PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, mes chers collègues, le Sénat est donc saisi d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête portant à la fois sur un événement particulier, à savoir la panne d'électricité du 4 novembre 2006, et, plus largement, sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France dans un cadre européen.
La commission saisie au fond est la commission des affaires économiques, et je laisse, bien sûr, à nos collègues qui en sont membres et à son rapporteur le soin de se prononcer sur le fond.
Pour autant, vous le savez, mes chers collègues, la commission des lois est appelée à émettre un avis sur la recevabilité des demandes de création de commission d'enquête, recevabilité qui s'analyse au regard des dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
En application de ces dispositions, les commissions d'enquête peuvent avoir deux missions : elles peuvent se pencher soit sur des faits déterminés, soit sur le fonctionnement d'un service public ou d'une entreprise nationale.
La partie générale de la demande de création d'une commission d'enquête qui nous occupe aujourd'hui entre dans ce deuxième cadre et, sous cet aspect, elle est donc recevable.
En ce qui concerne les faits particuliers, nous devons nous assurer, pour respecter la séparation des pouvoirs, qu'il n'y a pas de procédures en cours, car nous devrions alors attendre que la justice se soit prononcée.
C'est la raison pour laquelle, s'agissant du fait précis de la panne d'électricité du 4 novembre 2006, le président de la commission des lois a sollicité le président du Sénat pour qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant ce fait. La réponse nous est parvenue : il n'y a pas eu de procédures judiciaires concernant cet incident d'approvisionnement électrique.
Par conséquent, la commission des lois a considéré, évidemment sans préjugé du fond, que la demande de création d'une commission d'enquête était recevable.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Madame la présidente, mes chers collègues, la panne du 4 novembre a été, si vous me permettez l'expression, un « avertissement sans frais », en ce sens que nous avons échappé au black-out total de l'Europe.
Certes, le côté positif a été le parfait fonctionnement du dispositif de délestage, qui a permis d'éviter des dégradations irréversibles des réseaux de transport en surcharge et, surtout, des centres de production.
En particulier, la baisse de fréquence, déjà évoquée, qui s'est produite dans un certain nombre de centrales aurait pu avoir - je le dis calmement - des effets irréversibles, notamment sur les génératrices et sur les alternateurs. Sans qu'il soit question de faire un cours de physique, disons que la relation entre la tension et l'intensité est évidente concernant une puissance appelée : il s'agit d'un produit simple et une baisse ou une hausse entraîne directement un effet induit sur l'intensité supportée par les réseaux de transport.
Cet accident est un véritable appel à une politique européenne de l'énergie coordonnée et planifiée en fonction de l'évolution prévisible des besoins, comme doivent nous en convaincre les documents qui sont à notre disposition, et, bien sûr, en conformité avec le protocole de Kyoto.
Dans cet esprit, l'instauration d'un super-régulateur nous apparaît comme une mesure tout à fait insuffisante alors que la coordination des réseaux de transport a, cela a été démontré, bien fonctionné au niveau européen, même si, en Allemagne, il y a eu quelques petits problèmes et même si la coordination aurait pu être encore améliorée.
Laissons donc chaque pays maître des opérations de délestage et de la définition de ses cibles prioritaires, en rappelant, après notre rapporteur, qu'en font partie dans notre pays non seulement les établissements de soins mais aussi des particuliers.
Cette politique européenne que nous appelons de nos voeux mettrait fin aux attitudes hypocrites de différents pays voisins, en particulier l'Allemagne et d'autres que je ne nommerai pas.
Cet accident a aussi démontré l'insuffisance des investissements dans le réseau allemand. Le gouvernement allemand s'en est d'ailleurs inquiété et a rappelé à l'ordre certains opérateurs, et non des moindres, en particulier E.ON Netz.
Les investissements dans les réseaux supposent bien entendu un plan pluriannuel. Or, on a constaté en Allemagne - je ne fais pas une « fixation », mais ce sont les seuls chiffres concernant les pays européens dont nous disposons - une chute de 40 % en dix ans des investissements sur les réseaux de transport.
