M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. J’entends dire depuis quelques instants que nous supprimerions, par les propositions que nous faisons, la possibilité pour le peuple français de se prononcer par référendum sur une adhésion.
Nous n’avons jamais dit cela ! Ce n’est ni dans notre amendement ni même dans les intentions du Président de la République qui a lui-même déclaré qu’il soumettrait l’adhésion de la Turquie, si jamais cette opportunité se présentait, au suffrage de l’ensemble des Français.
Ce que nous voulons tout simplement, c’est que soit maintenue la possibilité de choisir une voie ou une autre.
M. André Dulait. Très bien !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Il n’a jamais été question de renoncer à soumettre une adhésion au référendum. Mais il nous paraît que, s’agissant du Kosovo, de la Serbie ou d’autres pays, la voie parlementaire est peut-être suffisante.
N’allez pas nous dire que nous voulons priver le peuple du moyen de s’exprimer alors que cette possibilité existe dans la Constitution ! Simplement, nous proposons que le référendum ne soit pas automatique pour toutes les adhésions, et refusons qu’un pays particulier soit désigné nommément ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP)
M. Roland du Luart. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. M. de Rohan vient exactement de dire ce que j’avais l’intention de répondre à mon collègue. Mais c’est à titre de témoignage que je prends la parole. Je suis rapporteur pour la délégation pour l’Union Européenne sur le suivi d’adhésion de la Turquie.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! Intéressant...
M. Robert del Picchia. Oui, Madame ! J’ai effectué avec M. Haenel plusieurs voyages en Turquie. Nous avons rédigé des rapports et avons vu l’évolution vers l’adhésion de la Turquie.
Mes chers collègues, contrairement à ce que certains ont commencé à faire, il ne s’agit pas ici de débattre sur l’adhésion de la Turquie ; ce n’est absolument pas le problème. D’ailleurs, cette question ne se posera peut-être pas, de l’avis même de certaines autorités turques. On verra bien le moment venu, dans douze à quinze ans, si la Turquie exprime toujours le désir d’adhérer à l'Union européenne et si elle en a les moyens. Du reste, l'Union européenne sera peut-être devenue tout autre chose. Il sera alors temps d’engager le débat.
La discussion, ce soir, doit donc se limiter à ce seuil des 5 %. À cet égard, permettez-moi de vous raconter une petite anecdote. Voilà trois semaines, Hubert Haenel et moi-même avons été reçus par de hautes personnalités turques, et, sur leur bureau, se trouvait le texte du projet de loi constitutionnelle adopté par l’Assemblée nationale. Ces personnalités nous ont dit, en plaisantant, que les députés, au lieu d’inscrire ces 5 %, auraient pu tout simplement écrire qu’un référendum serait obligatoire pour tous les pays dont le nom commence par la lettre T et finit par la lettre E ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. La Tunisie ! (Nouveaux sourires.)
M. Robert del Picchia. Ce n’est pas un pays européen ! D’ailleurs, elle n’est même pas candidate !
Mes chers collègues, aux dires de certains, il convient de ne pas perturber nos relations avec la Turquie. Mais, comme j’ai pu le constater sur place, le mal est déjà fait, et la situation est grave ! Plusieurs sociétés françaises ne réussissent plus à signer de contrats avec la Turquie. Elles ne peuvent même plus s’associer, dans le cadre de joint ventures, à des entreprises étrangères, ces dernières redoutant que leur présence ne les empêche de recevoir l’agrément des autorités turques.
Nous sommes véritablement confrontés à de sérieuses difficultés, au-delà même des problèmes de relations personnelles et politiques. En effet, pour les Turcs, ce n’est même plus de la discrimination, c’est presque une injure !
Par conséquent, mes chers collègues, supprimons ce critère de 5 % qui ne rime à rien ! (M. Adrien Gouteyron applaudit.)
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens à rappeler, pour notre collègue et ami Jean-Pierre Sueur, quelques éléments de notre histoire récente relatifs à la révision constitutionnelle de février 2005.
Le Président Jacques Chirac n’a jamais caché à quiconque, surtout pas aux Français, sa position quant à la Turquie.
M. le président. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin. Ses choix ont été très courageux, et il les a toujours expliqués avec une parfaite netteté.
