M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comment ne pas évoquer, ce matin, dans le cadre du débat sur l'indépendance énergétique de la France, le « troisième paquet » de libéralisation du marché intérieur de l'électricité et du gaz, qui comprend cinq nouvelles propositions législatives complétant la démarche engagée depuis plus de dix ans ?
La mesure phare de ce troisième paquet est sans aucun doute la séparation patrimoniale entre la gestion des réseaux de transport, d'une part, et les activités de fourniture et de distribution, d'autre part.
Neuf États membres, dont la France, avaient fait part, en juin dernier, de leur ferme opposition, ce qui n'a pas empêché la Commission de proposer ce nouveau paquet au Parlement européen, le 19 septembre dernier. Pour contourner la minorité de blocage qui était en train de se constituer, la Commission a imaginé un régime dérogatoire, dit de « gestionnaire de réseau indépendant » ou, dans le jargon de Bruxelles, Independent System Operator, ISO, et ce sans évaluation de la mise en oeuvre des précédentes directives, en particulier depuis l'ouverture du marché au 1er juillet 2007.
C'est aussi la fin du service public de l'énergie que prévoit ce paquet. Certes, est prévue la désignation de fournisseurs en « dernier ressort » pour les plus défavorisés, mais les moyens pour financer ce service et pour organiser une péréquation appropriée ne sont pas définis.
Des questions essentielles, à savoir les investissements et la sécurité d'approvisionnement, sont laissées sans réponse.
Selon Gaz de France, « l'investissement dépend moins de la structure patrimoniale que de l'action du régulateur sur les conditions de rémunération des investissements ». C'est logique.
De plus, selon EDF, « ce sont les groupes intégrés qui ont intérêt à investir dans de nouvelles interconnexions. Les gestionnaires de réseaux de transport détenus par des fonds - quels qu'ils soient - vivent des goulets d'étranglement », et donc des revenus que ceux-ci leur procurent.
Et quid des garanties contre les prises de contrôle par des tiers à l'Union européenne, sauf - et c'est en fait une reconnaissance de la nature stratégique du secteur de l'énergie - à déterminer au cas par cas quelle société non européenne est acceptable ou ne l'est pas ?
Même si une coopération européenne en matière de normes techniques facilitant les interconnexions est positive, le troisième paquet nous paraît inacceptable, et cela pour plusieurs raisons.
Première de ces raisons, la construction d'une politique de l'énergie européenne ne pourrait se faire sur la base du seul marché. Il doit s'agir d'une véritable politique publique à la fois en termes d'investissements, d'objectifs environnementaux, de sécurité d'approvisionnement et de régulation des prix, comme le rappelle la confédération européenne des syndicats. Je me référerai à cet égard à M. Boiteux, qui a tout de même une certaine compétence dans ce domaine : « L'ouverture du marché n'a pas pour effet de faire baisser les prix et c'est au contraire la hausse des prix et des tarifs qui permet l'existence du marché. »
Deuxième raison pour laquelle nous le rejetons, le troisième paquet ne donne pas de garantie en termes de maintien du service universel de l'énergie : d'une part, le champ de citoyens couverts est très réduit - j'ai mentionné la désignation de fournisseurs en « dernier ressort » - ; d'autre part, il n'y a pas de dispositions concernant le financement de ce service, dans un contexte difficile pour la France, où les tarifs réglementés sont d'ores et déjà attaqués.
La troisième raison tient à l'absence d'un véritable mécanisme de contrôle des prix.
Quatrième raison, de forts doutes subsistent quant au financement, rendu plus délicat par la séparation patrimoniale, des investissements dans les réseaux.
Cinquième raison, les objectifs environnementaux peuvent être atteints par d'autres moyens que par la séparation patrimoniale.
Enfin, on peut mettre en doute le principe de proportionnalité - les moyens proposés sont proportionnels aux objectifs poursuivis - de la mesure de dissociation patrimoniale présentée.
Le troisième paquet est une offensive ou, plus exactement, la poursuite d'une offensive européenne à l'encontre des entreprises du secteur énergétique : il revient à considérer qu'une entreprise qui reste verticalement intégrée aurait tendance à sous-investir dans de nouveaux réseaux et à privilégier ses sociétés de vente.