Dans le contexte de libéralisation des marchés de l'énergie, les pannes se sont multipliées en Europe - la dernière a fait apparaître le problème de l'Allemagne, mais il y a aussi le problème de l'Italie - comme aux États-Unis, et la similitude avec la situation des chemins de fer au Royaume-Uni est évidente. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, c'est un axiome de base en physique !
Le moins que l'on puisse dire est que la libéralisation est loin d'avoir fait les preuves de son efficacité et que la concurrence dans le domaine de l'énergie n'a jamais fait baisser les coûts. L'ouverture du marché de l'électricité pour les entreprises en France nous a même démontré que c'est le contraire qui se produisait et, sans reprendre le débat qui nous a occupés voilà quelque temps, je vous rappelle, mes chers collègues, que nous avons dû essayer de trouver un « parapluie » pour abriter les quelques aventureux qui étaient sortis du cadre des tarifs réglementés.
Les opérateurs de production et/ou de transports ne doivent pas continuer leur politique de croissance externe et de dividendes au détriment de la maintenance et des investissements à moyen et long termes.
Cet accident a aussi révélé les effets secondaires liés au développement de l'énergie éolienne, qui demande presque un doublement de la capacité des réseaux de transport, ce qui démontre les limites de cette énergie. Elle ne sera jamais qu'un appoint en régime normal et fait défaut en régime de pointe, notamment dans les périodes de grand froid ou de hautes températures.
M. Pierre Laffitte. Très juste !
M. Daniel Raoul. Tous ces faits plaident en faveur d'une politique s'appuyant sur un backbone qui ne peut qu'être un pôle public de l'énergie, alliant à notre sens - je le rappelle, mais la répétition est un outil de la pédagogie - EDF et Gaz de France, servant de régulateur de production et imposant à des opérateurs de diminuer leur production.
À cet égard, je n'ai guère vu trace, dans le rapport de M. Poniatowski, du problème des éoliennes dans le secteur nord-est. Je comprends bien l'intérêt des producteurs de ne pas diminuer leur production en raison d'accords commerciaux, mais cette situation va à l'encontre de l'intérêt tant du réseau de transport que des centrales de production.
Enfin, si la Commission européenne exigeait, au-delà de la séparation juridique et comptable, une séparation patrimoniale, la solution consisterait, ainsi que notre groupe l'a déjà dit, à donner à RTE le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, et ce quelles que soient les réactions corporatistes.
Tout en reconnaissant à la proposition de résolution le mérite de soulever les problèmes tant de la production que du transport et de remettre à l'ordre du jour la politique énergétique nationale, mais aussi européenne - j'insiste sur ce point -, je ne saurais ignorer les limites géographiques, dans l'état du droit international, d'une commission d'enquête parlementaire. J'attendrai donc avec beaucoup d'impatience les conclusions des enquêtes de l'UCTE, l'Union for the Coordination of Transmission of Electricity, et du conseil des régulateurs européens de l'énergie.
Aussi, en accord avec mes collègues Roland Courteau et Daniel Reiner, qui se sont beaucoup investis dans ce domaine, je m'abstiendrai sur cette proposition de résolution, étant entendu que nous attendons beaucoup de la mission d'information sur le sujet dont notre commission a voté la création à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, mes chers collègues, mon ami Michel Billout a présenté devant vous les raisons qui ont conduit les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à proposer la création d'une commission d'enquête sur la panne d'électricité du 4 novembre dernier et, plus généralement, sur l'état de la sécurité de l'approvisionnement en électricité, non seulement en France mais aussi en Europe.
La survenance de cette panne, alors même que la consommation électrique n'était en rien inhabituelle et que la manoeuvre incriminée n'était pas complexe, pose la question de la fiabilité du réseau électrique européen tel qu'il est actuellement conçu.
Je suis bien entendu d'accord avec notre collègue Ladislas Poniatowski pour souligner la réactivité et le professionnalisme des personnels français. Toutefois, ne pensez-vous pas, monsieur le rapporteur, que ce savoir-faire est précisément dû à la culture du service public de ces mêmes personnels ?
