsi ce débat sur un sujet essentiel.

Les échanges qui ont eu lieu au cours de ces cinq heures quarante-cinq, très exactement, me semblent faire honneur à notre assemblée et je tiens à souligner l’intérêt majeur que me paraissent revêtir les travaux de la mission.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre contribution. Je vous suis d’autant plus reconnaissant que je sais, pour l’avoir vécu de l’autre côté du « filet », combien le débat interactif est usant ! (Sourires.)

Je vous donne rendez-vous dans cette enceinte pour de nouveaux débats. Vous nous avez assurés que le Gouvernement serait à l’écoute de l’ensemble des sensibilités de cette assemblée. Je souhaite qu’il en soit bien ainsi pendant les débats et jusqu’au vote du futur texte.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux et je propose que, à titre tout à fait exceptionnel, nous les reprenions dans à peine plus d’une heure, c'est-à-dire à vingt-deux heures, pour mener à bien avant la clôture de la session ordinaire, donc avant minuit, l’examen d’une proposition de loi portant sur un sujet très grave puisqu’il s’agit de la protection et de la lutte contre l’inceste sur les mineurs. En effet, à défaut, ce texte n’étant pas inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire, son éventuelle adoption serait nécessairement reportée à la session ordinaire 2009-2010. Je demanderai d’ailleurs à chacun de respecter scrupuleusement son temps de parole dans ce débat qui doit durer deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Monique Papon.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Fin de mission de sénateurs

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter d’aujourd’hui, de la mission temporaire confiée à M. François Zocchetto, sénateur de la Mayenne, et M. François-Noël Buffet, sénateur du Rhône, auprès de M. le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance, dans le cadre des dispositions de l’article L.O. 297 du code électoral.

Acte est donné de cette communication.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes
Discussion générale (suite)

Inceste sur les mineurs

Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes (nos 372, 465 et 466).

Madame la ministre d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je veux vous rendre attentifs à la contrainte, évoquée par M. le président du Sénat en fin d’après-midi, qui pèse sur nos travaux.

Nous sommes le dernier jour de la session ordinaire, qui s’achève ce soir à minuit. Le texte relatif à l’inceste n’étant pas inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire, son examen ne pourra pas être poursuivi au-delà de minuit. Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire preuve de concision afin que nous puissions en terminer l’examen avant ce terme.

Si tel n’était pas le cas, la suite du débat serait renvoyée à la prochaine session ordinaire, qui sera ouverte le 1er octobre.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la prohibition de l’inceste est une réalité inscrite au fondement même des civilisations.

Même s’il fait l’objet de cet interdit symbolique, l’inceste est toujours présent dans notre société. Magistrats, forces de l’ordre, professionnels de l’enfance, le savent : la nécessité de protéger les mineurs contre les violences incestueuses n’a rien perdu de son actualité.

En tendant à inscrire la notion d’inceste dans le code pénal, la proposition de loi soumise à votre examen vise à combler une lacune de notre droit. Elle adresse un signal fort aux victimes de l’inceste et aux autorités chargées de le combattre. Elle prévoit des moyens de détecter, d’identifier, de prévenir l’inceste et de lutter contre cet acte.

Présenté à l’Assemblée nationale par Mme Marie-Louise Fort, ce texte est le résultat d’un travail législatif approfondi. Je tiens en cet instant à saluer le travail remarquable de la commission des lois de la Haute Assemblée et du rapporteur, M. Laurent Béteille. Les échanges fructueux avec l’Assemblée nationale, la qualité du dialogue, sont un exemple remarquable du travail conjoint des deux assemblées et font honneur à notre démocratie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la clarté de la loi est la condition de l’efficacité de notre action.

En adaptant le code pénal, nous visons à mieux sanctionner les violences sexuelles commises au sein de la famille, d’une part, et à mieux répondre aux attentes des victimes de l’inceste, d’autre part.

En reconnaissant la spécificité de l’inceste, la proposition de loi tend à conforter le fondement juridique de sa sanction pénale.

L’inceste, forme spécifique de violences sexuelles, appelle des dispositions spécifiques du code pénal.

Le texte émanant de la commission en propose une définition dont nous aurons l’occasion de débattre.