Il a notamment refusé de mettre son veto au processus d’adhésion, sachant que ce dernier était complexe et qu’il présentait un certain nombre de garanties. Il a consulté l’ensemble des familles politiques. S’est alors dégagé le sentiment qu’il fallait recourir au suffrage populaire pour les prochains élargissements. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Le Président de la République a clairement refusé de désigner nommément un État, pour ne pas laisser penser qu’il pourrait y avoir différentes procédures d’intégration à l’Union européenne selon les pays concernés.
M. Jacques Valade. Absolument !
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est donc pour cette raison qu’il a choisi le référendum pour tout nouvel élargissement et qu’une telle possibilité existe désormais. Je suis moi-même attaché au fait que la procédure d’adhésion soit la même pour chaque pays, car cela permet d’éviter tout risque de discrimination. Les uns et les autres devront donc veiller à respecter le processus d’adhésion.
De ce fait, je me sens tout à fait à l’aise en votant les amendements identiques, même si je trouve que la disposition adoptée à l’époque était, d’une certaine manière, plus protectrice. Cela dit, le choix de la procédure finale relève de la responsabilité du chef de l’État, et l’article 33, cher collègue Bruno Retailleau, ne remet pas du tout en cause les principes de nos institutions. Au contraire, la rédaction retenue valorise le choix du Président de la République. Sur ce plan, la campagne pour la prochaine élection présidentielle sera éclairante : chaque candidat sera tenu de prendre un engagement. L’actuel Président de la République l’a dit, il y aura un référendum s’il est aux commandes. Nous verrons ce que ses éventuels successeurs décideront.
En tout état de cause, la décision finale reflétera l’opinion de la majorité des Français, qui se seront exprimés par leur suffrage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Jean Arthuis et Pierre Fauchon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Mes chers collègues, je ferai trois observations.
La première, c’est que le fait de modifier deux fois en trois ans la Constitution sur ce point illustre de la meilleure manière possible l’absolue nécessité de manier notre loi fondamentale avec précaution. Voilà une disposition qui sera demeurée virtuelle !
La deuxième observation tient aux difficultés rencontrées par ceux qui expriment des réserves. Je partage largement l’avis émis par M. Retailleau, à propos, notamment, de tout élargissement. M. Haenel s’en souvient, à l’occasion du débat sur la Roumanie et sur la Bulgarie, j’avais moi-même exprimé la plus expresse réserve, dans la mesure où, à un moment donné, on peut être contre tout élargissement, a fortiori quand il s’agit de l’adhésion de la Turquie.
Au demeurant, pour les partisans de cette dernière, le fait de réviser le texte constitutionnel est certainement plus facile que pour ceux qui expriment des réserves. Lorsque le général de Gaulle, comme cela a été rappelé, a déclaré à Ankara, en 1963, que la Turquie avait une vocation européenne, on en a peut-être conclu un peu vite que son adhésion était en vue, alors que le général de Gaulle, la même année, exprimait des réserves sur celle de la Grande-Bretagne. Par conséquent, tout cela est toujours très compliqué.
Pour ceux qui se montrent sceptiques sur l’adhésion de la Turquie, la difficulté tient au fait que le crédit de l’État français compte tout autant que leurs réserves.
On peut également redouter la progression insidieuse du processus d’adhésion. La Turquie et l’Union européenne ont ainsi récemment ouvert la discussion concernant les septième et huitième chapitres, sur les trente-cinq prévus. Or, on le sait très bien, à un moment donné, à la fin de l’« entonnoir », il faudra trancher, ce qui fera peser une énorme responsabilité sur nos dirigeants, notamment le Président de la République. On peut donc douter que ce dernier opte pour le référendum. Ceux qui exprimaient des réserves se trouveraient, d’une certaine façon, quelque peu coincés, dans une situation qui les dépassera.
Troisième et dernière observation, M. le rapporteur a évoqué le référendum populaire. C’est en effet l’une des deux procédures référendaires envisageables, et la seule chose à laquelle il faut se raccrocher.
En tout cas, ne nous mettons pas dans la situation de deux amoureux qui seraient restés fiancés pendant quinze ans et dont l’un, à la dernière minute, devant M. le maire, refuserait de se marier !
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. Pour des raisons pratiques, l’amendement n° 395 déposé par certains membres du RDSE n’a pu être défendu. Je tiens donc à préciser que notre groupe, dans son ensemble, rejoint la position exprimée par les deux commissions et l’ensemble des groupes. Il souscrit aux arguments très précis et concrets avancés par l’ensemble des orateurs. L’ancien Premier ministre, M. Raffarin, a notamment bien précisé que, de toute façon, en votant ces amendements, nous en revenons à la situation où tout est possible pour chacun des processus d’adhésion.