Face à la gravité du risque d'une panne de plus grande ampleur, le Parlement français doit prendre ses responsabilités et se donner les moyens de conduire une analyse approfondie sur l'état tout à la fois de la production, du transport et de la distribution de l'électricité en France et en Europe.
À notre avis, la multiplication des incidents sur le réseau électrique européen démontre la nocivité des politiques européennes de libéralisation et de privatisation du secteur énergétique. La marchandisation de l'énergie, la priorité accordée à la rémunération des actionnaires, la volonté de casser les monopoles publics nationaux au nom de la concurrence libre et non faussée : voilà autant d'éléments profondément incompatibles avec la réalisation des investissements massifs nécessaires pour augmenter la capacité de production et sécuriser le transport de l'électricité.
En effet, les entreprises qui, compte tenu de la libéralisation du secteur énergétique, doivent vivre avec des cours de l'électricité volatiles, hésitent naturellement à engager des projets à long terme.
Le ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, ainsi que le ministre délégué à l'industrie, François Loos, se sont félicités de l'adoption définitive du texte relatif au secteur de l'énergie qui, selon eux, « apporte des garanties fortes à nos concitoyens et nos entreprises ».
Qu'en est-il un mois plus tard ?
Dans sa décision du 30 novembre 2006, le Conseil constitutionnel a censuré, comme étant manifestement incompatible avec les objectifs d'ouverture à la concurrence fixés par les directives communautaires « Énergie », l'obligation de fourniture à un tarif réglementé pesant sur les entreprises Gaz de France et Électricité de France.
Aux termes de cette décision, et contrairement à toutes les garanties données par le Gouvernement et la majorité parlementaire tout au long des débats, la France devrait accepter la suppression des tarifs réglementés.
Pourtant, le Gouvernement n'a pas hésité à déclarer, à la suite de cette décision du Conseil constitutionnel : « On ne peut pas dire que c'est la fin des tarifs réglementés. Le principe a bien été maintenu. »
Ne pensez-vous pas, au contraire, mes chers collègues, que GDF et EDF ne pourront plus reconduire tacitement de tels contrats, devenus illégaux au regard du droit communautaire, et que, par conséquent, il s'agit bien là de la fin des tarifs réglementés pour l'ensemble de nos concitoyens ?
Or cette suppression, si elle était adoptée, exposerait les consommateurs à de fortes augmentations de tarifs. Nous savons que les consommateurs non domestiques qui ont choisi de quitter le secteur régulé ont dû faire face à des hausses de 60 % à 80 % de leur facture énergétique. Il est essentiel de ne pas banaliser l'électricité et le gaz, qui ne peuvent être considérés comme des marchandises ordinaires au regard des enjeux économiques et sociaux que recouvre la disponibilité de ces produits.
La question des tarifs réglementés, les incertitudes pesant sur une fusion qui, en raison des contreparties demandées par la Commission européenne, a perdu toute justification, les inquiétudes de l'opposition et de certains parlementaires de la majorité : rien de tout cela n'a dissuadé le Président de la République de promulguer la loi relative au secteur de l'énergie.
Il est temps que le Gouvernement mette un terme à cette fuite en avant et fasse le constat de la dangerosité de l'ouverture totale à la concurrence du marché de l'énergie dans le contexte européen et mondial actuel.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'analyser de manière approfondie les conséquences d'une adhésion aux politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique. Cette commission, qui serait composée des divers groupes parlementaires, pourrait ainsi apporter, avant la date fatidique du 1er juillet 2007, des éléments utiles à la prise de décisions politiques réfléchies.
En tout état de cause, la Commission européenne doit se pencher prochainement sur la question de l'énergie. La panne du 4 novembre dernier montre qu'il n'existe pas, à proprement parler, de politique énergétique européenne. La question de la définition d'une politique énergétique européenne se pose donc avec force.
À cet égard, le Parlement français se doit d'apporter son expérience. Quant à la commission d'enquête dont nous demandons la mise en place, elle contribuera, n'en doutons pas, à apporter des réponses à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Il me paraît important, avant d'en venir au vote sur cette proposition de résolution, de confirmer ce qu'a dit tout à l'heure notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, concernant la mission commune d'information que propose la commission des affaires économique en lieu et place d'une commission d'enquête.
En effet, après avoir consulté mes collègues présidents de commission sur ce sujet, quatre d'entre eux m'ont répondu que leur propre commission serait intéressée par une participation à des travaux communs portant sur la sécurité des approvisionnements électriques.
Cette mission commune, si le prochain bureau du Sénat en accepte le principe, serait donc composée de membres de la commission des finances, des affaires culturelles, des affaires étrangères, des affaires sociales et, bien entendu, des affaires économiques.
La réunion du bureau du Sénat étant prévue le 19 décembre, c'est-à-dire peu de jours avant la suspension de nos travaux, il m'apparaît à première vue raisonnable d'envisager la constitution de cette mission commune à la rentrée parlementaire de janvier.
Cependant, pour répondre à beaucoup de vos préoccupations, mes chers collègues, il me paraissait important de vous faire part dès à présent de mon sentiment quant au pilotage de cette mission commune, que notre rapporteur a d'ailleurs déjà évoquée tout à l'heure et sur laquelle j'ai également, pour ce qui me concerne, eu l'occasion de m'exprimer.
Cette mission commune devrait ainsi être conduite par un président et trois rapporteurs, ce qui permettrait de refléter les grandes sensibilités politiques de notre assemblée et de garantir le caractère pluraliste des travaux qui seront menés.
Il est évident qu'après sa constitution la mission commune aura à discuter de cette composition lors de la réunion de son bureau, mais il me semblait indispensable, mes chers collègues, de vous tenir dès maintenant informés des perspectives politiques qu'a tracées la commission des affaires économiques en se prononçant en faveur d'une mission commune.
Explications de vote
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution, je donne la parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Madame la présidente, mes chers collègues, le 4 novembre dernier, dix millions de nos concitoyens français et européens étaient victimes d'une panne d'électricité sans précédent ; le rapporteur de la commission des affaires économiques, Ladislas Poniatowski, vient d'ailleurs de disséquer l'incident avec une précision de chirurgien et de le décrire avec la concision du greffier ! (Sourires.)
Certes, l'issue de cet incident n'a pas été grave et celui-ci semble avoir été rapidement maîtrisé puisque la coupure n'a duré qu'une heure et n'a pas entraîné de black-out qui aurait pu durer plusieurs jours.
Ainsi, la première conclusion que nous pouvons tirer de cet incident est que la réactivité et la solidarité des opérateurs européens ont bien fonctionné. Toutefois, il ne doit pas être minimisé. Au contraire, il doit tenir lieu d'avertissement ; il a, en effet, révélé une réelle fragilité du système européen de l'électricité qui doit nous inciter à améliorer ce dernier.
Le contexte général est connu : l'origine de la panne n'est pas à chercher dans une insuffisance de production. Néanmoins, nous savons que la demande d'énergie électrique ne fera qu'augmenter et que, pour répondre à cette demande croissante, il convient d'investir dans la production.
À ce propos, nous avons noté avec satisfaction que, dans son dernier contrat de service public, EDF renoue avec une politique d'investissement.
Si nous disposons déjà, depuis le 4 novembre, d'éléments d'information relativement concluants, la cause et la gestion de la crise doivent cependant faire l'objet d'analyses particulièrement fines afin que nous puissions en tirer des conclusions utiles pour l'avenir.
Plusieurs expertises sont d'ailleurs en cours, notamment en Allemagne et en France - je pense, en particulier à celle de la Commission de régulation de l'énergie -, ainsi qu'à l'échelon européen.
Au-delà, il serait utile de s'interroger à la fois sur l'état des réseaux de transport, sur les capacités d'interconnexion, sur la création de nouvelles lignes, sur la coordination entre les électriciens d'un même pays mais aussi de pays différents, ainsi que sur la coordination entre gestionnaires de transport. Enfin, la question des capacités de production de pointe doit aussi être abordée.
L'incident du 4 novembre 2006 plaide donc pour la mise en place d'une véritable politique de l'énergie européenne qui passe par une meilleure organisation énergétique de l'Union européenne et un réseau européen de l'électricité mieux intégré, avec un organe de contrôle.
Dans ce contexte, l'initiative de nos collègues communistes républicains et citoyens mérite attention, en ce qu'elle permet au Parlement français de se saisir d'un dossier important, et ce dans le droit fil de ses travaux, plus particulièrement de ceux de la commission des affaires économiques : je veux parler de notre politique énergétique dans un contexte européen et de la recherche de la plus grande sécurité d'approvisionnement possible pour notre pays.
Cependant, le groupe UMP se rangera à l'analyse développée par notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, à savoir que la mission d'enquête proposée par nos collègues du groupe CRC n'est peut-être pas le moyen le plus approprié pour une intervention de la représentation nationale.
En conséquence, notre groupe se déclare favorable à la constitution d'une mission d'information dans les termes proposés par M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je voudrais d'abord préciser que je suis tout à fait d'accord avec la proposition de la commission et souhaite qu'elle soit mise en oeuvre le plus tôt possible.
En effet, il me paraît vraiment indispensable, sur ce sujet tout à fait capital, de mettre en place une mission d'information qui, par nature, est plus ouverte et dont les travaux ont vocation à être rendus publics - ce n'est évidemment pas le cas d'une commission d'enquête -, et je suis convaincu que tous ceux de nos collègues qui sont intéressés par ces questions doivent pouvoir participer à cette mission.
Nous sommes tous, ici, conscients de l'absolue nécessité de disposer d'une politique énergétique européenne commune - sous une forme qui reste à déterminer et qui pourrait être éventuellement indépendante de la Commission -, laquelle constituerait le ferment d'une structuration d'une politique industrielle commune. Ce serait le levier d'une nouvelle dimension de l'Europe, d'une Europe politique ayant, au niveau mondial, la capacité de réagir dans un domaine aussi fondamental que celui de l'énergie.
Au-delà du problème des réseaux, il est évident qu'il faut également mener des recherches complémentaires en ce qui concerne tant la production d'électricité, qui sera de plus en plus décentralisée, que les possibilités pour les collectivités locales d'économiser l'énergie.
Le système de transport de l'énergie ne peut, hélas, faire l'objet de modifications dans l'immédiat. Personnellement, le département dont je suis élu se situe tout à fait en bout de ligne, ce qui nous fait craindre, chaque jour où il y a surconsommation d'énergie, un véritable black-out. Une deuxième ligne avait été prévue ; le projet a été abandonné et, par conséquent, mon département est véritablement à la limite de ses possibilités. Nous sommes d'ailleurs d'ores et déjà obligés de mettre en place des programmes de diminution de la consommation d'énergie, alors que ce département connaît un développement économique considérable.
Par conséquent, il y a véritablement urgence et je crois qu'il est absolument nécessaire de mettre en oeuvre une politique énergétique européenne, gage d'une relance possible de l'Europe.
J'ai présidé récemment un colloque franco-allemand sur la politique énergétique. Pour la première fois, un ministre de la République fédérale a admis qu'au mois de mai prochain il serait amené à revoir le fameux contrat liant son gouvernement à l'industrie, afin de négocier l'éventuelle sortie du nucléaire de l'Allemagne, qui est d'ailleurs considérée par toute l'industrie de ce pays comme une stupidité. Et ce mouvement gagne toute l'Europe !
Nous continuons à accroître notre consommation énergétique, et donc notre dépendance vis-à-vis de pays auxquels nous ne pouvons pas vraiment nous fier. Qu'il s'agisse des États du Golfe ou de la Russie, les risques de chantage énergétique existent, et ils ont tendance à se concrétiser. La mise en place d'une politique européenne de l'énergie constitue donc une priorité absolue.
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant qu'il ne soit procédé au vote, je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'il s'agit de conclusions négatives.
Autrement dit, ceux qui ne sont pas favorables à la proposition de résolution doivent voter « pour » les conclusions de la commission ; ceux qui sont favorables à la proposition de résolution et souhaitent passer à la discussion des articles doivent voter « contre » les conclusions de la commission.
Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution.
Mme la présidente. En conséquence la proposition de résolution est rejetée.
