M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. C'est vrai !
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur. Notre pays doit faire entendre sa voix. Nous attendons du Gouvernement que, dans le domaine de l'énergie, il mette en oeuvre une politique beaucoup plus forte, afin que le système tarifaire français soit défendu et pérennisé.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons nous satisfaire du nouveau train de mesures de libéralisation présenté par la Commission, qui ne fait qu'accentuer les règles déjà existantes d'organisation des marchés de l'énergie, sans souci de l'élaboration d'une véritable politique énergétique intégrée en Europe.
Les flux d'électricité étant transnationaux, les décisions - mais aussi l'absence de décision, ce qui est encore plus grave - prises par les États ont des conséquences plus que directes sur l'organisation du secteur électrique des pays voisins.
Il est clair que l'Europe de l'électricité présenterait un tout autre visage sans les 63 TWh - Terra Watt heure - d'électricité d'origine nucléaire exportés chaque année par la France. Alors que les obligations de réduire les émissions de C02 vont devenir de plus en plus lourdes, chaque État devra en tirer les conséquences dans la composition de son bouquet énergétique.
D'un autre côté, ces objectifs ambitieux - il s'agit de réduire de 20 % les émissions de CO2 d'ici à 2020 - ne pourront être atteints sans solidarité sur le plan européen et donc sans un pôle d'entreprises publiques plus soucieuses des missions de service public que de la rémunération de leurs actionnaires.
Il est proprement irréaliste de penser que la Pologne, qui produit plus de 90 % de son électricité à partir de charbon, sera en mesure d'atteindre cet objectif d'ici à 2020.
Le groupe socialiste souhaite que le Gouvernement fasse preuve de fermeté lors des négociations sur le « troisième paquet énergie » pour défendre l'idée d'une politique intégrée de l'énergie, refuser fermement la séparation patrimoniale et défendre l'existence des tarifs réglementés.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures comptez-vous prendre, sur le plan national, pour que prennent corps les quarante propositions que notre mission a adoptées à l'unanimité moins une voix, ce qui mérite d'être souligné ? Je vous remercie de bien vouloir nous apporter tous les éclaircissements nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Texier.
M. Yannick Texier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite de la panne électrique du 4 novembre 2006, le Sénat a décidé de mettre en place une mission d'information sur l'approvisionnement électrique.
Présidée par notre collègue M. Bruno Sido, cette mission s'est livrée à de nombreuses auditions et à plusieurs déplacements dans des pays européens avant de présenter les fruits de ses analyses en juin dernier dans un rapport intitulé Approvisionnement électrique : l'Europe sous tension.
C'est dans les perspectives de ce rapport que M. Bruno Sido a déposé la question orale qui est aujourd'hui l'objet de notre débat.
Je tiens à souligner la pertinence de cette initiative à plusieurs titres. Elle permet de donner un réel écho aux travaux écrits de la mission, d'enrichir les échanges que le Parlement entretient avec le Gouvernement sur le dossier énergétique, de défendre une approche globale en termes de sécurité et d'indépendance énergétique au plan tant national qu'européen tout en intégrant les impératifs de préservation de l'environnement ; elle participe de la position que pourra défendre notre pays face aux propositions formulées par la Commission européenne, notamment celles du 19 septembre dernier. Enfin, elle est totalement d'actualité, au lendemain des premières conclusions du Grenelle de l'environnement et à la veille de la présidence française de l'Union européenne.
Si les conclusions de la mission présidée par M. Bruno Sido sont relativement rassurantes sur le court terme, en revanche, sur le plus long terme, elles plaident pour une grande vigilance et la mise en place de dispositions tant françaises qu'européennes pour garantir notre approvisionnement électrique au meilleur prix.
Mes collègues du groupe de l'UMP et moi-même partageons cette analyse.
Nous sommes très conscients que toute politique en la matière doit intervenir sur plusieurs fronts simultanément, qu'il s'agisse d'anticiper l'évolution de la demande, de préserver un bouquet énergétique national équilibré, de diversifier la fourniture géographiquement et commercialement, de permettre au mieux la prévisibilité des prix de l'électricité, de maintenir un réseau de transport dense, d'améliorer le réseau de distribution, de maîtriser la demande d'électricité.