C'est aussi le démantèlement et la privatisation des opérateurs historiques, car, en s'attaquant au caractère intégré de ceux-ci, la Commission européenne remet en cause l'architecture même du système d'organisation de notre secteur énergétique et son type de régulation, fondé sur des obligations de service public, notamment en matière d'investissements avec la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements, qui est le seul outil garantissant la sécurité de nos approvisionnements.
Enfin, il faut savoir qu'il ouvre la voie à la privatisation d'EDF et/ou de son réseau de transport RTE, filiale à 100 %. La séparation patrimoniale rendrait dans ce cas EDF opéable alors que RTE est, on l'a dit à plusieurs reprises, un actif hautement stratégique - tout comme l'est d'ailleurs aussi GRTgaz, le réseau de transport de Gaz de France - alors que l'indépendance des gestionnaires du réseau n'a été contestée par aucun opérateur, même alternatif.
Comment peut-on construire une politique européenne de l'énergie si l'on n'a pas, comme le recommande la mission, une maîtrise publique ?
Je souhaiterais donc savoir, monsieur le secrétaire d'État, quelle sera votre position au Conseil des transports qui aura lieu à la fin du mois de novembre ?
Par ailleurs, la présidence française, au second semestre de 2008, entend-elle faire évoluer le dogme de la Commission selon lequel la concurrence a pour effet de faire baisser les prix, alors que toutes les expériences montrent qu'il n'en est rien et que certains États sont en train de faire machine arrière ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des transports - qui sera bientôt chargé aussi des autoroutes ferroviaires et maritimes...-, mes chers collègues, je commencerai par souligner que je suis en accord avec certains aspects du rapport.
Tout d'abord, je relève dans celui-ci une critique virulente de la libéralisation du marché de l'électricité, de l'abandon des tarifs régulés, des projets de directive prévoyant, dans le cadre du troisième paquet de libéralisation, la privatisation des réseaux de transport d'énergie.
Le président de la mission l'a dit, l'électricité n'est en effet pas un bien comme les autres, tout d'abord parce qu'elle ne se stocke pas, ensuite parce qu'il s'agit d'un bien de première nécessité et, enfin, parce que sa gestion détermine notre indépendance énergétique et, surtout, notre niveau de pollution.
Mais ce que je ne comprends pas, monsieur le président de la mission, c'est pourquoi les parlementaires de l'UMP en France critiquent la libéralisation, alors même que leurs collègues au Parlement européen la votent régulièrement, à chaque occasion, depuis dix ans !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Parce que ce sont des jean-foutre !
M. Jean Desessard. Il y a donc l'UMP européenne et l'UMP française !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. C'est le mode d'élection qui n'est pas bon !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. C'est cela, la proportionnelle ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Avoir plusieurs points de vue dans un même parti, ce n'est pas simple ! Nous le savons : nous l'avons vécu... (Nouveaux sourires.)
Seconde satisfaction, je lis dans le rapport que la France n'a pas vocation à se transformer en « poumon nucléaire de l'Europe », comme vous venez de le redire, monsieur le président de la mission.
Arrêtons donc d'exporter l'électricité - cela représente 20 % de la production -, d'autant que nous la vendons à perte et que c'est la France qui assume ensuite la gestion des déchets,...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Là, c'est vrai...
M. Jean Desessard. ...ce qui risque de faire de notre pays non seulement le « poumon nucléaire de l'Europe », mais aussi sa poubelle radioactive !
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Oh !
M. Jean Desessard. Précisons que ce « trop-plein » d'électricité est dû aux prévisions surévaluées du lobby nucléaire : en 1975, EDF annonçait que les besoins de la France seraient de 1 000 térawattheures en 2000, soit une surestimation de plus du double !
J'ajouterai même que la France n'a pas vocation à être l'exportateur universel de la technologie nucléaire. C'est bien pour cela qu'il faut refuser la construction de l'EPR, lequel produira encore plus d'électricité - une électricité qui sera exportée alors que l'électricité devrait être économisée - et sert de maquette de vente pour l'étranger.
Vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que, malgré ces quelques points d'accord, je ne puisse pas approuver la position en faveur du nucléaire prise dans le rapport.
Cette position, fortement majoritaire dans cette chambre, n'est cependant pas consensuelle puisque Dominique Voynet, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président de la mission, a voté contre et, se faisant, elle a représenté les 54 % de Français qui jugent anormal d'investir 3 milliards d'euros pour une nouvelle centrale nucléaire.
La plupart des Français sont en effet conscients des dangers de la filière nucléaire : risques d'attentats, d'accidents, de tremblements de terre, de prolifération nucléaire et absence de solution pour les déchets, qui resteront radioactifs pendant des millénaires.
Même sur le plan de la sécurité de l'approvisionnement électrique de la France, le nucléaire ne constitue pas un « atout », comme l'écrivent les rapporteurs.
L'électricité d'origine nucléaire nous a été présentée comme la garantie de l'indépendance énergétique de la France depuis les années soixante. Cela reste à prouver !
La production de cette électricité est dépendante de l'uranium, un minerai qu'on ne trouve plus en France depuis 2001,...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. On a des stocks !
M. Jean Desessard. ...ce qui nous place dans une position de dépendance énergétique totale envers le Niger, le Canada ou l'Australie.
La filière nucléaire s'arrêtera un jour puisqu'elle dépend d'une ressource non renouvelable qui devrait manquer d'ici à soixante-dix ans si elle continue à se développer ainsi.
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. C'est faux !
M. Jean Desessard. Preuve que cette ressource se raréfie inexorablement, son cours a été multiplié par dix depuis 2002.
Quant à la génération 4, qui permettrait au nucléaire de recycler ses propres déchets, elle n'en est qu'au stade de la spéculation et on ne peut donc pas raisonnablement compter dessus.
La même remarque vaut pour le gaz.
L'entreprise Gaz de France ne mérite plus son nom puisque, depuis la fin de l'exploitation du gisement de Lacq, la totalité du gaz naturel consommé est importée. Or il y a dans toutes les régions de France des sites, parfois de dimensions réduites mais nombreux, qui pourraient produire des gaz de décharge, préférables aux gaz à effet de serre, comme le méthane, dont la composition chimique est pratiquement identique à celle du gaz de terre que nous importons de Russie.
On estime par ailleurs que le biogaz valorisable pourrait représenter jusqu'à 20 % de notre consommation de gaz naturel, alors qu'aujourd'hui la quantité valorisée est seulement de 0,5 %...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Il y a du boulot !
M. Jean Desessard. Pour assurer la sécurité de l'approvisionnement, c'est donc très simple : il faut recourir aux énergies renouvelables. Voilà la véritable indépendance énergétique : l'éolien, les déchets, la micro-hydraulique, la géothermie profonde, le solaire, le bois de chauffage...
À cet égard, le Grenelle de l'environnement a posé des objectifs ambitieux - augmenter de 20 millions de tonnes équivalent pétrole la production d'ici à 2020 - et je m'en réjouis, mais il n'a pas encore précisé les moyens financiers pour les atteindre.
Or, pour développer réellement les énergies renouvelables, il faudrait leur consacrer les milliards d'euros qui sont promis au nucléaire. Il faut donc faire des choix.
Voilà trente ans, en matière d'hydraulique, la France disposait d'un savoir-faire unique, que nous avons perdu à cause du choix du tout-nucléaire.
De même, pour les cycles combinés au gaz, qui se développent pourtant partout à l'étranger, nous avons un train de retard.
Comme le rappelait un représentant de Greenpeace France en réaction aux annonces de Nicolas Sarkozy, « on ne peut lancer un grand programme d'économies d'énergie et développer les renouvelables, tout en continuant d'investir dans le nucléaire » !
En plus des énergies renouvelables, pour diminuer notre vulnérabilité énergétique, nous devons consommer moins.
