sommaire
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ
1. Ouverture de la session du Congrès
2. Projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution
M. Dominique de Villepin, Premier ministre.
MM. Michel Vaxès, Robert Hue, Michel Mercier, Jean-Jacques Hyest, Georges Othily, René Dosière, Didier Quentin, Jean-Christophe Lagarde, Louis Le Pensec.
Ouverture du scrutin public.
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin.
Adoption du projet de loi constitutionnelle.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ
4. Projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
M. Dominique de Villepin, Premier ministre.
MM. André Vallini, Patrice Gélard, Nicolas Alfonsi, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Pierre Fauchon, Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Philippe Houillon, Jacques Brunhes.
Ouverture du scrutin public.
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin.
Adoption du projet de loi constitutionnelle.
5. Projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
M. Dominique de Villepin, Premier ministre.
MM. Jean-Michel Baylet, François Zocchetto, Philippe Folliot, Mmes Éliane Assassi, Marie-George Buffet, MM. Robert Badinter, Jack Lang, Hugues Portelli, Philippe Houillon.
Ouverture du scrutin public.
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin.
Adoption du projet de loi constitutionnelle.
6. Clôture de la session du Congrès
Compte rendu intégral
Première séance
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ
À onze heures, M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, président du Congrès du Parlement, fait son entrée dans la salle des séances, accompagné des membres du bureau.
M. le président prend place au fauteuil. Mme et MM. les secrétaires prennent place au bureau à ses côtés.
M. le président. La séance est ouverte.
1
ouverture de la session du congrès
M. le président. Le Parlement est réuni en Congrès, conformément au décret du Président de la République publié au Journal officiel du 10 février 2007 1.
Le règlement adopté par le Congrès le 20 décembre 1963 et modifié le 28 juin 1999 demeure notre règlement, par décision du bureau du Congrès.
Le bureau a décidé que les scrutins auraient lieu dans les salles voisines de l'hémicycle.
1 Le texte du décret portant convocation du Congrès est publié à la suite du présent compte rendu.
2
projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la constitution
M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution 2.
Je précise que les délégations de vote pour ce premier scrutin cesseront d'être enregistrées dans dix minutes, soit à onze heures quinze.
Je donne lecture
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements.)
M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle relatif au corps électoral spécial de la Nouvelle-Calédonie, adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées conformément à l'article 89 de la Constitution.
Je veux saluer le travail remarquable des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, et en particulier de leurs rapporteurs, Didier Quentin et Jean-Jacques Hyest, qui ont permis à chacun de bien comprendre les enjeux politiques et institutionnels de ce projet.
Au sein de l'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie occupe une place particulière. Son histoire a été trop longtemps marquée par les divisions, les incompréhensions et les injustices. C'est pourtant une terre qui dispose d'atouts exceptionnels pour construire l'avenir de chacun, une terre où cohabitent depuis plus d'un siècle des communautés différentes, riches de leur histoire respective et de ce qu'elles ont su bâtir au prix d'efforts dignes de respect.
Ces communautés, nous le savons tous, n'ont pas toujours réussi à trouver une voie commune pour construire l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Nous avons en mémoire les violences et les déchirements qu'elle a connus au cours des années 80. C'est grâce au courage et à l'esprit de responsabilité d'un petit nombre d'hommes et de femmes que tout semblait pourtant opposer que ce territoire a pu retrouver le chemin de la paix civile, du dialogue et du partage des responsabilités.
D'un côté, les partisans de la République ont accepté que la question de l'indépendance soit posée à nouveau, au terme d'une longue période de réconciliation, de transition et de mise en place d'institutions permettant un véritable partage des responsabilités sur le territoire.
De l'autre, les partisans de l'indépendance ont accepté la participation de l'ensemble des Calédoniens à la détermination d'un avenir commun.
Ensemble, les Néo-Calédoniens ont su reconnaître que la force ou la violence ne pouvaient pas constituer une solution durable. Ensemble, ils ont admis la nécessité de définir les contours d'une citoyenneté calédonienne ouverte aux citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie et justifiant d'attaches suffisantes avec elle pour participer à la définition de son destin. Chacun a su faire une part de chemin vers l'autre. La République aussi.
En 1988 et en 1998, elle a accepté des solutions différentes de celles qui prévalent ailleurs en France. Le peuple français tout entier a approuvé cette démarche lors du référendum de septembre 1988 sur les accords de Matignon. Le Congrès a suivi la même voie lors de la révision constitutionnelle de 1998, qui a inscrit les accords de Nouméa au sein de notre Constitution. C'est cet esprit qui doit nous animer, ensemble, aujourd'hui.
Un esprit de responsabilité, visant à faire travailler ensemble les différentes communautés ;
Un esprit de solidarité entre tous les peuples qui vivent en Nouvelle-Calédonie, une solidarité dont l'État est le garant impartial ;
Un esprit de pragmatisme aussi, qui nous a conduits à admettre des dérogations au droit commun de la République.
Je sais combien cet aspect des accords a été difficile à accepter pour beaucoup d'entre nous, pour tous ceux qui sont attachés à l'égalité républicaine. Et pourtant, c'est cette exception qui, je veux le dire avec force, a permis de préserver la paix en Nouvelle-Calédonie. Ce que nous avons collectivement accepté, ce n'est pas une brèche ouverte dans l'unité et dans l'égalité territoriale. C'est un aménagement encadré et limité dans le temps de nos règles républicaines pour garantir la paix et poursuivre la démarche engagée en 1988.
Je souhaite, et nous sommes une grande majorité à le souhaiter, que cette démarche permette de construire l'avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. C'est possible si nous poursuivons le chemin engagé depuis les accords de Matignon.
Nous avons accepté, dès cette date, de restreindre le corps électoral calédonien pour les élections aux assemblées locales et pour les éventuels référendums sur le maintien du territoire au sein de la République. Ces restrictions figurent à l'article 77 de la Constitution. La notion de citoyenneté calédonienne qui les fonde y est déjà inscrite. Le principe d'un corps électoral spécial est explicitement intégré à notre loi fondamentale. Toutes ces questions ont été traitées il y a neuf ans par le Congrès du Parlement.
Le projet de loi dont vous êtes aujourd'hui saisis précise l'interprétation qu'il convient de donner à la notion de corps électoral spécial, à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel de 1999. Cette décision concerne exclusivement la période transitoire qui couvrira les élections provinciales et territoriales de 2009 et, le cas échéant, de 2014.
Ces dispositions sont donc strictement limitées dans le temps et dans leur objet. Tous ceux qui ont suivi avec attention l'histoire de la Nouvelle Calédonie, qui savent le poids du passé, tous ceux qui ont mesuré l'ampleur des sacrifices consentis de part et d'autre pour construire l'avenir, tous ceux qui connaissent la valeur de la parole donnée, doivent aujourd'hui prendre leurs responsabilités.
Aujourd'hui, il nous appartient en effet de tenir la parole donnée à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie. Une parole donnée depuis 1998 à tous les niveaux, par le Président de la République, par le Premier ministre et le ministre de l'outre-mer. Une parole donnée également par les deux assemblées constituées à l'époque de deux majorités différentes, et confirmée à nouveau au début de cette législature.
Cette parole, ce n'est donc pas celle d'une majorité, d'un parti ou d'un homme : c'est bien celle de la France.
Aujourd'hui, l'occasion nous est donnée de respecter cette parole, d'appliquer cet engagement si important pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, grâce à ses territoires d'outre-mer, la France est une nation ouverte sur les cinq continents. Sans ces territoires, sans la Nouvelle-Calédonie, la France n'est pas la France.
Alors, pour faire en sorte que cette diversité soit une chance, un atout, nous avons besoin de cohésion. Nous avons besoin de nous rassembler. Nous avons besoin d'ouverture, de générosité et de compréhension.
Je vous remercie. (Applaudissements.)
Explications de vote
M. le président. Je vais maintenant donner la parole aux orateurs inscrits pour les explications de vote au nom des groupes de chacune des assemblées.
Je rappelle que chaque orateur dispose de cinq minutes.
Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Michel Vaxès.
M. Michel Vaxès. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l'outre-mer, monsieur le ministre délégué aux relations avec le Parlement, mes chers collègues, c'est avec conviction et une certaine émotion que le groupe des député-e-s communistes et républicains votera un texte qui garantit le respect d'un point nodal de l'accord de Nouméa de 1998 et permettra de réparer, enfin, une faute politique.
Il s'agit, en effet, d'ôter toute ambiguïté à la définition du corps électoral spécial pour les élections du Congrès et des assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie. Au terme de négociations difficiles, cette question a été tranchée dans le sens souhaité par le FLNKS, c'est-à-dire un corps électoral « figé », limité aux personnes arrivées avant 1998, vivant de façon permanente en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'à leurs descendants, sous réserve de la période requise de dix ans de résidence.
Cette définition est conforme à l'esprit des accords de Nouméa. En témoignent les déclarations du Gouvernement, celles des rapporteurs des deux chambres et les interventions de la majorité des parlementaires lors du vote de la loi organique du 19 mars 1999. Son article 188 a certes fait l'objet d'une réserve d'interprétation par le Conseil constitutionnel, mais souvenons-nous que, par la suite, nos assemblées respectives ont adopté le texte d'un nouveau projet de loi constitutionnelle précisant, de façon indiscutable, la volonté du législateur. L'ajournement de la réunion du Congrès, prévue le 24 janvier 2000, n'a malheureusement pas permis le règlement définitif de cette question.
Depuis, le Président de la République et le Gouvernement, par la voix des différents ministres de l'outre-mer, ont pris l'engagement d'intégrer cette définition dans l'article 77 de la Constitution.
Avec l'adoption de ce texte, la parole de l'État sera respectée, mais surtout - et là est l'essentiel - une démarche singulière dans l'histoire française, une démarche inspirée des valeurs les plus généreuses de la République aura la possibilité d'aboutir. Les accords de Matignon et de Nouméa peuvent en effet représenter une formidable expérience de décolonisation pacifique. La réconciliation entre peuples déchirés, divisés par un siècle et demi d'épreuves coloniales a été rendue possible par la vertu du dialogue, lui-même nourri par la force de la volonté politique. Ce dialogue a déjà mis fin à la période ensanglantée qui coûta la vie à de grandes figures du mouvement de libération kanak.
Cette expérience est un « pari sur l'intelligence », disait Jean-Marie Tjibaou. L'intelligence du peuple kanak, qui tendait la main aux autres communautés calédoniennes ; celle de Jacques Lafleur, qui avait compris que la paix civile et toute solution politique passaient par la prise en compte de l'identité et des revendications kanakes ; celle, enfin, des gouvernements de l'époque, qui ont su « reconnaître les ombres de la période coloniale », le « traumatisme durable » que cela a constitué pour les Kanaks, privant des clans de leur terre, de leur nom, de leur lieu de mémoire.
C'est la grandeur de la France d'avoir admis, dans le préambule de l'accord de Nouméa, que « la colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d'une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun. »
Nous voterons ce texte, précisément pour préserver cet avenir partagé entre le peuple kanak, « population d'origine », et des « hommes et femmes venus en grand nombre, certains contre leur gré, d'autres pour tenter une seconde chance en Nouvelle-Calédonie, qui s'y sont installés et y ont fait souche ».
En adoptant ce texte, le Parlement s'honorera d'avoir écrit une belle page de l'histoire de la République française. (Applaudissements.)
M. le président. Pour le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat, la parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, aujourd'hui est un jour important pour la Nouvelle-Calédonie, un jour important pour la France. En effet, nous sommes réunis en Congrès pour voter la modification de l'article 77 de la Constitution, qui précise la définition du corps électoral spécial pour les élections au congrès et aux assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie.
L'Assemblée nationale et le Sénat avaient déjà voté ces dispositions en 1999 mais, depuis le 24 janvier 2000, date du Congrès ajourné par le Président de la République en raison du retrait du texte renforçant l'indépendance de la magistrature, nous attendons impatiemment, avec les représentants du peuple kanak, le vote de ce projet de loi constitutionnelle. La parole donnée depuis tant d'années va enfin être respectée. Il était temps, car un nouveau report de ce vote risquait de déstabiliser à nouveau la situation en Nouvelle-Calédonie.
L'espoir est né, je dois le rappeler, des accords signés à l'hôtel Matignon le 26 juin 1988 par le Premier ministre, huit représentants du RPCR et cinq représentants du FLNKS. Ces accords ont été ensuite précisés et confortés par les accords de Nouméa, le 5 mai 1998.
Outre le vote parlementaire de 1999 que j'évoquais, les accords de Matignon ont été approuvés par référendum national, le 6 novembre 1988. Les accords de Nouméa, bien plus précis quant au corps électoral, ont été validés par 72 % et 74 % des participants de Nouvelle-Calédonie. La parole donnée engage donc non seulement les représentants du peuple des gouvernements successifs, mais aussi la nation, le peuple tout entier.
Pourquoi ce collège électoral spécifique ? Le peuple kanak a souffert. Le colonialisme l'a menacé, chassé de ses terres, refoulé, parqué dans des réserves, et enfin exhibé en métropole au titre de curiosité. Il a droit à une reconnaissance pleine et entière.
N'oublions pas non plus que le sang a coulé en 1988, à Ouvéa. Les accords de 1988 ont évité une guerre civile certaine, résultant d'erreurs évidentes que l'on peut même qualifier de fautes politiques majeures. L'identité kanake et le passé colonialiste de la Nouvelle-Calédonie étaient alors au coeur du problème.
Les accords instituent un corps électoral « gelé » et non pas « glissant », c'est-à-dire adaptable aux nouveaux arrivants. Dans le premier cas, conformément aux accords passés et au vote successif du Parlement, seuls les habitants de la Nouvelle-Calédonie y résidant depuis plus de dix ans en 1998 pourront voter aux élections concernant l'assemblée de province et le congrès. Cette disposition d'exception, déjà validée pour les référendums à venir, relative à l'accession à la pleine souveraineté, correspond à la volonté fondatrice d'une citoyenneté calédonienne au sein de la citoyenneté française.
C'est ce concept qui constitue le socle de l'équilibre trouvé, mais fragile, et qui fut la condition de l'arrêt des violences, d'une cohabitation sereine entre communautés, tournée vers l'avenir.
Les accords de Nouméa prévoient un transfert progressif et irréversible de toutes les compétences, sauf des compétences dites régaliennes, à la Nouvelle-Calédonie, sur une durée de quinze à vingt ans. Au terme de cette période, un ou plusieurs référendums décideraient de l'accession ou non de ce territoire à la pleine souveraineté.
Ce corps électoral correspond à un objectif politique précis, accepté par tous les signataires. Ce fut une décision politique partagée, assumée, d'assurer la pérennité au corps électoral existant pour les scrutins concernés.
L'avenir de la Nouvelle-Calédonie dépend de notre vote. Il est temps, il est grand temps que la représentation nationale soit unie et déterminée pour l'aider à entrer dans une nouvelle période de son histoire.
Aujourd'hui, la Nouvelle-Calédonie est sur la voie de la réconciliation, une voie qui intègre son passé pour parvenir à affirmer son identité. En conséquence, les sénateurs et sénatrices du groupe communiste, républicain et citoyen renouvelleront leur vote positif à ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union centriste-Union pour la démocratie française du Sénat, la parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes donc réunis ce matin pour modifier l'article 77 de la Constitution afin que les accords de Matignon et de Nouméa relatifs à la Nouvelle-Calédonie puissent avoir la plénitude de leur application et permettre à ce territoire d'outre-mer de se développer dans la paix civile retrouvée en donnant à tous ceux, Kanaks et Caldoches, qui étaient prêts à en découdre, la possibilité de choisir librement et ensemble leur avenir. Par cette révision constitutionnelle, la République garantit à tous l'application de ces accords. Elle soutient le nouveau pacte social qui en résulte et nourrit ce qui, en 1988, manquait le plus à la Nouvelle-Calédonie : la confiance, confiance entre les diverses communautés, confiance dans l'État, qui trop de fois avait fait défaut.
Ce qui garantit, dans la confiance, à toutes les parties aux accords de Matignon et de Nouméa, que l'exécution de ces accords sera conforme à l'esprit qui a conduit à leur adoption, c'est un corps électoral spécial. C'est pour permettre la constitution de ce corps électoral spécial que nous devons réviser la Constitution.
Le premier effet des accords de Matignon est le rétablissement de la paix civile en Nouvelle-Calédonie. En 1988, le territoire était au bord de la guerre civile et il est juste, aujourd'hui, de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont su faire les concessions nécessaires pour que chacun puisse avoir un avenir en Nouvelle-Calédonie. Sans leur courage et leur lucidité, rien n'aurait pu être possible sauf la violence.
La question du statut du territoire, donc celle de son éventuelle indépendance, est alors renvoyée à dix ans et, en 1998, lorsque ce temps paraîtra trop court, les accords de Nouméa renverront le référendum d'autodétermination à 2018 au plus tard. Dans la paix retrouvée, la Nouvelle-Calédonie doit consacrer ce temps au développement culturel et économique, répartir les richesses entre les hommes, les communautés et l'ensemble du territoire, faire en sorte que l'exploitation du nickel profite également à la communauté mélanésienne. Pour cela, il faut, en respectant les cultures, former l'ensemble des Calédoniens pour ce développement économique et, pour que chacun se sente chez soi en Nouvelle-Calédonie, un nouveau mode de gouvernance est mis en place : trois provinces sont créées, avec trois assemblées provinciales et un congrès du territoire qui assument les pouvoirs d'une large autonomie ; la République, représentée par un haut-commissaire, assure les pouvoirs de l'État, qui garantit cette autonomie et le développement économique et culturel.