Enfin, comme les membres de la commission, nous nous interrogeons sur la nécessité de tenir compte, dans notre choix, des caractéristiques propres à l'électricité, un bien qui ne se stocke pas, qui n'est pas substituable dans de nombreuses circonstances et dont la consommation est relativement inélastique au prix.
C'est pourquoi, comme nous l'avons dit lors de précédents débats, notamment celui sur la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, nous entendons, au plan national, conforter notre bouquet énergétique.
Cela suppose de trouver le juste équilibre entre le maintien de l'option nucléaire et le développement des énergies renouvelables afin de tenir nos engagements européens en la matière, la recherche de cet équilibre devant être aussi abordée par nos partenaires européens.
Quarante préconisations sont formulées dans le rapport de la mission. Dans l'absolu, nous souhaitons, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement puisse nous faire part de son appréciation sur chacune d'entre elles, sachant que les décisions arbitrées à l'occasion du Grenelle de l'environnement constituent également une réponse aux suggestions de la mission, notamment en ce qui concerne l'efficacité énergétique des bâtiments, l'encouragement à l'utilisation d'équipements vertueux et la promotion de nouveaux comportements chez nos concitoyens.
Cependant, il nous semble important que le Gouvernement puisse nous éclairer sur certains points.
Quels arguments développer face à la proposition de la Commission européenne sur l'indépendance des réseaux, qui aboutit à la séparation entre le propriétaire et l'exploitant et implique, dans la formulation actuelle, un quasi-démantèlement des grands groupes intégrés tels que EDF ou GDF ?
Où placer le curseur entre ouverture du marché et régulation ?
Quelle sera notre position quant à la création d'une agence européenne de régulateurs nationaux de l'énergie ? Comme la mission, nous plaidons pour une Europe de l'énergie plus intégrée. Encore faut-il que chaque État membre dispose d'un régulateur du type de la Commission de régulation de l'électricité.
Qu'en sera-t-il de la proposition de la mission d'établir des documents prospectifs communs au plan européen et de celle de créer une procédure de déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes infrastructures ?
Pour conclure, je soulignerai, une dernière fois, tout l'intérêt d'organiser aujourd'hui ce débat. Il nous permet de participer pleinement aux prémices de ce que devrait être l'Europe de l'énergie, garantie de la meilleure sécurité d'approvisionnement possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, rapporteur.
M. Michel Billout, rapporteur de la mission commune d'information. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour débattre des perspectives ouvertes par les conclusions des travaux de la mission commune d'information du Sénat sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver et, je l'espère, pour former le voeu commun d'une rapide traduction législative et réglementaire de ses quarante propositions.
Je commencerai toutefois mon intervention par quelques remarques générales.
Nous assistons actuellement à une dérive institutionnelle particulièrement grave, où le Parlement non seulement n'effectue pas son travail dans des conditions satisfaisantes, mais tend également à être privé de son pouvoir législatif.
En témoigne le nombre de projets de loi passés en urgence, notamment dans le secteur de l'énergie.
En témoigne, aussi, la censure de la commission des finances sur toute proposition engageant les deniers publics, comme cela a été le cas quand le groupe communiste républicain et citoyen a proposé la fusion entre EDF et GDF, et ce alors même que cette censure empêche tout débat de fond sur la politique nationale énergétique et les alternatives concrètes au projet proposé par le Gouvernement.
Nous nous retrouvons donc avec un Parlement dont la mission est réduite à la simple exécution de la volonté présidentielle.
Je suis donc, dans ce contexte, particulièrement attaché à ce que les propositions formulées et partagées par la quasi-totalité des membres de la mission commune d'information ne tombent pas dans l'oubli, mais trouvent au contraire une traduction concrète. J'appuie donc la demande du président Bruno Sido.
Cela étant, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, venons-en au fond.
Il y a maintenant un an, le groupe communiste républicain et citoyen soumettait à la Haute Assemblée une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité survenue le 4 novembre 2006.
Compte tenu de la dimension communautaire d'une telle commission et de l'impossibilité des parlementaires français de contraindre nos partenaires européens, c'est une mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement en France et en Europe qui a vu le jour et dont les travaux se sont déroulés au printemps dernier.
Je ne reviendrai pas sur les conclusions de cette mission, son président nous les ayant très bien exposées. Elles mettent particulièrement en lumière les contradictions des politiques libérales menées à travers les directives européennes.
