M. Jacques Mahéas. Belle conception de l’indépendance !
Mme Annie David. Nous, cela nous semble illégitime !
M. Michel Thiollière, rapporteur. Cela étant, certaines garanties doivent être prévues.
Cette situation vaudra mieux, selon nous, que l’hypocrisie qui prévalait jusqu’à présent. Ainsi, le CSA devait tenir secrètes certaines de ses délibérations, alors que tout le monde connaissait l’existence de complicités, pour ne pas dire de connivences, entre cette instance et le pouvoir exécutif pour la nomination du président de France Télévisions. Mes chers collègues, nous ne referons pas l’Histoire aujourd'hui, mais tout le monde a cette réalité en tête ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
Nous voulons que cette nomination soit transparente, que son processus se déroule devant tous ceux que nous représentons. C'est pourquoi nous souhaitons que l’audition du responsable proposé soit publique, y compris lorsque celui-ci se présentera au Sénat, devant notre commission, afin que tout le monde sache clairement pour quelles raisons il sera retenu. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) En outre, vous le savez, une majorité des trois cinquièmes sera nécessaire dans les commissions des deux assemblées afin de décider de la nomination du président de France Télévisions.
En ce qui concerne l’éventuelle révocation du président de France Télévisions, il faut tout d'abord ramener ce problème à de justes proportions : une telle procédure ne se produit pas tous les jours, et c’est heureux !
Néanmoins, si, par extraordinaire, ce cas de figure devait survenir, nous devons, cette fois encore, instituer une procédure qui garantisse la transparence et le respect d’un certain nombre de principes républicains. Sur ce point également, la commission des affaires culturelles vous fera des propositions permettant d’aller de l’avant.
L’indépendance de France Télévisions doit également être financière. La commission des affaires culturelles a beaucoup travaillé sur cette question, et je ne reviendrai pas sur les propos tenus par Catherine Morin-Desailly, notamment en ce qui concerne la redevance audiovisuelle. Comme vous l’aurez compris, nous souhaitons que cette imposition soit à l’avenir à la fois plus dynamique, plus juste et plus lisible.
Cela dit, l’entreprise unique que nous allons mettre en place à travers ce projet de loi doit bénéficier des moyens nécessaires à son fonctionnement. Avant de voter ce texte, nous souhaitons disposer des avis et conseils formulés par le CSA, qui nous éclaireront sur les moyens nécessaires au service public de l’audiovisuel.
Par ailleurs, certaines taxes ont déjà été mises en place. Nous aurons l’occasion d’en débattre, mais il est clair pour nous que ces impositions, qu’elles portent sur la publicité ou sur les fournisseurs d’accès à internet, ont pour vocation d’accompagner le lancement de la réforme de l’audiovisuel mais pas forcément d’être pérennisées !
M. Bruno Retailleau, rapporteur de la commission des affaires économiques. Absolument !
M. Michel Thiollière, rapporteur. C'est pourquoi nous souhaitons que ces taxes soient évaluées au cours de l’année 2009 et que nous en débattions de nouveau, en fonction du résultat des études qui auront été menées.
Néanmoins, si nous voulons que France Télévisions dispose des moyens de fonctionner, il nous semble indispensable que ces deux taxes soient maintenues au niveau fixé lors de leur adoption par l’Assemblée nationale et qu’elles soient opérationnelles dès 2009.
Enfin, s'agissant de l’indépendance financière de l’audiovisuel public, je voudrais souligner, après Mme la ministre, que France Télévisions disposera en 2009 – nous en avons l’assurance – des moyens nécessaires à son fonctionnement, grâce à la redevance, à ses ressources propres et à la subvention de 450 millions d'euros versée par le budget de l’État.
Vous avez d'ailleurs rappelé, madame la ministre, que cette contribution serait pérenne, ou en tout cas pluriannuelle, et qu’elle serait indexée chaque année de manière à garantir à France Télévisions son indépendance financière. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Annie David. C’est faux !
M. Michel Thiollière, rapporteur. La troisième exigence concerne le service rendu au public : nous préoccuper des attentes de nos concitoyens, alors que nous travaillons sur ce domaine de l’audiovisuel, me semble être la moindre des choses. Nous serons donc intransigeants à cet égard.
Le service public de l’audiovisuel se doit d’assurer des missions fondamentales – informer, cultiver, distraire –, qui nécessitent d’être mises au goût du xxie siècle.
Je prendrai quelques exemples très concrets.
Comme le soulignait Mme le rapporteur tout à l’heure, il y a des missions propres à nos territoires. Nous sommes tous enracinés dans nos territoires, nous avons besoin que ces derniers vivent et que leur vitalité soit reprise et traduite dans les programmes télévisés, notamment la télévision publique. C’est pourquoi nous souhaitons que les émissions de France 3 fassent état de ce qui se passe dans les territoires et que, sur le plan national, des émissions retracent ce que nous vivons dans nos départements dans les domaines de la culture, de l’économie et de l’activité sociale.
Par ailleurs, l’audiovisuel extérieur de la France est une très belle aventure française, une nécessité pour notre pays et une lumière de la France attendue partout dans le monde.
C’est, pour nous, l’occasion de nous ouvrir au monde : ainsi, la diffusion sur le service public d’émissions ou de films en version originale sous-titrée témoignerait d’un respect de la création mais aussi d’une ouverture de nos concitoyens au monde, et favoriserait l’apprentissage des langues étrangères.
Mme Nathalie Goulet. Il serait temps !
M. Michel Thiollière, rapporteur. Nous souhaitons également que les médias nouveaux puissent servir le public.
C’est la raison pour laquelle nous préconisons que les émissions de France Télévisions puissent être regardées gratuitement par nos concitoyens via internet pendant une semaine après leur première diffusion : ce serait une « télévision de rattrapage » pour ceux qui n’ont pas la possibilité de les voir « en première lecture », pour employer le vocabulaire parlementaire.
J’évoquais le rayonnement de notre pays à travers le monde : il est bien entendu essentiel que nous fassions connaître la création française à l’étranger. Nombre de nos concitoyens, à travers le monde, ont besoin de cet audiovisuel extérieur.
Je ne reviendrai pas sur le média global, Catherine Morin-Dessailly ayant fort bien exprimé notre position sur ce sujet.
Enfin, la dernière exigence a trait à la création.
La création véhicule l’image de notre pays, et elle est donc importante à la fois pour ce dernier et pour nos concitoyens. De par le monde, nombreux sont les opérateurs privés, les sociétés privées, les particuliers qui s’intéressent à la France et ont besoin de savoir où en est la création dans notre pays.
La création traduit tout à la fois une avancée par rapport à ce que vit une société et un regard sur la « vigilance républicaine » par rapport au monde actuel, parfois un peu fou, troublé par quelques désordres malheureux et des guerres face auxquelles nous nous sentons souvent impuissants.
La création est aussi un fabuleux levier de développement. Elle engendre des dizaines de milliers d’emplois en France – nous avons eu l’occasion d’en parler au cours de l’examen d’un précédent texte, madame la ministre –, et les créateurs ont donc besoin, aujourd’hui, qu’on leur fasse confiance pour que notre pays, avec eux, aille plus loin.
L’audiovisuel public doit être encouragé dans sa démarche de création. N’oublions pas qu’il est actuellement, et de loin, le premier commanditaire de fictions. Cela lui permet d’évoluer favorablement.
Mme le rapporteur évoquait tout à l’heure la crainte de certains que, dans le domaine de la création, l’entreprise unique ne se traduise par un guichet unique.
Bien entendu, ce n’est pas ce que nous souhaitons. Afin que les choses soient claires, nous déposerons un amendement visant à garantir une commande diversifiée, dans le domaine de la création, pour l’audiovisuel public.
La commission des affaires culturelles a fait des propositions à la fois réfléchies, parce qu’elles sont le fruit d’un travail approfondi, et innovantes. Elle entend, par les amendements qu’elle présentera, faire œuvre utile et montrer que le Sénat compte dans la réforme de l’audiovisuel public. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en France, mais aussi dans beaucoup d’autres pays, la télévision tient une place très particulière dans la vie de nos contemporains : c’est sans doute l’un des objets qui symbolisent le mieux la modernité.
Toutefois, en France, à cette dimension sociale s’ajoute une dimension politique particulière qui rend toute réforme profonde de l’audiovisuel toujours délicate.
Je rappelle que la loi de 1986, qui est encore le socle juridique de la télévision française, avait déjà été adoptée au forceps, avec l’article 49-3.
Comment expliquer cette dimension éminemment politique en France ? Tout simplement parce que, dans notre pays, la télévision est la pierre angulaire de la diversité et de l’exception culturelle françaises, grâce à un double mécanisme qu’il convient de rappeler pour que soient bien compris le sens et la logique du présent texte : d’une part, la mise à disposition gratuite du domaine public hertzien en contrepartie des obligations de production des chaînes, d’autre part, la contribution au financement de la création, qui est, elle, assise proportionnellement sur le chiffre d’affaires des chaînes, notamment privées.
Sans ces mécanismes – vous l’avez rappelé voilà quelques instants, madame la ministre –, nous n’aurions pas une industrie audiovisuelle et cinématographique parmi les plus dynamiques au monde.
Cependant, nous entrons dans une nouvelle ère.
La révolution numérique bouleverse radicalement cet écosystème.
D’une part, les Français dépendent de moins en moins de l’antenne râteau, c’est-à-dire de la réception hertzienne, pour recevoir la télévision.
D’autre part, le chiffre d’affaires des chaînes historiques diminue sous l’effet de l’explosion de l’offre des nouvelles télévisions numériques et satellitaires, et des nouveaux médias.
En quelques années, l’audience cumulée des chaînes historiques a diminué de près d’un quart, ce qui est énorme.
Cette réforme est donc non pas le fruit du hasard, mais une réponse à une nouvelle donne comme on n’en a pas connu depuis longtemps. Désormais, rien ne sera plus comme avant.
En réalité, les grands médias audiovisuels sont profondément et durablement déstabilisés par un triple choc.
Il s’agit, tout d’abord, du choc technologique de la convergence : avec la multiplication des écrans, la télévision n’a plus le monopole de l’image ; avec la multiplication des canaux de diffusion, la diffusion hertzienne traditionnelle n’a plus le monopole de la distribution des programmes.
Ensuite, nous assistons au choc des nouveaux usages : la télévision était familiale, et elle devient de plus en plus individuelle, les écrans personnels et le multi-équipement se répandant dans les foyers ; la télévision était une activité sédentaire, et elle devient nomade – j’espère d’ailleurs que, dans quelques mois, la télévision mobile personnelle sera accessible, madame la ministre –, mais, surtout, le téléspectateur n’est plus le même que jadis puisque, outre la liberté de zapper, il a désormais aussi celle de faire sa propre programmation et même sa propre production d’images.
Enfin, le choc est économique : il est la conséquence des deux premiers chocs, puisque la démultiplication de l’offre – chaînes numériques, internet, câble, satellite – a entraîné une hyperfragmentation des audiences et une atomisation des ressources publicitaires.
Un nouvel ordre audiovisuel est donc en train d’émerger sous nos yeux. Il ne sert à rien de s’en réjouir ou de le déplorer ; tout juste peut-on remarquer que ces évolutions sont en parfaite adéquation avec ce que l’on appelle l’individualisme démocratique.
Cependant, ces évolutions remettent beaucoup de choses en question. Face à ces changements radicaux, il y avait deux réponses possibles.
La première réponse, qui n’en est pas une, était de ne rien faire et d’assister en spectateurs impuissants à l’effondrement du système audiovisuel français public et privé et, avec lui, de la création française, dont les ressources sont indexées sur les budgets publicitaires.
L’autre voie, celle que vous avez choisie, madame la ministre, était celle d’une réforme profonde, d’une réforme d’ensemble du paysage audiovisuel français.
La commission des affaires économiques approuve les deux axes majeurs de la réforme : la restructuration de France Télévisions en une entreprise unique pour lui permettre de relever le défi du numérique – internet est non pas une menace pour l’audiovisuel, mais une chance (M. Jean-Pierre Fourcade acquiesce.) – et la suppression progressive de la publicité, pour mettre en cohérence un cap éditorial exigeant avec la nature du financement des programmes.
Cette exigence de qualité ne veut pas dire qu’il faudra mépriser l’audience : la télévision de service public doit être une télévision fédérative, qui tisse du lien social. D’ailleurs, François Mauriac n’avait-il pas déclaré, dans l’une de ses chroniques télévisuelles – il les avait débutées en 1959 dans L’Express, à la demande de Jean-Jacques Servan-Schreiber – que « la télévision, c’est l’une des images que la France se donne d’elle-même » ?
Il faut refuser l’élitisme, d’autant que, pour moi comme pour beaucoup d’autres, le divorce avec le public n’a jamais été une garantie de génie ou de qualité.
Mme Jacqueline Gourault. Absolument !
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. La télévision publique doit se libérer de la contrainte de l’audimat, mais non de celle d’assurer une large audience et de rester populaire.
La commission des affaires économiques, si elle approuve le sens de la réforme, estime, comme la commission des affaires culturelles, que ladite réforme peut être encore améliorée.
Je voudrais rapidement évoquer en mon nom personnel la question du financement.
Taxer un secteur – celui des opérateurs et des fournisseurs d’accès – au seul motif qu’il est extrêmement dynamique, et ce pour financer l’obsolescence d’un modèle de financement, selon le principe des vases communicants, ne me paraît pas économiquement raisonnable. On va ainsi faire supporter 85 % de la compensation financière à un secteur qui ne bénéficiera en rien de la suppression de la publicité, et pour cause, puisque son modèle économique est fondé sur des abonnements, des forfaits, ou de la consommation.
De surcroît, quelle est la logique de cette taxation, puisque l’essentiel de l’activité de ces opérateurs n’a rien à voir avec l’image ? Certes, il y a la télévision par ADSL, mais les revenus tirés de cette activité, qui concernent donc directement l’image, ont été retirés de l’assiette. Ce qui reste dans l’assiette, ce sont des activités – téléphone fixe, SMS, mails – qui n’ont plus rien à voir avec l’image.
Le lien entre cette taxation et l’image est donc profondément distendu.
Le risque tient non pas tellement au risque juridique d’inconstitutionnalité de cette taxation, mais plutôt au risque économique.
Plus de taxes, cela risque d’être moins d’investissements de la part des opérateurs au moment où l’on demande à ces derniers un effort important pour la couverture du territoire en très haut débit, en fibre optique, en vue de réduire la fracture numérique.
Or, une diminution des investissements pourrait fragiliser un secteur dont le Gouvernement sait bien qu’il est un passeport pour la croissance, un relais de croissance extraordinaire. Alors que tous les pays développés misent de plus en plus sur le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la France a en ce domaine un retard qu’il lui faut combler.
Le Gouvernement lui-même a reconnu à plusieurs reprises qu’un doublement des investissements dans l’économie numérique en France représenterait sans doute un point de croissance supplémentaire.
Au moment même où nous envisageons de taxer les fournisseurs d’accès à internet et les opérateurs de téléphonie mobile, M. Obama propose au cœur de son plan de relance de moderniser les réseaux pour l’économie numérique et l’exonération de taxe dont les opérateurs bénéficiaient l’année dernière, aux États-Unis, est reconduite pour cette année.
Je ferme la parenthèse. Je tenais à évoquer ce point de vue personnel, même s’il ne remet absolument pas en cause la réforme.
J’ai été heureux d’entendre mes collègues rapporteurs de la commission des affaires culturelles défendre une assiette et, surtout, une base plus dynamique pour la redevance, qui représente clairement l’instrument naturel de financement de l’audiovisuel public. J’ai été aussi heureux d’entendre Michel Thiollière indiquer que les taxes n’avaient pas vocation à se prolonger indéfiniment.
J’en viens à l’importante question de la régulation d’internet en France. Le secteur de l’internet est prometteur et en plein développement. La France ne doit pas être à la traîne dans ce domaine. De plus, ces activités naissantes ont besoin de stabilité juridique.
En France, ce cadre a été posé par une loi datant de 2004, la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui distingue très clairement les activités d’éditeur et les activités d’hébergeur. Nous tenons à la frontière entre ces statuts, par ailleurs confirmée par la jurisprudence. Il ne faut surtout pas la troubler.
À ce titre, la directive européenne sur les services de médias audiovisuels est excellente. Il faut rester au plus près possible de sa lettre.
En revanche, je ne vous cache pas que les membres de la commission des affaires économiques sont très dubitatifs quant à l’initiative des députés visant à confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel la régulation de la publicité en ligne sur les sites de partage de contenus. Cette préoccupation était sans doute légitime, mais nous jugeons la réponse mauvaise et présenterons une autre proposition.
Le moment est peut-être venu de donner une base législative à un nouveau type de régulation, moins administratif, plus souple et plus adapté au champ ouvert qu’est internet, comme Éric Besson l’a d’ailleurs proposé dans son plan « France numérique 2012 ». Nous en ferons la proposition au travers d’un amendement dont l’examen constituera, je pense, un moment important pour discuter de la régulation moderne sur internet.
Pour conclure, nous avons la conviction, madame la ministre, que votre réforme est parfaitement nécessaire.
L’enjeu est considérable, puisque la télévision est le socle de l’exception culturelle française, mais aussi de bien d’autres choses. Vous avez cité sans les nommer les personnalités qui ont compté pour le service public. Je voudrais en évoquer une qui, d’après moi, représente vraiment le grand serviteur du service public de l’audiovisuel à la française. Il s’agit de Jean d’Arcy qui, dans une très belle phrase, a défini la télévision comme « un formidable outil de communication au service de l’homme ».
Mes chers collègues, au-delà de toutes nos divergences et nos différences, qui sont parfaitement naturelles sur un tel sujet, je forme le vœu que nous contribuions tous ensemble à construire un service public de l’audiovisuel permettant à l’homme de grandir en humanité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Dominique Braye. Bravo !
(M. Roland du Luart remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris, rapporteur pour avis.
M. Joseph Kergueris, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la rénovation de l’audiovisuel public ne porte pas uniquement sur l’audiovisuel national. Elle comporte aussi un volet, important à nos yeux, qui est consacré à l’audiovisuel extérieur.
En effet, les deux projets de loi contiennent plusieurs dispositions visant à prolonger la réforme de l’audiovisuel extérieur, lancée sur l’initiative du Président de la République au cours de l’année dernière.
Compte tenu de l’importance de l’audiovisuel extérieur pour la place et l’influence de la France et de notre langue à l’échelle internationale, la commission des affaires étrangères a souhaité se saisir pour avis de ces deux textes. Naturellement, son avis porte non pas sur l’ensemble des dispositions, mais uniquement sur les articles ayant trait à l’audiovisuel extérieur.
Ainsi, l’aspect le plus emblématique de la réforme, la suppression progressive de la publicité sur les chaînes du service public, s’applique uniquement au territoire national et, à ce titre, ne concerne pas l’audiovisuel extérieur. Par conséquent, je ne l’évoquerai pas. Toutefois, je pense utile de dire un mot du financement de l’audiovisuel extérieur, dont nous nous sommes déjà entretenus ici, voilà quelques semaines, madame la ministre.
La commission des affaires étrangères et la commission des affaires culturelles ont travaillé ensemble et en bonne intelligence dans le cadre de l’examen des dispositions relatives à l’audiovisuel extérieur. Elles ont ainsi procédé, le 2 décembre dernier, à une audition commune du président-directeur général de la société Audiovisuel extérieur de la France, M. Alain de Pouzilhac, et de sa directrice générale déléguée, Mme Christine Ockrent. Ce travail en bonne entente a permis d’aboutir à des conclusions identiques ou très proches.
Permettez-moi d’ailleurs de saluer le travail effectué par les deux co-rapporteurs de la commission des affaires culturelles, Mme Catherine Morin-Desailly et M. Michel Thiollière, ainsi que par le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, M. Bruno Retailleau, que nous venons d’entendre.
Depuis plusieurs années, des parlementaires de sensibilités diverses appelaient de leurs vœux une réforme de l’audiovisuel extérieur.
À la différence de nos partenaires européens, qui disposent souvent d’un opérateur unique, comme la BBC pour le Royaume-Uni ou la Deutsche Welle pour l’Allemagne, l’audiovisuel extérieur français se caractérisait par la dispersion de ses opérateurs. Il comprenait ainsi deux chaînes de télévision, TV5 Monde et France 24, et deux radios, Radio France Internationale et sa filiale en langue arabe, Monte Carlo Doualiya.
De nombreux rapports avaient mis en évidence la fragmentation, la mauvaise organisation, voire le manque d’efficacité de l’audiovisuel extérieur français, malgré un budget équivalent à celui de nos partenaires. Sur l’initiative du Président de la République, un comité de pilotage a donc été chargé d’une réflexion sur la réforme de ce secteur et a remis ses conclusions en décembre 2007.
Ce rapport fixe deux missions à l’audiovisuel extérieur. La première est une mission d’influence, la France devant pouvoir rivaliser avec les grands médias internationaux tels que CNN ou Al Jazeera. La seconde est une mission culturelle consistant à promouvoir nos valeurs, à savoir la francophonie, la démocratie et les droits de l’homme.
Ces travaux ne sont pas restés lettre morte, puisque la principale recommandation du comité, la création d’une société holding Audiovisuel extérieur de la France, a été suivie d’effets en avril 2008.
Cette holding, qui a vocation à regrouper l’ensemble des participations publiques dans les sociétés du secteur audiovisuel extérieur, a pour mission de définir les priorités stratégiques et d’encourager les synergies entre les opérateurs que j’ai précédemment mentionnés.
Cette réforme vise donc à offrir plus de cohérence et d’efficacité à notre audiovisuel extérieur, et, tout à fait normalement, les deux projets de loi qui nous sont soumis comportent plusieurs dispositions visant à la prolonger.
Ainsi, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision fait de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France une société nationale de programme, ce qu’elle n’était pas auparavant, à l’image de France Télévisions et de Radio France. Il définit ses missions, ainsi que ses moyens d’action.
De plus, nos collègues députés ont précisé par un amendement que, à l’instar des autres sociétés de programme, le capital de cette société restera entièrement détenu par l’État. Cette initiative me paraît bienvenue au regard de l’expérience malheureuse et, disons-le, tumultueuse de la reprise par l’État de la participation de TF1 dans le capital de France 24.
Les règles de gouvernance de la holding, notamment la composition de son conseil d’administration et la procédure de nomination de son président, sont largement inspirées de celles de France Télévisions et de Radio France.
Enfin, en proposant de soumettre la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France à l’obligation de conclure un contrat d’objectifs et de moyens avec l’État, le projet de loi vise à combler une faille majeure : l’absence de véritable pilotage stratégique de l’audiovisuel extérieur. En raison des déficiences de la tutelle de l’État, cette obligation ne s’est jamais concrétisée pour Radio France Internationale, alors même que la loi l’impose depuis 2000.
La grande nouveauté du projet de loi tient donc au fait que Radio France Internationale, France 24 et, dans une certaine mesure, TV5 Monde seront désormais pilotées en fonction d’une stratégie globale, dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens.
Ce document sera commun à l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel extérieur et, surtout, il contiendra des engagements pluriannuels de l’État sur le financement du secteur, ce qui est indispensable pour des sociétés audiovisuelles intervenant dans un contexte très concurrentiel.
Comme nous pouvons le constater, les règles applicables à la société en charge de l’audiovisuel extérieur sont largement inspirées de celles qui sont relatives à France Télévisions ou à Radio France. La réforme de l’audiovisuel extérieur est donc parfaitement cohérente avec celle de l’audiovisuel public national.
À l’occasion de l’examen des deux textes présentés, la commission des affaires étrangères a adopté plusieurs amendements visant à conforter cette réforme.
Ceux-ci peuvent être regroupés en trois volets.
Tout d’abord, tout en approuvant les nouvelles règles relatives à la gouvernance de la société en charge de l’audiovisuel extérieur, nous avons souhaité porter de quatre à cinq le nombre de personnalités indépendantes désignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour siéger à son conseil d’administration. Nous obtiendrons ainsi un nombre de membres équivalent à celui de France Télévisions.
Ensuite, en précisant qu’une de ces personnalités au moins doit disposer d’une expérience reconnue dans le domaine de la francophonie, nous avons voulu conforter la place de la francophonie dans la réforme de l’audiovisuel extérieur et rassurer nos partenaires francophones, en particulier ceux qui travaillent avec nous au sein de TV5 Monde.
Enfin, compte tenu de l’importance de l’audiovisuel extérieur pour la place et l’influence de la France et de notre langue au niveau international, il nous a semblé indispensable que la commission des affaires étrangères soit pleinement associée au contrôle parlementaire sur la société en charge de cette activité.
En effet, comment justifier, dès lors que la holding sera soumise à l’obligation de conclure un contrat d’objectifs et de moyens, que les commissions des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat ne soient pas destinataires de ce document au même titre que les commissions des affaires culturelles et les commissions des finances des deux assemblées ? Il y a ici une anomalie dont je m’étonne qu’elle n’ait pas été corrigée lors des débats à l’Assemblée nationale.
Enfin, pour conclure, je voudrais évoquer le financement de l’audiovisuel extérieur. La loi de finances pour 2009 attribue à ce dernier un montant d’environ 300 millions d’euros, en provenance de deux sources différentes : 65 millions d’euros au titre de la redevance audiovisuelle et 233 millions d’euros de subventions de l’État.
À titre de comparaison, le financement de l’audiovisuel public national s’élève à près de 3 milliards d’euros, dont plus de 2 milliards d’euros au titre de la redevance.
Quant à la dotation d’ARTE – ce n’est pas une critique, car j’apprécie le travail et la qualité de cette chaîne –, elle s’élève à elle seule à 300 millions d’euros alors que la structure est franco-allemande. Plus de 220 millions d’euros sont versés au titre de la redevance, soit l’équivalent de l’ensemble des crédits des opérateurs de l’audiovisuel extérieur pour une couverture mondiale.
Selon le document de programmation triennale, la subvention versée à la holding Audiovisuel extérieur de la France devrait même diminuer sur les trois prochaines années, passant de 233 millions d’euros en 2009 à 218 millions d’euros en 2010, puis à 203 millions d’euros en 2011.
Certes, j’en conviens, le développement des synergies et des mutualisations entre les opérateurs devrait favoriser des économies d’échelle, que je souhaite vivement voir se réaliser.
Pour autant, dans un contexte très concurrentiel, marqué par le développement de nouvelles technologies, évoqué voilà un instant, la réforme de notre audiovisuel extérieur serait, me semble-t-il, compromise si ses moyens venaient à diminuer fortement dans les prochaines années.