M. le président. La parole est à M. Michel Moreigne.
M. Michel Moreigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le début de la péréquation remonte, semble-t-il, au versement représentatif de la taxe sur les salaires, institué en 1966.
Puis, la création de la taxe professionnelle, chère à M. Fourcade, a abouti à la création des fonds départementaux et national de péréquation de la taxe professionnelle.
Enfin, se sont succédé tous les épisodes relatifs à la DGF.
Je vous rappelle, monsieur le rapporteur, que c'est la loi n° 83-1186 du 29 décembre 1983 portant modification des dispositions relatives aux relations financières et aux transferts de compétences entre l'État et les collectivités locales qui a introduit la dotation de fonctionnement minimale en faveur des départements défavorisés.
Vous n'étiez pas né ! (Sourires.) Je vous pardonne de l'avoir oublié, mais je tenais à faire ce rappel historique !
Il s'agissait, au sein de la DGF, de la première mouture de cette dotation de fonctionnement minimale, créée à la suite d'un engagement pris au Sénat par Gaston Defferre, lors de la séance du 2 décembre 1982.
M. Michel Mercier, rapporteur. Le 2 décembre, triste date pour la République !
M. Michel Moreigne. Vous n'étiez pas né ! Repentez-vous, il en est encore temps ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je reviens à mon propos. M. Defferre avait pris cet engagement en réponse à un amendement déposé par les représentants des départements de l'Ariège, du Territoire de Belfort, des Alpes-de-Haute-Provence et de la Creuse. Avec Michel Dreyfus-Schmidt, je suis le dernier survivant parmi les signataires !
Je saute plusieurs épisodes pour arriver à 1990, quand le Président de la République a incité, au cours d'un déplacement dans le Rhône, à mettre en oeuvre des mécanismes de péréquation « retirant à ceux qui ont beaucoup pour donner à ceux qui ont peu ». Il n'y a pas de meilleure définition de la péréquation.
Après les incidents de Bron - chez vous, monsieur le rapporteur ! -, ont vu le jour, en 1991, le fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France, la dotation de solidarité urbaine ou DSU, la majoration de la dotation de fonctionnement minimale ou DFM, puis, en 1992, le fonds de correction des déséquilibres régionaux.
J'arrête là cet historique, mais je tenais à vous le rappeler, jeune homme, puisque vous l'aviez oublié ! (M. le rapporteur proteste.)
M. le président. M. le rapporteur souhaiterait vous interrompre, mon cher collègue.
M. Michel Moreigne. Non, monsieur le président ! M. Mercier est un docte professeur de droit, dans une faculté brillante de Lyon. Qu'il me laisser terminer mon propos ; il aura assez de temps et de science pour me répondre le moment venu !
M. le président. En ce cas, poursuivez, mon cher collègue !
M. Michel Moreigne. J'ajoute qu'une péréquation volontaire s'est développée avec l'essor des groupements à fiscalité propre, issus de loi de 1992 relative à l'administration territoriale de la République, dite loi ATR.
En 1995, l'article 68 de la loi d'aménagement et de développement des territoires a posé le principe très intéressant de la réduction des écarts de ressources entre les collectivités territoriales, l'objectif étant de parvenir, en 2010, à une situation dans laquelle les ressources locales par habitant se situeraient dans une fourchette allant de 80 % à 120 % de la moyenne nationale.
Ce ratio reste d'ailleurs cher au coeur des législateurs, puisque notre rapporteur s'y réfère pour trouver que la situation de la région Limousin est très satisfaisante à cet égard. Mais il oublie les conséquences mathématiques que peut avoir un petit diviseur sur une fraction !
Sans revenir sur l'histoire récente - maintenant que je me suis un peu libéré ! (Sourires.) - je pose la question suivante : où en est-on aujourd'hui' ? Force est de constater que les sommes globales affectées à la péréquation restent faibles.
La taxe professionnelle a subi le sort que l'on sait, avec l'introduction de mécanismes de plafonnement qui ne prévoient aucune péréquation.
Plus encore, des amendements du groupe socialiste du Sénat destinés à mieux répartir certaines ressources se sont heurtés à l'hostilité de la majorité. J'ai à l'esprit un débat tout à fait récent, au cours duquel nous avons proposé de partager une partie de la manne des droits de mutation à titre onéreux, dont quelques pourcentages seulement auraient suffi à faire le bonheur de certaines collectivités. Or, là encore, le succès n'a pas été au rendez-vous.
Monsieur le rapporteur, vous vous êtes également opposé, avec la vigueur que nous vous connaissons, à notre proposition tendant à mieux répartir les charges de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, en plafonnant celles-ci à 21 % du potentiel fiscal de certains conseils généraux - vous devinez lesquels ! Notre démarche n'a pas été couronnée de succès, alors qu'elle concernait, je le rappelle, une enveloppe fermée du fonds de financement de l'APA, dont nous savons aujourd'hui que 800 millions d'euros restent, sinon disponibles, du moins non répartis.
Là encore, vous avez manifesté votre opposition avec une rigueur toute lyonnaise, en oubliant que c'est M. Jean Puech qui est allé affirmer à Mme Élisabeth Guigou, alors ministre de l'emploi et de la solidarité, que les présidents de conseils généraux étaient tout à fait désireux de s'occuper de l'APA - c'est ainsi que nous avons tous hérité de la gestion de cette prestation !
M. Alain Lambert. Il fallait voter la récupération de l'APA sur les successions !
M. Michel Moreigne. Je passe sur les modifications qu'ont subies les dotations de fonctionnement minimales des anciens départements pauvres, au point que, désormais, les départements urbains en sont tous bénéficiaires et que leur dotation de fonctionnement minimale progresse plus vite que celle des anciens attributaires ruraux ! Il s'agit là d'une décentralisation « dernière formule » et d'une péréquation qui n'est guère cohérente avec les orientations tracées par le Président de la République, en 1990, à la suite des événements de Lyon-Bron que j'évoquais tout à l'heure.
Je tiens à rendre hommage à certaines personnes de bonne volonté, tout particulièrement à Jean François-Poncet et Claude Bellot pour leur diagnostic sur la situation en points de charges des départements. Je cite aussi avec plaisir Joël Bourdin, qui a évoqué les disparités entre les collectivités dans son rapport rédigé au nom de l'observatoire des finances locales.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me permettrai de résumer les données financières de la Creuse, le département que j'ai l'honneur de représenter.
En ce qui concerne le ratio des droits de mutation sur les dépenses réelles de fonctionnement, la valeur médiane nationale est de 12,3 %, contre 6,92 % pour la Creuse. Les contributions directes médianes par habitant s'élèvent quant à elles à 278 euros, contre 217 euros seulement pour la Creuse, alors que, je me permets de vous le rappeler, monsieur le rapporteur, le dénominateur de cette fraction est un tout petit nombre.
S'agissant du ratio des dépenses d'équipement brut sur les dépenses totales, la valeur médiane nationale est de 13,9 %, contre 11,71 % pour la Creuse. On se demande, d'ailleurs, comment un département aussi faiblement doté peut encore avoir des dépenses d'équipement !
En ce qui concerne l'épargne de gestion, en euros par habitant, la valeur moyenne pour l'ensemble des départements est de 148 euros, contre 135 euros seulement pour la Creuse et, je le répète, le dénominateur est un tout petit nombre, puisque le département compte à peine plus de 120 000 habitants. On se demande bien comment, dans ces conditions, la Creuse peut avoir une épargne nette par habitant de 72,02 euros, contre 22 euros pour la moyenne nationale !
M. Michel Mercier, rapporteur. C'est qu'elle est bien gérée ! (Sourires.)
M. Michel Moreigne. Mes chers collègues, vous constatez que les écarts de richesse sont considérables, et vous aurez compris que, selon le document établi par l'observatoire des finances locales, le département que j'ai l'honneur de représenter se situe dans ce que l'on appelle le « mauvais quadrant ».
