M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis transpose partiellement ou intégralement cinq directives communautaires dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Alors que les deux dernières directives, qui datent de 2004 et 2006, n’ont pas encore été transposées, les trois premières, qui remontent à 2000 et 2002, ont déjà fait l’objet d’une transposition. Mais la Commission européenne a estimé que celle-ci était incomplète et a engagé trois actions en manquement contre l’État français. Il nous est proposé, aujourd’hui, de régulariser les trois premières directives et de transposer partiellement les deux dernières.
On peut comprendre et approuver le Gouvernement, qui souhaite soigner l’image européenne de la France trois mois avant de prendre la présidence de l’Union. Son objectif, au travers de ce projet de loi, est de mettre la France à l’abri de toute procédure judiciaire en répondant un à un aux griefs de la Commission européenne.
Cet objectif est parfaitement légitime, madame la secrétaire d’État, mais il ne doit pas conduire les parlementaires que nous sommes à fermer les yeux sur le contenu du texte. Il est en effet de notre devoir et de notre responsabilité de vérifier que le projet de loi est conforme à l’intérêt général et ne pose pas de problème particulier.
Or certains points du texte soulèvent des interrogations ; les différents entretiens que j’ai pu avoir avec des professeurs de droit ou des membres de la Cour de cassation me l’ont confirmé. Les circonstances de cette transposition de directives en sont une preuve supplémentaire : voilà huit ans que les deux premières directives ont été adressées à la France et cinq ans qu’elles auraient dû être entièrement transposées ; pourtant, c’est dans l’urgence qu’une telle transposition nous est soumise.
On comprend bien que la France souhaite être irréprochable avant d’assurer la présidence de l’Union européenne. Mais on se demande aussi pour quelles raisons ces directives n’ont pas été transposées correctement et dans les bons délais.
Quels sont les éléments qui ont gêné les gouvernements précédents, lesquels n’ont pas transposé l’intégralité des directives ? Y a-t-il dans ces dernières des points qui ne sont pas compatibles avec notre justice et notre droit ? Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il ne faut sans doute pas chercher les réponses ailleurs que dans le contenu, difficilement adaptable à notre droit, de certains points de ces directives.
J’aborderai donc maintenant le fond du débat.
Le projet de loi comporte quatre éléments nouveaux. Il redéfinit les notions de discrimination et de harcèlement en reprenant les définitions communautaires. Il interdit les discriminations fondées sur le sexe en matière d’accès aux biens et services. Il généralise l’aménagement de la charge de la preuve à tous les contentieux qui concernent les discriminations. Il prévoit, enfin, que les interdictions en matière de discrimination s’appliquent à toutes les personnes publiques ou privées, y compris celles qui exercent une activité professionnelle indépendante.
L’Assemblée nationale a, par ailleurs, prévu que les cinq premiers articles du projet de loi et les articles du code du travail correspondants seront affichés dans les lieux de travail.
En apparence, donc, le texte constitue un progrès, car il renforce les moyens de la lutte contre toutes les discriminations, ce qui ne peut qu’appeler notre total soutien. Si j’emploie les termes « en apparence », c’est parce que, comme je vais essayer de vous le montrer maintenant, le projet de loi soulève plusieurs problèmes préoccupants.
D’abord, et c’est le point le plus important, le texte pratique l’amalgame entre l’inégalité de traitement et la discrimination. La définition de la discrimination directe, reprise des directives, est la suivante : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou à une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable. ». Le texte laisse ainsi penser qu’une inégalité de traitement est toujours due à une discrimination.
Or le droit français, au contraire, veille à distinguer clairement les deux notions, la Cour de cassation rappelant régulièrement qu’« une différence de traitement entre plusieurs salariés d’une même entreprise ne constitue pas nécessairement une discrimination ». La distinction peut paraître subtile, mais elle comporte un enjeu fondamental.
Je vais illustrer cette remarque par un exemple : deux secrétaires – une femme et un homme – travaillent dans la même entreprise. Il se trouve qu’ils effectuent les mêmes tâches et ont le même niveau de compétence. Pourtant, la femme est moins bien payée. Deux voies juridiques s’offrent alors à elle pour obtenir l’égalité de traitement, et c’est ici qu’intervient la différence fondamentale que j’évoquais.
Soit elle choisit d’insister sur le fait qu’elle est une femme et, en tant que telle, victime d’une discrimination, et c’est la voie du droit communautaire ; soit, au contraire, elle n’invoque pas le fait qu’elle est une femme et elle s’appuie sur le principe d’égalité de traitement, en vertu duquel les salariés placés dans une situation identique doivent être payés de façon identique.
À l’arrivée, le résultat sera identique, certes, mais l’état d’esprit qui sous-tend la démarche sera profondément différent et ses effets sur les rapports sociaux ne seront pas les mêmes. D’un côté, le droit vous conduit à insister sur vos différences, vos caractéristiques particulières – le sexe, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle – et à vous placer en victime pour réclamer l’égalité. De l’autre, il vous encourage à invoquer un principe commun à tous, l’égalité de traitement, et vous conforte de ce fait dans une posture positive et constructive.
Derrière cette question juridique se profile donc une interrogation de fond : au travers du combat contre les discriminations, veut-on inciter au repli sur soi, à la mise en exergue des identités particulières, à l’appartenance à une communauté, ou veut-on insister sur les valeurs et les principes communs ? Veut-on nous engager dans une politique d’encouragement au communautarisme promu dans les pays anglo-saxons, ou veut-on rester fidèle à notre conception latine du vivre ensemble ?
Je crains, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que le projet de loi ne nous entraîne sur le chemin du communautarisme, et je le regrette. Il est vraiment dommage que nos principes n’aient pas été mieux défendus lors de la négociation des directives à Bruxelles. Cela étant, nous avons des marges de manœuvre pour limiter les effets négatifs du texte ; j’y reviendrai.
Le deuxième problème que soulève le projet de loi est l’insécurité juridique qu’il risque de provoquer. En effet, le texte comporte plusieurs définitions communautaires, qui se caractérisent par une grande confusion ; je sais que cette analyse est partagée par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Par exemple, la définition de la discrimination directe se termine par les mots suivants : « une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait ».
La dimension fictive de la comparaison, dont témoigne l’emploi du conditionnel « ne serait », est inquiétante, car elle ouvre la porte à des condamnations fondées sur des hypothèses invérifiables : comment prouver qu’il y a discrimination si des éléments de comparaison objectifs n’existent pas ?
Le même problème se pose avec la définition de la discrimination indirecte, définition qui évoque « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner [...] un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes ».
Là encore, le texte risque de conduire à des condamnations fondées sur de simples suppositions : une personne pourrait être sanctionnée pour avoir instauré une disposition, un critère ou une pratique ne créant pas de discrimination, mais « susceptible », d’après le juge, de la créer. On frôle ici le procès d’intention et cette disposition me paraît très contestable.
La manière de traiter le harcèlement sexuel dans le projet de loi mérite également toute notre attention : le texte reprend la définition communautaire sans supprimer celle qui est déjà en vigueur en droit français. Nous aurons donc deux définitions distinctes du harcèlement sexuel en matière civile, ce qui pose, bien sûr, un problème d’égalité devant la loi : des individus placés dans des situations semblables pourront se voir appliquer un jugement différent selon que l’une ou l’autre définition sera invoquée par l’avocat et retenue par les magistrats.
Par ailleurs, la définition communautaire du harcèlement sexuel est extrêmement large : « tout agissement… – au singulier –… à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; ». On voit bien qu’une définition aussi vague revient à transférer au juge le soin de la préciser, donc de dire la loi. En l’état actuel, ce texte ne nous semble pas satisfaisant.
Vous nous avez confié, madame la secrétaire d'État, que nous n’avions pas le choix, parce que les points que nous évoquons sont des points durs pour la Commission européenne, des points sur lesquels elle ne veut rien entendre et qui la conduiraient à poursuivre son action en manquement si nous y touchions.
Je ne suis pas du tout insensible à cet argument et je souhaite évidemment, comme tous les Français, que la France aborde la présidence de l’Union dans les meilleures conditions possibles. Mais je veux revenir sur les prétendus risques que nous prenons en essayant de concilier au mieux les directives européennes et notre droit.
D’abord, l’avis de la Commission européenne n’est pas celui de la Cour de justice des communautés européennes. La Commission européenne peut tout à fait soutenir une thèse, la France en plaider une autre et la Cour de justice trancher en faveur de la France.
Or, en l’espèce, je crois vraiment que la position de la Commission européenne n’est pas très respectueuse du traité européen et que le droit est plutôt de notre côté.
L’article 249 de ce traité dispose, en effet : « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».
Le résultat à atteindre ici, c’est le recul des discriminations dans les domaines où les directives les interdisent. Nous ne pouvons qu’être d’accord sur cette dimension positive du projet de loi : l’élargissement du champ d’interdiction des discriminations.
Mais, s’agissant de la forme et des moyens qui sont laissés aux États membres, notre devoir est d’y réfléchir ; il est de notre responsabilité d’en débattre pour qu’ils soient les plus appropriés à notre histoire et à notre droit.
Or, comme il me semble l’avoir montré, la tonalité communautariste du projet de loi et le pouvoir considérable qu’il confie au juge sont très éloignés de notre tradition historique et juridique. Il n’est donc pas du tout certain que, en l’état actuel, le texte contribuera à un combat plus efficace contre les discriminations.
Si, donc, en toute bonne foi, nous amendons, comme nous y invite le traité européen, la forme et les moyens proposés par la directive pour renforcer le résultat à atteindre, c’est-à-dire une lutte plus énergique contre les discriminations, je ne vois réellement pas ce que la Commission européenne, si elle est aussi de bonne foi, pourra nous reprocher.
De toute façon, quand bien même la Commission persisterait dans une interprétation restrictive de l’article 249 et maintiendrait son recours en manquement, son attitude ne porterait pas atteinte à l’image de la France pendant la présidence de l’Union, puisque le temps de la procédure judiciaire européenne conduirait la Cour de justice à rendre sa décision au plus tôt au début de l’année 2010. Et encore une fois, au vu du traité européen, je pense vraiment que la Cour nous donnerait raison.
Enfin, je veux souligner que cette exigence, qui nous pousse à adapter le mieux possible le droit communautaire aux valeurs de notre pays et à ne pas céder aux objections de la Commission européenne quand elles ne nous paraissent pas fondées, sera utile au Gouvernement lui-même lorsqu’il négociera les prochaines directives sur les discriminations ou sur d’autres sujets.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
Mme Muguette Dini, rapporteur. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les modifications que nous allons proposer vont peut-être compliquer un peu, sur le moment, les relations du Gouvernement avec la Commission européenne,…
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh, même pas !
Mme Muguette Dini, rapporteur. …mais je suis convaincue qu’elles ne feront aucun tort à la présidence française de l’Union. En outre, et surtout, elles donneront au Gouvernement plus de force pour défendre en Europe, lors des négociations à venir, les valeurs universalistes de notre pays dans la lutte contre les discriminations.
C’est pourquoi, tout aussi soucieuse de soutenir le Gouvernement dans sa préparation de la présidence de l’Union que de défendre nos principes les plus fondamentaux, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi, sous réserve des amendements qu’elle a approuvés à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP, ainsi que sur des travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Hummel, rapporteur.
Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait souhaité recueillir notre avis sur les conséquences pour les droits des femmes et pour l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du projet de loi dont nous discutons cet après-midi.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est normal !
Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Ce texte porte, en effet, sur un thème qui est au cœur de nos préoccupations : la lutte contre les discriminations et, en particulier, celles qui sont fondées sur le sexe. Je note que, sur les cinq directives dont le projet de loi assure ou améliore la transposition, trois directives traitent exclusivement de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes.
Au cours de la réunion qu’elle a consacrée à l’examen de ce texte la semaine dernière, notre délégation a formulé six recommandations, que je vous présenterai rapidement.
D’abord, un double constat s’impose : la transposition de ces directives est urgente et les exigences très précises de la Commission européenne imposent souvent une reprise presque littérale de leurs dispositions.
Dès lors, le Gouvernement a fait le choix d’opérer une transposition au plus près et de maintenir l’essentiel des nouvelles dispositions dans un texte spécifique, plutôt que de les intégrer dans les codes et lois en vigueur et d’opérer une fusion avec les dispositifs actuels, très étoffés, de lutte contre les discriminations du droit français.
Certes, cette démarche présente l’avantage d’être inattaquable au regard des exigences précises formulées par la Commission européenne. Mais elle aboutit à un dispositif complexe, où les définitions que donne le droit français des notions de discrimination, de harcèlement sexuel et de harcèlement moral coexisteront avec les définitions voisines, mais non identiques, données par le projet de loi, sans que l’articulation entre ces différentes notions soit vraiment précisée.
Cette complexité nous paraît particulièrement regrettable dans un domaine où la loi doit être intelligible, surtout pour les victimes. Notre délégation a donc formulé une première recommandation, visant à inciter le Gouvernement à ne pas en rester là et à revenir sur ces dispositions dans un proche avenir pour aboutir à un corpus de règles plus homogène et, surtout, plus compréhensible.
Au demeurant, et c’est notre deuxième recommandation, les pouvoirs publics doivent non pas se borner à perfectionner un arsenal juridique déjà considérable, mais s’attacher à en améliorer l’application, car la France doit veiller particulièrement à ne plus encourir le reproche d’être le pays des réformes symboliques.
Notre délégation a examiné attentivement les effets attendus de l’introduction en droit français des définitions données par les directives des notions de « discrimination directe » et de « discrimination indirecte ». Celles-ci peuvent constituer des leviers bien adaptés à la promotion d’une égalité réelle entre les hommes et les femmes.
Ainsi, la définition de la discrimination directe, en permettant des comparaisons hypothétiques, peut contribuer à assouplir le recours à des procédures dites de « test de discrimination », dont le président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité nous a indiqué, au cours de son audition, qu’elles étaient actuellement trop strictement encadrées par la jurisprudence des tribunaux français.
Quant à la définition de la discrimination indirecte, elle peut permettre au juge de dépasser les apparences d’une égalité de traitement pour mesurer l’effet concret d’une disposition.
La consécration, par le projet de loi, de ces définitions est donc appréciable, mais leur application devra être bien encadrée, car leur caractère est extrêmement large : comme l’a dit Mme le rapporteur de la commission, nous devrons veiller à ce que certaines expressions, par exemple l’emploi du conditionnel « ne le serait », ne puissent entraîner des dérives et alimenter des procès d’intention dont nous ne voulons pas.
Telle est la préoccupation que nous exprimons dans notre troisième recommandation.
Dans notre quatrième recommandation, nous préconisons une simplification du dispositif, qui n’autorise, actuellement, dans le code du travail, les différences de traitement fondées sur le sexe en matière d’emploi que pour les professions de comédien, de mannequin ou de modèle. Ce dispositif est sans doute trop rigide.
Plutôt que de chercher à actualiser, profession par profession, la liste des dérogations autorisées, nous pensons qu’il vaut mieux s’appuyer sur la combinaison des deux critères proposés dans le projet de loi : celui de l’objectif légitime et celui de l’exigence proportionnée. Nous nous réjouissons donc que l’amendement n° 5 de la commission des affaires sociales donne une traduction législative à cette recommandation.
J’insisterai, pour finir, sur deux dispositions qui nous paraissent appeler des réserves, voire des objections.
La première d’entre elles vise à ce que l’égalité entre les sexes pour l’accès aux biens et services n’interdise pas d’organiser des enseignements en regroupant les élèves en fonction de leur sexe. Certes, une application trop absolue du principe d’égalité entre les sexes pour l’accès au « service » que constitue l’enseignement aurait pu entraîner des effets indésirables, par exemple sur le maintien d’établissements privés non mixtes ou sur la constitution d’équipes masculines ou féminines dans les compétitions sportives en milieu scolaire et universitaire. La loi devait donc sans doute prévoir une dérogation à ce principe, mais notre délégation souhaite, dans une cinquième recommandation, rappeler notre attachement à l’objectif de mixité inscrit à l’article L. 121–1 du code de l’éducation et inciter le Gouvernement à la vigilance.
Il ne faudrait pas que cette dérogation soit utilisée pour remettre en question, pour des motifs culturels ou religieux, la bonne intégration des jeunes filles aux activités, notamment sportives, des établissements d’enseignement.
Nous nous élevons contre l’organisation d’enseignements distincts qui reproduiraient des stéréotypes sexués contre lesquels il convient, au contraire, de lutter.
Enfin, nous nous interrogeons sur la portée de la seconde disposition qui semble devoir dispenser « le contenu des médias et de la publicité » de toute obligation en matière de discrimination en raison de l’appartenance à un sexe. Son sens ne nous paraît pas clair, et l’on peut craindre que cette mesure n’ait pour objet, plus ou moins avoué, d’autoriser des représentations discriminatoires de la femme et, pourquoi pas, de l’homme dans les médias et la publicité.
Nous exprimons donc nos plus expresses réserves à l’égard de cette disposition qui prend le contre-pied des conclusions de nos récents travaux consacrés à l’image de la femme dans les médias, dans le prolongement desquels s’inscrit justement la réflexion confiée par le Gouvernement à la commission présidée par Michèle Reiser.
Conformément à notre sixième recommandation, j’ai déposé, avec la présidente de notre délégation, Gisèle Gautier, et plusieurs de nos collègues, un amendement visant à la suppression de cette mesure.
Sous réserve de l’adoption de ces six recommandations, et sous le bénéfice des observations que je vous ai présentées, la délégation s’est déclarée favorable à l’adoption du projet de loi, car, malgré ses défauts, il devrait contribuer à faire avancer la cause de l’égalité entre les hommes et les femmes, cause à laquelle nous savons, madame la secrétaire d’État, que vous êtes particulièrement attachée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.
Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les cinq directives européennes devant être transposées dans notre droit interne, trois d’entre elles concernent spécifiquement la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes.
Il s’agit là d’un sujet qui se trouve au cœur des préoccupations de notre délégation.
Je parlerai, dans un premier temps, des discriminations fondées sur le genre. Celles-ci sont fréquentes, même si les femmes elles-mêmes n’en ont pas forcément conscience et n’osent pas toujours s’en plaindre. Ainsi, au cours de son audition devant notre délégation, Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, a fait état de sondages selon lesquels de nombreuses femmes avaient le sentiment d’être « moins bien traitées » que les hommes, sans pour autant parler de « discriminations ».
De fait, les saisines de la HALDE par des femmes s’estimant défavorisées pour des raisons liées à leur sexe sont actuellement très peu nombreuses. Elles n’osent pas, en définitive, se plaindre de ces inégalités de traitement, pourtant bien réelles.
D’après les chiffres avancés par le Gouvernement lors de la Conférence sur l’égalité professionnelle et salariale du 26 novembre 2007, à laquelle vous-même, madame la secrétaire d’État, et M. Bertrand avez bien voulu m’inviter, dans la vie professionnelle, l’écart entre les salaires mensuels moyens des hommes et des femmes était de l’ordre de 25 % en 2002 – en légère baisse –, 5 à 11 % ne pouvant être expliqués par aucun facteur structurel et constituant donc une véritable discrimination salariale.
Les nombreux travaux de notre délégation sur ce sujet l’ont montré : les inégalités salariales persistent malgré un imposant arsenal législatif.
Je me félicite donc de la volonté du Gouvernement de passer au stade des sanctions à l’égard des entreprises qui n’auraient pas pris de mesures pour résorber les inégalités salariales avant la fin de l’année 2009 ; cela devrait faire l’objet d’un prochain projet de loi. Jusqu’à présent, les différents textes de loi sur les inégalités salariales que nous avons votés se contentaient de menaces ; il faut maintenant agir.
Pour l’heure, le projet de loi qui nous est soumis a pour seul objet de transposer des directives européennes, ce qui ne laisse qu’une faible marge de manœuvre au législateur, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État.
Les définitions européennes de la discrimination directe et de la discrimination indirecte peuvent s’avérer intéressantes pour la promotion d’une égalité réelle entre les hommes et les femmes, car elles permettent de viser des formes de discrimination insidieuse ne se traduisant pas toujours par des mesures directement défavorables.
Permettez-moi cependant de regretter qu’en superposant les définitions retenues dans les directives aux dispositions déjà prévues dans nos différents codes, ce projet de loi aboutisse à alourdir et à complexifier le droit applicable, au détriment de sa clarté et de sa lisibilité pour les victimes de discriminations.
Tel est le cas, par exemple, en matière de harcèlement sexuel. Il faudra bien, un jour, madame la secrétaire d’État, remettre l’ouvrage sur le métier pour parvenir à une meilleure cohérence d’ensemble et à une harmonisation des dispositions existant dans les différentes branches de notre droit.
C’est là l’une des principales recommandations de la délégation aux droits des femmes, qui a également insisté, dans ce domaine comme dans d’autres, sur la nécessité de ne pas se contenter « d’empiler les lois » : il faut veiller davantage à leur application concrète.
Je souhaiterais en outre évoquer plus particulièrement deux dispositions du texte qui me paraissent préoccupantes quant à leurs conséquences potentielles sur le droit des femmes.
D’une part, la disposition autorisant l’organisation d’enseignements en regroupant les élèves en fonction de leur sexe ne doit pas remettre en cause le principe fondamental de la mixité dans notre système d’éducation ni permettre la reproduction de stéréotypes sexués contre lesquels nous cherchons justement à lutter.
D’autre part, et je voudrais exprimer ma vive préoccupation à cet égard, la mesure prévoyant une exception au principe de l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe en matière de contenu des médias et de publicité laisse à penser que des représentations sexistes et discriminatoires de la femme pourraient être autorisées.
Cette disposition est d’autant plus inquiétante que la délégation a justement dénoncé, dans son dernier rapport d’activité, de fréquentes dérives dans l’utilisation de l’image de la femme dans les médias, avec des atteintes persistantes et récurrentes à la dignité de la personne humaine dans de nombreuses publicités choquantes et dévalorisantes pour la femme.
La délégation a donc recommandé la suppression de cette mesure, qui nous paraît, à vrai dire, incompréhensible. Avec Mme Hummel et d’autres collègues, j’ai cosigné un amendement en ce sens. Nous y reviendrons donc au cours de la discussion des articles.
Enfin, madame la secrétaire d’État, si vous le permettez, je souhaiterais saisir l’occasion de votre présence dans cet hémicycle pour exprimer mon inquiétude devant les perspectives de réorganisation administrative des délégations régionales aux droits des femmes et à l’égalité. Bien sûr, cette question n’a pas de lien direct avec le sujet que nous traitons aujourd’hui, mais mon devoir était de la soulever, car ces délégations constituent un instrument essentiel de la politique en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Les nombreux appels que j’ai reçus attestent cette crainte.
Nous n’ignorons pas que la révision générale des politiques publiques engagée depuis près d’un an fait actuellement l’objet d’arbitrages ministériels et de décisions de programmation définitives. Les délégations régionales et départementales aux droits des femmes et à l’égalité des chances paraissent menacées puisqu’elles feraient l’objet d’une absorption par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales et les directions de la jeunesse et des sports. Une telle orientation ne risquerait-elle pas de rendre moins visible l’action de ces délégations ? Jusqu’à ce jour, celles-ci étaient rattachées aux préfets de région. Leur mission était donc soutenue et reconnue et donnait à leurs interventions une légitimité pour défendre le droit des femmes sur le plan départemental et régional.
Le manque de visibilité de ces délégations dans une organisation intégrée regroupant la jeunesse et les sports ainsi que les affaires sociales et l’absence de prise en compte de la spécificité de leur action au titre, par exemple, de l’égalité professionnelle, reviendrait à occulter l’ampleur des difficultés dont souffre la population féminine de notre pays.
Sur ce chapitre, j’aimerais savoir, madame la secrétaire d’État, ce que prévoit le Gouvernement en la matière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)