M. le président. Monsieur Lecerf, l’amendement n° 315 est-il maintenu?
M. Jean-René Lecerf. Oui, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Legendre, l’amendement n° 376 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Legendre. Je le maintiens également, monsieur le président.
M. le président. Nous allons passer aux explications de vote sur les amendements.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. De quels amendements s’agit-il, monsieur le président ? Nous avons abordé deux sujets au cours de ce débat. Les explications de vote porteront donc sur les deux sujets. Chacun s’est d’ailleurs largement exprimé, sauf ceux, naturellement, qui n’ont pas souhaité prendre la parole.
M. le président. Nous allons tout d’abord procéder au vote sur les six amendements identiques de suppression de l’article 1er A, qui concerne les langues régionales, et les explications de vote porteront sur ces amendements.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai l’impression, monsieur le président, que certaines explications de vote concerneront l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, dispositions qui font l’objet de la deuxième partie de l’amendement n° 95 de la commission. Ceux qui souhaitent s’exprimer sur ce sujet devront donc le faire dans un second temps.
M. le président. Tout à fait !
La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote sur les amendements identiques de suppression.
M. Nicolas Alfonsi. En premier lieu, je serai beaucoup plus mesuré que ceux des orateurs précédents qui ont comparé, de façon quelque peu abusive, les langues régionales avec la gastronomie, les cathédrales ou le champagne. Le sujet dont nous discutons me paraît suffisamment sérieux pour que nous évitions ce genre de comparaisons.
Il me semble, en second lieu, que si nous devons parvenir à un accord sur un point, c’est bien celui de l’inscription de ces mesures à l’article 1er de la Constitution ; nous partageons en effet tous le même sentiment à cet égard. Seul persiste le problème de l’opportunité de cette inscription.
Il faut remettre les choses en perspective et simplifier le débat qui nous occupe.
Au fond, ces deux heures de discussion symbolisent la politique de « l’entrisme », si j’ose dire, permanent menée par ceux qui souhaitent inscrire les langues régionales dans la Constitution.
J’ai noté, sur ce point, une évolution très sensible de la position du Gouvernement. En effet, à l’occasion d’une question orale avec débat que j’avais posée le 13 mai dernier, j’avais cru comprendre que le Gouvernement, qui avait anticipé ce débat en faisant une déclaration sur les langues régionales le 7 mai, souhaitait, par cette initiative, déminer le débat pour ne plus avoir à en parler à l’occasion de la révision constitutionnelle.
Or l’Assemblée nationale a saisi l’opportunité de cette réforme pour insérer dans la Constitution ces mesures relatives aux langues régionales. S’agit-il, de la part du Gouvernement, d’une faiblesse ou d’une décision de circonstance consistant à s’en remettre à la sagesse des parlementaires, compte tenu des difficultés qu’il rencontre par ailleurs ? Je n’en sais rien ! Toujours est-il que le Gouvernement est revenu sur sa position : alors qu’il refusait le débat voilà un mois, il a subitement changé d’avis et décidé d’inscrire ces dispositions à l’article 1er A du projet de loi constitutionnelle.
Notre collègue Adrien Gouteyron a parlé d’un sentiment de chute. J’ajouterai que le mot « culturel » accentue la chute. Nous avons l’impression d’un effilochage du texte constitutionnel, notamment s’agissant de l’article 1er de la Constitution.
Quel est le vrai débat qui nous occupe aujourd’hui ?
Compte tenu de la politique de l’entrisme – par précaution, je ne parle pas de lobbying car, à titre personnel, je voterai l’article 1er A – et de bouclage permanent menée par ceux qui souhaitent l’inscription des langues régionales dans la Constitution, le seul problème qui se pose concerne la position qu’adoptera, à l’avenir, le Conseil constitutionnel.
Notre ami Michel Charasse a rappelé quels étaient les principes essentiels du Conseil constitutionnel, dans le cadre de l’indivisibilité de la République. Si la phrase concernant les langues régionales avait été inscrite à l’article 2 de la Constitution, peut-être aurait-on pu en conclure qu’une évolution sensible s’était produite. On voit bien quelle précaution le Gouvernement a voulu prendre en l’inscrivant à l’article 1er : il a souhaité manifester sa volonté de dire au Conseil constitutionnel : ne touchons à rien et ne ratifions surtout pas la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires !
Le débat est engagé ! Je n’ai pas de réponse à la question, mais je sais que je voterai contre ces amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. José Balarello.
M. José Balarello. En ce qui me concerne, je suis partisan de la suppression pure et simple de la mention des langues régionales dans la Constitution.
J’attire en effet votre attention, mes chers collègues, sur le fait que, si nous acceptons cette rédaction, nous risquons de favoriser l’apparition de très nombreux contentieux, émanant de personnes qui pratiquent quelquefois la démagogie et qui, au prétexte de défendre l’identité du territoire, l’appartenance à un comté - et je sais de quoi je parle ! – ou à une province, exigeront que les arrêtés municipaux, voire préfectoraux, soient rédigés dans la langue régionale ou locale.
M. Michel Charasse. Comme au Moyen Âge !
M. José Balarello. Ils pourront également exiger que la langue locale soit utilisée pendant les débats municipaux et, si les autorités le leur refusent, lancer d’interminables contentieux, largement médiatisés.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Je souhaite tout d’abord expliquer pourquoi j’ai cosigné les amendements déposés par Michel Charasse.
Pratiquant une langue régionale, en l’occurrence le gascon, langue que j’ai même enseignée dans une vie antérieure, et en tant que militant de la défense des langues régionales, je comprends parfaitement ceux qui ont souhaité le renforcement de la reconnaissance de ces langues, dont l’usage s’étiole dangereusement.
Je suis malgré tout favorable à ces amendements de suppression, car le danger existe de voir apparaître de nombreuses dérives. Pour ma part, je défends tout ce qui peut renforcer l’unicité de la République et le principe de laïcité.
On peut être pour les langues régionales sans, pour autant, graver leur appartenance au patrimoine dans le marbre de la Constitution.
Pour conclure sur un mode plaisant, je dirai qu’au fond, si nous ne nous exprimons pas aujourd’hui en gascon dans cette assemblée, comme je pourrais le faire, c’est tout simplement parce que cette langue merveilleuse, qui était celle de la cour de Nérac, a été abandonnée en raison du trop grand succès d’Henri IV. (Rires et applaudissements sur des travées du RDSE, de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Le président Jean-Jacques Hyest nous a dit tout à l’heure que beaucoup de choses avaient été dites et redites sur ce sujet. Pour notre part, nous sommes peu intervenus dans le débat, car l’amendement voté par l’Assemblée nationale a été repris par la commission des lois du Sénat. À partir du moment où nous étions favorables à l’inscription de ce dispositif dans la Constitution, nous nous sommes sentis confortés par la position adoptée par la commission des lois.
Existe-t-il néanmoins, dans notre pays, un problème majeur et récurrent concernant les langues régionales ? La réponse est oui, tout le monde en convient.
Le débat qui s’est instauré au cours des dernières semaines sur ce sujet est-il, comme le disait François Fillon, le 9 juillet 1999, dans un article intitulé Ne perdons pas notre temps, « un débat entre ceux qui regardent l’avenir avec ses priorités et ceux qui pensent que la France a du temps à perdre pour vagabonder dans le passé » ? Je crains que cette présentation des choses ne soit totalement contraire à la réalité. Je pense, pour ma part, que cette question doit être considérée avec beaucoup plus de sérieux que ne le fait M. Fillon.
Ce sujet ne me paraît ni dérisoire ni anodin. Nous sommes tous des citoyens du monde et il nous importe à tous de connaître le regard que porte le monde sur la situation de notre pays. Je me suis penché, à cet égard, sur la dernière réunion du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, qui s’est réuni il y a quelques jours. Que dit ce comité concernant la France d’aujourd’hui ?
« Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie – la France – n’a pas fait d’efforts suffisants dans le domaine de la préservation et de la promotion des langues et du patrimoine culturel régionaux et minoritaires. »
M. Patrice Gélard. C’est n’importe quoi !
M. François Marc. « Le Comité constate aussi que l’absence de reconnaissance officielle des langues régionales et minoritaires a contribué au déclin constant du nombre des locuteurs de ces langues. […]
Et le comité conclut : « Le Comité réitère les recommandations formulées dans ses observations finales précédentes […] que l’État partie accroisse ses efforts pour préserver et promouvoir les langues et le patrimoine culturel régionaux ou minoritaires, entre autres en assurant que des financements et des ressources humaines suffisants soient alloués dans l’enseignement public et à la télévision et à la radio dans ces langues. Le Comité recommande aussi que l’État partie envisage de réviser sa position concernant l’absence de reconnaissance officielle des langues régionales ou minoritaires dans la Constitution de l’État partie. »
Telle est la position des Nations unies !
M. Patrice Gélard. C’est un comité qui n’a aucune valeur !
M. François Marc. Cela met en exergue deux points essentiels, me semble-t-il.
Tout d’abord, 50 % des langues régionales sont menacées de disparition d’ici à cinquante ans selon les prévisions officielles. Le risque est réel !
Ensuite, pour inverser cette tendance, une reconnaissance officielle des langues régionales est nécessaire.
C’est dans cet esprit que, depuis des années, plusieurs de mes collègues et moi-même réclamons, ici même, une reconnaissance constitutionnelle de ces langues.
Le Gouvernement a annoncé, voilà quelques jours – mon collègue Nicolas Alfonsi y a fait allusion – un projet de loi visant à la mise en valeur des langues minoritaires. Une avancée remarquable a été obtenue à l’Assemblée nationale, à la quasi-unanimité des députés ; il s’agit d’un compromis.
Cette inscription dans la Constitution nous paraît essentielle.
J’estime, quant à moi, que si le Sénat, aujourd’hui, prenait la décision de supprimer une avancée qui a été particulièrement appréciée dans de nombreuses régions de France, cela aurait certainement des conséquences très graves pour les habitants de nombreuses régions françaises.
C’est la raison pour laquelle je suis tout à fait opposé à ces amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. J’exprimerai une forte conviction et je procéderai à un rappel historique.
La France s’est faite aussi – certains disent beaucoup – autour de la langue française. Cela n’a pas été facile. C’est une très longue histoire, un très long combat, et qui a mobilisé de nombreux républicains.
Dans le grand texte du rapport à la Convention sur l’éducation nationale, les premiers mots de Condorcet étaient, si j’ai bonne mémoire, ceux-ci : « La France compte vingt-six millions de Français, six seulement savent lire et écrire dans notre langue. »
M. René Garrec. C’est vrai !
M. Robert Badinter. Toute l’histoire de la République, particulièrement de la IIIe République, est marquée par la lutte pour que la France se soude autour de la langue française. Telle est la tradition républicaine !
Je suis, pour ma part – je le dis franchement – pénétré par la langue française : mon père et ma mère étaient des immigrés ; mon père, républicain farouche et patriote ardent, interdisait que l’on parle une autre langue que le français chez lui.
Pourquoi ce rappel ? Certainement pas pour dénier la très grande richesse des langues régionales : chacun connaît les grands chefs-d’œuvre que nous leur devons ; c’est un hommage que je leur rends volontiers. Et il est bon que ces langues soient enseignées, qu’elles fassent l’objet de thèses, de travaux, notamment dans nos meilleures universités, particulièrement régionales.
Toutefois, cela implique-t-il que ces langues doivent trouver leur place dans la Constitution ?
Je rappelle qu’une constitution est un instrument qui sert à gouverner un pays, en définissant les pouvoirs, leurs rapports, et, dans son préambule, figurent les valeurs fondamentales sur lesquelles repose cet équilibre constitutionnel.
Il ne s’agit donc pas d’un catalogue des richesses culturelles nationales ou des différents aspects de la communauté nationale. Tout ce qui est inscrit dans une constitution entraîne ensuite, s’il s’agit de principes généraux, des conséquences.
S’agissant des langues régionales, qui nous occupent aujourd’hui, nous constatons qu’elles trouvent parfaitement leur place dans les universités, dans l’enseignement – je ne vais pas reprendre le détail des propos qui ont déjà été tenus –, et que, dans le domaine des associations, à plus forte raison dans le domaine privé, elles ont plein et entier exercice.
Alors, quelle serait la raison d’être de cette constitutionnalisation ? Je le dis franchement, je n’en vois qu’une, sur laquelle je m’attarderai.
Vous savez tous – cela remonte à 1999 – que, lorsque le gouvernement Jospin a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – elle porte toujours ce nom –, la question s’est posée de la conformité à la Constitution de son éventuelle ratification, et c’est d’ailleurs le Président de la République qui a saisi le Conseil constitutionnel. Ce dernier a rendu une décision dont je me dois de rappeler les termes, tant ils sont importants.
« Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de "territoires" dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. […] » J’ai rarement trouvé, dans les décisions du Conseil constitutionnel, des mots d’une telle force !
« Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la "vie privée" mais également dans la "vie publique", à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics. […] » On ne peut pas être plus explicite : cela veut dire, très précisément, que la charte est incompatible avec la Constitution française.
Je tiens à rappeler un principe, et à éclairer très précisément tous mes collègues. Le Conseil constitutionnel statue à Constitution constante. Dès l’instant où l’on modifie la Constitution, le Conseil constitutionnel n’est plus tenu par l’interprétation qu’il a donnée antérieurement.
Disons-le clairement : si le constituant a voulu reprendre, ici, la question des langues régionales, c’est qu’il était animé d’une certaine volonté, et l’on s’interroge sur cette volonté.
Si, d’aventure, la question était à nouveau posée, le Conseil constitutionnel l’examinerait essentiellement au regard de l’adjonction effectuée. Je ne sais pas ce qu’il déciderait, mais je m’inscris en faux contre l’affirmation de certains d’entre vous selon laquelle il ne faut avoir aucune crainte, la jurisprudence du Conseil étant fixée. Ce n’est pas vrai ! Elle est fixée dans l’état actuel de la Constitution ; elle ne peut être fixée au regard d’une modification de la Constitution.
Je conclurai en interrogeant Mme la garde des sceaux. Le Conseil constitutionnel étudiera les travaux préparatoires, si nous adoptons ce texte, pour essayer de dégager la pensée du constituant ; c’est son devoir. Mme la garde des sceaux peut-elle, d’une façon très précise, nous dire que le Gouvernement, en se ralliant à ce qui est à l’origine un amendement parlementaire, considère que l’on ne peut, en aucune manière, ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ?
Il faut, à cet égard, une réponse très claire du Gouvernement, car, en apportant cette précision, celui-ci s’interdit de le faire – mais il éclairerait le Conseil constitutionnel –, et, selon moi, il l’interdit également à ses successeurs. (Applaudissements sur certaines travées de l’UC-UDF, de l’UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre groupe, à l’unanimité, a déposé un amendement de suppression de la mention des langues régionales à l’article 1er de la Constitution, donc avant celle de la langue française.
Néanmoins, une majorité d’entre nous souhaitaient faire preuve d’une certaine ouverture, s’agissant de l’identité de notre pays, et proposaient de citer les langues régionales comme l’une des richesses de notre patrimoine dans un autre article, éventuellement à l’article 2.
J’entends bien les réserves qui s’expriment, encore que je ne sois pas vraiment convaincue.
J’ai déposé un sous-amendement à l’article 2, qui n’a pas été retenu – je n’ai pas très bien compris pourquoi, mais peu importe – visant à inscrire dans la Constitution que les cultures et langues régionales font partie du patrimoine de la République, même si la langue fait partie de la culture.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Fidèle défenseur de la langue française en tant que langue nationale, et par là même en tant qu’entité de l’histoire de notre pays, je ne suis pas favorable à ce que des groupes de locuteurs aient des droits inscrits dans la Constitution, et ce par principe républicain.
La France, riche de sa diversité culturelle, grâce, notamment, à ses langues régionales, doit rester, comme le définit la Constitution, « une et indivisible », car entre la loi et la personne il n’y a pas d’intermédiaire.
Or quiconque intercale une communauté crée alors des droits particuliers pour ses membres et rompt avec l’unité et l’indivisibilité constitutionnelles de la République.
De ce droit particulier, plusieurs, dont je fais partie, ne veulent pas.
« Le français est la langue de la République », comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1999, sachant que ce même Conseil constitutionnel, en la matière, ne peut être un recours, puisqu’il ne peut se prononcer sur la révision de la Constitution. Nous avons donc à prendre nos responsabilités en tant que parlementaires.
Enfin, des dispositions favorisant la découverte et l’apprentissage des langues régionales existent et sont mises en œuvre ; je pense, notamment, au fait que l’État républicain finance des postes pour l’enseignement de ces langues dans les régions où elles se pratiquent.
On peut toujours considérer que ce n’est pas suffisant et, éventuellement, se demander s’il ne serait pas judicieux et nécessaire de développer ces actions. Pour autant, comme législateurs, nous n’avons pas à répondre aux spécificités de chacun, puisque le propre de la loi est justement d’organiser la vie en société pour assurer collectivement la liberté et les droits de chacun.
Pour toutes ces raisons, je suis favorable à la suppression de l’article 1er A, adopté à l’Assemblée nationale, tendant à inscrire la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Je ne souhaite cette inscription ni dans l’article 1er, qui définir la République, ni dans l’article 2, qui concerne la souveraineté de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je n’ai pas l’habitude de ne pas suivre la commission ou de voter contre ce qu’a décidé le Gouvernement. Toutefois, je considère qu’intégrer les langues régionales dans la Constitution serait une erreur. Un certain nombre d’orateurs de grand talent, notamment MM. Gouteyron, Balarello et Badinter, ont parfaitement cerné le sujet. Depuis que j’ai été élu sénateur en 1977, j’ai participé à de nombreuses révisions constitutionnelles et j’ai appris deux choses.
Premièrement, il est très difficile de toucher à l’article 1er de notre Constitution.
M. Gérard Delfau. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. C’est un article essentiel, que beaucoup de gens connaissent, à défaut, souvent, de connaître la suite. On ne peut donc pas le modifier sous un quelconque prétexte et y insérer la référence aux langues régionales, surtout après avoir consacré dans la Constitution, voilà quelques années, sur l’initiative de M. Raffarin, l’organisation décentralisée de la République.
Deuxièmement, il y a trois degrés de législation : la loi, la loi organique et la Constitution. À mon sens, la protection et le développement de l’enseignement des langues régionales relèvent de la loi, et non de la loi organique ou de la Constitution.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je suis tout à fait prêt à voter une loi, comme l’a annoncé le Gouvernement, pour améliorer l’enseignement des langues régionales.
Au demeurant, ce débat sur les langues régionales me paraît un tout petit peu dépassé, à l’heure où nos enfants et nos petits-enfants parlent plus volontiers le texto que le français. (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le texto, une langue régionale ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Si nous voulons améliorer l’indivisibilité de la République et la cohésion sociale, mieux vaut renforcer l’enseignement du français et lutter contre toutes les déformations constatées à l’heure actuelle.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ce n’est pas en mentionnant les langues régionales dans la Constitution que nous améliorerons la place du français ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Je souhaiterais attirer l’attention sur l’utilisation qui est faite dans ce texte des termes « langues régionales ». Ces termes ne rendent pas compte, me semble-t-il, de la diversité des parlers qui peuvent exister dans une même région. Je dirais même que l’emploi de tels termes tend, paradoxalement, à contribuer à l’appauvrissement de la richesse de notre patrimoine linguistique.
En ma qualité d’élu d’un département dont l’identité bretonne fait l’objet d’un débat passionné qui n’est toujours pas tranché, je prendrai l’exemple des différents parlers pratiqués en Bretagne. Il apparaît en effet qu’il y existe non pas une langue régionale unique, mais un nombre important de parlers, lesquels se rattachent à cinq grands types de dialectes.
Dans la région rennaise, on pratique le gallo, qui est un dialecte de langue d’oïl parlé en Bretagne orientale. Dans le reste de la Bretagne, que l’on nomme la Bretagne bretonnante, on dénombre quatre grands dialectes, qui, eux, sont celtiques : le trégorois, le vannetais, le léonard et le cornouaillais.
Il faut le savoir, chaque dialecte se décompose en sous-familles. Leurs différences sont telles que les linguistes ont pris l’habitude de se référer aux parlers qui composent ces sous-familles. Ainsi, pour prendre l’exemple du cornouaillais, il faut y distinguer les parlers du pays Bigouden, du Poher, du Cap Sizun, ou encore du pays de l’Aven.
Les choses se compliquent encore plus si l’on considère qu’à l’intérieur même de ces zones il existe des sous-dialectes spécifiques. Ainsi, le sous-dialecte du pays Bigouden diffère entre les locuteurs issus du pays Glazik, c’est-à-dire de Quimper et de ses alentours, et ceux de la région de Douarnenez, autrement dit, du pays Penn Sardin.
Aussi, en organisant la promotion des langues régionales en Bretagne par le biais des écoles bilingues, qui enseignent une forme d’espéranto composé des différents parlers bretons et qui présente le paradoxe d’être incompréhensible par ceux qui ont l’un d’entre eux pour langue maternelle, on contribue à la liquidation d’un patrimoine linguistique bien plus riche, bien plus divers encore dans la réalité que dans la description sommaire que je viens de réaliser. Par parenthèse, je vous rappelle que cet espéranto breton a été constitué en 1941 par un admirateur du régime nazi.
Pour toutes ces raisons, je considère que les langues régionales ne doivent pas figurer dans la Constitution. C’est la raison pour laquelle je voterai ces amendements de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
M. Josselin de Rohan. Bienvenue chez les Ch’tis ! (Sourires.)
Mme Marie-Christine Blandin. Les débats sur le mot « race », d’abord, et sur les langues régionales, ensuite, étaient d’une telle qualité que j’ai déserté une réunion de la commission des affaires culturelles, regrettant, au passage, la simultanéité de nos travaux.
J’ai bien entendu tous les arguments de ceux qui plaident en faveur de la suppression de l’article 1er A. Plusieurs auteurs des amendements ont d’ailleurs pris la peine de préciser qu’ils n’avaient aucun compte à régler avec ces langues de pays.
Je constate néanmoins qu’à partir d’une unanimité sur ces travées contre le concept de « race » le Sénat a choisi de le maintenir dans la Constitution. Pour de bonnes raisons, certes ! Et maintenant, à partir d’une relative bienveillance pour les langues régionales, le Sénat s’apprête à exclure celles-ci de la loi fondamentale.
Je souhaite donc soutenir la rédaction initiale du texte qui nous est parvenue, quitte à ce qu’elle soit améliorée et cadrée par un certain nombre de sous-amendements. Une fois n’est pas coutume, j’apprécie la proposition annexe de M. Charasse. (Ah ! sur certaines travées de l’UMP.)
En revanche, il n’y a pas lieu, me semble-t-il, de faire référence à la notion de « racines ». Nous parlons non pas de racines – le terme était d’ailleurs cher à Barrès –, mais de mémoire collective, ce patrimoine d’histoires et de vies croisées qui fait notre identité française, cette diversité qui fait richesse.
Le pédiatre Aldo Naouri, proche de la majorité, connu pour son attachement à la rigueur éducative et son aversion pour les choix « post-soixante-huitards » trop permissifs, décrit très bien, dans son dernier ouvrage – tous les linguistes le savent –, comment le très jeune enfant acquiert sa ou ses langues maternelles par l’abandon de plusieurs dizaines de phonèmes, qui auraient permis, à lui comme aux Auvergnats, de maîtriser très tôt le « th » anglais ou la jota espagnole ou arabe.
En France, en 2008, l’existence durable des parlers locaux n’est pas une atteinte au français. C’est une initiation aux autres phonèmes, utiles pour l’acquisition des futures langues étrangères, c’est une fenêtre ouverte sur la diversité. Nous sommes ici au niveau de la comptine, et non au niveau de l’ébranlement de l’école de la République ou du conseil municipal en catalan.
La sauvegarde des langues régionales n’est pas une quête d’ancrage, c’est le soin donné à un patrimoine fragile, humain, culturel, terrain d’ouvertures, de curiosités, de voyages intellectuels, poétiques.
Le succès inédit d’un film populaire, presque populiste, caricatural, mais chaleureux, Bienvenue chez les Ch’tis,…