Bien entendu, vous le savez, je défends ici, depuis longtemps et avec obstination, l'aspiration des zones rurales à un aménagement du territoire équilibré, soucieux des particularités régionales et des écarts de richesse.
Or les plus hautes autorités de la République ont rappelé à plusieurs reprises que la Creuse n'était pas les Hauts-de-Seine ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. C'est sûr !
M. Michel Moreigne. Pour ceux qui en douteraient, je renvoie à un grand quotidien national, qui a rapporté fidèlement ces propos.
Comme mes collègues parlementaires creusois André Lejeune et Michel Vernier, je n'ai pu que me réjouir de voir reconnu l'état de fait que je viens de rappeler. Toutefois, je constate que les actes ne suivent pas.
Les collectivités les plus aisées - et le département du Rhône, monsieur le rapporteur, ne compte pas parmi les plus pauvres, François Marc l'a rappelé -, améliorent encore leur santé financière en accroissant leurs bases fiscales et les droits de mutation.
Cette prospérité semble d'ailleurs donner des idées à certains, puisque le pacte de croissance et de solidarité des dotations de l'État paraît sérieusement écorné dans le budget pour 2008. En outre, des rumeurs circulent sur une remise en cause du fonds de compensation de la TVA, qui sera sans doute décidée après les élections municipales. Nous verrons ce qu'il adviendra, mais cette mesure ne manquerait pas de pénaliser l'investissement public local, dont on connaît l'importance dans le total des investissements publics, surtout par comparaison avec ceux de l'État.
Depuis 2002, et le gouvernement Raffarin, le département que j'ai l'honneur de représenter a augmenté ses impôts de plus de 50 % - pas pour le plaisir, évidemment, mais pour équilibrer son budget !
La charge nette de l'APA est passée de quatre millions d'euros en 2004 à neuf millions d'euros en 2007. Le déficit cumulé de la compétence RMI s'élève aujourd'hui à cinq millions d'euros.
À ce paquet - si vous me permettez l'expression, mes chers collègues - il faut encore ajouter la suppression de la DGE première part, le plafonnement de la taxe professionnelle et quelques autres mesures. Aussi la chambre régionale des comptes a-t-elle été amenée récemment à constater que le département de la Creuse ne pouvait que très difficilement faire face à ses charges, sauf à augmenter chaque année la pression fiscale d'un taux de près de 10 %, comme l'a préconisé un cabinet de conseil reconnu et compétent - le cabinet Klopfer pour ne pas le citer.
En outre, la disposition de la loi de financement de la sécurité sociale visant à limiter les exonérations de charges en zone de revitalisation rurale coûterait cher au département de la Creuse - environ 1,5 million d'euros. Mes chers collègues, quand on sait qu'un point d'impôts en plus « rapporte » 330 000 euros au département, vous voyez ce que cette somme représente d'effort fiscal ! Je fais, bien entendu, ici allusion à l'article 12 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont j'ai cru comprendre qu'il avait subi un certain nombre d'améliorations, qui devront faire l'objet d'un examen attentif.
En bref, il manque au département de la Creuse quinze millions d'euros par an, c'est-à-dire une toute petite partie, de l'ordre du millième, de la dotation globale de fonctionnement de l'ensemble des conseils généraux.
Le Président de la République, qui a reconnu les besoins de ce département et souligné que la Creuse n'était pas les Hauts-de-Seine, s'est engagé à faire bouger les lignes. Or je ne pense pas qu'il soit insurmontable de déplacer de l'ordre d'un millième une ligne budgétaire, surtout si l'on songe avec quelle facilité on a offert un cadeau - mais le terme est sans doute exagéré ! - de quinze milliards d'euros à une minorité de personnes qui, de surcroît, semblent n'avoir rien réclamé !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais qui l'ont quand même accepté !
M. Michel Moreigne. C'est pourquoi, avec François Marc et un certain nombre de mes collègues, j'ai senti la nécessité de proposer de nouveau des mesures péréquatrices, notamment en faveur des conseils généraux.