Il faudrait, selon la Commission européenne, démanteler les monopoles publics et organiser la concurrence entre les opérateurs, alors même que ceux-ci remplissent une mission d'intérêt général. Cette nouvelle organisation, toujours selon la Commission, bénéficierait aux clients, qui disposeraient d'une offre plus attractive par le jeu de la concurrence.
Pourtant, la mission a fait un tout autre constat.
D'une part, la libéralisation du secteur énergétique s'est soldée par une hausse vertigineuse des tarifs sur le marché libre et par des risques accrus sur la sécurité d'approvisionnement. D'autre part, les besoins importants en termes de production d'électricité ainsi que la question du vieillissement du parc nucléaire en France imposent des investissements massifs pour la création de nouvelles capacités.
Pour finir, la mission a constaté que ces questions se posent dans un monde où les principales ressources énergétiques se raréfient. Cela a été rappelé plusieurs fois à cette tribune, l'électricité est un bien particulier, car non stockable. Par conséquent, la mission a souligné les risques que font naître, en termes géopolitiques, la rupture de la sécurité d'approvisionnement ainsi que la perte d'indépendance énergétique et, donc, d'indépendance économique et politique.
La mission est naturellement arrivée à la conclusion que, l'énergie n'étant pas une commodité comme les autres, sa maîtrise doit donc rester publique.
Selon les termes même du rapport, ce secteur ne peut être laissé à la seule « main invisible » du marché.
Les rapporteurs se sont également intéressés aux tarifs d'accès à l'électricité et se sont inquiétés de leur envolée dans la plupart des pays de l'Union européenne. C'est pourquoi ils proposent le maintien des tarifs réglementés et des contrats d'approvisionnement dits « de long terme ».
Depuis, plusieurs mois se sont écoulés, ponctués par de multiples rebondissements nationaux, européens et internationaux dans le secteur de l'énergie, qui confirment une nouvelle fois les enjeux pointés par les travaux de la mission.
Ainsi, le nouveau Président de la République a annoncé le prochain rapprochement entre Alstom et Areva, organisant ainsi une ouverture très importante du nucléaire civil aux capitaux privés en ce qui concerne la construction de centrales, la production énergétique, ainsi que la gestion des déchets.
Le chef de l'État a également contribué largement à rendre effective la fusion entre GDF et Suez.
Or, la constitution de ce nouveau groupe privé, dont l'État détiendra seulement 35 % des actions, organise la perte de la maîtrise publique non seulement sur le secteur du gaz, mais aussi bien au-delà.
Ce sont les intérêts des actionnaires qui prévaudront et, notamment, leur logique de profit maximum. Dans ce sens, lors de leur première déclaration, les P-DG du futur groupe ont indiqué que les actionnaires recevront plus de la moitié du résultat net sous forme de dividende, qui devrait croître par action de 10 % à 15 % par an en moyenne entre 2007 et 2010.
Voilà qui résume bien les priorités industrielles de ce nouveau groupe !
Autre élément inquiétant de cette première déclaration, le P-DG de Gaz de France, Gérard Mestrallet, évoquant les réacteurs nucléaires de troisième génération, a précisé : « Le nouveau groupe GDF Suez prendra une décision soit en 2008 soit en 2009 pour construire un ou plusieurs EPR en Europe, dans les pays où cela sera possible et souhaitable », afin de « disposer de ces capacités entre 2017 et 2020 ».
Nous pouvons alors émettre de sérieux doutes sur la pérennité du monopole accordé à EDF concernant la production de l'énergie nucléaire en France. J'avais déjà évoqué cette crainte voilà plusieurs mois, lors de la discussion du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
Pour sa part, la mission commune d'information réaffirme dans ses conclusions le choix du nucléaire, notamment au regard des impératifs environnementaux. Cependant, elle reconnaît que la sûreté nucléaire ne peut être garantie que par une forte maîtrise publique.
Seule une maîtrise publique peut permettre la transparence nécessaire sur les objectifs industriels et de recherche, ainsi que sur le niveau de sécurité des installations.
Monsieur le secrétaire d'État, je profite donc de ce débat pour vous demander des précisions sur ce sujet.
Au niveau européen, une nouvelle directive, parachevant le marché de l'énergie, vient d'être adoptée. Elle prône la séparation patrimoniale entre les réseaux de transport et les centres de production.
