Sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
2. Communication du Conseil constitutionnel
3. Saisines du Conseil constitutionnel
4. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
5. Retrait d'une question orale
6. Approvisionnement électrique de la France. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé.)
MM. Bruno Sido, président de la mission commune d'information, auteur de la question ; Jean-Marc Pastor, rapporteur de la mission commune d'information ; Yannick Texier, Michel Billout, rapporteur de la mission commune d'information ; Marcel Deneux, rapporteur de la mission commune d'information ; Daniel Raoul, Jean Desessard.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
MM. Louis de Broissia, le président.
8. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'Azerbaïdjan
9. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
10. Sécurité des manèges. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Jean-Marc Pastor, Mmes Françoise Henneron, Odette Terrade.
Clôture de la discussion générale.
M. le secrétaire d'Etat.
Amendement no 3 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Jean-Marc Pastor, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Daniel Raoul. - Rejet.
Amendement no 1 rectifié de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Michel Teston, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement no 5 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Michel Teston, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.
Amendement no 4 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Daniel Raoul, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 2
Amendement no 2 rectifié de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Jean-Marc Pastor, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
M. Jean-Marc Pastor.
Adoption de la proposition de loi.
11. Finances locales. - Rejet des conclusions du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. François Marc, auteur de la proposition de loi ; Michel Mercier, rapporteur de la commission des finances ; Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Jean-Pierre Fourcade, Mme Marie-France Beaufils, MM. Aymeri de Montesquiou, Claude Biwer, Gérard Miquel, Alain Lambert, Michel Moreigne Jean-Pierre Sueur.
Clôture de la discussion générale.
Amendement no 1 de M. François Marc. - MM. François Marc, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Mme Marie-France Beaufils, M. Charles Guené. - Rejet par scrutin public.
Rejet de l'article.
Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Alain Lambert, le rapporteur, François Marc, le secrétaire d'Etat.
Rejet de l'article par scrutin public.
Les deux articles ayant été rejetés la proposition de loi n'est pas adoptée.
12. Dépôt d'une proposition de loi
13. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
14. Renvoi pour avis
16. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a été informé du rejet par le Conseil constitutionnel, dans sa séance du 25 octobre 2007, de la requête contestant les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 26 août 2007 dans le département de l'Hérault pour l'élection d'un sénateur.
Acte est donné de cette communication.
3
saisines du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel deux lettres par lesquelles il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, le 25 octobre 2007, par plus de soixante députés, et le 26 octobre 2007 par plus de soixante sénateurs, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.
Acte est donné de ces communications.
Le texte des saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
4
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 52 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.
Je signale par ailleurs que ce rapport fera l'objet d'une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, lors de la séance du Sénat du 8 novembre.
5
retrait d'une question orale
M. le président. J'informe le Sénat que la question orale n° 72 de M. Jean-Pierre Chauveau est retirée du rôle des questions orales et de l'ordre du jour de la séance du mardi 6 novembre 2007, à la demande de son auteur.
6
approvisionnement électrique de la france
Discussion d'une question orale avec débat
Ordre du jour réservé
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 1 de M. Bruno Sido à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur l'approvisionnement électrique de la France.
Cette question est ainsi libellée :
M. Bruno Sido interroge M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur les suites que le Gouvernement pourrait donner aux propositions de la mission commune d'information du Sénat sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver.
Si les travaux de la mission ont permis de démontrer que cette sécurité était garantie dans des conditions satisfaisantes en France, aussi bien à court qu'à moyen terme, ils ont toutefois ouvert les pistes pour en assurer la préservation à long terme, tant dans le domaine de la production que dans celui du transport et de la distribution ainsi qu'en matière de maîtrise de la demande d'électricité. Plusieurs des quarante propositions adoptées par la mission visent à atteindre cet objectif et rendent nécessaires des décisions rapides au plan national. Mais l'existence d'une plaque électrique interconnectée européenne impose aussi l'examen de la dimension communautaire de la question de la sécurité d'approvisionnement du pays. À cet égard, la situation apparaît plus préoccupante et plusieurs constats établis par la mission ont conduit cette dernière à préconiser des initiatives qui ne peuvent s'inscrire que dans un cadre européen.
Dans ces conditions, M. Bruno Sido souhaiterait connaître tant les traductions législatives et réglementaires que pourraient prochainement recevoir les préconisations du rapport de ses collègues, rapporteurs de la mission commune d'information du Sénat sur l'électricité, que les initiatives qui pourraient être prises par la France dans ce domaine à l'occasion tant de la discussion du nouveau paquet énergétique communautaire que de sa présidence de l'Union européenne.
La parole est à M. Bruno Sido, auteur de la question.
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 4 novembre 2006, voilà presque un an, se produisait l'une des plus importantes pannes électriques subies par les Européens tant par son étendue géographique - toute l'Europe occidentale - que par le nombre des personnes touchées - plus de 15 millions de foyers. Mais cette panne n'eut heureusement que des conséquences pratiques bénignes en raison de sa durée limitée - de quelques dizaines de minutes à une heure selon les réseaux - et de la période à laquelle elle survint - un samedi soir à vingt-trois heures.
Il n'en reste pas moins que cette panne révéla brutalement la fragilité des réseaux électriques nationaux, qui est due à leur interconnexion d'un bout à l'autre du continent ainsi qu'à la dépendance très forte de notre organisation sociale et économique à ce bien si particulier et si vital qu'est l'électricité. C'est pourquoi il apparut rapidement nécessaire qu'une mission commune d'information se penche sur le dossier de l'approvisionnement électrique de la France, afin que le Sénat puisse disposer d'abord d'une analyse des causes réelles de l'incident, ensuite d'une évaluation des risques pesant sur la sécurité de cet approvisionnement, enfin de préconisations pour préserver cette sécurité, voire l'améliorer.
Du mois de janvier au mois de juin dernier, la mission que j'ai eu l'honneur et le plaisir de présider a mené six mois de travaux passionnants. À Paris, trente-deux auditions lui ont permis de rencontrer plus d'une cinquantaine de personnalités représentatives du secteur de l'électricité et de couvrir l'ensemble du champ de la réflexion qui s'ouvrait à elle. Afin d'inscrire sa réflexion dans une dimension européenne, des délégations se sont rendues à Bruxelles et dans six pays européens pour y rencontrer plus d'une centaine d'interlocuteurs. Enfin, quelques déplacements en région parisienne et à Dunkerque ont également donné l'occasion d'observer in situ des installations et des sites de production, donnant ainsi un caractère concret à nombre de propos entendus lors des différents entretiens.
Le rapport d'information que Michel Billout, Marcel Deneux, Jean-Marc Pastor et moi-même avons « tiré » de ces rencontres aborde successivement les trois domaines dans lesquels il faut agir pour garantir la sécurité d'approvisionnement électrique de la France : la production d'abord, le transport et la distribution ensuite, la maîtrise de la consommation enfin.
Bien que distinctes, ces trois parties sont assises sur un socle commun que mes trois collègues rapporteurs et moi-même approuvons et que je résumerai ainsi : un constat, deux observations et trois principes fondamentaux.
Le constat, c'est que le système électrique français fonctionne correctement, dans un cadre garantissant aux consommateurs une fourniture d'électricité d'excellente qualité, avec une grande régularité et à un coût satisfaisant ; c'est une bonne nouvelle. La sécurité d'approvisionnement électrique du pays est donc réelle aujourd'hui, ce qui n'interdit évidemment pas de chercher à la préserver, même à l'accroître.
La première observation, c'est que les caractéristiques intrinsèques de l'électricité sont si particulières - je vous rappelle que l'électricité est un bien indispensable, qui ne se stocke pas, qui, dans de nombreuses circonstances, n'a pas de substitut, et qui restera à jamais soumis à des lois physiques incontournables - que, d'une part, elles justifient pleinement la notion de service public qui est traditionnellement attachée en France à la fourniture d'électricité, et que, d'autre part, elles semblent rendre inadaptées à cette fourniture les règles habituelles de fonctionnement des marchés libéralisés.
La seconde observation, c'est que notre réflexion sur la sécurité d'approvisionnement s'inscrit dans un cadre communautaire sur l'énergie fixé par le Conseil européen au mois de mars dernier. Or celui-ci a retenu deux autres axes qui peuvent parfois apparaître contradictoires avec la recherche de la sécurité d'approvisionnement : l'amélioration de la compétitivité du marché et la lutte contre le réchauffement climatique.
De ce constat et de ces observations résultent les trois principes directeurs de notre rapport d'information.
D'abord, il est absolument nécessaire pour la France de conserver une maîtrise publique dans le domaine électrique et pour l'Europe de bâtir un système où la régulation, par nature publique, permettra d'anticiper les problèmes et d'éviter les crises.
Ensuite, il est essentiel d'affirmer que la composition des bouquets énergétiques des différents pays interconnectés n'est pas uniquement une question d'ordre national et que l'interconnexion des réseaux électriques doit faire primer les préoccupations de sécurité et de solidarité sur les intérêts commerciaux.
Enfin, un aspect majeur de la sécurité d'approvisionnement passe par la maîtrise de la demande d'électricité : je pense ici à la gestion des « pointes », aux mécanismes dits « d'effacement » ou encore à l'efficacité énergétique des processus industriels, des bâtiments et des équipements. À l'avenir, nombre de nos comportements doivent changer, non pas forcément pour moins consommer d'électricité, mais pour toujours la consommer mieux.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les bases sur lesquelles est structuré le rapport avec ses quarante propositions, adopté le 27 juin dernier par l'ensemble des membres de la mission commune d'information, à l'exception de Mme Voynet.
Depuis, quatre mois se sont écoulés, au cours desquels trois événements ont renforcé l'actualité de nos travaux.
Je pense tout d'abord au Grenelle de l'environnement, monsieur le secrétaire d'État. En tant que président du groupe de suivi de la commission des affaires économiques du Sénat, j'ai pu apprécier très directement la richesse et la qualité des débats que cette initiative du Président de la République et du Gouvernement a suscités. Nous avons discuté ici même, voilà quelques semaines, tant de la démarche que de ses premiers résultats. Des décisions essentielles ont été adoptées la semaine dernière à l'issue des trois journées de tables rondes et le Président de la République a publiquement annoncé, jeudi dernier, ses engagements en la matière.
Je veux y revenir un instant, car, dans le domaine de l'électricité, cette fructueuse réflexion collective n'a pas manqué d'aboutir à des propositions identiques ou très similaires à nombre de celles que la mission avait elle-même suggérées et qui s'appuyaient sur le principe de bon sens suivant : la meilleure façon de sécuriser l'approvisionnement électrique est encore de ne pas gaspiller l'électricité.
Dans cette perspective, les préconisations les plus importantes du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l'environnement, intitulé « Lutter contre les changements climatiques et maîtriser l'énergie », me semblent celles qui concernent le secteur du bâtiment : rendre obligatoires les normes de construction haute performance environnementale, dites « HPE », pour toutes les constructions neuves, d'une part, procéder à la rénovation thermique progressive du parc ancien de logements et de bureaux pour en améliorer l'isolation, d'autre part. Compte tenu de la place qu'occupe ce secteur dans le bilan énergétique national - près de la moitié de l'énergie finale consommée en France -, il s'agit évidemment d'une piste prioritaire.
Notre mission l'avait elle-même considérée comme telle puisque, dans ce bilan, la part de l'électricité est prépondérante : représentant les deux tiers de la consommation du secteur résidentiel-tertiaire, elle a fortement augmenté en trente ans, en raison de cette particularité française qu'est le chauffage électrique, qui équipe encore 70 % des constructions récentes.
C'est ce constat qui a conduit notre mission à proposer pour le bâtiment une demi-douzaine de mesures complémentaires et, me semble-t-il, parfois originales : favoriser, dans les bâtiments nouveaux, l'installation de systèmes de chauffage alternatifs aux convecteurs électriques ; modifier l'assiette et certains taux du crédit d'impôt dédié aux économies d'énergie ; moduler les droits de mutation pesant sur les bâtiments disposant des labels « HPE » et haute qualité énergétique, dites « HQE », et imposer l'utilisation de ces labels pour toutes les constructions ou rénovations de bâtiments appartenant à l'État ; instituer, pour les particuliers, un prêt à taux zéro pour les dépenses réalisées sur des bâtiments existants ayant pour objet de réduire la consommation d'énergie et, pour les collectivités publiques, un fonds de déclenchement des investissements immobiliers efficaces en énergie pour les bâtiments publics.
Ces encouragements, ces obligations, ces facilités resteront lettre morte si deux difficultés essentielles, pointées tant par notre mission que par le Président de la République, ne sont pas résolues très rapidement, l'information des professionnels du bâtiment et de leurs clients sur les nouveaux matériaux, techniques et appareils favorisant la maîtrise de la demande d'énergie, ainsi que la qualification desdits professionnels à ces technologies. La méconnaissance et l'incapacité à savoir faire sont autant de freins aux pratiques vertueuses que les questions de coût de l'investissement et de fiscalité. Il faut donc agir également en ce domaine et très rapidement.
C'est pourquoi la mission a également suggéré d'établir un plan national de formation des professionnels à la performance énergétique du bâtiment et de réaliser, dans le cadre du programme de recherche et d'expérimentation sur l'énergie dans le bâtiment, PREBAT, des études sur les facteurs socio-économiques de la sous-utilisation des technologies d'amélioration de cette performance.
Ainsi, à l'évidence, les mesures pratiques à mettre en oeuvre dans le secteur du bâtiment, en application des conclusions du Grenelle de l'environnement, devront aussi s'appuyer sur les propositions de la mission d'information et les reprendre.
Mais, au-delà de ce secteur, le groupe 1 du Grenelle de l'environnement a également formulé d'autres propositions identiques à celles de la mission, qui ont été reprises dans les décisions finales et expressément approuvées par le Président de la République dans son intervention de jeudi dernier, ce dont je me félicite vivement. Il s'agit d'étendre l'étiquetage énergétique à tous les appareils de grande consommation électrique et d'imposer des régimes de veille peu consommateurs, d'interdire la vente des lampes à incandescence à l'horizon 2010 et, bien entendu, de développer la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.
Le seul point d'achoppement entre nos travaux et ceux du Grenelle de l'environnement, concerne, évidemment, le recours à l'énergie nucléaire. La mission recommande le maintien de l'option nucléaire et le remplacement du parc actuel par les technologies nucléaires les plus avancées. J'ai déjà eu l'occasion de dire à cette tribune, le 4 octobre dernier, à quel point je juge essentielle cette option pour faire face au défi du changement climatique ; je le répète aujourd'hui en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement électrique du pays.
Le deuxième événement intervenu depuis la remise de notre rapport, c'est l'adoption par la Commission européenne, le 19 septembre, du troisième paquet énergie, dont l'un des objectifs est précisément de renforcer la sécurité de l'approvisionnement de l'Union. Face à ce nouveau train de propositions législatives, ma position est mitigée. Elle est partagée entre la satisfaction, une fois encore, de voir traduites en décisions positives plusieurs des préconisations de la mission et l'inquiétude suscitée par la fixation d'objectifs inopportuns, voire dangereux, car inadaptés au cas très particulier de l'électricité, dont je vous ai déjà rappelé les caractéristiques.
Au chapitre des satisfactions, je citerai la création d'une agence de coopération des régulateurs nationaux de l'énergie habilitée à arrêter des décisions de nature obligatoire, comme le suggérait notre proposition n° 17 , le renforcement de l'indépendance des régulateurs nationaux dans les États membres assorti des mécanismes garantissant cette indépendance, qui répond en partie à notre proposition n° 16, et la mise en place d'une nouvelle organisation de collaboration des gestionnaires européens de réseau de transport chargée, notamment, d'élaborer des normes de sécurité et des codes commerciaux et techniques communs, de planifier et de coordonner les investissements nécessaires au niveau de l'Union, conformément à nos propositions nos 13 et 14.
Mais j'éprouve aussi des inquiétudes. Il en est ainsi, bien entendu, à l'égard de l'obligation de séparation patrimoniale entre producteurs d'électricité et gestionnaires de réseaux de transport, le fameux « unbundling ». Pour régler un problème qui se pose, à l'évidence, dans certains pays, la Commission s'enferre dans une seule direction, faisant fi du modèle français, qui démontre par l'exemple, au quotidien, qu'il est parfaitement efficace pour garantir, grâce à un contrôle et une régulation publics rigoureux, l'indépendance du gestionnaire du réseau, l'accès non discriminatoire au réseau et les investissements de capacité. Il me semble que la Commission se rend en l'espèce coupable d'un raisonnement strictement idéologique bien regrettable. Aussi, j'encourage le Gouvernement à poursuivre, au sein du Conseil, son entreprise pédagogique pour obtenir qu'une majorité d'États se prononce pour la reconnaissance de l'organisation française comme alternative à l'unbundling.
Mais le biais de l'idéologie ne se niche pas simplement dans cette option ; il colore l'ensemble du paquet énergie, non pas tant dans ce qu'il propose que dans ce qu'il ne propose pas. Conformément à sa doxa traditionnelle, la Commission estime que l'approfondissement de la libéralisation du marché de l'énergie va améliorer la situation. Or, en ce qui concerne l'électricité, je suis convaincu - je ne suis pas le seul - qu'elle fait fausse route et qu'au contraire il est nécessaire que ce secteur connaisse une forte maîtrise publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Daniel Raoul. Tout arrive !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. En France, notre système électrique, dont la performance est enviée pour la puissance de son parc productif, l'étendue et la sûreté de ses réseaux, la qualité de sa fourniture, le niveau raisonnable de ses prix, s'est construit dans ce cadre. Cette efficacité résulte du programme nucléaire, du bilan prévisionnel entre l'offre et la demande réalisé par Réseau de transport d'électricité, RTE, de la programmation pluriannuelle des investissements, PPI, bref, d'un ensemble de mécanismes qui impose des responsabilités à la puissance publique. Du reste, notre système est tellement efficace que nos voisins ne seraient pas mécontents d'en avoir l'usufruit sans en supporter les contraintes.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Nous nous en sommes rendu compte lors de nos déplacements à l'étranger. Ainsi réclament-ils, par exemple, un renforcement des interconnexions transnationales, non pas tant pour accroître la solidarité entre les pays en cas de difficultés que pour bénéficier de l'électricité nucléaire française à bas prix !
M. Daniel Raoul. Ah les hypocrites !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Or, la France n'a pas vocation à devenir le poumon nucléaire de l'Europe, pas plus que les Français n'ont de raison de supporter un prix de l'électricité déterminé par le coût marginal de la production de centrales à fioul étrangères. C'est exactement l'inverse de ce qui se passe sur les marchés ; c'est là que le bât blesse et que le paquet énergie est insuffisant. Il manque tout un pan des préconisations de notre mission d'information qui seules peuvent durablement assurer la sécurité d'approvisionnement électrique de l'Union européenne. Il faut, en particulier, obliger chaque État membre à élaborer un document prospectif indiquant la manière dont est garantie la satisfaction des besoins en électricité à un horizon de dix ans, la Commission étant chargée par le Conseil d'en effectuer la synthèse au plan communautaire. Il convient également d'instaurer des normes minimales de production afin que chaque État soit en mesure de produire globalement l'électricité qu'il consomme et de développer des interconnexions internationales aux seuls endroits où elles sont nécessaires pour améliorer la sûreté des réseaux et non les flux strictement commerciaux.
Sur ce dernier point, je veux souligner que la mission a également préconisé d'instituer une procédure de déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes structures intégrées d'intérêt supérieur européen, et je regrette que cette idée ne figure pas non plus dans le projet de la Commission.
Le dernier événement que je souhaite relever vise la publication du rapport rédigé par le président de la « commission énergie » du Centre d'analyse stratégique, M. Jean Syrota, qui aborde aussi de nombreux aspects examinés par notre mission et formule des propositions similaires, sinon identiques, aux nôtres. Je veux en citer une, que nous avons développée dans le rapport d'information sans la faire apparaître comme telle dans nos quarante propositions finales. Il s'agit de l'extension accordée aux propriétaires-bailleurs des avantages fiscaux pour les dépenses favorisant les économies d'énergie et l'utilisation d'énergies renouvelables. Il nous semble indispensable, compte tenu de l'importance du parc locatif en France, de trouver un mécanisme incitant les propriétaires-bailleurs, qui n'ont eux-mêmes pas d'intérêt direct à la réduction des factures énergétiques de leurs locataires, à investir dans la performance énergétique de leurs biens.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la mission d'information du Sénat a oeuvré dans un contexte très propice à la réflexion. L'implication de nos trois rapporteurs - que je veux remercier très sincèrement et chaleureusement en cet instant et féliciter pour la qualité de leur travail - a permis de formuler quarante propositions importantes et nécessaires. Qu'elles rejoignent d'autres idées qui foisonnent en ce moment ou qu'elles s'en écartent, je souhaite qu'elles soient toutes mises en oeuvre, car je suis convaincu qu'elles sont indispensables à la sécurisation de l'approvisionnement électrique de notre pays et, plus globalement, de l'Union européenne.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, il serait utile, après avoir entendu les rapporteurs de la mission, puis les orateurs inscrits dans la discussion, que vous exposiez au Sénat les traductions législatives et réglementaires que le Gouvernement entend donner à celles de ces quarante préconisations qui peuvent être mises en oeuvre au plan strictement national.
Il serait également souhaitable que vous nous indiquiez les initiatives qu'il prendra, notamment quand la France exercera la présidence de l'Union européenne, pour favoriser l'adoption des propositions relevant du niveau communautaire afin de combler les insuffisances du troisième paquet énergie de la Commission européenne et de donner à l'Union les moyens d'une véritable stratégie de politique publique en matière électrique.
De même, le cas échéant, il serait judicieux que vous nous fassiez part des propositions de la mission d'information qui ne recueillent pas l'agrément du Gouvernement et que vous nous en précisiez les raisons.
Ce dialogue entre le Gouvernement et le Sénat sera, bien entendu, appelé à se poursuivre lorsque le Parlement examinera les textes résultant du Grenelle de l'environnement, ainsi que, vraisemblablement, une proposition de résolution sur le paquet énergie, mais je vous suis reconnaissant, monsieur le secrétaire d'État, de nous permettre de l'ouvrir dès à présent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, rapporteur.
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur de la mission commune d'information. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quelle heureuse initiative a prise notre collègue M. Sido de susciter ce débat sur la sécurité de l'approvisionnement en électricité !
Monsieur le secrétaire d'État, vous risquez d'entendre des propos similaires, car nous étions tous en phase lors de nos discussions, surtout lorsqu'il s'agissait de défendre les intérêts de nos compatriotes en soutenant la maîtrise publique du secteur énergétique.
En tant que corapporteur de la mission commune d'information, aux côtés de mes collègues MM. Bruno Sido, Michel Billout et Marcel Deneux, et ayant été plus particulièrement chargé de la partie liée à la production d'électricité, j'ai eu l'occasion de mener des investigations approfondies sur ce sujet. Je dois, d'ores et déjà, vous faire part d'un premier constat, le désordre qui semble régner aujourd'hui en Europe au sujet du problème énergétique. (M. Jean Desessard applaudit.)
Ainsi, en Allemagne, au sein d'un même gouvernement, certains prônent le recours au nucléaire alors que d'autres se déclarent favorables à l'éolien.
En Italie, le gouvernement a décidé de ne pas recourir au nucléaire, mais les responsables politiques seraient bien contents si deux ou trois centrales étaient implantées de l'autre côté des Alpes, de manière à pouvoir alimenter leur pays. De tels propos ont bel et bien été tenus !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Absolument !
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur. L'Espagne s'étant, quant à elle, engagée dans un premier temps dans le secteur éolien, fait aujourd'hui une pause, après s'être rendu compte qu'on ne maîtrise pas l'énergie éolienne comme on le veut.
La Grande-Bretagne avait joué la carte du gaz venant de la mer du Nord. Aujourd'hui, elle s'interroge sur la diminution des réserves. Attendre que le marché apporte une réponse ne semble pas satisfaisant.
Et je ne parle pas de la Pologne qui nous a tendu les bras et nous a demandé de lui venir en aide. En effet, 90 % de son énergie nucléaire sont produits dans des centrales à charbon obsolètes qui dégagent du CO2, ce qui laisse ce pays démuni.
Voilà très schématiquement brossée une situation assez inquiétante. De surcroît, chaque État a son « code de la route » pour le transport de l'électricité et les règles sont parfois concurrentes.
En France, l'électricité est produite sur le territoire. C'est énorme ! Garantir la sécurité de l'approvisionnement électrique implique d'abord de s'assurer que des moyens de production adéquats sont disponibles à tout instant pour répondre à la consommation.
Il s'agit, en France, d'une règle de base du service public de l'électricité, consacrée dans la loi du 10 février 2000.
Ainsi, Réseau de transport d'électricité élabore tous les deux ans un bilan pluriannuel prévisionnel qui permet d'anticiper les risques de déséquilibre à un horizon de dix ans. Vient s'y superposer, comme M. Bruno Sido l'a indiqué, une programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité élaborée pour dix ans par le Gouvernement, ce qui permet de situer les projections en termes d'investissement.
La PPI, gage de diversité des sources de production, constitue l'une des traductions concrètes de la politique énergétique nationale.
Ces deux outils, qui relèvent pleinement de la maîtrise publique du secteur, permettent donc d'anticiper et de prévenir les risques de défaillance de l'offre d'électricité.
De même, le bilan de RTE met régulièrement en évidence les fragilités en matière de sécurité d'approvisionnement des deux régions françaises que sont la Bretagne et la région PACA, qui sont sous-équipées en moyens de production pour la première, et en moyens de transport pour la seconde.
La mission a d'ailleurs préconisé, à cet égard, de réfléchir à l'institution d'une obligation d'équilibrage régional entre production et consommation, qui pourrait être définie sur la base de grandes « régions électriques ».
Cette règle de bon sens - veiller à l'adéquation entre l'offre et la demande - est malheureusement loin d'être partagée en Europe, comme je l'évoquais à l'instant.
Nombre d'États de l'Union européenne n'ont pas une conception aussi active de la politique énergétique que nous et font preuve d'une foi quasi intangible dans les vertus du marché, qui, selon eux, est un outil efficace de régulation et d'incitation aux investissements. La Commission européenne partage au demeurant pleinement cette vision.
Je préfère le préciser, la mission s'est, à l'unanimité, déclarée en opposition complète avec ce modèle.
D'une part, ce modèle de « tout-marché » conduit nombre d'États à fonder le développement de leurs moyens de production en très grande partie sur des centrales à gaz, dont une majeure partie est située en Russie, faisant ainsi un pont d'or, indirectement, à cette dernière.
Certes, ces unités présentent l'avantage de pouvoir être mises en service rapidement, en moins de deux ans, et d'émettre moins de C02 que leurs concurrentes directes, les centrales à charbon.
Pour autant, cette évolution est assez inquiétante au regard de la sécurité d'approvisionnement et de l'indépendance politique de l'Union européenne, qui importe déjà près de 57 % de son gaz et devrait importer 84 % en 2030, si l'évolution actuelle se poursuit. La diversification permise par le gaz naturel liquéfié ne sera pas suffisante pour réduire le poids dominant de la Russie dans nos importations, avec toutes les conséquences politiques et économiques que cela suppose.
D'autre part, la plupart de ces mêmes pays refusent tout développement de capacités nucléaires sur leur territoire mais, dans le même temps, verraient d'un bon oeil l'installation de ce type d'unités chez leurs voisins, en l'occurrence la France pour l'Europe occidentale, ce qui leur permettrait d'importer de l'électricité « bon marché ».
Je le répète, la mission a la conviction que la France - M. Bruno Sido l'a indiqué - n'a pas vocation à devenir le « poumon nucléaire » de l'Europe et à être le seul pays à devoir gérer tous les à-côtés sociaux et environnementaux de cette option énergétique.
Pour ces raisons, il est indispensable de réorienter en profondeur la politique communautaire de l'énergie.
M. Bruno Sido a rappelé quelles étaient les principales propositions de la mission à cet égard : d'une part, obligation pour chaque État de réaliser des bilans prévisionnels d'équilibre entre l'offre et la demande, ainsi que d'élaborer un document prospectif indiquant comment est garanti cet équilibre, construit sur le modèle d'une programmation pluriannuelle française et, d'autre part, imposition de normes minimales de production afin qu'aucun État ne puisse fonder durablement la satisfaction de ses besoins en électricité sur les importations.
Cette réorientation devrait idéalement prendre corps au sein d'un pôle public européen de l'énergie.
Cette organisation, qui fonctionnerait sur la base d'une réelle solidarité entre pays, notamment pour les questions ayant trait au développement des énergies renouvelables ou pour le respect des engagements environnementaux, devra tenir compte des conceptions de chacun concernant le bouquet énergétique. Il nous semble que ces nouvelles fondations de l'Europe de l'énergie seront de nature à donner naissance à de nouvelles régulations du secteur.
Malheureusement, les dernières propositions de la Commission européenne ne s'inscrivent absolument pas dans cette logique, ce que je ne peux que déplorer. Ce que l'on appelle « troisième paquet énergie » a précisément pour objet de renforcer la concurrence dans les secteurs de l'électricité et du gaz, en ce qu'il vise, notamment, à la séparation patrimoniale entre les entreprises de production et de commercialisation et celles qui sont chargées du transport.
Cette proposition est d'ailleurs très dangereuse, car elle va « casser » nos groupes énergétiques, alors qu'à l'étranger se constituent des mastodontes, Gazprom, pour n'en citer qu'un, qui n'auront pas à subir de telles contraintes. Tout est orienté sur le marché concurrentiel.
Quel bilan peut-on tirer des premières années d'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques ?
Il faut reconnaître que les entreprises qui s'étaient engouffrées dans cette voie voilà maintenant deux ans ont pratiquement toutes demandé à faire marche arrière.
C'est la raison pour laquelle a été mis en place sur le territoire national le fameux tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TARTAM, qui permet un rééquilibrage entre prix régulés et prix du marché, ces derniers ayant explosé.
La Commission européenne plaide en faveur d'un recours accru aux marchés libres et considère que les prix de l'électricité ont vocation à converger en Europe au fur et à mesure des progrès de l'unification des marchés intérieurs de l'électricité.
Or, plusieurs raisons empêchent d'appliquer à l'électricité les règles habituelles du marché.
D'une part, ce bien est tout à fait hors normes en raison de ses caractéristiques physiques : il s'agit d'un bien non stockable, qui nécessite un équilibrage permanent entre l'offre et la demande.
D'autre part, les différentes techniques de production n'ont pas le même coût et rien ne justifie que l'électron nucléaire soit facturé le même prix que l'électron issu d'une centrale à charbon ou à gaz.
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. C'est vrai !
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur. Notre pays doit faire entendre sa voix. Nous attendons du Gouvernement que, dans le domaine de l'énergie, il mette en oeuvre une politique beaucoup plus forte, afin que le système tarifaire français soit défendu et pérennisé.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons nous satisfaire du nouveau train de mesures de libéralisation présenté par la Commission, qui ne fait qu'accentuer les règles déjà existantes d'organisation des marchés de l'énergie, sans souci de l'élaboration d'une véritable politique énergétique intégrée en Europe.
Les flux d'électricité étant transnationaux, les décisions - mais aussi l'absence de décision, ce qui est encore plus grave - prises par les États ont des conséquences plus que directes sur l'organisation du secteur électrique des pays voisins.
Il est clair que l'Europe de l'électricité présenterait un tout autre visage sans les 63 TWh - Terra Watt heure - d'électricité d'origine nucléaire exportés chaque année par la France. Alors que les obligations de réduire les émissions de C02 vont devenir de plus en plus lourdes, chaque État devra en tirer les conséquences dans la composition de son bouquet énergétique.
D'un autre côté, ces objectifs ambitieux - il s'agit de réduire de 20 % les émissions de CO2 d'ici à 2020 - ne pourront être atteints sans solidarité sur le plan européen et donc sans un pôle d'entreprises publiques plus soucieuses des missions de service public que de la rémunération de leurs actionnaires.
Il est proprement irréaliste de penser que la Pologne, qui produit plus de 90 % de son électricité à partir de charbon, sera en mesure d'atteindre cet objectif d'ici à 2020.
Le groupe socialiste souhaite que le Gouvernement fasse preuve de fermeté lors des négociations sur le « troisième paquet énergie » pour défendre l'idée d'une politique intégrée de l'énergie, refuser fermement la séparation patrimoniale et défendre l'existence des tarifs réglementés.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures comptez-vous prendre, sur le plan national, pour que prennent corps les quarante propositions que notre mission a adoptées à l'unanimité moins une voix, ce qui mérite d'être souligné ? Je vous remercie de bien vouloir nous apporter tous les éclaircissements nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Texier.
M. Yannick Texier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite de la panne électrique du 4 novembre 2006, le Sénat a décidé de mettre en place une mission d'information sur l'approvisionnement électrique.
Présidée par notre collègue M. Bruno Sido, cette mission s'est livrée à de nombreuses auditions et à plusieurs déplacements dans des pays européens avant de présenter les fruits de ses analyses en juin dernier dans un rapport intitulé Approvisionnement électrique : l'Europe sous tension.
C'est dans les perspectives de ce rapport que M. Bruno Sido a déposé la question orale qui est aujourd'hui l'objet de notre débat.
Je tiens à souligner la pertinence de cette initiative à plusieurs titres. Elle permet de donner un réel écho aux travaux écrits de la mission, d'enrichir les échanges que le Parlement entretient avec le Gouvernement sur le dossier énergétique, de défendre une approche globale en termes de sécurité et d'indépendance énergétique au plan tant national qu'européen tout en intégrant les impératifs de préservation de l'environnement ; elle participe de la position que pourra défendre notre pays face aux propositions formulées par la Commission européenne, notamment celles du 19 septembre dernier. Enfin, elle est totalement d'actualité, au lendemain des premières conclusions du Grenelle de l'environnement et à la veille de la présidence française de l'Union européenne.
Si les conclusions de la mission présidée par M. Bruno Sido sont relativement rassurantes sur le court terme, en revanche, sur le plus long terme, elles plaident pour une grande vigilance et la mise en place de dispositions tant françaises qu'européennes pour garantir notre approvisionnement électrique au meilleur prix.
Mes collègues du groupe de l'UMP et moi-même partageons cette analyse.
Nous sommes très conscients que toute politique en la matière doit intervenir sur plusieurs fronts simultanément, qu'il s'agisse d'anticiper l'évolution de la demande, de préserver un bouquet énergétique national équilibré, de diversifier la fourniture géographiquement et commercialement, de permettre au mieux la prévisibilité des prix de l'électricité, de maintenir un réseau de transport dense, d'améliorer le réseau de distribution, de maîtriser la demande d'électricité.
Enfin, comme les membres de la commission, nous nous interrogeons sur la nécessité de tenir compte, dans notre choix, des caractéristiques propres à l'électricité, un bien qui ne se stocke pas, qui n'est pas substituable dans de nombreuses circonstances et dont la consommation est relativement inélastique au prix.
C'est pourquoi, comme nous l'avons dit lors de précédents débats, notamment celui sur la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, nous entendons, au plan national, conforter notre bouquet énergétique.
Cela suppose de trouver le juste équilibre entre le maintien de l'option nucléaire et le développement des énergies renouvelables afin de tenir nos engagements européens en la matière, la recherche de cet équilibre devant être aussi abordée par nos partenaires européens.
Quarante préconisations sont formulées dans le rapport de la mission. Dans l'absolu, nous souhaitons, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement puisse nous faire part de son appréciation sur chacune d'entre elles, sachant que les décisions arbitrées à l'occasion du Grenelle de l'environnement constituent également une réponse aux suggestions de la mission, notamment en ce qui concerne l'efficacité énergétique des bâtiments, l'encouragement à l'utilisation d'équipements vertueux et la promotion de nouveaux comportements chez nos concitoyens.
Cependant, il nous semble important que le Gouvernement puisse nous éclairer sur certains points.
Quels arguments développer face à la proposition de la Commission européenne sur l'indépendance des réseaux, qui aboutit à la séparation entre le propriétaire et l'exploitant et implique, dans la formulation actuelle, un quasi-démantèlement des grands groupes intégrés tels que EDF ou GDF ?
Où placer le curseur entre ouverture du marché et régulation ?
Quelle sera notre position quant à la création d'une agence européenne de régulateurs nationaux de l'énergie ? Comme la mission, nous plaidons pour une Europe de l'énergie plus intégrée. Encore faut-il que chaque État membre dispose d'un régulateur du type de la Commission de régulation de l'électricité.
Qu'en sera-t-il de la proposition de la mission d'établir des documents prospectifs communs au plan européen et de celle de créer une procédure de déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes infrastructures ?
Pour conclure, je soulignerai, une dernière fois, tout l'intérêt d'organiser aujourd'hui ce débat. Il nous permet de participer pleinement aux prémices de ce que devrait être l'Europe de l'énergie, garantie de la meilleure sécurité d'approvisionnement possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, rapporteur.
M. Michel Billout, rapporteur de la mission commune d'information. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour débattre des perspectives ouvertes par les conclusions des travaux de la mission commune d'information du Sénat sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver et, je l'espère, pour former le voeu commun d'une rapide traduction législative et réglementaire de ses quarante propositions.
Je commencerai toutefois mon intervention par quelques remarques générales.
Nous assistons actuellement à une dérive institutionnelle particulièrement grave, où le Parlement non seulement n'effectue pas son travail dans des conditions satisfaisantes, mais tend également à être privé de son pouvoir législatif.
En témoigne le nombre de projets de loi passés en urgence, notamment dans le secteur de l'énergie.
En témoigne, aussi, la censure de la commission des finances sur toute proposition engageant les deniers publics, comme cela a été le cas quand le groupe communiste républicain et citoyen a proposé la fusion entre EDF et GDF, et ce alors même que cette censure empêche tout débat de fond sur la politique nationale énergétique et les alternatives concrètes au projet proposé par le Gouvernement.
Nous nous retrouvons donc avec un Parlement dont la mission est réduite à la simple exécution de la volonté présidentielle.