Pour l'ensemble des communautés, accepter de poser la question de l'autodétermination, donc de l'indépendance, était une décision importante en 1988. Pour la communauté kanake, accepter que le référendum d'autodétermination soit reporté de dix ans, puis encore de quinze ou vingt ans au maximum, est une concession de poids. Elle montre clairement que tous les Calédoniens présents en Nouvelle-Calédonie peuvent désormais penser que leur avenir est sur cette terre, quelle que soit leur communauté d'origine.
Une telle concession montre que les accords de Matignon, puis ceux de Nouméa, ont créé une confiance qui avait disparu : confiance entre les Calédoniens, confiance entre les communautés, confiance dans l'État et la République dès lors que le peuple français a clairement reçu les accords de Matignon dans une loi référendaire.
Cette confiance retrouvée avait et a besoin d'une garantie claire, toute simple et évidente pour tous les signataires des accords de Matignon et de Nouméa : que les électrices et électeurs qui se seraient prononcés sur l'indépendance en 1988 ou 1998 soient ceux qui, avec leurs descendants, le feront au plus tard en 2018 et qui désigneront également les membres des assemblées provinciales élues avant cette date. C'est donc un corps électoral figé qui se prononcera sur cette condition essentielle.
La communauté kanake pouvait faire l'effort d'admettre le report de la question de l'indépendance, mais elle ne pouvait pas accepter de voir son importance numérique diminuée par l'arrivée de métropolitains attirés par le boom du nickel et aussi, probablement, par la perspective de retraites bénéficiant d'indices correcteurs excessifs. (Murmures.)
Nous comprenons parfaitement l'amertume et la frustration de citoyens qui seront présents depuis plus de dix ans dans le territoire et qui ne pourront pas se prononcer sur son destin, mais nous savons aussi que, sans cette garantie du corps électoral figé, il n'y aurait point de paix civile, de développement économique et d'avenir pour tous en Nouvelle-Calédonie.
Ce sont les raisons pour lesquelles, en 1988, le Gouvernement et le RPCR ont accepté ces conditions dans les accords de Matignon. Cette parole de la France nous oblige aujourd'hui. Elle est la condition de la paix civile et du développement retrouvé. C'est pourquoi les sénateurs UDF voteront cette réforme de la Constitution. (Applaudissements.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire du Sénat, la parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question du corps électoral de Nouvelle-Calédonie prend ses racines dans l'équilibre auquel sont parvenus les signataires des accords de Matignon et de Nouméa, mettant fin à des années d'instabilité et de violence.
Pour ceux qui ont tendance à trancher dans l'absolu ou dans l'immédiat, et à se scandaliser du gel du corps électoral pour les élections provinciales et au congrès, il n'est peut-être pas inutile de faire un bref rappel de l'histoire récente de la Nouvelle-Calédonie.
La tragédie d'Ouvéa, le 22 avril 1988, marquait le paroxysme d'une situation voisine de la guerre civile. Pour ramener la paix, le Premier ministre de l'époque, Michel Rocard, engage des négociations. C'est alors que des hommes de bonne volonté ont fait prévaloir ce qui les rassemblait sur ce qui les séparait et surmonté leurs antagonismes, imaginant les voies et moyens d'un destin commun à toutes les communautés de l'archipel.
Au premier rang de ces hommes, les négociateurs des accords de Matignon, figurent bien sûr Jacques Lafleur et Pierre Frogier, ainsi que Jean-Marie Tjibaou et Yeiwene Yeiwene, tous deux assassinés en 1989. Nous pouvons leur rendre hommage.
Si les accords de Matignon apportent un nouvel équilibre à la Nouvelle-Calédonie, ils seront prolongés par l'accord de Nouméa le 5 mai 1998, qui détermine, pour une période transitoire de quinze à vingt ans, l'organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les modalités de son émancipation et les voies de son rééquilibrage économique et social.
Certes, l'accord de Nouméa comporte plusieurs innovations juridiques. Il reconnaît une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie au sein de la nationalité française. Il définit un contrat social entre toutes les communautés en faisant une large place à l'identité kanake. Il prévoit que le congrès de la Nouvelle-Calédonie puisse adopter des lois du pays, intervenant dans le domaine législatif. Autant d'innovations qui ont impliqué une révision de la Constitution, mise en oeuvre par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998. Depuis, il faut le reconnaître, les institutions issues de ces accords fonctionnent bien, même si des tensions subsistent - mais où n'y en a-t-il pas ?
La définition d'un corps électoral restreint est fondée sur la reconnaissance d'une citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie. Dès les accords de Matignon, l'État, le RPCR et le FNLKS conviennent que les « populations intéressées » à l'avenir du territoire seront seules autorisées à se prononcer sur les scrutins déterminants pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire non seulement le scrutin d'autodétermination, mais aussi les élections aux assemblées de province et au congrès.
L'accord de Nouméa précise que, conformément aux accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées de province et au congrès sera restreint. C'est un point essentiel de l'équilibre défini par ce processus.
C'est ainsi que la loi organique du 19 mars 1999, dont j'ai quelques raisons de me souvenir puisque j'en ai été le rapporteur au Sénat, définit trois listes électorales distinctes, qui, dans leur principe, n'ont jamais été remises en question.
Si la liste électorale générale et celle pour la ou les consultations sur l'accession à la pleine souveraineté ne sont pas en cause, la liste électorale pour les élections au congrès et aux assemblées de province a donné lieu à une interprétation divergente du législateur organique et du Conseil constitutionnel. Pourtant, si les accords de Nouméa avaient retenu la notion de corps électoral « glissant », pourquoi l'accord et la loi organique pris en application de l'article 77 de la Constitution préciseraient-ils que les électeurs de la consultation de 1998 peuvent participer aux élections provinciales, s'il s'agissait seulement de satisfaire aux conditions de résidence de dix ans, quelle que soit la date d'arrivée sur l'archipel ? Ce serait proprement incompréhensible.
Dès 1999, à une écrasante majorité dans nos deux assemblées, le Parlement a de nouveau précisé la nature du tableau annexe visé à l'article 188 de la loi organique. Cela nécessitait bien sûr une révision constitutionnelle, qui, pour des raisons extérieures, n'a pas été jusqu'à son terme. D'où notre réunion de ce matin, qui, même si elle semble tardive, a permis de vérifier en outre que la disposition était compatible avec les engagements internationaux de la France. Je vous rappelle à ce sujet l'arrêt de la cour de Strasbourg.
Mais, au-delà de l'ambiguïté des textes évoqués par certains, il est temps d'inscrire dans notre Constitution une disposition interprétative respectant la logique de l'accord de Nouméa : il y va du respect des engagements pris par l'État. Son caractère transitoire, qui n'a pas encore eu d'impact sur le corps électoral, nécessite, comme s'y est engagé le Président de la République, que nous tranchions aujourd'hui cette question de manière définitive.
Pour la troisième fois, le Parlement confirmera la cristallisation du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province. Le groupe UMP du Sénat votera cette révision dans sa très grande majorité. (Applaudissements.)
M. le président. Pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat, la parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'histoire qui lie entre elles la Nouvelle-Calédonie et la France mérite notre plus grand respect. C'est au nom de cette riche histoire et de ses enseignements, mais également pour préparer au mieux l'avenir, que nous, parlementaires de la République, sommes réunis pour voter le gel du corps électoral calédonien et honorer ainsi la parole de l'État et de la France.
Pour cela, il est indispensable que nous ayons tous à l'esprit les événements tragiques qui ont secoué le territoire calédonien entre 1984 et 1988. Nous devons garder en mémoire les trop nombreuses victimes dans les deux communautés, mais aussi parmi les serviteurs de l'État. Nous ne devons pas oublier que le cycle infernal de la violence, dans lequel nous étions entrés, aurait très bien pu dégénérer en une véritable guerre civile. Enfin, il nous faut nous rappeler combien le rétablissement de la concorde civile a été difficile, et tout ce que l'on doit aux accords de Matignon et de Nouméa, particulièrement au sens des responsabilités de leurs signataires.
En 1988, les accords de Matignon ont été le produit d'un réel compromis accepté par toutes les parties, y compris l'État. L'un des fondements essentiels de l'architecture même des accords de Matignon est bien la volonté de restreindre aux seules personnes ayant un lien suffisamment fort et durable avec la Nouvelle-Calédonie le corps électoral pour les scrutins qui décideraient de l'avenir du territoire calédonien, comme l'atteste le point 6 des accords.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie du 9 novembre 1988, adopté directement par le peuple français, était prévu pour dix ans. À l'approche de cette échéance, il est apparu qu'un nouveau scrutin aboutissant à opposer deux camps antagonistes ne pourrait que contribuer à la détérioration de la paix civile instaurée en 1988. Aussi, maintenir l'esprit des accords de Matignon supposait de renoncer à toute forme de violence et donc de maintenir la méthode du dialogue et du consensus. C'est ainsi qu'a été signé, le 5 mai 1998, l'accord de Nouméa qui constitue le prolongement direct des accords de Matignon. Une nouvelle fois, Kanaks, Caldoches et État se sont entendus sur ce qui rassemble et ont exclu ce qui divise.
Cet accord instaure, dans la nationalité française, une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui concrétise la participation au destin commun des communautés qui vivent ensemble sur ce territoire. Dès lors, la définition du corps électoral est très étroitement liée à celle de la citoyenneté calédonienne. De quelque origine que l'on soit, c'est le droit de vote qui fonde la citoyenneté.
Il nous revient aujourd'hui de lever la dernière difficulté que soulève l'accord de Nouméa, qui résulte de l'interprétation du Conseil constitutionnel de 1999. En effet, dans sa décision, celui-ci a jugé que la rédaction de l'accord de Nouméa conduisait à considérer que le tableau annexe devait être évolutif et qu'il avait vocation à accueillir toutes les personnes arrivées après 1998.
C'est d'ailleurs pourquoi le gouvernement de 1999, en accord avec le Président de la République, s'était prononcé en faveur d'une révision de la Constitution, afin de permettre le gel du corps électoral. De ce fait, environ 700 électeurs inscrits en 1999 seront écartés du droit de vote pour les élections de 2009.
Par ailleurs, il faut rappeler que cette réforme revêt une portée transitoire, puisqu'elle n'a vocation à s'appliquer que pour les élections territoriales et provinciales de 2009 et de 2014, ou pour des élections partielles ou consécutives à une dissolution de ces assemblées. En tout cas, au terme de la période d'application de l'accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie aura décidé de son avenir.
Mais, au-delà de l'indispensable clarification juridique, l'autre enjeu de ce texte se situe sur le plan du respect de la parole donnée et de la responsabilité politique de l'État et du Parlement. Par nos votes identiques dans les deux assemblées parlementaires et aujourd'hui au Congrès, nous devons permettre à l'État de respecter sa signature et les engagements qu'il a pris en 1999 à la table de Nouméa. Ne pas voter cette révision de la Constitution reviendrait à prendre le risque de mettre en péril la paix civile encore fragile. Revenir sur le compromis des accords de Matignon et de Nouméa reviendrait à rompre l'équilibre actuel et à ouvrir une dangereuse boîte de Pandore.
C'est pourquoi nous devons faire disparaître la dernière équivoque qui subsiste dans l'application des accords de Nouméa, et ainsi donner à l'État et, par voie de conséquence, à la France les moyens de respecter sa parole. C'est ainsi, animés par un esprit de conviction et de responsabilité, que les sénateurs du groupe du Rassemblement démocratique et social européen approuveront ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements.)
M. le président. Pour le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, la parole est à M. René Dosière.
M. René Dosière. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, adopter le texte concernant le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, c'est d'abord respecter la parole de la France exprimée tout à la fois par le chef de l'État, par trois Premiers ministres, par quatre ministres de l'outre-mer et, bien sûr, par la représentation nationale, qui s'est prononcée à deux reprises.
En second lieu, ce vote va permettre - enfin - de faire vivre pleinement l'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 par les trois partenaires que sont l'État, des indépendantistes patients et des anti-indépendantistes réalistes. Cet accord prolongeant pour vingt ans les accords de Matignon, qui, en 1988 - ne l'oublions pas -, avaient mis fin à la guerre civile, propose aux citoyens calédoniens la construction d'un destin commun. Il est donc nécessaire de définir celles et ceux qui bénéficient de la citoyenneté calédonienne, l'une des innovations constitutionnelles de cet accord.
La réponse est claire : sont citoyens calédoniens toutes celles et tous ceux qui ont le droit de vote aux élections provinciales futures - de 2009 et de 2014 - puisque ces échéances électorales seront décisives pour la mise en application de l'accord. Les signataires sont tombés d'accord sur le fait que le citoyen calédonien doit justifier d'un lien fort avec son pays. Ce lien s'exprime par une présence d'une durée de dix ans, qui atteste de la solidité de l'attachement à la terre calédonienne.
Mais, quand on connaît les pratiques électorales utilisées dans nos anciennes colonies - je pense à l'Algérie -, on comprend, et les socialistes approuvent, l'exigence légitime des Kanaks de confier aux seuls Calédoniens présents au moment de l'accord de Nouméa, en 1998, la responsabilité de le mettre en oeuvre dans le cadre des élections provinciales ultérieures. On ne peut confier à un nombre indéterminé de nouveaux arrivants le soin de faire vivre un accord auquel ils n'étaient pas partie prenante.
Cette définition du corps électoral, d'ailleurs acceptée par tous, figurait déjà dans les accords de Matignon, en 1988. Une interprétation malheureuse du Conseil constitutionnel a semé le trouble dans les esprits. Après le vote de ce texte, il ne subsistera plus aucune incertitude.
N'ayant rien oublié des drames passés en matière de décolonisation et soucieux d'en tirer les leçons, Michel Rocard et Lionel Jospin, deux hommes d'État à qui les socialistes sont fiers de rendre hommage de leur vivant, ont su innover afin de conduire la Calédonie sur la voie d'une décolonisation pacifique et tranquille.
En effet, l'accord de Nouméa comporte d'autres innovations constitutionnelles approuvées en juillet 1998 et qu'il convient de rappeler : l'attribution au congrès de la Nouvelle-Calédonie d'un pouvoir législatif véritable, puisque les lois de pays sont soumises directement au Conseil constitutionnel ; la formation d'un gouvernement local composé obligatoirement de membres issus de toutes les forces politiques de Nouvelle-Calédonie ; la pleine reconnaissance de l'identité kanake, qui rend nécessaire le recueil de données démographiques sur une base ethnique, disposition qui n'a pas été respectée lors du dernier recensement ; enfin, la priorité en matière d'emploi en faveur des citoyens calédoniens, d'où l'importance de leur définition.
Une telle remise en cause des fondements de notre ordre démocratique ne manque pas de susciter l'hostilité de tous ceux, élus et universitaires, qui craignent une transposition dans d'autres territoires de la République. En réalité, comme le souligne le constitutionnaliste Guy Carcassonne, « il s'agit moins de dispositions constitutionnelles particulières que d'une autre constitution, celle de la Nouvelle-Calédonie, que notre texte de 1958, bien accueillant, abrite dans son titre XIII ».
Il reste dix ans pour construire une Nouvelle-Calédonie plus unie, plus juste et plus prospère. Le travail à accomplir est considérable pour diversifier l'économie et la rééquilibrer géographiquement, notamment par la création d'autres usines métallurgiques, pour donner à chaque communauté sa juste place dans les responsabilités sociales, pour permettre à tous d'avoir accès à un logement décent et pour offrir aux jeunes une formation, puis un travail.
La paix, nous le savons, ne peut durer par sa seule proclamation. Elle doit se nourrir en permanence de l'esprit qui a permis de l'établir, en particulier l'esprit de dialogue.
Bien entendu, l'application de l'accord de Nouméa dépend fondamentalement des partenaires calédoniens, auxquels je rends hommage aujourd'hui. Ils ont eu le courage d'accepter le compromis que constitue l'accord, de l'expliquer et de l'appliquer. Certains sont dans les tribunes du public, d'autres sur les bancs du Congrès. Je n'exclus pas de cet hommage les parlementaires de Nouvelle-Calédonie, malgré le vote négatif qu'ils vont émettre. Je souhaite seulement que, surmontant les péripéties locales, ils retrouvent leur place parmi les signataires pour continuer d'apporter leur pierre à la construction de la maison commune dont ils ont posé les fondations.
Oui, il s'agit de tenir la parole de la France, pour que plus jamais la Nouvelle-Calédonie ne connaisse les drames qui l'ont endeuillée et qui n'étaient dignes ni d'elle ni de la France. La Nouvelle-Calédonie mérite, aujourd'hui encore, que nous fassions taire nos divergences pour aller à l'essentiel : effacer les blessures de l'histoire par une décolonisation sans rupture. (Applaudissements.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Didier Quentin.
M. Didier Quentin. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le présent projet de loi constitutionnelle, déjà adopté en termes identiques par nos deux assemblées aujourd'hui réunies en Congrès, répond à une triple exigence de fidélité à la parole publique, de continuité de l'État et de l'ordre républicain, enfin de respect de l'État de droit.
S'inscrivant dans la logique de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, ce projet de loi dispose que pourront voter aux élections du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie les citoyens français installés dans l'archipel au moment de la signature de cet accord et qui justifieront, lors du scrutin de 2009 et, le cas échéant, de 2014, de dix ans de résidence.
