M. Josselin de Rohan. Hors sujet !
M. Bernard Frimat. Rien, dans cette première loi organique, n’est venu revaloriser le Parlement.
Lors de la révision constitutionnelle, les zélateurs du projet avaient beaucoup disserté sur la limitation volontaire que le Président de la République avait souhaité s’imposer quant à son pouvoir de nomination. Ils glorifiaient la capacité de contestation ainsi donnée au Parlement.
Comme nous l’avions dit à l’époque, ce pouvoir est factice : c’est un faux-semblant, un trompe-l’œil, puisqu’il faut réunir la majorité des trois cinquièmes pour refuser le choix du Président de la République et, par voie de conséquence, pour que la majorité parlementaire entre en conflit avec le Président, ce qui est une vue de l’esprit.
En revanche, ce qui n’est pas factice, c’est la volonté du Président de la République d’augmenter le champ de son pouvoir de nomination. La loi sur l’audiovisuel est là pour en témoigner. Dans le processus des nominations de Jean-Luc Hees et d’Yves Guéna, le Parlement a pu vérifier que son supposé pouvoir était inexistant.
La loi organique relative au fonctionnement même du Parlement et la pratique du Gouvernement depuis le début de la session ordinaire ont enlevé leurs dernières illusions aux parlementaires qui s’étaient, de bonne foi, laissés convaincre ou séduire par le discours présidentiel sur les droits nouveaux du Parlement.
Là où l’on nous avait annoncé un progrès significatif, force est de constater un recul démocratique important.
Dans les faits, la navette parlementaire a été supprimée, et le dialogue entre les deux assemblées est voué à une quasi-disparition, puisqu’il se limite aux seuls membres des commissions mixtes paritaires. Le recours systématique à la procédure d’urgence d’hier a été remplacé par un recours tout aussi systématique à la procédure accélérée.
Pourtant, lors des débats sur la révision constitutionnelle, le constat avait été fait sur toutes les travées que le recours trop fréquent à la déclaration d’urgence nuisait au bon fonctionnement du Parlement et à l’élaboration de textes de loi de qualité.
Nous avions d’ailleurs proposé une limitation quantitative de la procédure d’urgence ; mais la majorité avait préféré privilégier un changement sémantique qui supprimait la procédure d’urgence et la remplaçait par la procédure accélérée.
La nouveauté consistait dans la possibilité donnée aux deux conférences des présidents de s’opposer, par décision identique, à la mise en œuvre de cette procédure. Je crains que, là encore, il ne s’agisse d’une liberté formelle, car la concrétisation de cette dernière traduirait un conflit entre la majorité parlementaire et le Président de la République qui, de fait, définit les projets de loi.
Prenons date, mais armons-nous alors d’une infinie patience pour attendre la première mise en échec de la procédure accélérée.
Le Parlement n’est plus, pour le Président de la République, le lieu d’expression, par la loi, de la souveraineté du peuple ; il est perçu comme un frein, comme un obstacle à la réalisation rapide des annonces présidentielles. Celles-ci, fussent-elles contradictoires, doivent trouver leur traduction législative le plus vite possible.
Dans plusieurs cas, la loi a d’ailleurs été mise en application avant même d’avoir été votée alors que, dans le même temps, des lois votées mais n’ayant plus l’heur de plaire ne sont pas appliquées ! Quel mépris pour les travaux des parlementaires ! Quand nos collègues députés réclament que le projet de loi portant réforme de l’hôpital fasse l’objet d’une deuxième lecture devant l’Assemblée nationale, ils ont raison ! Dans une situation analogue, nous effectuerions la même demande.
La priorité absolue pour le Gouvernement est d’avancer le plus vite possible. Ainsi, à la procédure accélérée, s’ajoutent la multiplication des séances de nuit, la programmation de plus en plus habituelle de séances le lundi et le vendredi, la systématisation des sessions extraordinaires qui n’ont plus d’extraordinaire que le nom puisqu’elles sont devenues, en juillet, notre ordinaire et que le mois de septembre semble appelé à connaître le même sort.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes trop bavards…
M. Bernard Frimat. Siéger souvent, légiférer vite, sous le regard permanent du Gouvernement, limiter le droit d’amendement, tenter de réduire le temps du débat parlementaire en séance publique, telle est la pratique du Gouvernement. Nous sommes bien loin de la revalorisation du Parlement.