Or, monsieur le rapporteur, vous qui êtes l'élu d'un département qui compte parmi les plus nantis - il faut le reconnaître, et vous l'admettrez sans doute vous-même tout à l'heure -, vous pervertissez en partie la proposition de loi d'orientation de François Marc. Il semble que, pour vous, il soit urgent de ne pas faire grand-chose, voire de ne rien faire du tout, si ce n'est compatir - je vous en remercie par avance ! -, et continuer à parler de péréquation.
Ainsi, monsieur le rapporteur, ont agi les habitants de Constantinople, qui poursuivaient leurs disputes sur le sexe des anges alors que leurs murailles s'effondraient sous l'assaut des assiégeants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois qu'il faut toujours en revenir à Charles Gounod (Marques d'étonnement.), à son célèbre opéra Faust et à ce choeur non moins célèbre où des soldats entonnent sur la scène : « Marchons, marchons ! » tout en restant sur place ! (Sourires.)
En effet, nous ne cessons d'entendre des discours selon lesquels il est urgent d'avancer et, pourtant, nous ne cessons de rester sur place !
Mme Françoise Henneron. Qu'avez-vous fait, vous ?
M. Jean-Pierre Sueur. Dès lors, il est heureux que des élus courageux comme François Marc nous proposent justement d'agir !
Monsieur Lambert, j'ai été étonné par vos griefs assez vifs. Pour ma part, j'ai modestement suivi les travaux qui ont été menés pendant deux années autour de François Marc et qui ont abouti à la production de cet important rapport intitulé Perspectives de réforme des finances locales. (M. Jean-Pierre Sueur montre un exemplaire de ce rapport.)
Ce travail considérable a permis de dégager, après de très nombreuses auditions, plusieurs axes de réforme susceptibles de changer vraiment les choses ; cette proposition de loi s'en inspire directement.
Certes, mon cher collègue, il y a Portalis ! (M. Jean-Pierre Sueur se tourne vers la statue de Portalis située derrière lui. - Marques d'étonnement.)
On nous rétorque que si Portalis était des nôtres, il jugerait que la proposition de loi de M. Marc ne convient pas. Or je n'en suis pas certain.
Monsieur le secrétaire d'État, si Portalis nous regardait, s'il revenait et s'il constatait, par exemple, que l'important travail législatif réalisé autour de la loi de finances initiale pour 2008 se trouve derechef interrompu, afin de présenter au Parlement, en toute urgence, une proposition de loi singulière, dans tous les sens du terme, destinée à aider certain parti politique, que connaît bien M. Michel Mercier, d'ailleurs, à trouver son financement, que dirait Portalis ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Mercier, rapporteur. Tournez-vous plutôt vers Turgot !
M. Jean-Pierre Sueur. Si Portalis lisait les projets de loi que nous transmet le Gouvernement, il aurait matière à réflexion. Or, il m'a semblé justement que la proposition de loi de François Marc était d'une simplicité et d'une clarté particulières, qui lui eussent peut-être valu l'attribution du prix Portalis, si celui-ci avait existé. (Sourires.)
Au fond, nous butons sur trois problèmes.
Tout d'abord, les valeurs locatives, qui témoignent depuis très longtemps d'un ahurissant immobilisme de la part de l'ensemble des responsables politiques - et nous sommes ici tous concernés !
Mme Françoise Henneron. C'est bien de le reconnaître !
M. Jean-Pierre Sueur. Quand on explique aux gens que, pour l'impôt foncier, les critères en vertu desquels les valeurs locatives sont calculées datent de quarante-six ans, et, pour les taxes d'habitation, de trente-sept ans, me semble-t-il, ils trouvent tous ce système archaïque, et cela à juste titre !
Mes chers collègues, j'habite à Orléans, une très importante commune de notre pays, dans un quartier qui s'appelle La Source parce que s'y trouve la source du Loiret, un cours d'eau très considérable (Sourires.) qui a donné son nom à notre département.
M. Michel Mercier, rapporteur. Ainsi que le centre des chèques postaux !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, monsieur le rapporteur, vous connaissez bien le sujet et je vous en félicite !
Or, les habitants de ce quartier, que Mme Janine Rozier connaît également très bien, se plaignent parce que les impôts locaux qui ont été définis lorsque ce quartier s'est construit, dans ce qui était alors considéré comme l'équivalent d'une ville nouvelle, sont devenus au fil du temps plus élevés que ceux qui sont acquittés dans nombre de secteurs de l'agglomération dont les caractéristiques différent aujourd'hui de celles de La Source.
Les représentants de l'Association des habitants de La Source se sont rendus avec moi-même à Bercy pour demander une étude, laquelle a sans doute été en partie effectuée, mais ils n'ont pas réussi à en connaître les résultats à ce stade. Si bien qu'on est en pleine opacité. Il est impossible aujourd'hui d'obtenir des informations ou des évolutions, même sur la base du « coefficient d'entretien », qui est l'un des éléments de calcul de la valeur locative.
Très franchement, cette grande opacité décourage tout le monde et il est donc absolument impératif de traiter cette question et de faire bouger les choses pour arriver à plus d'équité dans la fiscalité locale. D'ailleurs, dans le rapport du groupe socialiste sur cette question, intitulé Perspectives de réforme des finances locales, mon collègue François Marc présente des propositions susceptibles de donner lieu à une seconde proposition de loi, qui viendrait utilement compléter celle que vous allez certainement voter, du moins je l'espère, dans quelques instants.
Le deuxième problème, c'est la prise en compte des revenus dans la fiscalité locale. À cet égard, je me souviens du rapport parlementaire lumineux sur ce sujet qu'avait établi Edmond Hervé, le maire de Rennes, dans lequel il faisait un grand nombre de suggestions. Nombre de pays d'Europe, comme on peut d'ailleurs le lire dans le rapport de François Marc, prennent en compte les revenus pour établir leur fiscalité locale. Ce point est d'ailleurs également très bien expliqué dans le rapport de la commission.
Il faudrait donc que nous en tirions les conséquences, et c'est ce que notre collègue nous propose de faire. Pourtant, comme d'habitude, à mon grand regret, on va nous expliquer que ce n'est pas le moment. Je le regrette.
Le troisième problème, c'est la péréquation. Le mode de répartition des dotations de l'État est un sujet très important dans notre pays, puisque l'État - situation assez singulière ! - est le premier contributeur en ce qui concerne les impôts locaux. Tout le monde le sait, c'est lui qui paie le plus.
À ce titre, je me souviens des déclarations enflammées des uns et des autres lors de l'introduction de cette fameuse péréquation à l'article 72-2 de la Constitution. Plus d'un trouvait alors formidable d'inscrire dans notre loi fondamentale que « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. »
M. Michel Moreigne. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Que s'est-il passé depuis ? Notre nouveau Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, se dépense dans de nombreux domaines. Il donne même parfois le sentiment d'occuper également les fonctions de tous les ministres, y compris celles du premier d'entre eux.
J'ai cependant remarqué qu'il était assez peu bavard - je me permets de vous le signaler, monsieur le secrétaire d'État, car c'est un créneau que vous pourriez mettre à profit (Sourires.) - sur tout ce qui concerne les collectivités locales : lui qui parle beaucoup, à tout moment et sur tous les sujets, il n'en parle pas ! Peut-être son expérience politique ne l'a-t-elle pas forcément conduit sur les chemins de la péréquation ? (Nouveaux sourires.) Il n'évoque pas beaucoup ni les communes, ni les départements, ni les régions, ni la fiscalité locale, ni l'évolution de la décentralisation. Dans ces domaines, je n'ai pas senti un grand désir de ruptures. Il serait pourtant possible d'en accomplir certaines, notamment en matière de valeur locative, de prise en compte du revenu et de péréquation.
Selon vous, monsieur Lambert, la DGF aurait déjà un effet péréquateur non négligeable. Examinons donc la situation.
La DGF atteint 39 milliards dans la loi de finances pour 2007. Quant à la péréquation, elle représenterait 5,9 milliards d'euros, soit 15 % de la DGF. Mais je redis ici que je ne suis pas convaincu par le rapport de MM. Gilbert et Guengant.