Je suis donc, dans ce contexte, particulièrement attaché à ce que les propositions formulées et partagées par la quasi-totalité des membres de la mission commune d'information ne tombent pas dans l'oubli, mais trouvent au contraire une traduction concrète. J'appuie donc la demande du président Bruno Sido.
Cela étant, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, venons-en au fond.
Il y a maintenant un an, le groupe communiste républicain et citoyen soumettait à la Haute Assemblée une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité survenue le 4 novembre 2006.
Compte tenu de la dimension communautaire d'une telle commission et de l'impossibilité des parlementaires français de contraindre nos partenaires européens, c'est une mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement en France et en Europe qui a vu le jour et dont les travaux se sont déroulés au printemps dernier.
Je ne reviendrai pas sur les conclusions de cette mission, son président nous les ayant très bien exposées. Elles mettent particulièrement en lumière les contradictions des politiques libérales menées à travers les directives européennes.
Il faudrait, selon la Commission européenne, démanteler les monopoles publics et organiser la concurrence entre les opérateurs, alors même que ceux-ci remplissent une mission d'intérêt général. Cette nouvelle organisation, toujours selon la Commission, bénéficierait aux clients, qui disposeraient d'une offre plus attractive par le jeu de la concurrence.
Pourtant, la mission a fait un tout autre constat.
D'une part, la libéralisation du secteur énergétique s'est soldée par une hausse vertigineuse des tarifs sur le marché libre et par des risques accrus sur la sécurité d'approvisionnement. D'autre part, les besoins importants en termes de production d'électricité ainsi que la question du vieillissement du parc nucléaire en France imposent des investissements massifs pour la création de nouvelles capacités.
Pour finir, la mission a constaté que ces questions se posent dans un monde où les principales ressources énergétiques se raréfient. Cela a été rappelé plusieurs fois à cette tribune, l'électricité est un bien particulier, car non stockable. Par conséquent, la mission a souligné les risques que font naître, en termes géopolitiques, la rupture de la sécurité d'approvisionnement ainsi que la perte d'indépendance énergétique et, donc, d'indépendance économique et politique.
La mission est naturellement arrivée à la conclusion que, l'énergie n'étant pas une commodité comme les autres, sa maîtrise doit donc rester publique.
Selon les termes même du rapport, ce secteur ne peut être laissé à la seule « main invisible » du marché.
Les rapporteurs se sont également intéressés aux tarifs d'accès à l'électricité et se sont inquiétés de leur envolée dans la plupart des pays de l'Union européenne. C'est pourquoi ils proposent le maintien des tarifs réglementés et des contrats d'approvisionnement dits « de long terme ».
Depuis, plusieurs mois se sont écoulés, ponctués par de multiples rebondissements nationaux, européens et internationaux dans le secteur de l'énergie, qui confirment une nouvelle fois les enjeux pointés par les travaux de la mission.
Ainsi, le nouveau Président de la République a annoncé le prochain rapprochement entre Alstom et Areva, organisant ainsi une ouverture très importante du nucléaire civil aux capitaux privés en ce qui concerne la construction de centrales, la production énergétique, ainsi que la gestion des déchets.
Le chef de l'État a également contribué largement à rendre effective la fusion entre GDF et Suez.
Or, la constitution de ce nouveau groupe privé, dont l'État détiendra seulement 35 % des actions, organise la perte de la maîtrise publique non seulement sur le secteur du gaz, mais aussi bien au-delà.
Ce sont les intérêts des actionnaires qui prévaudront et, notamment, leur logique de profit maximum. Dans ce sens, lors de leur première déclaration, les P-DG du futur groupe ont indiqué que les actionnaires recevront plus de la moitié du résultat net sous forme de dividende, qui devrait croître par action de 10 % à 15 % par an en moyenne entre 2007 et 2010.
Voilà qui résume bien les priorités industrielles de ce nouveau groupe !
Autre élément inquiétant de cette première déclaration, le P-DG de Gaz de France, Gérard Mestrallet, évoquant les réacteurs nucléaires de troisième génération, a précisé : « Le nouveau groupe GDF Suez prendra une décision soit en 2008 soit en 2009 pour construire un ou plusieurs EPR en Europe, dans les pays où cela sera possible et souhaitable », afin de « disposer de ces capacités entre 2017 et 2020 ».
Nous pouvons alors émettre de sérieux doutes sur la pérennité du monopole accordé à EDF concernant la production de l'énergie nucléaire en France. J'avais déjà évoqué cette crainte voilà plusieurs mois, lors de la discussion du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
Pour sa part, la mission commune d'information réaffirme dans ses conclusions le choix du nucléaire, notamment au regard des impératifs environnementaux. Cependant, elle reconnaît que la sûreté nucléaire ne peut être garantie que par une forte maîtrise publique.
Seule une maîtrise publique peut permettre la transparence nécessaire sur les objectifs industriels et de recherche, ainsi que sur le niveau de sécurité des installations.
Monsieur le secrétaire d'État, je profite donc de ce débat pour vous demander des précisions sur ce sujet.
Au niveau européen, une nouvelle directive, parachevant le marché de l'énergie, vient d'être adoptée. Elle prône la séparation patrimoniale entre les réseaux de transport et les centres de production.
À ce titre, dans un communiqué de presse, le président et les rapporteurs de la mission commune d'information ont exprimé leurs réserves sur ce nouveau paquet énergétique, notamment concernant la pérennité des contrats d'approvisionnement de long terme et la séparation patrimoniale.
Cette fuite en avant libérale conduit aujourd'hui M. Sido, président de la mission et membre éminent de la majorité parlementaire, à solliciter M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur les suites que le Gouvernement entend donner aux quarante propositions formulées dans le rapport de cette mission.
Je ne peux que soutenir une telle initiative, a fortiori si l'on considère que ledit rapport a été voté à la quasi-unanimité des membres de la mission. Si un consensus existe entre les parlementaires de tous bords pour reconnaître que l'énergie n'est pas un produit de consommation comme les autres et que sa maîtrise doit être publique, il faut que le Gouvernement non seulement entende cette exigence, mais également qu'il la traduise en acte. Cela passe, notamment, par une transcription législative et réglementaire des quarante propositions.
Pour autant, si les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen partagent les conclusions du rapport, ils estiment que les décisions à prendre doivent aller plus loin qu'un simple perfectionnement de la régulation du secteur de l'énergie.
Nous le voyons bien, et c'était le sens de mon intervention lors de la récente discussion de la proposition de loi de notre collègue Ladislas Poniatowski, il y a une antinomie fondamentale entre la mise en oeuvre de la concurrence libre et non faussée comme pierre angulaire de toute politique publique et le maintien d'un service minimal pour chacun, notamment dans le secteur de l'énergie.
Les tarifs réglementés en sont un bon exemple. Dans la configuration libérale, ils sont voués, in fine, à disparaître, car contraires aux objectifs de l'Union européenne. Toute disposition transitoire ou dérogatoire en la matière s'apparente donc à une correction à la marge.
Pour les sénateurs communistes républicains et citoyens, c'est donc au Gouvernement d'engager une réorientation complète de la politique énergétique au niveau national et de l'impulser au niveau européen.
Cela suppose, en préalable, de faire le bilan des dix années de libéralisation dans le secteur de l'énergie et de s'orienter vers une renégociation des directives européennes.
Nous avons suffisamment d'exemples pour savoir que l'ouverture à la concurrence n'a pas atteint les objectifs escomptés, bien au contraire. Certains pays reviennent même progressivement à une plus ample maîtrise publique.
Les enjeux sont fondamentaux et multiples. Ils font de l'énergie une denrée exceptionnelle, qui ne peut être considérée comme une simple marchandise.
Ce constat, partagé par la mission commune d'information, ne peut aboutir qu'à une seule conclusion : une politique de l'énergie ambitieuse, donnant la priorité à la recherche d'économies d'énergie, à la diversification des moyens de production électrique, ainsi qu'à la coopération avec les autres acteurs énergétiques européens ne peut se réaliser qu'avec des opérateurs publics, porteurs de l'intérêt général.
Force est de constater que la politique d'entreprise des opérateurs historiques, depuis l'ouverture de leur capital, a également changé de cap. L'objectif d'augmenter la rentabilité pour les actionnaires est maintenant mentionné dans les contrats de service public.
Au final, les anciens monopoles, qui auraient dû être modernisés et démocratisés, seront remplacés par des oligopoles privés. D'après l'estimation que nous a fournie la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, d'ici à une dizaine d'années, il resterait uniquement cinq ou six oligopoles dans l'Union européenne.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen en tirent les conséquences. D'une part, nous estimons qu'une véritable maîtrise publique passe par le respect d'une condition stricte, la nécessité de garantir des capitaux uniquement publics au sein des opérateurs énergétiques, toute prise de capitaux privés modifiant irrémédiablement la politique d'entreprise. D'autre part, nous estimons que les synergies doivent être renforcées dans le secteur de l'énergie entre les opérateurs historiques au sein d'un pôle public de l'énergie, qui pourrait s'étendre au pétrole.
C'est pourquoi nous avons proposé la fusion d'EDF et de GDF au sein d'un nouvel EPIC, un établissement public industriel et commercial.
Cette idée de fusion a été immédiatement réfutée, au nom des contreparties qui seraient, semble-t-il, imposées par Bruxelles.
Pourtant, la création du géant Suez-GDF se fait également au prix d'importantes contreparties, notamment la cession de contrats d'approvisionnement de long terme pour GDF, la séparation du pôle environnement pour Suez et la création du principal concurrent d'EDF en France, et ce sans les bénéfices d'une véritable maîtrise publique.
L'avenir énergétique de la France est donc, avant tout, l'affaire de choix politiques.
Au moment même où le Gouvernement affine ses propositions dans le cadre du « Grenelle de l'environnement », nous estimons que les enjeux du secteur énergétique intègrent pleinement ceux de la préservation de l'environnement.
Travailler à la maîtrise de la consommation de l'énergie, au développement des énergies renouvelables et non polluantes, ainsi qu'à l'égal accès de tous à ce bien universel suppose, j'y insiste, une véritable maîtrise publique du secteur.
Le développement durable doit être dégagé de la pression des marchés financiers et des intérêts de court terme.
Dans ce cadre, les propositions formulées par la mission commune d'information dans son rapport, qui prône une maîtrise publique de l'énergie et la création d'instruments de régulation prospectifs, sont de véritables points d'appui, qui, je l'espère, trouveront une traduction législative et réglementaire énergique et courageuse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux, rapporteur.
M. Marcel Deneux, rapporteur de la mission commune d'information. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la sécurité d'approvisionnement électrique est une question à multiples facettes. Je concentrerai mon intervention sur l'une d'entre elles, car elle me paraît essentielle. Il s'agit de l'objectif de maîtrise de la demande d'électricité, qui part d'un principe simple, selon lequel la meilleure électricité est encore celle qui n'est pas consommée. (Ah ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Marcel Deneux, rapporteur. Ce n'est pas un hasard si c'est le thème sur lequel a « planché » le premier groupe de travail du « Grenelle de l'environnement ».
En effet, la maîtrise de la demande d'électricité permet de relâcher les contraintes à la fois financières, techniques et politiques qui pèsent sur l'augmentation des capacités de production et de transport. Produire, puis transporter l'électricité coûte très cher et prend beaucoup de temps, alors que le potentiel de maîtrise de la demande peut être rapidement mobilisable.
La maîtrise de la demande d'énergie permet aussi de réduire la dépendance énergétique de la France, que ce soit en énergies fossiles ou en uranium.
Elle entraîne des économies à long terme pour les ménages et les industriels.
Enfin, elle diminue les émissions de gaz à effet de serre, ce qui permet de préserver l'environnement et la santé humaine.
On pourrait appeler cela le quadruple bonus de la maîtrise de la demande d'électricité, et j'en tire comme conclusion qu'il s'agit d'un impératif majeur.
Je me réjouis que cette vision soit partagée par l'ensemble des pays de l'Union européenne, qui se sont donnés pour objectif de réduire de 20 % la consommation énergétique de l'Europe par rapport aux projections pour l'année 2020, telles qu'elles sont estimées par la Commission dans son Livre vert sur l'efficacité énergétique.
Dans la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, la France s'est quant à elle fixée pour objectif d'améliorer son intensité énergétique finale, c'est-à-dire le rapport entre la consommation et le produit intérieur brut, de 2 % par an à partir de 2015, puis de 2,5 % par an après 2030.
Si chacun s'accorde sur le résultat à atteindre, les moyens pour y parvenir sont plus discutés. Pour ma part, j'ai la conviction que le jeu du marché et le niveau des prix ne suffiront pas à déclencher les investissements nécessaires en matière d'efficacité énergétique. Nous voyons là se dégager un principe politique, monsieur le secrétaire d'État : cette incapacité du marché à inciter à la maîtrise de la consommation impose la mise en place permanente d'une politique publique comprenant des mesures à la fois économiques, institutionnelles et réglementaires.
Je vais développer ces solutions en distinguant les mesures d'incitation à la maîtrise de la consommation d'électricité en direction des particuliers, d'une part, et des entreprises, d'autre part.
Je n'insisterai pas sur l'importance de l'isolation des bâtiments, axe essentiel de la politique de réduction de la consommation d'énergie, car ce sujet a été excellemment développé par notre collègue Bruno Sido, ainsi que dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Les mesures de structuration de l'offre, d'une part, et d'incitation à la demande en bâtiments basse consommation, d'autre part, sont les deux piliers essentiels sur lesquels doit reposer la stratégie de diminution de la consommation énergétique des bâtiments.
Je développerai plus longuement les propositions concernant l'incitation à l'utilisation des équipements vertueux par les consommateurs, émises en juin dernier par la mission sénatoriale.
On constate, depuis plusieurs décennies, une forte hausse de la consommation du secteur résidentiel du fait de l'accroissement des équipements domestiques « blancs » et « bruns ». Je rappelle que les professionnels des appareils électroménagers distinguent les « produits blancs », c'est-à-dire les réfrigérateurs, congélateurs, cuisinières, lave-linge et lave-vaisselle, des « produits bruns », tels que les aspirateurs, téléviseurs, magnétoscopes, matériels hi-fi et informatiques.
Il semble que la réglementation soit insuffisante dans ce secteur et qu'une limitation de la puissance de veille des appareils à 1 watt doive être imposée. En effet, l'un des problèmes majeurs posés par les produits « bruns » est que ceux-ci sont très consommateurs, même en mode veille. Bien que les puissances unitaires concernées restent apparemment minimes, entre 5 et 15 watts par appareil, ces consommations ont lieu toute la journée, le plus souvent inutilement. Du fait de leur multiplication, elles peuvent représenter, selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, jusqu'à 10 % de la consommation totale d'électricité d'un ménage. Un document de travail de la Commission européenne, élaboré dans la perspective de l'application de la directive sur les exigences en matière d'écoconception, préconise, au demeurant, de fixer, pour les modes veille, une consommation maximale, de 1 watt dans un premier temps et de 0,5 watt dans un second temps.
S'agissant de la consommation courante des appareils, un étiquetage européen assez efficace a été imposé. Il semble aujourd'hui que, pour favoriser pleinement les appareils de classe A, A+ et A++, qui sont les plus économes en énergie, un passage à 5,5 % de la TVA qui leur est appliquée constituerait la meilleure des solutions. Compte tenu de l'évolution des technologies et des différences entre les étiquetages selon les appareils, il faudrait bien sûr veiller à ce que la liste des produits bénéficiant de ce taux réduit soit régulièrement révisée afin qu'elle ne concerne que les appareils les plus performants. Je souhaite que la France profite du fait qu'elle exercera la présidence de l'Union, au second semestre de l'année prochaine, pour soutenir auprès de ses partenaires le projet d'une TVA réduite sur les produits écolabellisés.
Par ailleurs, j'ai la profonde conviction que l'interdiction unilatérale de la vente d'ampoules à incandescence sur le territoire national dès 2010, qui permettrait une réduction de la consommation de 8 térawattheures par an, soit plus que la production d'une tranche nucléaire, est une impérieuse nécessité. J'ai été ravi d'entendre le Président de la République retenir cet objectif dans son discours du 25 octobre dernier.
Je dois insister sur le fait que certaines consommations ne seront réduites que par une modification des habitudes de consommation. Des mesures d'information sont donc nécessaires. L'idée d'apposer des affichettes rappelant les principales recommandations en matière d'économies d'énergie dans les administrations, les écoles et les entreprises est simple et potentiellement très efficace en matière de maîtrise de la demande d'énergie.
Je tiens à signaler que le président et les rapporteurs de la mission commune d'information sur l'approvisionnement électrique ont adressé un courrier aux questeurs du Sénat afin que soient apposées, dans toutes les salles de réunion et dans tous les bureaux de la Haute Assemblée, des affiches incitant les utilisateurs à éteindre les lumières quand les locaux sont inoccupés, ainsi que les équipements informatiques et les téléviseurs, le soir et en fin de semaine.
Dans ce même courrier, nous nous sommes félicités du remplacement progressif des ampoules à incandescence par des dispositifs à faible consommation, mais nous avons aussi souhaité que cette politique soit complétée par l'installation, dans tous les lieux de passage, de mécanismes d'allumage et d'extinction automatique de l'éclairage. Le Sénat serait ainsi à la pointe de la maîtrise de la consommation d'électricité, et c'est essentiel. L'idéal serait bien sûr de faire un véritable bilan « carbone », comme je l'avais demandé, en décembre 2002, dans un courrier adressé aux questeurs du Sénat. Cela viendra !
Je rappelle, à ce titre, que la circulaire adressée par le Premier ministre à l'ensemble du Gouvernement, le 28 septembre 2005, souligne que l'État se doit de contribuer à l'évolution des comportements et d'être exemplaire dans le cadre de la commande publique. Parmi les orientations fixées figure, notamment, l'achat d'équipements et d'appareils de bureautique économes en énergie. La mise en application de cette circulaire mériterait d'être davantage contrôlée et je m'interroge, monsieur le secrétaire d'État, sur la réalité de sa diffusion, en particulier dans les services déconcentrés. J'insiste vraiment sur cette dimension d'exemplarité de l'État, qui doit montrer au public quelles sont les bonnes pratiques.
Ainsi, le réglage des appareils permet de faire des économies à peu de frais. Certaines collectivités utilisent, par exemple, des régulateurs-variateurs en matière d'éclairage public, qui font varier les flux lumineux en fonction de nombreux facteurs, parmi lesquels figurent l'utilisation de la voie et, éventuellement, l'intensité de la lumière naturelle. Ces dispositifs, qui commencent à se diffuser dans les collectivités, sont à vulgariser.
Outre l'exemplarité, l'État a un devoir d'éducation de la population aux problématiques d'économie d'énergie.
J'estime qu'il serait bon d'inscrire dans le cahier des charges de France Télévisions et de Radio France l'obligation de diffuser des émissions consacrées à la maîtrise de la consommation énergétique.
Je pense également qu'un travail doit être réalisé auprès des plus jeunes. La circulaire du ministère de l'éducation nationale du 29 mars 2007, relative à la seconde phase de généralisation de l'éducation au développement durable, est une bonne initiative.
Monsieur le secrétaire d'État, à la suite du rapport sur le changement climatique que j'avais eu l'honneur de présenter il y a cinq ans, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 5 600 CD-Rom de présentation de ce rapport ont été diffusés dans les lycées français par le Centre national de documentation pédagogique, le CNDP, et ont été agréés pour les travaux des classes de première et de terminale. Il ne faut pas se priver de cet outil pédagogique. Avec M. Darcos, nous rappelons actuellement aux recteurs l'intérêt de l'utilisation de ce document.
Le deuxième volet de mon argumentation concerne l'amélioration de l'efficacité énergétique des entreprises, principalement dans l'industrie. Le potentiel d'économie est loin d'être négligeable, puisqu'il est estimé à 20 térawattheures par an. Son exploitation passe prioritairement par l'amélioration des process industriels. Dans un environnement international très compétitif, il a été considéré que les mesures adoptées en ce domaine devaient éviter de grever la productivité des entreprises et des programmes de soutien ont été mis en oeuvre.
Trois programmes européens ont ainsi permis la mise en place de protocoles d'aide et de recherche à la maîtrise d'énergie, respectivement dans l'industrie automobile, l'informatique et la plasturgie. Toutefois, dans la mesure où l'on ne peut pas multiplier les aides et où l'enjeu environnemental devient essentiel, il est temps que les aides attribuées par l'État et les collectivités territoriales aux entreprises soient conditionnées au respect de certains critères relatifs à la maîtrise de la demande d'électricité, d'autant que c'est économiquement rentable à moyen terme.
Au cours des années qui viennent de s'écouler, et suivant les périodes, on a pu s'interroger sur la volonté politique des gouvernements d'aller dans cette direction. Depuis l'élection présidentielle et la séquence du Grenelle de l'environnement qui s'est déroulée ces dernières semaines, on ne peut plus douter de cette volonté politique, le temps est venu de passer à l'action. Dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, la maîtrise de la demande d'électricité, c'est par une politique des petits pas, se traduisant par des petits gestes allant tous dans la même direction, que nous parviendrons à réduire la consommation d'électricité et à desserrer la contrainte qui pèse sur nos capacités de production et de transport.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'État, je vous poserai simplement trois questions.
Tout d'abord, quelles sont vos priorités en matière de maîtrise de la consommation d'énergie électrique ?
Ensuite, quels engagements êtes-vous d'ores et déjà prêt à prendre sur la question de la hausse des certificats d'énergie, dont la reconduction aura lieu en 2009 ? C'est dans quatorze mois !
Ma troisième question, enfin, est particulièrement d'actualité. J'avais proposé d'allonger la période d'heure d'été afin de caler encore mieux les heures d'activité de la population avec l'ensoleillement. (M. Jean Desessard s'exclame.) Que pensez-vous de cette mesure ?
Monsieur le secrétaire d'État et cher ami, c'est avec beaucoup d'intérêt que j'écouterai vos réponses. (M. Jean-Marc Pastor applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comment ne pas évoquer, ce matin, dans le cadre du débat sur l'indépendance énergétique de la France, le « troisième paquet » de libéralisation du marché intérieur de l'électricité et du gaz, qui comprend cinq nouvelles propositions législatives complétant la démarche engagée depuis plus de dix ans ?
La mesure phare de ce troisième paquet est sans aucun doute la séparation patrimoniale entre la gestion des réseaux de transport, d'une part, et les activités de fourniture et de distribution, d'autre part.
Neuf États membres, dont la France, avaient fait part, en juin dernier, de leur ferme opposition, ce qui n'a pas empêché la Commission de proposer ce nouveau paquet au Parlement européen, le 19 septembre dernier. Pour contourner la minorité de blocage qui était en train de se constituer, la Commission a imaginé un régime dérogatoire, dit de « gestionnaire de réseau indépendant » ou, dans le jargon de Bruxelles, Independent System Operator, ISO, et ce sans évaluation de la mise en oeuvre des précédentes directives, en particulier depuis l'ouverture du marché au 1er juillet 2007.
C'est aussi la fin du service public de l'énergie que prévoit ce paquet. Certes, est prévue la désignation de fournisseurs en « dernier ressort » pour les plus défavorisés, mais les moyens pour financer ce service et pour organiser une péréquation appropriée ne sont pas définis.
Des questions essentielles, à savoir les investissements et la sécurité d'approvisionnement, sont laissées sans réponse.
Selon Gaz de France, « l'investissement dépend moins de la structure patrimoniale que de l'action du régulateur sur les conditions de rémunération des investissements ». C'est logique.
De plus, selon EDF, « ce sont les groupes intégrés qui ont intérêt à investir dans de nouvelles interconnexions. Les gestionnaires de réseaux de transport détenus par des fonds - quels qu'ils soient - vivent des goulets d'étranglement », et donc des revenus que ceux-ci leur procurent.
Et quid des garanties contre les prises de contrôle par des tiers à l'Union européenne, sauf - et c'est en fait une reconnaissance de la nature stratégique du secteur de l'énergie - à déterminer au cas par cas quelle société non européenne est acceptable ou ne l'est pas ?
Même si une coopération européenne en matière de normes techniques facilitant les interconnexions est positive, le troisième paquet nous paraît inacceptable, et cela pour plusieurs raisons.
Première de ces raisons, la construction d'une politique de l'énergie européenne ne pourrait se faire sur la base du seul marché. Il doit s'agir d'une véritable politique publique à la fois en termes d'investissements, d'objectifs environnementaux, de sécurité d'approvisionnement et de régulation des prix, comme le rappelle la confédération européenne des syndicats. Je me référerai à cet égard à M. Boiteux, qui a tout de même une certaine compétence dans ce domaine : « L'ouverture du marché n'a pas pour effet de faire baisser les prix et c'est au contraire la hausse des prix et des tarifs qui permet l'existence du marché. »
Deuxième raison pour laquelle nous le rejetons, le troisième paquet ne donne pas de garantie en termes de maintien du service universel de l'énergie : d'une part, le champ de citoyens couverts est très réduit - j'ai mentionné la désignation de fournisseurs en « dernier ressort » - ; d'autre part, il n'y a pas de dispositions concernant le financement de ce service, dans un contexte difficile pour la France, où les tarifs réglementés sont d'ores et déjà attaqués.
La troisième raison tient à l'absence d'un véritable mécanisme de contrôle des prix.
Quatrième raison, de forts doutes subsistent quant au financement, rendu plus délicat par la séparation patrimoniale, des investissements dans les réseaux.
Cinquième raison, les objectifs environnementaux peuvent être atteints par d'autres moyens que par la séparation patrimoniale.
Enfin, on peut mettre en doute le principe de proportionnalité - les moyens proposés sont proportionnels aux objectifs poursuivis - de la mesure de dissociation patrimoniale présentée.
Le troisième paquet est une offensive ou, plus exactement, la poursuite d'une offensive européenne à l'encontre des entreprises du secteur énergétique : il revient à considérer qu'une entreprise qui reste verticalement intégrée aurait tendance à sous-investir dans de nouveaux réseaux et à privilégier ses sociétés de vente.
C'est aussi le démantèlement et la privatisation des opérateurs historiques, car, en s'attaquant au caractère intégré de ceux-ci, la Commission européenne remet en cause l'architecture même du système d'organisation de notre secteur énergétique et son type de régulation, fondé sur des obligations de service public, notamment en matière d'investissements avec la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements, qui est le seul outil garantissant la sécurité de nos approvisionnements.
Enfin, il faut savoir qu'il ouvre la voie à la privatisation d'EDF et/ou de son réseau de transport RTE, filiale à 100 %. La séparation patrimoniale rendrait dans ce cas EDF opéable alors que RTE est, on l'a dit à plusieurs reprises, un actif hautement stratégique - tout comme l'est d'ailleurs aussi GRTgaz, le réseau de transport de Gaz de France - alors que l'indépendance des gestionnaires du réseau n'a été contestée par aucun opérateur, même alternatif.
Comment peut-on construire une politique européenne de l'énergie si l'on n'a pas, comme le recommande la mission, une maîtrise publique ?
Je souhaiterais donc savoir, monsieur le secrétaire d'État, quelle sera votre position au Conseil des transports qui aura lieu à la fin du mois de novembre ?
Par ailleurs, la présidence française, au second semestre de 2008, entend-elle faire évoluer le dogme de la Commission selon lequel la concurrence a pour effet de faire baisser les prix, alors que toutes les expériences montrent qu'il n'en est rien et que certains États sont en train de faire machine arrière ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des transports - qui sera bientôt chargé aussi des autoroutes ferroviaires et maritimes...-, mes chers collègues, je commencerai par souligner que je suis en accord avec certains aspects du rapport.
Tout d'abord, je relève dans celui-ci une critique virulente de la libéralisation du marché de l'électricité, de l'abandon des tarifs régulés, des projets de directive prévoyant, dans le cadre du troisième paquet de libéralisation, la privatisation des réseaux de transport d'énergie.
Le président de la mission l'a dit, l'électricité n'est en effet pas un bien comme les autres, tout d'abord parce qu'elle ne se stocke pas, ensuite parce qu'il s'agit d'un bien de première nécessité et, enfin, parce que sa gestion détermine notre indépendance énergétique et, surtout, notre niveau de pollution.
Mais ce que je ne comprends pas, monsieur le président de la mission, c'est pourquoi les parlementaires de l'UMP en France critiquent la libéralisation, alors même que leurs collègues au Parlement européen la votent régulièrement, à chaque occasion, depuis dix ans !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Parce que ce sont des jean-foutre !
M. Jean Desessard. Il y a donc l'UMP européenne et l'UMP française !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. C'est le mode d'élection qui n'est pas bon !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. C'est cela, la proportionnelle ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Avoir plusieurs points de vue dans un même parti, ce n'est pas simple ! Nous le savons : nous l'avons vécu... (Nouveaux sourires.)
Seconde satisfaction, je lis dans le rapport que la France n'a pas vocation à se transformer en « poumon nucléaire de l'Europe », comme vous venez de le redire, monsieur le président de la mission.
Arrêtons donc d'exporter l'électricité - cela représente 20 % de la production -, d'autant que nous la vendons à perte et que c'est la France qui assume ensuite la gestion des déchets,...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Là, c'est vrai...
M. Jean Desessard. ...ce qui risque de faire de notre pays non seulement le « poumon nucléaire de l'Europe », mais aussi sa poubelle radioactive !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Oh !
M. Jean Desessard. Précisons que ce « trop-plein » d'électricité est dû aux prévisions surévaluées du lobby nucléaire : en 1975, EDF annonçait que les besoins de la France seraient de 1 000 térawattheures en 2000, soit une surestimation de plus du double !
J'ajouterai même que la France n'a pas vocation à être l'exportateur universel de la technologie nucléaire. C'est bien pour cela qu'il faut refuser la construction de l'EPR, lequel produira encore plus d'électricité - une électricité qui sera exportée alors que l'électricité devrait être économisée - et sert de maquette de vente pour l'étranger.
Vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que, malgré ces quelques points d'accord, je ne puisse pas approuver la position en faveur du nucléaire prise dans le rapport.
Cette position, fortement majoritaire dans cette chambre, n'est cependant pas consensuelle puisque Dominique Voynet, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président de la mission, a voté contre et, se faisant, elle a représenté les 54 % de Français qui jugent anormal d'investir 3 milliards d'euros pour une nouvelle centrale nucléaire.
La plupart des Français sont en effet conscients des dangers de la filière nucléaire : risques d'attentats, d'accidents, de tremblements de terre, de prolifération nucléaire et absence de solution pour les déchets, qui resteront radioactifs pendant des millénaires.
Même sur le plan de la sécurité de l'approvisionnement électrique de la France, le nucléaire ne constitue pas un « atout », comme l'écrivent les rapporteurs.
L'électricité d'origine nucléaire nous a été présentée comme la garantie de l'indépendance énergétique de la France depuis les années soixante. Cela reste à prouver !
La production de cette électricité est dépendante de l'uranium, un minerai qu'on ne trouve plus en France depuis 2001,...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. On a des stocks !
M. Jean Desessard. ...ce qui nous place dans une position de dépendance énergétique totale envers le Niger, le Canada ou l'Australie.
La filière nucléaire s'arrêtera un jour puisqu'elle dépend d'une ressource non renouvelable qui devrait manquer d'ici à soixante-dix ans si elle continue à se développer ainsi.
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. C'est faux !
M. Jean Desessard. Preuve que cette ressource se raréfie inexorablement, son cours a été multiplié par dix depuis 2002.
Quant à la génération 4, qui permettrait au nucléaire de recycler ses propres déchets, elle n'en est qu'au stade de la spéculation et on ne peut donc pas raisonnablement compter dessus.
La même remarque vaut pour le gaz.
L'entreprise Gaz de France ne mérite plus son nom puisque, depuis la fin de l'exploitation du gisement de Lacq, la totalité du gaz naturel consommé est importée. Or il y a dans toutes les régions de France des sites, parfois de dimensions réduites mais nombreux, qui pourraient produire des gaz de décharge, préférables aux gaz à effet de serre, comme le méthane, dont la composition chimique est pratiquement identique à celle du gaz de terre que nous importons de Russie.
On estime par ailleurs que le biogaz valorisable pourrait représenter jusqu'à 20 % de notre consommation de gaz naturel, alors qu'aujourd'hui la quantité valorisée est seulement de 0,5 %...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Il y a du boulot !
M. Jean Desessard. Pour assurer la sécurité de l'approvisionnement, c'est donc très simple : il faut recourir aux énergies renouvelables. Voilà la véritable indépendance énergétique : l'éolien, les déchets, la micro-hydraulique, la géothermie profonde, le solaire, le bois de chauffage...
À cet égard, le Grenelle de l'environnement a posé des objectifs ambitieux - augmenter de 20 millions de tonnes équivalent pétrole la production d'ici à 2020 - et je m'en réjouis, mais il n'a pas encore précisé les moyens financiers pour les atteindre.
Or, pour développer réellement les énergies renouvelables, il faudrait leur consacrer les milliards d'euros qui sont promis au nucléaire. Il faut donc faire des choix.
Voilà trente ans, en matière d'hydraulique, la France disposait d'un savoir-faire unique, que nous avons perdu à cause du choix du tout-nucléaire.
De même, pour les cycles combinés au gaz, qui se développent pourtant partout à l'étranger, nous avons un train de retard.
Comme le rappelait un représentant de Greenpeace France en réaction aux annonces de Nicolas Sarkozy, « on ne peut lancer un grand programme d'économies d'énergie et développer les renouvelables, tout en continuant d'investir dans le nucléaire » !
En plus des énergies renouvelables, pour diminuer notre vulnérabilité énergétique, nous devons consommer moins.
Cela passe par une politique tarifaire qui incite aux économies d'énergie et par des certificats d'économie d'énergie ayant des objectifs ambitieux. L'électricité est le seul secteur dans lequel la France n'a pas réalisé des économies ces trente dernières années. Au contraire, depuis trente-cinq ans, notre consommation finale d'électricité a été multipliée par trois ! Il faut dire qu'EDF a longtemps fait la promotion, dans ses campagnes télévisées, de la surconsommation et ses agents commerciaux sont encore payés au kilowattheure vendu...
Pourtant, des gisements d'économie importants existent : l'éclairage, comme l'a dit M. Deneux, les appareils en mode veille, l'isolation des logements et l'électronique de contrôle pour tous les usages...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Le chauffage électrique !
M. Jean Desessard. Encore faut-il accepter d'augmenter les standards : des réfrigérateurs A++ pour tous, des normes haute performance environnementale dans tous les nouveaux logements, etc.
Il y a enfin une source de gaspillage qui est trop peu abordée dans le rapport : le chauffage électrique, qui représente tout de même 12 % de notre consommation d'électricité.
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. J'en parle !
M. Jean Desessard. Certes, M. Sido l'a qualifié d'« aberration » au détour d'une audition, mais sans tirer suffisamment les conséquences de la diffusion de ce mode de chauffage, qui équipe 70 % des maisons récentes.
Or, le chauffage électrique est une hérésie énergétique, il nous fragilise l'hiver durant les périodes de pointe et il aggrave les impayés des locataires. Dès lors, pourquoi ne pas imiter les Danois, qui l'ont tout simplement interdit, sauf cas de force majeure ?
Les avancées dans ce domaine supposent une régulation forte, mais aussi une organisation souple, décentralisée, diversifiée, au plus près des besoins, qui ne gaspille pas d'énergie dans des réseaux interminables, une organisation qui ne dépende pas entièrement d'un centre, d'une technique de production, d'un seul carburant. Bref, l'opposé du nucléaire !
Et comme ce rapport fait la part belle au nucléaire, malgré un certain nombre d'analyses très intéressantes, vous comprendrez que je ne peux que renouveler l'opposition des sénatrices et des sénateurs Verts, comme l'avait fait Dominique Voynet. Les Verts voteront donc contre ce rapport.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, je tiens à vous remercier, au nom de Jean-Louis Borloo, dont je vous prie d'excuser l'absence, et en mon nom, pour le travail accompli par la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, présidée par M. Bruno Sido, et à saluer la grande qualité du rapport de MM. Michel Billout, Marcel Deneux et Jean-Marc Pastor. J'ai également écouté avec beaucoup d'attention les interventions de MM. Yannick Texier, Daniel Raoul et Jean Desessard.
Au travers des très nombreuses auditions réalisées durant six mois, en partant de l'incident du 4 novembre dernier qui avait plongé l'Europe dans le noir - incident largement rappelé par la presse ce matin -, votre mission a su prendre toute l'ampleur de la question de notre sécurité d'approvisionnement électrique.
En vous fondant sur cette panne géante, vous avez élargi vos investigations au-delà du problème de sûreté de fonctionnement des réseaux, pour vous pencher sur l'ensemble des déterminants de la politique de la sécurité d'approvisionnement électrique. Vous vous êtes interrogés sur la politique de régulation du secteur et vous avez replacé cette réflexion dans le cadre des autres objectifs de notre politique de l'énergie, à savoir, d'une part, la compétitivité et le pouvoir d'achat et, d'autre part, la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique. Ces sujets sont d'autant plus intéressants qu'ils ont constitué les thèmes des travaux du groupe 1 du Grenelle de l'environnement.
Avant d'examiner vos observations et vos préconisations, et de vous exposer le sentiment du Gouvernement à cet égard, je ferai deux remarques préliminaires.
D'abord, je veux vous dire à quel point le Gouvernement se réjouit de la communauté de vues qui existe entre les orientations générales de sa politique énergétique et les recommandations exprimées dans votre rapport. Nous y reviendrons d'ailleurs en abordant les questions de maîtrise de la demande d'énergie et de régulation européenne du marché de l'électricité, pour ne citer que ces deux thèmes. Cette tonalité générale de notre accord n'exclut pas certaines nuances, que je préciserai au cours de mon intervention.
Ensuite, je veux souligner le premier constat de votre mission - important pour tous nos concitoyens -, celui d'un satisfecit : la sécurité d'approvisionnement électrique est aujourd'hui assurée en France.
Il me paraît essentiel d'insister sur ce point : la France dispose d'instruments - le bilan prévisionnel des besoins en électricité, la programmation pluriannuelle des investissements - et elle s'appuie sur des acteurs - l'administration, la Commission de régulation de l'énergie, Réseau de transport d'électricité - qui sont les garants de cette sécurité d'approvisionnement. Cette maîtrise publique est un facteur important dans ce résultat. Le Gouvernement est attaché à ce qu'elle perdure, conformément au souhait que vous avez exprimé, monsieur Billout, lors de votre intervention.
Pour l'essentiel, le Gouvernement partage l'analyse du rapport qui confirme le bien-fondé de la politique mise en oeuvre à l'échelon français depuis plusieurs années, quels que soient les gouvernements. Toutefois, comme vous le soulignez, la France doit faire face à un double mouvement qui modifie en profondeur la conception de notre politique énergétique.
En premier lieu, nous devons accentuer nos efforts dans la lutte contre le changement climatique. Les conclusions du Grenelle de l'environnement en témoignent. Nous souhaitons une rupture et prendre des responsabilités nouvelles.
En second lieu, comme vous l'avez évoqué, le marché intégré de l'électricité au sein de l'Union européenne exige une nouvelle approche européenne.
Ces deux évolutions majeures sont au coeur de la politique énergétique du Gouvernement et c'est par rapport à ces évolutions que je souhaite répondre à vos préoccupations et à vos recommandations.
Permettez-moi d'évoquer d'abord le Grenelle de l'environnement. Les travaux de la mission commune d'information sont intervenus à point nommé et ont montré, comme le Grenelle de l'environnement, qu'il y a une convergence politique, au sens le plus noble du terme, entre la lutte contre le changement climatique - qui devient une cause nationale - et notre sécurité d'approvisionnement. Pour reprendre ce qui fait désormais figure d'adage, l'électricité la moins chère et la plus sûre est celle que l'on ne consomme pas. On pourrait y ajouter qu'elle est l'électricité la plus protectrice de notre environnement.
Le Grenelle de l'environnement est le signe d'une prise de conscience de la société française, mais - vous l'avez rappelé, monsieur Sido - il est aussi le point de départ de réformes de grande envergure, dont certaines parmi les plus ambitieuses ont trait à la manière dont nous consommons notre énergie. Ces réformes font écho aux préconisations de votre rapport. Les mesures les plus emblématiques portent sur l'efficacité énergétique et la réduction des consommations, mesures dont vous nous avez rappelé à juste titre l'urgence, monsieur Deneux.
Comme le Président de la République l'a annoncé la semaine dernière, il s'agit, d'abord, de la mise en place d'un programme de rupture dans le bâtiment neuf pour aller vers des solutions à énergie positive, impliquant des exigences de performance énergétique très élevées pour les bâtiments publics - 50 kilowattheures par mètre carré dès 2010 - et, pour les logements privés neufs, une généralisation des logements neufs à basse consommation à partir de 2012.
Il s'agit, ensuite, du lancement d'un grand chantier de rénovation thermique des bâtiments existants, portant aussi bien sur les bâtiments publics, sur le parc HLM, sur les bâtiments traités par l'Agence nationale de rénovation urbaine, que sur les bâtiments privés.
Il s'agit, enfin, de la conduite d'un plan de développement des énergies renouvelables, qui s'inscrit dans l'objectif européen, auquel nous souscrivons, de 20 % d'énergies renouvelables en 2020.
Ce programme dans le bâtiment est magnifique, certes, mais s'il se révèle nécessaire, c'est que le retard est considérable. Nous avons donc beaucoup à faire et il va falloir nous retrousser les manches.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Il conviendra d'élaborer, d'ici au 15 décembre, les programmes bâtiments et énergies renouvelables.
M. Jean Desessard. Et les moyens !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Il faudra effectivement se préoccuper des moyens, des entreprises et songer à la formation appropriée des salariés.
M. Jean Desessard. Effectivement !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. L'aspect de la formation a été évoqué à de nombreuses reprises dans les débats du Grenelle de l'environnement, en particulier par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB.
Sans préjuger les travaux d'élaboration de ces programmes, l'ampleur des réformes à conduire et la mobilisation des acteurs publics et privés qu'ils exigent supposent que nous mettions en place de nouvelles mesures en matière de réglementation, d'incitations, de sensibilisation et d'information, ainsi que de formation professionnelle comme je l'ai dit à l'instant.
M. Jean Desessard. Et payer plus !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Dans le cadre de cette réflexion, nous examinerons naturellement les propositions de la mission commune d'information - dont je vous remercie, monsieur Sido - en matière d'incitations fiscales et économiques, de formation professionnelle et de rôle exemplaire de l'État.
Je ne citerai qu'un exemple, sur lequel votre mission a, là aussi, bien travaillé : la rénovation énergétique des bâtiments est un investissement initial dont le retour s'étale sur plusieurs années. Pour rendre possible cet effort financier, il faut un juste partage des coûts et des revenus qu'une telle rénovation représente entre le bailleur et le locataire. Nous devrons donc trouver des mécanismes financiers innovants pour assurer une répartition équitable.
De même, les propositions issues du Grenelle de l'environnement en matière d'efficacité énergétique des équipements rejoignent vos réflexions, je pense notamment aux recommandations concernant l'action auprès de l'Union européenne en faveur de l'étiquetage des produits bruns, cités par M. Deneux, à la limitation de la puissance de veille des appareils - c'est le bon sens - et à l'interdiction programmée des ventes de lampes à incandescence.
La mise en oeuvre de ces mesures passera par un renforcement de la réglementation. Mais, comme pour tout programme ambitieux, elle exige aux côtés de la réglementation un plan d'accompagnement des acteurs, en particulier pour sensibiliser les consommateurs et pour mobiliser les distributeurs.
D'ailleurs, pour répondre à une question précise de M. Deneux, on estime aujourd'hui à un térawattheure l'économie d'énergie réalisée au travers du changement d'heures, mesure instaurée dans notre pays en 1975. Le Gouvernement est favorable à ce que ce mécanisme se poursuive. Le rapport que la Commission européenne doit livrer, avant la fin de l'année, sur l'impact du passage à l'heure d'été dans les différents secteurs économiques nous permettra de nous prononcer sur l'opportunité d'une évolution de ce dispositif.
Sur le thème des énergies renouvelables, le débat dans le cadre du Grenelle de l'environnement l'a montré : développer les énergies renouvelables ne saurait se faire au détriment d'autres exigences environnementales.
Je pense à l'acceptabilité paysagère pour les éoliennes - nous vivons tous ce problème dans nos départements -, qui doit être gérée. Je pense également à la préservation des espèces et des ressources halieutiques dans les cours d'eau pour la production d'énergie hydraulique. Je pense encore à la protection des sols lorsqu'il s'agit de produire des biocarburants. Il nous faut donc concilier notre ambition en matière d'énergies renouvelables avec un critère de « haute qualité environnementale » pour chacune des filières.
Mais les gisements existent. Il faut mieux valoriser la biomasse, tirer parti de l'évolution de la réglementation sur l'eau pour exploiter au mieux le potentiel hydroélectrique, comme le recommande votre mission. C'est donc un vrai plan de mobilisation de nos ressources renouvelables incluant tous les acteurs de la chaîne qui doit être élaboré filière par filière.
Cette réflexion sur le développement des énergies renouvelables me permet d'aborder la question de notre parc de production d'électricité.
Il faut répondre à une préoccupation que vous avez formulée, monsieur Sido, et à certaines préconisations de votre rapport.
Tout d'abord, en ce qui concerne notre production électronucléaire, le développement des énergies renouvelables et l'intensification des efforts en matière d'efficacité énergétique permettront peut-être de diminuer la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique. Il n'en reste pas moins, et le Président de la République l'a affirmé clairement, qu'il n'y a pas de solution à notre équation énergétique - énergie compétitive, sûre et sans CO2 - sans le nucléaire. Par conséquent, notre programme nucléaire ne saurait en aucun cas être remis en cause.
À ce titre, j'ai écouté attentivement les propos tenus par M. Pastor. Je profite de mon intervention pour rappeler la position constante du Gouvernement sur la question des tarifs réglementés de vente de l'électricité : ceux-ci sont compatibles avec les directives européennes et doivent être maintenus. Les tarifs réglementés couvrent, en effet, l'ensemble de nos coûts de production et leur niveau ne fait donc que refléter la grande compétitivité de notre parc de production électrique.
Par ailleurs, j'attire votre attention sur le fait que, outre ses avantages économiques, le parc de production électronucléaire contribue très fortement à limiter nos émissions de CO2. Par rapport à un parc de production qui serait fondé sur le charbon, notre parc électronucléaire permet d'éviter entre 300 millions et 400 millions de tonnes de CO2 par an. C'est un choix énergétique qui nous permet aujourd'hui d'afficher des émissions de gaz à effet de serre par habitant inférieures de 25 % à celles de nos voisins européens.
Je tiens à dire à M. Desessard que le nucléaire contribue à la sécurité d'approvisionnement globale non pas tant parce que l'électricité est ainsi produite en France, mais parce que le nucléaire nous permet de diversifier notre approvisionnement. Notre alimentation en matières premières énergétiques ne dépend pas uniquement des zones riches en hydrocarbures que chacun connaît, elle dépend aussi du Niger, du Canada, de l'Afrique du Sud et de l'Australie.
Ensuite, s'agissant de l'opportunité d'obligation minimale de production au sein de chaque État européen, que vous proposez dans votre rapport, la position du Gouvernement est plus réservée. Dans le cadre d'une politique européenne de l'énergie, nos objectifs en matière d'énergie renouvelable sont européens, nos réseaux sont interconnectés. Il convient donc de tenir compte des spécificités de chaque État membre. Le Gouvernement estime - mais le débat n'est jamais fermé - que le fait d'imposer une production locale peut conduire à ce que l'on appelle, avec bonheur - moins pour la langue française ! -, une « désoptimisation ». Si une telle possibilité ne saurait être écartée a priori, la France entend d'abord mettre l'accent sur des planifications nationales coordonnées à l'échelon européen.
Ces questions relatives à la production d'électricité nous ramènent au deuxième thème de notre discussion : l'avènement d'une politique européenne de l'énergie.
Votre mission a conduit ses travaux pendant un moment important, la phase préparatoire d'une nouvelle série de directives sur le marché intérieur de l'énergie.
Dans cette phase, notre pays a mis en avant certains dysfonctionnements, émis de nombreuses propositions et exprimé son attachement à l'émergence d'un marché de l'électricité intégré, sûr, efficace et bénéficiant in fine au consommateur.
Tel est bien le message de la France : l'Europe de l'énergie, le marché de l'énergie ne doivent se construire qu'au bénéfice des consommateurs. Et dans un secteur aussi complexe que celui de l'électricité - qui, comme vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, constitue un bien essentiel et non stockable -, le rôle des pouvoirs publics, de la régulation à la surveillance en passant par la planification, est primordial.
Messieurs les rapporteurs, vous insistez sur l'importance des interconnexions dans la sécurité d'approvisionnement d'un pays - nous en débattons souvent avec nos voisins espagnols, notamment -, ainsi que sur la nécessaire coordination à l'échelle européenne des réglementations s'appliquant aux gestionnaires de réseaux de transport en France. Il s'agit là d'un message que nous portons hautement à Bruxelles.
La sûreté du système électrique passe par un contrôle strict du gestionnaire de réseau de transport. Telle est la position que nous défendons, et que la Commission européenne a d'ailleurs partiellement reprise à son compte dans son troisième paquet énergétique.
Les règles mises en oeuvre par les gestionnaires de réseaux doivent être contraignantes et particulièrement suivies : il faut que tout manquement, à l'instar de celui qu'a connu, le 4 novembre 2006, la République fédérale d'Allemagne, soit sanctionné. La France milite donc pour une régulation contraignante, comme le recommande d'ailleurs la mission commune d'information.
Ainsi que vous l'avez souligné tout à l'heure, monsieur Sido, la mesure la plus emblématique du troisième paquet énergétique concerne la séparation patrimoniale, présentée par la Commission européenne comme la réponse aux dysfonctionnements du marché et notamment aux problèmes de sûreté du système électrique.
Or la France ne partage pas cette position. Elle considère que RTE, Réseau de transport d'électricité, a parfaitement montré par le passé sa capacité à gérer le système électrique sans incident majeur. Pour preuve, le dernier incident majeur remonte au 12 janvier 1987, quand des délestages importants se produisirent dans l'ouest de la France, beaucoup d'entre nous s'en souviennent.
Le renforcement de la sûreté passe aussi par une coopération accrue entre les gestionnaires de réseaux de transport. Là encore, nous voulons être exemplaires : le mémorandum d'entente signé le 6 juin 2007 par les ministres chargés de l'énergie des cinq pays du forum pentalatéral, c'est-à-dire la Belgique, le Luxembourg, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, constitue une illustration de la politique que nous souhaitons promouvoir en Europe.
Ce mémorandum vise des objectifs précis et ambitieux, à savoir l'élaboration d'un bilan prévisionnel global, la création d'une échelle de classification des incidents de réseau et la mise en place d'une plate-forme commune de coordination des gestionnaires de réseaux de transport afin que, demain, nous soyons assurés que les gestionnaires communiquent effectivement entre eux et utilisent les mêmes outils.
Tous ces objectifs rejoignent les propositions de la mission commune du Sénat, me semble-t-il, et doivent être mieux pris en compte dans le troisième paquet énergétique.
À cet égard, voilà quelques semaines que les discussions ont débuté au Conseil européen. Comme l'indiquait M. Daniel Raoul, il s'agit pour la France de peser dans ces négociations, aux côtés de ses partenaires européens, afin d'aboutir à un texte ambitieux, garantissant que les objectifs soient atteints, sans pour autant nuire à l'intégrité de nos opérateurs.
Ainsi, la France et l'Allemagne ont déjà réuni sept pays européens sceptiques devant une mesure qu'ils considèrent comme étant disproportionnée. Ensemble, nos deux pays s'efforceront de faire évoluer dans le bon sens les projets de textes européens de ce paquet énergétique.
Au final, s'agissant de l'émergence d'une politique européenne de l'énergie au travers des négociations communautaires en cours, le Gouvernement reprend à son compte quasiment toutes les propositions de la mission d'information du Sénat, dont il partage le constat et les objectifs.
Toutefois, sur certains points, en nombre limité d'ailleurs, il émet quelques réserves quant à la façon de parvenir au résultat attendu. Il en est ainsi de la proposition, sur laquelle nous reviendrons, visant à encadrer le fonctionnement du réseau par des textes européens juridiquement contraignants, tels que des directives techniques, ou de celle, formulée par M. Yannick Texier, tendant à encadrer le développement des interconnexions par une déclaration d'utilité publique européenne - si du moins tel est bien le sens de votre proposition, monsieur Texier.
En effet, il nous semble que de tels processus, assez lourds, pourraient à terme ralentir l'intégration européenne et aller à l'encontre de l'effet recherché.
En revanche, la France est favorable à une régulation concrète au niveau européen et à la mise en place de coordinateurs européens, qui permettraient, sur des projets d'interconnexion, de fluidifier le dialogue entre les pays concernés.
Pour conclure, et sans tomber dans le péché de l'unanimisme, qui n'est jamais propice à l'exercice de la démocratie, je tiens à rendre hommage à la mission commune d'information du Sénat pour les enseignements précieux qu'elle a dégagés, dans un moment particulièrement crucial pour notre politique de l'énergie, tant nationale qu'européenne.
Je souhaite que le dialogue entre le Gouvernement et la Haute Assemblée se poursuive, voire s'intensifie, car il reste certaines questions dont je souhaite débattre avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, particulièrement lors de la déclinaison, au mois de décembre prochain, des différents programmes opérationnels issus du Grenelle de l'environnement.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du travail qui a été réalisé par le Sénat et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia, pour un rappel au règlement.
M. Louis de Broissia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'ai été ému, comme plusieurs de mes collègues, par les récentes déclarations d'un leader sympathique d'un syndicat de salariés sympathique, qui a mis en cause, de façon très peu sympathique, le Parlement.
Je vous lis ses propos, qui concernent une organisation syndicale patronale : « Personne n'a de preuve que les organisations syndicales sont corruptibles et achetables ! Ce qui me révolte, c'est la ligne de défense du président de [cette organisation patronale]. [...] Tout le monde se précipite sur cette piste et personne ne va en chercher d'autres. »
À la question : « Quelles sont, selon vous, les autres pistes inexplorées ? », ce syndicaliste répond : « Depuis des années - c'est ce point qui me choque, monsieur le président -, [cette organisation patronale] a réussi à faire passer des amendements à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Comment font-ils pour trouver des députés - il ne parle pas des sénateurs - qui les soutiennent, et des majorités parlementaires, y compris contre l'avis du Gouvernement ? »
Monsieur le président, il s'agit d'une mise en cause du Parlement, toutes tendances politiques confondues, qui m'apparaît non seulement regrettable, mais également condamnable.
J'ai donc écrit au leader sympathique de cette organisation syndicale sympathique, dont je ne citerai pas le nom, n'étant pas ici pour faire de la publicité, en lui rappelant deux textes en vigueur. En vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, la personne qui connaît des faits confirmant ses allégations est tenue de les dévoiler et de saisir la justice. Sinon, l'article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, lequel définit la diffamation, pourrait lui être appliqué. Il s'agirait également, selon certains, de dénonciations calomnieuses.
Je souhaite, monsieur le président, que le Sénat, comme l'Assemblée nationale, prenne vigoureusement position sur ces allégations qui mettent en cause le travail du Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur des travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. Les applaudissements de nos collègues valent réponse !
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souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'azerbaïdjan
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Parlement de la République d'Azerbaïdjan, conduite par son président, M. Oktay Assadov.
Le Sénat se réjouit d'accueillir à nouveau un haut responsable azerbaïdjanais quelques mois après avoir reçu le Président de la République d'Azerbaïdjan, Son Excellence M. Aliyev, pendant sa visite d'État en France.
Je forme des voeux pour que cette visite contribue au renforcement des liens qui unissent notre pays à la République d'Azerbaïdjan, pays qui a un rôle important à jouer dans la stabilité régionale, notamment au Caucase méridional. (M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
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Dépôt d'un rapport du gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires culturelles, à la commission des affaires économiques et à la commission des finances, et sera disponible au bureau de la distribution.
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Sécurité des manèges
Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi relative à la sécurité des manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction, présentée par M. Pierre Hérisson et plusieurs de ses collègues (n° 463, 2006-2007 ; n° 48).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est un texte attendu depuis longtemps. Je remercie les nombreux sénateurs et sénatrices qui se sont associés à sa rédaction.
Nous allons - enfin, serais-je tenté de dire - nous intéresser à un domaine qui, une fois n'est pas coutume, a longtemps été ignoré par le législateur : les manèges des fêtes foraines et des parcs de loisirs.
Pourtant, ces activités ont pris une place grandissante dans notre société, jusqu'à devenir une « industrie ». En témoigne le succès des parcs thématiques comme Disneyland Paris ou des fêtes foraines traditionnelles organisées dans nos communes. Chaque année, près de cent millions de personnes montent dans un manège en France. Ces manèges ont considérablement changé ces dernières années : plus sophistiqués, ils vont toujours plus vite, toujours plus haut, répondant ainsi aux demandes de clients amateurs de sensations toujours plus fortes.
Malheureusement, les accidents, dont le dernier en date, dans lequel un père et son fils ont trouvé la mort, s'est produit à la Fête des Loges, dans un booster, deviennent de plus en plus graves à mesure que la vitesse des manèges augmente. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune réglementation spécifique n'encadre aujourd'hui la fabrication et l'exploitation des attractions foraines, notamment parce que, historiquement, la fête foraine a été un espace de liberté. Ainsi, les forains ont développé une grande autonomie dans l'organisation de leurs activités.
Certes, les pouvoirs publics ont progressivement réinvesti cet espace, que ce soit en matière d'ordre public ou de contrôle sanitaire, mais la sécurité des machines elles-mêmes a été négligée.
Ainsi, force est de constater aujourd'hui que la réglementation française est minimale. Un protocole a bien été signé en 1983 par les syndicats de forains et certains bureaux de contrôle technique, sur l'initiative du ministre de l'intérieur, mais il est aujourd'hui totalement obsolète.
L'article L. 221-1 du code de la consommation pose une obligation générale de sécurité des produits, mais la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, n'a pas toujours les moyens nécessaires ou les compétences techniques requises en matière de contrôle des manèges.
Le code général des collectivités territoriales donne au maire des pouvoirs de police s'agissant des grands rassemblements, des foires ou des jeux, mais les élus, surtout ceux des petites communes, n'ont pas les moyens de contrôler la sécurité des attractions et se limitent, le plus souvent, à un simple contrôle documentaire.
Une réglementation européenne existe, mais elle est encore embryonnaire et repose surtout sur une norme de 2004 que la France a mis trois ans à intégrer.
Donc, au final, mes chers collègues, le système actuel de contrôle de la sécurité des attractions repose, pour l'essentiel, sur les forains eux-mêmes.
Bien avant le drame de la Fête des Loges, l'Association des maires de France, l'AMF, que je tiens ici à saluer, travaillait à l'élaboration de dispositions législatives et réglementaires visant à renforcer la sécurité des manèges. Son groupe de travail « Fêtes foraines », que j'ai l'honneur de présider, a conduit une concertation avec les forains. Au terme de celle-ci, les professionnels, les organismes de contrôle, les maires et les ministres concernés, à savoir Mme le ministre de l'intérieur et M. le secrétaire d'État à la consommation et au tourisme, ont signé, le 17 août dernier, une convention sur la sécurité des manèges.
Il s'agissait d'une avancée considérable, puisque les exploitants ont accepté le principe d'un contrôle technique périodique selon le type d'attraction et son niveau de sensation. Toutefois, au-delà de ces engagements, qui ne lient que ceux qui y consentent, une loi était nécessaire afin de définir les obligations pour l'ensemble de la profession. C'est l'objet de cette proposition de loi, qui donnera une assise législative à la convention du 17 août 2007.
Ce texte novateur crée pour les professionnels concernés de nouvelles obligations, à mes yeux d'égale importance.
En premier lieu, il vise à imposer une obligation générale de sécurité pour l'ensemble des attractions en France. Qu'il s'agisse de manèges, de machines ou d'installations pour fêtes foraines ou pour parcs d'attractions, ils devront être conçus, construits, installés et exploités sans qu'il soit porté atteinte à la santé des personnes.
Dans la mesure où certains manèges sont exploités hors des fêtes foraines et des parcs de loisirs, j'ai proposé à la commission des affaires économiques d'élargir le champ d'application de ma proposition initiale, afin que celle-ci englobe ces machines, installées le plus souvent sur les parkings des centres commerciaux ou sur les places de village.
En second lieu, ce texte vise à créer une obligation de contrôle technique des manèges. Demain, tous les manèges de France subiront un contrôle technique initial et des contrôles périodiques. Il s'agit là d'un progrès considérable. Et ce n'est pas le seul, puisque ces contrôles, à la charge des exploitants, devront être effectués par des organismes agréés par l'État, indépendants économiquement et juridiquement des exploitants, ce qui empêchera tout risque de collusions d'intérêts dans la profession.
Tel est le cadre général fixé par la proposition de loi que vous soumet la commission des affaires économiques ; ces mesures seront complétées par un décret en Conseil d'État et deux arrêtés : ces textes fixeront les exigences de sécurité auxquelles devront satisfaire les manèges, définiront le contenu et les modalités des contrôles techniques et détermineront les modalités d'agrément des organismes de contrôle technique.
À cet égard, monsieur le secrétaire d'État, je vous demande, au nom de la commission des affaires économiques, que ces dispositions réglementaires soient prises le plus rapidement possible, afin que ce nouveau dispositif entre en vigueur dès janvier 2008.
Pour conclure, j'indiquerai que la commission des affaires économiques, dont je salue le président, s'est prononcée à l'unanimité en faveur de cette proposition de loi.
J'espère vous avoir convaincus, mes chers collègues,...
M. Jean-Claude Carle. Tout à fait !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. ...de l'importance de ce texte. Je crois que nous faisons là un grand pas dans l'organisation de l'espace des fêtes foraines et des parcs d'attractions dans l'intérêt de tous, des utilisateurs avant tout, mais aussi des exploitants eux-mêmes et, bien sûr, des élus locaux, dont nous devons prendre grand soin dans cette maison.
Enfin, je tiens à la disposition de ceux qui le souhaitent le texte de la norme NF EN 13814 « Machines et structures pour fêtes foraines et parcs d'attraction - Sécurité », que l'éditeur m'a autorisé à vous communiquer ; son coût est normalement de 148 euros. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à remercier M. le rapporteur de l'intérêt et de la pertinence de sa proposition de loi ainsi que de son engagement sur un sujet aussi important que celui de la sécurité des manèges et des attractions. Ce travail concrétise une réflexion collective qui est menée depuis longtemps non seulement par les professionnels, mais aussi par l'AMF.
À titre liminaire, je voudrais saluer la mémoire de Claudine Ségelle, fonctionnaire de grand talent, disparue dans un tragique accident le 31 août dernier. Sous-directrice à la DGCCRF, Claudine Ségelle était la spécialiste des questions concernant les manèges forains. Sans compter son temps, apportant son dynamisme, sa clarté de vue et son efficacité, elle avait pris en main le dossier de la sécurité. Elle était présente à nos côtés, monsieur le rapporteur, le 17 août dernier, lors de la signature de la convention. C'est une fonctionnaire de très grande qualité que nous avons perdue et je souhaitais honorer aujourd'hui sa mémoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la sécurité des personnes est une préoccupation majeure du Gouvernement. Mme Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence, et moi-même nous travaillons en étroite concertation sur ce sujet.
Le dramatique accident survenu le 4 août 2007 à la Fête des Loges, qui s'est ajouté à divers accidents de manège ayant entraîné des blessures ces dernières années, a mis au jour un vide juridique qu'il est nécessaire de combler : actuellement, aucune loi ou réglementation spécifique n'encadre la fabrication et l'exploitation des attractions foraines.
La survenance régulière d'accidents de personnes sur des matériels d'attraction foraine et la sophistication technique croissante de ceux-ci, dans le but de répondre à une demande de sensations toujours plus fortes de la part des utilisateurs, ont montré les limites de ce dispositif.
Il est ressorti des débats qui ont fait suite à l'accident de la Fête des Loges, lequel a coûté la vie à un père et à son fils, que la grande majorité des parties concernées reconnaissait aujourd'hui le caractère inadapté, incomplet et inefficace des dispositions existantes.
Par ailleurs, depuis plusieurs mois, la profession des forains, les maires, représentés par l'AMF, et l'administration travaillaient de concert à l'élaboration de textes plus opérationnels visant à préciser les modalités et la périodicité du contrôle technique des manèges forains, et ce en tenant compte de l'évolution des matériels et de la nécessaire indépendance des organismes chargés du contrôle technique.
Alors même que les réflexions étaient déjà engagées, l'accident du 4 août dernier a amené l'ensemble des acteurs à marquer rapidement une évolution pour améliorer la sécurité des manèges, et ce sous la forme d'une convention.
Cette convention a été signée le 17 août 2007 par les représentants des forains, des organismes de contrôle, l'Association des maires de France - représentée par Pierre Hérisson -, les ministres concernés - Michèle Alliot-Marie, Hervé Novelli et moi-même -, préfigurant ainsi l'architecture de l'encadrement législatif et réglementaire que nous souhaitons collectivement mettre en place aujourd'hui.
En effet, au-delà des engagements des uns et des autres, l'objectif d'une plus grande sécurité des attractions foraines exige que le dispositif ait une assise juridique solide et pérenne et force contraignante pour définir les responsabilités et les obligations de chacun.
Un texte législatif s'impose puisqu'il s'agit de créer une obligation de contrôle technique, dont le non-respect est sanctionné par l'interdiction, par les maires, de l'installation ou de l'exploitation de l'attraction foraine en question, ce qui constitue une restriction à la liberté du commerce et de l'industrie.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi, élaborée dans la meilleure concertation avec la profession, les maires, l'administration et le Gouvernement. Je voulais vous en remercier et vous en féliciter, monsieur le rapporteur.
L'article 1er de cette proposition de loi pose le principe que la conception, la construction, l'installation, l'exploitation et l'entretien des manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction doivent assurer la sécurité des personnes. Cet article assure, en quelque sorte, la transposition aux manèges et attractions - ce sont par définition des biens itinérants - des dispositions de l'article L.221-1 du code de la consommation définissant l'obligation générale de sécurité des produits et services.
L'article 2 s'attache à encadrer le niveau d'exigence requis pour assurer la sécurité des manèges et attractions. Il introduit ainsi l'obligation de faire procéder sur chaque matériel à un contrôle technique initial puis à des contrôles techniques périodiques par des organismes qui seront agréés par l'État.
Enfin, l'article 3 renvoie à un décret en Conseil d'État la définition des conditions d'application de la loi, notamment en ce qui concerne les exigences de sécurité auxquelles doivent satisfaire les manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction, le contenu et les modalités du contrôle technique et les conditions d'agrément des organismes de contrôle technique.
Ce dispositif, qui s'inspire, vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, du système déjà bien rôdé du contrôle technique des véhicules automobiles - véhicules légers comme poids lourds - me semble répondre parfaitement aux besoins de sécurité des manèges, machines et installations pour fêtes foraines et parcs d'attraction.
Les mesures législatives seront complétées dans les plus brefs délais - je tiens à engager le Gouvernement dans ce sens - par un décret et des arrêtés d'application sur lesquels travaillent déjà les services de l'État. Ces textes préciseront le contenu et les modalités du contrôle technique, ainsi que les conditions d'agrément des organismes de contrôle technique.
J'attire de nouveau votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l'importance de ce texte, qui participe à l'action du Gouvernement sur l'amélioration du dispositif de protection des consommateurs dans le domaine de la sécurité et qui permettra aux différents acteurs de la fête foraine et des parcs d'attraction d'exercer leur activité dans de meilleures conditions. Il s'agit d'une avancée importante, dont je tiens à vous remercier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, fête foraine de Lille, parc de loisirs Nigloland dans l'Aube, fête foraine de Creil, fête du parc Saint-Paul, parc Astérix, Fête des Loges, etc. nombreux sont les lieux de fête et de loisir qui connaissent des accidents parfois dramatiques comme celui qui a coûté la vie à un père et son fils le 4 août dernier, à Saint-Germain-en-Laye.
Cette actualité motive la présente proposition de loi déposée par notre collègue Pierre Hérisson. Je tiens à saluer le travail qu'il a effectué pour « border » l'ensemble de ce dispositif, qui a pour objet d'introduire une base légale à la réglementation régissant l'activité des parcs d'attraction et des fêtes foraines.
En effet, il n'existe pas dans notre législation de texte sur la sécurité des manèges en dehors d'un protocole d'accord datant de 1984. Dès lors, la France était, jusqu'à il y a deux mois et demi, l'un des pays où le dispositif encadrant l'exercice de l'activité d'exploitant de manège ne reposait ni sur une réglementation ni sur une norme ; j'y reviendrai.
La Commission de sécurité des consommateurs, dans l'avis qu'elle avait émis à la fin de l'année 2006, indiquait qu'il n'existait pas d'information exhaustive des accidents survenus dans des fêtes foraines ou des parcs de loisirs. Seules des données ponctuelles sont disponibles en provenance de gérants de parcs de loisirs, des services d'urgence des hôpitaux, de l'Institut national de veille sanitaire.
En France, plus d'une centaine d'accidents par an ont été recensés depuis 1992, chiffre qui serait en hausse en valeur absolue, mais en diminution en valeur relative compte tenu du nombre croissant de visiteurs. Pour autant, cela me semble justifier une surveillance statistique spécifique de la part des pouvoirs publics. Qu'en pensez-vous, monsieur le secrétaire d'État ?
Au lieu d'une information fragmentée, ne serait-il pas préférable de disposer de sources d'informations à partir de la prescription de déclarations ? Je conçois bien la difficulté méthodologique, mais une telle collecte me paraît nécessaire pour conduire une politique en matière de consommation. Cela permettrait de procéder à une accidentologie plus précise : les accidents ont-ils tendance à être plus graves aujourd'hui ? Sont-ils liés à des défaillances techniques qui s'avéreraient dramatiques en raison de la vitesse ou de la hauteur accrues des structures, ou bien sont-ils dus à des problèmes de comportement des clients ? Ces accidents affectent-ils davantage les enfants ?
En l'état des données, on recense à la fois l'erreur humaine et des défaillances matérielles dans les facteurs de causalité des accidents.
Pour ce qui est de l'erreur humaine, il semble s'agir le plus souvent d'un défaut de prudence des passagers d'une attraction et plus rarement d'une faute de l'opérateur.
En ce qui concerne la défaillance technique, le mode d'exploitation d'un manège n'est pas neutre. Les matériels itinérants sont fortement sollicités, mais entretenus. Ceux des parcs seraient moins sollicités en raison d'une fréquentation des parcs éloignée de leur potentiel initial, mais ils auraient tendance à évoluer vers la production de sensations fortes dont les jeunes gens sont aujourd'hui particulièrement friands.
Pour revenir à l'aspect proprement réglementaire du dossier, il n'existe pas de réglementation européenne relative à la sécurité des manèges. Le principe de subsidiarité s'applique à plein.
Les tentatives de directives et les propositions de la Commission européenne depuis quinze ans n'ont pas même permis que la conception et la sécurité des matériels d'attraction sur les fêtes foraines et dans les parcs de loisirs soient intégrées à la directive 2006/42/CE du 17 mai 2006 sur les machines. Des particularismes nationaux de la profession, qui demeureraient pour l'instant infranchissables, paraissent empêcher toute harmonisation européenne, ce qui est dommageable.
Pour ce qui concerne notre pays, la priorité est en règle générale donnée aux mesures volontaires initiées par les entreprises, en coordination dans de nombreux cas avec les pouvoirs publics, dès lors qu'elles permettent d'éliminer efficacement le risque. Pour cette raison, les mesures réglementaires, qui n'interviennent qu'en cas d'insuffisance des mesures volontaires, sont très rares.
Mais, en l'occurrence, à la suite de la lettre que M. le Président de la République a adressée le 6 juin à Mme la ministre, on nous propose d'instaurer un dispositif législatif. En France, on le sait, la loi « parle » au peuple. Sans loi, point de crédibilité ! Elle a d'ailleurs tendance à devenir un instrument au service de la communication plutôt qu'au service du droit. Je me permets de vous renvoyer aux observations de l'ex-président du Conseil constitutionnel, M. Pierre Mazeaud, alors en fonction, et à celles de la section du rapport et des études du Conseil d'État sur la qualité des lois.
Les pouvoirs publics disposent de plusieurs outils pour que les produits présents sur le marché offrent toutes les garanties de sécurité pour les consommateurs. Outre leur association aux travaux de normalisation, ils effectuent des contrôles des produits et des services offerts aux consommateurs, ils élaborent des textes réglementaires et veillent à la qualité de l'information fournie au consommateur, en particulier celle qui est relative aux risques liés à l'utilisation d'un service ou d'un produit.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression de fraudes a pour mission, elle aussi, de veiller au respect de l'obligation générale de sécurité définie par les différents articles du code de la consommation.
La normalisation constitue l'une des voies fréquemment préconisées par la Commission de sécurité des consommateurs au travers de ses avis. Les recommandations de cette commission peuvent viser la mise au point de normes nouvelles pour les produits qui en sont dépourvus ou bien la modification de normes existantes pour qu'elles prennent en compte des risques nouvellement identifiés. Cette commission sollicite souvent les pouvoirs publics afin qu'ils interviennent auprès des autorités de normalisation en vue du lancement de ces fameux travaux de normalisation ; j'y reviendrai lors de l'examen des amendements.
C'est bien le cas au sujet des manèges. La recommandation de la commission était d'homologuer la norme européenne NF EN 13814 « Machines et structures pour fêtes foraines et parcs d'attraction - Sécurité ». C'est fait depuis le 17 septembre ! Je ne vois d'ailleurs pas comme une coïncidence cette décision d'homologation prise par le conseil d'administration de l'AFNOR le 17 août 2007, soit le même jour que celui de la signature de la convention liant le Gouvernement, l'Association des maires de France, les organismes représentatifs des forains et les bureaux de contrôle, et quelques jours après l'accident de la Fête des Loges à Saint-Germain-en-Laye le 4 août.
Le Gouvernement a donc réagi très vite - on peut y voir la traduction d'une volonté élyséenne -, et le dernier étage de l'édifice est donc le texte que nous examinons, porté par notre collègue Pierre Hérisson.
Je me souviens d'une proposition de loi de M. Raffarin - c'était même le premier texte que nous avions eu à examiner après sa nomination comme Premier ministre - qui traitait de la sécurité des piscines privées. À l'époque, en 2002, nous avions adopté une loi dont l'article 1er rendait obligatoire, à compter du 1er janvier 2004, l'installation de matériels de sécurité normalisé visant à prévenir le risque de noyade.
La Commission de sécurité des consommateurs avait, comme pour les manèges, préconisé la mise en place d'un système contraignant par voie législative ou réglementaire. L'ennui, c'est que l'application de la loi ne fut pas à la hauteur en raison de l'impossibilité pratique pour les propriétaires d'hébergements de se procurer sur le marché un matériel conforme à des normes AFNOR, qui n'étaient pas encore homologuées au moment de la promulgation de la loi. Le respect de la loi s'est dès lors avéré très problématique et le Gouvernement a dû autoriser des systèmes de sécurité qui n'étaient pas normalisés - cela entrait en contradiction avec la loi - avant d'actualiser les normes en vigueur, c'est-à-dire deux ans après.
Le paradoxe, avec le présent texte, c'est que la situation est inverse : au lieu d'un article 1er prévoyant l'application de normes qui n'existent pas, comme dans le cas des piscines, on est en présence d'un article 1er qui ne prévoit pas très clairement la mise en oeuvre d'une norme, qui existe pourtant dans le cas des manèges.
M. Daniel Raoul. C'est vrai !
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, nous disposons d'une norme, homologuée certes très récemment en France bien qu'elle existe depuis plusieurs années dans l'Union européenne, mais homologuée tout de même. Or la proposition de loi de notre collègue n'y fait aucunement référence. C'est pourtant bien là l'avancée majeure pour la sécurité : la norme !
On a l'impression que votre initiative s'est arrêtée en chemin. Vous avez souhaité réglementer par voie législative, mais sans aller au bout de la logique. La logique, monsieur le secrétaire d'État, pour assurer vraiment la sécurité des manèges, ce serait que la loi rende obligatoire la norme NF EN 13814, dont vous avez demandé l'homologation il y a deux mois et demi. Autrement, la proposition de loi que nous examinons - je ne doute pas qu'elle ira au terme du processus législatif - serait privée de l'efficacité que nos concitoyens sont en droit d'attendre d'un tel texte.
Pourquoi mobiliser le Parlement si nous ne parvenons pas à prendre une telle décision ? Nous vous proposerons un amendement en ce sens. En tout cas, je serai attentif à votre réponse.
Pour l'heure, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, faute de compétence technique, n'exerce aucune action de surveillance préventive des matériels d'attraction. Et les interventions après accidents ne sont pas systématiques. Quant aux bureaux de contrôle, ils considèrent obsolète - et cela se comprend - le protocole d'accord de 1984, unique texte spécifique de notre droit français, et refusent de l'appliquer pour les plus grands d'entre eux, considérant qu'il ne permet plus de mesurer efficacement la sécurité des matériels.
Ce protocole prévoit que les bureaux de contrôle n'interviennent qu'à la demande de l'exploitant. Pourtant, il sert toujours de base à la délivrance des certificats de conformité sur lesquels s'appuient les maires pour autoriser l'exploitation des manèges sur le territoire de leur commune. Vous pouvez concevoir la gêne qu'éprouvent certains élus en accordant ces autorisations.
Comme le souligne Pierre Hérisson, les maires n'ont pas les moyens de s'assurer que les manèges sont en état. Il n'est pas aisé pour eux de vérifier que les réserves émises par les bureaux de contrôles sont devenues sans objet. Il faut donc procéder à une uniformisation et le meilleur vecteur pour y parvenir reste la norme NF.
Par ailleurs, le contrôle du respect des règles du code du travail en matière de santé et de sécurité des salariés ne doit pas être négligé. Comment s'effectue-t-il chez les forains ? Depuis quelques années, les inspecteurs du travail semblent ne plus être associés aux commissions de sécurité. Nous confirmez-vous cette évolution néfaste, monsieur le secrétaire d'État ?
Parallèlement, il nous paraît très important de mettre l'accent sur la formation des opérateurs permanents ou saisonniers appelés à intervenir sur les manèges forains. Souvent, ce sont eux qui s'occupent de l'entretien, assurent les contrôles préventifs quotidiens et les opérations de manutention des manèges ainsi que la maintenance courante. Ils doivent pouvoir avoir accès à des modules de formation débouchant sur une qualification. Envisagez-vous de prendre des dispositions allant dans ce sens, monsieur le secrétaire d'État ?
Toute velléité de sécurisation implique de réfléchir à la prévention, donc à l'information du public. Les prestataires doivent être tenus d'informer automatiquement les consommateurs des risques liés à l'utilisation du manège.
Monsieur le secrétaire d'État, prévoyez-vous une disposition réglementaire qui instituerait l'obligation, pour le prestataire, de fournir aux consommateurs des informations adéquates et suffisantes sur les risques ou les contre-indications liés à l'utilisation de ces équipements ?
J'emprunterai ma conclusion à la Commission de la sécurité des consommateurs, qui considère que « l'activité des exploitants forains est indispensable à l'animation économique et culturelle locale - nous en sommes tous convaincus - et celle des parcs de loisirs [...] à la création d'un certain nombre d'emplois fixes ou saisonniers ».
Elle estime que la concertation entre « acteurs d'horizons différents doit aboutir maintenant rapidement à un dispositif actualisé, cohérent et acceptable par tous ». L'objectif final doit être de « garder aux manèges leur vocation de divertissement du public, et ce dans les meilleures conditions possibles de confort et de sécurité, ce qui pourrait faciliter la reconnaissance officielle d'un art forain - c'est peut-être aussi de cela qu'il s'agit - comme partie intégrante du patrimoine historique et culturel de la France, comme cela a été le cas pour l'art du cirque. »
J'espère que les améliorations que nous présenterons seront acceptées par le Gouvernement et par le Sénat, car nous sommes convaincus qu'il est urgent d'avoir un texte réglementant ces activités. Je remercie d'ailleurs tous les acteurs qui ont contribué à son élaboration. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Henneron.
Mme Françoise Henneron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite à l'accident survenu le 4 août dernier à la Fête des Loges de Saint-Germain-en-Laye, dans lequel un homme et son fils ont trouvé la mort, Mme Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, a réagi très rapidement en signant, dès le 17 août, une convention sur la sécurité des manèges, avec les représentants des forains, les organismes de contrôle, l'Association des maires de France et les ministres en charge de la consommation et des entreprises.
Ce texte dresse la liste des différents matériels présents dans les parcs d'attraction et prévoit des exigences de contrôle selon leur dangerosité : un manège pour enfants devra être contrôlé tous les trois ans, tandis que les manèges à sensations fortes, qui soumettent le matériel à de plus importantes tensions, devront être contrôlés au moins chaque année.
Comme l'a fort justement rappelé le rapporteur du texte, M. Pierre Hérisson, alors que la tendance est au développement d'une protection très avancée dans tous les domaines de la vie sociale, afin de relayer la demande de nos concitoyens d'une sécurité accrue, voire du risque zéro, aussi surprenant que cela puisse paraître, les manèges et attractions ne sont soumis, en France, à aucun texte spécifique.
Cela tient, pour partie, à des raisons historiques qui ont fait de la fête foraine un espace de liberté. La réglementation en vigueur remonte à 1983 et il est bien évident que, près de vingt-cinq ans plus tard, il fallait prendre des dispositions strictes de sécurité et de contrôle, car les nouveaux manèges n'ont plus rien à voir avec ceux de 1983.
La sécurité des manèges et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction relève simplement de l'obligation générale de sécurité inscrite dans le code de la consommation. Une réglementation propre aux fêtes foraines en matière de sécurité est donc la bienvenue.
Aujourd'hui, on peut s'interroger sur le développement de la sophistication technique de ces attractions, dont le seul but est de répondre à la demande croissante de sensations fortes des personnes qui fréquentent les fêtes foraines et les parcs d'attraction. Il ne faut peut-être pas aller trop loin.
La place de l'industrie du loisir dans notre société ne cesse de s'accroître. Les manèges des fêtes foraines et des parcs d'attraction attirent en effet entre quatre-vingt-dix millions et cent millions de personnes par an. Du fait des évolutions technologiques, les manèges vont de plus en plus haut, de plus en plus vite, avec des accélérations parfois considérables.
À l'heure actuelle, nous nous intéressons à la fabrication, à la maintenance et au contrôle des structures de ces manèges. Mais sans doute faudrait-il examiner de plus près les conséquences de l'emploi de ces matériels sur la santé des utilisateurs. Certains nouveaux manèges sont beaucoup trop violents pour un grand nombre de personnes, qui l'ignorent sans doute avant d'y monter.
Selon un avis du 9 novembre 2006 de la Commission de la sécurité des consommateurs relatif à la sécurité des matériels d'attraction, les usagers des manèges consultent fréquemment pour des troubles survenus ultérieurement à l'exposition au risque, sans qu'il y ait eu nécessairement accident. Ils se plaignent de maux de tête, de bourdonnements d'oreilles, de douleurs aux cervicales, au dos, de vertiges ou de nausées. Ces troubles pourraient être les conséquences de leur exposition, sur les manèges, à des vitesses importantes, à de brusques changements de trajectoires, voire à des chocs mineurs sources de microtraumatismes.
Les manèges multidirectionnels, qui soumettent l'usager à de brusques alternances d'accélérations positives et négatives, seraient les plus néfastes, entraînant un phénomène de désorientation spatiale.
Il ne faut pas non plus négliger les accidents cardiovasculaires, moins fréquents et moins apparents dans les statistiques, mais sur lesquels les spécialistes s'interrogent.
Si l'on compte un faible taux apparent d'accidents, d'ailleurs souvent bénins, par rapport à la fréquentation des parcs de loisirs ou fêtes foraines, la Commission recense cependant une forte proportion d'accidents chez les enfants. La plupart des accidents répertoriés relèvent le plus souvent d'un défaut de comportement ou de surveillance des utilisateurs, d'un manque de vigilance des parents envers leurs enfants.
Le système de retenue des passagers de certains manèges n'est pas toujours adapté aux usagers de petite taille ou d'un poids trop léger. Certains manèges paraissent trop violents pour les enfants et devraient être réservés aux plus de 16 ans, par exemple. Il faudrait peut-être aussi se montrer plus strict sur les consignes de sécurité qui devraient être bien expliquées avant l'accès au manège.
Les causes et les circonstances d'accidents peuvent certes être liées à des défaillances matérielles - état de la structure révélant une surexploitation des équipements, défauts de maintenance, manque de contrôle en cours d'exploitation ou encore modification inappropriée de la structure - mais il ne faut pas négliger les troubles sur la santé que certains manèges peuvent provoquer chez les usagers.
Le groupe UMP se félicite de l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux de cette proposition de loi et en remercie Mme le ministre de l'intérieur. Le protocole qui a été signé le 17 août dernier est donc conforté aujourd'hui par ce texte, qui devrait être suivi d'un décret et de deux arrêtés. Nous approuvons sans réserve le contenu de cette proposition de loi.
Je ne saurais terminer mon propos sans rendre hommage au rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Pierre Hérisson, initiateur de ce texte déposé au mois de septembre dernier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite du dramatique accident survenu le 4 août 2007 à la Fête des Loges, la proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson a été présentée comme l'expression de la volonté commune des acteurs concernés, mais surtout de celle du Gouvernement et du Président de la République. En effet, deux jours après les faits, le Président de la République faisait une déclaration engageant l'intervention rapide du Gouvernement afin d'assurer une meilleure sécurité des manèges et des attractions foraines.
Si la manière laisse à penser que la réaction a été rapide, nous considérons au contraire qu'elle a été étonnamment longue. Car bien des accidents auraient pu être évités si la question des défaillances du contrôle et de la sécurité des installations foraines n'était pas tombée dans l'oubli depuis plusieurs années.
Rappelons qu'en 1995, à la suite de l'avis de la Commission de la sécurité des consommateurs relatif aux matériels d'attraction installés dans les parcs de loisirs permanents ou fonctionnant lors des fêtes foraines, la DGCCRF et la Direction de la défense et de la sécurité civile avaient rédigé un projet de décret sur la sécurité des matériels d'attraction, en s'appuyant sur l'article L. 221-3 du code de la consommation.
Or, en raison de l'opposition d'une partie des exploitants, tant aux mesures techniques proposées qu'aux contrôles approfondis plus onéreux, le gouvernement de l'époque n'y avait pas donné suite. Cela nous semble d'autant plus regrettable que la voie réglementaire, qui avait alors été choisie, nous paraît être la plus adaptée. D'ailleurs, à l'heure où l'on nous assène l'objectif de simplification du droit, on peut être légitimement surpris que la majorité propose l'intervention du législateur en ce domaine.
Sur le fond, nous sommes évidemment d'accord avec vous pour constater le caractère obsolète des règles du protocole de 1984. À ce titre, nous saluons le travail des professionnels et des collectivités locales dans la rédaction de la nouvelle convention, adoptée le 17 août dernier, afin de garantir une meilleure sécurité des manèges qui, du fait des innovations technologiques, vont toujours plus hauts, toujours plus vites et offrent toujours plus de sensations.
Toutefois, et vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le rapporteur, dans la mesure où cette convention n'engage que ses signataires, il est nécessaire d'élaborer une réglementation nationale unique qui s'impose à tous.
Nous considérons que le règlement, comme en témoigne d'ailleurs la proposition de loi qui renvoie à un décret pour la plupart des dispositions nouvelles, aurait été suffisant pour traiter la question. En effet, en tant que « produits », les manèges relèvent de l'obligation de sécurité prévue à l'article L. 221-1 du code de la consommation, article qui impose aux professionnels d'assurer la sécurité de leurs équipements en matière de conception et d'exploitation.
En cas d'accident ou de danger grave et immédiat, encore une fois, le code de la consommation prévoit des dispositions : la suspension de l'activité du manège par la DGCCRF ou des mises en garde pour demander la mise en conformité du manège.
De plus, les maires ou, à défaut, les préfets, en vertu de leur pouvoir de police administrative, sont compétents pour imposer les mesures nécessaires au maintien de l'ordre public. Dans ce cadre, le ministère de l'intérieur a élaboré à l'attention des maires plusieurs circulaires relatives à la sécurité des matériels d'attraction.
Cela étant, puisque le Parlement est saisi - bien qu'une partie essentielle du fond relève du pouvoir réglementaire -, nous espérons que le Gouvernement sera en mesure de nous informer clairement sur le contenu des décrets qu'il entend prendre, d'autant que, nous a-t-on annoncé ce matin en commission, ces décrets seraient pratiquement « bouclés ».
Il serait inadmissible que les exigences en matière de sécurité des manèges restent en deçà de celles qui sont prévues dans la convention du 17 août 2007, tout comme il serait vain de fixer le principe d'impartialité et d'indépendance des organismes de contrôle sans que le Gouvernement nous informe de la procédure d'agrément qu'il va arrêter.
M. Daniel Raoul. Très bien !
Mme Odette Terrade. J'en viens au contenu de la proposition de loi.
L'article 1er reprend les dispositions de l'article L. 221-1 du code de la consommation en précisant qu'elles s'appliquent aux manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou pour parcs d'attraction. En bref, jusqu'à présent, le code de la consommation était applicable à ces installations ; désormais, il ne le sera plus, mais une disposition identique « hors code » posera exactement la même règle pour les matériels précités. Dès lors, on comprend mal l'utilité d'une telle mesure au regard de l'objectif, qui est de garantir une meilleure sécurité.
L'article 2, quant à lui, crée une obligation de contrôle technique initial et périodique des manèges et installations foraines et prévoit que les contrôles techniques seront effectués par des organismes agréés par l'État.
Enfin, l'article 3 dispose : « Un décret en Conseil d'État définit les exigences de sécurité auxquelles doivent satisfaire les manèges, machines et installations visés à l'article 1er, le contenu et les modalités du contrôle technique ainsi que les conditions et les modalités d'agrément des organismes de contrôle technique ».
Si les articles 2 et 3 sont exemplaires dans leur principe, il apparaît qu'ils soulèvent encore de nombreuses questions.
Tout d'abord, quelle qualité et quelles exigences est-on prêt à imposer aux professionnels pour que la sécurité des personnels et des utilisateurs soit assurée ?
À l'échelon européen, le Comité européen de normalisation a publié une norme NF EN 13814 intitulée « Machines et structures pour fêtes foraines et parcs d'attraction - Sécurité ». Or la publication de cette norme a été retardée en France, et ce pour plusieurs raisons. Il semblerait notamment que certains exploitants forains se soient opposés à plusieurs points du texte : l'âge minimum requis pour la conduite des manèges ou la tenue des stands ; la périodicité des contrôles ; l'absence de prise en compte, pour déterminer la nature et la périodicité des contrôles, du type d'équipement considéré, de sa taille, de sa vétusté, des opérations de montage et démontage qu'il subit...
Nos collègues socialistes ont déposé un amendement tendant à ce que les manèges, machines et installations concernés soient conformes à la norme NF EN 13814. Ils pointent là, et à juste titre, la question de la teneur des contrôles.
M. Daniel Raoul. Très bien !
Mme Odette Terrade. Cependant, le respect de la norme précitée nous paraît constituer un faible garde-fou, même s'il est vrai que cela permettrait de rendre ces dispositions applicables aux divertissements construits avant la publication de la norme, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Il semblerait que le texte européen ait évolué vers une harmonisation par le bas. Selon l'ANEC, l'Association européenne pour la coordination de la représentation des consommateurs dans la normalisation, la norme européenne « offre moins de sécurité aux consommateurs, notamment en baissant la fréquence des inspections de sécurité, qui passent d'une fois par an à une fois tous les cinq ans. Au fil des années, l'orientation globale du projet de norme a changé. Alors qu'il était question, à l'origine, de renforcer la sécurité, on se retrouve aujourd'hui avec une norme qui se contente de fixer le niveau de sécurité le plus bas au sein de l'UE ».
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
Mme Odette Terrade. La fréquence des contrôles initiaux et des contrôles périodiques est un élément essentiel de la garantie d'une bonne sécurité. Il serait selon nous utile, comme l'avait recommandé la Commission de sécurité des consommateurs, que chaque attraction ait un carnet de vie qui recenserait les incidents techniques et les interventions survenus lors de son transport ou de son exploitation.
Par ailleurs, il ne serait pas superflu, puisque le marché de l'occasion représente 70 % du parc total des machines, qu'à chaque cession de matériel un contrôle technique soit obligatoire.
Il est également nécessaire que le contenu de ce contrôle soit à la mesure des évolutions techniques des appareils, et aussi exhaustif que possible. Se pose alors la question de la compétence de l'autorité de contrôle.
Les maires n'ont pas la compétence technique pour effectuer le contrôle des installations et des terrains ; le rapport considère qu'ils ne peuvent que procéder à un contrôle documentaire. La DGCCRF rencontre les mêmes difficultés techniques, mais elle est en outre confrontée à des contraintes liées au fait qu'elle manque de personnel pour répondre aux missions qui lui sont confiées par le code de la consommation.
En bref, le contrôle des manèges et autres installations foraines est confié soit à des bureaux de contrôle dont les coûts sont exorbitants, soit à d'anciens forains, ce qui pose quelques problèmes en termes d'indépendance.
La proposition de loi prévoit les dispositions nécessaires afin que des organismes indépendants et agréés par l'État exercent ce contrôle. Cependant, celui-ci demande un savoir-faire spécifique. Ma question est donc toute simple : à qui va-t-on le confier si ce n'est à d'anciens professionnels ?
Il va falloir former des personnels de contrôle ; pourquoi, dès lors, ne pas renforcer les effectifs de la DGCCRF et leur donner une compétence élargie ? Si l'on se contente d'agréer des organismes existants, il est probable que cela n'aura pas les effets escomptés.
Au-delà du contrôle technique des installations, et au regard de la nature des accidents qui peuvent survenir dans de telles manifestations, nous pensons également que l'information du public sur les consignes de sécurité à respecter et sur les risques spécifiques à certaines personnes doit être renforcée.
Le niveau de technologie et de performance atteint aujourd'hui par les matériels, l'ouverture possible des marchés à de nouveaux constructeurs étrangers à l'Union européenne, imposent la détermination d'un cadre réglementaire national pour améliorer les garanties de sécurité offertes aux consommateurs. Cependant, cette nouvelle réglementation serait totalement inutile si les moyens en termes de personnels et de qualification ne l'accompagnaient pas.
Nous voterons donc ce texte, monsieur le secrétaire d'État, mais nous resterons attentifs aux décrets d'application ainsi qu'à votre position si, au moment du budget, nous proposions d'augmenter les moyens alloués aux administrations compétentes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Je voudrais apporter quelques éléments de réponse aux orateurs qui ont pris part à la discussion générale.
Monsieur Pastor, vous avez rappelé à quel point il était nécessaire de mettre en oeuvre cette nouvelle législation, compte tenu des nombreux accidents. Vous avez souligné que le protocole existant est assurément devenu insuffisant eu égard à la nouvelle technicité de ces outils.
Quant à l'harmonisation européenne, en particulier en ce qui concerne la norme qui a été citée, je pense que j'aurai l'occasion de vous rassurer lors de la discussion de l'amendement que vous avez déposé sur ce sujet puisque le décret d'application se référera clairement à cette norme.
Vous êtes également revenu, monsieur le sénateur, sur l'importance de la loi relative à la sécurité des piscines que le Parlement a votée, et vous avez interpellé le Gouvernement sur son application. Sachez que, à la suite de travaux de la DGCCRF et de la Commission de sécurité des consommateurs - j'ai été très sensible au rapport de cette dernière -, j'ai eu l'occasion d'alerter ma collègue Christine Boutin, ministre du logement, qui a la responsabilité de la mise en oeuvre de cette loi et de son amélioration.
Madame Henneron, vous avez à votre tour rappelé l'importance de la proposition de loi, compte tenu de l'évolution technologique des manèges - toujours plus de sensations, toujours plus de vitesse -, et vous avez également évoqué les consignes de sécurité. Je rappelle que celles-ci sont aujourd'hui de la responsabilité des fabricants, mais qu'elles sont bien entendu contrôlées par nos services compétents en la matière, à savoir la DGCCRF.
À la suite des incidents et des accidents mortels survenus cet été, j'ai demandé à la DGCCRF de renforcer son action et, m'étant rendu ces dernières semaines dans de nombreux parcs d'attraction, j'ai pu constater que l'information des consommateurs s'était beaucoup améliorée sur tous ces points.
Madame Terrade, vous avez posé plusieurs questions importantes.
Vous vous êtes d'abord interrogée sur le changement qu'apportera la mise en place par la loi des nouveaux organismes de contrôle.
Aujourd'hui, les contrôles techniques périodiques sont réalisés sur une base volontaire, dans le cadre de la convention du 17 août dernier, par les différents organismes qui interviennent de manière habituelle dans ce domaine et qui ne disposent pas encore d'agrément.
Le texte de la proposition de loi de M. Hérisson prévoit que les organismes de contrôle technique seront agréés par le ministre de l'intérieur. Une commission, composée de représentants des pouvoirs publics, des propriétaires ou exploitants, des organismes de contrôle technique, d'élus et de personnalités qualifiées, se prononcera sur les critères d'indépendance - c'est à juste titre que vous les avez évoqués - et de compétence des organismes intéressés, qui devront notamment déposer un dossier de candidature.
Vous avez également évoqué l'articulation entre la convention du 17 août 2007 et le futur dispositif introduit par la proposition de loi en discussion. Je rappelle que ladite convention constitue un contrat entre les professionnels tout en impliquant les maires et les administrations, et qu'elle cessera de produire ses effets dès que le nouveau dispositif entrera en vigueur, après l'adoption de cette loi.
Telles sont, monsieur le président, les précisions que je tenais à apporter à votre assemblée à l'issue de la discussion générale.
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Les manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction ou tout autre lieu d'installation ou d'exploitation, doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, être conçus, construits, installés, exploités et entretenus de façon à assurer la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Pastor et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Les machines de levage ou portage de personnes doivent être conçues, construites ou équipées de façon que les accélérations et décélérations de l'habitacle ne créent pas de risques pour les personnes.
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Certains accidents atypiques survenus sur des attractions dites « extrêmes » - car c'est bien de cela qu'il s'agit -, qui, par des dénivelés de plus de 150 mètres à la verticale, par des loopings ou des systèmes de lancement des passagers, atteignent en quelques secondes des accélérations de + 6 G ou - 6 G, ont conduit les médecins à s'interroger sur l'innocuité de ces équipements. Les autorités américaines envisagent même l'interdiction des manèges développant plus de 4 G d'accélération.
La Commission de sécurité des consommateurs a formulé plusieurs remarques à propos de ce type de manèges.
Une récente étude du docteur Jürgen Kuschyk montre en effet que, sur ces manèges, le coeur atteint en quelques secondes un rythme très élevé, passant de 70 à 153 battements par minute. Le temps d'exposition à ces vitesses, très court, n'aurait aucune conséquence pour les personnes en bonne santé, mais serait potentiellement dangereux pour celles qui sont sujettes à des troubles cardiovasculaires ou neurologiques tels que tension élevée, tachycardie, arythmie, épilepsie...
N'étant pas moi-même médecin, je ne reprendrai pas le plaidoyer médical, car je ne voudrais pas parler de choses que je ne connais pas. Je souhaite néanmoins souligner un certain nombre d'interrogations sur le sujet.
On est en droit de s'inquiéter tout particulièrement des effets des manèges multidirectionnels, car ceux-ci entraînent un phénomène de désorientation spatiale chez les usagers et des contraintes proches de celles que subissent les pilotes de voltige, hautement dangereuses du fait de la brusque alternance des accélérations positives et des accélérations négatives.
Il convient donc, me semble-t-il, que le législateur y porte une attention particulière à l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi - c'est la première fois que cet aspect des questions de sécurité est évoqué -, d'autant que celle-ci constitue la suite logique de la convention du 17 août dernier entre le gouvernement, l'AMF et les forains et qu'une disposition semblable figure dans la directive européenne du 17 mai 2006 relative aux machines. Donc, je n'invente rien !
L'article 1er précise que les manèges et les équipements doivent être conçus de façon à assurer la sécurité des personnes. Je suis tout à fait d'accord avec cette mesure, mais encore faut-il que la loi fixe des limites à la recherche permanente du « sensationnel », plus spécialement pour les attractions de quatrième catégorie, c'est-à-dire les plus dangereuses. Tel est le sens de l'amendement n° 3.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Le présent amendement tend à soumettre les machines de levage et de portage de personnes à une obligation de sécurité.
Ce qui est vrai pour l'ensemble des manèges dans cette proposition de loi l'est à plus forte raison pour une catégorie d'entre eux, les manèges dits « extrêmes », qui sont évidemment visés par la directive.
Cet amendement ne fait que répéter l'obligation générale de sécurité des manèges prévue à l'article 1er. L'ensemble des manèges, et pas seulement les plus rapides d'entre eux, devront, en vertu de cette loi, ne pas porter atteinte à la santé des personnes.
Dans ces conditions, mon cher collègue, votre amendement est satisfait et la commission vous demande donc de le retirer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l'avis de M. le rapporteur. Il considère, en effet, que cet amendement n'apporte pas d'éléments nouveaux au regard des dispositions qui figurent déjà dans le texte et qui visent, d'une part, à assurer la sécurité et, d'autre part, à ne pas porter atteinte à la santé des personnes. Les phénomènes d'accélération et de décélération que vous avez évoqués, monsieur le sénateur, sont bien entendu inclus dans ces notions générales de sécurité et de santé.
Nous craignons que le fait de mettre en exergue ces phénomènes ne se traduise a contrario par la seule prise en compte de ce type de risque. C'est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur, le Gouvernement demande le retrait de votre amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Pastor, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Jean-Marc Pastor. Oui, monsieur le président, car je ne suis qu'à moitié convaincu par les explications qui viennent d'être données.
La proposition de loi qui nous est soumise est un texte générique sur la santé des utilisateurs. Une formule 1 ne se conduit pas comme une voiture de tourisme ! Il s'agit de deux véhicules totalement différents et, pourtant, l'un et l'autre sont des voitures. Nous sommes exactement dans le même cas de figure ! La sagesse nous commande de fixer des limites pour les manèges dits « extrêmes », même s'ils ne représentent que 1 ou 2 %.
Lors de l'accident qui a eu lieu au mois d'août, des personnes sont restées pendant près de sept heures à plus de soixante-dix mètres de hauteur ; le département ne disposait d'aucune échelle permettant d'atteindre cette hauteur pour les secourir. Pourtant, c'était un manège comme les autres.
J'estime que les manèges de quatrième catégorie méritent une attention particulière.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Les accélérations supérieures à 6 G peuvent avoir des incidences sur la santé. Les manèges dits « extrêmes » devraient donc relever d'une réglementation spécifique. Lors des entraînements, les pilotes d'avion ou de formule 1 sont soumis à des accélérations très brutales progressivement.
Je ne comprends pas que vous n'ayez pas répondu sur ce point à mon collègue Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. C'était le bon sens !
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Pastor et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Tout nouveau manège, machine et installation pour fêtes foraines ou pour parcs d'attraction mis en service en France doit être conforme à la norme NF EN 13814 à compter de la publication de la présente loi.
La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Comme Jean-Marc Pastor l'a précisé lors de la discussion générale, nous vous proposons, par cet amendement, de rendre obligatoire l'application de la norme NF EN 13814 pour tous les nouveaux matériels mis en service. C'est le moins que l'on puisse faire, me semble-t-il, quand il s'agit de la vie de nos concitoyens.
Les normes sont, par nature, des référentiels d'application volontaire. Mais le principe de la référence aux normes homologuées dans les réglementations est chose courante et cette pratique est encouragée depuis l'entrée en vigueur du décret n° 84-74 du 26 janvier 1984.
Il est, certes, très exceptionnel que les normes soient rendues d'application obligatoire. En l'espèce, vous nous proposez, monsieur le rapporteur, de faire de la norme NF EN 13814 une simple référence technique utilisée pour définir les exigences de sécurité auxquelles doivent satisfaire les manèges, les machines et les installations actuellement en service.
Nous vous suggérons d'aller plus loin et de rendre cette norme d'application obligatoire pour tous les manèges qui entreront en service à compter de la promulgation de cette loi. Ainsi, la profession se conformera peu à peu à la norme de sécurité reconnue par toutes les institutions au niveau européen en se fournissant en matériel conforme.
Cette norme européenne spécifie, en effet, les exigences minimales pour assurer que la conception est sûre, ainsi que le calcul, la construction, l'installation, la maintenance, l'exploitation, le contrôle et les essais des machines et des structures mobiles, installées provisoirement ou définitivement, par exemple les manèges, les balançoires, les embarcations, les grandes roues, les montagnes russes, les toboggans, les tribunes, etc.
Bien sûr, nous admettons que la profession aurait très certainement beaucoup de mal à s'adapter rapidement à une obligation totale visant tous les matériels actuellement en service. C'est la raison pour laquelle nous proposons une application graduelle dans le temps qui, sans être incompatible avec le dispositif que vous nous proposez pour le matériel existant, sécurise l'avenir en assurant la traçabilité et la visibilité du référentiel de sécurité à prendre en compte par les professionnels à partir d'aujourd'hui.
S'agissant du matériel existant, nous vous proposerons d'autres amendements pour aller encore plus loin dans la recherche de sécurité.
Pour l'heure, le présent amendement a en outre l'intérêt de rendre cette loi utile. Était-il besoin de passer par le Parlement ? Vous avez décidé de le faire ! Pourtant, l'article 12 du décret n° 84-74 du 26 janvier 1984 permet au ministre chargé de l'industrie de rendre obligatoire par arrêté, avec le contreseing des autres ministres intéressés, une norme française homologuée ou une norme étrangère reconnue équivalente en vertu d'accords internationaux : « Si des raisons d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux [...] rendent une telle mesure nécessaire, l'application d'une norme homologuée, [...] peut être rendue obligatoire par arrêté du ministre chargé de l'industrie et, le cas échéant, des autres ministres intéressés.». Donc, nul besoin de passer par la loi !
Ce décret ainsi que des décrets pris en application de l'article L. 221-1 du code de la consommation auraient pu suffire. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, c'est probablement l'option qui prévalait avant que le Gouvernement ne choisisse d'élaborer une loi en réponse à chaque fait divers dramatique survenant dans notre pays.
En tout cas, puisque vous avez choisi la voie législative, notre amendement permet, nous semble-t-il, d'améliorer sensiblement ce texte.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Nous avons bien entendu toutes les remarques qui ont été formulées.
M. Pastor et les membres du groupe socialiste souhaitent inscrire, dès l'article 1er, la référence à la norme EN 13814 qui a été publiée par l'AFNOR. Ceux qui souhaitent consulter cette norme peuvent le faire ; je signale simplement qu'il s'agit d'un document volumineux. Ladite norme spécifie des exigences en matière de conception, de construction, d'installation, de maintenance, d'exploitation des équipements de loisirs, dont les manèges.
J'attire votre attention sur le fait que les dispositions concernées sont de nature réglementaire ; elles n'ont pas leur place dans un texte de loi, d'autant que le projet de décret y fait explicitement référence dans son article 2. Je pense que vous nous apporterez des précisions à cet égard, monsieur le secrétaire d'État.
Cela devrait être de nature à rassurer nos collègues. C'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, le décret d'application va en effet introduire la référence à la norme que vous avez évoquée à plusieurs reprises. Cette référence n'a pas vocation à figurer dans la loi parce qu'il serait restrictif de se fonder sur le seul référentiel de la norme NF ; cela pourrait constituer un obstacle aux échanges.
Par ailleurs, il y a davantage de souplesse dans les modifications apportées aux normes lorsqu'il y est fait référence par décret plutôt que par voie législative.
Nous devons donc nous en tenir au décret.
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Teston, l'amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Teston. Le groupe socialiste a pris bonne note de l'engagement pris par M. le secrétaire d'État de faire en sorte que le décret d'application reprenne intégralement les mesures prévues dans notre amendement.
Dans ces conditions, l'amendement est retiré.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Pastor et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les mesures prises doivent avoir pour objectif de supprimer tout risque durant la durée d'existence prévisible du manège ou de la machine, y compris les phases de transport, de montage, de démontage, de mises hors service et de mise au rebut.
La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Cet amendement vise à fixer un objectif de sécurité pendant la durée d'existence prévisible du manège ou de la machine en tenant compte des contraintes spécifiques d'exploitation lors des fêtes foraines, lesquelles nécessitent montage, démontage et transport. Une telle disposition figure d'ailleurs dans la directive n° 2006-42-CE du 17 mai 2006 relative aux machines.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Cet amendement est plutôt généraliste et vague dans sa formulation en ce qu'il crée un objectif de suppression de tout risque. La proposition de loi est plus exigeante puisqu'elle prescrit une obligation de sécurité, et non un objectif de sécurité.
Si l'objet de cet amendement est la prise en compte de la spécificité des manèges forains démontés et remontés constamment, celle-ci relève du domaine réglementaire, la loi ne faisant que poser des principes généraux.
Je vous demande donc, monsieur Teston, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Je rappelle qu'à la différence des décrets d'application la loi est de portée générale ; le président du Conseil constitutionnel l'a lui-même indiqué.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Teston, l'amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Michel Teston. Oui, monsieur le président, je maintiens cet amendement qui fait explicitement référence à la directive européenne.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
Les manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction ou tout autre lieu d'installation ou d'exploitation sont soumis à un contrôle technique initial et périodique portant sur leur état de fonctionnement et sur leur aptitude à assurer la sécurité des personnes. Ce contrôle technique, effectué par des organismes agréés par l'Etat, est à la charge des exploitants.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Pastor et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
qui tiendront à jour un carnet de vie du manège ou des machines conformément à un contenu défini par décret.
La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Avant de présenter cet amendement, j'aimerais avoir l'avis de M. le secrétaire d'État sur les machines dont l'accélération ou la décélération est supérieure à 6 G, et qui peuvent être dangereuses pour les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires ou neurologiques. Je puis vous assurer que des cas avérés ont été recensés.
Comme l'indique le rapport de notre collègue Pierre Hérisson, en vertu de l'article L.221-1 du code de la consommation, les manèges relèvent, en tant que produits, de l'obligation générale de sécurité qui impose aux professionnels d'assurer la sécurité de leurs équipements. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a pour mission de veiller au respect de ces obligations.
En l'absence de risque avéré, les professionnels doivent être en mesure de prouver à l'administration par tout moyen - certificats de conformité à un référentiel technique délivré par le fabricant ou un bureau de contrôle, attestations de sécurité, carnet d'entretien, etc. - qu'ils respectent ledit article.
En cas d'accident ou de danger grave et immédiat, l'activité d'un manège peut être suspendue par la DGCCRF en vertu des articles L. 221-5 et L. 221-6 du code de la consommation ; des mises en garde peuvent également être envoyées aux professionnels pour en demander la mise en conformité, conformément à l'article L. 221-7 du même code.
Mais, comme le relève le rapport, la DGCCRF n'exerce, faute de compétence technique, aucune action de surveillance préventive des matériels d'attraction, qu'il s'agisse d'une enquête diligentée au niveau local ou national. Les interventions après accident restent peu nombreuses et leur mise en oeuvre n'est pas systématique.
Quant aux autorisations de reprise de l'exploitation des attractions, elles se fondent sur des certificats de conformité délivrés par des bureaux de contrôle dans le cadre du protocole de 1984, qui est considéré comme obsolète.
Ce protocole ne prévoit pas de carnet de vie du manège, alors même que des certificats de conformité sont délivrés « sous réserves » de réparations à effectuer par l'exploitant. Sans carnet de vie, il est difficile de vérifier ultérieurement si les travaux de mise en conformité ont été effectués, d'autant qu'il n'est pas aisé pour un bureau technique, du fait des déplacements des manèges, de revoir un même manège entre deux contrôles, dont la fréquence est, rappelons-le, triennale.
Il importe donc que le texte que vous nous proposez d'adopter prévoie que l'exploitant de manège tienne à jour, pour chaque attraction, un carnet de vie recensant notamment les incidents techniques, interventions et accidents de personnes survenus lors du transport ou de l'exploitation de l'équipement.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que, dans nos communes, nous nous devons de fournir pour tout équipement un carnet de vie, qui est un cahier d'entretien, sur lequel nous devons reporter tous les incidents qui peuvent se produire. Il serait anormal que cette obligation ne soit pas prévue pour ces manèges.
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. L'article 6 du projet de décret prévoit que la nature et la date des opérations d'entretien, des vérifications et des réparations effectuées sont consignées par l'exploitant dans un dossier technique constitué pour chaque matériel. Certes, on pourrait modifier la rédaction, mais à quoi bon l'inscrire dans la loi !
Toutefois, la commission souhaiterait connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Cette disposition, très précise, et qui répond à une interrogation légitime, fait partie des éléments organisationnels du fonctionnement des manèges - à savoir le dossier technique par matériel, le rapport du contrôle technique ou l'attestation de bon montage - prévus dans le décret d'application, car elle est de nature réglementaire.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vous demande, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Raoul, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Daniel Raoul. Je prends acte de votre engagement, monsieur le secrétaire d'État, d'autant que les projets de décret sont déjà prêts, ce qui est plutôt rare. Mais lorsque nous avons rédigé nos amendements, nous ne les avions pas à notre disposition.
Comme nous sommes satisfaits par la réponse de M. le secrétaire d'État, nous retirons l'amendement n° 4, monsieur le président.
En revanche, vous n'avez toujours pas répondu, monsieur le secrétaire d'État, à ma question relative à l'interdiction des manèges dont les accélérations ou décélérations dépassent 6 G. Si vous pouviez m'apporter une réponse rapide, j'en serais ravi.
M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Pastor et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout exploitant de manèges, machines et installation pour fêtes foraines ou parcs d'attraction est tenu de faire connaître au public, par voie d'affichage, le nom de l'organisme certificateur et la date de la dernière visite de contrôle de l'équipement.
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Compte tenu des exigences de transparence formulées par les consommateurs, de plus en plus soucieux de la qualité des biens et services qu'ils achètent, et en raison des enjeux et des risques encourus par ceux-ci quand ils empruntent un manège, il est logique de leur proposer une information claire sur la qualité des contrôles qui ont été effectués.
Si l'application de la norme NF EN 13814 ne peut être généralisée de manière automatique pour tous les appareils, l'obligation d'affichage permettra aux consommateurs de prendre connaissance des contrôles effectués par l'exploitant lui-même.
D'un coût marginal pour l'exploitant, cette mesure permettra en outre de faciliter l'information de tous : le consommateur, qui n'a pas connaissance des obligations spécifiques et techniques applicables, trouve ainsi dans l'affichage la garantie supplémentaire que toutes les mesures ont été prises pour assurer sa sécurité.
Nous vous proposons, mes chers collègues, d'adopter cet amendement, qui permet d'améliorer sensiblement le texte proposé.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Cet amendement, qui vise à une meilleure information du public, me paraît pertinent. Il s'inscrit de façon privilégiée dans cette proposition de loi.
En conséquence, la commission émet un avis favorable. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Marc Pastor. C'est mon argumentaire qui l'a fait changer d'avis ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Le Gouvernement n'avait pas prévu d'inscrire cette disposition dans le projet de décret qui vous a été transmis. Toutefois, nous sommes sensibles à vos arguments, et celle-ci peut figurer soit directement dans cette proposition de loi, soit dans le décret.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Permettez-moi de profiter de l'occasion qui m'est donnée pour répondre à la question que m'a posée tout à l'heure M. Raoul.
Il n'existe aujourd'hui aucune disposition législative sur les manèges dont l'accélération ou la décélération est supérieure à 6 G. Mais les professionnels informent les publics les plus fragiles des dangers, au moyen de pictogrammes ou de messages d'alerte.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité des présents.
Un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.
Article 3
Un décret en Conseil d'État définit les exigences de sécurité auxquelles doivent satisfaire les manèges, machines et installations visés à l'article 1er, le contenu et les modalités du contrôle technique ainsi que les conditions et les modalités d'agrément des organismes de contrôle technique. - (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Pastor. Certes, cette proposition de loi n'est peut-être pas fondamentale pour notre pays, mais elle a son importance dans la mesure où c'est la première fois que nous allons légiférer sur des questions touchant à la sécurité de nos concitoyens.
Elle mérite toute notre attention, car nos collègues maires ont indirectement une responsabilité chaque fois qu'ils accueillent de tels équipements sur le territoire de leur commune. Il était donc essentiel de fixer un cadre pour faciliter la vie des uns et des autres.
Lors de la discussion générale, vous l'aurez remarqué, mes chers collègues, je n'ai pas indiqué la façon dont voterait le groupe socialiste.
Nous avons déposé cinq amendements de nature à améliorer la rédaction de cette proposition de loi. Trois d'entre eux ont trouvé une issue favorable : deux seront satisfaits par le futur décret et le troisième vient d'être adopté à l'unanimité.
En tant que parlementaire de l'opposition, je vous l'avoue franchement, c'est la première fois que cela m'arrive ! (Sourires.) Si cela se produisait plus souvent, je suis convaincu que la vie de la société française s'en trouverait améliorée. À titre d'encouragement, nous voterons donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi n° 463.
(La proposition de loi est adoptée).
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
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Finances locales
Rejet des conclusions du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la proposition de loi d'orientation sur les finances locales relative à la solidarité financière et à la justice fiscale, présentée par M. François Marc et les membres du groupe socialiste et plusieurs de leurs collègues. (nos 17, 59).
Je rappelle, mes chers collègues, que, s'agissant des propositions de loi inscrites à notre ordre du jour réservé, dans le cadre du « droit de tirage » des groupes, la conférence des présidents du 6 décembre 2006 a décidé que l'auteur de la proposition de loi, quand il n'est pas rapporteur, ouvrirait le débat et disposerait d'un temps de parole spécifique de quinze minutes.
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Marc, auteur de la proposition de loi
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France a-t-elle besoin d'une urgente réforme des finances locales ? Oui, sans aucun doute ! Cela fait d'ailleurs au moins trente ans que le besoin d'une ambitieuse réforme est régulièrement mis en avant par les uns ou les autres, tant au sein de toutes les associations d'élus que dans les multiples colloques organisés sur le sujet. Pourtant, rien ne bouge vraiment.
Réformer les « quatre vieilles », répartir autrement les dotations de l'État, introduire plus de péréquation : les axes essentiels de la réforme souhaitée sont aujourd'hui clairement identifiés dans une sorte de consensus d'intention. Alors, de quoi a-t-on aujourd'hui besoin pour concrétiser cette réforme ? La réponse est simple : nous avons besoin d'une vraie volonté politique.
Se dire favorable à une nécessaire réforme des finances locales dans les rapports et les discours est une chose ; faire en sorte de concrétiser dès à présent celle-ci par un travail législatif en est une autre. La présente proposition de loi s'inscrit dans cette exigence de transformation des discours vertueux en actes courageux.
Chers collègues, il y a urgence !
Depuis 2002, la situation financière des collectivités a subi les effets déstabilisateurs de la décentralisation, lesquels conduisent notamment à un transfert de fiscalité de l'État vers une fiscalité locale, dont on dénonce régulièrement l'archaïsme du dispositif de prélèvement.
Nul ne conteste aujourd'hui le fait que l'État a, au travers de transferts de charges non compensés, fragilisé les ressources des collectivités les plus exposées.
Au surplus, et même si elles ont connu d'utiles simplifications, les dotations de l'État aux collectivités sont contestées dans leurs modalités de répartition. La péréquation, quant à elle, ne fonctionne pas de façon satisfaisante. On constate, dès lors, d'énormes disparités de potentiel financier entre les collectivités, surtout d'ailleurs entre les communes.
Dans ces conditions, se trouve posée la question de l'égalité de nos concitoyens devant le service public de proximité délégué aux collectivités territoriales ou locales. Je pourrais prendre l'exemple de l'école communale pour illustrer cet état de fait : dans une commune pauvre, la qualité des infrastructures et des prestations offertes aux citoyens est inévitablement plus modeste que dans une commune richement dotée.
Il nous paraît donc urgent d'agir, et d'agir avec pragmatisme et réalisme.
Mes chers collègues, ne voyez dans cette proposition de loi aucune prétention à servir je ne sais quel « grand soir » de la fiscalité locale. S'agissant d'une loi d'orientation, ce texte a néanmoins vocation à ouvrir la voie à un processus de reconstruction du système financier local. Fruit d'une réflexion depuis longtemps engagée, il s'appuie sur une volonté de correction d'inégalités criantes et de promotion d'une péréquation sensiblement améliorée.
Cette proposition de loi se veut annonciatrice d'évolutions complémentaires. Elle constitue un signal législatif fort en écho aux préoccupations régulièrement exprimées par les élus et d'ailleurs connues de tous.
Le manifeste cosigné voilà un mois seulement par les instances dirigeantes des élus, qu'il s'agisse de l'Association des maires de France, l'AMF, de l'Assemblée des départements de France, l'ADF, ou de l'Association des régions de France, l'ARF, nous en donne un bon aperçu.
M. Michel Moreigne. Très bien !
M. François Marc. Les trois instances sont unanimes sur l'urgence d'une réforme d'ensemble de la fiscalité locale.
Leurs priorités sont claires. Tout d'abord, il convient de restaurer l'autonomie fiscale des collectivités. Ensuite, il faut opérer un transfert de ressources fiscales, par exemple au travers de la création d'un impôt local nouveau. Le rapport fait notamment état d'une « taxe départementale additionnelle à la CSG », dont le produit serait affecté aux départements. Enfin, il est nécessaire d'assurer une plus forte péréquation.
Ces revendications, somme toute légitimes, interviennent dans un contexte général d'insatisfaction des élus locaux.
M. Jean-Marc Pastor. Eh oui !
M. François Marc. Les évolutions récentes, liées notamment à l'« Acte II de la décentralisation », ont en effet nourri la méfiance, parfois la colère, des collectivités locales. Vous en avez tous fait l'expérience dans vos territoires, mes chers collègues, les réformes gouvernementales instituées ces dernières années ont été douloureusement ressenties. Les charges locales se sont considérablement accrues sous l'effet de la décentralisation et la promesse de l'État de compenser les transferts « à l'euro près » a fait long feu.
M. Michel Moreigne. C'est incontestable !
M. François Marc. Et que dire des réformes avortées, dont on a tant attendu et qui ont tant déçu ?
Ainsi, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, TFNB, au lieu d'être réformée comme il avait été annoncé, n'a connu qu'un allégement. Elle étoffe ainsi un peu plus un incroyable maillage de dégrèvements et d'abattements !
Mais surtout, la « réformette » de la taxe professionnelle - on ne saurait en effet la qualifier de réforme ! - a eu des effets redoutables.
M. Michel Moreigne. C'est vrai !
M. François Marc. Le gouvernement de l'époque, plutôt que de suivre les recommandations de la commission Fouquet, a fait le choix de simples « retouches cosmétiques » de cet impôt. Le montage hybride auquel on a abouti laisse le champ libre aux optimisations fiscales. Surtout, il dépouille les collectivités locales de leur capacité de décision sur leur principale ressource fiscale. On parle aujourd'hui d'environ 600 millions d'euros de pertes annuelles de recettes pour les collectivités.
Cette pratique de l'État qui consiste à disposer des ressources des collectivités locales sans les consulter n'est pas acceptable. Le rapporteur, M. Michel Mercier, que l'on a souvent entendu décrier cet état de fait dans cet hémicycle, sera certainement d'accord avec moi pour dire qu'un tel comportement ne peut que nourrir l'insatisfaction générale des élus locaux.
M. Jean-Marc Pastor. C'est sûr !
M. François Marc. Sur cette question précise comme sur beaucoup d'autres, il est regrettable que les avis émis dans de nombreux rapports, conférences et autres études officielles n'aient pas été suivis.
Ainsi, dans son rapport de décembre 2005, Michel Pébereau recommandait déjà à l'État de ne plus imposer unilatéralement aux collectivités de nouvelles ponctions de ressources. De même, des études récentes ont préconisé des moyens concrets pour améliorer notre dispositif de fiscalité locale et pour redonner des marges de manoeuvre aux collectivités. À ce sujet, j'évoquerai principalement deux idées-force récurrentes : d'une part, l'autonomie et, d'autre part, la péréquation.
Dans tous les rapports abordant la question des finances locales entre 2000 et 2006, les auteurs ont plaidé pour de tels objectifs.
Dans le rapport Mauroy, la création d'une CSG locale est déjà préconisée et l'amélioration des mécanismes de péréquation est envisagée.
En 2005, dans le rapport Pébereau, il est fait le même constat d'une nécessaire amélioration de l'autonomie financière des collectivités et du dispositif de péréquation.
En 2006, dans le rapport Valletoux, il est proposé de faire de la péréquation « un élément constitutif de la nouvelle donne ». Dans le deuxième pivot central de cette étude, où est abordée l'affectation de ressources propres à chaque niveau territorial, l'idée d'une CSG départementale est également avancée.
La même année, dans le rapport Richard, que le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, M. Jean-François Copé, qualifiait en son temps de « fondateur », il est aussi proposé de « renforcer la part des concours financiers de l'État dédiée à la péréquation entre collectivités et les répartir en priorité en fonction du potentiel fiscal de la collectivité et du revenu moyen par habitant. ».
Mais les experts ne sont pas les seuls à considérer ces deux objectifs comme les axes forts d'une ardente obligation de réforme. Le renforcement de la péréquation et de l'autonomie financière des collectivités locales est un enjeu sur lequel tout le monde paraît s'accorder aujourd'hui.
Ainsi, le président Poncelet, que tout le monde connaît bien,...
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. On l'a déjà rencontré ! (Sourires.)
M. François Marc. ... lors de son intervention devant l'ADF, le 18 octobre dernier, a plaidé pour une refondation du financement des collectivités territoriales : « Pourquoi ne pas considérer, par exemple, la CSG comme un impôt particulièrement bien adapté au financement des dépenses sociales des départements ? ». Ou encore : « La réforme envisagée devra également veiller à ne pas creuser les inégalités territoriales et impliquera la mise en oeuvre de nouveaux mécanismes de péréquation. »
M. Jean-Claude Frécon. Eh oui !
M. François Marc. Rappelons également la déclaration alarmante de Philippe Laurent, président de la commission des finances et de la fiscalité de l'AMF, qui évoquait l'année dernière, au congrès des maires, l'urgence d'une réforme des finances locales : « Depuis deux ans, nous annonçons ici la crise des finances locales.
« Cette crise - une crise de confiance autant que de chiffres - est désormais devant nous de la façon la plus sûre qui soit.
« Les équilibres budgétaires des collectivités locales françaises, s'ils restent bons sur le passé, sont désormais clairement menacés sur l'avenir immédiat, et l'on ne voit pas ce qui pourrait les faire évoluer de façon positive. » Et il ajoute : « à moins qu'une ?réforme profonde de la fiscalité locale? ne vienne rendre une ?réelle liberté fiscale? aux collectivités. »
Enfin, les propos de Michel Mercier, notre rapporteur, tenus dans cette enceinte en 2005, sont également empreints de bon sens : « Si l'on ne veut pas faire tout financer par la taxe d'habitation, qui, chacun le reconnaît, est injuste [...], peut-être faut-il simplement en revenir aux vieilles recettes. La République avait su inventer les centimes additionnels. Pourquoi ne pas envisager, pour les départements, des centimes additionnels sur la CSG ? ».
Mes chers collègues, il semble bien que le constat et les objectifs soient unanimement partagés. Nous savons donc aujourd'hui, de manière assez consensuelle, me semble-t-il, dans quelle direction nous orienter pour entreprendre une réforme des finances locales. Jusqu'à présent, nous nous sommes heurtés à des problèmes de faisabilité de cette réforme. Je pense, avec mon groupe, que le moment est bien choisi pour l'entreprendre sans plus attendre.
Pour quelles raisons devons-nous agir aujourd'hui ? J'en vois au moins trois principales.
En premier lieu, c'est une affaire de légitimité républicaine. Le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution stipule désormais que la loi « prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. »
Le principe de péréquation doit, tout comme le principe d'autonomie financière, faire l'objet d'un suivi spécifique et concret. Figurant dans notre Constitution, au même titre que l'autonomie financière, sa portée doit être similaire. À ce jour, rien n'a été fait, alors qu'une loi d'orientation a été votée sur l'autonomie.
En deuxième lieu, c'est un impérieux besoin de corriger les inégalités et de promouvoir plus de justice fiscale. Nous connaissons les écarts de ressources entre collectivités et nous savons également qu'une réforme efficace et adaptée peut y remédier. Il n'y a donc aucune raison pour que nous laissions une année de plus se perpétuer des injustices quant au financement des collectivités.
En troisième et dernier lieu, c'est, à nos yeux, une affaire d'opportunité politique.
M. Michel Mercier, rapporteur. Oh oui !
M. François Marc. Nous sommes dans un moment politique où les points de convergence sur le sujet de la péréquation et de l'autonomie financière des collectivités sont plus nombreux que les points de désaccord. Nous sommes également au début d'une législature : c'est le temps de l'action. Depuis trente ans, les expériences qui ont été conduites ont démontré, s'il en était besoin, que c'est en début de législature que ce type de réforme doit impérativement être envisagé.
La configuration est donc aujourd'hui idéale pour activer la réforme de notre fiscalité locale et la présente proposition de loi s'inscrit dans cette perspective favorable. Comme je l'ai mentionné plus tôt, c'est un souci de simplicité et de réalisme qui a prévalu dans la rédaction de cette proposition de loi. En conséquence, je vais vous présenter brièvement les deux articles qui la composent.
L'article 1er vise à limiter les écarts de ressources entre les collectivités. Un rapport réalisé par MM. Guy Gilbert et Alain Guengant démontre que le potentiel fiscal par habitant entre les communes peut atteindre un rapport de 1 à 8 500 ! Certes, l'écart est moindre pour les départements et pour les régions, mais de telles disparités posent l'évidente question - je l'évoquais plus tôt - de l'égalité du citoyen devant le service public délégué aux collectivités. De ce fait, nous avons souhaité que soit mis en place un « filet de sécurité » préservant l'homogénéité des niveaux de ressources financières pour chaque strate de collectivité sur le territoire national.
L'article 1er précise donc que la loi encadre un mécanisme de seuils pour les potentiels financiers des collectivités, garanti par la péréquation.
Ainsi, pour les communes, le potentiel financier ne pourrait descendre au-dessous de 80 % du potentiel financier moyen de sa strate démographique. Pour les départements, ce taux serait de 90 %. Enfin, pour les régions, il serait de 95 %.
L'article 2 a lui pour objectif de poser les jalons d'un impôt local moderne. Notre réflexion s'est naturellement nourrie des exemples de nos voisins européens. Parmi ceux qui ont entrepris une refonte de leur fiscalité locale, la plupart disposent en effet d'un impôt local sur le revenu. C'est le cas notamment de la Belgique, du Danemark, de l'Espagne, de la Finlande, de l'Italie, du Royaume-Uni, de la Suède...
La France fait aujourd'hui partie des rares pays qui n'ont pas recours à l'imposition sur le revenu au niveau local. Pourtant, cela représente un avantage considérable en termes de lisibilité et de justice fiscales. À cet égard, la création d'une contribution additionnelle à la CSG, affectée aux départements, constitue un élément de réponse pertinent.
La CSG est assise sur une assiette large. Elle a, de plus, été instituée pour financer les dépenses sociales et de santé. Dans la mesure où les départements assurent désormais les dépenses sociales et de solidarité, il est tout à fait cohérent d'affecter le produit d'une telle ressource aux départements.
L'article 2 tend donc à instituer un rapport permettant d'étudier, d'ici à la rentrée parlementaire de 2008, les conditions dans lesquelles une telle réforme pourrait être mise en place, ainsi que « les modalités de mise en oeuvre d'un ?fonds de solidarité départemental?, à titre de dispositif de péréquation horizontale de cette nouvelle ressource entre les départements. »
Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins : face à un système de fiscalité locale à bout de souffle - tout le monde le sait - ...
M. Roland du Luart. C'est vrai !
M. François Marc. ...et au processus de désengagement de l'État - tout le monde l'a constaté aussi - nous ne pouvons plus conserver inchangé le système financier archaïque et totalement inégalitaire dans lequel notre République laisse aujourd'hui les collectivités se débattre, à coups d'expédients de circonstances. Le renforcement du dispositif de péréquation et la modernisation d'un prélèvement local autonome sont, à nos yeux, des mesures d'urgence essentielles pour garantir une fiscalité locale plus juste et mieux adaptée aux besoins des collectivités.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l'heure où l'on parle tant de la revalorisation du Parlement et de sa capacité de proposition, à l'heure où le président du Sénat lui-même déclare que les préconisations contenues dans cette proposition de loi d'orientation sont de bonnes solutions pour notre pays, je compte, avec mes collègues socialistes, sur votre mobilisation à tous pour faire aboutir ce texte, bien sûr dans sa version originale et originelle, donc non dénaturée, et pour démontrer que le changement est non pas seulement affaire de discours, mais avant tout d'actes courageux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, François Marc nous soumet une proposition de loi d'orientation par laquelle il entend embrasser l'ensemble des questions non pas techniques mais politiques qui se posent à propos des relations financières entre l'État et les collectivités locales.
Notre collègue vient excellemment de présenter son texte ; je n'y reviendrai donc pas, sinon pour souligner que, dans la longue énumération des points relatifs aux relations financières entre l'État et les collectivités locales, il a bizarrement oublié de citer l'exemple de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui a été ces dernières années, je le rappelle, celle des mesures imposées aux collectivités locales par l'État qui a été la moins bien financée.
Il suffit d'ailleurs d'examiner les conséquences de cette mesure-là, notamment sur un département comme la Creuse,...
M. Michel Moreigne. Vous ne manquez pas d'audace !
M. Michel Mercier, rapporteur. ...pour voir combien les dispositions d'un texte bien présenté et bien préparé, certes, mais mal financé - à la vérité, pas financé du tout ! -, pèsent aujourd'hui sur les collectivités locales.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela fait six ans que vous auriez pu régler le problème !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mes chers collègues, chacun peut venir à cette tribune faire son mea culpa...
M. Michel Moreigne. C'est bien de le faire !
M. Michel Mercier, rapporteur. ...et reconnaître que, en dépit des alternances, la question lancinante des relations financières entre l'État et les collectivités locales demeure posée. Il est d'ailleurs remarquable que l'on n'y réponde pas de la même façon suivant que l'on est au pouvoir ou que l'on aspire à y revenir lorsqu'on l'a quitté...
Certes, depuis 1982, la question des relations financières entre l'État et les collectivités locales se pose avec plus d'acuité encore, et, derrière elle, celle du rôle du Parlement dans l'ensemble de notre système institutionnel. Mes chers collègues, le fait est que nous nous accrochons sans arrêt dès qu'il s'agit des recettes des collectivités locales. La difficulté est réelle, mais, plus encore que de nous occuper uniquement des recettes, nous serions bien inspirés de nous pencher aussi sur les dépenses que l'État peut imposer aux collectivités locales.
M. Michel Moreigne. C'est vrai !
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous le savons, nous entrons dans une période de rareté financière pour ce qui est tant de l'État que des collectivités locales.
Force est pourtant de le reconnaître, la situation financière des collectivités locales est aujourd'hui difficile. En effet, la fiscalité des collectivités locales n'a pas été inventée pour financer des dépenses aussi dynamiques que celles que les lois de décentralisation successives ont transférées aux collectivités locales. Celles-ci disposent en fait d'une fiscalité largement héritée du XIXe siècle, alors qu'elles doivent faire face à des dépenses qui sont celles des XXe et XXIe siècles !
Il existe donc une importante disparité entre les moyens de financement et les actions politiques à financer.
Plus encore, on constate une forte inégalité entre les collectivités locales, entre celles qui ont plus de ressources et celles qui en ont moins.
Notre collègue François Marc envisage, dans les deux articles qui composent sa proposition de loi, les deux questions essentielles qui se posent dans les relations financières entre l'État et les collectivités locales : d'une part, et c'est tout le problème de la péréquation, comment assurer une relative égalité entre des collectivités locales extrêmement diverses par leur nature, leur situation géographique et humaine ? D'autre part, comment faire en sorte que les collectivités locales aient suffisamment de recettes pour faire face à leurs dépenses, notamment celles qui leur sont imposées par l'État ? Je reprendrai très rapidement ces deux thèmes.
L'article 1er a pour objet de renforcer la péréquation, qui est en quelque sorte devenue le mot magique des finances locales parce que l'on ne sait pas trop comment augmenter les capacités de l'État pour qu'il donne plus aux collectivités locales. Je rappelle tout de même, mes chers collègues, que, par les dégrèvements et les prises en charge, le premier contribuable local, et de loin, c'est déjà l'État !
M. François Marc. C'est vrai !
M. Michel Mercier, rapporteur. Il faut avoir bien conscience de cette situation, qui est très révélatrice du malaise profond de nos finances locales.
Comment assurer à chaque collectivité locale sa juste part ? En d'autres termes, dans notre société habitée par un désir infini d'égalité, comment garantir la part « la plus égale possible » entre toutes les collectivités locales ? C'est là qu'on en appelle à la péréquation, sorte de formule miracle que l'on connaît mal mais qui résoudrait, dit-on, tous les problèmes.
Aujourd'hui, la péréquation est déjà une réalité, et pour une large part grâce aux prestations financières que l'État sert aux collectivités locales, notamment la dotation globale de fonctionnement, qui en est l'instrument essentiel. Je n'entre pas dans le détail, mais toutes les études récentes montrent que c'est la dotation forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement qui a le plus d'effet péréquateur et permet, chaque année, un rapprochement entre les capacités financières de chacune des collectivités locales.
Cependant, il n'est pas pertinent d'envisager de manière globale la situation des collectivités locales : il faut procéder à un examen au moins par grandes catégories. On s'aperçoit alors que, en matière de situation financière des collectivités locales, les inégalités les plus fortes concernent les communes. Ainsi, l'écart de potentiel fiscal par habitant entre la collectivité la plus pauvre et la collectivité la plus riche est à peu près de 1 à 4 pour les départements, de 1 à 1,5 pour les régions et de 1 à l'infini pour les communes, tant les situations communales sont disparates.
Si l'on veut donc aider les communes, c'est à ce niveau qu'il faut le plus de péréquation.
Notre collègue François Marc propose une mesure extrêmement audacieuse pour tenter de répondre à cette demande de péréquation, en arrêtant un objectif en termes de potentiel financier. L'idée est la suivante : dans un délai qui sera fixé par la loi, le potentiel financier par habitant ne pourra être inférieur à un certain pourcentage du potentiel financier moyen par habitant, établi à 80 % de la moyenne de leur strate démographique dans le cas des communes, à 90 % de la moyenne de leur catégorie dans celui des départements, et à 95 % de leur catégorie dans celui des régions.
Pour ce faire, François Marc entend également modifier la notion même de « potentiel financier ». Sans entrer dans des considérations techniques, je tiens à souligner que l'adoption de l'article 1er aurait à l'évidence des conséquences extrêmement importantes.
Ainsi, le coût de cette mesure serait de l'ordre de 920 millions d'euros, dont 780 millions d'euros pour les seules communes. Je rappelle, notamment à l'intention des membres de la direction générale des collectivités locales, la DGCL, que ce renforcement de la péréquation ne pourrait se faire qu'à enveloppe fermée. En d'autres termes, si la proposition de loi de notre collègue était adoptée en l'état, 920 millions d'euros passeraient d'une catégorie à une autre, et, au sein de la seule catégorie des communes, 780 millions d'euros seraient affectés à d'autres communes. Voilà la réalité de la proposition qui nous est faite !
M. Daniel Raoul. N'est-ce pas cela, la péréquation ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Peut-être nous faut-il aller aussi loin, mais, ce qui est sûr, c'est que nous ne pouvons pas prendre une telle décision à l'aveuglette. Or, aujourd'hui, nous ne disposons d'aucune simulation qui nous permettrait d'anticiper les conséquences de la mise en oeuvre de la proposition de notre collègue. Pourtant, répartir autrement 780 millions d'euros, ce n'est pas rien, d'autant que, si j'en juge au projet de loi de finances pour 2008, l'enveloppe normée des concours aux collectivités locales serait désormais enserrée dans les mêmes limites que l'ensemble des autres dépenses de l'État.
Mes chers collègues, engager simultanément deux réformes aussi importantes ne serait certainement pas sans conséquences pour un grand nombre de communes, comme pour quelques départements et pour certaines régions. Certes, reconnaissons-le, ce serait moins grave pour ces deux dernières catégories, mais cela aurait une incidence telle pour les communes que la commission des finances n'a pas cru devoir franchir le pas. Toutefois, elle est tout à fait consciente que la péréquation est importante et nécessaire et qu'un geste en faveur des communes s'impose.
C'est pourquoi, à défaut de pouvoir être favorable à la solution de François Marc, la commission des finances propose de renforcer légèrement les sommes disponibles pour la péréquation communale, en modifiant le complément de garantie de la dotation globale de fonctionnement des communes.
Vous le savez, mes chers collègues, le complément de garantie a été mis en oeuvre pour qu'aucune commune ne voie sa dotation diminuer lors de la réforme de la DGF en 2005. Alors que le complément de garantie de la dotation globale de fonctionnement des communes peut actuellement augmenter chaque année de 25 % du taux de croissance de la dotation globale de fonctionnement, la commission des finances suggère de ramener cette augmentation à 15 % de ce taux.
Ainsi, l'augmentation du complément de garantie étant quasi stable, chaque année environ 10 millions d'euros seraient libérés qui pourraient être consacrés au renforcement de la péréquation, ce qui correspondrait à une centaine de millions d'euros en dix ans. Certes, nous sommes loin des 780 millions d'euros, mais au moins nous n'avançons pas à l'aveuglette !
Sans doute serait-il plus simple de laisser voter cette proposition de loi et ensuite d'expliquer à toutes les communes qu'elles ont 780 millions d'euros de moins à se partager, mais personne ne veut une telle solution. C'est pourquoi, tant que nous n'aurons pas de simulations fiables nous permettant de nous décider en toute connaissance de cause, il nous faut rester prudents. C'est en tout cas la position que je vous propose d'adopter, mes chers collègues.
Quant au département de la Creuse, mon cher collègue, modifier le système ne sera guère suffisant (M. Michel Moreigne s'exclame) : il faut des mesures spécifiques pour remettre ce département à niveau. Tout dispositif général ne fera que maintenir la Creuse au dernier rang.
J'en viens maintenant à l'article 2 de la proposition de loi. Il est d'une tout autre nature, puisqu'il prévoit la possibilité d'utiliser de nouvelles recettes pour les départements.
Conséquence des lois de décentralisation, de plus en plus de dépenses sociales ont été mises à la charge des départements. J'observe à ce propos, monsieur le secrétaire d'État, que, s'agissant des grands chapitres de ces dépenses sociales - RMI, enfance, personnes âgées, personnes handicapées... -, c'est l'État qui vote le montant des dépenses chaque année, puisque le Premier ministre fixe, par arrêté, au 1er janvier, les minima que les départements doivent assurer aux bénéficiaires de ces prestations sociales.
L'article 2 prévoit que le Gouvernement dépose un rapport en 2008, afin de déterminer si une part de la CSG ne pourrait pas être affectée aux départements pour financer les dépenses sociales dont ces derniers ont la charge.
Cette mesure s'inscrit dans le droit fil de nombreuses propositions qui sont actuellement avancées dans ce domaine. Je pense notamment au rapport de M. Valletoux ou à celui de M. Pébereau, qui sont consacrés à ces questions et qui préconisent de transférer aux départements une part de CSG pour le financement des dépenses sociales qui leur incombent.
La commission des finances est favorable à cet article 2, sous réserve de quelques modifications formelles.
Nous pouvons les uns et les autres faire nôtres les deux objectifs de notre collègue. En revanche, il nous paraît impossible d'accepter l'article 1er, tant les sommes en jeu sont importantes. De surcroît, la nécessité pour le Parlement de disposer de sources de renseignement autonomes est démontrée puisque ni l'auteur de la proposition de loi, ni le rapporteur ne sont en état de fournir une simulation exacte des conséquences qu'aurait l'adoption dudit article 1er. Les services de l'État ne nous ont pas davantage donné d'estimations.
Face à cette situation, je ne peux que confirmer la position de la commission des finances, c'est-à-dire accepter l'article 2, repousser l'article 1er ou, éventuellement, modifier ce dernier en prévoyant une mesure de péréquation d'ampleur beaucoup plus faible qui n'entrerait elle-même en jeu qu'à partir du moment où l'État aurait fourni les simulations nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi qui est certes concise, monsieur Marc, mais qui pose des questions très importantes.
Je préfère d'emblée vous dire que le Gouvernement n'est pas favorable à son adoption, essentiellement parce qu'il lui semble que les conditions d'un examen approfondi des questions essentielles que vous avez soulevées ne sont pas aujourd'hui réunies.
S'agissant du premier sujet que vous évoquez dans votre proposition de loi, monsieur le sénateur, et qui est détaillé dans l'article 1er, la commission a souhaité modifier la fourchette maximale d'évolution de la dotation dite « de garantie » au sein de la dotation forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement.
Aujourd'hui, cette part de la dotation forfaitaire peut évoluer, en fonction du choix opéré par le comité des finances locales, selon un rapport compris entre 0 % et 25 % du taux de croissance annuelle de la DGF. Vous proposez de réduire la marge de manoeuvre offerte au comité des finances locales pour ramener cette fourchette entre 0 % et 15 %.
Je comprends bien et je partage largement l'objectif, à savoir dégager des marges de manoeuvre supplémentaires au profit des dotations de péréquation que sont la dotation de solidarité urbaine, la dotation de solidarité rurale ainsi que la dotation nationale de péréquation. Ces différentes dotations bénéficieraient ainsi de la moindre progression de la dotation forfaitaire.
Compte tenu du taux de la DGF en 2008 qui sera, je le rappelle, de 2,08 %, votre proposition devrait avoir pour effet de déplacer l'année prochaine moins de 10 millions d'euros au sein d'une DGF des communes et des intercommunalités qui pèse plus de 22 milliards d'euros. C'est un effort intéressant pour la DGF. Néanmoins, il paraît préférable au Gouvernement de ne pas modifier la répartition de la DGF par touches successives. Il est au contraire essentiel de considérer cette dotation dans son ensemble ainsi que tous les enjeux à venir.
Or, en 2009, la DGF devra absorber l'impact des augmentations de population liées à la prise en compte des résultats du recensement rénové de la population. Une réflexion est engagée sur ce sujet depuis le mois de février dernier au sein tant de l'administration que du comité des finances locales, dont je salue le président.
Le CFL a d'ores et déjà réuni un groupe de travail chargé d'anticiper les effets de cette procédure de recensement rénovée sur la dotation globale de fonctionnement, notamment sur ses composantes péréquatrices C'est dans ce cadre qu'il nous faudra réfléchir ensemble.
Si cela apparaît nécessaire, ces réflexions déboucheront, en 2008, sur une adaptation à la procédure de recensement rénovée - prévue par la loi relative à la démocratie de proximité de 2002 - des modalités de répartition de plusieurs dotations.
La réflexion ne se limitera pas au seul complément de garantie. Le Gouvernement a la conviction que le recensement rendra nécessaire une réforme plus globale, qui sera présentée dans le projet de loi de finances pour 2009.
L'objectif de visibilité, auquel aspirent légitimement les élus locaux comme les citoyens, suppose de ne pas légiférer pour une année seulement, sur un seul aspect des enjeux qui attendent la DGF.
Par ailleurs, du point de vue de la méthode, le Gouvernement a rappelé, à plusieurs reprises, sa volonté de préparer toutes les réformes concernant les collectivités territoriales en concertation totale avec elles. Or la proposition de loi n'a pas été soumise au comité des finances locales, qui n'a pas pu donner son avis sur d'éventuelles simulations.
Le Premier ministre, devant les trois principales associations d'élus locaux que sont l'Association des maires de France, l'AMF, l'Assemblée des départements de France, l'ADF, et l'Association des régions de France, l'ARF, a également pris l'engagement - et cet engagement sera tenu -de les associer dans le cadre de la Conférence nationale des exécutifs. C'est également pour cette raison que la proposition de loi dont nous débattons en cet instant ne peut être soutenue par le Gouvernement, alors qu'elle n'a pas été examinée par ladite conférence.
Enfin, le Premier ministre a confié à votre collègue Alain Lambert, que je salue, une mission de réflexion générale sur la réforme des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Il s'agit d'inscrire ces relations dans une vision pluriannuelle pour offrir aux collectivités territoriales, qui le réclament toutes, un cadre clair et connu à l'avance.
Il me semble que ce n'est qu'à l'issue de tous ces travaux, qui doivent être présentés d'ici à la fin du mois de novembre au Conseil de la modernisation présidé par le Président de la République et par le Premier ministre, que les réformes de la DGF, qui devront nécessairement être conduites dans les années à venir, devront être discutées.
Je le répète, je partage l'objectif, mais la modification à la marge d'une fourchette du taux de progression de l'une des composantes de la dotation forfaitaire ne peut tenir lieu de réforme de la DGF. Dans ces conditions, il ne me semble pas souhaitable de procéder dès aujourd'hui aux ajustements que proposent les auteurs de la proposition de loi.
S'agissant du second volet de ce texte, qui fait l'objet de l'article 2, la commission a souhaité que le Gouvernement dépose, avant le 1er septembre 2008, un rapport étudiant les modalités d'une substitution d'une taxe additionnelle à la CSG à la part départementale de la taxe d'habitation.
Pour votre part, monsieur Marc, vous désirez que soit explorée la piste consistant à moduler le taux de cette nouvelle taxe additionnelle à la CSG. Vous souhaitez aussi que soient simulées les conséquences financières pour l'État, les départements et les contribuables d'une telle réforme, laquelle pourrait voir ses effets étalés dans le temps.
Sur le fond, le Gouvernement ne nie pas l'intérêt de la piste que vous évoquez, même si certains éléments le conduisent à la plus grande circonspection.
Il en est ainsi, tout d'abord, des effets de votre proposition sur les revenus des ménages. Comme vous le savez, la CSG est un impôt proportionnel, qui frappe tous les revenus, indifféremment du niveau de revenu des contribuables. À l'inverse, la taxe d'habitation est progressive, en raison de deux facteurs. D'une part, elle dépend de la valeur locative de l'habitation ; d'autre part, l'impôt est plafonné à 3,44 % du revenu fiscal de référence du contribuable, ce qui n'est pas le cas de la CSG.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est un impôt sur le revenu !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Les inévitables transferts de charge fiscale entre contribuables devront donc être expliqués !
Les mécanismes de lissage que vous appelez de vos voeux paraissent au Gouvernement difficiles à mettre en oeuvre pour des impositions aussi complexes à mettre en regard que la taxe d'habitation, gérée par l'administration fiscale, et la CSG sur les revenus d'activité, régie par les administrations sociales.
Le Gouvernement est ensuite réservé vis-à-vis des limitations du pouvoir de taux par les collectivités
L'un des maux dont souffre la fiscalité locale, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la superposition de plusieurs autorités politiques ayant le pouvoir de voter un taux à l'égard d'une même assiette fiscale. Cette situation aboutit, par exemple dans le cas de la taxe professionnelle, à ce que personne ne sache réellement qui est responsable d'une augmentation du taux global, entre la commune, l'EPCI, le département ou la région.
Dans l'opération que vous proposez, monsieur Marc, vous mettez, certes, fin à la superposition de la commune et du département pour ce qui concerne l'assiette de la taxe d'habitation, mais vous en recréez une - et de taille ! - à l'égard de l'assiette de la contribution sociale généralisée.
La CSG a une vocation : financer les dépenses de protection sociale. Je comprends la logique qui vous anime et qui témoigne de l'importance des départements dans l'action sociale aujourd'hui. Mais comment réagiraient nos concitoyens si on leur disait que, désormais, pour un même salaire brut, leur salaire net serait différent d'un département à un autre ?
Bien entendu, les départements pourraient ne pas avoir le pouvoir de moduler le taux, ce qui serait conforme au principe constitutionnel d'autonomie financière, mais cela ne serait-il pas tout de même perçu comme un recul de l'autonomie des collectivités départementales ?
Quant au calendrier, le Gouvernement considère que votre proposition vient en réalité un peu trop tôt, et je l'ai indiqué au début de mon intervention.
En effet, comme vous le savez, le Gouvernement a ouvert le chantier de la réforme de la fiscalité locale. Ce sera l'un des points importants de la revue générale des prélèvements obligatoires menée par Christine Lagarde en collaboration étroite avec Michèle Alliot-Marie et Éric Woerth. Les propositions du Gouvernement seront soumises à la consultation au cours du premier semestre 2008. La Conférence nationale des exécutifs, installée par le Premier ministre le 4 octobre dernier, sera le lieu de concertation politique naturel sur l'ensemble de ces propositions.
Trois sujets prioritaires ont déjà clairement été identifiés par le Gouvernement : d'une part, la taxe professionnelle, dont les effets sur la compétitivité du site France et la part croissante de l'État dans la prise en charge appellent une réflexion renouvelée ; d'autre part, la révision des valeurs locatives foncières, sujet sur lequel nous devons à nouveau faire des propositions concrètes et simples à mettre en oeuvre ; enfin, la spécialisation de la fiscalité locale, et je crois que c'est bien ce dont nous débattons aujourd'hui.
À ce sujet, trois impératifs doivent être pris en considération pour dessiner une nouvelle architecture de la fiscalité locale, à savoir limiter le nombre de collectivités qui prélèvent de l'impôt sur une même assiette, diversifier les ressources fiscales des collectivités - au moins deux impôts par niveau de collectivité - et limiter les transferts de charges entre contribuables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd'hui, le Gouvernement vous demande de lui laisser le temps de mener l'expertise et la concertation - quelques semaines, quelques mois - avec la Conférence nationale des exécutifs, qui regroupe l'AMF, l'ADF et l'ARF, mais aussi avec le comité des finances locales.
Le Gouvernement reconnaît les mérites de la proposition de loi. Cependant, je crois que ce débat doit avoir lieu au début de l'année 2008 et qu'il doit s'insérer dans une réflexion d'ensemble, abordant toutes les options envisageables, sans aucune préférence. C'est la raison pour laquelle, comme je vous l'ai d'ores et déjà indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n'est pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. C'est dommage !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise présente l'intérêt de provoquer un débat. Et il est bon qu'au sein du Parlement soient organisés des débats sur les recettes des collectivités territoriales et sur les modalités de réorganisation de leur mécanisme de financement.
Le Sénat a toujours eu la volonté de remplir pleinement sa mission de représentant des collectivités territoriales que lui a confiée l'article 24 de la Constitution. Il est à l'origine de réformes majeures dans les domaines de la décentralisation et de l'autonomie des collectivités territoriales. Il assure une fonction de suivi, d'évaluation, de prospective et de proposition au travers de ses commissions permanentes et de l'Observatoire de la décentralisation, dont il s'est doté.
Les membres du groupe UMP ont porté une attention particulière à la proposition de loi de notre excellent collègue François Marc et des membres du groupe socialiste, mais je dois tout de suite faire observer que ce texte n'est pas équilibré.
L'article 1er de la proposition de loi initiale a un côté flou et « aventureux », ce qui, ajouté à l'absence totale de simulation, rend très difficile la mesure des différentes opérations à venir.
Sur l'article 2, il y a moins à dire, l'instauration d'une taxe additionnelle à la CSG ayant été envisagée par tous dans cet hémicycle, afin de procurer quelques ressources supplémentaires aux départements.
L'article 1er pose le principe de la limitation des écarts de ressources entre les collectivités : c'est un vieux débat, mais nous ne disposons pas des instruments de mesure suffisants pour le trancher.
Je prends un exemple, qui, à mon avis, est tout çà fait topique et illustrera à merveille la situation : à l'heure actuelle, la dotation globale de fonctionnement est attribuée aux collectivités territoriales en fonction de la population locale. Tel était d'ailleurs l'un des éléments essentiels de la réforme que nous avons faite voilà quelques années. Or l'INSEE n'est pas capable d'indiquer le nombre exact d'habitants, si bien que des communes dont la population diminue continuent malgré tout à percevoir une DGF inchangée par rapport à 1999, date à laquelle leur population avait été évaluée, et que d'autres, en forte expansion, elles, touchent également une DGF inchangée, puisque calculée sur la base de ce même recensement.
Les écarts de ressources entre les habitants de ces communes ne peuvent donc pas être mesurés, le niveau actuel de la population étant inconnu.
Ce n'est qu'en 2009, monsieur le secrétaire d'État, que l'INSEE nous communiquera la population des différentes collectivités ; toutefois, l'étude sera réalisée à partir des recensements partiels de 2005, 2006, 2007 ou 2008.
Par conséquent, aucun mécanisme de resserrement de l'ensemble des attributions et du potentiel financier par rapport à la population ne sera exact, faute d'une connaissance parfaite du nombre d'habitants.
J'ai d'ailleurs beaucoup apprécié - cela ne l'étonnera pas ! - le rapport de M. Mercier.
M. Aymeri de Montesquiou. Excellent !
M. Jean-Pierre Fourcade. M. le rapporteur a rappelé de manière très précise comment était effectuée la péréquation et comment la réforme de la DGF, engagée sur proposition du comité des finances locales, que j'ai eu l'honneur de présider pendant un certain nombre d'années, joue aujourd'hui à augmenter la péréquation.
Je reproche à M. Marc de ne pas avoir cité les grands mécanismes de péréquation qui existent déjà, à savoir la DSU, la dotation de solidarité urbaine, la DSI, la dotation spéciale instituteurs, ou encore la DNP, la dotation nationale de péréquation, pour ne citer qu'elles, qui représentent aujourd'hui, sur la somme totale de la dotation globale de fonctionnement, des sommes non négligeables.
Donc, la péréquation existe. Je comprends que notre collègue veuille la renforcer, mais encore faudrait-il disposer d'instruments de mesure fiables et acceptés par tous, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.
J'ai trouvé très astucieuse la solution de la commission des finances, qui joue sur une réduction du pouvoir du comité des finances locales concernant la fixation du complément de garantie, ce qui se chiffre à une dizaine de millions d'euros, comme l'a dit M. le secrétaire d'État. Il s'agit là d'un premier pas intéressant, mais non de la réforme fondamentale attendue.
Sur l'article 1er, un certain nombre de choses doivent être dites.
Le flux et l'efficacité des dotations de péréquation ont été fortement renforcés au cours des dernières années, grâce, notamment, à la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité créée spécifiquement pour les départements, ou encore au système de la dotation de service minimum. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Bref, tout ce qui existe, à l'heure actuelle, aux trois niveaux de collectivités permettrait au comité des finances locales d'aller un peu plus loin dans la péréquation.
Cependant, force est de le constater, chaque fois que l'on a fait jouer le curseur entre les attributions automatiques et les attributions de péréquation, les membres du comité des finances locales, qui est composé de personnalités éminentes - M. le rapporteur le sait bien - ont, à leur grande majorité, toujours bloqué au minimum le mécanisme de péréquation, aussi bien pour les départements que pour les régions.
Et je me demande s'il n'y a pas, d'un côté, le discours convenu sur la nécessité d'une augmentation de la péréquation et, de l'autre, une attitude toute pragmatique qui veut que l'on ne modifie pas trop les équilibres entre les différentes collectivités !
C'est pourquoi je considère la méthode proposée par M. Marc et le groupe socialiste un peu brutale. Si ce mécanisme de resserrement de la fourchette a pu être aisément appliqué entre la vingtaine de Länder allemands, par exemple, grâce à une agrégation de la totalité des ressources, il est en revanche, comme l'a dit M. le secrétaire d'État, impossible à mettre en place entre 36 000 communes, 2 000 établissements publics de coopération intercommunale, 100 départements et vingt-deux régions. En tout cas, il est impossible d'en connaître à l'avance les conséquences pratiques.
C'est pourquoi je suis d'avis de laisser se poursuivre la réflexion engagée depuis quelques mois à trois niveaux.
Le comité des finances locales a en effet mis en place, de son côté, le 6 février dernier, un groupe de travail pour évaluer l'impact de la procédure de recensement rénovée sur la répartition des dotations de l'État aux collectivités dans la perspective de la prise en compte du nouveau recensement en 2009. C'est le point de départ qui nous permettra de savoir avec précision combien il y a de citoyens dans telle commune, tel EPCI, tel département ou telle région.
Par ailleurs, le Premier ministre a confié à notre éminent collègue Alain Lambert une mission sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales, à l'occasion de la révision générale des politiques publiques. En effet, comme l'a dit très justement M. le rapporteur, il faut s'occuper non pas uniquement des recettes, mais aussi des dépenses.
Pour l'avoir présidée pendant plusieurs années, j'estime que la commission consultative d'évaluation des charges devrait être pérennisée et saisie chaque fois que se produit un transfert, disons « occulte ».
Or des transferts de cette nature, les collectivités en subissent tous les jours, qu'il s'agisse de la gestion des objets perdus, dont les commissariats de police ne veulent plus s'occuper, ou encore des passeports ou des cartes d'identité, pour ne prendre que ces exemples qui sont autant de situations que j'ai moi-même vécues. Je m'adresse tout particulièrement à notre excellent collègue M. Lambert : ces charges imprévues qui sont transférées sur les budgets locaux sont extrêmement gênantes, et il conviendrait de mettre en place un mécanisme de régulation.
Enfin, le Premier ministre a mis en place, le 4 octobre dernier, la Conférence nationale des exécutifs, appelée à devenir un lieu de concertation privilégié entre le Gouvernement et les collectivités territoriales.
Ces trois éléments - le groupe de travail du comité des finances locales, la mission confiée à M. Lambert et la réunion des exécutifs locaux - devraient permettre d'aboutir à une nouvelle architecture de la fiscalité locale, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle est obsolète, notamment en ce qui concerne la taxe d'habitation, et qu'elle doit être revue.
Monsieur le secrétaire d'État, j'ai noté avec satisfaction - mais tiendrez-vous votre promesse ? - que vous envisagiez enfin de mettre en oeuvre la révision des valeurs locatives. Croyez-moi, la tâche sera ardue ! Les bénéficiaires se tairont ; quant aux victimes, elles protesteront haut et fort, tant et si bien que rien de décisif ne sera fait. (Sourires.)
M. Mauroy avait proposé de donner aux collectivités la faculté de procéder à la révision des valeurs locatives en les rapprochant des valeurs vénales. Voilà qui permettrait d'améliorer nos ressources fiscales et financières. C'est cela, l'autonomie des collectivités, et c'est vers cette solution qu'il faut s'orienter !
Sur l'article 2, et le problème de la CSG, je ferai deux observations.
Au moment où notre commerce extérieur est en grave déficit et où beaucoup d'entreprises se délocalisent, aggraver les prélèvements fiscaux ne serait pas judicieux.
Appliquer une taxe additionnelle à la CSG ne doit pas, à mon sens, majorer le poids total du prélèvement fiscal : il faut donc trouver des ressources à abandonner. L'affaire est délicate, car il n'est plus temps de demander à l'État de majorer encore ses dotations, ou au contribuable de payer un peu plus. Cette problématique est dépassée, compte tenu des exigences de compétitivité et des problèmes d'emploi. Il nous faut donc être raisonnables.
Le groupe UMP est favorable à la réflexion menée aussi bien sur le renforcement de la péréquation que sur la réforme globale de la fiscalité ou encore sur la proposition de M. Marc d'instaurer une taxe additionnelle à la CSG.
S'il a noté les efforts de M. le rapporteur pour rendre le contenu de cette proposition de loi plus acceptable, grâce à l'amendement visant à réduire assez nettement la portée de l'article 1er, notre groupe n'en exprime pas moins les plus grandes réserves sur le principe comme sur la méthode proposée par M. Marc.
C'est la raison pour laquelle il a décidé de ne pas prendre part au vote, estimant ce texte trop flou et jugeant qu'il ne fait pas progresser la nécessaire réforme de notre fiscalité. Il préfère attendre le résultat des réflexions en cours avant de se prononcer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la péréquation des ressources en faveur des collectivités territoriales est un sujet qui nous occupe depuis quelque temps, c'est le moins que l'on puisse dire.
À dire vrai, ce sujet imprègne le débat sur les finances locales depuis au moins une bonne trentaine d'années, époque de la mise en place de la dotation globale de fonctionnement, puis avec les différentes lois et mesures qui ont modifié l'économie générale du système de financement de l'initiative locale.
Il l'imprègne d'autant plus qu'au fil des ans et des opportunités budgétaires, l'État s'est défaussé progressivement de nombre de ses obligations sur les collectivités territoriales.
Je citerai pour mémoire les politiques de formation professionnelle, du logement, de la réalisation et de l'entretien d'infrastructures routières ou encore des politiques sociales, non seulement en direction des personnes les plus vulnérables et des personnes âgées ou dépendantes, mais aussi des handicapés.
Après le débat qui devait se conclure par la préférence accordée aux transferts par rapport aux financements croisés, aujourd'hui, il n'est pas un ministre qui ne propose une nouvelle action, sans pour autant que les collectivités territoriales soient considérées comme « partenaires privilégiées », elles qui deviennent de fait les « payeurs » quasi exclusifs.
Pour répondre à ces transferts imposés, les collectivités concernées sont loin de disposer des mêmes ressources et la situation ne s'est guère améliorée depuis trente ans, compte tenu, justement, de ces charges nouvelles. On peut même dire que certains écarts se sont accrus.
J'approuve ce passage de l'exposé des motifs du texte proposé par nos collègues socialistes : « L'action de l'État ne parvient pas à réduire la fracture territoriale. Les impôts locaux, reposant sur des bases archaïques, sont sources d'injustices, aussi bien pour les contribuables que pour les collectivités. Les correctifs apportés pour pallier ces carences ont finalement conduit à plafonner certains prélèvements locaux plutôt qu'à réformer la structure de ces prélèvements. » Mais je ne peux pas souscrire à l'idée que les marges de manoeuvre budgétaires de l'État « sont, aujourd'hui plus que jamais, limitées. »
En fait, nous le savons bien, les gouvernements qui viennent de se succéder ont multiplié les initiatives entraînant une réduction des recettes fiscales de l'État. La dernière en date est la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, une illustration parfaite étant fournie par le bouclier fiscal, ramené à 50 % alors qu'il venait juste d'être instauré à 60 % par la loi de finances pour 2007.
Toutes ces mesures n'ont d'autre objet que de répondre aux attentes d'une infime minorité de contribuables ou aux exigences d'optimisation fiscale des grands groupes, et elles coûtent cher au budget de l'État !
Cependant, la vraie question à nous poser est plutôt la suivante : est-il toujours opportun de confier aux collectivités territoriales la responsabilité de piloter toutes les actions susceptibles d'apporter une réponse à un besoin social déterminé ?
La prise en charge de l'autonomie des personnes âgées en est un parfait exemple.
On a refusé de traiter la situation des personnes âgées sous l'angle de la dégradation de leur santé, pour ne la considérer que comme un problème social, alors même que l'espérance de vie, nous le savons, varie selon l'activité professionnelle exercée.
De surcroît, la comparaison du nombre des personnes âgées dépendantes selon les différentes parties du territoire national montre, à l'évidence, de profondes inégalités locales. Ainsi la répartition géographique des demandeurs de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, n'est-elle pas équilibrée.
Nombre de départements ruraux, par ailleurs victimes de la pseudo-rationalisation des dépenses de santé, comptent une proportion particulièrement élevée de personnes âgées de plus de soixante ans, voire de plus de soixante-quinze ans.
En 1999 - les données n'ont pas dû être modifiées de façon significative depuis -, la part des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans dans la population représentait plus de 14 % dans la Creuse, contre 4,5 % dans le Val-d'Oise.
Naturellement, la demande potentielle relative à l'allocation personnalisée d'autonomie est donc bien plus forte dans la Creuse, département rural doté de faibles ressources financières, que dans le Val-d'Oise, département urbain où sont implantées des zones d'activité particulièrement significatives.
Nul doute que, a contrario, les élus val-d'oisiens, par rapport à leurs homologues creusois, se doivent de faire face à une demande en équipements scolaires dans des proportions bien plus importantes, mais la situation de la Creuse ne permet pas à ce département de faire face aux obligations de l'APA, ce qui peut le contraindre à exiger plus de l'imposition locale par rapport à bien d'autres départements.
De fait, le mode de financement de l'action en direction des personnes âgées paraît aujourd'hui profondément inadapté, indépendamment des outils de péréquation, bien imparfaits, qui ont été mis en place.
Tout cela revient à nous interroger sur l'absolue pertinence de la décentralisation dans tous les cas de figure.
En réalité, nous le savons tous, notamment tous ceux qui ont voté en 2003 et 2004 les différents textes, notamment la loi relative aux libertés et responsabilités locales, formant ce que certains appellent le deuxième volet de la décentralisation, le Gouvernement, en faisant le choix de la responsabilité locale, a surtout fait le choix de décharger l'État de ses obligations.
À nos yeux, s'agissant de l'action sociale, une bonne part des compétences qui ont été transférées aux départements devrait même être du ressort de la sécurité sociale collective, dont le caractère universel et égalitaire est autrement plus garanti que tout autre dispositif.
Depuis de longues années, les parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen proposent la création d'un cinquième risque de la sécurité sociale, ce qui serait un gage d'efficacité et de justice sociale dans la mesure où le dispositif s'appuierait sur un régime solidaire.
La mesure proposée dans le présent texte visant à prévoir le versement d'une partie de la CSG aux collectivités territoriales nous apparaît, en fait, comme une reconnaissance de cette réalité, mais, en même temps, comme un refus d'aller jusqu'au bout de la démarche.
Quant au RMI, souvenons-nous que c'est la réduction des indemnisations ASSEDIC qui est responsable, aujourd'hui, de l'augmentation de la prise en charge par cette allocation d'un nombre toujours plus important de demandeurs d'emploi.
Toute réflexion sur l'évolution des mécanismes propres aux finances locales doit donc, sous peine de ne pas favoriser l'émergence de solutions durables et acceptables, poser aujourd'hui clairement la question des contours, du contenu et de la pertinence des responsabilités assumées par les collectivités territoriales.
Nous continuons de penser, mes chers collègues, que le transfert aux collectivités territoriales des routes, des bâtiments scolaires, d'une grande partie de l'action sociale, des politiques de formation permanente et d'apprentissage, ainsi que d'une bonne part des charges d'infrastructure publique ne constitue pas la réponse la plus acceptable ni la plus pertinente à la question de la satisfaction des besoins collectifs de nos concitoyens.
Tout au plus pouvons-nous, du point de vue de l'État, enregistrer, notamment depuis 2004, une compression du déficit budgétaire, l'essentiel - plus de 70 % - des charges d'investissement public étant désormais assumé par les collectivités locales en lieu et place de l'État.
L'un des effets de la décentralisation, telle qu'on a pu la concevoir notamment durant la législature précédente, est d'avoir porté sous la barre des 5 % la part du budget de l'État consacrée aux dépenses d'investissement. Autrement dit, en faisant abstraction de ces dépenses pour le moins réduites, nous sommes toujours en situation de déficit de fonctionnement.
Le texte que nous examinons aujourd'hui intervient sur un aspect relativement restreint du financement des collectivités. Loin de moi l'idée d'en faire le reproche aux auteurs de la proposition de loi, car, compte tenu du peu de temps accordé à la discussion - moins de deux heures -, je peux comprendre qu'il était difficile de faire une présentation plus large.
Cependant, le fait de concevoir la péréquation dans un contexte d'enveloppe constante et de progression plus que limitée des concours budgétaires de l'État aux collectivités locales revient, très vite, à battre en brèche les principes d'autonomie des collectivités territoriales, pourtant affirmés, au moins en théorie, par l'article 72-2 de la Constitution.
L'outil de péréquation « horizontale » qui nous est ici présenté s'apparente, qu'on le veuille ou non, à un certain partage de la misère, partage porteur de nouvelles difficultés à répondre aux attentes de nos concitoyens.
Selon nous, la péréquation implique a priori la mise en place de nouveaux outils et de nouvelles recettes fiscales, destinées à un partage plus équilibré des moyens disponibles.
Elle doit ainsi commencer par une remise en question des mesures actuellement retenues pour l'allégement de la fiscalité des entreprises. Elle pourrait aussi passer, faut-il le rappeler, par la récupération du produit de la cotisation minimale de taxe professionnelle, qui, d'après les documents qui nous ont été fournis jusqu'à présent, rapportera cette année 2,5 milliards d'euros de ressources au budget de l'État - bien loin des 820 millions d'euros dont nous parlions tout à l'heure -, soit deux fois et demie le montant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et plus que la DGF des groupements !
Par ailleurs, la taxation des actifs financiers des entreprises, inscrite dans une proposition de loi que nous avons déposée le 17 mars 2005, permettrait de fournir les moyens de financer et de conduire une véritable politique de péréquation des ressources pour le financement de l'initiative locale. Le produit de cette taxation pourrait alimenter un fonds de péréquation national, qui serait réparti en fonction des capacités contributives des habitants des collectivités. De plus, cela permettrait de prendre en compte la réalité de l'évolution de l'activité économique.
Comme l'ont fait remarquer le directeur général des collectivités territoriales et le président de l'Association des maires de France, l'industrie paie aujourd'hui 69 % du montant total de la taxe professionnelle, alors qu'elle ne participe que pour 32 % à la valeur ajoutée ; à l'inverse, les activités financières produisent 35 % de la valeur ajoutée et s'acquittent de 2,5 % de la taxe professionnelle.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite maintenant insister sur la notion d'initiative locale.
En effet, il est inconcevable de développer une approche critique de la décentralisation telle qu'elle a été conçue depuis quelques années sans souligner cette évidence : à force de transférer sur le local ce qui devrait procéder du national ou du collectif solidaire, on finit aussi par brider l'initiative et la créativité des collectivités territoriales.
Quand la commission des finances laisse supposer que la péréquation serait améliorée si le complément de garantie de la DGF des communes n'évoluait plus que selon un taux égal au plus à 15 % de la progression de la DGF, elle ne tient pas compte des conséquences des mesures déjà mises en oeuvre. Celles de la loi de finances pour 2007 se sont ainsi traduites, pour 3 000 communes, par un gel de leur garantie, qui n'a représenté qu'un volume de 13 millions d'euros, soit un montant faible en termes de péréquation, mais qui a pu créer des situations difficiles pour certaines communes.
En outre, le dispositif envisagé n'intègre pas non plus les propositions gouvernementales contenues dans le projet de loi de finances pour 2008 : pacte de stabilité imposé à toute force, nouvelle atteinte à la dotation de compensation de la taxe professionnelle et minorations de plusieurs compensations en matière de fiscalité locale touchant la taxe professionnelle ou le foncier non bâti. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la consolidation de la décentralisation postérieure aux réformes initiées par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, a placé les budgets des collectivités locales au coeur de profondes réformes, tant en niveau qu'en structure. À la suite de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, le législateur a décliné à deux reprises les principes constitutionnels de libre administration et d'autonomie financière des collectivités locales.
Les finances locales ont ainsi subi de multiples allégements fiscaux. En 2005 et 2006, pour ne citer que les plus récents, ont été votés l'exonération de 20 % des bases de la taxe foncière sur les propriétés non bâties et le plafonnement à 3,5 % du calcul de la cotisation de taxe professionnelle des entreprises.
Or l'ensemble de ces réformes a paradoxalement conduit à renforcer le poids de l'État. La part des compensations et dégrèvements est passée de 22 % au milieu des années quatre-vingt-dix à près de 34,6 % en 2003. L'intégration de ces compensations dans la DGF a fait artificiellement chuter ce ratio à 26,9 % en 2006. Le Conseil constitutionnel a dû rappeler à de nombreuses reprises que l'autonomie financière est l'indispensable corollaire de la libre administration des collectivités locales. Mais l'Observatoire des finances locales a montré que le ratio d'autonomie financière pour 2005 avait encore reculé pour les communes.
En tant qu'élu du premier département agricole de France, je tiens, monsieur le secrétaire d'État, à me faire le porte-parole des élus des communes rurales, qui s'inquiètent de la dégradation constante de leurs ressources. Je ne m'appesantirai sur la complexité croissante des réglementations, souvent peu intelligibles pour les élus et leurs administrations. De plus, la modification en 2005 de la dotation « élu local » a majoré artificiellement la richesse de nombreuses communes et privé une majorité d'entre elles d'un mécanisme financier pourtant vital en zone rurale pour la formation des élus.
Je m'attarderai, en revanche, sur les conséquences des réformes successives.
La plupart des transferts de compétence intervenus depuis 2003 ont concerné les départements, les régions et les EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale. Les dernières lois de finances ont eu à en tirer les conséquences, en octroyant à ces catégories de collectivités des compensations plus favorables. Mais les communes rurales ont été superbement ignorées.
Si la dotation de solidarité urbaine s'appuie sur des critères objectifs de solidarité au profit des communes à faible potentiel fiscal, les règles de calcul de la fraction « bourgs-centres » de la dotation de solidarité rurale aboutissent à une inégalité de traitement entre les communes, ce qui aggrave encore les disparités d'un monde rural déjà fragilisé par ses difficultés économiques.
Une autre inégalité toujours aussi frappante est la différence de traitement entre les multiples catégories d'EPCI, sans que le degré d'intégration de l'établissement public justifie à lui seul les écarts de niveaux de dotation. En 2006, le montant de la DGF par habitant des communautés de communes à taxe professionnelle unique simple a atteint 21,95 euros, contre 42,38 euros pour les communautés d'agglomération et même 83,60 euros pour les communautés urbaines. Monsieur le secrétaire d'État, vous devez mettre fin à une situation aussi inéquitable.
Parallèlement, près de 35 000 communes bénéficient du produit de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. La part de cette dernière dans les ressources fiscales des 21 000 communes de moins de 500 habitants est la plus importante et dépasse même 50 % pour 2 200 d'entre elles. Malheureusement, la réforme votée en 2006 prévoit l'indexation de la compensation versée par l'État sur l'année 2005, ce qui induit une réduction mécanique des ressources dont disposeront les communes rurales. Pour maintenir un niveau de ressources constant, celles-ci seront obligées d'augmenter les autres taxes, alors même que leur potentiel fiscal demeure très faible.
Ce résultat n'est-il pas en contradiction flagrante avec l'autonomie de décision des collectivités territoriales ? Une solution consisterait à prévoir un ratio de réévaluation annuelle de la compensation de l'État, du moins avant que la législation fiscale ne change à nouveau ...
À l'heure de la grande compétition internationale, la taxe professionnelle constitue un double handicap.
Elle est, d'une part, un handicap pour les communes qui avaient sagement fait preuve de modération fiscale, car celles-ci pâtissent du plafonnement de la valeur ajoutée à 3,5 %. L'instauration d'un plafond de participation revient à pénaliser les petites communes, lesquelles ne peuvent désormais plus moduler librement leur taux sans une perte de recettes fiscales. Certaines communes préfèrent, aujourd'hui, attirer des entreprises qui ne créent pas d'emplois, plutôt que de compenser le coût du dégrèvement.
Elle est, d'autre part, un handicap pour les entreprises, car elle demeure un frein à leur compétitivité, quand bien même ses bases ont été plafonnées.
Ce dispositif, si franco-français, désarçonne les entrepreneurs étrangers désireux de s'installer dans notre pays.
C'est en effet aujourd'hui une véritable concurrence fiscale, assez malsaine, qui s'instaure entre les collectivités locales, et les communes rurales sont, une fois de plus, moins bien armées que les autres catégories de collectivités pour y faire face.
Plutôt que de cristalliser les compensations de l'État sur des bases fixes et rapidement obsolètes, pourquoi ne pas chercher à asseoir les ressources propres des petites communes sur des bases dynamiques ? Pourquoi ne pas mettre en place un mécanisme simple de progression des dotations ?
Il n'est pas concevable que les communes les plus modestes soient de plus en plus dépendantes du seul bon vouloir de l'État. J'en veux pour preuve la récente décision d'indexer le contrat de croissance sur la seule inflation. Pourquoi, d'un côté, brider l'autonomie fiscale et, de l'autre, réduire encore les moyens de subsistance de ces petites communes ?
La proposition de loi de François Marc soulève, à ce titre, un vrai problème, celui de la péréquation des ressources. Selon un rapport du Commissariat général du Plan de 2004, les inégalités de ressources demeurent en effet très importantes.
En 2001, comme l'a rappelé notre collègue, le pouvoir d'achat par habitant de la commune la mieux dotée représente 8 500 fois celui de la commune la moins bien pourvue ; 1 % des communes les plus riches disposent de 44 fois plus de pouvoir d'achat que 1 % des plus pauvres, soit 7 403 euros contre 168 euros par habitant ; 10 % des communes les plus riches, soit 10,3 % de la population française, bénéficient de 28,7 % du pouvoir d'achat. À l'opposé, 10 % des communes les plus pauvres, soit 3,3 % de la population française, disposent de 1,3 % seulement du pouvoir d'achat.
Les dotations constituent la principale source de réduction en niveau des inégalités : 64 % pour les communes, 83 % pour les départements et 89 % pour les régions. Seul un accroissement des dotations expressément péréquatrices peut remplir un rôle de correction des inégalités. Rapportés au pouvoir d'achat moyen, les effets redistributifs des transferts produisent un effet péréquateur pour 71 % des communes, sur-péréquateur pour 21% des communes et contre-péréquateur pour 8 % des communes. Ainsi, au lieu de réduire les inégalités, les dotations les augmentent dans plus du quart des communes.
Les données relatives à la péréquation sont aujourd'hui clairement insuffisantes. Il n'est cependant ni possible ni souhaitable de réformer l'ensemble de la péréquation au travers d'une seule proposition de loi. Une telle réforme nécessite que soit conduite une réflexion très approfondie, associant l'ensemble des représentants des collectivités locales. Il revient sans doute au Sénat, « Grand Conseil des communes de France », d'amorcer cette réflexion « transpartisane ».
Pour l'heure, il est un peu tôt pour prendre position, c'est du moins l'opinion de la majorité du groupe du RDSE. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. le président et M. le rapporteur de la commission des finances applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis très heureux que le Sénat puisse débattre de cette proposition de loi qui, déposée par nos collègues du groupe socialiste, a trait aux finances locales, à la solidarité financière et à la justice fiscale. Cela nous permet d'aborder, hors débat budgétaire, ces sujets très importants, notamment celui de la péréquation, qui, bien que devenue un principe constitutionnel, donne très nettement le sentiment de demeurer davantage une pétition de principe ayant du mal à se traduire dans les faits.
Nos collègues ont raison lorsqu'ils affirment que l'État dispose d'un puissant outil de solidarité financière avec la DGF, qui représentait plus de 39 milliards d'euros en 2007. Mais force est de reconnaître que cet outil n'a pas été, jusqu'alors, suffisamment utilisé.
Permettez-moi tout d'abord un rappel historique.
La DGF a succédé, voilà fort longtemps, au versement représentatif de la taxe sur les salaires, le VRTS. Elle a subi, depuis lors, de multiples réformes mais, en réalité, les inégalités de départ subsistent aujourd'hui encore. Pour quelles raisons ?
Ces inégalités subsistent, en premier lieu, parce que la taxe sur les salaires était abondante là où se situaient les entreprises.
Elles subsistent, en second lieu, car l'Association des maires des grandes villes de France a réussi à persuader une majorité de nos collègues, au cours des débats qui ont porté sur la création de la DGF à l'Assemblée nationale, et plus encore au Sénat, de la nécessité, premièrement, de différencier la dotation de base en fonction de la population, en partant du principe que plus cette dernière est élevée, plus il y a de dépenses, deuxièmement, de créer une dotation ville-centre, dans la mesure où ces communes supportaient des charges importantes auxquelles les communes suburbaines ne souhaitaient pas participer, et troisièmement - raffinement suprême ! -, de prévoir une garantie de progression minimale, en laissant croire aux élus ruraux que, de ce fait, la DGF ne diminuerait jamais, ce qui avait en réalité pour but de figer les avantages acquis totalement indus dont bénéficiaient, et bénéficient encore, Paris et certaines villes de sa périphérie.
Les choses se sont-elles améliorées depuis vingt-cinq ans ? À peine !
La dotation de base de la DGF varie toujours en fonction de la population, entre 62,38 euros et 124,75 euros par habitant en 2007.
La dotation ville-centre n'apparaît plus en tant que telle, mais elle a été intégrée dans la masse de la DGF.
Force est de reconnaître, en revanche, que la création de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, et de la dotation de solidarité rurale, la DSR, a constitué un réel progrès tout au moins dans le principe, car ces dotations n'ont pas toujours joué dans le sens de l'équité.
Que faudrait-il faire pour redonner un nouveau souffle à la péréquation et pour améliorer la situation financière des communes, voire des départements, qui en ont le plus grand besoin ?
Il faudrait, en premier lieu, mettre fin à la variation de la dotation de base de la DGF en fonction de la population, qui n'a absolument plus de raison d'être. Les charges de centralité sont, en effet, supportées par les communautés d'agglomération ou les communautés urbaines, voire, dans nos cantons ruraux, par les communautés de communes. En attribuant, en moyenne, 90 euros par habitant de dotation de base à toutes les communes, quelle que soit leur taille, on améliorerait d'ores et déjà quelque peu les choses.
Il faudrait, en deuxième lieu, doubler les crédits affectés à la dotation de solidarité rurale. Il n'est pas normal que celle-ci ne représente que 650 millions d'euros environ, alors que la DSU dépasse 1 milliard d'euros et augmente en pourcentage, chaque année, bien plus rapidement. Il s'agit là d'une solidarité à deux vitesses, car la DSR est versée à plusieurs dizaines de milliers de communes, alors que la DSU ne bénéficie qu'à quelques dizaines !
Il faudrait, en troisième lieu, remettre un peu d'ordre dans la dotation d'intercommunalité.
Est-il normal, en effet, que les communautés de communes à quatre taxes ne perçoivent, en moyenne, que 20 euros par habitant alors que, dans le même temps, les communautés d'agglomération perçoivent 43 euros par habitant et les communautés urbaines, 84 euros par habitant, soit un rapport de 1 à 4 ? C'est à la fois excessif et injuste : au moment où 14 communautés urbaines perçoivent 533 millions d'euros de DGF, les 1 400 communautés de communes à quatre taxes ne se partagent que 241 millions d'euros. Vous avouerez qu'il y a tout de même un problème !
Je vais formuler une proposition qui ne va peut-être pas faire plaisir à tout le monde, mais, entre nous, nous pouvons nous dire les choses franchement ! (Sourires.)
Dans la mesure où les communautés d'agglomération, les communautés urbaines ou les communautés de communes exercent, en vertu de la loi, des compétences très élargies, il va de soi, de facto, que les charges de leurs communes membres ont été allégées, sans que soit remis en cause le montant de la DGF communale qu'elles perçoivent, et qui pourrait être reversé à la DSR. En effet, comme je l'ai démontré, la DSR est moins bien traitée que la DSU.
J'ai d'ailleurs eu confirmation, à travers une analyse de la situation financière des communes et des communautés de communes de mon département, que de nombreuses communes rurales ne disposent que de très faibles moyens. Certaines communes meusiennes ne perçoivent ainsi qu'un peu plus de 110 euros de DGF par habitant, soit deux fois moins que la moyenne départementale.
Je dirai enfin un mot sur la dotation « élu local ». Son faible montant ne permet assurément pas de compenser le versement des indemnités des maires et des adjoints, notamment dans les communes rurales. C'est ainsi que, dans mon département, mais ce n'est certainement pas un cas isolé, de nombreux maires renoncent à une partie de leur indemnité, car ils estiment que le maigre budget de leur commune ne peut pas supporter cette charge.
Ces mesures permettraient certainement d'améliorer la péréquation des ressources entre nos différentes communes. Elles sont très différentes des suggestions formulées par nos collègues socialistes, qui se bornent à organiser une péréquation entre communes d'une même strate démographique, c'est-à-dire une péréquation entre communes pauvres, d'un côté, et entre communes riches, de l'autre.
Il ne serait pas aberrant de voir, par exemple, baisser la DGF versée à la Ville de Paris, qui reçoit plus de 330 euros par habitant, afin que de nombreuses communes rurales puissent bénéficier d'une revalorisation de leur dotation !
De grâce, ne créons surtout pas de communauté urbaine autour de Paris, car cela coûterait plusieurs centaines de millions d'euros de plus de DGF !
J'ajoute qu'il conviendrait peut-être, également, de revoir le mode de répartition des crédits de la dotation nationale de péréquation, qui a pour objet de permettre une meilleure répartition des ressources fiscales entre collectivités. Les 629 millions d'euros de cette dotation seraient sans doute plus équitablement répartis si l'on ne tenait plus compte des strates de population, ce qui pénalise en réalité les communes rurales.
Cette transition me permet d'aborder le second volet de la proposition de loi de nos collègues socialistes, la fiscalité locale.
Mes chers collègues, vous nous proposez de remplacer, à terme, la part départementale de la taxe d'habitation par une part additionnelle à la CSG. Je note une évolution de votre réflexion sur ce sujet, car vous proposiez comme substitut, voilà quelques années, l'instauration d'une taxe départementale sur le revenu. Mais, à la vérité, ni l'une ni l'autre de ces solutions ne recueillent mon agrément.
Certes, il existe un réel problème de rénovation des bases de la fiscalité locale. Je regrette, pour ma part, que la révision générale des valeurs locatives de 1990 n'ait pas été mise en oeuvre, par manque de courage politique. C'est ainsi que nous nous retrouvons, aujourd'hui encore, avec les bases de 1970, forfaitairement actualisées pour le foncier bâti, et avec les bases calculées en 1961 pour le foncier non bâti. Cette situation, qui est source de trop d'injustices, n'est pas tenable.
Puis, au fil des années, la fiscalité locale s'est réduite comme peau de chagrin. La taxe professionnelle et le foncier non bâti ont été amputés significativement, ce qui a entraîné une remise en cause de l'autonomie financière des collectivités locales. Celles-ci ont totalement perdu ce que j'appellerai « la prime au dynamisme ».
Je partage, à cet égard, le souhait émis récemment par M. le président du Sénat de voir les collectivités territoriales dotées d'impôts locaux « modernes, justes et dynamiques ».
Une remise à plat s'impose en effet, mais je reconnais que la réforme de la fiscalité locale n'est pas aisée. Nous avons tous en mémoire les tentatives de réforme de la taxe professionnelle : notre collègue Philippe Marini avait bien raison lorsqu'il affirmait qu'il faudrait trouver la quadrature du cercle !
Quoi qu'il en soit, une plus grande péréquation des ressources entre communes et intercommunalités est indispensable et elle est possible, la DGF constituant, comme je l'ai démontré tout à l'heure, le meilleur levier pour parvenir à la mettre en pratique. Tout est question de volonté et il faut, là comme ailleurs, avoir le courage de remettre en cause des avantages quelquefois indûment acquis.
Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour nous faire très rapidement des propositions afin que la péréquation et la véritable solidarité, désormais inscrites en lettre d'or dans notre Constitution, ne demeurent pas lettre morte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsque mon collègue et ami François Marc m'a fait part de son souhait de déposer cette proposition de loi, j'ai trouvé l'idée très intéressante et, connaissant la qualité des membres de la commission des finances, je n'ai pas douté qu'ils y souscriraient rapidement,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'était une vue un peu rapide !
M. Gérard Miquel. ...étant entendu qu'un certain nombre d'entre eux sont aussi présidents de conseils généraux. (Sourires.)
Quand, de surcroît, j'ai su que Michel Mercier était désigné comme rapporteur, je me suis dit, connaissant sa générosité naturelle et son esprit de solidarité,...
M. Jean-Pierre Sueur. Cela commence bien !
M. Gérard Miquel. ...qu'il ne manquerait pas de soutenir cette proposition de loi, et cela pour plusieurs raisons.
Examinant avec attention le tableau comparatif du potentiel fiscal et du potentiel financier des départements de France, j'ai constaté que mon département, le Lot, se situait dans les mêmes rangs que celui de la Mayenne, monsieur le président de la commission des finances,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ceux des départements pauvres !
M. Gérard Miquel. ...c'est-à-dire dans le bas du tableau,...
M. Michel Mercier, rapporteur. Mais on y mange bien ! (Sourires.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On survit ! (Nouveaux sourires.)
M. Gérard Miquel. ...alors que le département du Rhône se plaçait un peu différemment.
Le potentiel fiscal par habitant du département du Rhône est ainsi de 647,07 euros, celui du Lot de 322,43 euros. L'écart avec la moyenne est de plus 15,31 % pour le Rhône et de moins 27,72 % pour le Lot.
Le potentiel financier est, par habitant, de 641,29 euros pour le Rhône et de 474,58 euros pour le Lot. L'écart avec la moyenne est de plus 14,17 % pour le Rhône et de moins 15,51 % pour le Lot.
Ces quelques chiffres tendent à démontrer qu'il est nécessaire de faire une réforme et de mettre en place des mécanismes de péréquation appropriés.
Permettez-moi, mes chers collègues, de citer encore quelques données relatives aux départements.
Dans nos 102 départements, 25 milliards d'euros de dépenses sociales sont engagées, et ces dépenses ont progressé de 37 % entre 2002 et 2006.
Les départements participent pour un tiers à l'effort national d'investissement.
Ils entretiennent 6 750 collèges publics.
Sept millions de personnes sont suivies, à un titre ou à un autre, par leurs services sociaux et médicosociaux.
Ils entretiennent également 385 000 kilomètres de routes d'intérêt départemental ou national.
Mais quel état des lieux peut-on dresser de la situation financière à laquelle sont confrontés les départements ?
En trois ans et demi, leurs compétences et leurs responsabilités se sont considérablement accrues.
La conséquence de l'exercice de ces compétences supplémentaires a été immédiate : nos budgets ont fortement augmenté - 50 % en moyenne -, nos effectifs de personnels se sont sensiblement accrus avec, notamment, l'arrivée de 43 000 TOS exerçant dans les collèges et de 30 000 agents de l'équipement, soit en moyenne 700 agents supplémentaires par département.
De nouvelles dispositions ont été prises depuis le début de l'année 2007, notamment dans le cadre de la loi créant un droit opposable au logement ou de la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui modifiera prochainement l'organisation des tutelles.
Cela continue avec le projet de loi, annoncé par le Gouvernement, sur le transfert des parcs de l'équipement.
Un certain nombre de questions demeurent en suspens.
Ainsi, l'expérimentation du RSA, le revenu de solidarité active, est prévue pour trois années mais sa généralisation est envisagée dès 2008, de même que la fusion des minima sociaux.
Le Gouvernement a prévu d'inscrire un crédit de 25 millions d'euros pour financer le surcoût du RSA, mais nous savons bien que cette somme sera largement insuffisante.
Le transfert du RMI aux départements va générer, fin 2007, une surcharge financière qui s'élèvera à 2,3 milliards d'euros, comme le montre l'étude récente effectuée par Dexia Crédit Local.
Face à ce constat, beaucoup considèrent que la réforme des finances locales aurait dû être un préalable indispensable à tout nouveau transfert de compétences.
Je citerai à cet égard le président de notre assemblée, Christian Poncelet, dont chacun connaît la pertinence du propos, en ce qui concerne la gestion des départements en particulier, et qui disait récemment que le renforcement de l'autonomie des collectivités était une « absolue nécessité ». Nous devrions, nous disait-il encore, aboutir à de meilleurs résultats « par une plus grande autonomie de gestion des compétences transférées ». « Les départements, ajoutait-il, n'ont pas vocation à devenir des sous-traitants de l'État. »
Ce contexte vient renforcer le décalage structurel qui existe en France entre l'importance du mouvement de décentralisation institutionnelle engagé depuis vingt-cinq ans et les carences de la décentralisation financière qui l'accompagne.
Plus de responsabilités pour les conseils généraux, cela veut dire aussi plus d'autonomie financière.
Par conséquent, il convient - et je cite toujours Christian Poncelet - « de doter les collectivités territoriales d'impôts locaux modernes, justes et dynamiques » et de veiller à ne pas creuser les inégalités territoriales en permettant « la mise en oeuvre de nouveaux mécanismes de péréquation ».
L'exigence de modernisation des impôts locaux est nécessaire pour une plus grande justice sociale. Les impôts locaux reposent sur des bases archaïques et sont source d'injustices, aussi bien pour les contribuables que pour les collectivités.
Les correctifs apportés pour pallier ces carences n'ont finalement conduit qu'à plafonner certains prélèvements locaux plutôt qu'à réformer la structure de ces prélèvements.
De récentes études - celle de l'ODAS, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, et celle de Dexia - soulignent la forte progression des dépenses d'action sociale des départements, avec plus 7 % en 2006, et montrent les difficultés des conseils généraux à maîtriser cette évolution.
Pour l'essentiel, il s'agit de prestations dont nous ne maîtrisons ni les montants ni les critères d'attribution.
Nous devons faire face à cette progression de nos dépenses de fonctionnement, mais nos recettes proviennent des dotations et compensations de l'État ainsi que de la fiscalité locale. Or, qu'observons-nous ?
Les compensations sont gelées à la date du transfert ; je pense, en particulier, au RMI.
Les dotations ne vont plus progresser qu'en fonction de l'inflation avec l'abandon annoncé du contrat de croissance et de solidarité.
La fiscalité locale est, je l'ai dit, obsolète et injuste.
La seule ressource dynamique, la taxe professionnelle, ne progresse pratiquement plus depuis sa récente réforme.
Quant aux droits de mutation, ils n'augmentent plus au rythme que nous avons connu ces dernières années. Il arrive même parfois, dans certains secteurs, qu'ils régressent !
Les derniers rapports publiés sur ce sujet sont unanimes : une réforme du système financier local est aujourd'hui nécessaire pour éviter sa « surchauffe ».
Jean-Pierre Fourcade a souhaité à cette tribune une expérimentation : pourquoi pas une expérimentation à l'échelon départemental ?
La décision du ministre de l'intérieur d'affecter aux départements une part des recettes provenant des amendes de police générées par les radars placés le long des routes départementales constitue un début de réponse au problème du financement des départements. Cependant, les 30 millions d'euros annoncés représentent moins de 10 % du total des recettes des radars.
Cette attribution doit évoluer au même rythme que les recettes, qui vont progresser du fait de l'installation de nombreux radars supplémentaires. Il est souhaitable de répartir cette dotation en fonction de l'importance du réseau routier départemental et non du nombre de radars, de manière à respecter le principe de la péréquation.
Comme l'a souligné l'ADF, il faut imposer à l'État de ne plus intervenir dans la fiscalité locale sous la forme de dégrèvements, confirmer le financement de la protection de l'enfance et instaurer un financement national pour les allocations individuelles de solidarité nationale - allocation personnalisée d'autonomie, prestation de compensation du handicap, RMI, RSA - tout en maintenant une mise en oeuvre de proximité au niveau départemental.
Nous devons aussi renforcer la solidarité financière entre les territoires.
Aucune réforme de la fiscalité locale ne peut aujourd'hui se concevoir sans y adjoindre un dispositif de péréquation horizontale, car les ressources fiscales, quelle qu'en soit l'assiette, sont par nature inégalement réparties sur le territoire national. Pour remédier à la disparité de ressources entre les collectivités territoriales, une volonté de renforcement des politiques de péréquation doit être affirmée.
Pour réduire les écarts, il convient de créer un fonds de solidarité départemental qui serait alimenté par un dispositif de péréquation verticale ainsi que par un dispositif de péréquation horizontale.
En conclusion, une réforme profonde du financement des collectivités territoriales s'impose et doit être engagée dès aujourd'hui.
Cette réforme devra répondre aux exigences de simplification et de lisibilité.
Elle devra s'accompagner de la mise en place d'une solidarité effective entre les collectivités locales, qui seule pourra compenser l'hétérogénéité des situations financières des départements.
Cette réforme est d'autant plus nécessaire que les départements, comme les autres collectivités, vont devoir faire face aux conséquences de la mise en place du bouclier fiscal, de la réforme de la taxe professionnelle, de la suppression du contrat de croissance et de solidarité, puisque celui-ci se compose, pour une large part, de dotations compensant une fiscalité dynamique.
Ces décisions, engagées ou annoncées, vont se traduire par une moindre progression des ressources des départements à un moment où leurs dépenses sociales continuent inexorablement de croître à un rythme supérieur à l'inflation.
Les travaux du groupe de travail « finances locales et décentralisation » ont abouti en septembre 2006. Je rappellerai deux des cinq axes de réforme des finances locales que le rapport a permis de dégager : d'une part, le renforcement des mécanismes de péréquation verticale et le développement de nouveaux outils de péréquation horizontale ; d'autre part, l'instauration d'une CSG locale au profit des départements, à laquelle le président du Sénat est très favorable.
La proposition de loi, en développant ces deux axes, a pour objet d'amorcer la réforme ; j'espère, mes chers collègues, que vous la voterez très majoritairement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Lambert.
M. Alain Lambert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si je suis tout fait partisan de l'élargissement des « niches » réservées, dans l'ordre du jour, à l'initiative parlementaire, je souhaiterais que la qualité des propositions de loi que nous adoptons soit exemplaire. Or je ne suis pas sûr que nous parvenions, ce soir, à cette qualité.
Je me suis, en effet, totalement retrouvé dans les réserves que Jean-Pierre Fourcade a exprimées au nom de notre groupe tant sur le fond que sur les principes et sur la méthode.
Je voudrais, mes chers collègues, appeler notre assemblée à répondre collectivement à une sorte d'impératif de cohérence, cohérence de méthode législative d'abord, cohérence financière et cohérence économique ensuite.
S'agissant de la méthode législative, il y a quelque paradoxe. En effet, d'un côté, nous nous plaignons en permanence du manque de concertation préalable avec les élus locaux quant à l'élaboration des normes qui les concernent et, de l'autre, nous voterions soudain une proposition de loi d'orientation - excusez du peu ! -, sur les finances locales, sans avoir consulté en amont ni le comité des finances locales ni les associations d'élus locaux, et sans tenir aucun compte des nombreux travaux en cours !
La péréquation est une question très importante, comme les intervenants l'ont démontré, et ses implications sont multiples, selon les territoires et les types de collectivités.
Modifier aujourd'hui la notion de potentiel financier en lui fixant des objectifs sans avoir effectué des simulations et sans avoir consulté les organismes compétents, ce serait faire courir aux collectivités locales des risques budgétaires et cela irait totalement à l'encontre de la culture du dialogue, qui, seul, peut permettre d'édifier la législation responsable, efficace et stable que nous demandons en permanence.
En 2003 et 2004, le comité des finances locales a effectué un important travail préparatoire en vue de modifier les règles de répartition interne des dotations. En février 2007, il a mis en place un nouveau groupe de travail pour prendre en compte les résultats du recensement, associant les parlementaires de l'opposition et de la majorité, qui est chargé d'examiner la question de la péréquation.
Dès lors, ne serait-il pas plus raisonnable de laisser travailler le comité des finances locales, dont nous connaissons l'esprit constructif et de dialogue, afin d'avoir des propositions de qualité ?
De surcroît, le Premier ministre a installé, le 4 octobre dernier, la Conférence nationale des exécutifs, afin de mieux associer les collectivités locales à l'élaboration des normes nationales - le sujet dont nous débattons concerne non seulement les recettes, mais aussi les dépenses, ainsi que M. Michel Mercier l'a excellemment souligné -, au suivi de la législation européenne et à la réforme de la fiscalité locale que nous appelons tous de nos voeux.
Cette réforme doit être examinée dans le cadre de la revue générale des prélèvements obligatoires, qui sera conduite par Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, là encore en totale concertation avec tous les élus concernés.
Pour ma part, j'anime modestement - j'y consacre toutes mes journées - un groupe de travail spécifique sur les relations entre l'État et les collectivités locales, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques qui est engagée par le Gouvernement. Nous avons auditionné des représentants des collectivités locales, de toutes catégories, et nous envisageons de déposer notre rapport le 15 novembre prochain.
Le dialogue préalable avec les élus de terrain est, à mes yeux, la clé de la réussite de toute nouvelle réforme en matière de fiscalité locale et de répartition des dotations.
À cet instant, j'en appelle à notre fierté de sénateur. Ne pensons-nous pas, souvent à juste titre d'ailleurs, que nous sommes un législateur sage et que, lorsque nous écrivons la loi, à défaut de le faire « d'une main tremblante », nous nous inspirons de la pensée de Portalis ? Lui serions-nous fidèles, dans l'esprit, si nous adoptions le présent texte ce soir ?
Certes, lorsque Michel Mercier enseigne le droit à la faculté, il ne peut dire à ses étudiants que chaque loi que nous votons est un modèle de méthode législative. Néanmoins, il faudrait que le Sénat, premier représentant des collectivités territoriales aux termes de la Constitution, fasse preuve de sagesse au regard de cette exigence de méthode et de cohérence en veillant à ce que les élus locaux soient associés à l'élaboration des réformes qu'il vote.
S'agissant de l'impératif de cohérence financière, je serai bref, Michel Mercier ayant largement développé ce point à la fois dans son intervention et dans son rapport.
À l'article 1er, François Marc utilise la notion de potentiel financier. Elle représente, comme Michel Mercier l'explique très bien dans son rapport, le thermomètre servant à évaluer la richesse des collectivités territoriales et, actuellement, à répartir les dotations de péréquation.
En proposant de la modifier de manière quelque peu « brutale », selon le qualificatif utilisé par certains intervenants, vous prenez le risque de l'élargir considérablement et de la rendre floue, ce qui aurait, pour certaines collectivités territoriales, des conséquences importantes et imprévisibles, puisque nous ne disposons pas de simulation.
M. Mercier nous en donne un exemple : inclure les dotations de péréquation dans le potentiel fiscal pose déjà le problème de leur répartition, qui dépend précisément du potentiel financier lui-même.
Par conséquent, la cohérence financière est un impératif indissociable des relations entre l'État et les collectivités locales, qu'il s'agisse, je le répète, des dépenses ou des recettes.
. Jean-Pierre Fourcade a souligné tout à l'heure que la péréquation avait progressé, même si elle reste insuffisante. Ainsi, le taux de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement est passé de 6,66 % en 1994 à 15,05 % en 2007, tandis que la masse totale des crédits a plus que doublé, atteignant 5,9 milliards d'euros en 2007, contre 2,8 milliards d'euros en 2002.
Si la répartition actuelle des concours de l'État est jugée encore trop forfaitaire et insuffisamment péréquatrice, nous pouvons tout de même tous nous accorder sur le fait que cet élément s'inscrit dans un cadre plus large et qu'il serait dangereux de le traiter séparément.
Enfin, je veux insister sur l'impératif de cohérence économique et budgétaire.
Nos collectivités territoriales ne vivent pas en vase clos ; elles sont inscrites dans l'univers des comptes publics et se trouvent dans un contexte de compétitivité. Si la création d'une part additionnelle à la CSG au sein du partage des produits de cette contribution constitue une piste intéressante, qui a d'ailleurs déjà été évoquée à plusieurs reprises sur toutes les travées de cette assemblée, prévoir un rapport spécifique à ce titre serait, à mes yeux, excessivement dangereux et frôlerait l'improvisation.
La CSG ayant pour finalité de financer les dépenses de sécurité sociale, l'augmenter par la création d'une taxe additionnelle aurait des implications financières, dépassant largement les problématiques locales.
La réforme de la fiscalité locale doit être examinée dans le cadre d'une réforme globale de notre système des prélèvements obligatoires, tant fiscaux que sociaux, en prenant en compte les impératifs locaux, financiers et économiques.
Lorsqu'il a mis en place la Conférence nationale des exécutifs, le Premier ministre a souligné - je parle sous votre contrôle, monsieur le secrétaire d'État - que la réforme fiscale devrait être effectuée sans accroître la pression fiscale globale sur les ménages et les entreprises, qu'elle devrait garantir l'autonomie financière des collectivités tout en conciliant justice sociale et efficacité économique, qu'elle devrait éviter des transferts abrupts d'imposition qui la rendraient inacceptable et permettre de limiter à terme la part de la fiscalité locale pesant sur l'État.
Tel est le sens de la revue générale des prélèvements obligatoires.
Pour toutes ces raisons, je m'oppose à cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle.
Les recommandations de la commission des finances visent - pardonnez-moi l'expression - à « limiter les dégâts ». Si nous votions ce texte, nous aurions non pas accompli une avancée législative majeure, mais simplement évité le pire.
Je me tourne vers nos collègues du groupe socialiste : il ne me paraît pas raisonnable de persévérer dans la rédaction qu'ils proposent et, je le répète, à titre personnel, je voterai résolument contre toute initiative visant à la maintenir.
Si nous étions vraiment raisonnables, nous attendrions quelques semaines, le temps de déterminer une meilleure façon de légiférer sur le sujet.
Nous éviterions ainsi l'aventure dans laquelle nous nous engageons aujourd'hui, qui augure mal - je le dis comme je le pense -, de l'ordre du jour réservé au Parlement, sachant que nous devrions précisément donner l'exemple à l'exécutif de la bonne qualité législative. Or ce n'est pas ce que nous nous apprêtons à faire ce soir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Moreigne.
M. Michel Moreigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le début de la péréquation remonte, semble-t-il, au versement représentatif de la taxe sur les salaires, institué en 1966.
Puis, la création de la taxe professionnelle, chère à M. Fourcade, a abouti à la création des fonds départementaux et national de péréquation de la taxe professionnelle.
Enfin, se sont succédé tous les épisodes relatifs à la DGF.
Je vous rappelle, monsieur le rapporteur, que c'est la loi n° 83-1186 du 29 décembre 1983 portant modification des dispositions relatives aux relations financières et aux transferts de compétences entre l'État et les collectivités locales qui a introduit la dotation de fonctionnement minimale en faveur des départements défavorisés.
Vous n'étiez pas né ! (Sourires.) Je vous pardonne de l'avoir oublié, mais je tenais à faire ce rappel historique !
Il s'agissait, au sein de la DGF, de la première mouture de cette dotation de fonctionnement minimale, créée à la suite d'un engagement pris au Sénat par Gaston Defferre, lors de la séance du 2 décembre 1982.
M. Michel Mercier, rapporteur. Le 2 décembre, triste date pour la République !
M. Michel Moreigne. Vous n'étiez pas né ! Repentez-vous, il en est encore temps ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je reviens à mon propos. M. Defferre avait pris cet engagement en réponse à un amendement déposé par les représentants des départements de l'Ariège, du Territoire de Belfort, des Alpes-de-Haute-Provence et de la Creuse. Avec Michel Dreyfus-Schmidt, je suis le dernier survivant parmi les signataires !
Je saute plusieurs épisodes pour arriver à 1990, quand le Président de la République a incité, au cours d'un déplacement dans le Rhône, à mettre en oeuvre des mécanismes de péréquation « retirant à ceux qui ont beaucoup pour donner à ceux qui ont peu ». Il n'y a pas de meilleure définition de la péréquation.
Après les incidents de Bron - chez vous, monsieur le rapporteur ! -, ont vu le jour, en 1991, le fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France, la dotation de solidarité urbaine ou DSU, la majoration de la dotation de fonctionnement minimale ou DFM, puis, en 1992, le fonds de correction des déséquilibres régionaux.
J'arrête là cet historique, mais je tenais à vous le rappeler, jeune homme, puisque vous l'aviez oublié ! (M. le rapporteur proteste.)
M. le président. M. le rapporteur souhaiterait vous interrompre, mon cher collègue.
M. Michel Moreigne. Non, monsieur le président ! M. Mercier est un docte professeur de droit, dans une faculté brillante de Lyon. Qu'il me laisser terminer mon propos ; il aura assez de temps et de science pour me répondre le moment venu !
M. le président. En ce cas, poursuivez, mon cher collègue !
M. Michel Moreigne. J'ajoute qu'une péréquation volontaire s'est développée avec l'essor des groupements à fiscalité propre, issus de loi de 1992 relative à l'administration territoriale de la République, dite loi ATR.
En 1995, l'article 68 de la loi d'aménagement et de développement des territoires a posé le principe très intéressant de la réduction des écarts de ressources entre les collectivités territoriales, l'objectif étant de parvenir, en 2010, à une situation dans laquelle les ressources locales par habitant se situeraient dans une fourchette allant de 80 % à 120 % de la moyenne nationale.
Ce ratio reste d'ailleurs cher au coeur des législateurs, puisque notre rapporteur s'y réfère pour trouver que la situation de la région Limousin est très satisfaisante à cet égard. Mais il oublie les conséquences mathématiques que peut avoir un petit diviseur sur une fraction !
Sans revenir sur l'histoire récente - maintenant que je me suis un peu libéré ! (Sourires.) - je pose la question suivante : où en est-on aujourd'hui' ? Force est de constater que les sommes globales affectées à la péréquation restent faibles.
La taxe professionnelle a subi le sort que l'on sait, avec l'introduction de mécanismes de plafonnement qui ne prévoient aucune péréquation.
Plus encore, des amendements du groupe socialiste du Sénat destinés à mieux répartir certaines ressources se sont heurtés à l'hostilité de la majorité. J'ai à l'esprit un débat tout à fait récent, au cours duquel nous avons proposé de partager une partie de la manne des droits de mutation à titre onéreux, dont quelques pourcentages seulement auraient suffi à faire le bonheur de certaines collectivités. Or, là encore, le succès n'a pas été au rendez-vous.
Monsieur le rapporteur, vous vous êtes également opposé, avec la vigueur que nous vous connaissons, à notre proposition tendant à mieux répartir les charges de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, en plafonnant celles-ci à 21 % du potentiel fiscal de certains conseils généraux - vous devinez lesquels ! Notre démarche n'a pas été couronnée de succès, alors qu'elle concernait, je le rappelle, une enveloppe fermée du fonds de financement de l'APA, dont nous savons aujourd'hui que 800 millions d'euros restent, sinon disponibles, du moins non répartis.
Là encore, vous avez manifesté votre opposition avec une rigueur toute lyonnaise, en oubliant que c'est M. Jean Puech qui est allé affirmer à Mme Élisabeth Guigou, alors ministre de l'emploi et de la solidarité, que les présidents de conseils généraux étaient tout à fait désireux de s'occuper de l'APA - c'est ainsi que nous avons tous hérité de la gestion de cette prestation !
M. Alain Lambert. Il fallait voter la récupération de l'APA sur les successions !
M. Michel Moreigne. Je passe sur les modifications qu'ont subies les dotations de fonctionnement minimales des anciens départements pauvres, au point que, désormais, les départements urbains en sont tous bénéficiaires et que leur dotation de fonctionnement minimale progresse plus vite que celle des anciens attributaires ruraux ! Il s'agit là d'une décentralisation « dernière formule » et d'une péréquation qui n'est guère cohérente avec les orientations tracées par le Président de la République, en 1990, à la suite des événements de Lyon-Bron que j'évoquais tout à l'heure.
Je tiens à rendre hommage à certaines personnes de bonne volonté, tout particulièrement à Jean François-Poncet et Claude Bellot pour leur diagnostic sur la situation en points de charges des départements. Je cite aussi avec plaisir Joël Bourdin, qui a évoqué les disparités entre les collectivités dans son rapport rédigé au nom de l'observatoire des finances locales.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me permettrai de résumer les données financières de la Creuse, le département que j'ai l'honneur de représenter.
En ce qui concerne le ratio des droits de mutation sur les dépenses réelles de fonctionnement, la valeur médiane nationale est de 12,3 %, contre 6,92 % pour la Creuse. Les contributions directes médianes par habitant s'élèvent quant à elles à 278 euros, contre 217 euros seulement pour la Creuse, alors que, je me permets de vous le rappeler, monsieur le rapporteur, le dénominateur de cette fraction est un tout petit nombre.
S'agissant du ratio des dépenses d'équipement brut sur les dépenses totales, la valeur médiane nationale est de 13,9 %, contre 11,71 % pour la Creuse. On se demande, d'ailleurs, comment un département aussi faiblement doté peut encore avoir des dépenses d'équipement !
En ce qui concerne l'épargne de gestion, en euros par habitant, la valeur moyenne pour l'ensemble des départements est de 148 euros, contre 135 euros seulement pour la Creuse et, je le répète, le dénominateur est un tout petit nombre, puisque le département compte à peine plus de 120 000 habitants. On se demande bien comment, dans ces conditions, la Creuse peut avoir une épargne nette par habitant de 72,02 euros, contre 22 euros pour la moyenne nationale !
M. Michel Mercier, rapporteur. C'est qu'elle est bien gérée ! (Sourires.)
M. Michel Moreigne. Mes chers collègues, vous constatez que les écarts de richesse sont considérables, et vous aurez compris que, selon le document établi par l'observatoire des finances locales, le département que j'ai l'honneur de représenter se situe dans ce que l'on appelle le « mauvais quadrant ».
Bien entendu, vous le savez, je défends ici, depuis longtemps et avec obstination, l'aspiration des zones rurales à un aménagement du territoire équilibré, soucieux des particularités régionales et des écarts de richesse.
Or les plus hautes autorités de la République ont rappelé à plusieurs reprises que la Creuse n'était pas les Hauts-de-Seine ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. C'est sûr !
M. Michel Moreigne. Pour ceux qui en douteraient, je renvoie à un grand quotidien national, qui a rapporté fidèlement ces propos.
Comme mes collègues parlementaires creusois André Lejeune et Michel Vernier, je n'ai pu que me réjouir de voir reconnu l'état de fait que je viens de rappeler. Toutefois, je constate que les actes ne suivent pas.
Les collectivités les plus aisées - et le département du Rhône, monsieur le rapporteur, ne compte pas parmi les plus pauvres, François Marc l'a rappelé -, améliorent encore leur santé financière en accroissant leurs bases fiscales et les droits de mutation.
Cette prospérité semble d'ailleurs donner des idées à certains, puisque le pacte de croissance et de solidarité des dotations de l'État paraît sérieusement écorné dans le budget pour 2008. En outre, des rumeurs circulent sur une remise en cause du fonds de compensation de la TVA, qui sera sans doute décidée après les élections municipales. Nous verrons ce qu'il adviendra, mais cette mesure ne manquerait pas de pénaliser l'investissement public local, dont on connaît l'importance dans le total des investissements publics, surtout par comparaison avec ceux de l'État.
Depuis 2002, et le gouvernement Raffarin, le département que j'ai l'honneur de représenter a augmenté ses impôts de plus de 50 % - pas pour le plaisir, évidemment, mais pour équilibrer son budget !
La charge nette de l'APA est passée de quatre millions d'euros en 2004 à neuf millions d'euros en 2007. Le déficit cumulé de la compétence RMI s'élève aujourd'hui à cinq millions d'euros.
À ce paquet - si vous me permettez l'expression, mes chers collègues - il faut encore ajouter la suppression de la DGE première part, le plafonnement de la taxe professionnelle et quelques autres mesures. Aussi la chambre régionale des comptes a-t-elle été amenée récemment à constater que le département de la Creuse ne pouvait que très difficilement faire face à ses charges, sauf à augmenter chaque année la pression fiscale d'un taux de près de 10 %, comme l'a préconisé un cabinet de conseil reconnu et compétent - le cabinet Klopfer pour ne pas le citer.
En outre, la disposition de la loi de financement de la sécurité sociale visant à limiter les exonérations de charges en zone de revitalisation rurale coûterait cher au département de la Creuse - environ 1,5 million d'euros. Mes chers collègues, quand on sait qu'un point d'impôts en plus « rapporte » 330 000 euros au département, vous voyez ce que cette somme représente d'effort fiscal ! Je fais, bien entendu, ici allusion à l'article 12 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont j'ai cru comprendre qu'il avait subi un certain nombre d'améliorations, qui devront faire l'objet d'un examen attentif.
En bref, il manque au département de la Creuse quinze millions d'euros par an, c'est-à-dire une toute petite partie, de l'ordre du millième, de la dotation globale de fonctionnement de l'ensemble des conseils généraux.
Le Président de la République, qui a reconnu les besoins de ce département et souligné que la Creuse n'était pas les Hauts-de-Seine, s'est engagé à faire bouger les lignes. Or je ne pense pas qu'il soit insurmontable de déplacer de l'ordre d'un millième une ligne budgétaire, surtout si l'on songe avec quelle facilité on a offert un cadeau - mais le terme est sans doute exagéré ! - de quinze milliards d'euros à une minorité de personnes qui, de surcroît, semblent n'avoir rien réclamé !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais qui l'ont quand même accepté !
M. Michel Moreigne. C'est pourquoi, avec François Marc et un certain nombre de mes collègues, j'ai senti la nécessité de proposer de nouveau des mesures péréquatrices, notamment en faveur des conseils généraux.
Or, monsieur le rapporteur, vous qui êtes l'élu d'un département qui compte parmi les plus nantis - il faut le reconnaître, et vous l'admettrez sans doute vous-même tout à l'heure -, vous pervertissez en partie la proposition de loi d'orientation de François Marc. Il semble que, pour vous, il soit urgent de ne pas faire grand-chose, voire de ne rien faire du tout, si ce n'est compatir - je vous en remercie par avance ! -, et continuer à parler de péréquation.
Ainsi, monsieur le rapporteur, ont agi les habitants de Constantinople, qui poursuivaient leurs disputes sur le sexe des anges alors que leurs murailles s'effondraient sous l'assaut des assiégeants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois qu'il faut toujours en revenir à Charles Gounod (Marques d'étonnement.), à son célèbre opéra Faust et à ce choeur non moins célèbre où des soldats entonnent sur la scène : « Marchons, marchons ! » tout en restant sur place ! (Sourires.)
En effet, nous ne cessons d'entendre des discours selon lesquels il est urgent d'avancer et, pourtant, nous ne cessons de rester sur place !
Mme Françoise Henneron. Qu'avez-vous fait, vous ?
M. Jean-Pierre Sueur. Dès lors, il est heureux que des élus courageux comme François Marc nous proposent justement d'agir !
Monsieur Lambert, j'ai été étonné par vos griefs assez vifs. Pour ma part, j'ai modestement suivi les travaux qui ont été menés pendant deux années autour de François Marc et qui ont abouti à la production de cet important rapport intitulé Perspectives de réforme des finances locales. (M. Jean-Pierre Sueur montre un exemplaire de ce rapport.)
Ce travail considérable a permis de dégager, après de très nombreuses auditions, plusieurs axes de réforme susceptibles de changer vraiment les choses ; cette proposition de loi s'en inspire directement.
Certes, mon cher collègue, il y a Portalis ! (M. Jean-Pierre Sueur se tourne vers la statue de Portalis située derrière lui. - Marques d'étonnement.)
On nous rétorque que si Portalis était des nôtres, il jugerait que la proposition de loi de M. Marc ne convient pas. Or je n'en suis pas certain.
Monsieur le secrétaire d'État, si Portalis nous regardait, s'il revenait et s'il constatait, par exemple, que l'important travail législatif réalisé autour de la loi de finances initiale pour 2008 se trouve derechef interrompu, afin de présenter au Parlement, en toute urgence, une proposition de loi singulière, dans tous les sens du terme, destinée à aider certain parti politique, que connaît bien M. Michel Mercier, d'ailleurs, à trouver son financement, que dirait Portalis ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Mercier, rapporteur. Tournez-vous plutôt vers Turgot !
M. Jean-Pierre Sueur. Si Portalis lisait les projets de loi que nous transmet le Gouvernement, il aurait matière à réflexion. Or, il m'a semblé justement que la proposition de loi de François Marc était d'une simplicité et d'une clarté particulières, qui lui eussent peut-être valu l'attribution du prix Portalis, si celui-ci avait existé. (Sourires.)
Au fond, nous butons sur trois problèmes.
Tout d'abord, les valeurs locatives, qui témoignent depuis très longtemps d'un ahurissant immobilisme de la part de l'ensemble des responsables politiques - et nous sommes ici tous concernés !
Mme Françoise Henneron. C'est bien de le reconnaître !
M. Jean-Pierre Sueur. Quand on explique aux gens que, pour l'impôt foncier, les critères en vertu desquels les valeurs locatives sont calculées datent de quarante-six ans, et, pour les taxes d'habitation, de trente-sept ans, me semble-t-il, ils trouvent tous ce système archaïque, et cela à juste titre !
Mes chers collègues, j'habite à Orléans, une très importante commune de notre pays, dans un quartier qui s'appelle La Source parce que s'y trouve la source du Loiret, un cours d'eau très considérable (Sourires.) qui a donné son nom à notre département.
M. Michel Mercier, rapporteur. Ainsi que le centre des chèques postaux !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, monsieur le rapporteur, vous connaissez bien le sujet et je vous en félicite !
Or, les habitants de ce quartier, que Mme Janine Rozier connaît également très bien, se plaignent parce que les impôts locaux qui ont été définis lorsque ce quartier s'est construit, dans ce qui était alors considéré comme l'équivalent d'une ville nouvelle, sont devenus au fil du temps plus élevés que ceux qui sont acquittés dans nombre de secteurs de l'agglomération dont les caractéristiques différent aujourd'hui de celles de La Source.
Les représentants de l'Association des habitants de La Source se sont rendus avec moi-même à Bercy pour demander une étude, laquelle a sans doute été en partie effectuée, mais ils n'ont pas réussi à en connaître les résultats à ce stade. Si bien qu'on est en pleine opacité. Il est impossible aujourd'hui d'obtenir des informations ou des évolutions, même sur la base du « coefficient d'entretien », qui est l'un des éléments de calcul de la valeur locative.
Très franchement, cette grande opacité décourage tout le monde et il est donc absolument impératif de traiter cette question et de faire bouger les choses pour arriver à plus d'équité dans la fiscalité locale. D'ailleurs, dans le rapport du groupe socialiste sur cette question, intitulé Perspectives de réforme des finances locales, mon collègue François Marc présente des propositions susceptibles de donner lieu à une seconde proposition de loi, qui viendrait utilement compléter celle que vous allez certainement voter, du moins je l'espère, dans quelques instants.
Le deuxième problème, c'est la prise en compte des revenus dans la fiscalité locale. À cet égard, je me souviens du rapport parlementaire lumineux sur ce sujet qu'avait établi Edmond Hervé, le maire de Rennes, dans lequel il faisait un grand nombre de suggestions. Nombre de pays d'Europe, comme on peut d'ailleurs le lire dans le rapport de François Marc, prennent en compte les revenus pour établir leur fiscalité locale. Ce point est d'ailleurs également très bien expliqué dans le rapport de la commission.
Il faudrait donc que nous en tirions les conséquences, et c'est ce que notre collègue nous propose de faire. Pourtant, comme d'habitude, à mon grand regret, on va nous expliquer que ce n'est pas le moment. Je le regrette.
Le troisième problème, c'est la péréquation. Le mode de répartition des dotations de l'État est un sujet très important dans notre pays, puisque l'État - situation assez singulière ! - est le premier contributeur en ce qui concerne les impôts locaux. Tout le monde le sait, c'est lui qui paie le plus.
À ce titre, je me souviens des déclarations enflammées des uns et des autres lors de l'introduction de cette fameuse péréquation à l'article 72-2 de la Constitution. Plus d'un trouvait alors formidable d'inscrire dans notre loi fondamentale que « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. »
M. Michel Moreigne. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Que s'est-il passé depuis ? Notre nouveau Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, se dépense dans de nombreux domaines. Il donne même parfois le sentiment d'occuper également les fonctions de tous les ministres, y compris celles du premier d'entre eux.
J'ai cependant remarqué qu'il était assez peu bavard - je me permets de vous le signaler, monsieur le secrétaire d'État, car c'est un créneau que vous pourriez mettre à profit (Sourires.) - sur tout ce qui concerne les collectivités locales : lui qui parle beaucoup, à tout moment et sur tous les sujets, il n'en parle pas ! Peut-être son expérience politique ne l'a-t-elle pas forcément conduit sur les chemins de la péréquation ? (Nouveaux sourires.) Il n'évoque pas beaucoup ni les communes, ni les départements, ni les régions, ni la fiscalité locale, ni l'évolution de la décentralisation. Dans ces domaines, je n'ai pas senti un grand désir de ruptures. Il serait pourtant possible d'en accomplir certaines, notamment en matière de valeur locative, de prise en compte du revenu et de péréquation.
Selon vous, monsieur Lambert, la DGF aurait déjà un effet péréquateur non négligeable. Examinons donc la situation.
La DGF atteint 39 milliards dans la loi de finances pour 2007. Quant à la péréquation, elle représenterait 5,9 milliards d'euros, soit 15 % de la DGF. Mais je redis ici que je ne suis pas convaincu par le rapport de MM. Gilbert et Guengant.
Observons en effet de plus près ces 15 % dits péréquateurs à l'intérieur de la DGF.
La DSU, la dotation de solidarité urbaine, que nous pourrions d'ailleurs améliorer, est certes péréquatrice, mais elle représente moins de 1 milliard d'euros.
La DSR, la dotation de solidarité rurale, aboutit à un tel éparpillement des crédits que son effet péréquateur paraît assez faible. C'est cependant le choix qui a été fait.
Quant à la dotation d'intercommunalité, elle correspond à une somme de 2,2 milliards d'euros. Êtes-vous sûrs, mes chers collègues, qu'elle ait un effet péréquateur ? Les communes concernées par la DGF font partie d'intercommunalités qui en sont également bénéficiaires. Si l'on intègre cet aspect, comme l'a évoqué M. Claude Biwer tout à l'heure, on se rend compte que l'intercommunalité engendre le plus souvent des mouvements totalement mécaniques au sein de la DGF, sans le moindre effet péréquateur.
La vérité, c'est que dans les 15 % dits de péréquation, il doit y avoir 6 % ou 7 % de vraie péréquation. Il faut donc faire quelque chose !
Ce que préconise mon collègue François Marc a le mérite de la clarté. On lui répond que ses propositions sont trop compliquées. Il faudrait peut-être un jour étudier, de ses origines jusqu'à nos jours, l'histoire de la DGF - mais beaucoup de tâches sont devant nous, et la vie est courte ! -, pour montrer comment l'addition de quantité de bonnes intentions, de dotations, de sous-dotations, de critères, aboutit à un dispositif de plus en plus illisible.
Avant la réforme proposée par notre collègue Daniel Hoeffel, le calcul de la DGF intégrait soixante à soixante-dix critères différents. Il y a d'ailleurs ici d'excellents spécialistes de ces questions, qui ont écrit des livres admirables sur ce sujet ; ils se reconnaîtront. On prenait tout en compte, y compris la voirie. On a ensuite décidé de rapporter les sommes affectées à ce titre au nombre de kilomètres carrés. Puis on a pris en compte de manière spécifique le nombre de kilomètres de routes de montagne. On a ensuite créé une première dotation touristique, plus tard une deuxième...
La prise en compte de tous ces critères aboutissait à quelque chose d'illisible. M. Hoeffel a alors proposé de « cristalliser » le système, en créant un ensemble qu'il a appelé dotation forfaitaire. Mais celle-ci découle du système qui existait auparavant, si bien que c'est en fait un monument d'illisibilité.
Vous affirmez, mes chers collègues, que toute réforme est très difficile parce que très compliquée. Or, selon moi, la vraie réforme, c'est celle qui aurait le courage de rebâtir une DGF et, donc, un système de péréquation, à partir de trois ou quatre critères seulement. Vous remarquerez qu'une telle réforme est totalement compatible avec les excellentes propositions que mon collègue François Marc a eu la bonne idée de nous faire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
I. - Après la première phrase du onzième alinéa de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« À compter de [année suivant celle d'entrée en vigueur de la présente loi], cette garantie évolue selon un taux égal au plus à 15 % du taux de progression de l'ensemble des ressources de la dotation globale de fonctionnement. »
II. - Pour être applicable, le dispositif visé au I du présent article doit être précédé de la remise par le gouvernement de simulations adéquates.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Marc et Bel, Mme M. André, MM. Angels, Auban et Badinter, Mme Bergé-Lavigne, M. Besson, Mme Boumediene-Thiery, Y. Boyer et Bricq, MM. Charasse, Courteau, Dauge et Demerliat, Mme Demontès, M. Domeizel, Mme Durrieu, MM. Frécon, Frimat, Guérini et Haut, Mme Herviaux, MM. Journet et Le Pensec, Mme Le Texier, MM. Madec, Massion, Miquel, Moreigne, Peyronnet, Picheral et Piras, Mme Printz, MM. Raoul, Repentin, Ries et Saunier, Mme Schillinger, MM. Sergent, Sueur et Sutour, Mme Tasca, MM. Teston, Todeschini, Tropeano, Yung et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
I. - Dans le but de garantir aux collectivités territoriales les moyens financiers leur permettant d'assurer de façon équitable sur tout le territoire de la République un service public de proximité de bonne qualité, la loi définit les conditions d'un rapprochement progressif de leurs potentiels financiers.
Conformément au cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, la plus prochaine loi de finances met en place les dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales.
Cette loi arrête les éléments de la dotation forfaitaire et de la dotation de péréquation constitutive de la dotation globale de fonctionnement des communes, des départements et des régions.
Elle définit pour les régions, départements et pour chaque strate démographique communale, respectivement, une fourchette de variation du potentiel financier par habitant en fonction de la moyenne de la catégorie ou de la strate de population.
Les mécanismes de péréquation mis en place doivent en tout état de cause conduire à ce qu'aucune commune n'ait, dans le délai fixé par la loi, un potentiel financier par habitant inférieur à 80 % du potentiel financier moyen de sa strate démographique. Pour les départements, ce taux serait de 90 % et pour les régions de 95 %. La mesure des seuils ainsi déterminés s'opère sur la base d'une redéfinition précise du critère potentiel financier.
II. - Le dispositif prévu au I donne lieu à la mise en place d'un mécanisme de lissage de ses effets sur une période de dix ans, afin de limiter ses conséquences financières pour les collectivités.
III. - Les dispositions du I et du II entrent en vigueur à une date fixée par décret après avis du Comité des finances locales, lequel délibère au vu des simulations des effets de la mesure, fournies par l'administration dans les trois mois qui suivent l'adoption de la présente loi.
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Compte tenu de l'heure, je ne reviendrai ni sur tous les arguments qui ont été échangés, ni sur la position de M. le secrétaire d'État, ni sur les observations faites par mes collègues concernant cette proposition de loi.
S'il en était besoin, notre collègue Jean-Pierre Sueur vient d'apporter toutes les justifications nécessaires à la réflexion entreprise, depuis deux ans déjà, par le groupe socialiste, sur ce qui pouvait être fait en la matière. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, les bureaux de chacun des trois cent trente et un sénateurs croulent sous des tonnes de rapports et de documents divers et variés concernant la réforme des finances locales. Aujourd'hui, nous savons, me semble-t-il, ce vers quoi il faut tendre, la péréquation étant une préoccupation très largement partagée.
Certains ont évoqué une absence de concertation et de consultation. À ce titre, je me contenterai de rappeler l'existence d'un document commun, établi voilà trois semaines, par différentes associations d'élus, lesquelles réclament toutes la mise en oeuvre d'une péréquation améliorée. Cela démontre à quel point nous sommes en phase avec les attentes du pays, en particulier celles des élus locaux.
Sur la base donc d'un travail approfondi privilégiant la consultation, nous avons élaboré cette proposition de loi d'orientation, qui, certes, ne s'intéresse pas à l'ensemble des aspects des finances locales. Jean-Pierre Sueur a démontré à l'instant combien il est difficile de toucher à tout en même temps. Cependant, sur deux points particuliers, à savoir l'introduction des revenus dans la fiscalité locale, avec la création d'une part de CSG départementale, et l'amélioration de la péréquation, ce texte fournit des orientations utiles, qui pourraient être mises en oeuvre rapidement dans les prochaines années.
Je remercie M. le rapporteur, qui a tenu des propos constructifs sur cette proposition de loi. Celle-ci permettrait d'améliorer la péréquation entre collectivités, par la redistribution de 1 milliard d'euros, alors que la DGF, nous le savons bien, atteint 39 milliards d'euros Vous pouvez ainsi mesurer, mes chers collègues, l'ampleur tout à fait modeste de l'avancée proposée. Au surplus, le texte prévoit un lissage sur dix ans, ce qui permet de déduire que son application annuelle conduirait à un redéploiement des dotations représentant environ 100 millions d'euros.
Sur l'article 1er du texte, la commission des finances s'est interrogée et a pris des dispositions qui, je le crois, ne vont pas dans la bonne direction.
Tout d'abord, elle nous propose d'exclure les départements et les régions du nouveau dispositif de péréquation. Or, au cours des quatre années passées, chacun le sait, les collectivités qui ont été le plus touchées par les lois de décentralisation sont les départements, qui ont eu à gérer une situation financière de plus en plus complexe. Comme mon collègue Michel Moreigne l'a clairement démontré tout à l'heure, il est aujourd'hui nécessaire d'améliorer la situation des départements les plus modestes.
M. Alain Lambert, quant à lui, a estimé que la proposition de la commission des finances, si elle n'était pas très bonne, « limitait les dégâts ».
M. Alain Lambert. Les dégâts que vous risquez de créer vous-même !
M. François Marc. Si j'ai bien compris, la péréquation, dans son esprit, crée des dégâts, qu'il est donc nécessaire de limiter. Exclure du dispositif les départements et les régions lui paraît donc de nature à donc « limiter les dégâts ».
Notre collègue Jean-Pierre Fourcade a, quant à lui, estimé « astucieux » d'exclure les départements et les régions de la péréquation. Je lui laisse la responsabilité des propos qu'il a pu tenir à cet égard.
En tout état de cause, la position de la commission des finances s'apparente à un refus manifeste de toute avancée sur le terrain de la péréquation.
D'ailleurs, mes chers collègues, je vous recommande de lire, à la page 27 du rapport, le passage qui explique parfaitement ce qui a motivé la commission pour nous proposer une nouvelle rédaction de l'article 1er de la proposition de loi : « Votre commission des finances considère qu'il n'est ni possible ni souhaitable de proposer une réforme d'ampleur de la péréquation, dans le cadre de la présente proposition de loi ». Les choses sont claires !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. François Marc. Il ne faut ni tricher ni s'abriter derrière de faux-semblants. D'un côté, après une réflexion approfondie, nous proposons, en revenant à la rédaction initiale de l'article 1er, d'améliorer le mécanisme de la péréquation pour les communes, les départements et les régions ; d'un autre côté, la rédaction retenue par la commission ne comporte aucune avancée significative et tend même à une régression.
Aussi, cet amendement se justifie pleinement, puisqu'il tend à rétablir l'article 1er dans sa rédaction initiale et, partant, à faire progresser le mécanisme de péréquation. S'il devait ne pas être adopté par le Sénat, la péréquation ne connaîtrait aucune avancée significative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L'amendement de M. Marc a pour objet de rétablir l'article 1er dans sa rédaction initiale.
M. Bernard Frimat. C'est logique !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mon cher collègue, vous avez assez souvent raison, mais, dans ce cas d'espèce, vous avez entièrement tort et je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
M. Bernard Frimat. « Essayer » !
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que l'idée de M. Marc et de ses collègues visant à améliorer le mécanisme de la péréquation procède d'une bonne intention. Le seul problème est de savoir comment l'on s'y prend et ce que l'on fait.
Je voudrais dire ceci à Michel Moreigne : « Amicus Moreigne, sed magis amica veritas » ! (Sourires.) Mon cher collègue, j'apporterai deux ou trois petites corrections à votre intervention, par ailleurs excellente, qui me permettront de répondre à M. Marc.
En premier lieu, vous avez évoqué ce que vous avez appelé les incidents de Lyon-Bron. Il se trouve que j'étais présent ce jour-là. Il ne s'agissait pas du tout d'incidents. En réalité, le chef de l'État présidait une grande assemblée réunissant le ban et l'arrière-ban de la République pour parler de la politique de la ville. Ce sujet ne passionnait que modérément le Président de la République. Je me rappelle d'ailleurs avoir eu avec lui à cette occasion une conversation qui m'a marqué et que je garde en mémoire. Il s'agissait tellement peu d'un incident que nous nous sommes tous retrouvés vers treize heures quinze chez Léon de Lyon ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Ah !
M. Michel Mercier, rapporteur. Voilà pour le premier point, mon cher collègue : il y avait non pas divergence, mais au contraire convergence.
En second lieu, je vous accorde que le département de la Creuse connaît un vrai problème et qu'il faudrait peut-être traiter son cas à part.
M. Bernard Frimat. Très bien ! Vous progressez !
M. Michel Mercier, rapporteur. Cependant, toute mesure d'ordre général doit préalablement faire l'objet de simulations. Or, la proposition de loi de notre collègue n'en comporte aucune.
Monsieur Moreigne, consultez le tableau qui se trouve à la page 24 du rapport. Vous constaterez que la Creuse ne compte pas parmi les départements qui seraient bénéficiaires du dispositif visé dans le texte qui nous est proposé, et ce pour deux raisons très simples : d'une part, elle bénéficie déjà d'un certain nombre de mesures péréquatrices et, d'autre part, son potentiel fiscal élargi au sens de la proposition de M. Marc se situerait à 550 euros par habitant, soit 50 à 60 euros au-dessus du seuil lui ouvrant droit aux aides.
Vraiment, j'aurais de la peine à voter l'amendement de M. Marc, car, s'il était adopté, la Creuse qui, comme vous nous l'avez très bien expliqué, a besoin de beaucoup ne percevrait rien !
M. Michel Moreigne. Merci !
M. Michel Mercier, rapporteur. Elle ne percevrait rien parce que nous ne disposons malheureusement d'aucun moyen statistique, d'aucune étude, d'aucune simulation, autant d'éléments indispensables pour la rédaction d'une telle proposition de loi. Même la Direction générale des collectivités locales n'a pu nous être d'une aide quelconque.
Nous touchons là à un problème fondamental de nos institutions auquel M. Balladur proposera peut-être, comme je l'espère, de porter remède.
L'ambition de M. Marc est une ambition ancienne, partagée par tous. Un certain nombre de ceux qui sont présents dans cet hémicycle se souviennent d'avoir voté, dans le cadre de l'examen de la loi Pasqua et sur proposition de ce dernier, une disposition identique à celle qui nous est proposée aujourd'hui par notre collègue. Bien qu'adoptée à l'unanimité, elle ne fut jamais mise en oeuvre.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement de M. Marc. Je reconnais tout à fait que l'article 1er, dans la rédaction proposée par la commission, est d'une portée bien plus modeste : s'il tend à limiter l'augmentation du complément de garantie de la DGF des communes, il présente cependant l'avantage de renforcer la péréquation à leur profit, pour un coût d'environ 10 millions d'euros par an.
Une fois que le groupe de travail sur l'impact du recensement, constitué au sein du comité des finances locales, aura rendu ses conclusions, ainsi que l'a rappelé M. Lambert, il sera peut-être possible d'aller plus loin. Mais à ce jour, ainsi que l'atteste l'exemple de la Creuse, nous ne pouvons légiférer à l'aveuglette. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. Bernard Frimat. Votre intervention était ... creuse ! (Rires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Monsieur Marc, vous proposez, par votre amendement, de rétablir l'article 1er dans sa rédaction initiale.
J'ai eu l'occasion, tout à l'heure, d'exprimer le point de vue du Gouvernement sur la rédaction proposée par votre commission. Il vaut aussi pour votre amendement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous exprimé la volonté de voir améliorer le mécanisme de la péréquation. Monsieur Marc, je ne peux vous laisser dire que le Gouvernement ne partage pas cet objectif. Je rappelle que, cette année, la dotation de solidarité urbaine augmentera de 9,4 % et que la dotation de solidarité rurale progressera dans une proportion identique, si le comité des finances locales en est d'accord.
La péréquation n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui. Nous sommes évidemment favorables à son amélioration. Néanmoins, nous pensons qu'il n'est pas opportun de modifier par petites touches la répartition de la DGF. Pour cette raison, nous vous invitons à prendre en considération les contributions de votre collègue Alain Lambert, à attendre les conclusions du groupe de travail constitué au sein du comité des finances locales sur l'impact du recensement et, enfin, à étudier avec la Conférence nationale des exécutifs l'effet que pourrait avoir un déplacement du curseur dans un sens ou dans un autre.
Nous ne disposons pas réellement d'études sur les effets que pourrait avoir votre amendement, monsieur le sénateur. En particulier, nous ignorons quelles seraient les conséquences des transferts auxquels vous proposez de procéder, dont le montant atteint tout de même 2,5 milliards d'euros pour les communes et plus de 140 millions d'euros pour les départements. En outre, j'observe que votre amendement ne s'appliquerait pas aux régions, qui ne sont pas concernées par le critère du potentiel financier.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. J'ai écouté avec attention les remarques qu'a suscitées cette proposition de loi. J'ai beaucoup apprécié la façon dont Michel Moreigne nous a présenté la situation de la Creuse, car elle illustre bien les difficultés dans lesquelles se trouvent les départements, dont on ne prend jamais en compte les charges qui leur ont été transférées quand on analyse la situation de leurs ressources.
Monsieur le rapporteur, en montrant que la Creuse ne bénéficierait aucunement de la réforme de la péréquation telle que la propose notre collègue dans son amendement, vous illustrez à votre tour parfaitement mon propos.
Aujourd'hui, nous sommes dans une situation très particulière : les ressources et le potentiel financier d'un département ou d'une commune sont analysés sans jamais qu'il soit véritablement tenu compte de ce que sont leurs charges réelles. C'est un problème pour appréhender au mieux la situation financière des collectivités territoriales.
Prenons l'exemple d'un département très industrialisé comme la Seine-Saint-Denis. On pourrait penser qu'il dispose de moyens extrêmement importants. Or, compte tenu des charges qui lui incombent, de la composition de sa population et de la faible capacité contributive de cette dernière, il rencontre de vraies difficultés pour supporter le coût des services nécessaires à la vie quotidienne de ses habitants. Tant qu'on raisonnera à masse constante, on ne progressera pas. C'est là un point faible de cette proposition de loi, qui, par ailleurs, me semble intéressante.
L'État affirme consentir cette année un effort en matière de DGF, mais il le fait payer aux collectivités qui bénéficient de la DCTP. S'agit-il nécessairement de collectivités très riches, dont les populations peuvent être mises à contribution ?
Un certain nombre de communes qui se retrouvent dans cette situation ont, depuis plusieurs années déjà, potentiellement perdu des capacités par rapport à d'autres qui, pour leur part, ont vu leurs capacités se développer. Je rejoins notre collègue Jean-Pierre Sueur quand il affirme que l'effet péréquateur de la DGF est inférieur à 10 %. De fait, certaines collectivités vivent moins bien qu'il y a quelques années en raison de la baisse de leurs recettes qu'ont provoquée ces formules.
J'admets qu'il serait utile de procéder à des analyses complémentaires et qu'il ne serait pas opportun de procéder à des changements par petites touches. Pourtant, la loi de finances pour 2007 a apporté une modification à la DGF- précisément par une petite touche -, qui a concerné environ 3 000 communes et qui a porté sur 13 millions d'euros.
Une véritable réforme de la péréquation passe par l'engagement de moyens supplémentaires.
Des deux propositions que j'ai faites, je n'en rappellerai qu'une seule. L'État perçoit le produit de la cotisation minimale de taxe professionnelle, qui devrait normalement échoir aux collectivités locales. L'an prochain, il percevra à ce titre 2,5 milliards d'euros, contre 2,3 milliards d'euros cette année. Pour quelle raison ce système anormal perdure-t-il ? Pourquoi l'État encaisse-t-il le produit d'une taxe destinée aux collectivités territoriales ?
Malheureusement, la proposition de loi que nous examinons n'est pas suffisamment aboutie pour régler cette question. Aussi, je m'abstiendrai sur l'amendement que présente notre collègue François Marc, tout en précisant que la rédaction proposée par la commission pour l'article 1er ne me convient absolument pas.
M. le président. La parole est à M. Charles Guené, pour explication de vote.
M. Charles Guené. La générosité des auteurs de la présente proposition de loi m'émeut. En tant que « rural », je me demande même si je ne serais pas allé plus loin...
Cela dit, il est assez curieux de voir comment l'inspiration vous vient, mes chers collègues du groupe socialiste, lorsque vous n'êtes plus aux affaires. M. Sueur devient carrément lyrique, qui nous entonne un fabuleux opéra sur l'air du « Marchons ! Marchons ! ». « Et même dans le brouillard ! », serais-je tenté d'ajouter, tant est grand votre état d'impréparation, comme l'ont très bien montré nos collègues Jean-Pierre Fourcade et Alain Lambert. (Sourires.)
La précipitation est évidente et le plus grave, c'est qu'il n'y a pas eu de concertation, avouez-le, et encore moins de simulation.
Il est utile de rappeler, surtout en ce moment, que le Président de la République lui-même a adressé une lettre de mission à Mme Lagarde, précisant que, dès 2008, les valeurs locatives seraient modernisées et que la réforme serait axée à la fois sur la péréquation, mais également sur les quatre principes suivants : « proscrire autant que faire se peut la superposition des autorités ayant un pouvoir de taux sur une même assiette, attribuer à chaque collectivité territoriale un niveau de diversification suffisant de ses ressources fiscales, supprimer à terme toute interposition de l'État entre les collectivités et les contribuables, enfin, limiter les transferts entre collectivités ».
On sent qu'une réforme est prête, et je crois que nous ne pouvons vraiment pas retenir les propositions qui nous sont faites aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle notre groupe ne votera pas cet amendement, bien qu'il en soit tenté.
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. L'amendement que nous vous soumettons vise à créer un filet de sécurité pour les collectivités : on ne peut pas laisser les plus pauvres d'entre elles dans l'état où elles peuvent parfois se trouver, avec, au surplus, l'augmentation des charges transférées. C'est la base de cette proposition. On peut y être opposé, mais il faudra s'en expliquer auprès des élus.
S'agissant de la Creuse, qui a été évoquée, l'argument ne tient pas, cher collègue Michel Mercier, parce que la question du potentiel financier mérite un réexamen attentif avant que l'on puisse refaire les comparaisons. C'est un sujet sur lequel nous aurons de nouveau l'occasion de débattre.
Permettez-moi d'ajouter qu'il me paraît dangereux de voter la version de cet article 1er qui nous est proposée par la commission des finances. Pourquoi ? Certains d'entre vous ont prétendu qu'aucune simulation ni aucun chiffrage n'avaient été réalisés. Nous, nous les avons faits pour votre proposition !
Ces chiffrages, qui ont été effectués par des experts spécialisés dans ce domaine, donnent les indications suivantes : ce sont non pas 10 millions d'euros, mais 7 millions d'euros qui pourraient être déplacés avec votre proposition, monsieur le rapporteur. Cette somme serait à répartir par le comité des finances locales entre la DSU, la DNP, la dotation des groupements, et la DSR. Donc, il n'y a pratiquement aucune chance que la DSR en soit destinataire, ou alors elle le sera très peu, compte tenu du mode d'affectation habituel et du besoin en DNP.
L'idée d'abaisser le seuil pour favoriser la péréquation paraît logique, mais elle ne fonctionne que pour les départements et les régions. Or vous avez décidé de les exclure. D'après une étude approfondie menée en 2006, l'impact de la réforme de la dotation forfaitaire est tel que 56 % des communes à faible potentiel fiscal sont défavorisées par la désindexation de la DGF à travers la garantie que vous voulez accroître, alors que 75 % des communes à fort potentiel en bénéficient.
Donc, avec votre système qui s'appuie sur l'extension du dispositif de garantie, on obtient un résultat contre-péréquateur. En effet, je le souligne à nouveau, sur l'ensemble des communes, les 75 % les plus aisées bénéficieront de la garantie de façon plus avantageuse, tandis que les 56 % les plus défavorisées, qui ont un faible potentiel fiscal, subiront encore un peu plus l'écart de ressources qui naît de l'attribution de DGF.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur ce point : si notre amendement n'est pas adopté par le Sénat, on en reviendra à la formulation retenue par la commission des finances. Mais cette solution, je le souligne, est contre-péréquatrice et va exactement à l'opposé de l'objectif que nous avons cherché à atteindre dans notre proposition de loi.
Dans ces conditions, nous appelons à voter notre amendement et, en tout état de cause, à ne pas adopter cette formulation, laquelle est la pire qui soit par rapport à la péréquation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Lumineuse démonstration !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 16 :
Nombre de votants | 321 |
Nombre de suffrages exprimés | 298 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 150 |
Pour l'adoption | 104 |
Contre | 194 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 1er.
Mme Gisèle Gautier. Je m'abstiens !
(L'article 1er n'est pas adopté.)
Article 2
Avant le 1er septembre 2008, le Gouvernement dépose devant le Parlement un rapport étudiant les modalités de la substitution éventuelle, à la part départementale de la taxe d'habitation, d'une part additionnelle à la contribution sociale généralisée.
Ce rapport explore notamment les conditions et les limites dans lesquelles le taux de la part additionnelle visée au précédent alinéa pourrait faire l'objet d'une modulation à l'initiative des départements.
Il s'appuie sur toutes simulations utiles, quant aux effets d'une éventuelle réforme pour les contribuables, pour les départements, et pour le budget de l'État. Il envisage les dispositifs transitoires de lissage des effets de cette réforme pour les contribuables.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, sur l'article.
Mme Marie-France Beaufils. La proposition qui nous est faite dans cet article 2, et qui rappelle un peu la défunte taxe départementale sur le revenu dont il fut question voilà quelques années pour remplacer la taxe d'habitation, n'emporte pas mon adhésion, bien au contraire. Nous ne sommes pas favorables à une telle évolution du financement des collectivités locales.
Il s'agit d'un problème qui ne date pas d'aujourd'hui et qui nous semble important. Il existe un décalage entre la réalité de la taxe d'habitation dans chacun des départements métropolitains, qu'il s'agisse de l'assiette, du taux d'imposition ou du produit fiscal, et la réalité du revenu des résidents desdits départements.
On pourrait citer plusieurs exemples, mais je me contenterai d'évoquer la région Nord-Pas-de-Calais. En 2006, le revenu fiscal de référence moyen était de moins de 15 200 euros dans le département du Nord, et de 14 000 euros dans celui du Pas-de-Calais. A contrario, dans la Ville de Paris, le revenu de référence par foyer fiscal approche 28 000 euros, avec une distribution relativement éparse.
Je ne reviendrai pas dans le détail de cette situation, mais l'on sait que le profil de l'ensemble de la taxe d'habitation est différent dans chacun des départements concernés.
Si l'on s'intéressait aujourd'hui à la façon dont s'applique la CSG dans les départements, on trouverait des inégalités très importantes entre eux en fonction des revenus. Autrement dit, on risquerait de connaître les mêmes écarts, compte tenu des ressources qui sont celles que l'on connaît aujourd'hui, et de se retrouver face à la nécessité d'une modulation impérieuse de la CSG selon les départements, en fonction de la situation de la population.
Par ailleurs, il y aurait transfert entre contribuables, puisque le montant de la CSG porterait sur l'ensemble des revenus compris dans l'assiette, ce qui risquerait d'accentuer encore les disparités.
Ce serait donc une forme de pénalisation des foyers fiscaux comprenant deux salariés, voire plus. Un enfant majeur travaillant et contraint de rester au domicile serait aussi conduit à participer.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous ne pouvons approuver cet article 2.
S'il est nécessaire de trouver les moyens de répondre au besoin de financement des obligations sociales qui ont été transférées vers les départements, nous pensons que c'est dans le périmètre d'action de la sécurité sociale que nous devons trouver une réponse à cette question.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. À ce stade du débat, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi ayant été privée de son article 1er, le rapporteur de la commission des finances avait essayé de préserver à ce texte un seuil de crédibilité, de faisabilité.
M. François Marc. Cela va mal finir !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Malheureusement, le souhait absolu des auteurs de la proposition de loi n'a pas permis d'avancer.
J'ai bien conscience que nous avons d'importants rendez-vous et que le rapport que doit déposer Alain Lambert dans les prochaines semaines devrait nous permettre de cadrer notre débat. Ce sera certainement très stimulant et exaltant.
Les contraintes sont telles que le temps est révolu où l'on pouvait spéculer sur les largesses de l'État. Sur toutes les travées, on appelle à la réduction du déficit public et au désendettement. Nous rêvons tous, naturellement, de pouvoir légiférer et de proclamer que toux ceux pour lesquels nous légiférons seront gagnants, que la péréquation n'entraînera aucun perdant. C'est un exercice particulièrement difficile, et c'est certainement, on l'a rappelé, la quadrature du cercle.
Monsieur Moreigne, vos propos m'ont fait penser à ceux de l'un de nos collègues qui, un soir, à l'occasion de l'examen des crédits des collectivités territoriales, s'exclamait : si vous tenez compte des dotations compensatrices, les pauvres ne seront plus pauvres et ils ne pourront plus prétendre à des suppléments de dotations. Vous êtes sans doute nombreux à vous souvenir de cette problématique presque pathétique !
A ce stade du débat, la proposition de loi se réduit à un seul article par lequel on demande au Gouvernement de réaliser des simulations et de les présenter devant le Parlement dans un rapport publié avant le 1er septembre 2008. Voter une telle proposition de loi nous vaudrait sans doute un blâme de Portalis. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Laissez-le dormir !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. A titre personnel, je ne le ferai pas.
S'agissant des possibilités de substitution que nous avons évoquées tout à l'heure, le rapport de M. Alain Lambert apportera sans doute des éléments de réponse.
Pour l'heure, je considère qu'il est plus sage de ne pas voter l'article 2 de cette proposition de loi et de renvoyer toute décision aux prochains rendez-vous importants qui, eux, présenteront tous les gages et toutes les exigences de cohérence.
Je remercie M. le rapporteur de ses efforts, dont chacun apprécie la nature, afin de permettre au Sénat de voter un texte. Néanmoins, compte tenu du rejet de l'article 1er, le mieux, me semble-t-il, est de voter contre l'article 2, donc de renoncer à « sortir un texte ».
M. le président. La parole est à M. Alain Lambert, pour explication de vote.
M. Alain Lambert. Dans un premier temps, la proposition du groupe socialiste m'avait paru improvisée. Elle ne s'appuyait, en effet, sur aucune simulation et n'était, en outre, pas constitutionnelle. Bref, elle n'était pas faite pour s'appliquer. D'ailleurs, même Mme Beaufils en avait, avec délicatesse, débusqué toutes les ambiguïtés. La démarche ne semblant pas constructive, je ne pouvais la suivre.
Toutefois, la discussion avançant, j'ai acquis la conviction que cette proposition était moins improvisée qu'elle ne le paraissait.
Parallèlement, M. Mercier, animé d'un esprit consensuel, nous a présenté une bonne disposition.
Dans ces conditions, je ne puis que me rallier à la suggestion fort réaliste de M. le président de la commission des finances de ne pas voter l'article 2.
Il nous appartient de continuer à travailler, au sein de la commission des finances, sur la péréquation, afin de parvenir, avec le Gouvernement, à trouver une solution. Si nous y parvenons, nous pourrons dire que le Sénat aura bien travaillé.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Je vous remercie de vos propos, monsieur Lambert. Nous avons tenté d'aller au bout des possibilités qui sont dévolues aux parlementaires dans l'élaboration de la loi. Le comité Balladur a présenté des dispositions visant à revaloriser le rôle du Parlement ; aujourd'hui, nous avons montré tout ce qui nous manque pour que ce dernier puisse jouer correctement son rôle.
Compte tenu du rejet de l'article 1er, il n'y a pas d'autre issue que de repousser l'article 2, qui n'a désormais plus de sens. Voter une loi ne comportant ni règles ni normes reviendrait à voter une loi de proclamation dont le seul objectif serait de demander le dépôt d'un rapport au Gouvernement. Si la réforme des institutions a lieu, nous pourrons, demain, voter une résolution.
Pour l'heure, nous sommes arrivés au bout du jeu. Au nom du groupe UC-UDF, j'appuie la demande de M. le président de la commission des finances et pour que la situation soit claire, je demande un scrutin public sur l'article 2.
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. Mes chers collègues, je tiens à rappeler que l'article 2 de la présente proposition de loi a été voté à l'unanimité de la commission des finances,...
Mme Marie-France Beaufils. J'ai voté contre !
M. François Marc. ... à l'unanimité moins une voix. En tout état de cause, il a recueilli l'assentiment du plus grand nombre.
Toutes les propositions qui ont été faites vont dans le sens des idées qui sont défendues par de nombreuses personnalités, y compris par M. le président du Sénat.
Demander à notre assemblée d'aller, en séance publique, à l'encontre d'un choix quasi unanime de la commission des finances ne me paraît pas contribuer à la revalorisation du rôle du Parlement. C'est, au contraire, lui demander de se faire hara-kiri !
Le groupe socialiste votera donc l'article 2, qui correspond aux propositions que nous avions formulées.
M. Alain Lambert. Un rapport se demande par lettre !
M. François Marc. Bien que l'article 1er ait été rejeté, si le Sénat adopte l'article 2, l'ensemble de la proposition de loi pourra mis aux voix et, pour notre part, nous la voterons.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur Marc, convenons qu'il n'est pas de bonne méthode législative de multiplier les demandes de rapport au Gouvernement.
Si le Sénat veut travailler dignement, il doit se doter de ses propres moyens d'expertise et de simulation. Le processus est en cours, mais il est d'une extrême complexité. Il nous faudra toute l'aide du directeur général des collectivités locales pour espérer réussir.
Lorsque l'on connaît le nombre quasi infini de paramètres qui doivent être pris en considération pour calculer la plupart des dotations, on se demande ce qu'ont fait les législateurs successifs. Nous sommes parvenus à un niveau de complexité tel que plus personne ne peut expliquer les mécanismes qui contribuent à la détermination des différentes dotations.
Il est devenu nécessaire de mettre bon ordre dans ces mécanismes. Et dans la mesure où il est permis de douter que l'État attribuera demain aux collectivités territoriales des moyens plus substantiels que ceux qu'il leur consent aujourd'hui, nous avons impérativement besoin d'un instrument de simulation. Sans être aussi achevé, peut-être, que celui de la DGCL, il devra nous permettre d'anticiper toutes les conséquences des hypothèses que nous formulerons.
Nous sommes à la veille d'un exercice parmi les plus difficiles qui soient. C'est pourquoi, mes chers collègues, j'en appelle à vos vertus premières : la lucidité, la responsabilité, le courage. Pour ma part, je m'engage à ce que nous puissions, au sein de la commission des finances, travailler avec sérénité, opiniâtreté et avec la volonté d'aboutir.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Avant que le Sénat ne se prononce sur l'article 2, je tiens à rappeler que, tout au long de cette discussion, je me suis efforcé de vous faire partager la volonté du Gouvernement d'avancer en matière de finances locales et de péréquation.
J'ai évoqué les engagements qui ont été pris de travailler avec le comité des finances locales, avec la Conférence des exécutifs, qui a été installée par le Premier ministre, en concertation avec l'ensemble des collectivités territoriales concernées.
Comme l'a souligné Alain Lambert voilà un instant, on ne peut pas à la fois déplorer le manque de concertation sur certaines questions et ne pas exiger qu'elle soit engagée sur des sujets aussi importants.
Le travail que le Premier ministre a confié à Alain Lambert constitue à notre sens un préalable à toute modification de la nomenclature des finances locales et de leur impact sur les différentes collectivités.
Le Gouvernement a manifesté à plusieurs reprises sa volonté de ne pas voir adopter cette proposition de loi.
Je tiens à saluer le travail de votre rapporteur, qui s'est efforcé d'atténuer la portée de certaines dispositions de la proposition de loi initiale et de lui apporter des améliorations.
Je tiens également à rendre hommage au sens des responsabilités du président de la commission des finances qui, à ce point de la discussion, préfère le rejet de l'article 2 , donc de la proposition de loi, plutôt que l'adoption d'un texte qui se limiterait à la seule demande d'un rapport.
Le Gouvernement est sur cette ligne. Il considère que nous devrons beaucoup travailler ensemble durant les prochaines semaines, mais sur la base des conclusions qui seront rendues par les différentes commissions en charge de ce dossier et par les experts qui ont réfléchi sur ce sujet.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 17 :
Nombre de votants | 321 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l'adoption | 104 |
Contre | 217 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, les deux articles qui la constituaient ayant été rejetés, je constate que la proposition de loi n'est pas adoptée.
12
Dépôt d'une proposition de loi
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Louis Masson une proposition de loi instaurant une dotation de solidarité rurale majorée au profit des communes de moins de 5 000 habitants dont une partie du territoire est située en zone urbaine sensible.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 63, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
13
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 76/768/CEE, 88/378/CEE et 1999/13/CE du Conseil ainsi que les directives 2000/53/CE, 2002/96/CE et 2004/42/CE afin de les adapter au règlement (CE) ... relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, et modifiant la directive 67/548/CEE et le règlement (CE) n° 1907/2006.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3660 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux statistiques européennes.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3661 et distribué.
14
Renvoi pour avis
M. le président. J'informe le Sénat que le projet de loi relatif aux archives (n° 471, 2005 2006), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires culturelles.
15
Dépôt d'un rapport
M. le président. J'ai reçu de M. Henri de Richemont un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés (n° 40, 2007 2008).
Le rapport sera imprimé sous le n° 64 et distribué.
16
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 31 octobre 2007 à quinze heures :
- Discussion du projet de loi (n° 28, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la corruption.
Rapport (n° 51, 2007-2008) de M. Hugues Portelli, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD