M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Très juste !
M. Joseph Kergueris, rapporteur pour avis. Je pense non seulement au basculement de l’analogique au numérique, au développement d’émissions originales, au multimédia, mais aussi aux nécessaires réformes de structures, qui ont toujours, les premières années, un coût relativement élevé.
C’est la raison pour laquelle, tout en étant conscient des fortes contraintes budgétaires pesant sur notre pays, j’avais proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, plusieurs amendements visant à garantir un financement pérenne de l’audiovisuel extérieur. L’un d’entre eux – mais c’est déjà du passé ! – avait en particulier pour objet de transférer à l’audiovisuel extérieur la part de la redevance audiovisuelle actuellement versée à l’Institut national de l’audiovisuel, transfert intégralement compensé par une réduction d’un montant équivalent de la subvention versée à la holding.
Devant les réticences exprimées à la fois par certains de nos collègues et par le Gouvernement, j’avais toutefois accepté de retirer ces amendements.
Madame la ministre, vous avez en effet pris l’engagement que la question du financement de l’audiovisuel extérieur serait examinée à l’occasion du futur contrat d’objectifs et de moyens, dont le contenu, je l’espère, sera de nature à apaiser nos craintes.
Tels qu’ils ont été adoptés par l’Assemblée nationale, les deux projets de loi ne remettent pas en cause le mode de financement de l’audiovisuel extérieur. La suppression progressive de la publicité ne s’y appliquera pas.
Cependant, afin de trouver des ressources supplémentaires pour compenser la perte des recettes publicitaires, la tentation existe de transférer à France Télévisions la part de la redevance audiovisuelle versée aujourd’hui à l’audiovisuel extérieur. L’argument souvent employé pour justifier une telle mesure consiste à dire qu’il n’est pas normal que les Français payent une part de redevance à des médias qu’ils ne peuvent regarder ou écouter sur le territoire national.
Toutefois, cet argument ne me paraît pas réellement pertinent. D'une part, nombre de nos compatriotes résident à l’étranger et ont aussi le droit de recevoir des médias en français. D'autre part, ce domaine est d’une rare importance pour l'ensemble de notre pays.
À mon sens, la réforme de l’audiovisuel extérieur serait compromise si elle ne s’accompagnait pas de la garantie d’un financement pérenne.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations et de ces propositions d’amendements, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable à l’adoption de ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. David Assouline.
M. Jean-Pierre Bel. Le groupe socialiste va enfin pouvoir s’exprimer !
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée est bafouée et humiliée, et je sais que ce sentiment est partagé au-delà même des travées de mon groupe.
Le Président de la République a annoncé la fin de la publicité sur France Télévisions voilà exactement un an. Cela ne figurait pas dans son contrat passé avec les Français pendant la campagne de l’élection présidentielle. Ni le Premier ministre, ni vous, madame la ministre, – il fallait voir vos têtes quand Nicolas Sarkozy en a fait l’annonce ! –, ni même le président de France Télévisions n’avaient été informés. Au mieux, on trouve trace d’une telle recommandation dans un Livre blanc de TF1 à destination du pouvoir, comme par hasard...
M. Jacques Mahéas. Écrit par Bouygues !
M. David Assouline. Ensuite, on a « habillé » le fait du prince avec l’aide du très indépendant M. Copé : une commission composée de façon curieuse s’est réunie pendant des mois, mais sans avoir le droit de remettre en cause le bien-fondé de l’annonce présidentielle et à seule fin de rendre possible sa concrétisation. Nous avons cependant joué le jeu en participant à ses travaux, avec la volonté de proposer tout ce qui pouvait aller dans le sens du renforcement du service public de l’audiovisuel : nous avons milité pour la qualité de ses programmes, même si elle est déjà grande, pour sa modernisation, même si elle est déjà engagée avec les prémices du média global, projet dont le développement ne sera possible qu’avec l’engagement de personnels, qui, souvent décriés, sont pourtant compétents, innovants et dévoués au service public.
Quand nous avons constaté que les propositions dont accoucherait la commission affaibliraient le service public, feraient peser de lourdes menaces sociales sur les salariés de France Télévisions, ne permettraient pas de financer les investissements nécessaires à la modernisation du groupe, limiteraient l’indépendance économique et politique de ce dernier, nous avons quitté cette commission, en donnant au Gouvernement le seul rendez-vous qui vaille pour délibérer valablement en démocratie : celui du débat parlementaire.
On a appris par la suite que, faisant fi même de l’avis de la commission Copé, le Président de la République avait introduit dans la réforme la nomination et la révocation, par lui-même, des P-DG de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur.
Annoncés cet été pour laisser le temps au Parlement de débattre avant un éventuel arrêt de la publicité dès le 5 janvier 2009, les deux projets de loi ne furent mis en débat à l’Assemblée nationale qu’en novembre et, comme c’est l’habitude depuis quelques années, l’urgence fut déclarée pour réduire la discussion publique à sa plus simple expression.
Or, pour vous, c’était encore trop ! Dès lors, vous n’avez cessé de vilipender l’opposition alors qu’elle ne faisait que son devoir à l’Assemblée nationale, en résistant avec force.
Aujourd’hui, la réforme, née du seul fait du prince, parvient au Sénat, qui ne pourra se contenter, comme le montrent d’ores et déjà les propositions d’amendements de la commission des affaires culturelles, d’exaucer le vœu présidentiel.
Toutefois, madame la ministre, puisque le Président de la République et son gouvernement ne s’interdisent rien quand il s’agit de piétiner les prérogatives des assemblées, vous avez ordonné à la direction de France Télévisions, avant même que nous commencions à étudier le rapport en commission, de faire acter par son conseil d’administration le vœu émis par Nicolas Sarkozy voilà un an !
Depuis lundi dernier, ce vœu est devenu réalité.
« Circulez, il n’y a plus rien à voir », nous dit-on ! Mais alors, à quoi servons-nous ? À quoi sert la démocratie ? Vous vous moquez de nous et de la démocratie dans cette affaire, et j’espère qu’il y aura quelques consciences républicaines, au-delà des travées de mon groupe et de l'ensemble de l’opposition, pour vous le dire ! (M. Dominique Braye s’exclame.)
J’espère que ce scandale, ce déni de démocratie, ce mépris du Parlement ne se passeront pas dans le silence et que ces projets de lois ne passeront pas tout court. Et, mes chers collègues, c’est possible ! Tout n’est pas joué d’avance, car, ici, nous avons le pouvoir de délibérer autrement qu’en nous soumettant aux ordres. Nous allons donc essayer de servir à quelque chose !
Il nous faut tout d’abord éclairer les citoyens sur l’enjeu du débat : s’agit-il de reprendre une idée prétendument de gauche, comme on nous l’a dit, qui consiste à réduire progressivement le temps de diffusion de publicité sur les antennes du service public en augmentant tout aussi progressivement le montant de la redevance pour donner à la télévision publique les moyens de ses ambitions ? Bien sûr que non !
C’est pourtant ce qu’a essayé de nous faire croire le Président de la République, en affirmant, en janvier 2008, son intention que l’audiovisuel public ne fonctionne plus « selon des critères purement mercantiles ». Oui, c’est Nicolas Sarkozy qui l’a dit, et il faudrait croire que c’est sa conviction profonde, lui qui a toujours prôné l’inverse, y compris dans sa campagne présidentielle, quand il affirmait qu’il fallait au contraire plus de publicité sur les chaînes publiques pour améliorer le financement de France Télévisions !
C’est pourquoi j’affirme ici que l’idéologie ultralibérale du Président de la République et sa conception de la culture et de l’audiovisuel en général ne sont pas habitées par la conviction que la publicité et la recherche de l’« audimat facile » sont des nuisances. Il en a donné la preuve en permettant aux télévisions privées d’augmenter la durée de leurs messages publicitaires, ces télévisions qui sont celles de ses amis, notamment ceux de TF1 qui le réclamaient dans leur fameux Livre blanc. Décidément, il y en a qu’on écoute au « château » ! La preuve, c’est l’autorisation de la seconde coupure publicitaire pendant les films, laquelle, on le sait, ne contribuera pas au respect des œuvres et de leur qualité. TF1 est pourtant une chaîne très regardée par les Français. Nos concitoyens pourraient-ils donc y subir, sans broncher, une overdose publicitaire et regarder des programmes de mauvaise qualité ?
M. Robert del Picchia. Ils ont une télécommande !
M. David Assouline. Avec, en prime, les encouragements et les facilités de celui qui s’émeut des effets néfastes de la publicité pour la qualité des programmes du service public ?
Quelle supercherie ! Ceux qui font mine de croire à la sincérité du chef de l’État et qui ne se privent pas d’attaquer la gauche sur le thème « nous osons faire ce dont vous avez toujours rêvé » ont entretenu la confusion du débat pour masquer le véritable enjeu de la réforme, lequel s’inscrit dans la parfaite continuité de la politique conduite dans tous les domaines par le Président de la République depuis 2007 : favoriser les concurrents privés du service public, remettre en cause celui-ci en l’affaiblissant et en portant atteinte à son indépendance.
Madame la ministre, c’est de cela qu’il s’agit dans les deux projets de lois que vous nous présentez aujourd'hui, et je veux ici vous le démontrer point par point.
Premier point, vous voulez favoriser la concurrence privée.
À cet égard, reconstruire la généalogie des « cadeaux » faits aux groupes privés de télévision par la droite au pouvoir depuis 2002 est édifiant.
Il y eut, d’abord, la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, qui offre sans condition un deuxième canal aux éditeurs historiques de chaînes de télévision lors de l’extinction de la diffusion analogique prévue en 2011. Cela permet en particulier à TF1, qui a « raté » le virage de la télévision numérique terrestre au début des années 2000, de rattraper son retard sans effort.
Il y eut, ensuite, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, qui autorise un actionnaire à être majoritaire au capital d’une société éditant une chaîne de télévision réalisant jusqu’à 8 % de taux d’audience, alors que ce plafond était auparavant limité à 2,5%. Cela permet d’ores et déjà à TF1, comme on vient de l’apprendre ce matin, d’envisager de prendre le contrôle de TMC, la chaîne leader de la TNT gratuite.
Et ces présents d’hier n’ont fait que précéder les cadeaux d’aujourd’hui.
Selon l’Agence des participations de l’État, les recettes consolidées de publicité et de parrainage de France Télévisions atteignaient 823 millions d’euros au titre de l’exercice 2007. Pour sa part, la commission Copé a chiffré, par consensus, à 450 millions d’euros les recettes engendrées par les écrans de publicité programmés après vingt heures.
Toutes choses égales par ailleurs, l’arrêt de la diffusion de la publicité sur les antennes de France Télévisions profitera principalement, et a d’ailleurs d’ores et déjà profité, aux chaînes ayant la capacité de commercialiser des écrans publicitaires sur les plages horaires captant les audiences les plus importantes, c’est-à-dire TF1 et, dans une moindre mesure, M6. Ainsi, selon des études récentes, la part de TF1 sur le marché de la publicité télévisée restera supérieure à 50 % dans les cinq ans à venir : autrement dit, l’essentiel du chiffre d’affaires réalisé jusqu’alors par les antennes de France Télévisions après vingt heures, qui correspond en valeur à près de 10 % du montant total des investissements publicitaires à la télévision, est en train d’être majoritairement capté par les concurrents historiques des chaînes publiques.
Ce transfert de valeur du secteur public vers le secteur privé sera d’autant plus important que le projet de loi soumis à notre examen autorise les éditeurs privés à insérer une deuxième coupure publicitaire pendant la diffusion des films et des téléfilms. De plus, un décret devrait prochainement acter, d’une part, le passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge pour le calcul de la durée des écrans de publicité, permettant ainsi la programmation de très longs tunnels de « réclame », et, d’autre part, la diffusion de neuf minutes de publicité par heure, alors que ce volume était jusqu’à présent limité à six minutes.
Qui plus est, afin d’optimiser au maximum leurs recettes dans une conjoncture économique difficile, TF1 et M6 ont engagé, dès le mois de septembre dernier, une politique commerciale très offensive pour vendre leurs écrans avant vingt heures, à des heures auxquelles la concurrence avec les antennes de France Télévisions est très vive depuis deux jours.
Il faut ajouter à cette impressionnante liste de cadeaux le prix, plus que survalorisé, payé par l’État à TF1 pour acquérir la moitié des parts du capital de la société France 24. Ainsi, pour une mise initiale de 18 500 euros réalisée voilà cinq ans,…
M. Dominique Braye. Oh !
M. David Assouline. …TF1 récupère 2 millions d’euros…
M. Dominique Braye. Oh !
M. David Assouline. … au terme de l’accord signé en octobre dernier, tout en restant l’un des principaux fournisseurs d’images de la chaîne !
M. Dominique Braye. Oh !
M. David Assouline. Visiblement, tout cela émeut beaucoup M. Braye ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Ivan Renar. C’est un scandale !
M. David Assouline. De fait, ces avantages concédés sans contrepartie à des acteurs économiques privés constituent de véritables délits de favoritisme,…
M. Dominique Braye. Oh !
M. David Assouline. …dont la « légalisation » devrait en outre freiner le développement des acteurs de la télévision numérique terrestre, qui captent environ 5 % des investissements publicitaires annuels, mais dont le chiffre d’affaires sera taxé à hauteur de 3 % dès 2009,…
M. Dominique Braye. Ah !
M. David Assouline. …alors que celui des opérateurs historiques, qui profiteront de la publicité captée de l’audiovisuel public, ne le sera qu’à hauteur de 1,5 %.
M. Dominique Braye. Oh !
M. David Assouline. Outre les forts doutes pesant sur la constitutionnalité de ce curieux dispositif fiscal, la pratique qui consiste à sanctionner les acteurs les plus dynamiques et les plus jeunes d’un secteur au profit des acteurs les moins innovants…
M. Dominique Braye. Oh !
M. David Assouline. …semble contredire tous les préceptes de la théorie économique.
Où est d’ailleurs la cohérence de l’action économique de ce gouvernement ? Certainement pas dans la contradiction insoluble entre, d’un côté, la volonté de faire de la France un pays moteur de la révolution numérique en mettant lourdement à contribution les opérateurs de télécommunications et, de l’autre, l’invention d’une nouvelle taxe pesant sur le chiffre d’affaires de ces mêmes entreprises prévue par le projet de loi ordinaire que nous examinons.
Tout en appelant fortement de nos vœux la participation des groupes de télécommunications au financement de la création, que le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ne prévoit malheureusement pas, nous ne pouvons que nous interroger sur le bien-fondé économique des taxes créées par cette réforme. D’une part, leurs produits ne compenseront pas le coût des nouvelles dotations consenties provisoirement aux sociétés de l’audiovisuel public mais, surtout, leur impact financier pour les entreprises assujetties sera directement répercuté sur les prix des abonnements téléphoniques qu’elles vendent, c’est-à-dire, en fin de compte, sur le pouvoir d’achat des ménages !
L’entrée en vigueur des dispositions du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision entraînera donc un bouleversement profond de l’ensemble de l’économie du paysage audiovisuel français, dont la fin réelle – protéger et renforcer les groupes privés historiques – s’oppose fondamentalement à la nécessité démocratique d’entretenir un « écosystème » favorable à la diversité et à la pluralité des acteurs, publics et privés.
J’en viens au deuxième point, qui concerne la remise en cause du service public.
Ce texte organise en réalité l’affaiblissement du service public pour mieux préparer sa transformation en instrument du pouvoir.
Depuis un an, rien n’aura été épargné aux collaborateurs de France Télévisions : de l’annonce « surprise » de la suppression de la publicité depuis le palais présidentiel jusqu’à l’ordre donné à la direction du groupe de ne plus commercialiser d’écrans publicitaires après vingt heures dès le 5 janvier, en passant par le vœu du patron du Service d’information du Gouvernement, le SIG, de diffuser une « émission de communication gouvernementale » sur les antennes du service public.
Plus fondamentalement, la transformation de France Télévisions en entreprise unique, changement qui pourrait être utile pour accompagner la mutation de la télévision publique en « média global », ne s’accompagne ni de garantie sur la pérennité du périmètre du groupe ni d’aucune assurance sur le maintien de l’identité de ses chaînes, de leur autonomie éditoriale et de leurs moyens de fonctionnement.
Qui plus est, certains, dans les sphères gouvernantes, ont entretenu avec une délectation certaine ce climat d’instabilité : par exemple, lorsqu’un parlementaire réputé proche du chef de l’État – vous le connaissez tous – multiplie les déclarations fracassantes en semblant devancer les désirs de ce dernier ; plus encore, lorsque les services du Premier ministre oublient de mentionner, dans le projet de cahier des charges de la future entreprise unique, le caractère national des programmes d’information diffusés par France 3, fragilisant par cette omission l’existence de la rédaction du siège de la chaîne, dont le 19/20 est pourtant une référence en matière de journaux télévisés, rencontrant un réel succès d’audience depuis sa création.
Dans le même temps, la volonté de créer une « voix de la France » hors de nos frontières a précipité la restructuration des opérateurs de l’audiovisuel public extérieur. La suppression de la diffusion des programmes de RFI en de nombreuses langues, dont l’allemand et le russe, ne peut que susciter l’inquiétude de tous ceux qui sont attachés au rayonnement de notre culture à l’étranger, en particulier sur le continent européen.
C’est donc dans une ambiance délétère, marquée par les restrictions budgétaires touchant aux missions internationales des grands reporters comme aux productions locales de France 3, que les équipes de notre télévision publique continuent à travailler, avec un dévouement auquel la représentation nationale doit rendre hommage et qui permet aux programmes du service public de réunir encore près de 35 % des téléspectateurs, ce qui fait de France Télévisions l’un des premiers groupes audiovisuels européens par son audience.
Comme le soulignait récemment Dominique Wolton, la réforme en cours est d’autant plus injustifiée qu’« après deux décennies de crise d’identité face aux chaînes privées, la télévision publique commençait à retrouver sa place, grâce au public qui ne l’a jamais lâchée ».
Le brutal retour en arrière que nous propose le Gouvernement dans l’organisation et le fonctionnement de la télévision publique est d’autant plus inacceptable que, une nouvelle fois, le mépris du Parlement et de toute forme de délibération publique gouverne l’élaboration des projets de loi le transcrivant. Conformément à la pratique en vigueur depuis mai 2007 au sommet de l’État, l’annonce de la réforme par le Président de la République fut en effet suivie d’une période de grande confusion, significative d’une personnalisation extrême du pouvoir, qui aboutit à la création d’une nouvelle structure ad hoc chargée de légiférer à la place du législateur, dans la lignée des commissions Attali, Mallet et autre comité Balladur. Et ce n’est pas fini !
Installée le 19 février 2008, et réunissant notamment les compétences et l’expérience de professionnels reconnus du secteur de l’audiovisuel, la commission Copé dut vite convenir que la seule solution pour assurer un financement pérenne de la télévision publique sans le complément des recettes publicitaires était bien sûr d’augmenter la redevance. Immédiatement rappelé à l’ordre par le chef de l’État, le président de la commission dut battre en retraite. D’où le « bricolage » auquel ressemblent les propositions de la commission Copé, alternant efforts de gestion aux effets de réduction des coûts surévalués et création de nouvelles taxes sans logique économique.
Tous les connaisseurs de l’audiovisuel savent pourtant, à l’instar de ce que recommande l’Union européenne de radiodiffusion, l’UER, que l’une des deux conditions nécessaires à l’indépendance de l’audiovisuel public tient à ce que son financement soit assuré par un régime sûr et pérenne, garant des moyens utiles à l’accomplissement de sa mission de service public, et dont les modalités de fixation et d’allocation ne sauraient dépendre du bon vouloir du gouvernement en place.
Dès lors, il revient à ce gouvernement la responsabilité de graver dans le marbre de la loi les modalités d’un régime de financement aussi exigeant, en respectant chacun des critères que je viens d’énoncer, comme le font d’ailleurs de nombreux voisins européens de la France, telle l’Allemagne, dont l’expérience a été citée en exemple par Mme le rapporteur.
Parfaitement au fait de ces problématiques, la commission des affaires culturelles, sur l’initiative régulière de notre ancien collègue M. de Broissia, et avec le soutien permanent du président Valade, a renouvelé depuis longtemps sa préoccupation que le financement de l’audiovisuel public soit assuré par une ressource dynamique et pérenne, en proposant notamment d’indexer l’évolution du taux de la redevance sur l’inflation.
Mais l’augmentation, même minime, de la redevance constitue une « rupture » d’autant plus inacceptable pour le chef de l’État que le sous-financement chronique que subit France Télévisions, en particulier, depuis quelques années est directement lié au retour de la droite au pouvoir en 2002. Parmi les premières décisions du gouvernement Raffarin figurait en effet l’arrêt du plan de développement numérique de France Télévisions, conçu par Marc Tessier.
Parallèlement, les pouvoirs publics organisèrent le tarissement du financement de ce plan ambitieux, qui était assuré par une augmentation progressive du taux de la redevance.
Ainsi était brisé le cercle vertueux enclenché par la loi Trautmann-Tasca d’août 2000 et concrétisé par la signature du premier contrat d’objectifs et de moyens liant France Télévisions à l’État, dont la poursuite aurait achevé la transformation de la télévision publique en un groupe puissant et diversifié, doté d’une stratégie numérique ambitieuse et d’un financement public pérenne et dynamique.
Dans ce contexte, la seule annonce de la décision de supprimer la publicité des antennes de la télévision publique, qui suffit à entraîner la migration d’une part importante des investissements publicitaires vers les chaînes privées dès 2008, a profondément mis en danger l’équilibre économique de France Télévisions.
Expliquez-nous, madame la ministre, comment les dirigeants de France Télévisions pourront financer, dans cette situation, les investissements nécessaires à la transformation des antennes publiques en média global, dont le coût annuel a été évalué à 200 millions d’euros par la commission Copé, tout en assurant le retour à l’équilibre des comptes et en reconstituant les capitaux propres et la trésorerie de l’entreprise !
Expliquez au Sénat, chambre représentative des collectivités locales, comment la direction de France Télévisions, soumise à de telles contraintes financières, pourra continuer à faire fonctionner les antennes régionales de France 3, qui diffusent des programmes d’information et de proximité auxquels les Français sont si attachés !
Sauf à croire aux miracles, la réponse est simple : la direction de France Télévisions devra restructurer en profondeur le groupe, en supprimant de nombreux emplois et en « taillant » dans les budgets des programmes, voire en sacrifiant une partie de son périmètre.
Quant au troisième point, il consiste à remettre en cause l’indépendance de l’audiovisuel public.
Il faut toujours se rappeler quel état d’esprit anime le chef de l’État dans ses rapports avec la presse, cet état d’esprit ayant notamment été révélé lorsqu’il déclara publiquement rêver d’en « finir avec le journalisme de dénigrement pour promouvoir un journalisme pédagogique de l’action gouvernementale ».Voilà sa doctrine !
La véritable « reprise en mains » que connaissent actuellement RFI et France 24 s’inscrit parfaitement dans cette logique, avec les licenciements, depuis septembre dernier, de trois responsables de la rédaction de France 24, professionnels reconnus, dont deux sont des journalistes titulaires du prix Albert Londres.
La même logique est à l’œuvre avec cette réforme, qui inscrira la vie sociale des chaînes de radio et de télévision publiques dans l’agenda politique, celui qui rythmera la nomination et la possible révocation de leurs dirigeants. Désormais, les dirigeants des chaînes publiques ne se donneront plus pour objectifs la qualité des programmes ou la crédibilité de l’information diffusés sous leur responsabilité, car ils seront obsédés par la seule ambition de durer, c’est-à-dire de ne pas déplaire au pouvoir.
Dans un tel contexte, comment les journalistes, mais aussi les responsables d’unités de programme, pourraient-ils rester tout à fait libres de leurs choix éditoriaux, tout à fait indépendants dans leur travail ?
C’est à l’intégrité et à la crédibilité mêmes du travail des journalistes et de tous les professionnels de la télévision que sont les collaborateurs de France Télévisions que cette réforme porte aujourd’hui atteinte.
Souvenons-nous, mes chers collègues, que c’est notre assemblée qui amenda, sur l’initiative du groupe socialiste, le projet de loi constitutionnelle voulu par le Président de la République, afin que notre loi fondamentale dispose, dans son article 34, que « la loi fixe les règles concernant [...] la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias [...] ».
Cette nouvelle obligation incombant au législateur devrait obliger celui-ci à concevoir un régime de désignation des dirigeants des organismes de l’audiovisuel public garantissant leur liberté à l’égard du pouvoir.
Un nouveau régime de nomination et de révocation, digne de la radio et de la télévision publiques d’une grande démocratie, pourrait consister en l’élection de leurs présidents par les conseils d’administration des sociétés, qui seraient majoritairement composés de personnalités qualifiées désignées par un CSA lui-même profondément rénové et enfin indépendant.
Si, malheureusement, les projets de lois organique et ordinaire que nous examinons aujourd’hui n’étaient pas amendés afin de garantir l’indépendance du service public de l’audiovisuel du double point de vue des modalités de son financement et de la désignation de ses dirigeants, leur inconstitutionnalité serait évidente.