Il faut distinguer l’inceste d’autres formes de viol et d’agression sexuelle.

Quatre facteurs sont constitutifs du viol et de l’agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace et la surprise.

La qualification d’inceste ou de violences incestueuses intègre la forme particulière de contrainte morale qui résulte de la différence d’âge et de l’autorité de l’auteur du fait. C’est l’une des avancées de la proposition de loi.

Reconnaître la spécificité de l’inceste implique aussi la prise en compte du cadre familial.

L’inceste repose, c’est là un élément essentiel, sur l’abus de la confiance spontanée des mineurs dans les adultes qu’ils côtoient au sein de la famille. Il transforme un processus de construction de la personnalité en processus de destruction de l’individu.

La proposition de loi prend en compte la réalité du contexte familial en créant une circonstance aggravante nouvelle d’inceste. C’est un gain de clarté et de lisibilité de la sanction.

Mieux sanctionner l’inceste est une nécessité. Mieux prendre en compte les victimes de l’inceste est l’une de nos responsabilités majeures.

Nous le constatons tous lorsque nous côtoyons des victimes de l’inceste : leur désarroi est souvent aggravé par le silence qui entoure cet acte, par le tabou dont il fait encore l’objet. N’aggravons pas la loi du silence par le silence de la loi, n’ajoutons pas un tabou juridique au tabou social !

En inscrivant en toutes lettres la notion d’inceste dans le code pénal, nous contribuerons à mieux répondre à ce besoin de reconnaissance. La prévention s’en trouvera confortée.

La proposition de loi prévoit une information dans les écoles et une sensibilisation du public dans les médias. Pour mieux détecter, signaler et prendre en charge les victimes, elle prévoit également que la formation initiale et continue de certains professionnels, tels que les médecins, les enseignants, les travailleurs sociaux et les avocats, comporte un enseignement spécifique.

La prise en charge des victimes doit aussi être améliorée.

De nombreux progrès dans l’accueil des victimes ont été accomplis au cours de ces dernières années, notamment au sein des gendarmeries et des commissariats. Il faut encore aller plus loin.

La proposition de loi prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement, avant le mois de juin 2010, sur les améliorations de la prise en charge des victimes. Ce document permettra de présenter le déploiement des unités médico-judiciaires sur l’ensemble du territoire, processus dans lequel la ministre de la santé et moi-même nous sommes engagées.

L’accompagnement des victimes face à des démarches juridiques parfois complexes devra être renforcé. En effet, le droit, la justice, le recours devant les tribunaux, paraissent extrêmement compliqués à ces victimes traumatisées, ce qui constitue souvent un frein supplémentaire à la dénonciation. La proposition de loi prévoit donc la désignation par le magistrat d’un administrateur ad hoc. Le mineur aura ainsi un interlocuteur totalement disponible et prêt à l’aider dans les démarches engagées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons avoir à l’esprit ce soir que défendre les plus fragiles, protéger l’enfance, préserver la cellule familiale, relève de notre responsabilité partagée, au-delà des clivages politiques.

Adapter notre droit à la lutte contre l’inceste, c’est rappeler nos valeurs : cela est essentiel au moment où notre société fait face à de profondes mutations et s’interroge sur ses fondements et sur ses valeurs. C’est en même temps affirmer notre attachement à la dignité humaine et aux valeurs qui font la pérennité de notre pacte social. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, dans notre pays, l’inceste est une réalité très lourde. Elle n’est probablement pas nouvelle : malheureusement, nombre de cas ont sans doute été occultés par le passé. Aujourd’hui, les faits sont un peu plus facilement exprimés. Cependant, beaucoup reste encore à faire pour que l’importance et le poids de cette réalité soient totalement appréhendés.

Pourtant, et c’est un paradoxe, le terme « inceste » ne figure aujourd’hui nulle part dans notre législation.

Certes, le code civil définit un certain nombre d’empêchements au mariage, qui peuvent être absolus ou relatifs, c’est-à-dire susceptibles d’être levés par une dispense. Certes, depuis longtemps le code pénal sanctionne, par le biais de tout un arsenal juridique, les infractions sexuelles commises au sein de la famille.