Cela passe par une politique tarifaire qui incite aux économies d'énergie et par des certificats d'économie d'énergie ayant des objectifs ambitieux. L'électricité est le seul secteur dans lequel la France n'a pas réalisé des économies ces trente dernières années. Au contraire, depuis trente-cinq ans, notre consommation finale d'électricité a été multipliée par trois ! Il faut dire qu'EDF a longtemps fait la promotion, dans ses campagnes télévisées, de la surconsommation et ses agents commerciaux sont encore payés au kilowattheure vendu...
Pourtant, des gisements d'économie importants existent : l'éclairage, comme l'a dit M. Deneux, les appareils en mode veille, l'isolation des logements et l'électronique de contrôle pour tous les usages...
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Le chauffage électrique !
M. Jean Desessard. Encore faut-il accepter d'augmenter les standards : des réfrigérateurs A++ pour tous, des normes haute performance environnementale dans tous les nouveaux logements, etc.
Il y a enfin une source de gaspillage qui est trop peu abordée dans le rapport : le chauffage électrique, qui représente tout de même 12 % de notre consommation d'électricité.
M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. J'en parle !
M. Jean Desessard. Certes, M. Sido l'a qualifié d'« aberration » au détour d'une audition, mais sans tirer suffisamment les conséquences de la diffusion de ce mode de chauffage, qui équipe 70 % des maisons récentes.
Or, le chauffage électrique est une hérésie énergétique, il nous fragilise l'hiver durant les périodes de pointe et il aggrave les impayés des locataires. Dès lors, pourquoi ne pas imiter les Danois, qui l'ont tout simplement interdit, sauf cas de force majeure ?
Les avancées dans ce domaine supposent une régulation forte, mais aussi une organisation souple, décentralisée, diversifiée, au plus près des besoins, qui ne gaspille pas d'énergie dans des réseaux interminables, une organisation qui ne dépende pas entièrement d'un centre, d'une technique de production, d'un seul carburant. Bref, l'opposé du nucléaire !
Et comme ce rapport fait la part belle au nucléaire, malgré un certain nombre d'analyses très intéressantes, vous comprendrez que je ne peux que renouveler l'opposition des sénatrices et des sénateurs Verts, comme l'avait fait Dominique Voynet. Les Verts voteront donc contre ce rapport.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, je tiens à vous remercier, au nom de Jean-Louis Borloo, dont je vous prie d'excuser l'absence, et en mon nom, pour le travail accompli par la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, présidée par M. Bruno Sido, et à saluer la grande qualité du rapport de MM. Michel Billout, Marcel Deneux et Jean-Marc Pastor. J'ai également écouté avec beaucoup d'attention les interventions de MM. Yannick Texier, Daniel Raoul et Jean Desessard.
Au travers des très nombreuses auditions réalisées durant six mois, en partant de l'incident du 4 novembre dernier qui avait plongé l'Europe dans le noir - incident largement rappelé par la presse ce matin -, votre mission a su prendre toute l'ampleur de la question de notre sécurité d'approvisionnement électrique.
En vous fondant sur cette panne géante, vous avez élargi vos investigations au-delà du problème de sûreté de fonctionnement des réseaux, pour vous pencher sur l'ensemble des déterminants de la politique de la sécurité d'approvisionnement électrique. Vous vous êtes interrogés sur la politique de régulation du secteur et vous avez replacé cette réflexion dans le cadre des autres objectifs de notre politique de l'énergie, à savoir, d'une part, la compétitivité et le pouvoir d'achat et, d'autre part, la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique. Ces sujets sont d'autant plus intéressants qu'ils ont constitué les thèmes des travaux du groupe 1 du Grenelle de l'environnement.
Avant d'examiner vos observations et vos préconisations, et de vous exposer le sentiment du Gouvernement à cet égard, je ferai deux remarques préliminaires.
D'abord, je veux vous dire à quel point le Gouvernement se réjouit de la communauté de vues qui existe entre les orientations générales de sa politique énergétique et les recommandations exprimées dans votre rapport. Nous y reviendrons d'ailleurs en abordant les questions de maîtrise de la demande d'énergie et de régulation européenne du marché de l'électricité, pour ne citer que ces deux thèmes. Cette tonalité générale de notre accord n'exclut pas certaines nuances, que je préciserai au cours de mon intervention.