Cette disposition a déjà une longue histoire, dont ce n'est ni le lieu ni le moment de rappeler toutes les étapes. Relevons néanmoins que cette restriction du corps électoral constitue une exception à l'article 3 de la Constitution, qui affirme l'égalité du suffrage. On peut comprendre ceux qui s'étonnent de cette exception à l'un des principes fondamentaux de notre démocratie, mais il est un autre principe : celui de la majorité. Or il s'est trouvé une majorité substantielle, dans l'une et l'autre de nos assemblées, pour considérer que cette exception méritait d'être adoptée.
Après avoir entendu toutes les parties, après avoir effectué un examen attentif des dispositions en cause, il faut reconnaître que cette exception est à la fois légitime, nécessaire et temporaire.
Elle est légitime parce qu'elle se place dans le droit fil de la révision de juillet 1998, qui a inscrit dans notre Constitution l'accord de Nouméa. Or chacun sait que la Constitution peut prévoir des exceptions à certaines de ses dispositions. Il suffit pour s'en convaincre de rappeler l'existence de l'article 16.
Le principe de restriction du corps électoral pour l'élection des membres des institutions propres à la Nouvelle-Calédonie n'est pas nouveau. Affirmé une première fois dans les accords de Matignon du 26 juin 1988, confirmé par la loi référendaire du 9 novembre 1988, repris dans l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, autorisé par la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, précisé par la loi organique du 19 mars 1999, ce principe est consubstantiel au processus d'évolution du statut de l'archipel depuis près de vingt ans. Consubstantiel à cette évolution, il est aussi constant. La révision de la Constitution autorisant une exception à l'article 3 répond précisément à l'exigence de l'État de droit.
La révision n'est pas seulement légitime, elle est aussi nécessaire. Pour s'en tenir à l'essentiel, comprenons bien qmise en oeuvre de l'accord signé par l'État et les deux principales forces polilocales et limiter le corps électoral à ceux qui étaient présents sur l'archipel au moment de la signature en 1998, c'est-à-dire à ceux qui ont été directement témoins de ce moment historique, il convenait de faire une exception au principe de l'égalité du suffrage.
La décision du Conseil constitutionnel relative à la loi organique de mars 1999 a mis en évidence les ambiguïtés des textes, qu'il importait de lever. Le législateur constitutionnel s'y est attelé dès 1999, et seul un concours de circonstances a empêché la procédure d'aller jusqu'à son terme.
Les prochaines élections des institutions territoriales de la Nouvelle-Calédonie doivent avoir lieu en 2009. Il est donc temps, pour le pouvoir cosidentielle, ainsi que s'y était engagé le Président de la République lui-même.
Enfin, n'oublions pas que ces dispositions sont temporaires. Nous sommes à mi-parcours plication de l'accord de Nouméa, dont la durée a été fixée à vingt ans. Une fois les consultations finales organisées, il sera toujours temps de remettre l'ouvrage sur le métier. C'est la logique de l'accord et nous devons la respecter. L'exception est circonstancielle, ne faisons pas comme si elle était éternelle.
L'accord de Nouméa porte en lui plus de cent cinquante ans d'une histoire riche et compliquée, de vie commune faite de tensions, mais aussi de réconciliations. Surtout, cet accord porte en lui l'avenir de l'archipel. C'est pourquoi il est de notre responsabilité de faire en sorte qu'aucune de ses stipulations ne prête à confusion et qu'aucune des voies qu'il ouvre ne s'achève en impasse.
La France est digne de la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Calédonie est digne de la France. Nos valeurs sont celles du respect de la parole républicaine, celles de l'État de droit, celles de la participation de tous au développement social et économique. En adoptant le présent projet de loi constitutionnelle, nous serons fidèles à nous-mêmes et fidèles à la République.
Parce que la disposition qui nous est proposée est à la fois légitime, nécessaire et temporaire, elle mérite - et je le dis au nom du groupe UMP de l'Assemblée nationale - de recueillir notre approbation franche et massive. (Applaudissements.)
M. le président. Pour le groupe Union pour la démocratie française de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui nous est présenté aujourd'hui est crucial pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il est la traduction constitutionnelle des accords de Nouméa, s'inscrivant dans la filiation de ceux de Matignon, qui ont permis à ce territoire français d'outre-mer de retrouver la paix civile.
Chacun se souvient ici des lettres de sang qui ont marqué ce territoire, avant la signature des accords de Matignon et leur ratification, par voie référendaire, par le peuple français. Par ces accords, le Gouvernement et le peuple français se sont engagés à accompagner les Calédoniens pour parvenir non seulement à un meilleur équilibre des richesses économiques - que ce soit géographiquement ou entre Caldoches et Kanaks -, mais également à une plus grande autonomie de gestion du territoire, notamment par la création de trois provinces. L'objectif était de rétablir la sérénité sur ce territoire et la capacité des Calédoniens à définir leur avenir ensemble, en attendant un futur référendum par lequel ils décideraient de rester ou non dans la République Française. Ce faisant, les Caldoches comme les Kanaks se reconnaissaient mutuellement leur légitimité à vivre sur ce grand et bel archipel et affirmaient que leur avenir se déciderait en commun, ce qui constituait un véritable tournant historique.
Dès l'origine, le problème du corps électoral s'est posé de façon aiguë, car les indépendantistes redoutaient légitimement que cette décision commune pour l'avenir de tous les Calédoniens ne soit faussée par l'arrivée massive sur l'île de métropolitains. Bref, ils craignaient une forme de nouvelle colonisation par les urnes. Dès lors, des restrictions furent posées, d'un commun accord entre les parties, pour définir qui aurait le droit de vote lors du ou des référendums d'autodétermination. Cette décision n'a jamais été remise en question par aucun des signataires. Il s'agit là d'un des piliers des accords de Matignon et de Nouméa.
D'autres restrictions furent apportées pour définir une ancienneté minimum permettant d'avoir le droit de vote aux élections provinciales. Là encore, il s'agit d'un pilier essentiel des accords de Matignon et de Nouméa, ces derniers définissant un équilibre politique d'ensemble, dont l'État Français s'est porté garant à deux reprises. En fixant le périmètre du corps électoral, on garantissait aux deux parties que ceux qui avaient décidé de faire la paix ensemble décideraient ensemble de leur avenir, sans que des apports nouveaux de population risquent de raviver les tensions.
Ce n'est qu'au moment des accords de Nouméa qu'une question se pose : faut-il rouvrir le droit de vote pour les élections provinciales aux nouveaux arrivants, afin de tenir compte du report de la date du référendum d'autodétermination ? Notons que les indépendantistes ont alors fait une concession importante, puisqu'ils étaient en droit d'exiger que le référendum prévu par les accords de Matignon ait lieu. En contrepartie de cette concession, les mêmes indépendantistes ont demandé que le corps électoral pour le référendum d'autodétermination soit le même que celui défini en 1988, et que celui des élections provinciales soit lui aussi figé.
Pour qui ne connaît pas la situation en Nouvelle-Calédonie, la restriction du droit de vote de certains citoyens français, pour des élections à des assemblées locales, dans un territoire de la République, peut paraître incompréhensible. Elle ne l'est pas pour l'UDF. François Bayrou, seul candidat à la présidence de la République à s'être rendu deux fois en Nouvelle-Calédonie au cours des deux dernières années (Exclamations sur divers bancs), a pu échanger avec toutes les parties, entendre les uns et les autres, et il a conclu que l'accord passé devait être respecté par tous.
L'UDF peut le dire très tranquillement car, à l'époque, nos représentants locaux - notamment M. Didier Leroux, aujourd'hui ministre du gouvernement calédonien - avaient dénoncé les accords de Nouméa et appelé les Calédoniens à voter contre. Mais, une fois ces accords ratifiés par la population de Nouvelle-Calédonie, il faut les appliquer. Le RPCR avait bien accepté ces conditions et ce n'est que pour des raisons politiques que certains de ses dirigeants prétendent aujourd'hui le contraire.
Comment oser encore dire - et je m'adresse aux membres du Gouvernement - que ce corps électoral figé n'avait pas été accepté, alors que l'État, présent lors des discussions, est à la fois témoin et garant des engagements pris et que tous les gouvernements successifs, en période de cohabitation ou non, ont tous donné la même interprétation de l'accord ?
Le flou qui a été créé autour de ce sujet en Nouvelle-Calédonie n'a existé que parce que certains n'ont pas pu assumer leur position devant leurs électeurs. Mais ce n'est pas parce que des accords ont été peut-être partiellement cachés aux électeurs calédoniens qui se sont prononcés par référendum que l'on doit remettre sa parole en cause, et encore moins - pour nous, constituants - la parole de l'État.
L'UDF comprend l'amertume des citoyens arrivés récemment en Nouvelle-Calédonie et qui se sentent aujourd'hui quelque peu floués.
M. le président. Monsieur Lagarde...
M. Jean-Christophe Lagarde. Nous le comprenons d'autant mieux que nos responsables locaux ont milité contre l'accord de Nouméa. Mais, fidèles à notre esprit de responsabilité, nous considérons que, lorsque l'État engage sa parole, il doit la tenir.
C'est la raison pour laquelle nous saluons, monsieur le Premier ministre, le courage du Gouvernement, qui nous présente ce projet de réforme constitutionnelle. Vous vous montrez, sur ce sujet, à la hauteur des enjeux et de vos responsabilités.
Mes chers collègues, pour ceux qui hésiteraient encore, prenons bien garde. La Nouvelle-Calédonie s'est engagée sur un chemin de paix.
M. le président. Merci, monsieur Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde. Elle fait confiance à la France pour traiter équitablement chacune des parties. (Mouvements d'impatience sur divers bancs.) Si la parole de l'État n'était pas tenue, il n'y aurait rapidement plus d'État en Nouvelle-Calédonie. C'est la raison pour laquelle l'UDF, qui fait confiance aux Calédoniens, votera ce projet de réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. Jean Dionis du Séjour. Bravo !
M. le président. Pour le groupe socialiste du Sénat, la parole est à M. Louis Le Pensec.
M. Louis Le Pensec. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis afin de préciser l'accord de Nouméa sur la composition du corps électoral pour les deux élections au congrès de la Nouvelle-Calédonie et aux assemblées des provinces, en 2009 et 2014, point sur lequel le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation de la loi organique statutaire. Il ne s'agit donc que d'un ajustement, qui aurait d'ailleurs déjà dû être adopté en 2000.
Ce vote est néanmoins essentiel pour que l'accord de Nouméa, parvenu à mi-parcours, continue, dans le prolongement des accords de Matignon et d'Oudinot de 1988, à garantir la paix civile et le développement en Nouvelle-Calédonie.
La confiance dont m'ont honoré le Président François Mitterrand et le Premier ministre Michel Rocard m'ont valu, comme ministre de l'outre-mer, de mener, au cours de l'été 1988, la négociation de l'accord d'Oudinot qui a complété les accords de Matignon, puis de veiller pendant cinq ans à leur mise en oeuvre au sein du ministère de l'outre-mer. Je tire de cette expérience la conviction que notre vote est décisif car il n'y aurait jamais eu d'accords ni de Matignon, ni d'Oudinot, ni de Nouméa sans la restriction apportée au corps électoral.
Faut-il évoquer la situation dramatique de la Nouvelle-Calédonie avant ces accords ? Une quasi-guerre civile, des victimes, nombreuses, le choc d'Ouvéa. Elle était le résultat de graves erreurs politiques, mais aussi de causes plus lointaines : le refus de reconnaître l'identité mélanésienne, le peuple kanak rendu minoritaire par une immigration massive, le non-respect de la parole donnée au nom de la France à divers moments de la colonisation.
Les accords ont reconnu l'identité kanake, ont limité le corps électoral et affirmé solennellement que la France tiendrait parole. C'est pourquoi, aujourd'hui, la parole de la France sur le corps électoral, élément clé de l'accord de Nouméa signé en 1998 par Lionel Jospin, Jacques Lafleur et Rock Wamytan, parole qui a été réaffirmée depuis 1998 par le chef de l'État, les Premiers ministres et les ministres de l'outre-mer successifs, doit être tenue.
Le préambule de l'accord de Nouméa, qui l'ouvre et le fonde par un récit partagé de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, le dit en deux phrases :
« Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. »
« II est aujourd'hui nécessaire de poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d'origine de se constituer, avec les hommes et les femmes qui y vivent, une communauté humaine affirmant son destin commun. »
Par conséquent, si l'accord de Nouméa reconnaît la légitimité des communautés non originaires, c'est dans le cadre d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont le périmètre est défini pour le temps de l'accord. À ces citoyens sont réservés certains droits, notamment celui de voter pour les élections aux institutions locales : congrès de la Nouvelle-Calédonie et assemblées des trois provinces, tous les Français inscrits sur les listes électorales générales votant naturellement pour les élections nationales, européennes et communales.
L'accord a été conclu pour une durée de vingt ans au plus avec, et pour, les personnes alors présentes. La citoyenneté y a été définie comme ouverte, pour cette période, aux électeurs inscrits pour le référendum de 1998, qui devaient pour cela avoir été domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis 1988, à ceux, au fur et à mesure qu'ils avaient dix ans de résidence, qui ont été inscrits sur les listes électorales générales entre 1988 et 1998 et n'avaient donc pas pu voter pour le référendum, ainsi qu'à leurs descendants atteignant l'âge de la majorité. Les Français qui sont entrés en Nouvelle-Calédonie depuis 1998 ne sont pas dans le champ de cet accord.
C'est pourquoi l'interprétation d'un corps électoral pour les élections au congrès et aux provinces figé en 1998 est seule compatible avec les principes de l'accord de Nouméa. Et si l'on était tenté d'opposer à cette restriction le principe démocratique « un homme, une voix », le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes s'y opposerait aussitôt. Ce serait à nouveau le conflit de deux légitimités, d'où sont nés les drames, et que les accords de Matignon, d'Oudinot et de Nouméa ont réussi à surmonter.
Je le dis devant Mme Tjibaou, présente dans la tribune du public : sans le courage et la force de conviction de Jean-Marie Tjibaou et aussi de Jacques Lafleur, avec l'appui décisif des deux Premiers ministres, Michel Rocard et Lionel Jospin, ces accords, difficiles à conclure et à expliquer, n'auraient pas été possibles.
L'espoir suscité par l'accord de Nouméa, dans la perspective ouverte par les accords précédents, ne peut être déçu. Son inspiration ne doit pas s'affaiblir, pour avancer dans la voie du partage par le rééquilibrage, la formation des hommes, la construction des usines et des équipements.
Trop d'événements en Nouvelle-Calédonie n'ont pas illustré notre devise républicaine. Aujourd'hui, la France n'a pas à rougir de ce qu'elle accomplit en Nouvelle-Calédonie pour une décolonisation sans rupture. C'est pourquoi le groupe socialiste du Sénat votera ce projet consolidant l'accord de Nouméa, qui a réconcilié les Calédoniens et fait honneur à la France. (Applaudissements.)
M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution.
Conformément à la décision prise par le bureau du Congrès, le scrutin public que je vais ouvrir dans un instant aura lieu dans les huit bureaux de vote installés dans les salles situées à proximité de l'hémicycle, de part et d'autre du vestibule.
Le scrutin va être ouvert pour trente minutes.
Le scrutin est ouvert.
Je vais maintenant suspendre la séance. Elle sera reprise pour la proclamation du résultat, vers douze heures cinquante.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :
Nombre de votants | 870 |
Nombre de suffrages exprimés | 814 |
Majorité requise pour l'adoption du projet de loi constitutionnelle, soit les trois cinquièmes des suffrages des suffrages exprimés | 489 |
Pour l'adoption | 724 |
Contre | 90 |
Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Il sera transmis à M. le Président de la République.
3
Ordre du jour
M. le président : Cet après-midi, à quatorze heures trente, deuxième séance de la présente session du Congrès :
Vote sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution ;
Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures cinquante cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton
DÉCRET DU 9 FÉVRIER 2007 TENDANT À SOUMETTRE TROIS PROJETS DE LOI CONSTITUTIONNELLE AU PARLEMENT RÉUNI EN CONGRÈS
Le Président de la République,
Sur le rapport du Premier ministre,
Vu l'article 89 de la Constitution,
« Décrète :
« Art. 1er. - Le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution, voté en termes identiques par l'Assemblée nationale le 13 décembre 2006 et par le Sénat le 16 janvier 2007, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort, voté en termes identiques par l'Assemblée nationale le 30 janvier 2007 et par le Sénat le 7 février 2007, et le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution, voté en termes identiques par l'Assemblée nationale le 16 janvier 2007 et par le Sénat le 7 février 2007, dont les textes sont annexés au présent décret, sont soumis au Parlement convoqué en Congrès le 19 février 2007.
« Art. 2. ? L'ordre du jour du Congrès est fixé ainsi qu'il suit :
« 1. Vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution ;
« 2. Vote sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution ;
« 3. Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.
« Art. 3. ? Le présent décret sera publié au Journal officiel de la République française.
« Fait à Paris, le 9 février 2007.
« JACQUES CHIRAC
« Par le Président de la République :
« Le Premier ministre,
« DOMINIQUE DE VILLEPIN »
PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE MODIFIANT L'ARTICLE 77 DE LA CONSTITUTION
Article unique
L'article 77 de la Constitution est ainsi modifié :
1o Dans le troisième alinéa, après le mot : « délibérante », sont insérés les mots : « de la Nouvelle-Calédonie » ;
2o Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. »
Deuxième séance
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ
À quatorze heures trente, M .Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, président du Congrès du Parlement, fait son entrée dans la salle des séances, accompagné des membres du bureau.
M .le président prend place au fauteuil. Mme et MM. les secrétaires prennent place au bureau à ses côtés.
M. le président. La séance est ouverte.
1
projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la constitution
M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution. 1
Je vous rappelle que les délégations de vote pour ce deuxième scrutin cesseront d'être enregistrées dans quinze minutes, soit à quatorze heures quarante-cinq.
La parole est à M. le Premier ministre.(Applaudissements.)
M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur, au nom du Président de la République, Jacques Chirac, de soumettre à votre approbation le projet de loi portant modification du titre IX de la Constitution.
Avec le statut pénal du chef de l'État, c'est tout le fonctionnement de notre démocratie et la légitimité de nos institutions que nous voulons consolider. Dans la Constitution de la Ve République, le Président de la République est la clé de voûte des institutions. Élu au suffrage universel, il tire sa légitimité et son autorité directement du peuple. Garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités, il est le chef des armées et il est doté de pouvoirs propres. C'est dire combien il est essentiel de protéger sa fonction. En même temps, chacun voit bien que les Français demandent à leurs responsables politiques de se soumettre aux mêmes règles, aux mêmes lois, aux mêmes contraintes. Ils refusent l'impunité, et nous partageons tous cette exigence républicaine, qu'il nous revient de mettre en oeuvre, tout en protégeant la stabilité indispensable de nos institutions.
Aujourd'hui, la responsabilité du chef de l'État est définie par l'article 68 de la Constitution. Comme l'ont mis en avant avec beaucoup de force et de rigueur les rapporteurs, Philippe Houillon et Jean-Jacques Hyest auxquels je veux rendre hommage, c'est un article ambigu. Le contenu et la nature de la haute trahison pourraient permettre, selon les circonstances, la mise en cause incessante du Président de la République. Par ailleurs, le texte ne dit rien de la responsabilité judiciaire du chef de l'État. Ces difficultés ont été mises en évidence par les récentes décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Par sa décision du 22 janvier 1999 relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a interprété l'article 68 comme instituant un privilège de juridiction. Il a, en effet, précisé que, pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président de la République ne pouvait être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article. Il n'y a pas alors lieu de distinguer selon l'époque à laquelle les actes ont été commis, ni s'ils entravent ou non l'exercice du mandat présidentiel.
Par son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a confirmé que le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne pouvait être poursuivi devant aucune juridiction pendant l'exercice de son mandat. Pour autant, elle a estimé qu'il ne bénéficiait pas d'un privilège de juridiction.
Ces deux décisions s'accordent sur un point déterminant : hormis le cas de haute trahison, le Président de la République ne saurait, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. L'ambiguïté concerne la portée des dispositions de l'article 68 de la Constitution. Cette incertitude s'ajoute à celle relative à la notion de haute trahison.
Vous le savez, nous n'avons jusqu'à présent pas tiré les conclusions de ces décisions. C'est pourquoi le Président Jacques Chirac a demandé à une commission, présidée par le professeur Pierre Avril, de proposer une clarification de cet aspect important de notre Constitution. Cette commission a proposé une révision complète du titre IX de la Constitution, consistant en une réécriture intégrale des articles 67 et 68 qui le composent. Le chef de l'État et le Gouvernement ont choisi de suivre les propositions de la commission, afin d'aménager un régime de responsabilité pragmatique et conforme aux aspirations d'une société moderne.
Ces propositions s'inscrivent dans notre tradition institutionnelle, car il s'agit d'abord de confirmer l'immunité dont bénéficie le chef de l'État pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions. C'est l'objet du premier alinéa de l'article 67.
Elles sont également conformes aux aspirations d'un État de droit moderne : à côté de l'immunité, la réforme qui vous est soumise institue une inviolabilité temporaire concernant tous les autres actes et prenant fin avec le mandat présidentiel. Redevenu simple citoyen, le chef de l'État devra répondre de l'ensemble de ses actes devant les juridictions de droit commun.
Je sais qu'à l'occasion des débats qui se sont déroulés devant les deux assemblées, la question de l'extension de cette inviolabilité aux juridictions non pénales a suscité de nombreuses interrogations. Je veux le réaffirmer devant vous : cela conduirait nécessairement à fragiliser l'exercice de sa mission ; pour protéger la fonction présidentielle, l'inviolabilité doit être totale.
Le mérite de cette réforme, c'est aussi de définir les conditions dans lesquelles doit se réaliser le retour à l'application du droit commun à l'issue du mandat du chef de l'État. Avec beaucoup d'entre vous, le Gouvernement a estimé qu'il s'agissait là d'une question essentielle, qui mérite d'être inscrite dans la Constitution. Le troisième alinéa de l'article 67 fixe ainsi à un mois après la cessation des fonctions le délai à l'issue duquel prend fin la suspension des procédures et des prescriptions.
Avec ce texte, nous reconnaissons au Parlement le pouvoir de destituer le chef de l'État en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. Des faits de cet ordre pourront conduire le Parlement, réuni en Haute Cour, non pas à juger le Président de la République, mais à le rendre à nouveau justiciable des juridictions de droit commun en mettant fin à son mandat. Tel est l'objet de l'article 68, composé de six alinéas.
La notion de haute trahison est remplacée par celle de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. Nous disposons ainsi d'un critère plus objectif, qui ne fait référence ni à la nature ni à la gravité de l'acte. La rédaction du texte permet de protéger la fonction de toute logique partisane. Ce dispositif change la nature de la responsabilité du chef de l'État, qui était jusqu'à maintenant pénale, sa condamnation ne pouvant revêtir qu'un caractère juridictionnel. Désormais, c'est une définition politique qui est instaurée. Elle suppose l'appréciation du comportement du chef de l'État au regard des exigences de sa fonction. Cela implique que sa légitimité, si elle doit être remise en cause, le soit par un organe non juridictionnel, doté d'une légitimité démocratique égale. C'est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement siégeant, dans son intégralité, en Haute Cour.
La procédure de destitution a été améliorée au cours de l'examen du texte au Parlement. La proposition de réunion de la Haute Cour doit être successivement adoptée par chacune des deux assemblées. La Haute Cour présidée par le Président de l'Assemblée nationale statue ensuite par un vote à bulletins secrets ; afin de mettre cette procédure à l'abri de tout risque de dérives partisanes, les votes devront tous être acquis à la majorité qualifiée des deux tiers, comme l'a suggéré avec pertinence Bernard Accoyer. Toute délégation de vote sera interdite. Le délai imparti à la Haute Cour est de seulement un mois, afin de protéger l'autorité du Président, dans le cas où la procédure ne devrait pas aboutir. La décision de la Haute Cour est d'effet immédiat. Le Président de la République destitué redevient, de ce même fait, un justiciable ordinaire.
Mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, le texte qui est soumis aujourd'hui à votre approbation est un texte équilibré, qui ne remet pas en cause l'équilibre institutionnel de la Ve République, mais au contraire le renforce. Il répond à une double exigence : celle de la transparence et d'égalité entre les citoyens et celle de la stabilité de l'État.
En adoptant cette réforme, je veux que chacun ait conscience que nous renforçons la Ve République. Nous apportons les preuves de sa capacité à évoluer, à s'adapter à des circonstances nouvelles et aux exigences de nos concitoyens. Un pays qui grandit, c'est une République qui vit. Un pays qui grandit, c'est une République qui change. Depuis des décennies, la Ve République a montré qu'elle avait la résistance nécessaire pour surmonter les épreuves les plus graves et la souplesse indispensable pour répondre aux attentes des Français.
En adoptant cette réforme, nous montrons que la Ve République est une République d'aujourd'hui. Nous faisons aussi un choix démocratique majeur : celui de la responsabilité. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
Explications de vote
M. le président. Pour le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, la parole est à M. André Vallini.
M. André Vallini. Monsieur le président du Congrès, monsieur le Premier ministre, monsieur le président du Sénat, monsieur le garde de sceaux, monsieur le ministre délégué aux relations avec le Parlement, mes chers collègues, avec la réforme du statut pénal du chef de l'État, nous devons aujourd'hui assurer le juste équilibre entre la protection de la fonction présidentielle et la responsabilité du titulaire de cette fonction.
S'agissant de la protection de la fonction présidentielle, nous avions, en 2001, adopté une proposition de loi qui prévoyait que, pour les actes accomplis dans le cadre de ses fonctions, le Président de la République restait passible, en cas de haute trahison, de la Haute Cour de justice, mais que, pour les crimes ou délits commis en dehors de ses fonctions ou avant son entrée en fonction, mais détachables de sa fonction, le chef de l'État restait soumis aux procédures et aux juges de droit commun, moyennant le filtre d'une commission chargée de s'assurer que les poursuites engagées n'étaient pas abusives.
Le texte que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, est différent, puisqu'il assure une immunité totale au Président de la République pendant la durée de son mandat.
Pour ce qui concerne la responsabilité du Président de la République, votre texte crée une nouvelle procédure : la destitution. Elle devra, évidemment, rester exceptionnelle tant ses conséquences seront lourdes, puisqu'elle pourra aboutir à destituer un homme - ou une femme - élu au suffrage universel par le peuple souverain. Et c'est d'ailleurs le peuple souverain qui aura le dernier mot, puisque la destitution entraînera mécaniquement une nouvelle élection présidentielle, ou qu'elle sera précédée d'une dissolution entraînant de nouvelles élections législatives.
Il était prévu, dans votre projet initial, monsieur le Premier ministre, que les décisions de réunir la Haute Cour et de destituer le Président de la République seraient prises à la majorité simple. Par un amendement que j'ai présenté au nom de mon groupe, nous avons porté cette majorité aux deux tiers, afin d'éviter que des coalitions de circonstance ne permettent de faire un usage politicien de cette nouvelle procédure. En effet, celle-ci ne doit en aucun cas se transformer en motion de censure politique du Parlement à l'encontre du Président de la République, ni ouvrir la voie à des manoeuvres partisanes, notamment en période de cohabitation.
Il y a quelques semaines, je précisai à la tribune de l'Assemblée nationale qu'aux yeux des socialistes, il était plus que jamais nécessaire d'accompagner cette réforme de celle du mode d'élection des sénateurs.
En effet, tant que le Sénat restera structurellement conservateur (Protestations sur de nombreux bancs), un Président - ou une Présidente - de la République de gauche...
M. Arnaud Montebourg. Très bien !
M. André Vallini. ...pourra beaucoup plus facilement être traduit devant la Haute Cour et, le cas échéant, être destitué par une majorité de droite, qu'un Président de la République de droite par une majorité de gauche.
Les sénateurs socialistes se sont montrés plus exigeants que les députés socialistes et ils ont eu raison ! Cette réforme du statut pénal ne doit pas être votée isolément mais doit s'intégrer dans une réforme globale de nos institutions, y compris, bien sûr, celle du Sénat.
C'est la raison pour laquelle nous avons finalement décidé de nous abstenir. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire du Sénat, la parole est M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, chers collègues, nous avons hérité, avec la Constitution de la Ve République, d'un statut du chef de l'État obsolète et inadapté.
M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas gentil pour le Général !
M. Patrice Gélard. Obsolète parce qu'il est directement inspiré du système monarchique et n'a joué en fait, dans le passé, que pour juger les ministres.
Inadapté parce que la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale a conduit le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1999, à reconnaître, d'une part, le privilège de juridiction et de procédure du chef de l'État et, d'autre part, la compétence de la Haute Cour en matière pénale.
Curieusement, cette décision a été contestée par l'arrêt d'assemblée de la Cour de cassation du 29 juin 2001, qui a affirmé la totale compétence des tribunaux de droit commun, mais aussi la suspension des poursuites pendant la durée du mandat présidentiel. Il était donc pertinent que le chef de l'État, face à cette insécurité juridique, souhaite la constitutionnalisation de nouvelles règles en matière de responsabilité du Président de la République.
Ainsi, le nouvel article 67 confirme et consacre le principe de l'immunité présidentielle et reprend l'essentiel des conclusions de la commission Avril. La jurisprudence de la Cour de cassation se trouve ainsi constitutionnalisée.
Le nouvel article 68, quant à lui, remplace la responsabilité pénale du chef de l'État par une nouvelle responsabilité de nature politique. Il est ainsi mis fin à l'ancienne Haute Cour de justice et à la procédure pénale en vigueur. Dorénavant, le Président de la République ne pourra « être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Certes, cette définition demeure sujette à interprétation, mais il s'agit, en fait, de mettre fin à des comportements manifestement incompatibles avec la fonction présidentielle.
Il faut se préparer à l'idée qu'il n'y a plus la moindre responsabilité pénale et que le Président de la République mis en cause dispose toujours de l'arme de la dissolution ou, en cas de destitution, de la possibilité de se représenter aux élections.
Le texte a été considérablement amélioré par l'Assemblée nationale, qui a modifié les majorités initiales, interdisant ainsi toute attitude qui viserait seulement à déstabiliser la fonction présidentielle.
Je terminerai par trois points.
Le premier touche à l'égalité de l'Assemblée nationale et du Sénat dans la procédure. Ainsi se trouve garanti le respect de l'unité du Parlement représentant le peuple souverain quand celui-ci ne s'exprime pas directement. Je préciserai que le Sénat, aujourd'hui plutôt à droite, peut un jour passer à gauche - il l'a été dans le passé et il peut le redevenir. (Rires sur de très nombreux bancs.)
M. Nicolas About. Ne parlez pas de malheur !
M. le président. Je vous en prie, revenons à la réalité ! (Rires et applaudissements sur de très nombreux bancs.)
M. Patrice Gélard. Le deuxième point concerne l'interdiction des poursuites ou des actions devant la juridiction civile. Cette disposition est nécessaire pour éviter le harcèlement judiciaire du chef de l'État, tout en lui faisant confiance pour agir dans le respect des droits des tiers.
Enfin, il faudra procéder prochainement à une nouvelle révision qui mette fin à la disposition selon laquelle les anciens Présidents de la République sont membres de droit du Conseil constitutionnel. On pourrait utilement la remplacer par une nomination en tant que sénateur.
Le groupe UMP du Sénat, dans sa très grande majorité, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat, la parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, messieurs les ministres, mes chers collègues, s'il est un domaine pour lequel les constituants de 1958 n'ont pas fait oeuvre d'originalité, c'est bien celui qui nous occupe aujourd'hui.
À ceux qui prétendent que l'examen de ce projet est bien tardif, nous répondrons que cette considération n'est pas essentielle, dans la mesure où ce texte met un terme à l'ambiguïté actuelle. Il vise en effet, d'une part, à clarifier la règle de l'immunité qui protège la fonction du chef de l'État et, d'autre part, à définir les conditions dans lesquelles la Haute Cour pourrait lever cette protection par sa destitution.
Tout d'abord, le texte comble les lacunes de la loi fondamentale en précisant la nature, la durée et l'étendue des immunités dont le Président de la République bénéficie.
Le projet maintient sans véritable changement l'immunité de fond, nécessaire, en rappelant l'irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité. Elle s'entend à la fois du point de vue pénal et sur le plan civil et ne connaît qu'une exception tenant à la compétence de la Cour pénale internationale.
En revanche, concernant l'immunité de procédure, s'agissant des actes détachables de son mandat, le projet lève les incertitudes qui tenaient à l'absence de toute définition de l'inviolabilité du mandat présidentiel.
L'article 67 institue, conformément à l'arrêt de la Cour de cassation de 2001, une inviolabilité temporaire pour la durée du mandat, faisant obstacle en matière civile et pénale aux procédures engagées contre le Président de la République.
Il est mis fin, ce faisant, au privilège de juridiction dont il bénéficiait en matière pénale pour les actes « détachables » de l'exercice de ses fonctions et qui résultait de l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel.
L'immunité civile prévue par le projet, longuement discutée au Sénat, présente des inconvénients certains, mais est-elle plus choquante que l'immunité accordée en matière pénale ? Elle présente en tout cas l'avantage de protéger la fonction présidentielle dans un contexte juridique où les procédures civile et pénale ne sont pas nécessairement étanches.
Au demeurant, dans le cas où il serait manifestement porté atteinte aux devoirs attachés à la fonction présidentielle, la durée de l'immunité est susceptible d'être écourtée par une procédure de destitution.
Le projet, par ailleurs, améliore les règles de mise en cause de la responsabilité du chef de l'État devant la Haute Cour. Les faits pour lesquels sa responsabilité pourrait être mise en cause sont mieux définis. À tout prendre, la notion de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » est plus claire que celle de haute trahison.
Le projet définit la nature de la sanction pouvant être prononcée par la Haute Cour - la destitution -, même s'il ne mentionne pas tous ses effets, puisqu'il laisse pendante la question du maintien du Président de la République destitué dans ses fonctions de membre du Conseil constitutionnel, question qui devrait être traitée par la loi organique.
Enfin, le nouvel article précise que c'est le Parlement réuni en Haute Cour, sur proposition adoptée à la majorité des deux tiers qui prononce, le cas échéant, la destitution dans un délai d'un mois. Ainsi, la Haute Cour ne constitue plus une juridiction pénale ni même une cour de justice. Elle ne peut mettre en cause, dans des situations exceptionnelles, que la responsabilité politique du Président de la République.
À ceux qui douteraient qu'il s'agisse d'un progrès, faut-il rappeler les difficultés qu'une assemblée parlementaire rencontrerait dans la conduite de ses délibérations et le respect de la procédure pénale ? On songe, à cet instant, aux notes consignées dans son journal par Victor Hugo lors du procès des ministres Teste et Cubières devant la Chambre des pairs.
En définitive, il a été fait au projet des reproches contradictoires. D'une part, il serait donné à la Haute Cour des pouvoirs exorbitants portant atteinte au régime présidentiel institué par la Ve République, en permettant au Parlement de mettre en cause la responsabilité politique du Président de la République, voire de détourner la procédure de destitution de son objet à des fins partisanes. D'autre part, en prévoyant que la décision de réunir la Haute Cour serait prise à la majorité qualifiée des deux tiers, qu'elle n'emporterait pas empêchement du chef de l'État et qu'elle n'exclurait pas l'usage du droit de dissolution par celui-ci, l'objectif poursuivi serait de faire autant que possible obstacle à l'aboutissement de toute procédure de destitution.
La vérité est sans doute à mi-chemin : si l'on ne peut évidemment se réjouir de la mise en oeuvre d'une procédure telle que la destitution - qui ne bouleversera pas, de toute façon, l'équilibre des pouvoirs publics le régime demeurant malgré tout parlementaire -, il est bon que le Parlement réuni en Haute Cour soit en mesure d'y recourir en cas de nécessité.
Je conclurai en disant que la diversité des sensibilités qui traverse notre groupe rend une unanimité de vote difficile. Nous n'en voterons pas moins ce projet en majorité, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur divers bancs.)
M. le président. Pour le groupe Union pour la démocratie française de l'Assemblée nationale, la parole est à Mme Anne-Marie Comparini.
Mme Anne-Marie Comparini. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, chers collègues, depuis quelques années, la responsabilité pénale du chef de l'État est devenue d'une brûlante actualité et, disons-le, sur le principe, tous les parlementaires ici présents sont d'accord pour l'aménager tant elle fonde sa légitimité.
Fallait-il cependant attendre la fin de la législature pour le faire ?
M. Alain Néri. Eh oui !
Mme Anne-Marie Comparini. Le groupe UDF ne le croit pas, et invoquer la technicité du projet ne tient pas car voilà plus de trois ans que la commission Avril a remis ses conclusions et que ce texte a été déposé sur le bureau de l'Assemblée !
Cette inscription précipitée est donc pour nous choquante et malvenue car, sous prétexte de régler le statut pénal du Président de la République - question importante s'il en est -, on en vient à modifier des principes de notre régime politique à soixante-cinq jours d'une élection présidentielle. Le résultat est là : aujourd'hui, votre projet transforme, à tort et hâtivement, trois principes majeurs.
D'abord, il continue à ignorer la distinction entre les actes détachables ou non de la fonction présidentielle et, discrètement, vous introduisez ainsi l'immunité présidentielle totale, notamment à l'égard des actions civiles. Monsieur le garde des sceaux, a-t-on bien mesuré la portée d'une telle mesure ?
L'immunité en matière civile n'existe pas dans notre droit et à juste titre. En effet, depuis Napoléon, « tous les Français sont égaux devant la loi civile ». Une telle immunité n'existe pas non plus dans les autres démocraties européennes.
Autant nous considérons que le Président de la République, en raison de sa fonction particulière, doit être protégé, autant nous estimons qu'il n'en est pas moins un citoyen comme les autres, un « citoyen ordinaire » aurait dit le doyen Vedel. Nous regrettons donc que vous n'ayez pas suivi Jean Foyer qui écrivait en 1999 qu'« en tant que personne privée, le Président est pénalement et civilement responsable comme tout citoyen ».
Ensuite, avec cette nouvelle rédaction, vous remplacez une responsabilité pénale par une responsabilité politique. Reconnaissons-le, si vous aviez voulu que la destitution soit prononcée pour de simples raisons judiciaires, elle l'aurait été par des magistrats aptes à démontrer le manquement du Président par un travail juridictionnel sérieux. II n'en est rien, votre texte interdit toute enquête judiciaire à cet égard. Dès lors les parlementaires ne voteront que sur une simple présomption. Finalement, la destitution proposée équivaut à une motion de censure du Président, ouvrant la porte, comme le disent certains experts, au tribunal de l'opinion. Nous manifestons les réserves les plus extrêmes à l'encontre d'une telle procédure.
Enfin, cette nouvelle rédaction néglige le parallélisme des formes. Ce principe simple devient, dans l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui, un principe démocratique puissant : le Président de la République, élu au suffrage universel, n'est responsable que devant le peuple. C'est donc au peuple français de sanctionner les manquements graves du Président.
Vous n'avez pas retenu cette conception. C'est dommage, car, en ces temps de discrédit politique, elle aurait montré que l'exercice du pouvoir suprême n'est pas un privilège qui dispense le Président de rendre des comptes à la nation.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera contre ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs.)
M. le président. Pour le groupe Union centriste - Union pour la démocratie française du Sénat, la parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, il convenait, sans doute, d'actualiser l'article 68 de la Constitution par une définition plus appropriée de la destitution du Président et d'en faire une sanction plus politique que pénale en confiant au Parlement tout entier et à la majorité des deux tiers les décisions à prendre.
Notre régime ayant pris, à nos yeux, une tournure excessivement « présidentielle » au sens politique du terme, il convient plus encore de rétablir un meilleur équilibre entre le Président et le Parlement, et ce dispositif, pour singulier et extraordinaire qu'il soit, n'en constitue pas moins un progrès dans cette direction.
Pour autant, est-il acceptable que l'on profite de cette occasion pour introduire furtivement dans le statut du chef de l'État une immunité s'étendant aux actions de caractère civil, ce qui constitue non une adaptation, mais une innovation, d'autant plus surprenante que rien dans le passé n'en a fait apparaître la nécessité et qu'on n'en a pas trouvé d'exemple dans les institutions des grandes démocraties, notamment européennes.
M. Jean-Christophe Lagarde. Très juste !
M. Pierre Fauchon. A-t-on bien mesuré la portée d'une telle mesure qui fait payer à des tiers le prix d'une immunité totale du Président pendant au moins dix ans, si l'on en juge par l'expérience des deux derniers présidents ? A-t-on bien mesuré la gravité du préjudice ainsi causé et qui peut être irréparable, en particulier dans les affaires de caractère familial ? A-t-on pris conscience de cette inégalité proclamée - en dépit des propos de M. le Premier ministre - entre un Président qui conserverait le droit d'agir en justice contre des tiers, et ceux-ci, qui n'auraient pas le droit d'engager des instances contre lui, ni même de se défendre s'ils sont attaqués ?
Est-il pensable que, dans l'hypothèse d'un conflit familial, un conjoint soit privé de la possibilité de divorcer et voie sa vie personnelle bloquée pendant cinq ou dix ans, ou davantage, alors que le Président, lui, conserverait cette faculté, à laquelle le conjoint ne pourrait même pas opposer une demande reconventionnelle ? Sommes-nous, mes chers collègues, dans un État de droit ou dans une monarchie de droit divin ?
On comprendra dès lors que notre groupe, se souvenant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « la loi doit être la même pour tous » - et c'est bien ici le lieu de le rappeler - ne puisse souscrire à de telles dispositions, ce qui nous conduira à l'abstention ou au rejet, dans un esprit non d'opposition mais de résistance, fondé sur l'esprit de libre examen qui est, à nos yeux du moins, le premier des devoirs d'un parlementaire.
Les fastes versaillais méritaient peut-être mieux. (Exclamations sur divers bancs.) Il est permis de penser que la présente législature aurait pu se clôturer d'une manière plus convaincante, sinon plus glorieuse, que par l'adoption au pas de charge de textes qui n'apportent aucune amélioration réelle au fonctionnement de notre démocratie, cependant si visiblement défectueux, étouffé qu'il est de toutes parts par le conformisme, pour ne pas dire par la complaisance, le découragement ou le scepticisme.
Combien eût-il été plus justifié de nous réunir ici, sous l'image emblématique des États généraux - choisie dans un moment passablement prémonitoire au regard de la réunion de ce jour -, à tout le moins pour voter les réformes celles sur lesquelles il existe un consensus général, si l'on en juge par les programmes des divers candidats à l'élection présidentielle !
Je pense à titre d'exemple à la redéfinition des nominations aux plus hautes fonctions de la République, pour y associer le Parlement.
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Je pense aussi à la reconnaissance du droit de voter des résolutions pour le Parlement, ce qui nous aiderait à résoudre bien des difficultés. Je pourrais ajouter, à titre personnel, l'introduction du principe de l'équilibre du budget de fonctionnement de la République.
M. le président. Monsieur Fauchon, veuillez conclure, s'il vous plaît.
M. Pierre Fauchon. Je termine, monsieur le président.
M. le président. Faites-le, je ne me contente pas de promesses !
M. Pierre Fauchon. S'il y a une urgence à nos yeux, c'est celle-là. Et notre souhait - puisqu'il faut rester optimiste - est de nous retrouver tous, chers collègues, dans quelques mois pour procéder à une véritable réforme de nos institutions (Exclamations) qui permette au Parlement de retrouver la plénitude de ses responsabilités dans une République revivifiée. (Applaudissements sur quelques bancs.)
M. le président. Pour le groupe socialiste du Sénat, la parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous me permettrez en préalable, une réflexion qui sonne comme une évidence. Cette majorité - la vôtre, monsieur le Premier ministre - a au moins toujours été constante sur un principe : les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. (Applaudissements sur quelques bancs.)
Annoncée par le Président de la République, dès la campagne électorale de mars 2002, la réforme du statut pénal du chef de l'État était présentée alors comme une urgente nécessité parce qu'elle concernait « les fondements mêmes de la République ». Elle était d'une telle urgence qu'elle s'est trouvée, sous forme de projet de loi, en attente depuis le mois de juillet 2003, pour n'être finalement examinée par le Congrès que quelques jours avant la fin du mandat du chef de l'État. Ce que nous n'avions peut-être pas compris, c'est que le chef de l'État a trouvé cette réforme tellement excellente qu'il a décidé de la réserver à ses successeurs, ce qui a eu, peut-être, pour effet d'arrêter l'horloge judiciaire. (Protestations sur quelques bancs.)
M. Daniel Mach. C'est bas !
M. Jean-Pierre Bel. J'ajoute une autre considération qui concerne, elle, le Sénat : parce qu'il avait un compte à rebours annoncé, la programmation de nominations mécaniquement calées sur le tempo de la campagne électorale du candidat de la majorité, le Gouvernement a voulu passer en force, au prix d'ailleurs des réticences de quelques-uns de ses propres soutiens, ce qui nous a valu un vote conforme du Sénat - un Sénat au garde à vous, un Sénat aux ordres (Protestations sur quelques bancs), un Sénat qui a renoncé à jouer le rôle qu'il prétend être le sien. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
L'Histoire rendra compte du comportement de la majorité sénatoriale face aux différentes révisions constitutionnelles. Après en avoir bloqué certaines, comme en 1984 et en 1990, après avoir voté à reculons - c'est le moins que l'on puisse dire - des réformes comme la parité en 1999, le Sénat a abdiqué son pouvoir constituant depuis 2002, en votant conformes la plupart des révisions intervenues.
Son veto constitutionnel a un objectif simple et il est toujours opposé aux mêmes : le Sénat le réserve à la gauche, la gauche unique objet de sa vigilance et unique victime de son couperet. (Exclamations sur plusieurs bancs.)
Chacun comprend qu'il faudra bien, dans ces conditions et à l'occasion de la prochaine alternance, en tirer les conséquences qui s'imposent. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. Ghislain Bray. Vous pouvez toujours rêver !
M. Jean-Pierre Bel. La réforme du statut pénal du chef de l'État, nous y sommes, favorables. Cependant, nous nous imaginions à tort qu'il y avait place pour le dialogue. Il n'a pas eu lieu, je viens d'en dire deux mots. Pourtant, nous avions présenté trois amendements inspirés l'un par une considération politique, l'autre par une considération juridique, et le dernier par le bon sens.
Sur le plan politique, nous avons bien compris ce qui est proposé. De pénale, la responsabilité du chef de l'État devient politique, C'est un nouveau moyen de censurer l'exécutif. Or, dans nos institutions, l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, peut seule disposer de ce pouvoir de censure. En contrepartie de cette spécificité, elle peut se voir frapper par une décision de dissolution - contrairement au Sénat qui, en effet, monsieur le président du Congrès, ne connaît jamais l'alternance.
Sur le plan juridique, étendre l'immunité du chef de l'État en le soustrayant à toute action civile ou administrative relative aux événements de la vie ordinaire de tout citoyen, et donc totalement étrangers à son mandat, nous a semblé très franchement, inacceptable. Si la fonction présidentielle doit être protégée, le chef de l'État ne peut pour autant être au-dessus de la loi, quand bien même il serait hors la loi.
Enfin, mes chers collègues, le bon sens aurait dû conduire le Gouvernement et sa majorité à accepter l'amendement que nous avons présenté tendant à ce qu'un Président destitué ne puisse siéger à vie au Conseil constitutionnel comme membre de droit. Avec le texte qui nous est soumis aujourd'hui, le président, destitué en raison d'un manquement grave incompatible avec sa fonction, pourrait juger de la constitutionnalité des lois votées par le Parlement qui lui-même aurait voté sa destitution ! Cette situation grotesque aurait pu être rectifiée au prix d'une brève navette si vous aviez eu un minimum de considération pour le Parlement. Étonnamment, il a été répondu au Sénat que la loi organique, ou même un décret, pourrait régler ce détail.
M. le président. Veuillez conclure.
M. Jean-Pierre Bel. Parce que cette réforme est, à la virgule près, taillée sur mesure pour la majorité d'aujourd'hui, représentée dans cette campagne par Nicolas Sarkozy, parce qu'à aucun moment vous n'avez choisi la voie de la concertation pour trouver un équilibre et des convergences, nous refuserons de la voter et nous nous abstiendrons. (Exclamations sur divers bancs.)
Mais nous nous refusons à laisser les choses en l'état (Mêmes mouvements). Face à des institutions de la Ve République qui s'essoufflent, à l'insuffisance d'un système démocratique qui laisse planer sur la vie publique un discrédit inquiétant, nous donnons rendez-vous aux Français pour une réforme ambitieuse et audacieuse de nos institutions, pour des réformes véritablement refondatrices. Oui, demain, nous proposerons aux Français ce dont le pays a besoin : une République nouvelle ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. Ghislain Bray. Vous pouvez toujours rêver !
M. le président. Pour le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, messieurs les ministres, chers collègues, sur les vingt-sept orateurs qui sont intervenus ou interviendront aujourd'hui, quatre sont des femmes. Je me réjouis certes que trois appartiennent à ma sensibilité politique, mais il faudrait faire beaucoup plus pour honorer la parité. (Applaudissements sur quelques bancs.)
J'en viens au projet. La précipitation de cette fin de législature écarte toute possibilité de débattre réellement de la place du Président de la République dans l'architecture institutionnelle de notre pays. Je le regrette.
Au travers de la responsabilité ou de l'irresponsabilité du chef de l'État, objet du présent texte, c'est pourtant la nature du régime sous lequel nous vivons qui est en cause. S'agit-il de maintenir la filiation avec l'article de la Constitution de 1791 qui disposait que « la personne du Roi est inviolable et sacrée », ou d'évoluer vers un président citoyen, rompant ainsi avec la dérive monarchique de la Ve République ? Cette évolution serait un élément d'une démocratisation en profondeur de nos institutions.
La présidentialisation du régime a accompagné la bipolarisation, l'appauvrissement démocratique, et finalement la démission du politique face au pouvoir économique. Cette évolution, renforcée par la soumission du scrutin législatif au scrutin présidentiel par la combinaison du quinquennat et de l'inversion du calendrier électoral, est à l'opposé de l'aspiration croissante du peuple à la transparence et à la participation aux décisions.
La présidentialisation est si forte que le chef de l'État peut se permettre de ne tenir aucun compte des résultats d'un référendum aussi important que celui du 29 mai 2005, alors que ce congrès devrait être l'occasion de nous soumettre l'abrogation de l'article 88, conséquence logique des résultats du référendum.
Que dire, monsieur le président, de l'abaissement du rôle du Parlement, trop souvent considéré comme une simple chambre d'enregistrement ?
Cette présidentialisation appauvrit la démocratie et le débat politique, débouchant sur une regrettable « peoplisation » des campagnes électorales. Cet appauvrissement se fait bien au seul profit des vrais décideurs, les décideurs économiques.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui, bien modeste, est surtout un affichage de fin de quinquennat.
Les sénateurs et le parti communistes sont résolument partisans de la réduction des pouvoirs du Président de la République, du rétablissement de la primauté du Parlement et d'un Premier ministre chef de l'exécutif responsable devant le Parlement.
Conformément à cette logique, nous souhaitons une évolution du rôle du Président, d'un Président monarque à un Président citoyen. Si la fonction doit être protégée, le Président doit pouvoir répondre de ses actes devant les tribunaux de droit commun, y compris au cours de son mandat. L'irresponsabilité ne doit prévaloir que pour les actes commis dans le cadre de sa fonction.
Nous sommes donc opposés au projet de loi qui nous est présenté. En effet, le chef de l'État sera irresponsable ad vitam aeternam des actes commis en qualité de chef de l'État. Pour le reste, il faudra attendre la fin du mandat. Cette inviolabilité temporaire pour les actes de la vie privée est inacceptable. Même si la prescription est suspendue pendant la durée du mandat, que deviendront les preuves ou les témoignages durant les cinq ou dix années de présidence ?
Le seul moyen de soumettre le Président de la République aux tribunaux pour des fautes pénales, civiles ou administratives sera désormais la procédure de destitution instituée par le projet de loi. Cette procédure, qui se veut hautement politique, évoluera nécessairement vers un impeachment à l'américaine. Contrairement à l'objectif affiché, politique et judiciaire seront encore plus étroitement liés.
Enfin, ce texte offre au Sénat une arme - mal définie en l'absence de projet de loi organique - qui lui permettra d'engager en toutes circonstances une procédure de destitution à l'encontre d'un président élu par une majorité autre que celle du Sénat. Cette chambre élue au suffrage indirect ne devrait pas disposer d'un pouvoir aussi lourd.
La destitution politique sera donc la seule source de mise en cause judiciaire du Président, ce qui sera un facteur supplémentaire de personnalisation, de médiatisation et de présidentialisation.
L'Assemblée nationale avait voté en 2001 la compétence des juridictions de droit commun pour les actes privés. Nous regrettons que ce choix ne soit pas repris.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte, qui permet au chef de l'État d'échapper à la justice durant son mandat et qui sème la confusion entre responsabilité politique et responsabilité judiciaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, pendant près de deux siècles, la question du statut du chef de l'État est restée sans réelle réponse. Sous la Ve République, le Président est devenu la clef de voûte de nos institutions. Parallèlement, la société a eu soif d'une plus grande exigence d'égalité, de transparence et de justice. Cette dynamique ne concerne d'ailleurs pas que notre seul pays.
Ce mouvement nous incite à agir, et ce d'autant plus que les termes actuels de l'article 68 de la Constitution se sont révélés, à l'usage, ambigus.
Le mécanisme qui nous est proposé est nécessaire et équilibré. D'aucuns diront que, par leurs décisions de 1999 et de 2001, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont d'ores et déjà réglé la question : c'est aller un peu vite en besogne. Par ailleurs, la nature jurisprudentielle de ces décisions ne suffit pas à modifier la Constitution. Il est du devoir du pouvoir constituant de ne laisser, en la matière, aucune zone d'ombre.
Le dispositif voté par les deux assemblées est équilibré. D'une part, la fonction est protégée grâce à l'affirmation de l'inviolabilité du chef de l'État pendant la durée du mandat, réserve faite des cas prévus par les statuts de la Cour pénale internationale. La contrepartie est double. D'abord, durant le mandat, tout délai de forclusion et de prescription est suspendu. Ensuite, dès que le mandat cesse, l'ancien titulaire de la fonction redevient un citoyen comme les autres.
Par ailleurs, à l'instar de ce qui existe déjà dans de nombreuses autres démocraties, une procédure nouvelle est instituée : la procédure de destitution, engagée par chaque assemblée, décidée par le Parlement réuni en Haute Cour. Ce n'est pas une révolution constitutionnelle. Cette procédure n'est appelée à jouer que dans des cas évidents et incontestables.
Deux contresens doivent être évités. Le premier consiste à confondre destitution et procédure judiciaire, alors que cela n'a rien à voir. Les faits éminemment graves susceptibles de fonder la destitution peuvent être qualifiés pénalement ou pas. Ils peuvent avoir eu lieu, non seulement pendant, mais aussi avant la durée du mandat. La procédure de destitution est une procédure politique.
Le deuxième contresens consiste à croire que la destitution est une procédure courante, utilisable à volonté, susceptible d'ébranler à chaque instant les fondements du régime. Dans la réalité du dispositif que nous examinons, la destitution est un pare-feu, ce n'est pas un tison.
M. Bernard Accoyer. Très bien !
M. Philippe Houillon. Les apprentis sorciers qui voudraient l'utiliser à toute autre fin que destituer et tous ceux qui les suivraient s'y brûleraient inévitablement les doigts.
N'oublions pas non plus que, contrairement à la procédure d'impeachment en vigueur aux États-Unis, c'est le peuple souverain qui jugera en dernier ressort et qu'il pourra réélire un Président injustement destitué.
Nous allons instituer une procédure solide, dont le caractère non partisan a été renforcé à l'initiative de la commission des lois et du groupe socialiste de l'Assemblée. Loin d'affaiblir la fonction présidentielle, la révision qui nous est proposée la renforce et la modernise. Elle ne peut, dans ces conditions, que recueillir notre approbation. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Jacques Brunhes.
M. Jacques Brunhes. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le principe cardinal des valeurs républicaines, qui figure à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, affirme que « la loi doit être la même pour tous soit qu'elle punisse soit qu'elle protège ». Pour le groupe communiste et républicain, ce principe doit présider au choix du régime de la responsabilité présidentielle.
Qu'il faille préciser ce régime, au vu des controverses doctrinales qui ont suivi la révélation des « affaires » de la mairie de Paris, et la jurisprudence contestable du Conseil constitutionnel à son égard, assurément, oui. Mais transformer, comme le fait le présent projet de loi, l'Élysée en sanctuaire à la porte duquel les juges resteront, y compris pour recueillir un simple témoignage, décidément, non.
En effet, ce texte ne prévoit pas seulement l'immunité, légitime lorsqu'il s'agit d'actes accomplis par le Président de la République dans l'exercice de sa fonction, il consacre aussi son inviolabilité pendant la durée de son mandat pour les infractions commises antérieurement à ses fonctions ou sans rapport avec elles. De surcroît, cette inviolabilité s'étend au civil et à l'administratif, de sorte qu'une procédure ne pourrait intervenir devant ce type de juridictions qu'au terme du mandat présidentiel, soit cinq ou dix ans plus tard. Ainsi, sa personne est « inviolable et sacrée » comme celle du roi aux termes de la Constitution du 3 septembre 1791, quand la France était encore une monarchie constitutionnelle.
De nombreux juristes aussi éminents que Léon Duguit ou Jean Foyer ont estimé que, pour les infractions détachables de ses fonctions, le chef de l'État doit répondre pénalement devant les tribunaux de droit commun, comme n'importe quel autre justiciable. C'est aussi notre opinion.
Quant à sa responsabilité politique en cours de mandat, selon le texte, le Président peut être destitué par le Parlement, constitué en Haute Cour, pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Quel est le sens de cette mesure dont l'incohérence est patente dans le cadre de la Ve République, où le Président n'est pas responsable devant l'Assemblée nationale ? Vise-t-elle à créer l'illusion d'une démocratisation de la fonction présidentielle ? Illusion, car comment imaginer l'utilisation de cette procédure contre un Président de droite au vu de la composition conservatrice du Sénat, liée à son mode d'élection, et du « suivisme » des majorités présidentielles à l'Assemblée nationale ? Son objectif ne serait-il pas plutôt d'affaiblir la position d'un Président de gauche, notamment dans l'hypothèse d'une cohabitation, puisque, mes chers collègues, son utilisation n'est envisageable que dans ce cas ?
Enfin, cette procédure pourrait être indifféremment déclenchée par l'une ou l'autre chambre, les mettant à égalité, alors que la Constitution et l'élection au suffrage universel des députés confèrent à ces derniers une légitimité autre que celle des sénateurs. (Exclamations sur plusieurs bancs.)
Ainsi, ce projet renforce le caractère monarchique du Président. La possibilité d'une utilisation partisane et politicienne de la destitution affaiblit la démocratie. Ce texte ne pourra que conforter la méfiance des citoyens à l'égard des gouvernants et le sentiment populaire d'une justice différenciée selon qu'on est puissant ou misérable. Il accentuera de fait la crise de notre système politique, liée à sa dérive présidentialiste qui abaisse le Parlement, bipolarise la vie politique, rompt le lien entre l'expression du suffrage et l'exercice réel du pouvoir.
Vous comprendrez dès lors, mes chers collègues, que les députés du groupe communiste et républicain de l'Assemblée nationale, dans leur quasi-unanimité, voteront contre ce projet. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre IX de la Constitution.
Le scrutin va être ouvert durant trente minutes.
Le scrutin est ouvert.
La séance sera reprise, pour la proclamation du résultat, vers seize heures heures.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à seize heures.)
M. le président. La séance est reprise.
Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :
Nombre de votants | 869 |
Nombre de suffrages exprimés | 652 |
Majorité requise pour l'adoption du projet de loi constitutionnelle, soit les trois cinquièmes des suffrages des suffrages exprimés | 392 |
Pour l'adoption | 449 |
Contre | 203 |
Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre IX de la Constitution (Applaudissements sur de nombreux bancs), approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Il sera transmis à M. le Président de la République.
2
projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.2
Les délégations de vote pour ce troisième scrutin cesseront d'être enregistrées à seize heures vingt minutes.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.
À quatre reprises depuis la Révolution française, le Parlement a eu à traiter de la question de la peine de mort. À quatre reprises, les représentants du peuple français se sont affrontés et divisés sur ce sujet. Aujourd'hui, alors que vous allez vous en saisir à nouveau, nous pouvons mesurer le chemin parcouru.
Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, nous pouvons évoquer sereinement l'abolition de la peine de mort. Il ne s'agit plus d'un combat de gauche ou de droite. Nous n'avons plus à invoquer l'esprit du catholicisme ou l'esprit de la Révolution pour justifier ce progrès démocratique. Tous ensemble, nous pouvons nous unir autour de la même conviction, une conviction simple, une conviction partagée par la majorité de nos concitoyens. Les devoirs les plus essentiels de l'humanité appellent l'abolition absolue, en tous temps et en toutes circonstances, de la peine de mort.
Dans un État de droit moderne, la peine de mort n'a pas sa place, car la justice, ce n'est pas la vengeance. La justice, ce n'est pas le crime qui répond au crime. C'est au contraire la force sereine du droit dressé contre la violence et le meurtre. Tout l'honneur de la civilisation est de refuser de verser le sang et de punir avec fermeté, mais avec humanité, ceux qui enfreignent cette loi.
Oui, il y aura toujours des voix pour prétendre que la peine de mort a un effet dissuasif sur la violence. Rien ne l'établit. Rien ne le prouve. Les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays qui pratiquent la peine capitale sont là pour nous le rappeler.
Oui, il y aura toujours des voix qui s'élèveront pour s'indigner devant les crimes les plus indignes et réclamer contre leurs auteurs la peine capitale. Mais la dignité d'une grande démocratie, justement, c'est de refuser la loi du talion. Punir, ce n'est pas venger.
Oui, il y aura toujours des voix qui s'élèveront pour estimer qu'en temps de guerre ou dans des circonstances exceptionnelles, la peine de mort peut malgré tout se justifier. Mais c'est l'honneur d'une démocratie que de rester fidèle à ses principes, en temps de paix comme en temps de guerre et dans les circonstances exceptionnelles.
C'est bien pour cela qu'il faut effacer la peine de mort, non seulement de notre code pénal, de notre code de justice militaire, mais aussi de notre loi fondamentale. La peine de mort est illégitime en toutes circonstances. Elle doit être abolie en toutes circonstances.
Mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, vous allez prendre aujourd'hui une décision historique. Vous allez mettre le point final à la longue histoire de l'engagement français en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort. Cet engagement a d'abord été celui de quelques hommes - je pense à Condorcet, à Victor Hugo, à Aristide Briand ou à Albert Camus. Il est aujourd'hui celui de la collectivité nationale tout entière, le combat d'une France fière de ses valeurs et rassemblée pour défendre les Droits de l'homme qui font depuis plus de deux siècles la grandeur de notre pays.
N'oublions pas le courage qui a été nécessaire en 1981 à Robert Badinter, à François Mitterrand et à tous ceux qui, de droite comme de gauche, les ont soutenus pour faire adopter la loi portant abolition de la peine de mort. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
N'oublions pas non plus le choix européen que nous avons fait en 1986 en ratifiant ensemble le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme, concernant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Il y a quelque chose de grand pour un peuple à respecter des principes fixés par une communauté de nations. Il y a quelque chose de grand pour un peuple à avancer toujours davantage vers la justice et vers le droit.
Aujourd'hui, à l'initiative du Président de la République, Jacques Chirac, notre pays va franchir une nouvelle étape. Cette nouvelle avancée a été rendue possible grâce au travail exigeant et courageux réalisé par Philippe Houillon et Robert Badinter, qui nous montre que nous sommes face à une question qui doit dépasser tous les clivages.
Vous le savez, deux nouvelles conventions sont proposées à la signature de la France : le protocole n° 13 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances, et le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New York le 15 décembre 1989. La France n'a encore ratifié aucun de ces textes, en raison de l'incompatibilité du deuxième protocole avec notre constitution. Dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que, dans la mesure où ce texte ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive de la peine de mort, il constitue un engagement irréversible et méconnaît donc les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Si nous voulons que la France puisse ratifier le deuxième protocole, il n'existe qu'un seul dispositif juridique : modifier notre loi fondamentale, comme nous l'avons fait lors de la ratification par la France du traité de Rome instituant une Cour pénale internationale.
Avec cette révision, la France réalisera un progrès majeur dans son combat en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort. Notre pays rejoindra les seize pays européens et les quarante-cinq États dans le monde qui ont inscrit l'abolition dans leur texte fondamental.
La révision constitutionnelle dispose en effet que « nul peut être condamné à la peine de mort ». Elle prendra place à l'article 66-1 de la Constitution, au sein du titre VIII sur l'autorité judiciaire.
Avec cette révision, la France exclura définitivement les crimes de guerre du champ de la peine de mort. C'est une exigence de démocratie. Souvenons-nous des résistants fusillés, souvenons-nous de toutes les victimes des épurations sommaires. Nous ne pouvons accepter que nos convictions, nos principes et nos engagements cèdent dans les périodes de conflits.
Mesdames, messieurs les députés, mesdames, messieurs les sénateurs, la décision que vous allez prendre aujourd'hui est le signe d'une République qui progresse et qui grandit. Elle est le signe d'une République courageuse. Elle vaut pour notre pays, mais elle est aussi un symbole pour tous les peuples du monde qui subissent l'injustice et l'intolérance. Elle ouvre la voie à de profonds changements dans les années à venir. Votre décision est une partie de ce combat que la France conduit avec les armes de l'humanisme et de la liberté. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
Explications de vote
M. le président. Mes chers collègues, nous en venons aux explications de vote.
Pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat, la parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est des circonstances où l'on doit être fier d'être législateur. En septembre 1981, j'étais encore à ce moment-là un jeune député, mais j'étais très conscient de vivre un moment historique rare lorsque Robert Badinter est monté à la tribune de l'Assemblée nationale pour nous demander, dans un discours d'une extraordinaire hauteur de vues, de tenir l'engagement pris par François Mitterrand devant le pays d'abolir enfin la peine de mort. Une volonté courageuse et audacieuse parce qu'à contre-courant de l'opinion publique d'alors.
J'étais fier de participer à ce progrès décisif et de prendre cette décision, certes dans l'effort collectif de la toute nouvelle majorité élue, mais aussi avec la rescousse de parlementaires de droite et non des moindres puisqu'il y avait là Jacques Chirac lui-même, Jacques Toubon ou encore notre collègue Pierre Bas, infatigable militant de l'abolition.
On a exposé lors de ces débats, et depuis plus de vingt-cinq ans, tous les arguments en faveur de l'abolition définitive. On a rappelé à l'époque ce que d'autres avaient plaidé deux siècles plus tôt : Beccaria, Voltaire, Robespierre (Exclamations sur de nombreux bancs)...
Je retire volontiers ce nom. (Rires sur de nombreux bancs.)
...Eux et Hugo avaient déjà dépassé le débat moral pour l'amener sur le terrain juridique. Avec éloquence et talent, ils avaient démontré que la peine de mort n'était pas dissuasive, et aussi que la justice, parfois faillible, ne devait pas s'armer d'une peine capitale.
Devant ce Congrès, je ne voudrais ajouter qu'un seul argument, celui d'un homme épris de liberté : lorsque j'abandonne, lorsque n'importe quel citoyen abandonne, une partie de cette précieuse liberté dans le nécessaire contrat social, c'est pour que la collectivité, riche de cette délégation, se montre capable de faire mieux que les individus ainsi regroupés. Comme n'importe qui, j'aurais instinctivement envie de tuer celui qui aurait tué un de mes proches, ou tel autre qui aurait commis un crime particulièrement atroce. Mais la société, elle, cette société que nous avons voulue comme un progrès de la conscience, ne doit pas céder à ce réflexe. Elle doit se rappeler que tout homme, quelles que soient sa race, sa culture, sa religion, quel que soit le crime qu'il ait pu commettre, que tout homme donc renferme et résume l'intégralité de la condition humaine. En tuant un criminel, c'est un peu de notre humanité que nous supprimons.
Mes chers collègues, le Conseil constitutionnel nous invite à mettre notre loi fondamentale en accord avec nos engagements internationaux. Aujourd'hui comme hier, c'est un honneur d'être un de ces parlementaires qui vont inscrire l'abolition de la peine de mort dans la Constitution comme on grave une vérité dans le marbre, pour rendre cette pratique barbare non négociable et irrévocable quelles que soient les circonstances politiques.
Mais ce combat, qui s'achève définitivement dans notre pays, doit se poursuivre au-delà de nos frontières. Je pense en particulier aux États-Unis : il nous faut les convaincre de renoncer à la peine capitale parce qu'une grande démocratie ne peut s'enorgueillir d'une justice où demeure le meurtre raisonné, administratif et froid. Depuis le début de l'année, cinq Américains ont subi la peine de mort, et dans trois jours exactement, Newton Anderson sera exécuté au Texas. (« Et les Chinois ? » sur plusieurs bancs.) La Chine (« Ah ! » sur plusieurs bancs), l'Inde font aussi partie des soixante-neuf pays qui continuent d'appliquer ce châtiment.
Voltaire disait : « Il faut faire souvenir à tous les hommes qu'ils sont frères ». Fidèle aux valeurs humanistes et partisan de l'abolition universelle de la peine capitale, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen et les radicaux de gauche voteront naturellement le projet de loi constitutionnelle ! (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. le président. Pour le groupe Union centriste-Union pour la démocratie française du Sénat, la parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le combat contre la peine de mort est un long combat. Il sera bientôt terminé dans nos textes, mais il n'est pas fini dans les têtes, comme l'illustre le récent débat en France sur l'exécution de Saddam Hussein.
Le texte qui nous est proposé cet après-midi répond à une triple exigence morale, politique et juridique.
La première exigence est morale. Personne ne soutient plus en effet que la peine de mort aurait une valeur morale. À l'inverse, son abolition, par l'hommage insigne qu'elle rend au droit à la vie, porte au plus haut point le refus d'une justice qui utiliserait les mêmes armes que ceux qu'elle condamne. Car utiliser la peine de mort contre ceux qui tuent, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. Que dire également de l'exigence morale qui est la nôtre, au regard des erreurs judiciaires avérées, passées et actuelles ?
La deuxième exigence est politique. En effet, sur le plan international, l'inscription de l'interdiction de toute peine capitale dans notre constitution, par son caractère quasi irréversible, rapproche la France de toutes les nations qui ont déjà opté pour le rejet de l'exécution.
Enfin, la troisième exigence est juridique, car pour participer pleinement au concert des nations abolitionnistes, la France se doit de ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort.
Mais l'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution, c'est aussi un message aux Chinois (Exclamations sur plusieurs bancs), qui exécutent allègrement les opposants politiques ;...
M. Jean-Christophe Lagarde. Justice rapide !
M. Richard Mallié. Mme Royal a dit que c'était très bien !
M. François Zocchetto. ...c'est un message à certains pays du Golfe, qui lapident des femmes seulement coupables d'avoir été amoureuses ; mais c'est aussi un message aux États-unis, qui ont oublié qu'ils sont aussi le pays des droits de l'homme. Car le travail est désormais à mener sur un plan international
Quelques mots du cas de la Chine : elle est en tête des nations par le taux élevé de sa croissance, mais aussi pour le nombre des condamnés à mort et des exécutions capitales. 95 % des exécutions perpétuées dans le monde frappent des Chinois. Les informations récoltées ça et là font frémir. Il est en effet avéré que les organes principaux des condamnés sont prélevés pour être greffés sur d'autres personnes. Pire, un marché de la greffe d'organes existe, pour les riches évidemment. Les exécutions sont même programmées aux fins de commandes déjà enregistrées, à partir de tarifs connus. Une telle situation ne peut rester sous silence au moment où la Chine se prépare à accueillir les jeux Olympiques, au moment où la France se prépare à signer un traité d'extradition avec la Chine, et au moment où certains peuvent se laisser entraîner par le mirage chinois en évoquant imprudemment la célérité de la justice en Chine. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
Cette situation n'est pas définitive. Elle peut évoluer si nous persévérons, chacun d'entre nous et dans la mesure de nos moyens respectifs. C'est ce que nous faisons aujourd'hui. Et c'est la raison pour laquelle le groupe Union centriste-UDF votera cette révision constitutionnelle qui consolide le choix abolitionniste de 1981. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union pour la démocratie française de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, « partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne ». Ainsi s'exprimait Victor Hugo, dans Actes et Paroles.
La longue marche vers l'abolitionnisme est d'abord et avant tout l'une des plus belles démonstrations des progrès de notre civilisation.
Il a donc fallu attendre le 9 octobre 1981, et la volonté commune de François Mitterrand et de Robert Badinter, que je salue tout particulièrement, pour que la loi abolissant la peine de mort soit promulguée, et ce, malgré le fait que la majorité de nos concitoyens était contre. Et c'est bien : c'est la grandeur du politique de ne pas suivre systématiquement l'opinion, mais d'être à l'avant-garde, d'être un précurseur, même si c'est prendre le risque d'être en contradiction avec ses concitoyens, comme du reste, sur un autre registre, nous l'a montré le condamné à mort par contumace qu'était le général de Gaulle le 18 juin 1940.
Parce qu'elle est irréversible, parce qu'elle réfute la possibilité de réhabilitation et de deuxième chance, parce qu'elle n'aurait point d'effet sur la criminalité et parce qu'elle est une violation des droits fondamentaux de l'être humain, la peine de mort doit être abolie à jamais et partout dans le monde.
Or, même si plus de la moitié des États membres des Nations unies ont aboli la peine de mort en droit ou en fait, elle est toujours utilisée dans un certain nombre de pays, notamment en Chine qui, comme l'a fait justement remarquer notre collègue François Zocchetto, arrive largement en tête du triste palmarès des pays qui procèdent à des exécutions.
L'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans notre constitution est le dernier pas d'une longue marche qui a débuté avec Voltaire, Hugo, et cela plus de 200 ans après que Le Peletier de Saint-Fargeau a demandé, en 1791, l'abolition de la peine capitale, dans la première assemblée parlementaire qu'ait connue la France.
Mais le groupe UDF et apparentés constate que ce projet de loi constitutionnelle a davantage une portée symbolique que juridique et politique.
En effet, l'état actuel du droit international rend quasiment impossible la réinstauration de la peine de mort. Cela reviendrait, par exemple, à quitter l'Union européenne. Charte européenne des droits fondamentaux, protocoles nos 6 et 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pacte international des droits civils et politiques sont autant d'instruments qui démontrent que la France dispose d'un arsenal juridique conséquent la mettant à l'abri d'un éventuel rétablissement de la peine de mort.
En outre, le groupe UDF et apparentés voudrait mettre en garde la représentation nationale contre une tentation grandissante de vouloir intégrer de plus en plus de choses dans notre norme suprême. En effet, la multiplication excessive des dispositions à portée symbolique - dans les articles même du texte constitutionnel et non dans son préambule -, dont la portée normative reste très incertaine, pourrait à terme être contreproductive. Il ne faudrait pas que notre Constitution devienne une pétition de principe, un fourre-tout dénué de toute portée normative ; elle doit, au contraire, organiser la séparation des pouvoirs et garantir le respect des droits fondamentaux.
De plus, le groupe UDF regrette que ces modifications constitutionnelles interviennent en toute fin de législature.
Toutefois, il ne peut qu'apporter son soutien à ce projet de loi justifié aussi bien sur un plan moral que politique et juridique. Moral parce qu'utiliser la peine de mort contre ceux qui tuent, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. Politique parce que, sur le plan international, l'inscription de l'interdiction de toute peine capitale dans notre constitution rapproche, par son caractère quasi irréversible, la France de toutes les nations qui ont opté pour le rejet de la peine capitale. Juridique enfin parce que, pour participer pleinement au concert des nations abolitionnistes, la France se doit de ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort.
Or en ce qui concerne le deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Conseil constitutionnel a « estimé que sa ratification exigerait une révision de la Constitution ». Le présent projet de loi constitutionnelle ouvrira ainsi à la France la porte de la ratification et lui permettra de participer à cet instrument d'abolition universelle de la peine de mort.
Comme le disait Dostoïevski dans Crime et châtiment : « Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime. Le meurtre juridique est infiniment plus atroce que l'assassinat. »
M. le président. Monsieur Folliot, veuillez conclure...
M. Philippe Folliot. Ainsi, inscrire l'interdiction de la peine de mort dans le marbre de notre constitution constitue le moyen à la fois de l'affirmer comme valeur fondamentale et intangible de notre société et de souscrire aux engagements internationaux les plus incontestables en faveur d'une abolition de cette peine en toutes circonstances. La seule chose qui mérite la peine capitale doit être la peine de mort !
C'est pourquoi le groupe UDF et apparentés votera en faveur de cette révision constitutionnelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, aujourd'hui, le Parlement réuni en Congrès va accomplir un acte historique, un acte qui s'inscrit dans le prolongement du mouvement abolitionniste entamé en France au siècle des Lumières et concrétisé voilà près de 26 ans par la loi du 9 octobre 1981 de notre collègue Robert Badinter, alors garde des sceaux.
Les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, qui m'ont fait l'honneur d'être aujourd'hui leur porte-parole, se réjouissent unanimement de l'inscription dans notre constitution des mots : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. » Ils s'en réjouissent d'autant plus qu'ils sont depuis longtemps engagés dans les combats abolitionnistes aux côtés d'associations ou d'organisations nationales, européennes et internationales. Car en la matière, les élus communistes, et, plus largement, les communistes dans leur ensemble, sont clairs : nous sommes pour l'éradication du châtiment suprême partout sur la planète. C'est une conviction forte que nous défendons avec courage et détermination, car c'est un combat dans lequel on ne peut envisager ni exceptions, ni justifications d'ordre politique, philosophique ou religieux.
Ainsi, aujourd'hui, la constitutionnalisation de l'abolition de la peine de mort, que nous attendions depuis longtemps, va permettre à la France, d'une part, d'adhérer au second protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1989 et, d'autre part, de ratifier le protocole n° 13 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances.
Plus que d'un symbole, il s'agit bien de rendre dans notre pays l'abolition de la peine de mort définitive et irréversible, de rendre toute marche en arrière impossible en la matière, c'est-à-dire, concrètement, de fermer définitivement la porte au rétablissement de la peine capitale en cas de guerre ou d'événements exceptionnels.
Juridiquement nécessaire en ce qu'il répond à une recommandation du Conseil constitutionnel, le présent texte est d'une importance primordiale en ces temps troubles, marqués par le terrorisme et les guerres à travers le monde, et la tentation est grande, chez les nostalgiques de la guillotine, de rétablir la peine de mort en certaines circonstances. Et comment ne pas regretter, en ce moment solennel, que certains parlementaires français ne soient pas insensibles à cette tentation ?
Cela dit, inscrire l'abolition dans notre texte fondamental ne peut constituer une fin en soi. Tout au contraire, cela représente à mes yeux un nouvel élan, un levier pour aller vers l'universalité de l'abolition de ce châtiment suprême, toujours en vigueur dans 78 pays, où près de 2 000 personnes attendent leur exécution dans les couloirs de la mort.
La France doit continuer à dénoncer, partout où elle est pratiquée, cette loi du talion qui constitue un traitement inhumain, cruel et dégradant, et qui est contraire aux droits de l'homme les plus fondamentaux. Inutile en termes de lutte contre la criminalité, irréparable en cas d'erreur judiciaire, la peine capitale, qui est, de surcroît, davantage prononcée à l'encontre des minorités ethniques et des plus démunis, est toujours synonyme de l'échec de la justice, de l'échec d'une société.
Si je me félicite du recul de la peine de mort dans le monde, je déplore en revanche que trop d'États continuent de l'appliquer et que d'autres aient repris les exécutions après des moratoires prolongés. Nous devons tous nous engager avec plus de force encore pour atteindre un objectif : celui de la disparition totale et inconditionnelle de la peine capitale des textes répressifs de tous les États du monde, et de faire ainsi grandir les valeurs qui fondent notre idée de la justice dans les démocraties.
Nous savons que cet objectif est loin d'être atteint, puisqu'en Chine, aux États-Unis, au Japon, dans les pays arabes, en Iran, et malheureusement dans bien d'autres pays encore, on continue de prononcer des condamnations à mort, on continue d'exécuter des personnes, y compris pour de simples délits. Afin d'atteindre cet objectif, il faut, dans un même élan, une mobilisation accrue des politiques nationale, européenne et internationale pour faire triompher la cause de l'humanité, mobilisation qui doit s'accompagner d'une vigilance constante pour éviter tout retour en arrière.
J'ai conscience que c'est un travail de longue haleine, mais ce travail, mes chers collègues, est indispensable. Je suis convaincue que le combat pour éradiquer universellement la peine de mort est synonyme de pacification et d'humanisation des relations dans le monde. À cet égard, il ne peut que contribuer au renforcement de la dignité humaine et au développement des droits de l'homme.
En ce jour solennel, je fais le voeu que ce que nous accomplissons ici même pèse très concrètement, demain, dans le mouvement universel en faveur de l'abolition de la peine de mort à travers le monde. Je termine en citant Arthur Penn, grand cinéaste américain : « Quand nous tuons au nom de la société, c'est toute la société qui est diminuée par cet acte. » Oui, chaque exécution, mais également chaque condamnation à mort, est une défaite pour l'humanité tout entière. En ce sens, nous pouvons dire que l'acte que nous allons réaliser aujourd'hui est une contribution pour faire progresser l'humanité vers plus d'humanité. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains de l'Assemblée nationale, la parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il nous revient aujourd'hui de donner un nouveau signe au monde, comme d'autres l'ont fait contre la barbarie, que dénonçait déjà, en son temps, Victor Hugo. Ainsi ce dernier déclarait-il en 1848 devant l'Assemblée constituante : « Vous venez de consacrer l'inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l'inviolabilité de la vie humaine. »
Au moment de prendre la parole, j'ai en mémoire les insoutenables images de ces condamnés à mort exécutés par leurs bourreaux qui ont circulé, il y a peu, après la mort par pendaison du dictateur Saddam Hussein. Il n'existe aucune bonne raison de tuer. Un État qui se comporte comme ceux qu'il prétend juger n'est-il pas fragilisé ?
Le mouvement mondial pour l'abolition a besoin d'être conforté pour vaincre partout et de façon définitive. Voici quelques jours, Paris a accueilli le IIIe Congrès mondial contre la peine de mort, où se sont retrouvés 1 000 représentants des abolitionnistes du monde entier. J'étais avec eux place de la Bastille, et je voudrais les saluer au moment où nous nous apprêtons à accomplir un acte d'une haute valeur symbolique et politique.
En inscrivant l'interdiction de la peine de mort dans la Constitution, nous allons confirmer le vote du 9 octobre 1981. Certains, peu nombreux, mais à haute voix, souhaitent pourtant son rétablissement dans notre pays : je regrette qu'en janvier dernier, ils aient cru légitime de demander qu'elle soit appliquée aux auteurs d'actes terroristes. La peine de mort est toujours illégitime.
Le combat abolitionniste est hérité des Lumières. Voltaire s'y est rallié en 1777, et les grandes voix qui le portèrent après lui - Victor Hugo, Aristide Briand, Jean Jaurès, Albert Camus - nous honorent. Près d'une centaine de propositions de loi tendant à l'abolition furent déposées au Parlement entre 1791 et 1981. En 1981, la gauche a été courageuse et je vous remercie, monsieur le sénateur Robert Badinter, pour votre combat, grâce auquel, selon les termes par lesquels vous concluiez votre intervention à l'Assemblée nationale cette année-là, « la justice française ne [fut] plus une justice qui tue. »
Vingt-cinq ans plus tard, une majorité de nos concitoyens considèrent que ce choix est irrévocable. Plusieurs pays ont aboli la peine de mort dans leur droit. Mais le chantier reste immense : 78 pays maintiennent la peine de mort dans leurs lois ou leurs pratiques ; Amnesty International estime à 2 148 le nombre de personnes exécutées en 2005 et à 20 000 le nombre de condamnés attendant leur exécution. Quatre pays sont responsables de plus de 80 % des exécutions : la Chine, les États-Unis, l'Iran et l'Arabie Saoudite. Le combat pour l'abolition de la peine capitale est donc toujours d'actualité, et ce Congrès y participe.
Partout dans les pays où la peine de mort existe encore, il faut être solidaire des voix, aussi timides soient-elles, qui la combattent. Nous savons aussi que, dans les périodes troublées revient, hélas, la tentation de substituer la vengeance à la justice, de légaliser le crime d'État pour punir le crime. L'horreur du 11 septembre 2001 a produit des lois liberticides partout, a permis que soit toléré l'inconcevable camp de Guantanamo, et a fragilisé les acquis abolitionnistes.
Trop souvent, la peine de mort s'associe également à la raison d'État, laquelle, selon le mot de Voltaire, consiste à « donner à l'État la licence d'agir sans raison ». C'est sans doute ce qui se passe pour ce qui concerne le journaliste noir Mumia Abu-Jamal, condamné à la peine capitale en 1982 à l'issue d'un procès truqué. Je l'ai rencontré en avril dernier dans les couloirs de la mort, et je n'oublierai jamais ce terrible univers carcéral, ni le message de cet homme, symbole des victimes d'une « machine » judiciaire devenue un véritable miroir grossissant des discriminations sociales et ethniques, comme le dénonce Bianca Jagger, admirable abolitionniste américaine.
Aux États-Unis, où la peine de mort a été rétablie en 1976, 3 000 condamnés attendent leur exécution. Nul ne peut ignorer l'enjeu et la portée d'une évolution dans ce pays, l'application de la peine de mort étant incompatible avec démocratie et respect des droits de l'être humain.
Toutes les grandes nations de ce monde qui pratiquent la peine de mort - la Chine, les États-Unis, l'Inde et le Japon - ont des comptes à rendre à la communauté internationale. Partout doit être banni ce châtiment barbare : en Arabie Saoudite, en Iran, et l'acte que nous accomplissons aujourd'hui engage les plus hautes autorités de l'État à mener ce combat pour l'abolition clairement et au grand jour, quels que soient les interlocuteurs.
Mes chers collègues, la société ne peut se faire justice par un crime d'État. Dans son ouvrage Des délits et des peines, Cesare Beccaria, écrivait en 1764 : « Pour que n'importe quelle peine ne soit pas un acte de violence exercé par un seul ou par plusieurs contre un citoyen, elle doit absolument être publique, prompte, nécessaire, la moins sévère possible dans les circonstances données, proportionnée au délit et déterminée par la loi. » Et de poursuivre : « En vertu de quel droit les hommes peuvent-ils se permettre de tuer leurs semblables ? Ce droit n'est certainement pas celui sur lequel reposent la souveraineté et les lois. »
Notre décision d'aujourd'hui soutiendra et renforcera la proposition du gouvernement italien d'un moratoire universel au niveau de l'ONU. C'est avec cet espoir que les député-e-s communistes et républicains voteront ce texte, convaincus que l'abolition universelle est inexorable.
