M. Didier Boulaud. Parlons-en ! Les Russes n’ont quitté ni l’Abkhazie ni l’Ossétie du Sud !
M. André Dulait. La France, au sein de l’Union européenne et lors de sa présidence, a joué un rôle moteur dans le règlement de ce dernier conflit. Tout en gardant sa spécificité, elle a agi en restant fidèle à ses principes, l’amitié n’excluant jamais la franchise.
La crise de Gaza a donné lieu à une autre illustration significative de notre politique étrangère, marquant un aboutissement des liens de la France avec les pays du monde arabe.
Si beaucoup se sont étonnés lorsque le Président de la République a reçu M. Bachar el-Assad en juillet 2008, personne ne peut aujourd’hui nier les bénéfices diplomatiques que nous avons retirés de cette visite dans nos relations avec la Syrie.
Venant en soutien de l’initiative égyptienne, nos relations diplomatiques ont en effet permis d’établir un dialogue indirect, mais néanmoins capital, entre les parties en présence.
M. Didier Boulaud. Il ne faut pas oublier Kadhafi !
M. André Dulait. Nous ne l’oublions pas !
Nos relations diplomatiques ont également permis de favoriser le rapprochement entre la Syrie et le Liban qui, après trente ans, vient d’ouvrir une ambassade à Damas.
M. André Dulait. Elles ont enfin permis de créer les conditions propices à l’engagement de pourparlers afin d’instaurer un cessez-le-feu en vue d’une paix durable dans la région, en y associant et en responsabilisant les principaux pays de la zone.
Mais notre politique étrangère ne se limite pas à la gestion et à la résolution des crises. Le Président de la République entend développer notre diplomatie bien au-delà de nos sphères d’influence habituelles.
M. Didier Boulaud. Dans l’Arctique et l’Antarctique !
M. André Dulait. Absolument, car ces deux zones vont intéresser l’ensemble des pays développés !
M. Alain Gournac. Excellente réponse !
M. André Dulait. Les déplacements de Nicolas Sarkozy au Brésil, au Mexique et la restauration de nos liens avec Cuba sont la preuve d’une diplomatie ambitieuse et indépendante, propre depuis toujours à la France.
M. André Dulait. D’aucuns soutiennent qu’en réintégrant le commandement militaire de l’OTAN nous abandonnerions notre liberté en matière de politique étrangère – authentique spécificité de la France ! –,…
M. Didier Boulaud. Oui !
M. André Dulait. … nous braderions l’héritage du général de Gaulle et de la Ve République,…
M. Didier Boulaud. Oui !
M. André Dulait. … notre diplomatie serait irrémédiablement moins active.
M. Didier Boulaud. Oui !
M. André Dulait. Mes chers collègues, tout rapprochement avec la situation de 1966 relève d’une vision erronée du contexte géopolitique dans lequel nous vivons.
M. René-Pierre Signé. Il vous fait tout avaler !
M. Didier Boulaud. Agitation n’est pas action !
M. André Dulait. Nous avons pu lire bien des analyses dans la presse, nous avons entendu de nombreux commentaires sur les ondes évoquant la décision de 1966, mais je n’ai pas entendu de référence au changement de contexte ; ce point est pourtant essentiel.
Force est de rappeler que la décision du général de Gaulle était motivée par une réalité : en 1966, le sol français accueillait des bases militaires américaines et que, dès lors, se profilait l’installation de forces nucléaires américaines.
De plus, la logique des blocs et, en conséquence, les institutions de l’Alliance ne nous donnaient pas la latitude qu’elles offrent maintenant.
Depuis cette époque, l’Alliance a connu de nombreuses mutations. Elle évolue en fonction des menaces. Aujourd’hui, la guerre froide est terminée, bon nombre d’anciens pays satellites de l’URSS ont intégré l’Alliance. Certains sont membres et de l’Union et de l’Alliance. Ils doivent, comme nous, faire face à des menaces non étatiques de plus en plus difficiles à maîtriser. Ils doivent assumer de nouvelles missions telles que la lutte contre le terrorisme, contre la prolifération des armes de destruction massive, contre les trafics transnationaux et contre la piraterie internationale.
Aujourd’hui, l’Alliance atlantique doit garantir la sécurité de ses membres bien au-delà de leurs frontières géographiques.
En 2009, le concept du commandement militaire intégré tend également à évoluer et il doit être adapté.
Depuis la fin du monde bipolaire, l’intégration au commandement militaire de l’OTAN n’implique en aucun cas la mutualisation de nos forces nucléaires.
Par ailleurs, l’Alliance dispose uniquement des forces que les nations veulent bien lui fournir et qui sont placées provisoirement sous l’autorité du SHAPE.
M. André Dulait. Rappelons que les États membres restent libres d’engager ou non leurs troupes dans les opérations de l’Alliance, selon les impératifs de leur propre politique étrangère. L’Allemagne, par exemple, a refusé d’envoyer ses troupes en Irak !
M. René-Pierre Signé. Elle a bien fait !
M. André Dulait. L’OTAN n’est, pas plus que n’importe quelle autre organisation internationale, une instance où les États membres sont tenus de définir leur politique étrangère.
Il convient donc de dédramatiser ce « retour » au sein du commandement militaire. Ce n’est qu’un réajustement proportionnel à l’action et à la participation de la France aux opérations de l’OTAN.
Mes chers collègues, pourquoi la France, troisième contributeur en moyens financiers, quatrième contributeur en moyens humains dans les opérations de l’OTAN, devrait-elle rester en dehors des décisions de commandement alors que ce sont nos hommes que l’on envoie sur le terrain ?
Il est temps de faire preuve de cohérence ! Notre appartenance à l’Union européenne a-t-elle jamais contraint notre politique étrangère ? Bien au contraire, dans l’exercice de la présidence européenne, la France, sans que son indépendance diplomatique ait été remise en cause, a donné une nouvelle impulsion à la diplomatie européenne, y apportant de surcroît ses valeurs et sa vision.
Par ailleurs, notre décision a été favorablement accueillie par nos partenaires européens. En effet, le maintien de la France hors du commandement militaire de l’OTAN pouvait alimenter une certaine méfiance chez plusieurs membres de l’Union, alors même que la France milite en faveur de la construction d’une véritable politique de défense commune.
Cette clarification de notre statut mettra un terme à une idée que se font de nous certains de nos partenaires européens, idée selon laquelle la politique européenne de la France répondrait à un agenda fantôme !
À ceux qui s’agitent et qui voient dans le choix du Président de la République la mort de la défense européenne, je veux dire que l’Europe de la défense et l’Alliance ne sont pas en concurrence.
M. André Dulait. Il est temps d’expliciter une nécessaire complémentarité entre les deux organisations et d’adapter en conséquence notre politique de défense, nos programmes d’équipement et notre politique industrielle.
C’est exactement ce qu’a réaffirmé le Président de la République au travers du Livre blanc sur la défense !
C’est la démonstration d’une véritable vision de la politique étrangère de la France dans les années à venir,…
M. Didier Boulaud. La vision de Sarkozy ! Aïe, aïe, aïe !
M. André Dulait. Vous avez participé aux travaux sur le Livre blanc, mon cher collègue, vous pouvez donc mesurer les efforts qui ont été faits.
M. Didier Boulaud. Je suis parti à temps !
M. André Dulait. … la vision d’une politique étrangère en phase tout à la fois avec le contexte géopolitique actuel et avec l’Alliance, qui est à un tournant de son histoire. C’est tout l’enjeu de sommet de Kehl-Strasbourg de la semaine prochaine !
La révision du concept stratégique de l’OTAN est une occasion historique que nous ne pouvons laisser passer !
M. Didier Boulaud. Cela devait être un préalable !
M. André Dulait. Contrairement à ce que pensent certains, la France ne va pas signer un « chèque en blanc » !
M. Didier Boulaud. C’est fait !
M. André Dulait. Pour le saisir, il nous faut prendre en compte la confluence de paramètres essentiels.
Sans céder à l’« Obamania »,…
M. Didier Boulaud. Vous étiez pour McCain !
M. André Dulait. … je rappelle que les États-Unis ont, eux aussi, rendez-vous avec l’Alliance. Le président américain a clairement énoncé que son pays engagerait un dialogue renforcé avec les alliés. Nous ne pouvons rester sourds ni inactifs face à cet appel au multilatéralisme !
M. Didier Boulaud. Et à la bourse !
M. André Dulait. Nous devons être un moteur pour les vingt et un États membres de l’Union qui sont également membres de l’Alliance. C’est l’occasion d’« européaniser » l’OTAN, en opérant un rééquilibrage entre l’Alliance et l’Union s’agissant de la coordination des opérations, particulièrement à un moment où les forces de l’Union européenne prennent le relais de celles de l’Alliance sur certains théâtres d’opération, à un moment où l’Alliance a en outre besoin d’une réforme structurelle.
À l’heure actuelle, trop nombreux sont les États membres à la fois de l’Union européenne et de l’OTAN qui s’abritent derrière le « parapluie sécuritaire» qu’offre l’Alliance grâce à la garantie d’un engagement des forces américaines en cas d’agression.
M. Didier Boulaud. Cela ne va pas changer !
M. André Dulait. Il est primordial que ces États mettent en œuvre une réelle politique nationale de défense, tout en développant des niches de spécialisation – comme l’a notamment fait la Pologne, qui a envoyé des forces au Tchad –dont les retombées profiteront aussi à la PESD.
Pour cela, il est temps que la France obtienne des responsabilités et des représentations au sein de l’Alliance afin de participer aux orientations stratégiques telles que le renouvellement des doctrines et l’amélioration des capacités, la conduite des opérations sur les théâtres où se trouvent les personnels militaires de l’Alliance.
Sur ces sujets, précisément, la France peut et doit faire prévaloir son expérience en termes de gestion des conflits.
À l’heure où l’intervention militaire ne constitue plus à elle seule la solution, notre expertise et nos capacités d’analyse, largement reconnues par nos alliés, peuvent influencer les futures doctrines de l’Alliance ! La situation en Afghanistan et en Irak nous le rappelle chaque jour.
Les alliés doivent se souvenir que la résolution des conflits au xxie siècle passe par une vision globale, reposant sur les principes fondamentaux de prévention et d’anticipation de sortie de crises. C’est aussi cela, la vision de la France.
M. Didier Boulaud. C’est bien parti !
M. André Dulait. Grâce à vous, bien sûr !
En réponse à ceux qui prétendent que la réintégration au sein du commandement militaire de l’OTAN rime avec l’aliénation de notre politique étrangère ou de notre défense, je veux rappeler l’excellence de nos troupes en opérations !
Sur le terrain, en Afghanistan et au Liban, le comportement de nos soldats, à qui je souhaite au nom du Sénat tout entier rendre hommage dans cet hémicycle, est la preuve de notre spécificité, de cette French touch reconnue par nos alliés et par les partenaires de l’Alliance.
Nos relations diplomatiques n’ont jamais été entravées, ni avec les pays du monde arabe ni avec ceux de l’Asie ou du continent africain. Ce n’est pas en assumant des responsabilités accrues au sein des structures militaires de l’OTAN, à la mesure de son engagement sur la scène internationale, que notre pays reniera ce qu’il représente.
Nous ne doutons pas que la France continuera d’honorer ses valeurs et ses traditions, tout en préservant son indépendance stratégique, au sein d’un commandement militaire intégré de l’OTAN en cours de renouvellement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l’intégration de notre pays dans le commandement militaire de l’OTAN est actée.
Ce débat a posteriori souligne un manque de considération pour le Sénat et une contradiction avec une réforme constitutionnelle qui devait donner plus de poids au Parlement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Aymeri de Montesquiou. Plus que de s’interroger sur un retour à l’OTAN dont le caractère symbolique, selon nos partenaires européens, entraîne un débat « dépassé, à peine compréhensible et particulièrement abstrait », il s’agit de savoir dans quel système de défense multilatéral nous intégrer, car il serait dérisoire de confiner notre défense dans un splendide isolement.
Le contexte militaire n’a aucun rapport avec celui de 1949, où l’ennemi était désigné. Aujourd’hui, il est protéiforme et les conflits n’opposent plus des divisions armées les unes aux autres.
Il ne s’agit pas non plus, quarante-trois ans après, d’être fidèle à la pensée du général de Gaulle – surtout pour ceux qui, à l’époque, s’opposaient à lui ! –, dont le charisme « envahissait le champ médiatique de son immense présence immobile ».
Notre objectif de sécurité s’inscrit naturellement et politiquement dans une défense européenne.
La problématique est la suivante : les États membres de l’Union, ceux de son orient en particulier, et le Royaume-Uni surtout, sont-ils prêts à intégrer une organisation de défense européenne autre que l’OTAN ?
M. Didier Boulaud. Non !
M. Aymeri de Montesquiou. La réponse, de toute évidence, est négative. Nous ne serions pas suivis par nos partenaires.
Quelles que soient nos préventions, ou plutôt nos réticences, nous devons appartenir à une alliance militaire pour que notre défense soit crédible et efficace. Et nous n’avons pas d’alternative à l’OTAN ! Nous y pèserons certainement plus en l’intégrant et en obtenant des commandements. Mais cette intégration doit se faire dans un partenariat équilibré entre l’Europe et l’Amérique du Nord.
Quelle doit être notre exigence ? Nous ne saurions accepter d’être le bras armé de la diplomatie américaine qui, malgré les nouvelles orientations du président Obama, conservera vraisemblablement ses fondamentaux et peut-être, même, cette doctrine des alliances à géométrie variable qui avait si profondément vexé leur indéfectible allié britannique lors de la guerre d’Irak.
À l’occasion de ce conflit, l’Allemagne, alliée essentielle des États-Unis, totalement intégrée dans l’OTAN, a démontré son indépendance vis-à-vis de la diplomatie américaine. Nous pouvons considérer cet exemple comme une garantie essentielle.
Faisons aussi preuve d’imagination. Il ne doit plus s’agir d’un traité de l’Atlantique Nord et nous devons trouver une appellation différente de celle de 1949, où l’ennemi désigné était l’Union soviétique. Nous devons en effet gommer toute confusion entre Union Soviétique et Russie.
Aujourd’hui, la Russie est devenue le partenaire de l’Union européenne, non seulement dans le domaine de l’énergie mais aussi dans la résolution des conflits. Elle est essentielle au groupe de Minsk pour tenter de résoudre les problèmes du Caucase, au Quartet pour résoudre ceux du Moyen-Orient, et aussi pour approcher d’une solution en Afghanistan.
Si nous intégrons le commandement militaire, mobilisons nos partenaires pour que les Américains ne provoquent pas la Russie en implantant des batteries de missiles en Pologne et en Tchéquie, et montrons notre réticence à l’entrée de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN,…
M. Didier Boulaud. Ça, ce n’est pas si clair ! Confer le discours de Sarkozy !
M. Aymeri de Montesquiou. …comme nous l’avons fait de concert avec l’Allemagne.
La contrepartie de ces erreurs a été une crispation russe et, entre autres, une augmentation de son budget de défense ainsi que l’ouverture des ports vénézuéliens à sa flotte.
Mettons en place des liens étroits et même une véritable coordination entre l’OTAN et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, qui serve de trait d’union de Brest à l’Oural.
Prévenons les moments de forte tension à venir entre l’Ukraine et la Russie lorsque le bail de Sébastopol touchera à sa fin.
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Ayons donc à l’esprit que jamais la Russie n’abandonnera ce port, qui est russe depuis Catherine II.
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Un équilibre entre le pilier américain et le pilier européen doit nous permettre de manifester l’indépendance de la politique étrangère européenne et de retrouver l’état d’esprit du général de Gaulle, soulignant l’amitié exceptionnelle de la France avec les États-Unis et prononçant en même temps le discours de Phnom Penh, mise en garde solennelle stigmatisant une profonde différence d’analyse de la politique internationale.
Nous avons trois raisons objectives de réussir cette nouvelle orientation de l’OTAN et de revenir à la définition originelle du président Truman : « Le devoir des grands États est de servir et non de dominer le monde. »
L’Europe sait désormais qu’elle doit compter d’abord sur elle. Les deux pays qui investissent le plus dans la défense, la Grande-Bretagne et la France, avec respectivement 2 % et 1,8 % du PIB, ont mis en place les prémices de cette défense de l’Union à Saint Malo.
Le budget américain de la défense, qui s’élève à 4 % du PIB et est à l’origine de nombreux déséquilibres financiers mondiaux, ne pourra survivre à la crise. Les États-Unis n’ont plus les moyens de leur hégémonie.
L’hubris américain, « Nous avons raison parce que nous sommes les plus forts », source de tant de catastrophes, ne sera plus accepté.
Pour conclure, je citerai Bronislaw Geremek : « Il ne faut pas sous-estimer le potentiel des structures et des procédures dont dispose l’OTAN. Mais elle devrait être une structure de sécurité européenne. Pour cela, j’ose dire que le rôle de la France et des décisions françaises est absolument capital ». (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – MM. André Dulait et Yves Pozzo di Borgo applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la décision est donc prise, quels que soient les mots prononcés dans cet hémicycle au cours de ce débat, un débat sans enjeu…
La décision du Président de la République a été annoncée largement, sans que les grandes proclamations sur l’indépendance nationale soient négligées et sans que le discours d’édification de sa propre gloire, qui, décidément, caractérise l’actuelle présidence, soit oublié. Cette décision a été notifiée au secrétaire général de l’Alliance atlantique et à nos partenaires.
La décision est prise, et la question se pose à nouveau du rôle du Sénat, dont il semblerait qu’on ait prétendu redorer le lustre pour mieux pouvoir l’humilier.
M. Didier Boulaud. C’était du pipeau !
Mme Dominique Voynet. Le Président de la République a longuement exposé, le 11 mars dernier, les raisons pour lesquelles il entendait voir revenir la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, à rebours de la position originale de notre pays, maintenue depuis 1966 par les quatre successeurs du général de Gaulle à la présidence.
Pardonnez-moi ce jugement, mais l’impression qui domine lorsqu’on relie ce discours est que la position qu’il soutient est singulièrement en retard sur les enjeux du monde.
M. Didier Boulaud. Exactement !
Mme Dominique Voynet. Évidemment, on y trouve les passages obligés sur les risques de demain – l’énergie, le climat, les ressources en eau –, mais le discours du Président de la République semble parler du monde d’hier.
Et pourtant ! « Un concept stratégique n’est pertinent que s’il est adapté à la situation, non pas que connaît notre pays, mais qu’il va connaître. Car non seulement on ne doit pas avoir de retard dans la définition d’un concept stratégique, mais de préférence, il faut avoir de l’avance. »
Ces mots, mes chers collègues, sont du Président de la République lui-même.
M. Didier Boulaud. Bien sûr !
Mme Dominique Voynet. Je suis, comme vous sans doute, désolée qu’il n’ait pas pris au sérieux ses propres recommandations.
M. Didier Boulaud. Il ne s’en souvient plus !
Mme Dominique Voynet. Car la décision dont il est aujourd’hui question répond à tout, sauf, précisément, aux enjeux de demain. L’Organisation du traité de l’Atlantique nord n’est pas à la hauteur des défis nés, par exemple, de la crise climatique ou des tensions sur les ressources énergétiques, dont plus personne ne conteste l’importance stratégique.
En vérité, il n’y a rien là que de très logique : qui pourrait sérieusement penser qu’un outil né de la Seconde Guerre mondiale, un outil qui a connu ses plus belles heures sous la guerre froide, pourrait, sans réforme profonde, être encore adapté au monde que nous connaissons aujourd’hui ?
Alors que nous ne cessons de rappeler, par la voix du Président de la République, que décidément non, nous n’entrons pas dans la logique de la guerre des civilisations, que penserions-nous si, demain, d’autres s’organisaient en alliance militaire régionale ? Accepterions-nous si facilement l’idée d’un ensemble militaire asiatique, par exemple ? Ne serions-nous pas tentés d’y voir une regrettable entorse à la globalisation de la prévention des conflits, à la préférence affirmée pour les efforts diplomatiques multilatéraux par rapport aux réponses militaires d’un seul acteur, fût-il un acteur collectif regroupant un ensemble de pays, des pays qui, à l’échelle du monde, se ressemblent tout de même beaucoup ?
J’en fais le pari : si d’autres États, dans une autre région du monde, s’essayaient demain à constituer ce que nous avons nous-mêmes hérité de l’histoire, et que nous cherchons moins que jamais à modifier, si d’autres États, dans une autre région du monde, voulaient eux aussi construire un concept stratégique hors des Nations unies, nous serions tentés d’y voir un recul inadapté à notre époque.
M. Didier Boulaud. Exact !
Mme Dominique Voynet. Mais il semble, hélas ! que ce qui vaut pour les autres ne vaut pas pour nous.
M. Didier Boulaud. Bien sûr !
Mme Dominique Voynet. On a entendu de votre bouche, monsieur le ministre, tout et son contraire. La décision serait au fond anodine, entérinant une réalité de fait. Et puis, quelques instants plus tard, c’est une condition sine qua non d’un maintien de l’influence française dans le monde ! Mais ces arguments, perpétuellement ressassés, n’en sont ni plus solides ni plus convaincants.
M. Didier Boulaud. Effectivement !
Mme Dominique Voynet. On nous dit que le retour complet de la France dans l’OTAN favoriserait, par une sorte de ruse de l’histoire, l’émergence d’une défense européenne. Mais pourquoi donc la présidence française de l’Union a-t-elle sur ce point échoué, alors que la décision de la France était déjà connue ?
M. Didier Boulaud. C’est comme le pouvoir d’achat !
Mme Dominique Voynet. C’était pourtant une priorité de la présidence française. On allait voir ce qu’on allait voir ! Eh bien, on a vu ! Des décisions intéressantes sur les questions d’équipement, mais une vraie panne politique, stratégique sur le dossier de création d’une cellule de commandement et de planification au sein de la politique européenne de sécurité et de défense.
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme Dominique Voynet. Parce que, parmi nos partenaires européens, nous sommes en difficulté. Les blocages qui freinent l’émergence d’une véritable défense européenne n’ont rien à voir avec le positionnement de tel ou tel membre, y compris la France, vis-à-vis de l’OTAN.
Ces blocages sont internes à l’Union européenne, et il est au mieux naïf, au pis mensonger de laisser croire qu’on les surmontera en déplaçant le débat sur l’Alliance.
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme Dominique Voynet. Comment mieux illustrer la panne européenne qu’en rappelant le veto opposé à la mise en place d’un état-major européen parce qu’il ferait double emploi avec celui de l’OTAN ?
M. Didier Boulaud. Exact !
Mme Dominique Voynet. Je ne crois pas, compte tenu des difficultés budgétaires qui sont les nôtres, que nous pourrons nous engager financièrement, pour faire à la fois plus d’OTAN et plus de défense européenne.
M. Didier Boulaud. C’est forcément budgétaire !
Mme Dominique Voynet. Je ne crois pas non plus que la France, qui avait fini au fil du temps par voir reconnaître sa position singulière, au cas par cas, pourrait, sans aucune négociation, sur une base totalement unilatérale, gagner quoi que ce soit à renoncer à cette position singulière.
On me dit qu’un retour complet dans l’OTAN n’empêchera pas la France, dans le futur, de faire valoir une voix différente, comme l’a fait l’Allemagne au moment de l’invasion de l’Irak.
Mais rien non plus ne me laisse aujourd’hui penser que Nicolas Sarkozy sera l’homme qui saura dire non !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’est un procès d’intention !
M. Henri de Raincourt. Exactement !
Mme Dominique Voynet. Après tout, le Président de la République a jusqu’ici montré plus d’empressement à s’aligner qu’à résister. Il n’avait d’ailleurs pas caché son accord avec la désastreuse stratégie de George Bush ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Cette décision s’apparente en tout point au fait du Prince. Elle est prise sans que soit pris en compte l’avis du Parlement, dont on ne sait si on le craint ou si on s’en moque. Elle est prise sans l’avis des Français, que stupéfie, à Strasbourg, une mobilisation policière impressionnante destinée faire taire ou dissimuler toute trace de contestation, et cela, bien sûr, sans aucune consigne de la préfecture… Quel zèle !
S’il nous avait été offert de voter aujourd’hui, vous vous doutez, monsieur le ministre, ce qu’aurait été notre vote.
Privés de ce droit, il nous reste celui de vous avertir. Vous faites un très dangereux pari, vous prenez un risque dont personne ne peut mesurer tout à fait les conséquences. Loin de renforcer la défense européenne, vous prenez le risque de la voir reculer pour très longtemps.
C’est une grave décision. La façon dont elle a été prise en dit long sur l’estime dans laquelle vous tenez le Parlement…
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme Dominique Voynet. … et l’ensemble de nos concitoyens. Elle en dit long aussi, d’une certaine façon, sur la manière dont vous envisagez les questions de défense, qui sont des questions civiques, citoyennes.
Nous paierons le prix de cette décision dans les années qui viennent. Je regrette tout ce temps perdu, pour vous, pour moi, pour nous tous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)