Cependant, compte tenu de cette lacune, nous ne pouvons disposer d’aucune statistique sur le nombre de victimes de l’inceste. Il faut reconnaître que c’est un grave handicap dans la lutte contre ce fléau.

Si nous ne connaissons pas les chiffres avec exactitude, malgré certains sondages qui, toutefois, ne peuvent apporter d’enseignements définitifs, nous savons qu’il s’agit de violences particulièrement destructrices, qui créent des traumatismes particulièrement profonds.

Face à ce constat, que pouvons-nous faire ? Telle est la question que soulève la présente proposition de loi.

Heureusement, beaucoup a déjà été réalisé dans ce domaine. Christian Estrosi, voilà quelques années, avait rédigé un rapport sur le sujet ; il y avait indiqué qu’en matière de répression de la délinquance sexuelle, notamment de l’inceste, notre législation était l’une des plus sévères et des plus efficaces d’Europe. Pourtant, je le répète, la notion d’inceste n’existe pas dans le code pénal : le droit français a choisi de ne pas sanctionner l’inceste en tant que tel, à la différence des législations des pays germaniques, notamment, qui le répriment y compris lorsqu’il est commis entre majeurs.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est juste !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Telle n’est pas la tradition française, qui laisse les majeurs consentants agir comme bon leur semble – quelle que soit par ailleurs la réprobation morale qui, me semble-t-il, doit s’imposer.

En revanche, le droit français reconnaît comme une circonstance aggravante le fait que le viol, l’agression sexuelle ou l’atteinte sexuelle sur mineur soit commis par un ascendant. Les peines encourues sont alors lourdes : le coupable est passible de vingt ans de réclusion criminelle.

Récemment, la législation a évolué. Le délai de prescription a été porté à vingt ans, soit le double du délai habituel en matière de crime ; de plus, il court  à partir de la majorité de la victime. Ainsi, jusqu’à ses trente-huit ans, un adulte pourra dénoncer des faits qui se sont produits au cours de son enfance. C’est une bonne chose, car ces infractions ont du mal à être exprimées.

Mme Isabelle Debré. Tout à fait !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Les victimes ont besoin d’un certain temps avant de pouvoir se libérer de la chape de plomb qui pèse sur les faits, posée quelquefois par la cellule familiale elle-même.

D’autres dispositions ont été adoptées, parmi lesquelles la possibilité de désigner un administrateur ad hoc lorsque les parents ne sont pas aptes à assurer leur rôle, ainsi que des peines complémentaires diverses, notamment la privation de l’autorité parentale.

Enfin, depuis 2004, le code pénal prévoit que les médecins ne peuvent pas faire l’objet de sanctions disciplinaires lorsqu’ils ont signalé aux autorités compétentes les mauvais traitements dont ils ont pu avoir connaissance.

Il existe donc incontestablement un dispositif pénal efficace qui réprime sévèrement les violences sexuelles incestueuses.

Aujourd’hui, le problème qui nous est posé est l’évaluation des conséquences qu’entraîne notre façon d’aborder ce crime sans le qualifier d’inceste. Les associations concernées nous le disent, c’est un point important pour les victimes, car le fait de ne pas nommer la chose est une façon de la nier. Or nous n’osons pas parler d’inceste, y compris dans notre législation, alors que c’est bien de cela qu’il s’agit.

En outre, comme je l’ai déjà souligné, il est tout à fait regrettable que nous ne disposions pas de statistiques nous permettant d’appréhender la réalité et l’ampleur du phénomène, voire son évolution.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, mes chers collègues, est le fruit d’une réflexion qui n’est pas nouvelle. En juillet 2005, je l’évoquais tout à l’heure, M. Christian Estrosi avait remis au Premier ministre un rapport sur l’opportunité d’ériger l’inceste en infraction spécifique. Par la suite, Mme Marie-Louise Fort, députée, a recueilli un grand nombre de témoignages de victimes qui l’ont convaincue de la nécessité de présenter au Parlement un texte visant à inscrire expressément la notion d’inceste dans le code pénal.