M. Bernard Frimat. Ensemble tout devient possible…
M. Pierre Laffitte. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le rétablissement du texte initial proposé par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le problème difficile qui est devant nous, c’est la résonance dans l’opinion publique du vote que nous allons émettre. De ce point de vue, je me félicite de ce que nous soyons ici quasiment tous unanimes pour condamner cette espèce de mise au pilori de la Turquie, qui est tout à fait indécente dans un texte constitutionnel. C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné l’amendement qu’a présenté M. Haenel et que je voterai tous ces amendements identiques, émanant aussi bien de la commission des affaires étrangères et de la commission des lois que des différents groupes.
Pour autant, en ce qui me concerne, je ne suis pas partisan de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Ce n’est pas la question !
M. Jean-Pierre Fourcade. Selon moi, l’adhésion d’un tel pays, aussi grand et aussi puissant, risque de déséquilibrer la totalité de la construction européenne. Il faut donc bien réfléchir à notre vote et laisser la procédure de négociation qui a été ouverte se dérouler tout à fait normalement.
Je voterai donc ces amendements identiques, et ce pour trois raisons.
Premièrement, je suis conscient des dégâts économiques et financiers qu’a entraînés la position adoptée par nos collègues de l’Assemblée nationale pour nos entreprises et, donc, pour l’emploi de notre pays, pour notre balance commerciale et pour notre balance des services.
À mon sens, en matière de relations internationales, toute décision prise quelque peu brutalement provoque des conséquences très importantes. Dans cette affaire, l’Assemblée nationale a commis une erreur, et nous allons mettre des années pour la rattraper.
Deuxièmement, à l’article 3 bis du projet de loi constitutionnelle, c’est bien un référendum d’initiative parlementaire, appuyé par une pétition populaire, que nous avons instauré. Or, le cas échéant, il pourra toujours être invoqué.
Troisièmement, dans cette affaire, au regard de l’évolution du monde actuel et dans le cadre du projet d’Union pour la Méditerranée que le Président de la République va tenter de lancer solennellement le mois prochain, il y a tellement d’inconnues et de difficultés qu’il serait absurde, aujourd’hui, d’adopter une disposition discriminatoire contre l’un de nos grands pays partenaires.
C’est la raison pour laquelle il faut nous garder de tout amalgame entre l’adhésion de la Turquie et la réforme constitutionnelle. C’est le point sur lequel nous risquons le plus d’être attaqués. Dans notre tâche de constituant, nous devons expliquer que nous entendons rester au-dessus des problèmes catégoriels ou particuliers de tel ou tel pays, en respectant la faculté laissée au Président de la République de choisir entre le référendum ou le passage devant le Parlement. Nous devons mettre en avant l’article 3 bis, qui crée véritablement une possibilité supplémentaire. Nous devons montrer que, dans cette affaire, ce sont les intérêts de notre pays et ceux de la construction européenne que nous essayons de préserver, et pas autre chose ! (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je voterai le rétablissement de l’article 33 tel que l’avait conçu le Gouvernement, et je voudrais vous faire partager les trois observations qui me viennent à l’esprit.
Première observation, nous devons veiller à ne modifier la Constitution qu’avec circonspection,…
M. Jean Arthuis. … en évitant toute révision destinée uniquement à régler un problème passionnel, apparu à un moment donné dans une conjoncture bien précise.
À mon sens, de telles pratiques nous égarent et n’aident pas à éclairer nos concitoyens. Gardons-nous donc de la tentation de modifier, presque chaque année, notre loi fondamentale, car nous prenons très vite le risque de nous contredire, avec quelque embarras pour en expliquer la justification.
Ma deuxième observation a trait à ce risque d’hypocrisie qui nous guette. Mes chers collègues, si nous nous interrogeons aujourd’hui sur l’entrée éventuelle de la Turquie dans l’Union européenne, n’oublions pas que ce pays est tout de même membre de l’Union douanière européenne depuis 1995 ! Autrement dit, les biens et les services circulent librement à l’intérieur de l’Union douanière, et il n’y a aucune barrière entre la Turquie, la France et les autres pays de l’Union européenne. Les délocalisations industrielles au profit de la Turquie se sont produites à la fin des années quatre-vingt-dix, nombre d’entrepreneurs s’y installant notamment pour y produire des téléviseurs. En 2008, au sein de l’Union douanière européenne, plus aucun téléviseur n’est fabriqué en dehors de ce pays !
Par conséquent, ayons tout cela à l’esprit et méfions-nous de quelques hypocrisies ambiantes.
Enfin, troisième observation, si nous voulons que le processus aille à son terme et soit conforme à nos vœux, alors avançons hardiment dans la construction d’une Europe politique. Nous verrons bien, au moment de son avènement, quels pays sont au rendez-vous politique. Ayant dit cela, je voterai le rétablissement de l’article 33. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. Monsieur Arthuis, que je sache, la Turquie participera à la demi-finale du Championnat d’Europe des nations !
MM. Jean Arthuis et Jean-René Lecerf. La Russie également, monsieur le président !
M. Robert del Picchia. Et si la Turquie gagne en finale ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 133, 142, 292 rectifié, 396 rectifié et 493.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 114 :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 153 |
Pour l’adoption | 297 |
Contre | 7 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
En conséquence, l’article 33 est ainsi rédigé, et l’amendement n° 154 n’a plus d’objet.
Nous avons achevé l’examen de l’article 33, pour lequel la priorité avait été demandée.
Dans la discussion des articles, nous en étions parvenus, avant la priorité de l’article 33, aux amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 18.
Articles additionnels après l'article 18
M. le président. L'amendement n° 337, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 18, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Avant l'ouverture du débat, les amendements du Gouvernement sont déposés après avis du Conseil d'État. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce texte vise à encadrer le droit d’amendement gouvernemental.
Il est tout à fait souhaitable que les amendements du Gouvernement fassent l’objet d’un examen par le Conseil d'État.
Alors que ces amendements sont souvent très importants, il arrive qu’ils soient transmis à quelques jours de l’ouverture des débats, avec tout ce que cela implique comme difficulté d’examen.
M. Bizet sait de quoi je parle. Je me souviens que, dans le cadre des projets de loi sur les OGM et sur la responsabilité environnementale, nous nous sommes vu remettre, à trois jours de l’ouverture de nos débats, trois amendements transposant à eux seuls trois directives européennes !
Il convient de rationaliser le pouvoir d’amendement du Gouvernement, à certains égards illimité, ce qui aura pour effet de permettre un meilleur travail en commission.
En effet, si le droit d’amendement parlementaire est régi par les règles du règlement intérieur de chaque assemblée, il me semble que le droit d’amendement du Gouvernement est assez libre et n’est soumis à aucune vraie règle. Dans ces conditions, il serait tout à fait opportun de l’encadrer par un avis du Conseil d'État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette obligation instituerait une procédure très lourde qui ne semble pas opportune. Il appartient aux commissions saisies au fond d’apprécier le bien-fondé des amendements du Gouvernement. Je rappelle d’ailleurs, mes chers collègues, que vous avez refusé que l’avis du Conseil d'État soit donné sur nos propositions de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 336, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 18, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l'article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet ou une proposition de loi, de dispositions nouvelles dépourvues de tout lien avec une des dispositions du texte en discussion. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à mettre l’accent sur ce que l’on appelle les « cavaliers législatifs » non pas du Parlement mais du Gouvernement.
On nous dit que l’objet de cette réforme est de donner plus de pouvoirs au Parlement. Cet amendement, qui procède d’un souci de clarification du travail parlementaire, vise donc à appliquer au Gouvernement la règle du cavalier législatif à laquelle nous sommes soumis.
Les conditions de dépôt des amendements par le Gouvernement font l’objet d’une tolérance parfois troublante. Si le Gouvernement dispose du droit d’amendement au même titre que les parlementaires, alors il doit respecter au même titre que les parlementaires la règle du lien avec le texte en discussion.
Je vous propose donc de reprendre la définition du cavalier législatif donnée par le Conseil constitutionnel pour les parlementaires et de l’appliquer au Gouvernement. Ainsi ce dernier ne pourra pas déposer d’amendements dépourvus de tout lien avec le texte en discussion.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous vous souvenez, mes chers collègues, que nous avons supprimé un dispositif prévu pour les amendements parlementaires concernant le lien direct ou indirect.
Bien entendu, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’applique au Gouvernement comme au Parlement quand ses textes donnent l’occasion à des cavaliers, voire à une cavalerie entière, de charger comme à Reichshoffen ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Ce fut un désastre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet !
Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel donnera son avis. Cette mention n’a donc pas sa place dans la Constitution.
La commission est défavorable à l’amendement n° 336.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, même si je n’aurais pas forcément pris la comparaison avec Reichshoffen.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 336.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 19
L'article 45 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Après les mots : « ou, si le Gouvernement a déclaré l'urgence », sont insérés les mots : « sans que les Conférences des Présidents des deux assemblées s'y soient conjointement opposées » ;
b) Après le mot : « ministre », sont insérés les mots : « ou, pour une proposition de loi, le Président de l'assemblée dont elle émane, ».
M. le président. Je suis saisi de seize amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 208, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Les trois derniers alinéas de l'article 45 de la Constitution sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque par suite d'un désaccord entre les deux assemblées un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après trois lectures par chaque assemblée, le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale de statuer définitivement. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 19, qui modifie l’article 45 de la Constitution, comporte trois dispositions visant, pour l’une d’elles et malgré les arguments du Gouvernement, à limiter le droit d’amendement et le débat public. Les deux autres sont quelque peu hypocrites.
La première disposition de l’article 19 prévoit que, sous réserve de l’application de l’article 40, relatif à l’irrecevabilité financière, et de l’article 41, relatif à l’irrecevabilité pour méconnaissance de la répartition entre compétence législative et réglementaire, « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». C’est l’une des deux dispositions que je considère comme légèrement hypocrite parce qu’elle veut nous faire croire qu’elle assouplit le droit d’amendement.
Vous ne pouvez pas avoir déjà oublié que vous avez refusé ce que proposaient un certain nombre de nos collègues, à savoir la suppression de l’article 40 de la Constitution. Vous ne pouvez non plus ignorer que l’article 15 du projet de loi a durci les conditions de recevabilité des amendements en octroyant au président de l’assemblée saisie le droit d’opposer à un amendement l’irrecevabilité fondée sur une méconnaissance du domaine de la loi.
La deuxième disposition légèrement hypocrite de cet article concerne la possibilité pour la conférence des présidents des deux assemblées de s’opposer conjointement à la déclaration d’urgence.
Mais si l’opposition avait un quelconque poids en conférence des présidents, croyez-moi, cela se saurait ! C’est évidemment la majorité, qui impose sa volonté en conférence des présidents, où elle est surreprésentée. Et elle se pliera aux desiderata du Gouvernement s’agissant de la déclaration d’urgence sur un projet de loi. Je ne crois pas que je serai démentie…
Enfin, la dernière disposition présente le grave inconvénient de limiter le débat en séance publique, ce qui ne nous convient pas, comme vous le savez.
En effet, l’article 19 prévoit de donner au président de chaque assemblée l’initiative de convoquer une commission mixte paritaire pour une proposition de loi dans les mêmes conditions que celles qui sont actuellement fixées par l’article 45 de la Constitution.
Alors que les commissions mixtes paritaires sont majoritairement convoquées dans le cadre de l’examen d’un projet de loi après déclaration d’urgence qui ne permet pas de débattre du texte dans de bonnes conditions, cet article nous propose d’en étendre les possibilités de mise en œuvre.
Les CMP représentent la négation d’un débat parlementaire pluraliste, transparent et public.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bref, nous ne pouvons admettre de prévoir que cette procédure anti-démocratique soit étendue aux propositions de loi sur proposition du président de l’assemblée dont elle émane.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 119 est présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Supprimer le 1° de cet article.
L'amendement n° 282 rectifié est déposé par MM. Détraigne, Biwer et Fauchon, Mme Férat, MM. Soulage, Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly et MM. Nogrix, J.L. Dupont et Dubois.
L'amendement n° 402, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Tous trois sont ainsi libellés :
Supprimer le 1° de cet article.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l’amendement n° 119.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission des lois s’est interrogée sur la nécessité de rappeler dans le texte constitutionnel la recevabilité, en première lecture, d'un amendement présentant un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis, alors même que ce principe est garanti, sous une forme peut-être plus satisfaisante, par la jurisprudence désormais bien établie du Conseil constitutionnel.
En effet, cette jurisprudence prévoit qu'un amendement ne « doit pas être dépourvu de tout lien » avec l'objet du projet de loi ou de la proposition de loi.
Je vous propose, en conséquence, un amendement afin de supprimer le texte proposé par le 1° de cet article pour compléter le texte de l'article 45 de la Constitution.