À ce titre, dans un communiqué de presse, le président et les rapporteurs de la mission commune d'information ont exprimé leurs réserves sur ce nouveau paquet énergétique, notamment concernant la pérennité des contrats d'approvisionnement de long terme et la séparation patrimoniale.
Cette fuite en avant libérale conduit aujourd'hui M. Sido, président de la mission et membre éminent de la majorité parlementaire, à solliciter M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur les suites que le Gouvernement entend donner aux quarante propositions formulées dans le rapport de cette mission.
Je ne peux que soutenir une telle initiative, a fortiori si l'on considère que ledit rapport a été voté à la quasi-unanimité des membres de la mission. Si un consensus existe entre les parlementaires de tous bords pour reconnaître que l'énergie n'est pas un produit de consommation comme les autres et que sa maîtrise doit être publique, il faut que le Gouvernement non seulement entende cette exigence, mais également qu'il la traduise en acte. Cela passe, notamment, par une transcription législative et réglementaire des quarante propositions.
Pour autant, si les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen partagent les conclusions du rapport, ils estiment que les décisions à prendre doivent aller plus loin qu'un simple perfectionnement de la régulation du secteur de l'énergie.
Nous le voyons bien, et c'était le sens de mon intervention lors de la récente discussion de la proposition de loi de notre collègue Ladislas Poniatowski, il y a une antinomie fondamentale entre la mise en oeuvre de la concurrence libre et non faussée comme pierre angulaire de toute politique publique et le maintien d'un service minimal pour chacun, notamment dans le secteur de l'énergie.
Les tarifs réglementés en sont un bon exemple. Dans la configuration libérale, ils sont voués, in fine, à disparaître, car contraires aux objectifs de l'Union européenne. Toute disposition transitoire ou dérogatoire en la matière s'apparente donc à une correction à la marge.
Pour les sénateurs communistes républicains et citoyens, c'est donc au Gouvernement d'engager une réorientation complète de la politique énergétique au niveau national et de l'impulser au niveau européen.
Cela suppose, en préalable, de faire le bilan des dix années de libéralisation dans le secteur de l'énergie et de s'orienter vers une renégociation des directives européennes.
Nous avons suffisamment d'exemples pour savoir que l'ouverture à la concurrence n'a pas atteint les objectifs escomptés, bien au contraire. Certains pays reviennent même progressivement à une plus ample maîtrise publique.
Les enjeux sont fondamentaux et multiples. Ils font de l'énergie une denrée exceptionnelle, qui ne peut être considérée comme une simple marchandise.
Ce constat, partagé par la mission commune d'information, ne peut aboutir qu'à une seule conclusion : une politique de l'énergie ambitieuse, donnant la priorité à la recherche d'économies d'énergie, à la diversification des moyens de production électrique, ainsi qu'à la coopération avec les autres acteurs énergétiques européens ne peut se réaliser qu'avec des opérateurs publics, porteurs de l'intérêt général.
Force est de constater que la politique d'entreprise des opérateurs historiques, depuis l'ouverture de leur capital, a également changé de cap. L'objectif d'augmenter la rentabilité pour les actionnaires est maintenant mentionné dans les contrats de service public.
Au final, les anciens monopoles, qui auraient dû être modernisés et démocratisés, seront remplacés par des oligopoles privés. D'après l'estimation que nous a fournie la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, d'ici à une dizaine d'années, il resterait uniquement cinq ou six oligopoles dans l'Union européenne.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen en tirent les conséquences. D'une part, nous estimons qu'une véritable maîtrise publique passe par le respect d'une condition stricte, la nécessité de garantir des capitaux uniquement publics au sein des opérateurs énergétiques, toute prise de capitaux privés modifiant irrémédiablement la politique d'entreprise. D'autre part, nous estimons que les synergies doivent être renforcées dans le secteur de l'énergie entre les opérateurs historiques au sein d'un pôle public de l'énergie, qui pourrait s'étendre au pétrole.
C'est pourquoi nous avons proposé la fusion d'EDF et de GDF au sein d'un nouvel EPIC, un établissement public industriel et commercial.
Cette idée de fusion a été immédiatement réfutée, au nom des contreparties qui seraient, semble-t-il, imposées par Bruxelles.
Pourtant, la création du géant Suez-GDF se fait également au prix d'importantes contreparties, notamment la cession de contrats d'approvisionnement de long terme pour GDF, la séparation du pôle environnement pour Suez et la création du principal concurrent d'EDF en France, et ce sans les bénéfices d'une véritable maîtrise publique.