Qui peut présenter comme un progrès, comme un droit nouveau pour le Parlement, la possibilité pour le Gouvernement, s’il le souhaite, d’être présent de manière permanente en commission ? Certes, le Gouvernement doit pouvoir se faire entendre quand il le veut mais, une fois qu’il s’est exprimé, ne peut-il laisser les parlementaires travailler entre eux à l’élaboration du texte de la commission ? Doute-t-il à ce point de sa majorité qu’il ait besoin de la mettre sous surveillance constante ? Si nous voulons rendre tout son intérêt à la séance publique, ne faut-il pas admettre qu’elle doit être le lieu où se confrontent, avant décision, les positions du Gouvernement, de la commission et des groupes politiques ?
Là où la démocratie exige la séparation des pouvoirs, la pratique du Gouvernement introduit la confusion des pouvoirs.
Le Gouvernement a décidé de permettre l’instauration du temps global dans le débat parlementaire. Alors que rien ne l’y obligeait, il a choisi de rendre possible la situation où un parlementaire ne pourrait pas défendre l’amendement dont il est l’auteur et ne pourrait donc pas tenter de convaincre ses collègues du bien-fondé de sa proposition. La révision constitutionnelle censée accroître les droits du parlementaire pourra donc aboutir à priver celui-ci de la plénitude du droit d’amendement. Quel paradoxe ! Ou, plutôt, quel aveu sur la réalité de cette révision ! Même si le Sénat n’instaure pas le temps global, ce dont nous nous réjouissons, la possibilité demeure.
Monsieur le président, nous avons voté contre la révision constitutionnelle, contre les lois organiques. Nous sommes aujourd’hui saisis de votre proposition de modification du règlement du Sénat qui n’a d’autre choix que de respecter la Constitution, les lois organiques et la récente décision du Conseil constitutionnel. Elle comporte, par conséquent, des aspects que nous ne pouvons approuver.
Pour élaborer votre proposition, monsieur le président, vous avez mis en place un groupe de travail auquel les sénateurs du groupe socialiste ont participé, sans réticence, en prenant pleinement part aux débats. Le texte, dont je ne reprendrai pas le contenu, présenté par M. Patrice Gélard de manière fidèle et exhaustive, au nom de la commission des lois, comporte quelques points de divergence mais aussi de nombreux points d’accord qui ont recueilli l’assentiment unanime des participants à ce groupe de travail, que vous avez présidé.
Un désaccord important subsiste toutefois entre nous : il tient à la volonté de la majorité d’exclure l’opposition de toutes les présidences de commission.
Néanmoins, le texte que vous nous proposez, monsieur le président, constitue, compte tenu des rapports de forces politiques au sein de notre assemblée, un point d’équilibre et, par rapport au règlement actuel, un indiscutable progrès. Le groupe socialiste a voulu le signifier en ne déposant pas d’amendements.
La commission des lois a amélioré la rédaction de certaines dispositions et levé quelques incertitudes, mais elle a respecté le point d’équilibre qui avait été trouvé.
En appliquant à la répartition des postes la représentation proportionnelle au plus fort reste, la proposition de résolution reconnaît des droits à chaque groupe politique. Elle rompt ainsi avec la pratique antérieure qui subordonnait la place des groupes d’opposition au bon vouloir de la majorité. C’est une avancée dans le fonctionnement démocratique de notre assemblée.
Enfin, et c’est fondamental, le temps globalisé ne sera pas instauré au Sénat. C’est un acquis essentiel pour le groupe socialiste. Chaque sénateur, qu’il soit de la majorité ou de l’opposition, doit pouvoir bénéficier en séance publique de la plénitude de sa capacité d’intervention.
Pour ces différentes raisons, et en me réjouissant du climat de dialogue qui a présidé aux travaux sur le règlement du Sénat, je conclurai, monsieur le président, en réaffirmant que les sénateurs socialistes ne s’opposeront pas à votre proposition et choisiront, si le scrutin est public, de déposer un bulletin rouge. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, nous sommes donc amenés à débattre aujourd’hui de votre proposition visant à réformer le règlement du Sénat pour y introduire les conséquences de la dernière révision constitutionnelle, ainsi que celles des différentes lois organiques adoptées depuis lors. Un certain nombre de lois organiques doivent d’ailleurs encore être examinées. Il conviendra de le faire dans les plus brefs délais pour que la révision de la Constitution prenne tout son sens ; je pense notamment à la loi organique relative au contrôle de constitutionnalité, qui ouvrira à nos concitoyens un champ nouveau de droits, dont l’exercice ne sera plus réservé aux parlementaires.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Michel Mercier. Je voudrais simplement faire part de quelques observations.
Les apports globaux de la proposition de résolution en vue de favoriser le pluralisme au Sénat – M. le rapporteur les a parfaitement rappelés – vont dans le bon sens. Il s’agit de la répartition à la représentation proportionnelle des responsabilités au sein du bureau du Sénat, d’un mode de votation en conférence des présidents reflétant exactement la composition du Sénat, changement capital qui me paraît devoir modifier profondément les habitudes de cette maison et faire petit à petit de la conférence des présidents l’organe politique préparant les débats de notre assemblée.
Les droits des groupes minoritaires et des groupes de l’opposition – pour ma part, je connais plutôt le cas des groupes minoritaires – sont surtout inscrits, pour l’instant, dans les textes, et il faut maintenant les faire entrer dans les faits et les habitudes. J’espère que nous y parviendrons au fil du temps et de la pratique parlementaire.
Il reste un certain nombre de points sur lesquels je voudrais revenir, qui ont trait plus largement à l’organisation des travaux législatifs. Les propositions qui nous sont faites peuvent être évaluées à l’aune de l’expérience que nous vivons actuellement avec le projet de loi relatif à l’hôpital ou d’autres textes.
Non sans remercier M. le rapporteur d’avoir rappelé le cadre dans lequel il a travaillé, je voudrais tout d’abord noter que tout ce qui concerne l’organisation des travaux législatifs résulte d’un accord entre les deux rapporteurs du groupe de travail. (M. le président de la commission des lois proteste.) M. Gélard a en effet dit n’avoir retenu que les amendements qui pouvaient s’inscrire dans les conclusions des deux rapporteurs. Mais il pourra me corriger si je le cite de manière erronée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Mercier, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Michel Mercier. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l’autorisation de l’orateur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les deux rapporteurs ne sont que les porte-parole du groupe de travail.
M. Michel Mercier. Ils portaient déjà leur propre parole !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Mercier, vous le savez fort bien, les rapporteurs se sont exprimés en se fondant sur le consensus dont certains sujets ont été l’objet et auquel vous avez parfois participé ! Ils n’ont pas mis leur propre grain de sel dans cette proposition de résolution !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Mercier.
M. Michel Mercier. À mon sens, le texte de la proposition de résolution est, s’agissant du travail législatif et de la séance, le résultat d’un accord entre les deux principaux groupes du Sénat. (M Jean-Pierre Bel proteste.) Il faut bien avoir le courage de le reconnaître et de l’assumer ! J’espère que tous ceux qui ont accompli ce travail iront jusqu’au bout de leur démarche en votant en faveur de la proposition de la résolution. (M. Jean-Pierre Bel proteste derechef.) Je peux bien dire ce que je veux lorsque je suis à la tribune ! La parole est libre, monsieur Bel ! Vous exprimerez ensuite ce que vous voulez !
Je constate donc que notre groupe n’a pas été associé aux travaux sur un certain nombre de points, notamment sur l’organisation de l’agenda parlementaire. Ce sujet a été traité entre les deux principaux groupes (M. Bernard Frimat s’exclame.), mais il faudra peut-être revenir sur ce point au cours des prochains mois, ou des prochaines années.
Considérez la manière dont se déroulent aujourd’hui les travaux parlementaires. On essaie d’établir un agenda, les commissions siégeant tel jour à telle heure, la séance publique ayant lieu tel jour à telle heure. Il suffit de regarder ce qui se passe pour voir que tout fonctionne comme auparavant ; nous n’avons pas pu changer, et il nous faut faire face à la réalité du travail législatif tel qu’elle est. Le consensus recherché – et je suis favorable, par principe, au consensus – a abouti à un résultat dont on doit bien reconnaître l’inachèvement. Nous aurons donc encore à travailler pour parvenir au bon équilibre dans le fonctionnement du Sénat. Les sénateurs doivent conserver toutes leurs libertés et tous leurs droits ; dans le même temps, les discussions doivent pouvoir progresser.
Monsieur le président du Sénat, vous nous avez offert la possibilité, la grande chance de travailler ensemble de façon pluraliste, même si, personnellement – et c’est un vœu personnel que je réitère ici –, j’aurais souhaité un peu plus de pluralisme.
Mais le souci de travailler ensemble doit également être accompagné de la recherche d’une certaine efficacité. Le travail de chacun doit, en outre, être facilité dans toute la mesure possible.
Il est vrai que nous n’avons pas su répondre à toutes les questions d’emploi du temps. Il nous faudra donc, à mon avis – nous devons en avoir pleinement conscience –, travailler à nouveau sur ce règlement. La proposition qui nous est faite aujourd’hui ne nous permet pas moins d’aller de l’avant comme il convient dans une assemblée parlementaire, c’est-à-dire en se fondant sur le plus large consensus possible.
C’est la raison pour laquelle, même si notre groupe ne se reconnaît pas dans certaines des dispositions proposées aujourd’hui, il les assumera toutes, en votant la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, le groupe de travail sénatorial que vous avez mis en place en octobre dernier pour préparer la réforme du règlement dont nous débattons aujourd’hui a travaillé sérieusement. Cela ne fait aucun doute, et je peux, à cet égard, confirmer les propos de ceux qui m’ont précédée à la tribune ; cependant, je le précise, cela ne vaut pas consensus sur le résultat.
Le règlement procède de la révision constitutionnelle et de la loi organique du 15 avril 2009, contre lesquelles nous avons voté parce que nous contestons l’idée que leur contenu renforce le rôle du Parlement.
Le débat sur la loi organique a été tout à fait significatif. La majorité UMP a fait le choix d’inscrire dans la loi organique la possible limitation a priori du débat public au Parlement, avec le « crédit-temps », et ce alors même que le groupe de travail du Sénat ne retenait pas cette disposition pour son propre règlement !
L’Assemblée nationale, quant à elle, a bien inscrit cette disposition dans son règlement. D’ailleurs, le débat à l’Assemblée nationale a pris une bien curieuse tournure, si l’on en croit les échanges dont le règlement de l’Assemblée nationale a été l’objet à l’intérieur même de la majorité. Le président de l’Assemblée nationale en est venu à défendre un équilibre. S’agit-il d’un équilibre entre majorité et opposition, d’un équilibre entre exécutif et majorité ou d’un équilibre entre exécutif et Parlement ? Chacun peut interpréter. Dans le même temps, le président du groupe UMP lui oppose le fait majoritaire et le refus de toute inflexion du « crédit-temps ». Comme Xavier Bertrand, aujourd’hui secrétaire général de l’UMP, rappelle que la légitimité de la majorité parlementaire – surtout celle des députés, précise-t-il – procède du Président de la République, la boucle est bouclée !
Cela confirme encore une fois que la révision constitutionnelle et la pratique, qui l’a d’ailleurs précédée et inspirée, nous conduisent à une situation très préoccupante : un pouvoir exécutif concentré entre les mains du Président de la République, chef de la majorité et du parti majoritaire de la majorité, omnipotent et omniprésent ; un Parlement largement réduit aux bavardages.
M. Alain Dufaut. Qui bavarde ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, le Parlement peut, en dehors de la discussion des projets de loi, débattre de sujets, créer des missions ; les parlementaires passent ainsi beaucoup de temps en commissions que le Gouvernement supervise. C’est l’inspection des travaux finis par des contrôles multiples sans véritable suite !
En même temps, il ne se passe pas une semaine sans que le Président de la République annonce de nouvelles dispositions, au rythme des faits divers, des échéances électorales et des variations de sa cote de popularité. Il crée des commissions ad hoc, missionne telle ou telle personnalité de son choix, tandis que le Parlement étudie éventuellement la question avec sa propre mission pour préparer ou « tester » – c’est le testing présidentiel – l’opinion et voir comment « faire passer » !
Le projet de loi sur la sécurité intérieure adopté vendredi dernier en conseil des ministres n’est-il pas le treizième du genre depuis 2002 ?
« Trop de loi tue la loi », chaque sénateur a dû le dire au moins une fois dans sa vie parlementaire ; M. le rapporteur ne vient-t-il pas de le proclamer à nouveau. Mais vous continuez, tel un troupeau au bord du précipice…
L’inflation législative génère l’utilisation à répétition de la procédure d’urgence, devenue « accélérée », procédure que nous critiquons, pour ce qui nous concerne, depuis 1958.
Ainsi, était-il sérieux de déclarer et maintenir l’urgence sur la loi pénitentiaire votée ici en 2009 et pas encore inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ?
Est-il sérieux de maintenir l’urgence sur le projet de loi portant réforme de l’hôpital, privant l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, de l’examen d’un texte réécrit de manière importante, même si le Gouvernement a repris les choses en mains, comme le dit si élégamment à l’égard du Sénat M. Accoyer ?
Il faut également rappeler que, en cas de procédure accélérée, l’une des rares avancées de la révision constitutionnelle, un délai obligatoire entre le dépôt d’un projet de loi et son examen en séance publique, n’est plus applicable.
Mêmes causes, mêmes effets sur le « fameux » partage de l’ordre du jour. Nous en voyons les premiers résultats : soit on accepte un débat étriqué sur les projets de loi d’origine gouvernementale, le Parlement ne disposant pas du temps nécessaire pour jouer son rôle de législateur, soit il cède son ordre du jour au Gouvernement, comme cela s’est produit à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale et comme cela a lieu en ce moment même au Sénat, avec le projet de loi portant réforme de l’hôpital.
Monsieur le président, il n’était pas sérieux d’annoncer cette nouvelle répartition de l’ordre du jour sans s’affranchir de l’inflation législative du Gouvernement qui, non seulement en rend le respect peu crédible, mais « recycle » les projets de loi en propositions de la majorité.
Je note évidemment que la commission des lois a rejeté notre amendement tendant à interdire que la répartition de l’ordre du jour puisse être modifiée en cours de route. M. le rapporteur a affirmé que ce n’était pas anticonstitutionnel, sous-entendant que nos amendements, eux, présentaient forcément ce caractère.
Autre pilier de la révision constitutionnelle, l’orientation vers la commission du débat parlementaire.
Nous avons exprimé clairement et sans hésitation notre opposition à cette évolution. Le travail en commission, présenté comme la quintessence du travail parlementaire, revêt à nos yeux deux défauts majeurs : l’absence de transparence et la minoration du pluralisme.
Ces défauts mettent en valeur deux qualités, tout aussi importantes, de la séance publique : la transparence et un cadre adapté à l’expression du pluralisme.
Les premières semaines d’application de la révision constitutionnelle, depuis le 1er mars, débouchent sur un premier constat : pour faire fonctionner le nouveau système, il faut, soit appliquer la réduction du droit d’amendement et du débat public, voie choisie par l’Assemblée nationale, soit accepter une certaine confusion entre le travail en commission et les débats en séance publique.
La présence des ministres au cours des délibérations et du vote en commission – vous l’avez acceptée, bien que vous y soyez opposés – ne fait qu’aggraver une véritable confusion des pouvoirs. Cela mériterait un plus ample débat sur le respect de la séparation des pouvoirs.
Je note que la commission des lois a refusé notre amendement tendant à limiter cette co-élaboration entre ministres et parlementaires au sein des commissions, qui ne serait donc pas, selon elle, anticonstitutionnelle.
Monsieur le président, nous ne méconnaissons pas le parti pris, au Sénat, de tempérer le « fait majoritaire ». L’existence aujourd’hui, dans cette assemblée, d’une majorité relative de l’UMP n’y est sans doute pas pour rien ! Mais qui peut croire un instant que le Sénat, qui va décider de ne pas appliquer le « crédit-temps », ce qui est en soi une bonne chose, pourra continuer longtemps à débattre de manière plus démocratique et approfondie, alors que l’Assemblée nationale sera en permanence sous le coup du « 49-3 parlementaire » – selon les termes que j’ai employés au moment de la révision constitutionnelle –, c'est-à-dire la limitation du temps de parole global par la conférence des présidents.
J’espère me tromper en discernant un prétexte, dans l’attitude de la majorité sénatoriale, pour mieux valider la fin du débat démocratique dans l’assemblée qui a le dernier mot.
Monsieur le président, nous avons approuvé des modifications du règlement, discutées au sein du comité sénatorial, qui donnaient légalité au pluralisme en officialisant l’application de la proportionnelle dans les bureaux des commissions, les organismes extraparlementaires ou la conférence des présidents et en donnant quelque reconnaissance aux groupes en application de l’article 51-1 de la Constitution que nous avions défendu.
Mais ces avancées sont très modestes et, en quelque sorte, habilement contraintes.
Ainsi, la commission des lois a refusé qu’une demande de discussion immédiate puisse être remise par un groupe, au lieu d’un nombre de sénateurs fixé à trente, comme la majorité avait refusé que le Conseil constitutionnel puisse être saisi par un groupe.
La commission a aussi refusé notre amendement tendant à inscrire le principe d’un vice-président ou questeur par groupe, ce qui conforterait la reconnaissance de chaque groupe, en nous opposant qu’il pourrait y avoir douze groupes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non, vingt-deux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. D’un point de vue arithmétique, ce refus peut se comprendre. C’est plus difficile sur le plan politique !
Par ailleurs, en refusant notre amendement tendant à rendre impossible le cumul « d’avantages » de la majorité – la présidence des commissions – et de l’opposition – par exemple l’initiative mensuelle – aux groupes minoritaires qui ne se déclarent ni de l’une ni de l’autre, la commission entretient une confusion regrettable.
J’observe aussi que la commission a rejeté deux amendements de mon groupe sur des points qui semblaient faire accord dans le groupe de travail préliminaire.
Le premier visait à prévoir que les débats de procédure – motions tendant à opposer la question préalable ou l’exception d’irrecevabilité, et motions tendant au renvoi à la commission – aient lieu avant la discussion générale, comme c’est le cas à l’Assemblée nationale. Tout le monde ici semblait considérer comme absurde que les motions de procédure interviennent après la clôture de la discussion générale. Notre amendement n’a pourtant pas été retenu.
Le second amendement visait à modifier la vérification du quorum en permettant que cette demande de quorum soit possible pour un groupe – cela aurait été logique avec la reconnaissance des groupes –, et, surtout, en la rendant plus effective qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Pour conclure, je dirai que le Sénat, où l’alternance n’a jusqu’ici jamais existé, a une longue expérience du fait majoritaire et de la rationalisation des débats par la majorité elle-même.
Le règlement était déjà bien organisé pour assurer à la majorité une parfaite maîtrise du débat, les demandes de suspension de séance et de quorum étant beaucoup plus difficiles à obtenir qu’à l’Assemblée nationale. Le temps de parole sur les motions de procédure était également beaucoup plus court.
Ceux qui ont déjà passé quelques années dans cet hémicycle savent que les irrecevabilités étaient facilement utilisées pour supprimer de nombreux amendements en cas de discussion tendue. À ce sujet, nombre d’entre vous se rappelleront, comme moi, des débats sur les retraites qui eurent lieu ²en 2003.
Dans le contexte actuel des rapports de force au Sénat, la réforme qui nous est proposée aujourd’hui se veut moins contraignante pour le débat qu’à l’Assemblée nationale.
Elle ne s’inscrit pas moins dans cette logique de rationalisation du travail parlementaire typiquement sénatoriale depuis plus de vingt ans et que la révision de 2008 a maintenant constitutionnalisée.
L’extension du domaine des irrecevabilités parlementaires, en matière financière ou constitutionnelle, la réduction du temps de parole répondent à l’objectif du Président de la République – et sans doute de sa majorité – de réduire le débat démocratique, le débat pluraliste, et à une tendance bipartiste des institutions, alors que le bipartisme est loin d’être une réalité politique.
Nous voterons donc contre cette réforme du règlement, car elle s’inscrit pleinement dans une révision constitutionnelle que nous réfutons. J’ajoute que nous n’acceptons pas non plus l’éventuelle répartition des rôles entre l’Assemblée nationale et le Sénat, où seuls les « Sages » pourraient débattre à volonté, la chambre émanant du suffrage universel étant bâillonnée.
Nous espérons, monsieur le président, qu’un constat du danger que fait courir la loi constitutionnelle de juillet dernier à l’équilibre républicain sera rapidement établi. Il faudra y remédier sans tarder. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)