Observons en effet de plus près ces 15 % dits péréquateurs à l'intérieur de la DGF.
La DSU, la dotation de solidarité urbaine, que nous pourrions d'ailleurs améliorer, est certes péréquatrice, mais elle représente moins de 1 milliard d'euros.
La DSR, la dotation de solidarité rurale, aboutit à un tel éparpillement des crédits que son effet péréquateur paraît assez faible. C'est cependant le choix qui a été fait.
Quant à la dotation d'intercommunalité, elle correspond à une somme de 2,2 milliards d'euros. Êtes-vous sûrs, mes chers collègues, qu'elle ait un effet péréquateur ? Les communes concernées par la DGF font partie d'intercommunalités qui en sont également bénéficiaires. Si l'on intègre cet aspect, comme l'a évoqué M. Claude Biwer tout à l'heure, on se rend compte que l'intercommunalité engendre le plus souvent des mouvements totalement mécaniques au sein de la DGF, sans le moindre effet péréquateur.
La vérité, c'est que dans les 15 % dits de péréquation, il doit y avoir 6 % ou 7 % de vraie péréquation. Il faut donc faire quelque chose !
Ce que préconise mon collègue François Marc a le mérite de la clarté. On lui répond que ses propositions sont trop compliquées. Il faudrait peut-être un jour étudier, de ses origines jusqu'à nos jours, l'histoire de la DGF - mais beaucoup de tâches sont devant nous, et la vie est courte ! -, pour montrer comment l'addition de quantité de bonnes intentions, de dotations, de sous-dotations, de critères, aboutit à un dispositif de plus en plus illisible.
Avant la réforme proposée par notre collègue Daniel Hoeffel, le calcul de la DGF intégrait soixante à soixante-dix critères différents. Il y a d'ailleurs ici d'excellents spécialistes de ces questions, qui ont écrit des livres admirables sur ce sujet ; ils se reconnaîtront. On prenait tout en compte, y compris la voirie. On a ensuite décidé de rapporter les sommes affectées à ce titre au nombre de kilomètres carrés. Puis on a pris en compte de manière spécifique le nombre de kilomètres de routes de montagne. On a ensuite créé une première dotation touristique, plus tard une deuxième...
La prise en compte de tous ces critères aboutissait à quelque chose d'illisible. M. Hoeffel a alors proposé de « cristalliser » le système, en créant un ensemble qu'il a appelé dotation forfaitaire. Mais celle-ci découle du système qui existait auparavant, si bien que c'est en fait un monument d'illisibilité.
Vous affirmez, mes chers collègues, que toute réforme est très difficile parce que très compliquée. Or, selon moi, la vraie réforme, c'est celle qui aurait le courage de rebâtir une DGF et, donc, un système de péréquation, à partir de trois ou quatre critères seulement. Vous remarquerez qu'une telle réforme est totalement compatible avec les excellentes propositions que mon collègue François Marc a eu la bonne idée de nous faire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
I. - Après la première phrase du onzième alinéa de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« À compter de [année suivant celle d'entrée en vigueur de la présente loi], cette garantie évolue selon un taux égal au plus à 15 % du taux de progression de l'ensemble des ressources de la dotation globale de fonctionnement. »
II. - Pour être applicable, le dispositif visé au I du présent article doit être précédé de la remise par le gouvernement de simulations adéquates.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Marc et Bel, Mme M. André, MM. Angels, Auban et Badinter, Mme Bergé-Lavigne, M. Besson, Mme Boumediene-Thiery, Y. Boyer et Bricq, MM. Charasse, Courteau, Dauge et Demerliat, Mme Demontès, M. Domeizel, Mme Durrieu, MM. Frécon, Frimat, Guérini et Haut, Mme Herviaux, MM. Journet et Le Pensec, Mme Le Texier, MM. Madec, Massion, Miquel, Moreigne, Peyronnet, Picheral et Piras, Mme Printz, MM. Raoul, Repentin, Ries et Saunier, Mme Schillinger, MM. Sergent, Sueur et Sutour, Mme Tasca, MM. Teston, Todeschini, Tropeano, Yung et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
I. - Dans le but de garantir aux collectivités territoriales les moyens financiers leur permettant d'assurer de façon équitable sur tout le territoire de la République un service public de proximité de bonne qualité, la loi définit les conditions d'un rapprochement progressif de leurs potentiels financiers.
Conformément au cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, la plus prochaine loi de finances met en place les dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales.
Cette loi arrête les éléments de la dotation forfaitaire et de la dotation de péréquation constitutive de la dotation globale de fonctionnement des communes, des départements et des régions.
Elle définit pour les régions, départements et pour chaque strate démographique communale, respectivement, une fourchette de variation du potentiel financier par habitant en fonction de la moyenne de la catégorie ou de la strate de population.
Les mécanismes de péréquation mis en place doivent en tout état de cause conduire à ce qu'aucune commune n'ait, dans le délai fixé par la loi, un potentiel financier par habitant inférieur à 80 % du potentiel financier moyen de sa strate démographique. Pour les départements, ce taux serait de 90 % et pour les régions de 95 %. La mesure des seuils ainsi déterminés s'opère sur la base d'une redéfinition précise du critère potentiel financier.
II. - Le dispositif prévu au I donne lieu à la mise en place d'un mécanisme de lissage de ses effets sur une période de dix ans, afin de limiter ses conséquences financières pour les collectivités.
III. - Les dispositions du I et du II entrent en vigueur à une date fixée par décret après avis du Comité des finances locales, lequel délibère au vu des simulations des effets de la mesure, fournies par l'administration dans les trois mois qui suivent l'adoption de la présente loi.
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Compte tenu de l'heure, je ne reviendrai ni sur tous les arguments qui ont été échangés, ni sur la position de M. le secrétaire d'État, ni sur les observations faites par mes collègues concernant cette proposition de loi.
S'il en était besoin, notre collègue Jean-Pierre Sueur vient d'apporter toutes les justifications nécessaires à la réflexion entreprise, depuis deux ans déjà, par le groupe socialiste, sur ce qui pouvait être fait en la matière. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, les bureaux de chacun des trois cent trente et un sénateurs croulent sous des tonnes de rapports et de documents divers et variés concernant la réforme des finances locales. Aujourd'hui, nous savons, me semble-t-il, ce vers quoi il faut tendre, la péréquation étant une préoccupation très largement partagée.
Certains ont évoqué une absence de concertation et de consultation. À ce titre, je me contenterai de rappeler l'existence d'un document commun, établi voilà trois semaines, par différentes associations d'élus, lesquelles réclament toutes la mise en oeuvre d'une péréquation améliorée. Cela démontre à quel point nous sommes en phase avec les attentes du pays, en particulier celles des élus locaux.
Sur la base donc d'un travail approfondi privilégiant la consultation, nous avons élaboré cette proposition de loi d'orientation, qui, certes, ne s'intéresse pas à l'ensemble des aspects des finances locales. Jean-Pierre Sueur a démontré à l'instant combien il est difficile de toucher à tout en même temps. Cependant, sur deux points particuliers, à savoir l'introduction des revenus dans la fiscalité locale, avec la création d'une part de CSG départementale, et l'amélioration de la péréquation, ce texte fournit des orientations utiles, qui pourraient être mises en oeuvre rapidement dans les prochaines années.
Je remercie M. le rapporteur, qui a tenu des propos constructifs sur cette proposition de loi. Celle-ci permettrait d'améliorer la péréquation entre collectivités, par la redistribution de 1 milliard d'euros, alors que la DGF, nous le savons bien, atteint 39 milliards d'euros Vous pouvez ainsi mesurer, mes chers collègues, l'ampleur tout à fait modeste de l'avancée proposée. Au surplus, le texte prévoit un lissage sur dix ans, ce qui permet de déduire que son application annuelle conduirait à un redéploiement des dotations représentant environ 100 millions d'euros.
Sur l'article 1er du texte, la commission des finances s'est interrogée et a pris des dispositions qui, je le crois, ne vont pas dans la bonne direction.
Tout d'abord, elle nous propose d'exclure les départements et les régions du nouveau dispositif de péréquation. Or, au cours des quatre années passées, chacun le sait, les collectivités qui ont été le plus touchées par les lois de décentralisation sont les départements, qui ont eu à gérer une situation financière de plus en plus complexe. Comme mon collègue Michel Moreigne l'a clairement démontré tout à l'heure, il est aujourd'hui nécessaire d'améliorer la situation des départements les plus modestes.
M. Alain Lambert, quant à lui, a estimé que la proposition de la commission des finances, si elle n'était pas très bonne, « limitait les dégâts ».
M. Alain Lambert. Les dégâts que vous risquez de créer vous-même !
M. François Marc. Si j'ai bien compris, la péréquation, dans son esprit, crée des dégâts, qu'il est donc nécessaire de limiter. Exclure du dispositif les départements et les régions lui paraît donc de nature à donc « limiter les dégâts ».
Notre collègue Jean-Pierre Fourcade a, quant à lui, estimé « astucieux » d'exclure les départements et les régions de la péréquation. Je lui laisse la responsabilité des propos qu'il a pu tenir à cet égard.
En tout état de cause, la position de la commission des finances s'apparente à un refus manifeste de toute avancée sur le terrain de la péréquation.
D'ailleurs, mes chers collègues, je vous recommande de lire, à la page 27 du rapport, le passage qui explique parfaitement ce qui a motivé la commission pour nous proposer une nouvelle rédaction de l'article 1er de la proposition de loi : « Votre commission des finances considère qu'il n'est ni possible ni souhaitable de proposer une réforme d'ampleur de la péréquation, dans le cadre de la présente proposition de loi ». Les choses sont claires !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. François Marc. Il ne faut ni tricher ni s'abriter derrière de faux-semblants. D'un côté, après une réflexion approfondie, nous proposons, en revenant à la rédaction initiale de l'article 1er, d'améliorer le mécanisme de la péréquation pour les communes, les départements et les régions ; d'un autre côté, la rédaction retenue par la commission ne comporte aucune avancée significative et tend même à une régression.
Aussi, cet amendement se justifie pleinement, puisqu'il tend à rétablir l'article 1er dans sa rédaction initiale et, partant, à faire progresser le mécanisme de péréquation. S'il devait ne pas être adopté par le Sénat, la péréquation ne connaîtrait aucune avancée significative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L'amendement de M. Marc a pour objet de rétablir l'article 1er dans sa rédaction initiale.
M. Bernard Frimat. C'est logique !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mon cher collègue, vous avez assez souvent raison, mais, dans ce cas d'espèce, vous avez entièrement tort et je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
M. Bernard Frimat. « Essayer » !
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que l'idée de M. Marc et de ses collègues visant à améliorer le mécanisme de la péréquation procède d'une bonne intention. Le seul problème est de savoir comment l'on s'y prend et ce que l'on fait.
Je voudrais dire ceci à Michel Moreigne : « Amicus Moreigne, sed magis amica veritas » ! (Sourires.) Mon cher collègue, j'apporterai deux ou trois petites corrections à votre intervention, par ailleurs excellente, qui me permettront de répondre à M. Marc.
En premier lieu, vous avez évoqué ce que vous avez appelé les incidents de Lyon-Bron. Il se trouve que j'étais présent ce jour-là. Il ne s'agissait pas du tout d'incidents. En réalité, le chef de l'État présidait une grande assemblée réunissant le ban et l'arrière-ban de la République pour parler de la politique de la ville. Ce sujet ne passionnait que modérément le Président de la République. Je me rappelle d'ailleurs avoir eu avec lui à cette occasion une conversation qui m'a marqué et que je garde en mémoire. Il s'agissait tellement peu d'un incident que nous nous sommes tous retrouvés vers treize heures quinze chez Léon de Lyon ! (Sourires.)