L'avenir énergétique de la France est donc, avant tout, l'affaire de choix politiques.
Au moment même où le Gouvernement affine ses propositions dans le cadre du « Grenelle de l'environnement », nous estimons que les enjeux du secteur énergétique intègrent pleinement ceux de la préservation de l'environnement.
Travailler à la maîtrise de la consommation de l'énergie, au développement des énergies renouvelables et non polluantes, ainsi qu'à l'égal accès de tous à ce bien universel suppose, j'y insiste, une véritable maîtrise publique du secteur.
Le développement durable doit être dégagé de la pression des marchés financiers et des intérêts de court terme.
Dans ce cadre, les propositions formulées par la mission commune d'information dans son rapport, qui prône une maîtrise publique de l'énergie et la création d'instruments de régulation prospectifs, sont de véritables points d'appui, qui, je l'espère, trouveront une traduction législative et réglementaire énergique et courageuse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux, rapporteur.
M. Marcel Deneux, rapporteur de la mission commune d'information. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la sécurité d'approvisionnement électrique est une question à multiples facettes. Je concentrerai mon intervention sur l'une d'entre elles, car elle me paraît essentielle. Il s'agit de l'objectif de maîtrise de la demande d'électricité, qui part d'un principe simple, selon lequel la meilleure électricité est encore celle qui n'est pas consommée. (Ah ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Marcel Deneux, rapporteur. Ce n'est pas un hasard si c'est le thème sur lequel a « planché » le premier groupe de travail du « Grenelle de l'environnement ».
En effet, la maîtrise de la demande d'électricité permet de relâcher les contraintes à la fois financières, techniques et politiques qui pèsent sur l'augmentation des capacités de production et de transport. Produire, puis transporter l'électricité coûte très cher et prend beaucoup de temps, alors que le potentiel de maîtrise de la demande peut être rapidement mobilisable.
La maîtrise de la demande d'énergie permet aussi de réduire la dépendance énergétique de la France, que ce soit en énergies fossiles ou en uranium.
Elle entraîne des économies à long terme pour les ménages et les industriels.
Enfin, elle diminue les émissions de gaz à effet de serre, ce qui permet de préserver l'environnement et la santé humaine.
On pourrait appeler cela le quadruple bonus de la maîtrise de la demande d'électricité, et j'en tire comme conclusion qu'il s'agit d'un impératif majeur.
Je me réjouis que cette vision soit partagée par l'ensemble des pays de l'Union européenne, qui se sont donnés pour objectif de réduire de 20 % la consommation énergétique de l'Europe par rapport aux projections pour l'année 2020, telles qu'elles sont estimées par la Commission dans son Livre vert sur l'efficacité énergétique.
Dans la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, la France s'est quant à elle fixée pour objectif d'améliorer son intensité énergétique finale, c'est-à-dire le rapport entre la consommation et le produit intérieur brut, de 2 % par an à partir de 2015, puis de 2,5 % par an après 2030.
Si chacun s'accorde sur le résultat à atteindre, les moyens pour y parvenir sont plus discutés. Pour ma part, j'ai la conviction que le jeu du marché et le niveau des prix ne suffiront pas à déclencher les investissements nécessaires en matière d'efficacité énergétique. Nous voyons là se dégager un principe politique, monsieur le secrétaire d'État : cette incapacité du marché à inciter à la maîtrise de la consommation impose la mise en place permanente d'une politique publique comprenant des mesures à la fois économiques, institutionnelles et réglementaires.
Je vais développer ces solutions en distinguant les mesures d'incitation à la maîtrise de la consommation d'électricité en direction des particuliers, d'une part, et des entreprises, d'autre part.
Je n'insisterai pas sur l'importance de l'isolation des bâtiments, axe essentiel de la politique de réduction de la consommation d'énergie, car ce sujet a été excellemment développé par notre collègue Bruno Sido, ainsi que dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Les mesures de structuration de l'offre, d'une part, et d'incitation à la demande en bâtiments basse consommation, d'autre part, sont les deux piliers essentiels sur lesquels doit reposer la stratégie de diminution de la consommation énergétique des bâtiments.
Je développerai plus longuement les propositions concernant l'incitation à l'utilisation des équipements vertueux par les consommateurs, émises en juin dernier par la mission sénatoriale.
On constate, depuis plusieurs décennies, une forte hausse de la consommation du secteur résidentiel du fait de l'accroissement des équipements domestiques « blancs » et « bruns ». Je rappelle que les professionnels des appareils électroménagers distinguent les « produits blancs », c'est-à-dire les réfrigérateurs, congélateurs, cuisinières, lave-linge et lave-vaisselle, des « produits bruns », tels que les aspirateurs, téléviseurs, magnétoscopes, matériels hi-fi et informatiques.
Il semble que la réglementation soit insuffisante dans ce secteur et qu'une limitation de la puissance de veille des appareils à 1 watt doive être imposée. En effet, l'un des problèmes majeurs posés par les produits « bruns » est que ceux-ci sont très consommateurs, même en mode veille. Bien que les puissances unitaires concernées restent apparemment minimes, entre 5 et 15 watts par appareil, ces consommations ont lieu toute la journée, le plus souvent inutilement. Du fait de leur multiplication, elles peuvent représenter, selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, jusqu'à 10 % de la consommation totale d'électricité d'un ménage. Un document de travail de la Commission européenne, élaboré dans la perspective de l'application de la directive sur les exigences en matière d'écoconception, préconise, au demeurant, de fixer, pour les modes veille, une consommation maximale, de 1 watt dans un premier temps et de 0,5 watt dans un second temps.
S'agissant de la consommation courante des appareils, un étiquetage européen assez efficace a été imposé. Il semble aujourd'hui que, pour favoriser pleinement les appareils de classe A, A+ et A++, qui sont les plus économes en énergie, un passage à 5,5 % de la TVA qui leur est appliquée constituerait la meilleure des solutions. Compte tenu de l'évolution des technologies et des différences entre les étiquetages selon les appareils, il faudrait bien sûr veiller à ce que la liste des produits bénéficiant de ce taux réduit soit régulièrement révisée afin qu'elle ne concerne que les appareils les plus performants. Je souhaite que la France profite du fait qu'elle exercera la présidence de l'Union, au second semestre de l'année prochaine, pour soutenir auprès de ses partenaires le projet d'une TVA réduite sur les produits écolabellisés.
Par ailleurs, j'ai la profonde conviction que l'interdiction unilatérale de la vente d'ampoules à incandescence sur le territoire national dès 2010, qui permettrait une réduction de la consommation de 8 térawattheures par an, soit plus que la production d'une tranche nucléaire, est une impérieuse nécessité. J'ai été ravi d'entendre le Président de la République retenir cet objectif dans son discours du 25 octobre dernier.
Je dois insister sur le fait que certaines consommations ne seront réduites que par une modification des habitudes de consommation. Des mesures d'information sont donc nécessaires. L'idée d'apposer des affichettes rappelant les principales recommandations en matière d'économies d'énergie dans les administrations, les écoles et les entreprises est simple et potentiellement très efficace en matière de maîtrise de la demande d'énergie.
Je tiens à signaler que le président et les rapporteurs de la mission commune d'information sur l'approvisionnement électrique ont adressé un courrier aux questeurs du Sénat afin que soient apposées, dans toutes les salles de réunion et dans tous les bureaux de la Haute Assemblée, des affiches incitant les utilisateurs à éteindre les lumières quand les locaux sont inoccupés, ainsi que les équipements informatiques et les téléviseurs, le soir et en fin de semaine.
Dans ce même courrier, nous nous sommes félicités du remplacement progressif des ampoules à incandescence par des dispositifs à faible consommation, mais nous avons aussi souhaité que cette politique soit complétée par l'installation, dans tous les lieux de passage, de mécanismes d'allumage et d'extinction automatique de l'éclairage. Le Sénat serait ainsi à la pointe de la maîtrise de la consommation d'électricité, et c'est essentiel. L'idéal serait bien sûr de faire un véritable bilan « carbone », comme je l'avais demandé, en décembre 2002, dans un courrier adressé aux questeurs du Sénat. Cela viendra !
Je rappelle, à ce titre, que la circulaire adressée par le Premier ministre à l'ensemble du Gouvernement, le 28 septembre 2005, souligne que l'État se doit de contribuer à l'évolution des comportements et d'être exemplaire dans le cadre de la commande publique. Parmi les orientations fixées figure, notamment, l'achat d'équipements et d'appareils de bureautique économes en énergie. La mise en application de cette circulaire mériterait d'être davantage contrôlée et je m'interroge, monsieur le secrétaire d'État, sur la réalité de sa diffusion, en particulier dans les services déconcentrés. J'insiste vraiment sur cette dimension d'exemplarité de l'État, qui doit montrer au public quelles sont les bonnes pratiques.
Ainsi, le réglage des appareils permet de faire des économies à peu de frais. Certaines collectivités utilisent, par exemple, des régulateurs-variateurs en matière d'éclairage public, qui font varier les flux lumineux en fonction de nombreux facteurs, parmi lesquels figurent l'utilisation de la voie et, éventuellement, l'intensité de la lumière naturelle. Ces dispositifs, qui commencent à se diffuser dans les collectivités, sont à vulgariser.
Outre l'exemplarité, l'État a un devoir d'éducation de la population aux problématiques d'économie d'énergie.
J'estime qu'il serait bon d'inscrire dans le cahier des charges de France Télévisions et de Radio France l'obligation de diffuser des émissions consacrées à la maîtrise de la consommation énergétique.
Je pense également qu'un travail doit être réalisé auprès des plus jeunes. La circulaire du ministère de l'éducation nationale du 29 mars 2007, relative à la seconde phase de généralisation de l'éducation au développement durable, est une bonne initiative.
Monsieur le secrétaire d'État, à la suite du rapport sur le changement climatique que j'avais eu l'honneur de présenter il y a cinq ans, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 5 600 CD-Rom de présentation de ce rapport ont été diffusés dans les lycées français par le Centre national de documentation pédagogique, le CNDP, et ont été agréés pour les travaux des classes de première et de terminale. Il ne faut pas se priver de cet outil pédagogique. Avec M. Darcos, nous rappelons actuellement aux recteurs l'intérêt de l'utilisation de ce document.
Le deuxième volet de mon argumentation concerne l'amélioration de l'efficacité énergétique des entreprises, principalement dans l'industrie. Le potentiel d'économie est loin d'être négligeable, puisqu'il est estimé à 20 térawattheures par an. Son exploitation passe prioritairement par l'amélioration des process industriels. Dans un environnement international très compétitif, il a été considéré que les mesures adoptées en ce domaine devaient éviter de grever la productivité des entreprises et des programmes de soutien ont été mis en oeuvre.
Trois programmes européens ont ainsi permis la mise en place de protocoles d'aide et de recherche à la maîtrise d'énergie, respectivement dans l'industrie automobile, l'informatique et la plasturgie. Toutefois, dans la mesure où l'on ne peut pas multiplier les aides et où l'enjeu environnemental devient essentiel, il est temps que les aides attribuées par l'État et les collectivités territoriales aux entreprises soient conditionnées au respect de certains critères relatifs à la maîtrise de la demande d'électricité, d'autant que c'est économiquement rentable à moyen terme.
Au cours des années qui viennent de s'écouler, et suivant les périodes, on a pu s'interroger sur la volonté politique des gouvernements d'aller dans cette direction. Depuis l'élection présidentielle et la séquence du Grenelle de l'environnement qui s'est déroulée ces dernières semaines, on ne peut plus douter de cette volonté politique, le temps est venu de passer à l'action. Dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, la maîtrise de la demande d'électricité, c'est par une politique des petits pas, se traduisant par des petits gestes allant tous dans la même direction, que nous parviendrons à réduire la consommation d'électricité et à desserrer la contrainte qui pèse sur nos capacités de production et de transport.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'État, je vous poserai simplement trois questions.
Tout d'abord, quelles sont vos priorités en matière de maîtrise de la consommation d'énergie électrique ?
Ensuite, quels engagements êtes-vous d'ores et déjà prêt à prendre sur la question de la hausse des certificats d'énergie, dont la reconduction aura lieu en 2009 ? C'est dans quatorze mois !
Ma troisième question, enfin, est particulièrement d'actualité. J'avais proposé d'allonger la période d'heure d'été afin de caler encore mieux les heures d'activité de la population avec l'ensoleillement. (M. Jean Desessard s'exclame.) Que pensez-vous de cette mesure ?
Monsieur le secrétaire d'État et cher ami, c'est avec beaucoup d'intérêt que j'écouterai vos réponses. (M. Jean-Marc Pastor applaudit.)