Puis-je conclure par un voeu ? Celui qu'en 2008, à Pékin, lors des Jeux olympiques, symboles de l'amitié des peuples, le moratoire universel soit devenu une réalité. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe socialiste du Sénat, la parole est à M. Robert Badinter. (Vifs applaudissements sur de très nombreux bancs.)
M. Robert Badinter. Monsieur le président du Congrès, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président du Sénat, mes chers collègues, voici un quart de siècle que la peine de mort était abolie en France ; voici vingt ans que l'abolition devenait en fait irréversible, avec la ratification par la France du sixième protocole annexe à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui interdit aux États signataires de recourir à la peine de mort.
Aujourd'hui, nous voici conviés par le Président Chirac, abolitionniste de longue date, à inscrire dans la Constitution un nouvel article 66-1 : « Nul ne peut être condamné à mort. » Cette constitutionnalisation apparaît comme l'aboutissement du long combat mené en France par tant de hautes consciences, de Voltaire à Hugo et Camus, de Condorcet à Schoelcher et Jaurès, et je tiens, en cet instant, à rappeler devant le Congrès le souvenir du Président Mitterrand, car c'est à son courage et à sa volonté politique que nous devons l'abolition de la peine de mort en France, en 1981. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
Cette révision aura des conséquences juridiques. Elle permettra à la France de ratifier le deuxième protocole au Pacte sur les droits civils et politiques des Nations unies, qui conforte l'abolition dans les États signataires. Nous souhaitons - M. le Premier ministre l'a évoqué - que soit ratifié à cette occasion le treizième protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui a la même finalité.
Mais cette révision revêt surtout une portée symbolique et morale considérable. En l'inscrivant dans le titre VIII de la Constitution, consacré à l'autorité judiciaire, la République française proclame qu'il ne saurait plus jamais y avoir en France de justice qui tue.
Cette révision s'inscrit enfin dans les progrès constants de la cause de l'abolition en Europe et dans le monde. En 1981, nous étions le trente-cinquième État dans le monde à abolir la peine de mort. Vingt-cinq ans plus tard, sur près de 200 États membres de l'ONU, 129 sont abolitionnistes. C'est dire que l'abolition est devenue majoritaire au sein des États du monde.
En Europe, notre continent, ravagée pendant tant de siècles par la pire des criminalités - l'on pense en particulier à la première moitié du xxe siècle -, la peine de mort a disparu, sauf en Biélorussie, le dernier des États staliniens. Mais quel progrès réalisé par la civilisation européenne !
La Cour européenne des droits de l'homme, qui dit le droit en matière de libertés pour l'ensemble du continent, a condamné en 2003 la peine de mort comme « une sanction inacceptable, voire inhumaine, qui n'est plus autorisée par la Convention européenne des droits de l'homme ». La Cour a marqué ainsi, solennellement, que l'abolition se fonde sur le premier des droits de l'homme, le droit au respect absolu de sa vie, qu'aucun État démocratique ne saurait violer.
Dans l'ordre international, les conventions et les déclarations se sont succédé - je n'en donnerai pas la liste ; je citerai simplement, car il est riche de sens, le traité de Rome de 1998 créant la Cour pénale internationale, dont on sait qu'elle a pour mission de lutter contre l'impunité des pires criminels qui soient et dont les statuts ont exclu le recours à la peine de mort.
Ainsi, l'Humanité va de l'avant, même si certains États, notamment la Chine, l'Iran, l'Arabie saoudite, mais aussi les États-Unis, grande république amie, voient, hélas, se succéder encore trop souvent condamnations et exécutions. C'est pourquoi la France se doit d'être partout présente, quand il s'agit de combattre la peine de mort. En ce moment même, nous devons nous mobiliser pour que les cinq infirmières bulgares et le médecin palestinien condamnés à mort en Libye (Applaudissements sur tous les bancs), au mépris de toute justice, soient sauvés par notre action. Il nous faut de même soutenir l'action entreprise par la présidence allemande de l'Union européenne et le Parlement européen, qui viennent de demander, dans une résolution récente, la « mise en place sans conditions d'un moratoire universel sur les exécutions capitales ». Ce moratoire doit inspirer la trêve olympique sur la peine de mort - trêve olympique qui remonte au grand temps de la Grèce antique - que nous réclamons à l'occasion des Jeux olympiques de Pékin, en 2008.
Mais il ne suffit pas d'un moratoire sur les exécutions ; encore devons-nous obtenir un moratoire sur les condamnations elles-mêmes. Car nous refusons que s'accroisse plus longtemps la masse des milliers de condamnés à mort dans le monde - parmi lesquels il y a, nous le savons, des innocents -, qui peuplent les quartiers de la mort pendant des années, voire des décennies, dans l'attente angoissée de l'aube prochaine, qui sera peut-être la dernière.
Tant que, dans ce monde, on pendra, on décapitera, on empoisonnera, on lapidera, on suppliciera, toutes celles et ceux qui considèrent le droit à la vie comme un absolu moral, tous ceux-là ne doivent pas connaître de répit !
Je veux, en cet instant, dire au Congrès ma conviction absolue : la peine de mort est vouée à disparaître de ce monde comme la torture, parce qu'elle est une honte pour l'humanité. Jamais, nulle part, elle n'a fait reculer la criminalité sanglante ; pire encore, elle transforme le terroriste en martyr ou en héros aux yeux de ses partisans. La peine de mort ne défend pas la société des femmes et des hommes libres, elle la déshonore ! Aussi refuserons-nous toujours et partout que, sous couleur de justice, la mort soit la loi.
Pendant la guerre civile d'Espagne, à Tolède, les fascistes espagnols criaient « Viva la muerte ! », « Vive la mort ! » Qu'avons-nous à voir, nous, enfants de la liberté, avec ce blasphème sanglant ? Que vive la vie ! C'est cela le sens du combat pour l'abolition de la peine de mort. Nous accomplissons en cet instant le voeu formulé par Victor Hugo en 1848 : l'abolition pure, simple, irréversible ; j'ajouterai, pour la France, « universelle ». (De très nombreux parlementaires se lèvent et applaudissent longuement.)
M. le président. Merci monsieur le président Badinter. Puisse votre message être entendu partout dans le monde, car il est la voix de la France.
Pour le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Jack Lang.
M. Jack Lang. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je dirai simplement en quelques mots, au nom des députés socialistes, ce que vous venez, chers collègues, d'exprimer à l'instant : ce sentiment de reconnaissance, d'admiration et, dans mon cas, d'amitié et d'affection, pour Robert Badinter. Il a su, mieux que quiconque, dire ce qu'était le sens du vote que vous vous apprêtez à accomplir. Il marque la consécration dans notre constitution de l'interdiction de la peine de mort.
Il faut, en effet, remercier le président Chirac d'avoir voté la loi présentée en son temps par Robert Badinter et de nous avoir invité aujourd'hui à accomplir cet acte. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
Cet acte, chers collègues, nous oblige, partout à travers le monde, à nous battre, à agir, à faire pression, à intervenir, pour que ce châtiment indigne disparaisse le plus tôt possible de notre planète.
En cet instant, nous ressentons une grande fierté d'accomplir ensemble, quelles que soient nos convictions politiques, cette transformation de notre Constitution, et je veux simplement, au nom des députés socialistes, en porter témoignage. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire du Sénat, la parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a pas de constitution», proclame la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. « Une constitution qui, au XIXe siècle, contient une quantité quelconque de peine de mort n'est pas digne d'une République », ajoutera Victor Hugo. Combien de décennies aura-t-il fallu attendre pour que ces principes soient effectivement reconnus et respectés dans notre pays ?
Certes, la constitutionnalisation de l'interdiction de la peine de mort réjouit tous les défenseurs des droits de l'homme en France et dans le monde, mais elle ne doit pas nous faire oublier que la France, qui se targue d'être le pays des droits de l'homme, n'a aboli que tardivement cette peine inhumaine et qu'elle n'est pas non plus parmi les premières à introduire cette interdiction dans sa loi fondamentale.
Nous ne banaliserons pas un tel événement, qui constitue un hommage à toutes les générations de combattants pour la dignité de la personne humaine et pour une justice respectueuse du droit à la vie. L'abolition de la peine de mort est une décision politique qui s'enracine dans le choix d'individus éclairés, soutenus par un mouvement international qui s'est traduit par des traités successifs, auxquels la France a fini par adhérer.
Sa traduction constitutionnelle démontre que, dans des cas aussi importants, il n'est pas possible de s'en remettre a priori à la volonté populaire, à la société civile ou à la décision des juges. Si, en 1981, un référendum avait été organisé sur la peine de mort, celle-ci aurait été maintenue. Après le vote du Parlement, guidée par les positions courageuses de François Mitterrand, Robert Badinter et Jacques Chirac, l'opinion a lentement évolué, se rendant enfin compte que la peine de mort, injuste moralement, était inefficace pénalement et socialement.
De même, l'observation des prises de position des grandes institutions religieuses montre qu'elles n'ont pas été unanimes ni particulièrement rapides pour traduire dans leur enseignement social ce qui aurait dû naturellement découler de leur conception des droits de l'homme. Au nom de la responsabilité de l'homme et de sa liberté de choisir entre le bien et le mal, certaines ont longtemps justifié l'acceptation de la peine de mort par la nécessité d'assumer les conséquences de ses fautes, proportionnellement à leur gravité. Il a fallu que le caractère sacré de la vie humaine soit posé comme un absolu pour que l'abolition de la peine de mort l'emporte enfin.
Par ailleurs, l'expérience de la Cour suprême américaine montre, lorsque l'on examine ses volte-face successives, qu'une question aussi fondamentale ne peut être tranchée sous l'angle de la simple procédure juridictionnelle : la réponse à cette question doit s'appuyer sur un choix éthique, qui ne peut être confié au juge, mais dont la responsabilité incombe à la représentation nationale.
Dès lors que le législateur avait aboli la peine capitale et que la ratification des protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme, comme l'acceptation de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, empêchaient le législateur de revenir sur sa décision, pourquoi introduire cette interdiction dans la Constitution ?
Certes, la ratification par la France du deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui ne prévoit pas de possibilité de dénonciation, impose, selon le Conseil constitutionnel, une révision de la Constitution. Mais si cette révision a pris la forme d'une déclaration solennelle incluse dans le titre relatif à l'autorité judiciaire, c'est-à-dire au coeur de notre Constitution, c'est que le motif essentiel est d'une autre nature.
En 1958, notre Constitution, écrite en quelques mois, avait pour priorité de reconstruire l'État, de restaurer sa souveraineté et ses institutions. Ses rédacteurs firent l'économie d'une déclaration solennelle des droits et s'en remirent à un renvoi aux grands textes fondateurs, de la Déclaration de 1789 aux grandes lois républicaines de la IIIe République et au Préambule de la Constitution de 1946. Mais ce renvoi n'avait pas valeur de droit positif et il fallut attendre les décisions courageuses du Conseil constitutionnel pour qu'il en soit ainsi treize ans après son entrée en vigueur,
Ces dernières années, notamment sous l'influence du droit européen et du droit international, la Constitution a intégré de nouveaux droits fondamentaux. Désormais, ce n'est plus l'État qui choisit, définit et protège ces droits, mais la Constitution qui impose à l'État, à son Parlement et à ses tribunaux de respecter les droits du citoyen, et en particulier le plus important d'entre eux, le droit à la vie.
Comprenons bien qu'il ne s'agit pas seulement d'interdire aux tribunaux de prononcer des peines « cruelles et inhabituelles », comme pourrait le faire la Cour suprême américaine si elle lisait avec humanité le VIIIe amendement de la Constitution des États-Unis, mais de retirer purement et simplement à l'État le droit de vie ou de mort sur ses citoyens au nom d'un droit international supérieur, d'essence morale, qui transcende toutes les souverainetés.
Cette révision n'est pas que la dernière étape d'un long processus historique, parti du siècle des Lumières. Elle est surtout la reconnaissance, par la République française, de normes éthiques supérieures, communes à toute l'humanité, qui s'imposent aux États, et qu'il nous faut maintenant défendre, avec fermeté et humilité, dans tous les États où la peine de mort n'est pas abolie, notamment dans les grandes démocraties comme les États-Unis ou le Japon.
Cette révision ne clôt pas le débat sur le fonctionnement de notre justice, sur l'état de notre système pénitentiaire, sur le respect de la personne humaine jusque dans les prisons de la République où, là aussi, le chemin est encore long qui conduit la France au niveau des grandes démocraties d'Europe. Elle clôt encore moins le débat juridique sur la vie et la mort, sur le statut du corps humain, être ou avoir de la personne.
L'interdiction absolue de la peine de mort sous-entend cependant une approche qui est celle du droit naturel et non du positivisme, une conception de l'homme comme être spirituel et non simplement biologique, et c'est l'honneur du politique que d'avoir tranché en faveur de la conception la plus noble et la plus exigeante de la personne humaine. Le groupe UMP du Sénat, unanime, ne peut que la partager. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Congrès d'aujourd'hui, c'est le Congrès des promesses tenues, des engagements remplis, de la parole de l'État honorée.
Par trois fois, l'Assemblée nationale s'est engagée, suivie par le Sénat. Cet engagement doit être confirmé par le Congrès. Dans le même mouvement, une seule assemblée, la nation réunie dans une expression unique, doit également approuver cette troisième révision, qui portera haut le message humaniste qui est traditionnellement celui de notre pays.
Nous n'avons pas besoin de la peine de mort, en aucune circonstance. En inscrivant son interdiction dans notre Constitution, nous nous plaçons dans un double mouvement.
Le premier, c'est le sens de l'Histoire. Nous avons mis du temps avant de nous débarrasser de la guillotine : près de deux siècles. Mais, en 1981, par une loi ordinaire, à l'initiative de Robert Badinter, que je salue, nous avons décidé de renoncer à la peine de mort en toutes circonstances. La page du talion est tournée. Inutile de revenir en arrière.
Le second mouvement dans lequel s'inscrit le présent projet de loi constitutionnelle, c'est celui du continent européen, libéré de la peine capitale. Plus aucun des quarante-six membres du Conseil de l'Europe ne pratique la peine de mort et un nombre non négligeable de ces États a constitutionnalisé cette interdiction.
Rappelons seulement que, dans le même geste que celui que nous allons accomplir aujourd'hui, l'Italie est aussi en train de supprimer définitivement la peine de mort en toutes circonstances de son texte constitutionnel. La France doit-elle faire moins, doit-elle reculer ? Assurément non. Et nous devons - cela a été dit - ratifier les deux instruments internationaux les plus à la pointe de la lutte contre la peine de mort. Le premier, c'est le plus abouti des traités européens, le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l'homme, qui abolit la peine de mort, en temps de paix comme en temps de guerre, sans réserve possible. Le second traité est le plus universel qui soit, puisqu'il a été signé sous l'égide des Nations unies : c'est le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques.
Pendant des décennies, la formule selon laquelle « tout condamné à mort aura la tête tranchée » a été, à la suite de Stendhal, donnée comme un exemple de précision et de concision de son style. Nul doute qu'elle sera avantageusement remplacée par la disposition qui nous est proposée, en vertu de laquelle « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Elle conserve la sobriété de la formulation, mais traduit une confiance et un espoir en l'homme qui manquaient singulièrement à sa funeste ancêtre.
M. Yves Bur. Très bien !
M. Philippe Houillon. Notre Congrès, collectivement, s'honorera en inscrivant son nom à la suite de la prestigieuse théorie des artisans les plus talentueux de l'abolition, que furent ceux dont les noms ont été cités précédemment.
En inscrivant l'interdiction de la peine capitale dans notre Constitution, nous disons deux choses : d'abord, que la peine de mort ne fait plus et ne fera plus partie des moyens d'action de l'État ; ensuite, que notre démocratie est plus forte que le crime, que notre République est plus forte que les terroristes, que notre justice est plus forte que la pire des injustices.
Nous sommes vraisemblablement réunis une dernière fois sous cette législature avant de nous séparer. Je souhaite que ce soit l'occasion d'approuver de manière unanime le présent projet de révision qui honore le Parlement. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.
Le scrutin va être ouvert durant trente minutes.
Le scrutin est ouvert.
La séance sera reprise, pour la proclamation des résultats, vers dix-sept heures quarante-cinq.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :
Nombre de votants | 876 |
Nombre de suffrages exprimés | 854 |
Majorité requise pour l'adoption du projet de loi constitutionnelle, soit les trois cinquièmes des suffrages des suffrages exprimés | 513 |
Pour l'adoption | 828 |
Contre | 26 |
Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort (Applaudissements sur de nombreux bancs), approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Il sera transmis à M. le Président de la République.
3
Clôture de la session du Congrès
M. le président. L'ordre du jour étant épuisé, je déclare close la session du Congrès.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton
PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PORTANT MODIFICATION DU TITRE IX DE LA CONSTITUTION
Article unique
Le titre IX de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :
« TITRE IX
« LA HAUTE COUR
« Art. 67. ? Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
« Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
« Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.
« Art. 68. ? Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.
« La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours.
« La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.
« Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
« Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article. »
PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À L'INTERDICTION DE LA PEINE DE MORT
Article unique
Il est ajouté au titre VIII de la Constitution un article 66-1 ainsi rédigé :
« Art. 66-1. - Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »