M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Assassi, vos efforts sont tout à fait méritoires, mais, comme vous en êtes d'ailleurs rendu compte, il est difficile d’opposer l’exception d’irrecevabilité à un texte qui vise, précisément, à réviser la Constitution !
Toutefois, vous avez évoqué plusieurs questions intéressantes.
S'agissant de la non-rétroactivité des lois, l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose un principe fondamental, même si, nous le savons, la rétroactivité peut s’appliquer dans certains cas en matière civile. Néanmoins, nous ne voulions pas introduire d’ambiguïtés en précisant ce point dans la Constitution. J’élimine donc cet argument !
En fait, la seule question qui pourrait être débattue est celle de la supra-constitutionnalité. Qu’y a-t-il au dessus du pouvoir constituant ? Personne ! Seul le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution limite notre faculté de réviser la Constitution. Il s’appliquerait si nous mettions en cause « la forme républicaine du Gouvernement ». Mais que se passerait-il alors ? Qui ferait respecter la Constitution ? Il s'agit là d’un débat tout à fait théorique. Laissons-le aux juristes et aux constitutionnalistes, qui en sont coutumiers !
Aujourd'hui, il s'agit de modifier la Constitution afin d’accorder des pouvoirs plus importants au Parlement. Et je vous renvoie à ce sujet au rapport de la commission des lois : au début de la IIIe République, l’intervention du Président de la République devant l’Assemblée nationale était encadrée par le « cérémonial chinois ». Cette procédure était tout à fait extraordinaire : le Président de la République informait l’Assemblée nationale de son intention de s’exprimer, puis intervenait devant elle, sauf si les députés en décidaient autrement.
Aujourd'hui, empêcher le Président de la République de venir s’exprimer devant les assemblées réunies en Congrès serait d’une incroyable chinoiserie ! Et d’un conservatisme proprement extraordinaire !
D'ailleurs, pourquoi les monarchistes s’opposaient-ils à la venue du président Adolphe Thiers devant l’Assemblée nationale ?
M. Michel Mercier. Parce qu’il était plus malin qu’eux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parce qu’ils redoutaient son verbe, qui lui permettait d’influencer l’Assemblée nationale et de faire basculer la majorité. Si vous craignez que le Président de la République n’en fasse autant, vous avez sans doute raison, car il possède une force de conviction sans commune mesure avec celle de beaucoup d’autres hommes politiques !
M. Robert Bret. On le voit dans les sondages !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Enfin, madame Assassi, vous affirmez que, depuis les débuts de la Ve République, vos amis ont combattu les institutions – c’était d'ailleurs leur droit –, et notamment l’élection du Président de la République au suffrage universel.
Mais permettez-moi tout de même de vous rappeler, à vous qui, tout comme moi, êtes démocrate, que cette disposition constitutionnelle a été approuvée par référendum, en 1962, par quelque treize millions d’électeurs, alors que moins de huit millions de voix la rejetaient ! Si l’on n’admet pas ce principe, on peut tout affirmer ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Robert Bret. Et le référendum de 2005 ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le peuple s’est prononcé par référendum et l’élection du Président de la République au suffrage universel fait donc partie, désormais, de notre patrimoine institutionnel, que cela vous plaise ou non !
Pour tous ces motifs, et ne serait-ce que parce que l’exception d’irrecevabilité ne peut être opposée à une révision constitutionnelle, la commission émet donc, bien sûr, un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En vérité, monsieur le président, le Gouvernement partage totalement l’analyse de président Hyest sur cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 96 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 233 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 117 |
Pour l’adoption | 24 |
Contre | 209 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai le sentiment que mes arguments sont si forts que je vais pouvoir résumer mon propos ! Je me contenterai donc de développer trois points.
Premièrement, ce projet de loi constitutionnelle contient nombre de leurres et de faux-semblants. On nous affirme qu’il est porteur de « réformes profondes », mais, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il n’en est rien.
Bernard Frimat a brillamment exposé tout à l'heure ce qu’il en était du droit de veto des parlementaires sur les nominations. Celui-ci sera conditionné au vote des trois cinquièmes des membres des deux commissions compétentes de chaque assemblée. À l’évidence, la portée de cette disposition aurait été tout autre si la même majorité avait été nécessaire pour valider – et non écarter – la nomination. Le dispositif qui nous est présenté n’emportera aucun effet concret.
En ce qui concerne la déclaration d’urgence, vous savez, mes chers collègues, que le Gouvernement y recourt beaucoup trop souvent, au point que celle-ci devient pratiquement la procédure de droit commun, ce qui est fâcheux pour les droits du Parlement. On nous affirme que cet abus cessera parce que les conférences des présidents des deux assemblées auront la faculté de refuser conjointement l’urgence. Mais ce cas de figure ne se produira pratiquement jamais, tout le monde le sait !
J’en viens au droit d’expression du Président de la République devant les assemblées, dont il a encore été question à l’instant.
Mes chers collègues, comme vous, j’écoute la radio et je regarde la télévision. Or, tous les jours, j’entends le Président de la République s’exprimer. En la matière, on ne peut pas dire qu’il y ait un manque… C’est plutôt le trop-plein !
Mme Michèle André. C’est l’overdose !
M. Jean-Pierre Sueur. J’imagine nos futurs déplacements vers le Congrès, que certains orateurs ont évoqués : dans l’autobus, en route pour Versailles, nous écouterons la radio, qui nous informera de la déclaration du Président de la République de la veille et commentera déjà ses propos du lendemain, cependant que quelques journalistes bien informés nous livreront en avant-première la teneur de la déclaration que nous apprêterons à entendre.
Nous ne pourrons rien lui répondre, et nous nous trouverons donc, au final, en situation d’infériorité par rapport aux nombreux citoyens qui peuvent rencontrer le Président de la République lors de ses déplacements.
Tout cela sera donc bien formel et quelque peu désuet. Ce n’est pas franchement une révolution !
Et qu’en est-il des droits de l’opposition ? Celle-ci disposerait librement de l’ordre du jour du Parlement pendant une journée par mois. On prétend que c’est extraordinaire, mais le changement n’est pas si considérable !
Quant au 49-3, il est maintenu, alors qu’on aurait pu le supprimer ou en réduire encore davantage l’usage.
Enfin, l’exercice du droit d’amendement serait réformé. Mais ce qui constitue un droit imprescriptible des parlementaires, et même l’une des conditions de leur existence, se trouverait soumis à des dispositions réglementaires.
Ces six exemples – j’aurais pu en mentionner d’autres – montrent que bien des changements proposés dans ce texte sont autant de trompe-l’œil.
Deuxièmement, j’évoquerai, après beaucoup d’autres, la question de la réforme du Sénat.
Chers collègues de la majorité, je persiste à ne pas vous comprendre : pourquoi refusez-vous de poser le problème, très simple, des conditions de l’alternance dans une assemblée démocratique, préférant développer une laborieuse casuistique ?
Comme j’ai décidé de ne pas abuser de votre patience, je n’évoquerai pas l’excellent discours de Jean-René Lecerf qui, il y a quelques semaines, a soutenu à cette tribune une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Bel, qui visait à réformer le mode d’élection des sénateurs.
M. Lecerf a affirmé que le moment n’était pas venu de débattre de ce problème et qu’il fallait attendre l’examen du projet de loi de révision constitutionnelle. Ce texte arrive au Sénat, le président de la commission des lois annonce que l’on va discuter du problème et… il présente un amendement qui bloque tout !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Puis le président de l’Assemblée nationale s’exprime et il apparaît que tout cela fait désordre. Alors, l’amendement disparaît et l’on revient au statu quo ante, qui fait que notre assemblée, malheureusement, ne peut pas refléter la respiration démocratique.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est faux !
M. Jean-Pierre Sueur. Or, dans tous les pays du monde, on considère que l’alternance est un bienfait pour une assemblée parlementaire.
Monsieur Raffarin, puisque vous avez parlé de Pierre Mendès France, je voudrais à mon tour citer plusieurs phrases de son livre La République moderne.
Ainsi peut-on lire, page 120 : « Les réserves qui ont pu être formulées contre le Sénat portent le plus souvent sur son mode de recrutement bien plutôt que sur son existence même. » Il s’agit là d’une affirmation très sage de Pierre Mendès France.
Quelques pages plus loin, il écrit : « Chacun connaît l’injustice choquante qui préside souvent à la répartition des sièges sénatoriaux. » Pierre Mendès France avait déjà le sentiment qu’il y avait là quelque chose d’anormal.
M. Jean-Pierre Raffarin. Ne faites pas de Mendès France un comptable !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne fais pas de Pierre Mendès France un comptable. J’éprouve un grand respect pour lui, car il a bien voulu m’apporter un jour son soutien, ce que je n’oublierai jamais.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le nombre de sénateurs élus par département a évolué depuis !
M. Jean-Pierre Sueur. Le troisième et dernier point que je voudrais évoquer concerne le vote des étrangers aux élections locales. Pour nous, il s’agit d’une condition importante de la bonne intégration des étrangers qui vivent et travaillent depuis très longtemps dans notre pays.
Nous sommes persuadés que c’est une condition essentielle pour que s’atténue tout ce qui s’apparente encore aujourd’hui au refus, à la négation, parfois à la ségrégation, à la brimade, à la haine et pour que ces étrangers participent pleinement à la vie républicaine au niveau local.
Cette fois, permettez-moi de recourir à deux autres citations émanant de M. Nicolas Sarkozy. (M. le secrétaire d’État se réjouit.) Je vois que cela fait plaisir à M. Karoutchi !
M. Nicolas Sarkozy, dans un ouvrage, que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt, publié en 2001, et intitulé Libre – c’est tout un programme ! – écrivait : « À compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois, où ils vivent sur notre territoire depuis un temps minimum, par exemple de cinq années, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie quotidien. » C’est très clair !
M. Nicolas Sarkozy, devenu ministre de l’intérieur en 2005, déclarait : « À titre personnel, je considère qu’il ne serait pas anormal qu’un étranger en situation régulière qui travaille, paie ses impôts et réside depuis au moins dix ans en France puisse voter aux élections municipales. »
Enfin, le 24 octobre 2005, M. Nicolas Sarkozy ajoutait qu’il fallait renforcer la chance de l’intégration pour les étrangers en situation légale et que le droit de vote aux municipales en faisait partie.
Et là, puisqu’il a été fait allusion à François Mitterrand, je voudrais rappeler – chacun s’en souvient sans doute – l’attitude qui fut la sienne au sujet de la question de la peine de mort.
Pour le vote des étrangers aux élections locales, depuis des années et des années, on nous dit que ce serait une bonne chose, mais que l’opinion n’est pas prête, que ce n’est pas le moment, qu’il faut attendre !
Puisque M. le Président de la République le dit, nous aurions pu avoir aujourd’hui l’occasion de mettre les actes en accord avec les paroles. En tout cas, cela aurait été un signe très fort pour la République. Avec la démocratisation du mode d’élection des sénateurs, cela aurait pu être un argument qui aurait pesé lourd dans notre décision.
Pierre Mendès France a beaucoup réfléchi et écrit sur les méfaits de la IVe République. Il a également beaucoup critiqué les défauts de la Ve République. Notre collègue Robert Badinter, lorsqu’il parlait de monocratie, disait que les défauts existent toujours et que rien n’est plus urgent, dans une réforme constitutionnelle, que de les remettre en cause afin d’améliorer l’équilibre des pouvoirs.
En conclusion, je citerai, en l’honneur de Pierre Mendès France, une autre phrase de son livre La République moderne. Page 52, il écrit : « Tout homme qui a le pouvoir […] est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Vous avez reconnu Montesquieu. C’est donc au nom de ses principes que j’ai l’honneur de vous présenter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Dominique Voynet. Parfait ! Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’aime que l’on cite Montesquieu, mais on pourrait aussi évoquer Montaigne sur un certain nombre de sujets qui nous préoccupent aujourd’hui.
Même s’il n’y a rien de plus dangereux que les citations, je reconnais le bien-fondé de celles qui viennent d’être faites. Il faut toujours s’en méfier, et cela vaut pour tout le monde, car souvent les affirmations qui sont contenues dans tel ou tel passage d’un texte sont tempérées dans le paragraphe suivant.
Je comprends l’admiration que Jean-Pierre Sueur, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, nourrit à l’égard de Pierre Mendès France, qui fut un homme politique éminent et qui n’a pas toujours été compris, surtout par ses propres amis.
Ce débat est très intéressant. En fait, depuis le début, vous posez des préalables à l’examen du projet de loi de modernisation des institutions de la Vè République. Je pense notamment à la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs. Aujourd’hui vous nous avez parlé du vote des étrangers aux élections locales ou encore de l’expression du Président de la République devant le Parlement.
Vous ne défendez pas une motion tendant à opposer la question préalable, monsieur Sueur, car cela signifierait que les conditions ne sont pas remplies pour examiner le projet de loi qui nous est soumis.
Franchement, si cela vous fait si peur que le Président de la République puisse venir devant le Parlement une fois de temps en temps, je vous rappelle que la Constitution de 1848 obligeait le Président de la République au moins une fois par an à exposer l’état général des affaires de la République devant l’Assemblée nationale !
Par conséquent, selon les régimes, on peut quelquefois obliger, quelquefois interdire. Tout cela est intéressant, mais assez secondaire.
Vous avez dit que le mode d’élection des sénateurs interdit l’alternance. Je ne vois pas au nom de quoi l’on se repaît de tels propos !
M. Jean-Pierre Bel. Regardez le résultat des dernières élections municipales !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Attendez de connaître les résultats des prochaines élections sénatoriales qui auront lieu au mois de septembre !
Bien sûr, le rythme n’est pas le même au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, puisque notre assemblée est renouvelée par moitié tous les trois ans. Patientez, messieurs, le pire n’est pas sûr pour nous !
Vous avez parlé de l’urgence en évoquant d’éventuels leurres.
En ce qui concerne l’avis du Parlement sur les nominations effectuées par le Président de la République, l’Assemblée nationale a estimé qu’il devait y avoir un veto des trois cinquièmes pour interdire la nomination. Honnêtement, même avec l’avis simple, …
M. Jean-Pierre Bel. Il n’y a pas d’avis simple !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si, il y a un avis simple, je suis désolé !
Franchement, si l’avis simple n’est pas favorable, je ne vois pas comment le Président de la République persisterait à nommer le candidat qu’il a proposé.
Enfin, concernant le vote des étrangers aux élections locales, certains, dont le Président de la République, ont dit qu’ils souhaitaient que ce droit leur soit accordé. À titre personnel, je considère que nous sommes dans un pays où l’acquisition de la nationalité est l’une des plus faciles. Cinq ans de résidence régulière suffisent. Je regrette, à titre personnel, les obstacles qui sont mis par de nombreux services ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les procédures ont été simplifiées afin que les dossiers ne passent plus par plusieurs ministères.
À propos de l’acquisition de la nationalité, je vous renvoie au rapport très intéressant qui avait été rédigé il y a quelques années sur le thème : « Devenir Français » et qui semble avoir été oublié.
Notre modèle d’intégration, à partir du moment où des personnes venant de l’extérieur s’installent durablement dans notre pays…
Mme Alima Boumediene-Thiery. Et les Européens !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas la même chose. Car, s’il existe une citoyenneté européenne, il n’y a pas de citoyenneté pour les étrangers, sauf s’ils deviennent français !
Par conséquent, vous alléguez des prétextes. Nous devons continuer l’examen du projet de loi qui nous est soumis et qui peut fondamentalement changer, notamment, les relations entre le Gouvernement et le Parlement.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous demande de rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous avons entendu beaucoup de citations ce soir.
À mon tour, je voudrais citer un homme fort célèbre, souvent mentionné ici, le général de Gaulle, qui disait avec beaucoup de mépris en parlant du Sénat, ce « truc », ce « machin ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il parlait de l’ONU !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il aurait également pu le dire du Sénat, vu le mépris qu’il nourrissait pour notre assemblée.
Notre collègue Jean-Pierre Sueur a évoqué la démocratisation des assemblées, notamment du Sénat, où l’alternance n’est pas possible. Il n’est que de rappeler la proposition de loi que nous avons nous-mêmes déposée sur les conditions de l’élection des sénateurs et qui n’a pas donné lieu à débat puisqu’elle a été repoussée d’un revers de main.
De la même façon, pour le vote des résidents non communautaires, nous avons, à plusieurs reprises, déposé une proposition de loi et l’avons réintroduite dans différents textes sous forme d’amendements. Or, là aussi, on nous a rétorqué que ce n’était pas le moment !
Par conséquent, monsieur Hyest, je ne comprends pas votre raisonnement, qui revient à dire qu’en France il y aurait des citoyens de « demi-zone » qui paient leurs impôts, participent à la vie économique et sociale, mais qui ne peuvent pas prendre part à la vie municipale.
Quant à nous, nous réitérerons nos propositions dans les textes à venir en faveur des résidents non communautaires.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Nous aurons l’occasion de revenir sur les éléments de réponse que M. Hyest a apportés à M. Sueur puisque nous avons déposé des amendements sur ces sujets. Je me limiterai donc à deux observations.
Tout d’abord, M. Hyest considère que le droit de message du Président de la République est tellement secondaire qu’il est essentiel de le conserver.
Ensuite, atteignant le summum de son art intellectuel, il dit qu’il est favorable au vote des étrangers aux élections locales à condition qu’ils soient français ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exactement !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 97 :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l’adoption | 119 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°505, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à cette heure matinale, mon propos sera bref. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
Avant toute chose, je tiens à protester contre le refus de M. le président du Sénat de me donner, au début de la séance de cet après-midi, la parole pour un rappel au règlement sur l’organisation de nos travaux, comme l’autorisent expressément les textes.
J’estimais nécessaire, avec mes collègues du groupe CRC, d’éclairer le débat, avant l’intervention du Gouvernement et des rapporteurs, sur les conséquences constitutionnelles de la caducité du traité de Lisbonne. Or, cette question fondamentale fut éludée : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Le dépôt de la présente motion tendant au renvoi à la commission n’est pas un acte de procédure, encore moins une manœuvre dilatoire pour refuser un débat que nous appelons de nos vœux. Il est la conséquence du résultat du référendum irlandais.
Les Irlandais, vous le savez, viennent de rejeter, à 53,4 %, le traité de Lisbonne, avec un taux de participation qui s’est élevé à 53,1 %. C’est un résultat sans appel dont il convient de tirer toutes les conséquences !
Chaque État membre détient, en principe, un droit de veto. Le défaut de ratification par un seul des États membres de l’Union européenne suffit à faire obstacle à l’entrée en vigueur du traité modificatif. Or, c’est précisément cette hypothèse qui vient de se réaliser !
En votant clairement « non », le 12 juin 2008, les Irlandais ont exprimé leur refus du traité de Lisbonne ! Ce « non » cinglant du peuple irlandais rend ce texte caduc !
Dans la mesure où le traité de Lisbonne a été rejeté par un État membre de l’Union européenne, il ne peut pas entrer en vigueur. En conséquence, l’article 88-1 de la Constitution française, faisant explicitement référence à un traité qui n’entrera pas dans l’ordre juridique interne, devient inopérant et non pertinent.
Ainsi, alors que nous débattons de la réforme constitutionnelle, il convient dès à présent d’abroger l’article 88-1 de la Constitution et la loi constitutionnelle du 4 février 2008, qui, dans son article 2, modifie le titre xv de la Constitution.
Je rappelle que l’article 88-1 de notre Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 4 février 2008, prévoit, dans son second alinéa, que la République « peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne, modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007. »
L’article 88-6 de la Constitution évoque les actes législatifs européens. Or, cette nouvelle catégorie de normes juridiques est créée par le traité de Lisbonne, aujourd’hui caduc. Il n’est donc pas possible d’en maintenir la référence dans notre Constitution. La commission des lois a-t-elle un avis sur ce point ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous verrez demain.
M. Robert Bret. Si c’est le cas, il serait temps de le donner.
Le droit des traités prévoit que l’entrée en vigueur d’un traité nécessite le consentement de tous les États ayant participé à sa négociation. La convention de Vienne de 1969 pose, dans l’article 24 de la section 3, le principe que « un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié par le traité a été établi par tous les États ayant participé à la négociation. »
D’un point de vue juridique, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est donc conditionnée par la ratification unanime des 27 États membres de l’Union européenne.
C’est pourquoi, au nom de mon groupe, je demande à la commission des lois d’examiner, avant le début de la discussion des articles du projet de loi de révision constitutionnelle, les conséquences du rejet du traité de Lisbonne sur notre Constitution.
Monsieur le rapporteur et président de la commission des lois, mes collègues et moi-même attendons, vous le comprendrez, une réponse claire et précise. Vous ne pouvez vous y dérober, comme vous l’avez fait en début d’après-midi à l’issue de notre rappel au règlement.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que nous avions eu l’occasion de souligner en début d’année, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre xv de la Constitution, que ces dispositions validaient par avance le traité de Lisbonne. Elles manifestaient de fait l’approbation du contenu du traité et méconnaissaient le pouvoir d’autorisation de ratification de la souveraineté nationale.
En 2008, pour le traité de Lisbonne, comme en 2005, pour le traité établissant une Constitution pour l’Europe, le même schéma a été retenu : valider par avance le traité en y faisant explicitement référence dans la Constitution française.
L’argument avancé pour justifier cette procédure est que la généralité de la formule a pour objet de lever l’ensemble des obstacles juridiques à la ratification du traité. En fait, il s’agit de forcer le destin, de prendre acte de l’entrée en vigueur d’un traité avant que tous les instruments de ratification n’aient été déposés.
Pourtant, faut-il le rappeler, en 2005, le peuple français, par le référendum du 29 mai 2005, avait clairement et massivement exprimé son refus à l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe.
Après la victoire du « non » au référendum, qu’est-il advenu de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle de 2005 ? Comme nous l’avions prévu, il est resté inscrit dans la Constitution française, devenant lettre morte.
Oui, cet article est resté inscrit dans notre Constitution jusqu’à l’adoption, en 2008, d’un nouveau projet de révision constitutionnelle dont l’article 1er prévoyait de remplacer les dispositions du second alinéa de l’article 88-1.
Aujourd’hui, la même erreur ayant été commise dans la loi constitutionnelle de 2008, avec la validation anticipée du traité de Lisbonne, nous sommes confrontés à la même difficulté.
Une disposition inopérante est inscrite dans notre Constitution. Il convient donc de la supprimer. Il est pour le moins regrettable que le Gouvernement n’ait tenu aucun compte de ce qui s’est passé en 2005, qu’il n’en ait tiré aucune leçon !
Que signifie cette procédure, qui aurait pu être évitée, en 2005 et en 2008, par la notification expresse de l’inapplicabilité de ces deux lois constitutionnelles en cas de rejet du traité modificatif ? Ne s’agit-il pas, sous couvert de cohérence juridique, de valider par avance une disposition non acceptée par le peuple et, en conséquence, de passer outre la souveraineté nationale ?
Pour le traité de Lisbonne, le Gouvernement pensait qu’il n’avait pris aucun risque, cette fois-ci. En effet, Nicolas Sarkozy avait décidé de passer outre à la décision du peuple français de mai 2005 en l’annulant par un vote du Parlement.
Plus généralement, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Union européenne s’étaient entendus pour contourner les peuples en s’assurant que les ratifications parlementaires seraient préférées aux consultations populaires. Seul le gouvernement irlandais a dû recourir au référendum, puisque la Constitution de la République irlandaise lui en faisait l’obligation. On connaît le résultat : il fait obstacle à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui était escomptée au 1er janvier 2009.
Aujourd’hui comme en 2005 – mêmes causes, mêmes effets ! –, le second alinéa de l’article 88-1 de la Constitution et la loi constitutionnelle du 4 février 2008 doivent être abrogés. Aussi, nous vous invitons, mes chers collègues à voter le renvoi en commission, afin que nous puissions analyser les conséquences du référendum irlandais. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)