Néanmoins, l’un comme l’autre se sont prononcés en faveur non pas de la création d’une infraction spécifique d’inceste, distincte des autres qualifications pénales déjà existantes, mais de la conservation du principe actuel selon lequel l’inceste est considéré comme une circonstance aggravante des infractions que constituent le viol, les agressions sexuelles ou les atteintes sexuelles. C’était un bon choix.

Cette question de l’inscription de l’inceste dans notre législation a fait l’objet, pourquoi ne pas le dire, d’avis contrastés. Ainsi, l’ancienne Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, s’est déclarée réservée sur l’utilité d’une telle démarche, et l’intégralité des associations de magistrats que j’ai auditionnées s’y sont montrées réticents, voire hostiles.

Il ne faut pas, me semble-t-il, négliger cette réaction. J’ai moi-même eu l’occasion, lorsque j’exerçais ma profession d’avocat, de plaider dans de telles affaires. Je me souviens notamment d’avoir obtenu l’acquittement, après deux ans de détention provisoire, d’un homme accusé par sa fille. Aujourd’hui encore, je suis incapable de dire où était la vérité : a-t-on acquitté un coupable, ou bien un innocent a-t-il purgé deux ans de détention ?

Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point, et le procès d’Outreau, dont il a beaucoup été question voilà quelques mois, nous rappelle l’extrême prudence qui est de mise en ces matières si difficiles à juger. Les magistrats et les jurés entendent le témoignage d’un enfant, le témoignage d’un adulte, et un expert psychiatre leur dit lequel est plus crédible que l’autre. Ils ne disposent d’aucun élément matériel, car il est rare que la police scientifique soit en mesure d’apporter une preuve permettant de se prononcer dans un sens ou dans l’autre : seule l’intime conviction des jurés fait la différence. C’est, à mon avis, l’une des matières les plus difficiles pour un juge, et une responsabilité extrêmement lourde, car il faut envisager les conséquences.

Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire. Au contraire, lorsque les jurés ont l’intime conviction qu’il s’agit bien d’inceste, il faut que celui-ci soit nommé. Je rejoins pleinement les associations de victimes dans ce raisonnement. Pour reprendre les termes de l’exposé des motifs de la proposition de loi, il faut « poser sur l’acte le terme qui lui convient ».

Cependant, le texte qui nous est parvenu de l’Assemblée nationale présentait un certain nombre de difficultés qui auraient rendu son application extrêmement complexe.

Il s’agit ici de droit pénal. La loi pénale est toujours d’interprétation stricte et, en cas d’ambiguïté, celle-ci doit toujours profiter à l’accusé. En outre, lorsque l’on requalifie des infractions, si la loi est plus sévère, elle ne sera pas applicable immédiatement. Elle ne concernera que les infractions qui auront été commises postérieurement à sa promulgation. Or le délai de prescription est de vingt ans. Il ne faut pas se tromper !

Par ailleurs, il faut songer à l’interprétation des nouvelles dispositions. Ainsi, la proposition de loi fixe, pour les auteurs d’actes incestueux, un certain nombre de catégories qui ne figuraient pas dans la loi précédente. Représentent-elles une aggravation ? La loi sera-t-elle plus sévère ? Je ne suis pas en mesure, je l’avoue très humblement, de dire si elle pourra ou non s’appliquer et si elle ne risque pas d’avoir les effets pervers que nous voulons surtout éviter.

La commission des lois a beaucoup réfléchi à ces aspects, et je tiens à remercier l’ensemble de ses membres, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent. Le travail très collectif que nous avons réalisé a permis d’avancer.

La liste retenue dans la proposition de loi nous paraissait excessivement rigide. D’un côté, elle pouvait englober des cas qui ne relèvent pas de façon évidente de l’inceste : on peut prendre l’exemple d’un adolescent qui aurait eu des relations sexuelles avec l’amie de son père, de son oncle ou de son frère. D’un autre côté, elle excluait des situations qui, me semble-t-il, en relèvent de façon beaucoup plus manifeste : je pense aux « quasi-fratries » – les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses –, dans lesquelles des violences peuvent être commises sur un enfant par les enfants de son beau-père ou de sa belle-mère. Ces relations me semblent de nature incestueuse, même si elles ne correspondent pas à la définition traditionnelle.