Ensuite, je veux souligner le premier constat de votre mission - important pour tous nos concitoyens -, celui d'un satisfecit : la sécurité d'approvisionnement électrique est aujourd'hui assurée en France.
Il me paraît essentiel d'insister sur ce point : la France dispose d'instruments - le bilan prévisionnel des besoins en électricité, la programmation pluriannuelle des investissements - et elle s'appuie sur des acteurs - l'administration, la Commission de régulation de l'énergie, Réseau de transport d'électricité - qui sont les garants de cette sécurité d'approvisionnement. Cette maîtrise publique est un facteur important dans ce résultat. Le Gouvernement est attaché à ce qu'elle perdure, conformément au souhait que vous avez exprimé, monsieur Billout, lors de votre intervention.
Pour l'essentiel, le Gouvernement partage l'analyse du rapport qui confirme le bien-fondé de la politique mise en oeuvre à l'échelon français depuis plusieurs années, quels que soient les gouvernements. Toutefois, comme vous le soulignez, la France doit faire face à un double mouvement qui modifie en profondeur la conception de notre politique énergétique.
En premier lieu, nous devons accentuer nos efforts dans la lutte contre le changement climatique. Les conclusions du Grenelle de l'environnement en témoignent. Nous souhaitons une rupture et prendre des responsabilités nouvelles.
En second lieu, comme vous l'avez évoqué, le marché intégré de l'électricité au sein de l'Union européenne exige une nouvelle approche européenne.
Ces deux évolutions majeures sont au coeur de la politique énergétique du Gouvernement et c'est par rapport à ces évolutions que je souhaite répondre à vos préoccupations et à vos recommandations.
Permettez-moi d'évoquer d'abord le Grenelle de l'environnement. Les travaux de la mission commune d'information sont intervenus à point nommé et ont montré, comme le Grenelle de l'environnement, qu'il y a une convergence politique, au sens le plus noble du terme, entre la lutte contre le changement climatique - qui devient une cause nationale - et notre sécurité d'approvisionnement. Pour reprendre ce qui fait désormais figure d'adage, l'électricité la moins chère et la plus sûre est celle que l'on ne consomme pas. On pourrait y ajouter qu'elle est l'électricité la plus protectrice de notre environnement.
Le Grenelle de l'environnement est le signe d'une prise de conscience de la société française, mais - vous l'avez rappelé, monsieur Sido - il est aussi le point de départ de réformes de grande envergure, dont certaines parmi les plus ambitieuses ont trait à la manière dont nous consommons notre énergie. Ces réformes font écho aux préconisations de votre rapport. Les mesures les plus emblématiques portent sur l'efficacité énergétique et la réduction des consommations, mesures dont vous nous avez rappelé à juste titre l'urgence, monsieur Deneux.
Comme le Président de la République l'a annoncé la semaine dernière, il s'agit, d'abord, de la mise en place d'un programme de rupture dans le bâtiment neuf pour aller vers des solutions à énergie positive, impliquant des exigences de performance énergétique très élevées pour les bâtiments publics - 50 kilowattheures par mètre carré dès 2010 - et, pour les logements privés neufs, une généralisation des logements neufs à basse consommation à partir de 2012.
Il s'agit, ensuite, du lancement d'un grand chantier de rénovation thermique des bâtiments existants, portant aussi bien sur les bâtiments publics, sur le parc HLM, sur les bâtiments traités par l'Agence nationale de rénovation urbaine, que sur les bâtiments privés.
Il s'agit, enfin, de la conduite d'un plan de développement des énergies renouvelables, qui s'inscrit dans l'objectif européen, auquel nous souscrivons, de 20 % d'énergies renouvelables en 2020.
Ce programme dans le bâtiment est magnifique, certes, mais s'il se révèle nécessaire, c'est que le retard est considérable. Nous avons donc beaucoup à faire et il va falloir nous retrousser les manches.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Il conviendra d'élaborer, d'ici au 15 décembre, les programmes bâtiments et énergies renouvelables.
M. Jean Desessard. Et les moyens !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Il faudra effectivement se préoccuper des moyens, des entreprises et songer à la formation appropriée des salariés.
