M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On pourrait ajouter les affaires de terrorisme !
M. Michel Charasse. Oui, c’est un élément de la sécurité intérieure et extérieure !
Sur ces points-là, au moins, je souhaiterais vraiment que l’on me réponde.
Quant au régime des perquisitions, le texte, si j’ai bien compris, est inutilement compliqué, puisque c’est un magistrat qui décidera lui-même, sur place, quels seront les documents que l’on prendra et ceux que l’on ne prendra pas. Je relève qu’on ne sait pas si c’est un magistrat du siège ou du parquet.
Mais après ce tri, que se passera-t-il ? Eh bien ! ce magistrat donnera tout simplement les papiers saisis à la police judiciaire et à d’autres juges, on les mettra dans le dossier, auquel les parties ont accès, et tout sera donc rapidement sur la place publique !
Mes chers collègues, ne faudrait-il pas prévoir, tout de même, de tirer les conséquences de cette divulgation si la vie du journaliste se trouve, de ce fait, en danger, par exemple dans une sale affaire de drogue ou de trafic d’armes ? Je me pose la question.
Pour ma part, je considère que nous sommes confrontés à une situation où le magistrat qui réalise la perquisition devrait conserver par-devers lui en permanence ces éléments, qui garderaient systématiquement un caractère secret, ce qui pose évidemment le délicat problème de l’accès des parties au dossier.
Madame le garde des sceaux, je crois qu’il faudrait aussi trouver le moyen d’expliciter clairement quelles sont les professions concernées. La commission des lois s’y est essayée, et d’autres collègues ont évoqué ce problème tout à l'heure, notamment Mme Boumediene-Thiery, me semble-t-il.
Il doit être entendu que tous ceux qui collaborent, de près ou de loin, à l’élaboration et à la rédaction d’un journal ou d’un organe de presse écrite, parlée ou télévisée sont concernés par ce texte. Il serait mieux qu’on en ait l’assurance très claire !
Voilà, monsieur le président, les quelques brèves remarques que je voulais faire. En ce qui me concerne, sans être, comme d’autres ici, faussement béat d’admiration devant la presse, je suis tout prêt à donner aux journalistes les moyens d’exercer librement leur métier, dès lors que les droits de la société sont préservés. Car aucun corporatisme ne saurait exiger que ces droits passent avant tout ce qui concerne la nation, le pays, l’État, bref, la société au sens de 1789, qui constitue le centre de la Déclaration la plus fondamentale de la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souhaite tout d’abord remercier M. Legendre du soutien qu’il a bien voulu apporter à ce texte, au nom de son groupe mais aussi en qualité de président de la commission des affaires culturelles.
Il est exact que ce projet de loi est très attendu ; les journalistes et leurs représentants professionnels l’appellent de leurs vœux depuis longtemps. Je me souviens d'ailleurs que, pendant la dernière campagne présidentielle, ils ont fait état de demandes qui se trouvent aujourd'hui satisfaites dans ce texte.
Monsieur Zocchetto, comme vous l’avez souligné, la France était très en retard en la matière. J’espère donc que ce texte recueillera le soutien de la Haute Assemblée, sur l’ensemble des travées.
Monsieur Lefèvre, je partage votre avis : ce projet de loi contribue à renforcer notre démocratie. La protection des sources constitue l’une des pierres angulaires de la liberté d’expression, mais c’est aussi une condition d’exercice de la liberté de la presse et de la démocratie : nous savons tous, et d'ailleurs M. Charasse vient de le rappeler, qu’il ne peut y avoir de liberté de la presse sans une véritable protection des sources.
Madame Mathon-Poinat, j’ai bien entendu votre critique sur l’inscription, que vous estimez tardive, de ce texte à l’ordre du jour du Sénat. Toutefois, la commission des lois, en particulier son rapporteur, a examiné ce projet de loi de façon approfondie et avec le plus grand sérieux.
On ne peut affirmer que la réflexion a été hâtive ou que nous découvrons la question de la protection des sources : celle-ci a été longuement débattue à l’Assemblée nationale et au sein de la commission des lois du Sénat, notamment.
Monsieur Sueur, vous considérez que ce texte ne va pas assez loin. Voilà des années que l’on parle de la protection des sources, et la seule avancée que l’on doit à la gauche en la matière fut la loi du 4 janvier 1993, dont le dispositif était extrêmement limité. Cette loi a constitué une avancée timide : elle concernait simplement l’audition du journaliste comme témoin devant le juge d’instruction. C’était le seul stade de la procédure où le journaliste bénéficiait d’une protection des sources : il pouvait invoquer le droit au silence.
Aujourd'hui, le Gouvernement va plus loin et propose un texte global, qui garantit véritablement le secret des sources. Toutefois, quand on touche aux libertés publiques, il faut maintenir un équilibre. La surenchère ne sert pas la cause de la liberté, et encore moins celle de la démocratie. Du reste, la Cour européenne des droits de l’homme n’en demande pas tant ! Le projet de loi va bien au-delà des recommandations formulées par ladite cour dans les décisions que celle-ci a pu rendre.
Monsieur Sueur, je ne peux pas non plus laisser dire que ce texte serait une « coquille vide ».
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’ai pas dit cela !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous avez affirmé que, finalement, ce projet de loi ne comportait pas de dispositions importantes et qu’il faudrait aller plus loin !
Vous avez soutenu également que ce texte se limitait à poser un principe fondamental, ce qui est inexact. En modifiant la loi de 1881, nous instituons un principe général du droit, qui produira des effets juridiques extrêmement importants.
Ce projet de loi s’applique donc à des situations concrètes et répond à des préoccupations réelles, qui d'ailleurs ont été exprimées par les journalistes eux-mêmes. Il protège le secret des sources au sens le plus large de l’expression. Il bénéficie aux journalistes, mais aussi à leurs collaborateurs, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a souhaité, et aux proches qui peuvent partager avec eux ce secret.
Enfin, ce texte encadre tous les actes d’investigation : il étend la protection du secret des sources à tous les stades de la procédure et à tous les actes d’investigation, en particulier les perquisitions, les écoutes téléphoniques …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On n’a pas évoqué le cas du terrorisme !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. …et l’identification des correspondants du journaliste par voie de réquisition. Tous ces actes sont désormais extrêmement contrôlés, ce qui constitue une avancée sans pareille.
Mme Boumediene-Thiery, vous souhaitez que la loi soit plus précise. Je pense que les amendements de la commission des lois, notamment, répondront à l’essentiel des préoccupations que vous avez exprimées. Mais je tiens à rappeler que la loi est faite pour offrir des éléments d’appréciation aux magistrats. Il faut donc faire confiance à ces derniers, …
M. Michel Charasse. Point trop n’en faut !
M. Michel Charasse. Ils ne doivent pas faire la loi à notre place !
M. Jean-Pierre Sueur. La loi doit être claire !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La loi est claire, monsieur Sueur, mais elle laisse une marge d’appréciation.
M. Michel Charasse. Qui ne doit pas être trop grande !
M. Jean-Pierre Sueur. Quid de « l’impératif prépondérant d’intérêt public » ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je rappelle que les magistrats sont aussi les gardiens des libertés individuelles.
M. Michel Charasse. Le Conseil constitutionnel a toujours censuré les textes qui laissaient une marge d’interprétation trop grande !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ils disposent de pouvoirs importants, qu’ils exercent dans les limites fixées par la loi.
Le droit doit être souple pour que les magistrats puissent rester au contact des réalités et des besoins.
Le présent projet de loi est donc un bon texte : des limites claires sont posées, sans qu’il soit procédé à des énumérations restrictives. S’engager dans de telles énumérations restreindrait le pouvoir d’appréciation du magistrat et, si un cas non prévu se présentait, risquerait de poser une difficulté d’interprétation, tout au moins d’application. La loi ne peut pas tout prévoir ! Notre devoir est de fixer des limites, dans le cadre qui vous est aujourd’hui proposé.
Monsieur Charasse, effectivement, ce projet de loi tend à mettre notre droit en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme. Certains font sans doute dire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg plus qu’elle n’impose. Le présent texte va déjà beaucoup plus loin que ce qu’elle préconise.
Les limites que nous posons à la protection des sources sont raisonnables et clairement définies. Les intérêts fondamentaux de la nation sont indiscutablement des impératifs prépondérants d’intérêt public. Des cas précis ont été cités, mais la liste ne peut en être arrêtée.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout peut faire partie de l’intérêt de la nation !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Quand la sécurité publique sera directement en jeu, notamment lorsqu’il s’agira d’assurer la protection de sites sensibles, il appartiendra au juge d’apprécier au cas par cas.
Je le répète : il faut faire confiance aux magistrats pour qu’ils exercent leur pouvoir d’appréciation dans les limites fixées par le texte. J’insiste sur le fait que, des limites strictes étant fixées, la procédure pourra être annulée si la mesure est disproportionnée.
Les magistrats devront donc se prononcer avec raison et dans des limites clairement définies. Car aller trop loin dans l’interprétation emporterait nullité de la procédure, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Ce texte marque donc une avancée importante. Le débat et les amendements de la commission permettront de l’améliorer. Je souhaite que tous les sénateurs, en adoptant ce texte, contribuent à ce réel progrès pour les journalistes, pour la démocratie et pour les libertés individuelles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Acceptez quelques-uns de nos amendements !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :
1° L'article 2 devient l'article 3 ;
2° L'article 2 est ainsi rétabli :
« Art. 2. - Le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général.
« Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement à ce secret qu'à titre exceptionnel et lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie. Au cours d'une procédure pénale, il ne peut y être porté atteinte que si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels elle porte ainsi que les nécessités des investigations rendent cette atteinte strictement nécessaire. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.
« Est considérée comme journaliste, au sens du premier alinéa, toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public. » ;
3° L'article 35 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, les pièces d'une procédure pénale couvertes par le secret de l'enquête ou de l'instruction si elles sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. »
M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 :
« Art. 2..- Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public.
« Est considéré comme journaliste au sens du précédent alinéa, toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public.
« Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.
« Est considérée comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources.
« Au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. » ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement est incontestablement le plus important, puisqu’il vise à réécrire l’ensemble de l’article.
En effet, un certain nombre de critiques ont été formulées, à tort ou à raison, d’ailleurs : d’une part, des notions trop floues et générales laissent perdurer une insécurité juridique et un aléa judiciaire important ; d’autre part, l’ensemble de la chaîne de l’information ne serait pas protégé, seul le journaliste proprement dit bénéficiant de la protection du secret des sources.
À la suite des auditions auxquelles elle a procédé et afin de lever toutes ces incertitudes, la commission propose donc de réécrire cet article.
Concernant tout d’abord la protection de la chaîne de l’information dans son intégralité, je tiens à souligner qu’il s’agit manifestement d’un malentendu. Le projet de loi pose un principe général et protège le secret des sources, pas les journalistes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. C’est là un point extrêmement important !
Pour lever ce malentendu, l'Assemblée nationale a précisé qu'il ne pouvait être porté atteinte au secret des sources « directement ou indirectement », le mot « indirectement » devant précisément couvrir l'ensemble de la chaîne de l'information.
Cette précision ne semblant pas avoir atteint son objectif, la commission propose d'expliciter ce qu'il faut entendre par « atteinte indirecte au secret des sources ». Serait considéré de la sorte « le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources ».
S'agissant ensuite des critiques sur le flou des conditions permettant de porter atteinte au secret des sources, la commission juge possible d'améliorer la rédaction et de la préciser, sans toutefois remettre en cause l'esprit du dispositif.
Au premier alinéa, une première difficulté porte sur la notion d’« information du public sur des questions d'intérêt général ». J'ai constaté que l'ensemble des syndicats et associations de journaliste entendus s'étaient déclarés gênés, voire heurtés par cette notion. L’émotion passée, la distinction ainsi introduite entre une grande presse dite d'investigation, qui bénéficierait seule de la protection du secret des sources, et une presse « de second ordre », comprenant en particulier la presse people, est rejetée par toute la profession.
Par ailleurs, les personnes entendues regrettent le flou de cette notion, susceptible d'interprétations variables par les juges. En effet, cette notion mal délimitée vient s'ajouter à d'autres notions du projet de loi aux contours incertains, comme celle d'impératif prépondérant d'intérêt public.
En définitive, cette notion n'apporte pas grand-chose. Dans le cas de la presse people, en pratique, la justice ne décide pas de mesures d'investigations pour connaître la source d'un journaliste. Le journal sera directement condamné à une amende et à des dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée, sans qu'il soit nécessaire de connaître l'informateur.
Je souligne également que le fait que le journaliste bénéficie ou non de la protection de ses sources n'a pas pour effet de le déresponsabiliser : il reste entièrement responsable de ses écrits et peut donc faire l’objet de poursuites pour diffamation, éventuellement, ou atteinte à la vie privée. Il doit vérifier la fiabilité de ses sources et étayer ses affirmations.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission propose de prévoir que le secret des sources des journalistes est protégé « dans l'exercice de leur mission d'information du public ». Cette formule, plus neutre et moins susceptible d'interprétation divergente, permet néanmoins d'exclure l'invocation du secret des sources en cas de mise en cause d'un journaliste dans une affaire étrangère à l'exercice de sa profession.
L’idée est bien de protéger le secret des sources des journalistes au cours de l’exercice de leur profession, et non de leur assurer une protection totale et sans limite qui leur permettrait peut-être quelques dérapages.
De même, si un journaliste s'abritait derrière son statut pour régler des comptes strictement personnels, sa qualité de journaliste ne pourrait plus être invoquée et, par conséquent, le secret des sources non plus.
Une seconde difficulté concerne la définition des situations dans lesquelles une autorité administrative ou judiciaire pourrait porter atteinte au secret des sources.
Au cours des auditions, l'ensemble des représentants des journalistes ou des entreprises de presse ont proposé de fixer a priori une liste d'infractions ou un quantum minimum de peine à partir duquel pourrait être porté atteinte au secret des sources.
Séduisante en apparence en ce qu’elle semble plus sécurisante, cette solution pose malheureusement plusieurs problèmes.
Tout d'abord, il est impossible d'imaginer l'ensemble des situations où il pourrait être légitime de porter atteinte au secret des sources, à moins de prévoir une liste d'infractions si longue ou un quantum de peine si bas que l'intérêt même de fixer a priori les cas d'atteinte au secret des sources disparaîtrait.
La Cour européenne des droits de l'homme, malgré sa jurisprudence très favorable au secret des sources, se refuse d'ailleurs à dresser une liste a priori. Elle s’en tient à une action au cas par cas et fixe des conditions générales, sur lesquelles nous reviendrons sans doute.
Toutefois, il est possible de préciser la rédaction du projet de loi en la rapprochant, notamment, de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
La commission propose d'affirmer que, de manière générale, les mesures susceptibles de porter atteinte au secret des sources lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public existe doivent être « strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».
La précision est d’importance et répond à l’inquiétude de Michel Charasse : si, dans les cas qu’il a évoqués, il est évident que le secret des sources pourra être levé, il n’empêche que, avant que soit acceptée la levée de ce secret, le critère de proportionnalité de l’atteinte, notamment, devra être respecté.
La Cour européenne des droits de l’homme, en particulier, vérifie donc si d’autres mesures n’auraient pas permis de parvenir au même résultat : atteindre le stade où il est besoin de lever le secret des sources signifie qu’ont été épuisées – cela doit pouvoir être justifié – toutes les autres mesures susceptibles de faire connaître la vérité des choses. Il s’agit de cas extrêmement limités.
Dans la rédaction du projet de loi, la condition de stricte nécessité n'est prévue que si l'atteinte intervient dans le cadre d'une procédure pénale. En revanche, la condition de proportionnalité n'est pas prévue.
Certes, en pratique, les atteintes au secret des sources sont essentiellement le fait du juge pénal, mais il semble préférable et plus logique de l'inscrire au niveau des principes généraux.
Dans le cadre d'une procédure pénale, la commission propose également de mieux définir l'interprétation qui doit être faite des conditions de nécessité et de proportionnalité. Outre la gravité du crime ou du délit, il devrait être tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction, et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. Le juge devra donc s'assurer que d'autres moyens ne permettent pas d'aboutir au même résultat.
J’espère avoir rassuré Michel Charasse sur les conditions de levée du secret des sources : le principe est bien la protection des sources et non pas celle du journaliste, et la levée de cette protection est soumise à des conditions telles qu’elle n’interviendra qu’à l’issue d’un processus qui n’aura pas pu permettre à la vérité d’être révélée.
M. le président. Le sous-amendement n° 17, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881, insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Est considérée comme source au sens du présent article :
« 1° L'identité de toute personne qui fournit des informations à un journaliste ;
« 2° Les informations, documents et objets permettant d'identifier la nature ou la provenance des informations fournies à un journaliste ;
« 3° Le contenu des informations, documents et objets permettant d'identifier la personne qui a fourni des informations à un journaliste.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce sous-amendement a pour objet de revenir sur la définition de la source.
Je vous soumets une définition que je n’ai pas inventée : elle découle de l’article 3 de la loi du 7 avril 2005 relative à la protection du secret des sources journalistiques en Belgique.
Je ne pense pas que l’on puisse reprocher à la Belgique un quelconque laxisme dans le domaine de la protection des sources journalistiques : le texte de la loi présente toutes les garanties de conformité avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et fournit une protection large et efficace des sources. Beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, ont d’ailleurs fait allusion à ce droit belge.
Par ce sous-amendement, je vous propose donc de reprendre in extenso la définition qui est donnée par ce texte, laquelle est suffisamment large pour ne pas figer le droit en la matière.
M. le président. Le sous-amendement n° 20, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Est considérée comme source au sens du présent article, toute personne qui fournit des informations, documents, ou objets à un journaliste, ainsi que toute information, document ou objet permettant d'identifier cette personne.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce sous-amendement vise à préciser la notion de source journalistique de manière aussi solennelle qu’est affirmé le principe de protection de cette source.
En effet, une source n’est pas seulement une personne. Pour reprendre la définition qui en est donnée par la recommandation n° R/2000/7 du Conseil de l’Europe, la source journalistique est non seulement la personne qui fournit des informations à un journaliste, mais également les informations permettant d’identifier cette personne.
Dans la mesure où la notion d’information elle-même semble restrictive, il convient d’élargir la notion de source à tout document ou objet permettant d’identifier la personne qui fournit des informations à des journalistes.
Cette définition a le mérite d’intégrer tous les moyens susceptibles d’entrer dans la chaîne permettant de remonter à la source : nom et données personnelles de la source proprement dite, mais également tout enregistrement ou objet permettant d’identifier la personne.
C’est la raison pour laquelle je vous propose, par ce sous-amendement, d’énoncer une définition extensive de la source journalistique. Il serait en effet absurde de dire que l’identité d’un informateur est protégée sans indiquer que les supports susceptibles de permettre de le reconnaître ne le sont pas également.
Cette définition est en totale harmonie avec les dispositions du code de procédure pénale, notamment les articles 56-1 et 56-2, tels que modifiés par le présent projet de loi.
M. le président. Le sous-amendement n° 22, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881, supprimer les mots :
exerçant sa profession
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit d’un sous-amendement d’appel. Nous souhaiterions savoir si la référence à la profession renvoie indirectement à la détention d’une carte de presse.
Personnellement, j’en doute dans la mesure où, dans le projet de loi, n’est pas reprise la définition du journaliste donnée dans le code du travail, précisément pour éviter de réduire le champ des bénéficiaires de ces dispositions aux seuls journalistes professionnels. Cela étant dit, nous nous interrogeons sur la pertinence du maintien de la référence à la profession.
L’amendement de la commission prévoit : « Est considérée comme journaliste au sens du précédent alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, … ». Nombre d’intervenants réguliers n’exercent pas de profession « dans une ou plusieurs entreprises de presse ». Certains travaillent dans des revues ou des radios libres associatives. Ils recueillent et diffusent des informations au public sans que, pour autant, leur pratique puisse être rattachée à la profession de journaliste ou, d’ailleurs, à quelque autre profession. Ils doivent malgré tout être protégés.
Nous demandons donc, pour la clarté de la définition, de s’en tenir aux trois critères énoncés : l’exercice d’une activité de recueil et de diffusion de l’information au public, le caractère régulier de cette activité, la rétribution pour cette activité. La référence à la profession nous semble, pour le reste, superfétatoire.
M. le président. Le sous-amendement n° 23, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après le deuxième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice de l'alinéa précédent, est également considéré comme journaliste au sens du premier alinéa, le travailleur non rémunéré effectuant un stage dans une entreprise de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou dans une agence de presse et contribuant, à titre régulier, au recueil et à la diffusion d'informations au public. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.