La commission a donc proposé d’inclure dans la loi les notions d’ascendant et de personne ayant autorité au sein de la cellule familiale, et a substitué à l’énumération stricte des auteurs d’actes incestueux la référence plus générale aux violences commises au sein de la famille.

Par ailleurs, elle n’a pas souhaité conserver la nouvelle circonstance aggravante d’inceste, qui risquait de poser de réels problèmes de droit transitoire, et a préféré faire de l’inceste une « surqualification ». La cour d’assises ou le tribunal correctionnel pourra ainsi qualifier les faits de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle d’« incestueux », la circonstance aggravante, dont j’ai rappelé tout à l’heure l’efficacité, restant exactement ce qu’elle est actuellement : elle concernera les ascendants et les personnes ayant autorité.

Sur la proposition de notre collègue Jean-Pierre Michel et des membres du groupe socialiste, la commission des lois a par ailleurs souhaité supprimer l’article 2 bis, qui tendait à aggraver les peines en cas d’atteintes sexuelles commises sur un adolescent âgé de quinze à dix-huit ans. Elle a en effet considéré qu’une telle aggravation n’entrait pas dans le champ de la proposition de loi : il n’est pas opportun d’alourdir un dispositif pénal destiné à n’être appliqué que dans de nombreuses années – à supposer que les cours d’assises ou les tribunaux correctionnels pensent, quand la victime a quinze ans ou plus, à prononcer des peines plus sévères !

Enfin, la commission a souhaité atténuer le caractère systématique de la désignation d’un administrateur ad hoc en cas d’inceste afin qu’elle ne soit pas obligatoire même quand les parents sont manifestement aptes à assurer leur devoir d’éducateur : une telle dévalorisation de leur rôle serait alors injustifiée.

En revanche, elle a souhaité conserver – ce débat a été tranché à quelques voix près – la définition de la contrainte figurant à l’article 1er de la proposition de loi.

En effet, la contrainte est l’un des éléments constitutifs des infractions de viol et d’agression sexuelle. Cependant, dans les années quatre-vingt-dix, la Cour de cassation a considéré qu’elle ne pouvait résulter seulement du jeune âge de la victime et de la relation particulière qui la liait à son agresseur, raisonnement qui avait conduit un certain nombre de juridictions à requalifier en atteintes sexuelles des viols commis sur un mineur par une personne de sa famille au motif que la contrainte n’était pas démontrée. Les associations de victimes s’en étaient émues, à juste titre, faisant valoir qu’une telle position semblait sous-entendre que l’enfant aurait pu consentir aux relations sexuelles qui lui étaient imposées : dans ce contexte spécifique, cela constitue de toute évidence une aberration.

Ainsi, la définition de la contrainte figurant à l’article 1er conduira les magistrats à ne plus retenir désormais la qualification d’atteinte sexuelle alors que les violences commises au sein du cadre familial dans lequel grandit l’enfant ou l’adolescent relèvent manifestement du viol ou de l’agression sexuelle.

Telles sont, mes chers collègues, les propositions de la commission des lois.

J’ai évoqué ce que le Parlement a déjà fait et ce qu’il peut encore faire. Il reste que, sur plusieurs points – Mme la ministre d’État a  évoqué la prévention et l’accompagnement des victimes –, nous éprouvons une certaine frustration : soit nos propositions sont écartées au titre de l’article 40 de la Constitution, qui nous interdit d’augmenter les charges de l’État, soit ces matières relèvent du domaine réglementaire.

Néanmoins, l’action de sensibilisation des professions concernées est une très bonne chose. Il faut à l’évidence la poursuivre et l’approfondir.

Il est également nécessaire de créer des centres d’accueil pour les victimes. L’Assemblée nationale a souhaité qu’il en existe un dans chaque département, mais sa proposition a été déclarée irrecevable au regard de l’article 40 de la Constitution. J’y insiste : le Gouvernement doit prendre toute la mesure de la situation afin de l’améliorer.

Madame la ministre d’État, je tiens à vous remercier de vos propos. La balle est maintenant dans le camp du Gouvernement, et nous comptons sur lui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)