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Développement de la concurrence au service des consommateurs
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs (nos 109, 111).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui le projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, qui a été adopté récemment par l'Assemblée nationale et qui s'inscrit dans le cadre d'une stratégie globale du Gouvernement en faveur du pouvoir d'achat des Français et de la défense des droits des consommateurs.
Permettez-moi tout d'abord de saluer l'ensemble des sénateurs qui ont participé aux travaux préparatoires de ce texte. Je tiens plus particulièrement à rendre hommage au travail de qualité accompli par votre rapporteur, M. Gérard Cornu, avec lequel nous avons entretenu un dialogue constant, nourri et constructif. Merci, monsieur le sénateur !
Le débat que nous abordons aujourd'hui fait suite aux discussions qui ont été menées à l'Assemblée nationale dans un climat serein et constructif, auquel l'opposition a largement contribué. Je suis convaincu qu'il en sera de même dans cette assemblée, pour un sujet qui, je le crois, doit rassembler les différentes sensibilités politiques.
Le Gouvernement souhaite agir en faveur du pouvoir d'achat des Français, en pesant concrètement sur deux leviers.
Le premier levier est bien sûr l'augmentation des revenus du travail, laquelle passe d'abord par les mesures adoptées cet été dans la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, en particulier la revalorisation des heures supplémentaires. Ces dispositions constituent un « triple bonus » pour les salariés : la majoration des heures supplémentaires pour tous les salariés à hauteur de 25 %, l'exonération complète de charges sociales salariales, puisque le brut devient du net, enfin l'exonération d'impôt sur le revenu pour les revenus issus des heures supplémentaires.
L'augmentation des revenus du travail passe aussi par la mise en place du revenu de solidarité active, le RSA. Ce dispositif, porté par Martin Hirsch, permettra d'accompagner vers l'emploi les personnes en situation de précarité en leur garantissant un gain financier conséquent lorsqu'elles reprennent une activité ou quittent, par exemple, un emploi à quart temps pour un emploi à mi-temps.
La valorisation du travail passe enfin par la série de mesures annoncées récemment par le Président de la République, qui font l'objet du projet de loi adopté hier en conseil des ministres. Il s'agit de la faculté, pour les entreprises, de racheter les jours de RTT à des conditions avantageuses pour les salariés, de la majoration des heures supplémentaires pour les fonctionnaires, du déblocage de la participation et d'une prime de fin d'année défiscalisée de 1 000 euros pour les salariés des PME, et de la possibilité de négocier dans les entreprises une remise en cause des 35 heures en échange d'augmentations de salaires. Ces dispositions seront mises en oeuvre progressivement.
Le second levier consiste en une politique active sur le niveau des prix, par la stimulation de la concurrence. Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui est une traduction concrète de cette politique de renforcement de la concurrence, au service du pouvoir d'achat des Français.
Ce texte concerne environ un tiers du budget des ménages. Grande distribution, banques, téléphonie, Internet : il s'attaque à des préoccupations quotidiennes des Français.
Le titre Ier du projet de loi introduit un bouleversement majeur dans le secteur des relations entre l'industrie et le commerce, avec une réforme importante de l'encadrement des relations commerciales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n'y a aucune fatalité à ce que les consommateurs français subissent dans les grandes surfaces les prix les plus élevés d'Europe. C'est en faisant ce constat que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait engagé en 2004 une réflexion sur les relations commerciales. Alors que l'indice moyen des prix à la consommation dans la grande distribution était de 100 en Europe, la France avait en effet atteint un indice moyen de 115.
Cette réflexion a abouti à la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes, dite « loi Dutreil » - vous en étiez déjà le rapporteur au Sénat, monsieur Cornu -, laquelle, en modifiant la définition du seuil de revente à perte, a permis aux consommateurs de bénéficier d'une partie des avantages commerciaux obtenus par les distributeurs auprès de leurs fournisseurs. Dès lors, les distributeurs ont eu davantage de latitude pour déterminer les prix en magasin et ont pu se livrer à une véritable concurrence sur les prix, concurrence qui avait - je ne vous le cache pas - quasiment disparu dans notre pays.
