M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. M. le secrétaire d’État omet de préciser que la loi d’habilitation ne permettait pas au Gouvernement de prendre une ordonnance sur un tel sujet. Le Gouvernement va donc au-delà de l’habilitation. Pour ce simple motif, nous ne pouvons que voter l’amendement de notre collègue.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous rappelle – cela a d’ailleurs été souligné – que la disposition en question avait été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, avec l’avis favorable du Gouvernement ! Puis, le Sénat l’avait également votée. Certes, nous n’étions pas forcément convaincus – M. Sueur s’en souvient – par le nouvel article L. 2223-34-1 du code général des collectivités territoriales. Mais nous avions tout de même adopté ce dispositif pour permettre à notre pays de se doter de la législation funéraire dont il avait besoin.
Comme nous l’avons déjà souligné, nous sommes tout à fait disposés à discuter avec les principaux acteurs concernés par ce dossier – je pense en particulier aux assureurs –, même s’il n’est pas question de renoncer au fichier, auquel nous tenons beaucoup.
De toute manière – et vous le savez fort bien, monsieur le secrétaire d’État –, l’article L. 2223-34-1 du code général des collectivités territoriales est inapplicable, compte tenu de sa rédaction. Il s’agit donc d’un problème non pas de conformité, mais d’applicabilité du dispositif. D’ailleurs, le décret qui était prévu en la matière n’est toujours pas paru.
Par conséquent, les assureurs peuvent se tranquilliser. Nous sommes conscients de la nécessité de mener des réflexions sur le sujet – nous l’étions déjà la première fois que nous en avons débattu –, et je souhaite que nous puissions avoir des discussions sereines.
Quoi qu’il en soit, le Parlement ne peut pas, me semble-t-il, accepter qu’une disposition votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat avec l’avis favorable du Gouvernement soit remise en cause deux mois après dans une ordonnance alors que le Gouvernement n’a pas reçu d’habilitation en la matière !
Monsieur le secrétaire d’État, les droits du Parlement doivent tout de même être respectés ! C’est pourquoi je crois que le Sénat votera l’amendement de M. Sueur à l’unanimité.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Santini, secrétaire d'État. Je vois que l’ambiance est parfaite et que le procès est fait, et par tout le monde ! (Sourires.)
Je ne partage pas l’opinion du président de la commission des lois et de M. Jean-Pierre Sueur selon laquelle le Gouvernement aurait excédé le cadre de son habilitation législative – c’est une accusation grave – en modifiant le code général des collectivités territoriales.
En effet, aux termes de l’article 152 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, le Gouvernement est « autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la modernisation du cadre juridique de la place financière française. » Il est précisé que ces dispositions ont pour objet, entre autres, « d’adapter les produits d'assurance aux évolutions du marché de l'assurance », afin de « moderniser les conditions de commercialisation et la législation des produits d’assurance sur la vie ».
Or il est évident que les contrats obsèques sont des produits d’assurance sur la vie, que la création d’un fichier national des contrats obsèques participe des conditions de commercialisation des contrats d’assurance sur la vie et que la suppression de dispositions contraires au droit communautaire fait partie de la mise à jour de la législation.
Dans ces conditions, il me semble que le Gouvernement n’a pas excédé le cadre de son habilitation législative. Bien entendu, si M. Jean-Pierre Sueur ne partage pas ce point de vue, il pourra toujours saisir le Conseil constitutionnel. D’ailleurs, j’imagine qu’il a l’intention de le faire.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’aurons pas besoin de saisir le Conseil constitutionnel ! En effet, nous allons rétablir le texte de la loi que nous avions votée ! Et, à mon avis, l’Assemblée nationale, qui avait adopté les mêmes dispositions à l’unanimité, devrait nous suivre dans cette voie.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis désolé de devoir vous le rappeler, mais la loi d’habilitation dont vous vous prévalez date du mois d’août 2008 alors que la loi comportant les deux articles dont vous souhaitez la suppression a été adoptée au mois de décembre de la même année. Vous ne pouvez donc pas vous prétendre habilité à modifier une loi votée postérieurement ! J’ignore comment certains légifèrent dans les ministères ou dans d’autres institutions, mais, ici, nous tenons à respecter le Parlement ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je serai bref. Le Gouvernement utilise des méthodes de flibustier que nous ne pouvons pas tolérer. Point final !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Je ne souhaite pas rouvrir un débat, que nous avons déjà eu, sur l’assurance-vie.
Comme certains d’entre vous le savent, je suis sans doute l’une des rares dans cette assemblée à avoir travaillé dans le secteur des assurances et à saisir pourquoi les mécanismes dont il est question ne sont pas si simples.
Monsieur Sueur, je comprends votre énervement. Un certain nombre de dispositions ont effectivement déjà été votées. Il est donc normal que vous et la commission des lois réagissiez. Mais vous avez également précisé que vous acceptiez d’avoir un débat sur le sujet, ce que j’ai apprécié. En effet, c’est comme pour un divorce : les torts sont souvent partagés !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes d'accord !
Mme Catherine Procaccia. En l’occurrence, certains éléments nous manquent peut-être.
Quoi qu’il en soit, je tiens à rassurer M. le secrétaire d’État. L’amendement de M. Sueur ne sera pas adopté à l’unanimité, puisque je ne le voterai pas.
Certes, je comprends l’agacement de mes collègues. Mais si le Gouvernement revient sur la position qu’il avait soutenue voilà quelques mois, c’est probablement en raison de problèmes techniques…
M. Pierre-Yves Collombat. C’est ça…
Mme Catherine Procaccia. …qui ne peuvent être niés.
M. Pierre-Yves Collombat. On va pleurer !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 14 ter.
CHAPITRE II
Mesures de simplification en faveur des entreprises et des professionnels
Articles additionnels avant l’article 15
M. le président. L'amendement n° 56, présenté par Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Demontès et Chevé, MM. Godefroy, Daudigny et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 15, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les dispositions des articles 1er, 2 et 3 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie sont applicables à titre expérimental jusqu'au 31 juin 2011. À l'issue de cette période, leur application et l'impact qui en résultent sur le tissu économique et sur la situation des travailleurs indépendants ayant opté pour ce régime, font l'objet d'un rapport du gouvernement au Parlement.
La parole est à Mme Jacqueline Chevé.
Mme Jacqueline Chevé. Le statut d’auto-entrepreneur, institué par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, a suscité un engouement indéniable parmi les nouveaux créateurs d’entreprise. En effet, ce statut bénéficie de multiples avantages : je pense notamment à l’absence d’assujettissement à la TVA, à l’exonération de taxe professionnelle pendant trois ans, à la gratuité de la déclaration de création d’activité ou encore à l’exonération permanente de la taxe pour frais de chambres de métiers et de l’artisanat.
En outre, le dispositif a bénéficié d’une importante campagne de communication, ce qui a contribué à le renforcer au cours d’une période marquée par l’explosion du chômage.
Depuis le 1er janvier, date d’entrée en vigueur du dispositif, la chambre des métiers des Côtes-d’Armor a dénombré 123 créations d’entreprise sous ce nouveau statut, uniquement pour ce qui concerne le domaine artisanal. De telles créations se font dans des secteurs d’activité qui étaient déjà couverts par l’artisanat sous statut classique, comme les travaux de maçonnerie et de menuiserie, la coiffure à domicile et le dépannage informatique.
De nombreux artisans installés redoutent ainsi la concurrence déloyale des nouveaux auto-entrepreneurs. D’ailleurs, le directeur général de l’Assemblée permanente des chambres de métiers estime que le statut d’auto-entrepreneur pourrait inciter à travailler au noir pour ne pas dépasser les plafonds.
Quand on interroge les chambres consulaires, il semble que certaines dérives apparaissent déjà. Ainsi, des artisans ont changé de statut et sont devenus auto-entrepreneurs pour bénéficier des avantages.
Par ailleurs, il est à craindre que certains nouveaux auto-entrepreneurs n’aient pas suffisamment pesé la viabilité économique de leur projet, risquant ainsi de s’exposer à des difficultés financières à moyen terme.
Il importe donc de mesurer les effets de telles dispositions sur le tissu économique et sur la situation des personnes concernées pendant une période d’expérimentation courant jusqu’au mois de juin 2011. Cette étude d’impact apparaît d’autant plus justifiée que les personnes ayant choisi ce statut étaient auparavant au chômage ou en situation de précarité.
Cela permettrait d’apporter des réponses aux inquiétudes des artisans, qui réclament déjà une limitation du statut d’auto-entrepreneur aux premières années d’activité, afin de servir de tremplin à la création d’une entreprise sans pour autant fausser le jeu de la libre concurrence. Ces réponses sont d’autant plus nécessaires que le Président de la République et le Gouvernement sont restés assez évasifs sur le sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Saugey, rapporteur. La transformation d’un dispositif pérenne en un dispositif expérimental et l’obligation de déposer un rapport semblent inutiles.
Certes, la demande d’évaluation du dispositif de l’auto-entrepreneur est tout à fait justifiée. Mais il n’est sans doute pas nécessaire pour ce faire de prévoir l’extinction du dispositif, avec, en prime, un rapport du Gouvernement. Le Parlement, dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle qui sont désormais renforcés, pourra lui-même procéder à l’évaluation des incidences de la création du statut de l’auto-entrepreneur. Le cas échéant, il pourra décider d’apporter au régime de l’auto-entrepreneur les correctifs qu’il estimera nécessaires.
Cet amendement nous paraît donc inutile. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Santini, secrétaire d'État. Le régime de l’auto-entrepreneur n’est en aucun cas un régime expérimental. Il est entré en application le 1er janvier 2009 sans que la loi ait prévu de période de transition.
Même si une étude d’impact de ces mesures de simplification sur le tissu économique peut présenter un intérêt, il ne serait pas acceptable d’appliquer les dispositions de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie à titre expérimental.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je souhaite profiter de la présence de M. le secrétaire d’État pour élargir quelque peu le débat, en lui demandant quelques informations.
Monsieur le secrétaire d’État, l’un de vos collègues a déclaré dans la presse que le statut d’auto-entrepreneur pourrait être étendu aux fonctionnaires.
Une telle proposition me laisse perplexe. S’agit-il de permettre aux fonctionnaires d’exercer une autre activité en parallèle, en travaillant au noir, parce qu’ils perçoivent des salaires insuffisants ? Honnêtement, cette déclaration dans la presse nous a pour le moins surpris.
Mais je suppose que vous allez pouvoir nous répondre, monsieur le secrétaire d’État. Que signifie cette proposition d’ouverture du statut d’auto-entrepreneur aux fonctionnaires ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Monsieur Godefroy, cette possibilité était déjà accordée aux fonctionnaires dans le cadre de la loi de modernisation de la fonction publique de 2007. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil !
M. le président. L'amendement n° 57, présenté par Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Demontès et Chevé, MM. Godefroy, Daudigny et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 15, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Les travailleurs indépendants ayant opté pour les dispositions prévues aux articles 1er, 2 et 3 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie bénéficient de l'immatriculation à titre gratuit auprès des organismes consulaires dont ils relèvent. L'immatriculation est réalisée automatiquement par transmission des données nécessaires par les organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-4 du code de la sécurité sociale.
II. - Les éventuelles pertes de recettes des organismes consulaires résultant du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Jacqueline Chevé.
Mme Jacqueline Chevé. L’enthousiasme pour le statut d’auto-entrepreneur ne doit pas éclipser certaines interrogations ou masquer les dysfonctionnements du dispositif.
Entrons dans le détail : un premier point concerne la distorsion de concurrence avec les artisans et commerçants déjà en activité. Ces derniers ne jouissent pas de ce statut et doivent payer l’intégralité de leurs impôts et cotisations, alors que d’autres viennent s’installer à côté d’eux en bénéficiant d’exonérations fiscales et sociales importantes.
L’injustice touche surtout le domaine des activités de services en raison de la franchise de TVA s’appliquant à une clientèle constituée essentiellement de particuliers. En effet, ces activités nécessitant peu d’achats de marchandises, l’absence de récupération de la TVA permet aux auto-entrepreneurs de pratiquer des prix inférieurs à ceux du marché, ce qui a évidemment des conséquences sur le tissu économique. Point n’est besoin d’y insister.
Mais il est permis de s’interroger : dans une conjoncture difficile, est-il vraiment opportun de déséquilibrer des entreprises existantes qui, elles-mêmes, emploient souvent des salariés ?
Au demeurant, une autre question se pose. Selon l’étude du cabinet Gestelia, la comparaison totale des coûts fiscaux, sociaux, comptables et de TVA entre le régime simplifié d’imposition, ou RSI, et le régime d’auto-entrepreneur est favorable dans 90 % des cas au RSI, même en intégrant les frais de comptabilité. Si l’auto-entrepreneur opte pour le prélèvement libératoire, le RSI reste favorable dans 75 % des cas. Il convient donc de bien réfléchir avant de s’engager dans cette voie.
Un sujet d’inquiétude concerne la qualification des personnes optant pour ce statut : tout un chacun pouvant se déclarer auto-entrepreneur sans faire l’objet d’aucune vérification relative à sa qualification, un risque non négligeable existe pour le client.
Si l’on prend l’exemple du second œuvre dans le bâtiment, la responsabilité juridique de l’auto-entrepreneur qui aura effectué les travaux d’électricité ou de plomberie peut être engagée en cas de malfaçons ou de dégâts. Quant au client, de quelle garantie bénéficiera-t-il ?
Par ailleurs, les auto-entrepreneurs étant dispensés de l’immatriculation au registre du commerce ou au répertoire des métiers au motif de l’économie de frais pour les candidats, ils se trouvent privés des stages de formation à la gestion d’entreprise et de l’accompagnement à la création de leur activité par les services consulaires. Or, être entrepreneur ne s’improvise pas ; il ne faut pas, par exemple, confondre chiffre d’affaires et bénéfices. Il faut savoir calculer ses coûts, fixer ses prix de vente, faire une étude, si simple soit-elle, sur le marché prospecté.
Soyons clairs ! S’il s’agit vraiment de la création d’une nouvelle entreprise et non pas de la simple légalisation d’un travail au noir effectué parallèlement à une activité déclarée, cette affaire doit être menée avec sérieux, faute de quoi les dégâts sur les personnes déjà fragilisées par le chômage et la précarité risquent d’être considérables.
Voilà pourquoi, après en avoir discuté avec les organismes consulaires et les représentants des artisans et des commerçants, il nous semble opportun de proposer une immatriculation, fût-ce à titre gratuit, dans les organismes consulaires. Ces derniers pourront alors assurer l’accompagnement indispensable à l’éventuelle réussite de l’auto-entrepreneur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Saugey, rapporteur. Ma chère collègue, c’est un peu la méthode Coué : « Enfoncez-vous bien cela dans la tête », et l’on recommence !
Vous êtes jeune sénatrice, et vous êtes donc pardonnée d’avance (Sourires.) : nous avons déjà eu ce débat voilà neuf mois, et nous n’allons donc pas le rouvrir ! La commission émet par conséquent un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Santini, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, le Gouvernement souhaite laisser à l’auto-entrepreneur la liberté de s’inscrire ou non au répertoire des métiers et, ainsi, de bénéficier ou non de l’offre de services des chambres de métiers.
Le régime de l’auto-entrepreneur fait souffler un véritable vent de liberté pour ce qui concerne la création d’entreprise. Sur une période de trois mois, déjà près de 100 000 auto-entrepreneurs ont créé leur entreprise. Ce succès traduit l’attente de nos concitoyens pour un régime simple, lisible, clair, qui laisse notamment le choix de s’inscrire ou non au répertoire des métiers ou au registre des sociétés.
On ne peut donc qu’être défavorable à un tel amendement qui va à l’encontre de la liberté de choix existant aujourd’hui.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 57.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 15
Le code du travail est ainsi modifié :
1° Après la première phrase du premier alinéa de l'article L. 3243-2, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Avec l'accord du salarié concerné, cette remise peut être effectuée sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir l'intégrité des données. » ;
2° À l'article L. 3243-4, après les mots : « des salariés », sont insérés les mots : « ou les bulletins de paie remis aux salariés sous forme électronique ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 58 est présenté par M. Godefroy, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Demontès et Chevé, M. Daudigny et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 131 est présenté par Mmes Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour défendre l’amendement n° 58.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet article vise à permettre aux entreprises d'émettre des bulletins de paie dématérialisés en lieu et place des bulletins établis sur support papier.
Il prévoit deux garanties : que le bulletin de paie ne puisse être électronique qu'avec l'accord du salarié et que le format des fichiers utilisés soit non modifiable afin de garantir l'intangibilité des données y figurant. L'économie annoncée pour les employeurs – et c’est certainement là le but de la manœuvre – serait de 145 millions d'euros chaque année.
Sur le plan juridique, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique autorise déjà la dématérialisation de l'écrit, en accord avec les textes européens. La proposition de loi n'apporte donc aucune innovation à cet égard.
Sur le plan social, cette proposition n'a fait l'objet d'aucune concertation, alors qu'elle concerne potentiellement quinze millions de salariés. Cependant, le salariat se caractérisant par le lien de subordination, les salariés pourraient être fortement incités à accepter la dématérialisation de leurs bulletins de paie, et ce même s'ils n'ont les moyens ni de les consulter ni de les imprimer chez eux.
Le problème concret est celui de la conservation par le salarié de ses bulletins de paie, qui doit être d'une durée illimitée.
La rapide obsolescence des technologies informatiques, et donc de l'archivage électronique, devrait conduire à mettre à la disposition des salariés de véritables « coffres-forts électroniques » susceptibles de garantir la pérennité des documents électroniques et leur lisibilité future.
À l'heure actuelle, les services de conservation des documents électroniques n'ont fait l'objet d'aucune initiative gouvernementale. Les exigences fixées par les articles 1316-1 et 1316-4 du code civil pour qu'un écrit électronique ait la même valeur juridique qu'un écrit papier sont la possibilité d'identifier l'émetteur du document – en l'espèce l'employeur sur une longue durée, y compris après l'éventuelle disparition de l'entreprise –, ainsi que l’établissement et la conservation dans des conditions de nature à garantir l'intégrité du document.
Le rapporteur de la proposition de loi à l'Assemblée nationale a ainsi pu écrire ceci : « Les incertitudes techniques » – il le reconnaît – « relatives au fonctionnement du coffre-fort électronique sont réelles, mais relèvent du pouvoir réglementaire. Il faudra donc être vigilant sur la rédaction et la mise en œuvre du décret ».
Cela fait beaucoup d’incertitudes pour voter un texte consacré à la simplification et à la clarification ! Je ne suis pas certain que nous prenions le chemin de ces dernières !
L'autre solution envisageable est de laisser à la discrétion du salarié le choix d'imprimer lui-même ses bulletins de paie pour les archiver.
Cette hypothèse suscite deux observations : tout d’abord, la mesure n'est qu'un simple transfert de charge de l'employeur vers le salarié, puisqu’on laisse à ce dernier le soin d’imprimer lui-même son bulletin de paie ; ensuite, le bulletin ainsi imprimé ne sera qu'une simple copie de l'écrit électronique original, aujourd'hui sans force probatoire. En effet, je le souligne, monsieur le secrétaire d'État, l'administration fiscale précise qu'elle n'accorde aucune valeur à une facture papier qui ne serait qu'une simple impression d'une facture électronique.
La mesure proposée comporte donc, particulièrement au stade actuel du développement de l'électronique, de nombreuses incertitudes, génératrices de contentieux, notamment sur la réalité de l'accord du salarié et les modalités de son expression, sur la valeur probante des documents, sur la pérennité et la lisibilité dans le temps des bulletins de paie informatiques.
Aucune étude d'impact n'a été réalisée. L'article, en l'état actuel, apparaît comme une simple commodité offerte aux employeurs et à leurs sous-traitants des relations humaines, sans aucune garantie d'application correcte.
Par conséquent, il serait fort judicieux de supprimer cette disposition de la proposition de loi et de l’examiner de plus près.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour présenter l'amendement n° 131.
Mme Annie David. Cet article me semble mélanger deux possibilités pourtant bien différentes : la possibilité juridique d’émettre un bulletin de salaire sous forme électronique et la possibilité pratique pour un salarié de conserver son bulletin de salaire sous forme électronique.
Sur le plan juridique, le bulletin de salaire peut être émis sous forme d’écrit électronique, et ce depuis la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui a totalement libéralisé l’écrit dématérialisé en France, pour se mettre en conformité avec les textes européens.
J’en veux pour preuve que nombre d’entreprises, qui ont l’obligation de conserver pendant cinq ans le double du bulletin de paie, n’ont pas attendu le législateur pour l’archiver sous forme dématérialisée sur leur système informatique. Ainsi, nul besoin de loi pour confirmer ce qui existe déjà.
En revanche, la conservation des bulletins de salaire sous forme électronique pose problème. En effet, un salarié doit pouvoir en disposer pendant une durée illimitée, puisque ces bulletins de salaire lui permettront de reconstituer sa carrière pour faire valoir ses droits à la retraite, notamment.
Or l’évolution très rapide des moyens informatiques, liée à l’obsolescence des supports, est le problème majeur rencontré lors de la mise en œuvre de systèmes d’archivage électronique. Inutile de penser qu’il suffit d’y consacrer une clé USB : dans moins de dix ans, aucun système ne saura plus la relire !
Il faut donc mettre à la disposition des particuliers des « coffres-forts électroniques » susceptibles de garantir la pérennité des documents électroniques conservés.
Cependant, si de tels dispositifs ont déjà été mis en œuvre en France par un certain nombre de prestataires, les initiatives gouvernementales en la matière n’ont pas abouti à ce jour.
Ainsi, même si la dématérialisation des bulletins de paie présente un certain intérêt économique et environnemental, il n’existe pas pour l’instant de garanties techniques et réglementaires pour assurer leur conservation. En outre, cet article anticipe trop de nouveaux usages sans en assurer la pérennité.
Quant à l’argument économique et aux coûts à la charge des employeurs liés à l’envoi des bulletins de paie – et tel est bien l’objectif visé par cet article, puisque Mme Henneron elle-même cite dans son rapport la somme qui serait économisée par les entreprises –, je propose, plutôt que de maintenir cet article et de supprimer des bulletins de paie établis sur support papier, d’en revenir aux pratiques en vigueur voilà quelques années seulement et de remettre la fiche de paie en mains propres aux salariés !
Mais, évidemment, les salariés pourraient alors comparer leurs salaires et constateraient inévitablement les inégalités salariales auxquelles ils sont soumis ! Telle est d’ailleurs la raison qui avait amené les employeurs à recourir à l’envoi de ces documents au domicile de leurs salariés, pour les individualiser encore un peu plus.
Aussi, je vous propose d’adopter cet amendement visant à supprimer l’article 15, qui ne donne pas assez de garanties sur la conservation des bulletins de salaire, et de revenir à la remise de ces derniers en mains propres aux salariés, ce qui permettra au final d’atteindre l’objectif recherché d’économies pour les entreprises.