M. Jean Desessard. Effectivement !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. L'aspect de la formation a été évoqué à de nombreuses reprises dans les débats du Grenelle de l'environnement, en particulier par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB.
Sans préjuger les travaux d'élaboration de ces programmes, l'ampleur des réformes à conduire et la mobilisation des acteurs publics et privés qu'ils exigent supposent que nous mettions en place de nouvelles mesures en matière de réglementation, d'incitations, de sensibilisation et d'information, ainsi que de formation professionnelle comme je l'ai dit à l'instant.
M. Jean Desessard. Et payer plus !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Dans le cadre de cette réflexion, nous examinerons naturellement les propositions de la mission commune d'information - dont je vous remercie, monsieur Sido - en matière d'incitations fiscales et économiques, de formation professionnelle et de rôle exemplaire de l'État.
Je ne citerai qu'un exemple, sur lequel votre mission a, là aussi, bien travaillé : la rénovation énergétique des bâtiments est un investissement initial dont le retour s'étale sur plusieurs années. Pour rendre possible cet effort financier, il faut un juste partage des coûts et des revenus qu'une telle rénovation représente entre le bailleur et le locataire. Nous devrons donc trouver des mécanismes financiers innovants pour assurer une répartition équitable.
De même, les propositions issues du Grenelle de l'environnement en matière d'efficacité énergétique des équipements rejoignent vos réflexions, je pense notamment aux recommandations concernant l'action auprès de l'Union européenne en faveur de l'étiquetage des produits bruns, cités par M. Deneux, à la limitation de la puissance de veille des appareils - c'est le bon sens - et à l'interdiction programmée des ventes de lampes à incandescence.
La mise en oeuvre de ces mesures passera par un renforcement de la réglementation. Mais, comme pour tout programme ambitieux, elle exige aux côtés de la réglementation un plan d'accompagnement des acteurs, en particulier pour sensibiliser les consommateurs et pour mobiliser les distributeurs.
D'ailleurs, pour répondre à une question précise de M. Deneux, on estime aujourd'hui à un térawattheure l'économie d'énergie réalisée au travers du changement d'heures, mesure instaurée dans notre pays en 1975. Le Gouvernement est favorable à ce que ce mécanisme se poursuive. Le rapport que la Commission européenne doit livrer, avant la fin de l'année, sur l'impact du passage à l'heure d'été dans les différents secteurs économiques nous permettra de nous prononcer sur l'opportunité d'une évolution de ce dispositif.
Sur le thème des énergies renouvelables, le débat dans le cadre du Grenelle de l'environnement l'a montré : développer les énergies renouvelables ne saurait se faire au détriment d'autres exigences environnementales.
Je pense à l'acceptabilité paysagère pour les éoliennes - nous vivons tous ce problème dans nos départements -, qui doit être gérée. Je pense également à la préservation des espèces et des ressources halieutiques dans les cours d'eau pour la production d'énergie hydraulique. Je pense encore à la protection des sols lorsqu'il s'agit de produire des biocarburants. Il nous faut donc concilier notre ambition en matière d'énergies renouvelables avec un critère de « haute qualité environnementale » pour chacune des filières.
Mais les gisements existent. Il faut mieux valoriser la biomasse, tirer parti de l'évolution de la réglementation sur l'eau pour exploiter au mieux le potentiel hydroélectrique, comme le recommande votre mission. C'est donc un vrai plan de mobilisation de nos ressources renouvelables incluant tous les acteurs de la chaîne qui doit être élaboré filière par filière.
Cette réflexion sur le développement des énergies renouvelables me permet d'aborder la question de notre parc de production d'électricité.
Il faut répondre à une préoccupation que vous avez formulée, monsieur Sido, et à certaines préconisations de votre rapport.
Tout d'abord, en ce qui concerne notre production électronucléaire, le développement des énergies renouvelables et l'intensification des efforts en matière d'efficacité énergétique permettront peut-être de diminuer la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique. Il n'en reste pas moins, et le Président de la République l'a affirmé clairement, qu'il n'y a pas de solution à notre équation énergétique - énergie compétitive, sûre et sans CO2 - sans le nucléaire. Par conséquent, notre programme nucléaire ne saurait en aucun cas être remis en cause.
À ce titre, j'ai écouté attentivement les propos tenus par M. Pastor. Je profite de mon intervention pour rappeler la position constante du Gouvernement sur la question des tarifs réglementés de vente de l'électricité : ceux-ci sont compatibles avec les directives européennes et doivent être maintenus. Les tarifs réglementés couvrent, en effet, l'ensemble de nos coûts de production et leur niveau ne fait donc que refléter la grande compétitivité de notre parc de production électrique.
Par ailleurs, j'attire votre attention sur le fait que, outre ses avantages économiques, le parc de production électronucléaire contribue très fortement à limiter nos émissions de CO2. Par rapport à un parc de production qui serait fondé sur le charbon, notre parc électronucléaire permet d'éviter entre 300 millions et 400 millions de tonnes de CO2 par an. C'est un choix énergétique qui nous permet aujourd'hui d'afficher des émissions de gaz à effet de serre par habitant inférieures de 25 % à celles de nos voisins européens.
Je tiens à dire à M. Desessard que le nucléaire contribue à la sécurité d'approvisionnement globale non pas tant parce que l'électricité est ainsi produite en France, mais parce que le nucléaire nous permet de diversifier notre approvisionnement. Notre alimentation en matières premières énergétiques ne dépend pas uniquement des zones riches en hydrocarbures que chacun connaît, elle dépend aussi du Niger, du Canada, de l'Afrique du Sud et de l'Australie.
Ensuite, s'agissant de l'opportunité d'obligation minimale de production au sein de chaque État européen, que vous proposez dans votre rapport, la position du Gouvernement est plus réservée. Dans le cadre d'une politique européenne de l'énergie, nos objectifs en matière d'énergie renouvelable sont européens, nos réseaux sont interconnectés. Il convient donc de tenir compte des spécificités de chaque État membre. Le Gouvernement estime - mais le débat n'est jamais fermé - que le fait d'imposer une production locale peut conduire à ce que l'on appelle, avec bonheur - moins pour la langue française ! -, une « désoptimisation ». Si une telle possibilité ne saurait être écartée a priori, la France entend d'abord mettre l'accent sur des planifications nationales coordonnées à l'échelon européen.
Ces questions relatives à la production d'électricité nous ramènent au deuxième thème de notre discussion : l'avènement d'une politique européenne de l'énergie.
Votre mission a conduit ses travaux pendant un moment important, la phase préparatoire d'une nouvelle série de directives sur le marché intérieur de l'énergie.
Dans cette phase, notre pays a mis en avant certains dysfonctionnements, émis de nombreuses propositions et exprimé son attachement à l'émergence d'un marché de l'électricité intégré, sûr, efficace et bénéficiant in fine au consommateur.
Tel est bien le message de la France : l'Europe de l'énergie, le marché de l'énergie ne doivent se construire qu'au bénéfice des consommateurs. Et dans un secteur aussi complexe que celui de l'électricité - qui, comme vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, constitue un bien essentiel et non stockable -, le rôle des pouvoirs publics, de la régulation à la surveillance en passant par la planification, est primordial.
Messieurs les rapporteurs, vous insistez sur l'importance des interconnexions dans la sécurité d'approvisionnement d'un pays - nous en débattons souvent avec nos voisins espagnols, notamment -, ainsi que sur la nécessaire coordination à l'échelle européenne des réglementations s'appliquant aux gestionnaires de réseaux de transport en France. Il s'agit là d'un message que nous portons hautement à Bruxelles.
La sûreté du système électrique passe par un contrôle strict du gestionnaire de réseau de transport. Telle est la position que nous défendons, et que la Commission européenne a d'ailleurs partiellement reprise à son compte dans son troisième paquet énergétique.
Les règles mises en oeuvre par les gestionnaires de réseaux doivent être contraignantes et particulièrement suivies : il faut que tout manquement, à l'instar de celui qu'a connu, le 4 novembre 2006, la République fédérale d'Allemagne, soit sanctionné. La France milite donc pour une régulation contraignante, comme le recommande d'ailleurs la mission commune d'information.
Ainsi que vous l'avez souligné tout à l'heure, monsieur Sido, la mesure la plus emblématique du troisième paquet énergétique concerne la séparation patrimoniale, présentée par la Commission européenne comme la réponse aux dysfonctionnements du marché et notamment aux problèmes de sûreté du système électrique.
Or la France ne partage pas cette position. Elle considère que RTE, Réseau de transport d'électricité, a parfaitement montré par le passé sa capacité à gérer le système électrique sans incident majeur. Pour preuve, le dernier incident majeur remonte au 12 janvier 1987, quand des délestages importants se produisirent dans l'ouest de la France, beaucoup d'entre nous s'en souviennent.
Le renforcement de la sûreté passe aussi par une coopération accrue entre les gestionnaires de réseaux de transport. Là encore, nous voulons être exemplaires : le mémorandum d'entente signé le 6 juin 2007 par les ministres chargés de l'énergie des cinq pays du forum pentalatéral, c'est-à-dire la Belgique, le Luxembourg, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, constitue une illustration de la politique que nous souhaitons promouvoir en Europe.
Ce mémorandum vise des objectifs précis et ambitieux, à savoir l'élaboration d'un bilan prévisionnel global, la création d'une échelle de classification des incidents de réseau et la mise en place d'une plate-forme commune de coordination des gestionnaires de réseaux de transport afin que, demain, nous soyons assurés que les gestionnaires communiquent effectivement entre eux et utilisent les mêmes outils.
Tous ces objectifs rejoignent les propositions de la mission commune du Sénat, me semble-t-il, et doivent être mieux pris en compte dans le troisième paquet énergétique.
À cet égard, voilà quelques semaines que les discussions ont débuté au Conseil européen. Comme l'indiquait M. Daniel Raoul, il s'agit pour la France de peser dans ces négociations, aux côtés de ses partenaires européens, afin d'aboutir à un texte ambitieux, garantissant que les objectifs soient atteints, sans pour autant nuire à l'intégrité de nos opérateurs.
Ainsi, la France et l'Allemagne ont déjà réuni sept pays européens sceptiques devant une mesure qu'ils considèrent comme étant disproportionnée. Ensemble, nos deux pays s'efforceront de faire évoluer dans le bon sens les projets de textes européens de ce paquet énergétique.
Au final, s'agissant de l'émergence d'une politique européenne de l'énergie au travers des négociations communautaires en cours, le Gouvernement reprend à son compte quasiment toutes les propositions de la mission d'information du Sénat, dont il partage le constat et les objectifs.
Toutefois, sur certains points, en nombre limité d'ailleurs, il émet quelques réserves quant à la façon de parvenir au résultat attendu. Il en est ainsi de la proposition, sur laquelle nous reviendrons, visant à encadrer le fonctionnement du réseau par des textes européens juridiquement contraignants, tels que des directives techniques, ou de celle, formulée par M. Yannick Texier, tendant à encadrer le développement des interconnexions par une déclaration d'utilité publique européenne - si du moins tel est bien le sens de votre proposition, monsieur Texier.
En effet, il nous semble que de tels processus, assez lourds, pourraient à terme ralentir l'intégration européenne et aller à l'encontre de l'effet recherché.
En revanche, la France est favorable à une régulation concrète au niveau européen et à la mise en place de coordinateurs européens, qui permettraient, sur des projets d'interconnexion, de fluidifier le dialogue entre les pays concernés.
Pour conclure, et sans tomber dans le péché de l'unanimisme, qui n'est jamais propice à l'exercice de la démocratie, je tiens à rendre hommage à la mission commune d'information du Sénat pour les enseignements précieux qu'elle a dégagés, dans un moment particulièrement crucial pour notre politique de l'énergie, tant nationale qu'européenne.
Je souhaite que le dialogue entre le Gouvernement et la Haute Assemblée se poursuive, voire s'intensifie, car il reste certaines questions dont je souhaite débattre avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, particulièrement lors de la déclinaison, au mois de décembre prochain, des différents programmes opérationnels issus du Grenelle de l'environnement.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du travail qui a été réalisé par le Sénat et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)