Deux ans après le vote de cette loi, nous disposons du recul nécessaire pour en dresser le bilan, une clause de rendez-vous ayant d'ailleurs été prévue.
Les mesures adoptées à l'époque ont concrètement pesé sur le niveau des prix des produits de grande consommation, la baisse enregistrée sur le prix des produits de grande marque entre mai 2006 et mai 2007 ayant atteint 3,4 %. En termes de pouvoir d'achat, ce sont 2,5 milliards d'euros par an qui ont été directement rendus aux consommateurs, soit, sur deux ans, une économie moyenne de 200 euros par foyer.
La spirale inflationniste qui prévalait depuis le début des années 2000 a donc été enrayée.
Aucun impact négatif, il faut le souligner, n'a été constaté, ni sur le petit commerce, ni sur l'emploi dans le commerce, ni sur la place des produits des PME dans les linéaires. Bien au contraire ! Le secteur du commerce a créé 20 000 emplois l'année dernière. Quant aux PME qui fournissent les grandes surfaces, le poids de leurs produits dans le chiffre d'affaires des magasins est passé de 56,2 % à 57,3 % depuis l'entrée en vigueur de la loi.
Si l'on peut raisonnablement considérer aujourd'hui que la réforme de 2005 a été un succès, elle n'est cependant, à mon sens, qu'un premier pas, et nous devons aujourd'hui franchir une nouvelle étape. C'est précisément l'objet de ce projet de loi, qui permettra aux distributeurs, à partir du 1er janvier prochain, de répercuter sur le prix de vente aux consommateurs l'intégralité de leurs avantages commerciaux, à savoir les fameuses « marges arrière ».
La transformation du mode de calcul du seuil de revente à perte, autrement dit le « triple net », constitue un acte important et volontariste. Une telle mesure figurait déjà parmi les recommandations du rapport Canivet.
Aussi, dans un souci de simplification et de transparence des relations commerciales, le projet de loi prévoit que l'ensemble de la relation entre fournisseurs et distributeurs sera désormais défini dans une convention unique, afin d'éviter de trop nombreuses dérives.
Naturellement - nous y sommes très attachés -, le régime spécifique dédié aux agriculteurs sera maintenu. L'Assemblée nationale a d'ailleurs apporté au texte des ajouts importants dans ce domaine, et je vous encourage, mesdames, messieurs les sénateurs, à les conforter dans le cadre des débats qui se dérouleront ici même. Le contrat type réservé aux produits agroalimentaires sera modifié pour tenir compte des situations de forte variabilité des cours des matières premières agricoles. Ce sont donc des dispositions importantes.
La réforme des relations commerciales est un sujet d'envergure. Si nous en doutions, il suffirait d'observer les réactions épidermiques, pour ne pas dire irrationnelles, que le sujet provoque chez certains grands distributeurs, notamment, ce matin encore, dans la presse quotidienne.
Il est savoureux d'entendre ceux-là mêmes qui, voilà quelques mois, réclamaient la possibilité de répercuter dans les prix aux consommateurs l'intégralité des marges arrière nous expliquer aujourd'hui que cette mesure serait inutile. Je souhaite rafraîchir un peu la mémoire de ceux qui, aujourd'hui, me reprochent une certaine timidité et qualifient ce texte de « réformette ». Souvenez-vous, monsieur le rapporteur, de la publication du rapport Canivet, qui recommandait la mise en place du « triple net ». Que n'ai-je entendu ! « Impossible à mettre en place », « trop audacieux »... Pourtant, nous y sommes aujourd'hui !
Rappelons-le à toutes fins utiles, le présent projet de loi va deux fois plus loin que la réforme intervenue en 2005. Les distributeurs auront la possibilité de baisser de 15 % en moyenne le prix des produits qu'ils choisiront. La concurrence sera ainsi réintroduite. Toutefois, je tiens à le rappeler, nous avons maintenu le principe d'interdiction de revente à perte, qui nous semble très important pour éviter les spirales déflationnistes et les « prix prédateurs » observés à une autre époque.
Il est tout aussi savoureux d'entendre des distributeurs nous expliquer que, dans le système proposé par ce projet de loi, il serait « impossible, pour les distributeurs, de négocier les prix avec leurs fournisseurs ». Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui êtes souvent des élus de la ruralité, vous qui connaissez bien le tissu des PME locales fournissant la grande distribution, allez donc expliquer à une entreprise de l'agroalimentaire, par exemple dans le secteur de la charcuterie, qu'il n'y a pas de possibilité de négociation entre fournisseurs et distributeurs ! C'est une plaisanterie ! En effet, quand cette entreprise propose ses produits au tarif 100, elle se voit facturer des marges arrière de 70 et vend réellement à un prix net de 30 ! Un rapport de force existe bien aujourd'hui, et il est en faveur de ceux qui ne constituent au total que cinq centrales d'achat sur l'ensemble du territoire !
Il est une autre idée reçue : la hausse des tarifs liée à l'augmentation des matières premières, qui atteint parfois de 15 % à 20 %, se traduirait automatiquement par une augmentation des prix à la consommation de 15 % à 20 %.
Premièrement, je le dis clairement, certaines hausses des tarifs sont abusives et nullement justifiées par la hausse du prix des matières premières. Par exemple, lorsque le prix du lait augmente de 10 % - je suis moi-même l'élu d'un département rural producteur de lait -, l'impact sur le prix final dans les rayons devrait être de 2 % pour un yaourt nature et de 3 % pour un camembert ! Nous sommes bien loin des hausses à deux chiffres que certains brandissent !
Deuxièmement, certains semblent jouer sciemment de la confusion possible, dans l'esprit du public, entre, d'une part, la hausse des tarifs pratiqués par le fournisseur par rapport au distributeur et, d'autre part, la hausse des prix de vente dans le magasin, c'est-à-dire le tarif destiné au consommateur.
Nous savons d'expérience que, chaque année, à cette période, ont lieu des négociations entre industriels et distributeurs, au cours desquelles les premiers proposent des tarifs souvent en augmentation, qui, après négociation, seront ensuite revus à la baisse.
À cet égard - et je vous livre là une information dont j'ai eu la preuve ces derniers jours -, je suis quelque peu étonné, alors que certains industriels anticipent actuellement la mise en oeuvre de la loi et proposent à la distribution des baisses de tarifs en contrepartie de la suppression des marges arrière, que le distributeur expliquant que la loi ne pourra pas lui permettre de diminuer les prix soit le seul à opposer un refus. On le voit, la position de certains est pleine de contradictions.
S'agissant des relations commerciales, une dernière question se pose encore : devrons-nous aller plus loin dans la transparence et la négociabilité ?
Le Gouvernement le pense et considère que nous devrons remettre à plat dans les prochains mois un certain nombre de sujets.
Il s'agit, notamment, des relations entre l'industrie et le commerce sur la négociabilité des conditions générales de vente, mais aussi des situations d'abus de position dominante. Je vous ai indiqué tout à l'heure que cinq distributeurs détenaient une puissance d'achat exceptionnelle au regard des petits fournisseurs.
Il s'agit également des lois en vigueur relatives à l'urbanisme et à l'équipement commercial, qui ont souvent entretenu dans notre pays certaines rentes de situation à l'échelon local.
Il s'agit, par ailleurs, de la question de l'assouplissement du travail dominical, dont j'ai cru comprendre que la Haute Assemblée voulait débattre dans le cadre du présent projet de loi.
Le Gouvernement souhaite donc qu'un travail de fond soit mené sur ces questions. C'est la raison pour laquelle il a confié à l'ancienne présidente du Conseil de la concurrence, Mme Marie-Dominique Hagelsteen, une mission sur les modalités que pourrait prendre une réforme sur la négociabilité des conditions générales de vente et des tarifs. Ses travaux, qui ont été entamés, viendront compléter ceux de la commission présidée par Jacques Attali, qui rendra ses conclusions au début du mois de janvier.
La deuxième partie du projet de loi instaure des mesures sectorielles pour garantir le bon exercice de la concurrence dans des secteurs qui sont devenus très importants pour la vie quotidienne des consommateurs et suscitent de fortes attentes de leur part.
Ces mesures concernent, notamment, le secteur des communications électroniques - Internet, la téléphonie, la télévision numérique -, ainsi que le secteur bancaire.
Il faut bien reconnaître que, dans ces secteurs, l'exercice de la concurrence se révèle souvent problématique du fait non seulement de la spécificité de l'offre, mais aussi de certaines pratiques en vigueur, qu'il faut dénoncer - j'observe d'ailleurs que les autorités compétentes en la matière l'ont fait avant moi - et auxquelles il convient de mettre bon ordre.
Mon objectif est que le consommateur final soit le véritable régulateur de ces marchés, sanctionnant positivement les entreprises les plus vertueuses et les plus innovantes, qui présentent les meilleurs rapports qualité-prix, et, inversement, sanctionnant négativement les entreprises les moins compétitives, qui ont des pratiques dommageables pour le client.
Pour ce faire, plusieurs conditions doivent être réunies. Il est tout d'abord primordial d'instaurer une véritable transparence sur les prix. La concurrence n'est effective que si les offres sont suffisamment lisibles, en termes de contenu et de prix, pour que le client puisse les comparer et choisir son prestataire en parfaite connaissance de cause.
C'est le sens, par exemple, de la disposition qui vous est proposée s'agissant du secteur bancaire. Elle nous permettra de savoir, enfin, ce que nous coûte notre établissement bancaire, car c'est sans doute le seul secteur où un établissement ne nous informe pas du prélèvement qu'il effectue sur notre compte. Cette disposition permettra au consommateur français de recevoir un relevé annuel des frais bancaires, de connaître la situation de son compte, de se renseigner, de négocier avec son banquier et, le cas échéant, de faire jouer la concurrence et de changer d'opérateur.
La transparence des prix, c'est aussi la question de la gratuité de certains services aujourd'hui anormalement surfacturés
Le présent projet de loi instaure la gratuité du temps d'attente et la non-surtaxation des services d'assistance dans les domaines de la téléphonie et de l'internet, où l'on a constaté beaucoup trop d'abus, d'insatisfactions et de plaintes des consommateurs.
À l'heure actuelle, le record des plaintes reçues par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, concerne précisément le secteur d'Internet et de la téléphonie mobile, avec plus de 35 000 plaintes par an, en augmentation de 19 %.
Je rappelle que le gouvernement précédent, sur l'initiative de Patrick Devedjian et de François Loos, avait eu la volonté d'initier un partenariat entre les associations de consommateurs et les professionnels. À ce titre, vingt et un engagements avaient été pris, en 2005, pour améliorer l'information et la protection des consommateurs. Cependant, lorsque Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur, et moi-même avons réuni les principaux acteurs à la rentrée, nous nous sommes aperçus que sept engagements seulement avaient été tenus.
En conséquence, le Gouvernement a décidé de prendre ses responsabilités et de vous proposer de légiférer sur ces sujets essentiels que constituent la gratuité du temps d'attente, la possibilité donnée au consommateur de résilier plus facilement ses contrats dans le domaine de la téléphonie mobile, mais aussi la réduction à dix jours du délai de restitution sur les cautions des décodeurs et autres dispositifs.
La protection des consommateurs dans le secteur de la téléphonie implique de se préoccuper de la mobilité du consommateur, de sa capacité à changer librement d'opérateur.
M. Gérard Cornu, rapporteur de la commission des affaires économiques. Ah !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. C'est d'ailleurs une deuxième condition pour que le consommateur soit le régulateur du marché.
Le marché des mobiles est désormais un marché mature, avec 53 millions d'abonnés. Or il est frappant de constater la très faible part des nouveaux entrants, les opérateurs virtuels, les MVNO, ou Mobile virtual network operator, alors même qu'ils sont reconnus et demandés par les consommateurs. Ainsi, alors qu'ils occupent 28 % du marché des nouveaux contrats, ils ne représentent que 4 % sur l'ensemble du parc.
En réalité, les consommateurs actuels sont souvent tenus par des durées minimales d'engagement, de sorte que la concurrence joue de manière trop épisodique, une fois tous les deux ans.
Des améliorations ont été apportées par l'Assemblée nationale en matière de protection des consommateurs, pour fluidifier le marché. Elles représentent une avancée importante, quoique insuffisante, je ne vous le cache pas, pour le Gouvernement, qui aurait souhaité aller plus loin en la matière.
J'ai cru comprendre que la commission avait déposé des propositions à cet égard. J'indique, par avance, que le Gouvernement ne pourra qu'y être favorable.
M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. En effet, j'ai la conviction qu'il faut fluidifier encore le marché, donner la possibilité au consommateur de changer plus facilement d'opérateur et faire jouer davantage la concurrence.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi est important à plus d'un titre.
Il intervient au moment où le pouvoir d'achat est au coeur des préoccupations de nos concitoyens, s'agissant de leurs dépenses incontournables, à savoir les produits alimentaires ou de grande consommation, notamment.
Il s'efforce d'apporter une réponse dans les domaines de la grande distribution, de la banque, de la téléphonie et d'internet, en offrant au consommateur plus de transparence et en lui permettant de faire jouer davantage la concurrence à son profit, afin d'améliorer son pouvoir d'achat.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les informations dont je souhaitais vous faire part au début de nos débats. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Cornu, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comportant treize articles à l'origine, le projet de loi que nous sommes appelés à examiner en contient désormais trente et un. Les débats à l'Assemblée nationale ont donc été fructueux. Mais ils ont aussi été longs, plus longs que prévu, et le texte a finalement été adopté voilà tout juste deux semaines par les députés.
C'est pourquoi l'initiative prise par M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques, avec l'approbation du bureau de cette dernière, de constituer un petit groupe de travail pour procéder à des auditions bien avant le dépôt du texte au Sénat a été très opportune. Elle a en effet permis de mener un véritable travail de réflexion qu'il aurait été impossible de réaliser autrement. Je crois aussi que la méthode s'est révélée très profitable pour ses sept membres de ce groupe de travail, qui ont pu entendre une trentaine de personnalités. Aussi, je tenais à remercier publiquement M. Emorine, en espérant que cette organisation pourra utilement être renouvelée.
L'accroissement du volume de ce projet de loi prouve qu'il ne constitue pas une « réformette » ; vous l'avez d'ailleurs démontré tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État.
J'insiste sur ce point, car nous n'aurions jamais imaginé, lors de l'examen de la loi Dutreil - vous en étiez alors le rapporteur à l'Assemblée nationale, comme je l'étais moi-même au Sénat - que, deux ans après le vote de ce texte, nous pourrions aller vers l'instauration du « triple net ». (M. le secrétaire d'État fait un signe d'assentiment.)
Les trois principales sections de ce texte visent respectivement à réformer la loi Galland, le secteur des communications électroniques, ainsi que divers autres domaines pour la dernière.
Il s'agit, pour l'essentiel, de renforcer la concurrence dans ces différents champs de l'activité économique afin de favoriser la baisse des prix et l'augmentation corrélative du pouvoir d'achat des Français.
Certains d'entre vous pensent, mes chers collègues, qu'il existe d'autres moyens pour parvenir à ce but. Moi-même, j'ai quelques idées, qui ne sont évidemment pas partagées sur toutes les travées.
En matière commerciale, il est certain qu'il faudra bientôt procéder à une réforme de l'urbanisme commercial, que l'on devra s'interroger sur le rythme des activités commerciales, qu'il faudra mettre fin à la trop grande pénalisation du droit des affaires...
S'agissant de la protection des consommateurs, on devra poser la question de l'action de groupe, du soutien aux associations, de l'accès au crédit, et cette liste n'est pas exhaustive, loin s'en faut.
Mais chaque chose en son temps. Il ne faut pas bousculer les calendriers ; sur tous ces sujets, la réflexion n'est pas aboutie, et trop de questions restent en suspens.
En outre, l'importance de ces sujets est telle qu'ils ne peuvent s'accommoder d'une procédure d'urgence qui écourte nécessairement la discussion entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Pour autant, le Gouvernement n'entend pas renvoyer l'examen de ces points aux calendes grecques, et le projet de loi sur la modernisation de la vie économique annoncé pour le printemps devrait certainement permettre la mise en oeuvre de plusieurs de ces réformes.
En attendant, le plus utile, car le plus efficace, me semble être de nous concentrer sur le présent projet de loi pour nous assurer que ses dispositions auront rapidement des effets positifs pour le porte-monnaie des Français.
Monsieur le secrétaire d'État, vous venez de nous exposer de façon claire et concise - comme à l'accoutumée -les enjeux de votre texte et de nous commenter les modifications essentielles que l'Assemblée nationale y a apportées.
Je n'y reviendrai donc pas, préférant présenter de manière synthétique les principaux débats qui ont eu lieu en commission, ainsi que les amendements majeurs adoptés par cette dernière.
Ces amendements visent deux types d'objectifs : achever le travail entamé par l'Assemblée nationale pour les uns, élargir les droits des consommateurs pour les autres.
S'agissant de la réforme de la loi Galland, l'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale étant sinon parfait dans l'absolu du moins satisfaisant au regard des contraintes, la commission n'a pas proposé d'amendement substantiel au titre Ier.
Sur ce point, comme nous l'avons constaté lors des auditions du groupe de travail, un nouveau débat fait rage sur la négociabilité des conditions générales de vente, les CGV. Cette dernière est réclamée à hauts cris par les distributeurs - nous les avons tous entendus ! -, ceux-là mêmes qui, voilà deux ans, ne juraient que par le « triple net ». Et ceux qui s'opposaient au « triple net » y sont aujourd'hui favorables, ne voulant pas entendre parler de la négociabilité !
C'est dire, mes chers collègues, si la réflexion peut avancer en deux ans à peine !
C'est pourquoi il me paraît trop tôt aujourd'hui pour examiner cette question de la négociabilité des CGV ; cette dernière pourra éventuellement être abordée dans quelques mois, quand Mme Hagelsteen aura rendu ses conclusions.
J'ajoute - et vous ne me détromperez sans doute pas, monsieur le secrétaire d'État - que ce débat à venir sera aussi l'occasion de traiter de l'épineuse question des délais de paiement, qui constituent l'un des fléaux de nos relations commerciales. Divers amendements de nos collègues vous permettront du reste d'en juger, même si la commission, sur ma recommandation, n'a pas retenu dans le présent texte - je dis bien « dans le présent texte » - les solutions proposées.
S'agissant de la loi Galland, un second thème a nourri notre réflexion : c'est le coefficient minorateur de 0,9 applicable au seuil de revente à perte des grossistes pour favoriser l'approvisionnement des petits commerçants indépendants. Si certains d'entre nous s'interrogent sur ses effets, la commission a jugé préférable de s'en tenir à ce qui existe depuis 2005.
Sur le titre Ier, notre commission a eu hier un dernier débat à propos d'un amendement visant à étendre à certains secteurs la législation relative au travail dominical.
L'ouverture des commerces le dimanche, voilà encore un thème qui fait l'objet d'une réflexion intense depuis plusieurs mois, tant chez les partenaires sociaux qu'au sein du Gouvernement, en passant par le Conseil économique et social, qui doit d'ailleurs rendre prochainement un nouvel avis. Faut-il le rappeler, le Président de la République lui-même s'est engagé à ce que cette question soit examinée très rapidement, avec toutes ses implications sociales, économiques et territoriales ?
Voilà pourquoi, à titre personnel, j'avais vivement souhaité que la discussion de fond n'intervienne pas lors de l'examen de ce projet de loi, mais qu'elle soit abordée sereinement, dans son ensemble, au printemps prochain, après avoir été bien préparée.
Dans ce contexte, l'amendement de notre collègue Isabelle Debré change la donne. Certes, on ne peut méconnaître les difficultés juridiques et économiques auxquelles sont confrontés un certain nombre de professionnels et leurs salariés, à la suite de décisions de justice récentes. On ne peut négliger que les modes de vie ont progressivement changé et que les habitudes prises par les consommateurs rendent désormais certaines situations impossibles. Mais toutes les régions ne sont pas soumises à la même problématique, et cette dernière se pose en des termes différents selon les secteurs.
M. Paul Blanc. Tout à fait !
M. Gérard Cornu, rapporteur. Dès lors, on peut tout autant estimer que l'amendement va trop loin ou qu'il est insuffisant, qu'il répond correctement à un problème particulier ou que, au contraire, il ne fait qu'en soulever d'autres.
Ce débat, monsieur le secrétaire d'État, nous l'avons eu en commission, de manière parfois vive, et nous l'aurons vraisemblablement aussi dans cet hémicycle. À cet égard, l'avis du Gouvernement sera particulièrement précieux pour nous éclairer sur les effets de l'amendement et sur leur durée, ce qui nous aidera à prendre notre décision. Nous attendons qu'il nous informe sur la manière dont il entend, dans quelques mois, rendre cohérente la législation, à la fois d'un point de vue juridique interne, bien sûr, mais aussi avec l'évolution de la société française et ses attentes.
En ce qui concerne le secteur des télécommunications, la discussion a également été approfondie. Parmi les nombreux d'amendements qui ont été proposés, j'en retiendrai cinq.
Le premier vise à supprimer l'article 6 A étendant la gratuité du temps d'attente à tous les numéros de téléphone surtaxés. Des analyses montrant la complexité technique d'une telle mise en oeuvre et les effets économiques négatifs qui en résulteraient, la commission a jugé que cette idée, apparemment généreuse, n'était en réalité pas opportune, car elle pouvait conduire, d'une part, au renchérissement du coût de ces communications, d'autre part, à la disparition pure et simple des services à répondeur automatique, auxquels les consommateurs peuvent pourtant trouver un intérêt certain.
Ainsi, contrairement à ce que quelques articles de presse ont pu prétendre, non seulement nous ne revenons pas sur les dispositions importantes de l'article 7, mais encore nous y sommes très favorables. Elles imposent la possibilité d'accéder par des numéros d'appel non surtaxés aux services après-vente et aux hotlines des fournisseurs de services de communications électroniques, ainsi que la gratuité du temps d'attente sur ces lignes on-net.
M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Gérard Cornu, rapporteur. Cette mesure répond à la très grande majorité des réclamations des consommateurs et à leur légitime exigence que les moyens de communication auxquels ils sont contraints de recourir en cas de problème ne soient pas pénalisants.
Allant plus loin vers cet objectif, la commission vous soumettra, mes chers collègues, un amendement visant à assurer au client d'un professionnel de la vente à distance qu'il disposera de moyens de communication non surtaxés lui permettant de suivre l'exécution de sa commande, d'exercer son droit de rétractation ou de faire jouer la garantie.
La nature même du commerce à distance, en particulier le e-commerce, empêchant le contact direct, il a paru équitable, conformément aux observations des associations de consommateurs, que ces différentes opérations, qui sont étroitement liées à l'obligation de résultat du professionnel, n'entraînent pas de « double peine » pour le consommateur.
S'agissant de la durée d'engagement dans les contrats de téléphonie mobile, qui figure à l'article 7 bis, le dispositif adopté par les députés a été complété.
D'une part, la commission a décidé de fixer à vingt-quatre mois la durée maximale, afin d'éviter que, à l'avenir, des offres associées à des services annexes ou à la vente du terminal à prix cassé ne dépassent cette durée.
D'autre part, elle a soutenu ma proposition de limiter le dédit en cas de résiliation anticipée au quart, et non au tiers, du montant à devoir jusqu'à l'échéance normale.
J'ai été tout à fait favorable à la décision de l'Assemblée nationale de ne pas prévoir de plafond réglementaire en la matière. On sait, monsieur le secrétaire d'État, que certains décrets mettent des années à être pris ; vous êtres bien placé pour le savoir. J'en ai fait moi-même l'amère expérience avec la mesure d'application du droit de préemption des communes sur les baux commerciaux. Pouvez-vous d'ailleurs m'indiquer si, comme cela m'a été promis récemment par le Gouvernement, ce décret sera publié avant la fin de l'année ? Il reste bien peu de jours ! Aussi, mon attente devrait être brève...
M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission des affaires économiques. C'est Noël ! (Sourires.)
M. Gérard Cornu, rapporteur. Enfin, la commission vous proposera de supprimer l'article 7 quinquies, qui prévoit une offre familiale que je juge trop attentatoire à la liberté commerciale des opérateurs, et de donner un avis favorable à deux amendements importants : le premier vise à interdire aux opérateurs de réengager le consommateur lorsque celui-ci utilise ses points de fidélité ; le second vise à empêcher la surtaxation par un service de renseignement téléphonique des communications faisant suite à la mise en relation avec le numéro demandé.
Dans le domaine bancaire également, la commission a précisé et complété les mesures adoptées par l'Assemblée nationale.
Ainsi, le relevé annuel des frais bancaires prévu par l'article 10 concernera l'année civile antérieure et sera toujours porté à la connaissance de ses bénéficiaires avant le 31 janvier. Nous souhaitons en effet, même s'il ne fera probablement pas l'objet d'échanges de voeux (Sourires), que ce relevé, pour plus de clarté, soit envoyé le premier mois de l'année civile.
En matière de crédit immobilier, l'information du souscripteur sur sa faculté de choisir son assureur sera renforcée ; en outre, toute personne empruntant à taux variable se verra obligatoirement notifier une fois par an le montant du capital qui lui reste à rembourser.
Enfin, au titre des mesures diverses, quatre éléments notables me paraissent devoir être exposés à cette tribune.
Tout d'abord, poursuivant une première initiative de l'Assemblée nationale, il m'a paru utile de renforcer les droits du consommateur dans le domaine de la vente à distance. Grâce au développement du e-commerce, ce secteur est en pleine croissance, ce dont on ne peut que se féliciter, puisqu'il apporte aux consommateurs de réels avantages, notamment en matière de prix. Cependant, ses caractéristiques mêmes semblent nécessiter une protection spécifique, ce que du reste confirment les plaintes enregistrées.
Je vous ai déjà exposé précédemment l'amendement tendant à garantir que les entreprises concernées mettent à disposition un numéro de téléphone non surtaxé permettant effectivement de contacter un interlocuteur. Deux autres amendements viseront par ailleurs à informer très clairement le client potentiel quant à son droit de rétractation portant sur les biens et services qu'il envisage d'acheter, à lui garantir un remboursement rapide dès lors qu'il aura exercé ce droit et à éviter que ne lui soient imposées par le professionnel des méthodes « captives », tel l'avoir.
Ensuite, après un large débat, la commission a décidé de supprimer l'article 10 quinquies faisant obligation aux réseaux de grande distribution d'afficher, pour chaque produit, le prix d'achat au fournisseur et le prix de vente au consommateur. Elle a en effet estimé que ce dispositif de double, voire de quadruple affichage des prix, est non seulement extrêmement lourd à mettre en place, mais, surtout, contre-productif pour le consommateur, dont l'attention risquera d'être détournée de l'essentiel : le prix de vente du produit ainsi que, pour permettre les comparaisons avec les produits concurrents malgré les différences de conditionnement, son prix au kilogramme ou au litre.
Je vous soumettrai par ailleurs quelques amendements visant à faire en sorte que certains professionnels soient, en matière de protection et d'information, traités comme des consommateurs. Une infirmière libérale, un artisan, un vétérinaire, et même un parlementaire ! se trouvent placés, face aux prestataires des divers services qu'ils utilisent dans le cadre de leur activité professionnelle, exactement comme des consommateurs. Ils assurent personnellement la gestion de leur affaire au quotidien, ne disposant pas des salariés et des services qui, dans les entreprises, sont spécialisés dans ces tâches ; ils doivent donc pouvoir bénéficier de règles qui leur soient adaptées.
La commission a adopté des amendements en ce sens, visant par exemple, en matière d'information préalable, à ce que soit précisée la période au cours de laquelle ils sont autorisés à résilier leurs contrats annuels soumis à tacite reconduction.
Enfin, j'ai été alerté par le Médiateur de la République sur certains déséquilibres existant entre les professionnels et les consommateurs dans les litiges qui les opposent en application du code de la consommation. Si l'accès des consommateurs à la justice n'est pas satisfaisant, s'ils ont l'impression que c'est peine perdue, alors toutes les lois que nous votons n'ont aucune raison d'être.