M. le président. Monsieur le rapporteur, sans intervenir dans la manière dont vous exercez votre fonction, qui vous a valu d’être couvert d’éloges cet après-midi, je tiens à vous rappeler que, dans la nouvelle procédure, le rapporteur peut, s’il le souhaite, en prenant la parole sur l’article, souligner les modifications qui ont été introduites par rapport au texte initial. C’est une disposition dont vous avez toute liberté d’user...
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 70, 215 et 216 ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 70, purement rédactionnel, les auteurs se contentant de remplacer « le régime d’exécution » par « l’exécution ».
M. Jean-Pierre Sueur. Notre rédaction est plus « nerveuse » !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Parce que vous enlevez le mot « régime » ? (Sourires.)
Le « régime de l’exécution » donne plus de précisions sur les modalités et le statut de l’exécution. Pour autant, cet amendement est totalement satisfait par l’article tel qu’il est rédigé.
Sur l’amendement n° 215 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, le principe de l’individualisation des peines est déjà énoncé dans les articles 132-24 et 707 du code de procédure pénale. Cet amendement est donc satisfait.
Quant à l’amendement n° 216, m’appuyant sur les arguments du rapporteur, j’émets un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 70.
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai bien entendu ce qu’a dit M. le rapporteur, mais nous sommes ici pour élaborer la loi et, aux termes de la nouvelle procédure, il est quand même permis d’améliorer la rédaction du texte proposé, même si c’est celle qui a été adoptée par la commission.
Donc, je vais essayer de vous persuader, mes chers collègues, en faisant valoir trois arguments, que la rédaction issue des travaux de la commission n’est pas la meilleure.
Le premier argument a déjà été utilisé : la notion de « vie responsable » n’est pas juridiquement pertinente.
Qu’est-ce qu’une vie responsable ? Le concept est extrêmement flou. Chacun peut avoir son idée sur la question. Il me paraît beaucoup plus opportun de dire, comme nous le proposons dans l’amendement n° 70, que l’exécution des peines a pour objet de préparer la réinsertion de la personne. Outre que notre rédaction est plus concise, plus sobre, elle nous épargne des dissertations qui pourraient être très longues sur ce qu’est une vie responsable. C’est le premier argument, qui a déjà été exposé par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Le deuxième argument a trait aux victimes.
Il est bon de parler des victimes mais, monsieur Lecerf, dans votre rédaction, vous évoquez « les intérêts de la victime ». Notre rédaction est moins restrictive puisque nous évoquons le « respect des droits des victimes ». Nous sommes tous attachés à ce que soit reconnue la situation des victimes. C’est pourquoi il me paraît bien préférable de parler du « respect des droits des victimes » plutôt que de leurs « intérêts », expression qui renvoie à une conception plus matérielle et plus limitative. Notre rédaction nous paraît donc meilleure sur ce point aussi.
Enfin, monsieur le rapporteur, troisième et dernier argument, un mot me chagrine dans votre rédaction, c’est l’adjectif « effective ». Vous écrivez que « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection effective de la société ». Or nous devons élaborer un texte normatif. A-t-on inscrit dans la loi que la peine de mort était « effectivement » abolie ? On a écrit : « La peine de mort est abolie. » De la même manière, parler de protection « effective » de la société n’ajoute rien ; l’expression « protection de la société » est plus forte.
Donc, pour ces trois raisons, la rédaction proposée par M. Alain Anziani et défendue par M. Richard Yung me paraît préférable. Elle est plus concise et les termes sont mieux adaptés. Je ne vois donc vraiment pas pourquoi on n’adopterait pas cet amendement n° 70, qui me paraît couler de source !
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Moi non plus, je ne suis pas enchanté par la notion de « vie responsable » qui nous est proposée dans le texte de la commission. Mais, ce qui m’étonne vraiment, c’est le verbe « concilier ». La phrase lue dans son entier frise l’absurdité. Comment peut-on concilier « les intérêts de la victime » avec la nécessité pour celui qui s’est rendu gravement coupable « de mener une vie responsable et exempte d’infractions » ? Ce sont des points tout à fait différents, qui ne sont nullement conciliables.
Celui qui a été douloureusement atteint dans sa chair ou dans ses intérêts ne sera jamais consolé par le fait que celui qui se sera amendé grâce à un séjour dans une prison bien meilleure que celle que nous connaissons aujourd'hui mènera enfin une vie responsable et exempte d’infractions. On mélange des plans différents, on est là non plus dans le droit mais dans la magie !
L’amendement de M. Alain Anziani, qui reprend un document émanant du Conseil constitutionnel, a au moins le mérite de la clarté cartésienne, qui restera pour longtemps encore, je l’espère, la qualité principale des Français.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Des trois critiques essentielles que je viens d’entendre, il en est au moins une que je peux admettre. En revanche, sur les deux autres, je ne suis pas d’accord.
Tout d’abord, l’expression de « vie responsable » me paraît tout à fait intéressante. Ceux qui connaissent bien l’univers carcéral savent combien est important le risque d’infantilisation des détenus, qui n’ont plus aucune responsabilité. Certaines personnes qui sont proches de la libération sont dans un état de quasi-panique à l’idée de devoir affronter le monde extérieur. Préparer la personne détenue à « mener une vie responsable », c’est lui permettre plus facilement de passer du dedans au dehors, si je puis m’exprimer ainsi.
Ensuite, je ne suis pas choqué, contrairement à mon collègue Louis Mermaz, du recours au verbe « concilier ». La victime n’est pas nécessairement individualisée ; il s'agit ici en quelque sorte d’une catégorie, celle des victimes dans leur ensemble. Les victimes ont tout à gagner de la réinsertion du condamné. Le fait que l’on prépare en détention l’auteur d’une infraction à mener une vie responsable et exempte d’infractions, qu’on l’aide à retrouver le chemin du respect des règles ne peut que servir la protection des intérêts des victimes.
En revanche, je suis sensible à la remarque de Jean-Pierre Sueur sur la « protection effective ». Nous avions retenu cet adjectif par référence à d’autres dispositions du code pénal sur des sujets voisins mais, personnellement, je ne suis pas hostile à son retrait.
Je suggère donc à M. Sueur de déposer un amendement tendant à supprimer l’adjectif « effective » du texte de la commission.
M. le président. Monsieur le rapporteur, il me paraît plus simple que vous rectifiiez vous-même le texte issu, je le rappelle, d’un amendement de la commission.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je rectifie donc le texte de la commission, en supprimant, après le mot « protection », l’adjectif « effective », monsieur le président.
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’ai pas perdu ma soirée ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur Sueur, j’en suis ravi pour vous, mais j’ai le sentiment en vous écoutant que vous ne perdez jamais votre soirée quand vous êtes dans cet hémicycle ! (Nouveaux sourires.)
Madame le garde des sceaux, cette rectification suscite-t-elle des commentaires de la part du Gouvernement ?
M. le président. Je rappelle que le texte de l’article 1er A a été rectifié par la commission ; j’en donne lecture :
Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer la personne détenue à sa réinsertion afin de lui permettre de mener une vie responsable et exempte d'infractions.
Je mets aux voix l'article 1er A, rectifié.
(L'article 1er A, rectifié, est adopté.)
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES AU SERVICE PUBLIC PÉNITENTIAIRE ET À LA CONDITION DE LA PERSONNE DÉTENUE
CHAPITRE IER
Dispositions relatives aux missions et à l'organisation du service public pénitentiaire
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. L'amendement n° 71, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La coopération avec les services sociaux externes et, autant que possible, la participation de la société civile à la vie pénitentiaire doivent être encouragées.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, vous l’aurez tous compris, cet amendement s’inspire de la règle pénitentiaire européenne 7, qui met l’accent – à juste titre – sur l’importance d’impliquer les services sociaux externes dans la vie intérieure des établissements pénitentiaires et sur la nécessité de promouvoir une étroite collaboration entre eux. Il s’agit de permettre à la société civile d’intervenir dans ces établissements par le biais notamment du bénévolat, des visites aux personnes détenues.
Cette précision nous semble très utile. Dans la maison d’arrêt que je citais tout à l’heure, une association, l’Espoir, envoie un grand nombre de bénévoles rencontrer les détenus et offrir un soutien et un accueil aux familles lorsqu’elles visitent les détenus. Les personnels et la direction de la maison d’arrêt se félicitent de ce travail, qui est absolument remarquable.
Il serait juste, dans une loi pénitentiaire, de reconnaître l’action des associations et des bénévoles qui interviennent en prison.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission partage entièrement l’objectif des auteurs de cet amendement, qui est de faciliter, développer et encourager la participation de la société civile, notamment des associations, à la vie pénitentiaire. Toutefois, elle estime que cet amendement est satisfait à la fois par les modifications introduites à l’article 2, qui mettent en relief le concours des autres services de l’État et celui des associations au service public pénitentiaire, et par l’article 2 sexies nouveau, qui prévoit la participation des représentants des associations et des autres personnes publiques ou privées aux instances, locales et départementales, chargées de l’évaluation du fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Dans ces conditions, la commission souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Sueur, l'amendement n° 71 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Après avoir entendu les arguments présentés par M. le rapporteur, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 71 est retiré.
Article 1er
Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes condamnées. Il garantit à tout détenu le respect des droits fondamentaux inhérents à la personne.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte de l’article 1er issu des travaux de la commission est sensiblement différent de celui du Gouvernement. Sans être parfait, il traduit une orientation que j’estime plus satisfaisante.
À la différence de mes collègues du groupe CRC-SPG, qui vont défendre tout à l’heure un amendement sur cet article, je m’interroge sur la raison qui poussait le Gouvernement à indiquer dans son projet de loi que le service public pénitentiaire participe à la « préparation » et à l’exécution des décisions pénales. Pour l’exécution, je comprends ; mais pourquoi la « préparation » ? N’est-ce pas plutôt de la responsabilité de l’autorité judiciaire ?
Que signifiait également la participation du service public pénitentiaire à la préparation et à l’exécution des « mesures de détention » ? Ne sont-elles pas une modalité de l’exécution des décisions pénales auxquelles l’article 1er fait référence et qui relèvent de la seule autorité judiciaire ?
Je me réjouis donc de la rédaction retenue par la commission qui, à mon sens, a très sensiblement amélioré le texte, ambigu, du Gouvernement.
La commission a également eu raison de considérer qu’il n’était pas indispensable de mentionner, dans une phrase séparée, la mission d’insertion et de probation, rappelée dès la phrase suivante, d’autant qu’elle a adopté un amendement insérant, au chapitre II, un article additionnel sur le rôle du service pénitentiaire d’insertion et de probation.
La commission a considéré à juste titre que l’individualisation et l’aménagement des peines ne concernent que les personnes condamnées et non toutes les personnes détenues. Ce point est, à mon sens, très important et j’y reviendrai dans un instant.
Par ailleurs, elle a eu la bonne idée de mentionner que le service public pénitentiaire contribue non seulement à la réinsertion des détenus, mais également à leur insertion, car certains d’entre eux n’ont malheureusement jamais été vraiment insérés dans la société. Comment réinsérer ceux qui n’ont jamais été insérés, sinon en commençant l’apprentissage à la base ?
La commission a ajouté que le service public pénitentiaire exerce ses missions dans le respect des droits des victimes. Nous allons dans le même sens.
Enfin, obligation est faite au condamné de consacrer une partie de ses ressources à la réparation du préjudice commis. Encore faut-il qu’il en ait les moyens, l’enfermement de longue durée ne lui permettant pas forcément d’indemniser sa victime.
Pour autant, le groupe socialiste propose, avec l’amendement n° 72, une définition plus rigoureuse des missions du service public. Puisque ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, nous préférerions la rédaction suivante : « Le service public pénitentiaire participe à l’exécution des décisions pénales dans l’intérêt de la sécurité publique avec la mission essentielle d’insertion et de réinsertion des condamnés. ». Cette formule ne semble bien préférable au texte de la commission qui, malgré les améliorations que j’ai évoquées, reste très touffu.
Nous souhaitons en outre, avec l’excellent amendement n° 73, compléter l’article 1er par la phrase suivante : « Les établissements pénitentiaires doivent être gérés dans un cadre éthique soulignant l’obligation de traiter tous les détenus avec humanité et respecter la dignité inhérente à tout être humain. » Nous reprenons ainsi la règle pénitentiaire européenne 72.1, qui s’adresse, dans notre esprit comme dans celui des autorités européennes, à tous les échelons du système pénitentiaire, depuis le directeur de l’administration pénitentiaire jusqu’au plus modeste surveillant.
Néanmoins, l’article 1er dans sa totalité reste à notre sens tout aussi confus que l’article 1er de la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire.
L’article 1er, tel qu’il ressort des travaux de la commission, et à plus forte raison lorsqu’il s’agissait du texte du Gouvernement, énumère en vrac une multitude d’objectifs et de missions confiés au service pénitentiaire : participer à l’exécution des décisions pénales – c’est évident ! – ; contribuer à l’insertion ou à la réinsertion des détenus ; participer à la prévention de la récidive et à la sécurité publique ; assurer l’individualisation et l’aménagement des peines.
Le service pénitentiaire n’aura plus qu’à faire le tri parmi toutes ces tâches énumérées en vrac et à choisir ses priorités. Cela revient à lui conférer un pouvoir extraordinaire !
Mais, surtout, dans la rédaction du Gouvernement, aucune distinction n’était opérée entre personnes détenues et condamnées. C’est pourquoi on était en droit de s’interroger sur la formulation ambiguë de « préparation des décisions pénales ». La commission a d’ailleurs bien senti le problème. Qu’est-ce que le Gouvernement avait derrière la tête ? Un prévenu incarcéré est-il de ce fait préjugé coupable ? Ce serait tout à fait contraire à la présomption d’innocence. Le Gouvernement va certainement nous répondre qu’il ne s’agissait pas du tout de cela et que personne n’oserait envisager une hypothèse aussi monstrueuse. Pour autant, il se dégage de cet article un parfum de suspicion à l’égard des prévenus qui me paraît redoutable.
Une maladresse de plume aurait pu faire croire que le Gouvernement englobait aussi bien les prévenus que les condamnés : on en revient donc à s’interroger sur l’inquiétante formule de la « préparation des décisions pénales », qui, à mon sens, ne peut qu’être du ressort de l’autorité judiciaire. Il s’agit bien d’une mise en cause de la présomption d’innocence. Le sujet est immense, quand on sait que, en 2008, sur un total de 89 000 personnes entrées en détention, 58 % étaient des prévenus, et que, dans les maisons d’arrêt – une « humiliation pour la République », selon le titre du rapport du Sénat paru en 2000 – la densité carcérale est de 136 % !
Monsieur le rapporteur, vous le voyez, je ne contribue pas uniquement à votre béatification (Sourires), j’estime que cet article mériterait vraiment d’être entièrement réécrit.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier, sur l’article.
Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 1er définit les missions du service public pénitentiaire : exécution des décisions pénales et des mesures de détention, réinsertion des détenus, prévention de la récidive et garantie de la sécurité publique. Ce service doit être organisé pour assurer l’individualisation et l’aménagement des peines.
La question qui se pose d’emblée, dès cet article, est celle des moyens.
On comprend bien qu’il s’agit aujourd’hui de choisir la répression au détriment de la prévention. Mais rien dans ce projet de loi ne nous assure que les services pénitentiaires d’insertion et de probation seront renforcés. Pourtant, leur rôle et leur activité ne manqueront pas de s’accroître, à la mesure de la volonté affichée de développer l’aménagement des peines.
Comme d’habitude, aucune étude d’impact ne permet d’anticiper les besoins induits par les nouvelles dispositions relatives aux aménagements de peine, notamment l’extension des possibilités d’y recourir.
Ce projet de loi consacre le rôle central des services pénitentiaires d’insertion et de probation, alors que la réforme statutaire qui les concerne n’est pas aboutie et provoque déjà un large mécontentement chez les agents, qui ont lancé un mouvement social depuis mai 2008.
Ces professionnels assurent la préparation et le suivi de l’ensemble des mesures pénales en milieu ouvert, ce qui représente environ 150 000 personnes placées sous main de justice ; ils coordonnent l’ensemble des actions d’insertion et préparent les aménagements de peine pour les personnes détenues.
Depuis une dizaine d’années, leurs missions évoluent à la faveur des lois pénales qui se succèdent et d’une pression accrue pour aller toujours plus vite dans le traitement des dossiers.
Devant l’ampleur de ces tâches et les responsabilités qu’elles représentent, il n’est pas étonnant que ce projet de loi inquiète les personnels et leur fasse craindre une évolution de leur métier vers une gestion comptable des flux qui ne tienne pas compte du facteur humain et du facteur temps, seuls à même de donner un sens à leur action.
Une peine à aménager, ce n’est pas seulement un acte technique de transformation de jours de prison en travail d’intérêt général, en liberté conditionnelle, en semi-liberté, en placement extérieur, en sursis avec mise à l’épreuve ou en surveillance par le biais d’un bracelet électronique. C’est aussi accompagner et soutenir une population de plus en plus précarisée, faite de personnes la plupart du temps sans diplôme, en rupture sociale et familiale, isolées, qui connaissent de plus en plus souvent des troubles psychologiques, voire de véritables maladies psychiatriques.
C’est à des situations complexes que sont confrontés les agents de ces services dont le rôle est hybride, entre travail social et application du droit.
Il est clair pour nous tous que les actes délictueux doivent être punis et que la sanction doit s’appliquer, mais, si on veut vraiment éviter la récidive, on ne doit pas rater la sortie de détention, que ce soit dans le cadre d’un aménagement de peine ou d’une sortie définitive ; on doit donc consacrer du temps à la construction d’un véritable projet, réaliste, tenant compte à la fois de la personnalité et des contraintes du détenu et des possibilités offertes par l’environnement. Sinon, le risque est grand d’un nouvel échec et d’un retour à la case départ.
Et pourtant, aujourd’hui, les SPIP, comme on les appelle couramment, fonctionnent avec des moyens a minima : former des équipes de deux agents est, la plupart du temps, impossible, alors que, dans certaines situations, pour prévenir notamment des risques réels de violence, ce serait indispensable.
Les déplacements, qui sont nombreux car chaque dossier nécessite une enquête, donc des visites à domicile et dans l’entourage, ou des démarches extérieures, sont souvent effectués avec les véhicules personnels des agents.
Il n’y a quasiment pas de psychologues dans les services – on en compte un seul pour ma région –, alors que la pluridisciplinarité est un besoin largement exprimé. Chaque agent a en charge plus d’une centaine de dossiers, ce qui ne lui permet pas toujours d’approfondir autant que de besoin l’investigation ou l’accompagnement nécessaires.
C’est bien sur le fond et sur le sens de leur travail que les agents sont inquiets. N’oublions pas que ce sont les avis qu’ils donnent aux juges qui permettent à ces derniers de prendre leurs décisions, lourde responsabilité qu’ils souhaitent légitimement avoir les moyens d’assumer. L’accomplissement de leurs missions nécessite du temps et un investissement tant humain que matériel. Ils doivent aussi pouvoir garder une certaine sérénité face à leur avenir et au sens de leur action.
Ce texte ne mettra pas fin à la surpopulation carcérale et il ne garantit pas la réalisation des missions, pourtant indispensables, qu’il confie au service public – insertion ou réinsertion, prévention de la récidive –, car il ne répond pas aux vraies questions, comme nous allons le voir tout au long de notre discussion.
Il s’inscrit dans une politique qui aggrave sans cesse les inégalités sociales, qui ne s’attaque pas aux causes de la délinquance en amont, qui choisit de mettre en œuvre une répression réactive - chaque victime est utilisée médiatiquement pour porter ce choix, dans une démarche populiste – une politique qui ne choisit pas la prévention.
La protection judiciaire de la jeunesse et les acteurs du travail social auprès de l’enfance, réunis au sein d’un collectif, se sont mis en mouvement pour défendre, entre autres principes, les missions de service public aujourd’hui en danger, comme l’assistance éducative en milieu ouvert, alors que les orientations vont vers la sanction et l’enfermement pour les jeunes les plus difficiles. Il est sans doute plus facile de montrer que l’on agit et que l’on protège les citoyens en produisant des chiffres sur les passages au tribunal, les placements coercitifs, les incarcérations que d’évaluer le travail d’accompagnement et de prévention auprès de ces jeunes et de leurs familles.
Emplir d’un côté, vider de l’autre : le Gouvernement réinvente tout à la fois le mouvement perpétuel, le serpent qui se mord la queue et le cercle vicieux !
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 72, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales dans l'intérêt de la sécurité publique avec la mission essentielle d'insertion et de réinsertion des condamnés.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Cet amendement vient prolonger concrètement les propos de M. Mermaz.
Telles que définies à l’article 1er du projet de loi, les missions du service public pénitentiaire portent sur la préparation et l’exécution des décisions pénales et des mesures de détention ainsi que sur la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, la prévention de la récidive et la sécurité publique. Il est par ailleurs précisé que le service public pénitentiaire assure une mission d’insertion et de probation.
Cet article modifie la définition des missions du service public pénitentiaire qui résulte de la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire.
La rédaction retenue pour cet article se borne à énumérer, en les combinant, comme cela a été rappelé à l’instant, une multiplicité de fonctions prêtées à la peine – réinsertion, prévention de la récidive, sécurité publique –, de missions confiées à l’administration pénitentiaire – exécution des décisions pénales, insertion, probation, individualisation et aménagement des peines – et de principes de portée générale comme le « respect des intérêts de la société » et la prise en compte « des droits des détenus ». Une telle rédaction tend à accroître la confusion caractérisant les dispositions de la loi de 1987 et ne contribue certainement pas à éclaircir le sens de la peine.
Nous proposons donc une définition plus rigoureuse des objectifs assignés à la peine afin de clarifier les missions confiées à l’administration pénitentiaire : « Le service public pénitentiaire participe à l’exécution des décisions pénales dans l’intérêt de la sécurité publique avec la mission essentielle d’insertion et de réinsertion des condamnés ».