6
Commission d'enquête sur le groupe EADS
Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution de M. Bertrand Auban, Jean-Pierre Bel, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean-Pierre Plancade, Marc Massion, Jean-Pierre Masseret, Bernard Angels, Mme Nicole Bricq, MM. Michel Charasse, Jean-Pierre Demerliat, Jean-Claude Frécon, Claude Haut, François Marc, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Michel Sergent, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Josette Durrieu, MM. Jean-Noël Guérini, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Daniel Percheron, Gérard Roujas, André Rouvière, Mme Catherine Tasca, M. André Vantomme, Mme Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus (nos103, 66, 98).
La parole est à M. Bertrand Auban, auteur de la proposition de résolution.
M. Bertrand Auban. Madame la présidente, mes chers collègues, je me trouve dans la curieuse situation d'intervenir le premier, avant le rapporteur de la commission des affaires économiques, au sujet d'une proposition tendant à créer une commission d'enquête dont je suis l'auteur et qui a reçu le plein soutien de mon groupe.
Cette forme d'intervention constitue une première. Elle est aussi la conséquence curieuse du rendez-vous manqué du Sénat avec sa rénovation.
Depuis la révision constitutionnelle de 1995, qui a créé des séances mensuelles réservées à l'initiative parlementaire dans chaque assemblée, la pratique est fort différente à l'Assemblée nationale et au Sénat : au Palais-Bourbon, chaque groupe dispose à tour de rôle d'un droit de tirage ; au palais du Luxembourg, la majorité contrôle tout.
Depuis longtemps, nous réclamons que l'opposition puisse, dans ce cadre, faire débattre le Sénat de ses initiatives, sans que la majorité, qui sélectionnait jusqu'à présent les propositions et ne retenait que celles qui lui convenaient, dispose d'un droit de veto.
À la fin du mois d'octobre dernier, nous avons cru obtenir satisfaction, la conférence des présidents ayant admis que chaque groupe politique pourrait disposer, à la proportionnelle, d'un droit d'initiative parlementaire. Toutefois, la majorité a dénaturé complètement cette petite avancée, en refusant aux groupes socialiste et CRC, lorsqu'ils déposent une proposition, le droit de la présenter eux-mêmes en séance publique.
Je n'ai donc pu être désigné rapporteur de la résolution tendant à tendant à créer une commission d'enquête sur EADS : cette tâche a été confiée à un sénateur de la majorité, alors même que je suis, avec mon groupe politique, à l'origine de cette demande, que la majorité avait toujours la possibilité de rejeter par un vote négatif.
Mes chers collègues, même à l'Assemblée nationale, ces pratiques hégémoniques n'ont plus cours depuis plus de dix ans !
Nous continuons d'espérer que notre proposition de résolution recueillera l'assentiment de notre assemblée. C'est pourquoi je souhaite en préciser de nouveau très clairement l'objet.
Tout d'abord, eu égard aux récents développements de l'actualité, je veux affirmer avec force que cette commission d'enquête, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, ne porterait aucunement sur des faits relevant de la justice.
Ensuite, dans notre esprit, il ne s'agit à aucun moment de fragiliser, directement ou indirectement, les groupes EADS et Airbus.
En tant qu'élu de la Haute-Garonne, je suis trop conscient des enjeux économiques et sociaux liés à ces entreprises pour envisager une seule seconde que l'intérêt national ou local, celui des citoyens et des salariés, puisse trouver son compte dans l'affaiblissement de notre industrie aéronautique.
Je suis bien trop conscient que sont en cause l'emploi de dizaines de milliers de salariés, l'avenir des 15 000 fournisseurs d'Airbus et l'économie de plusieurs villes françaises, comme Meaulte, dans la Somme, Nantes, Saint-Nazaire ou Toulouse, dans la Haute-Garonne, pour participer à des actions négatives.
Je ne crois pas que la création d'une commission d'enquête porterait tort à ces entreprises et serait interprétée comme un signe de défiance du Sénat à leur égard. Au contraire, j'estime qu'une volonté marquée de rendre transparentes et de mettre à plat les difficultés rencontrées par ces groupes, ainsi que leurs causes, serait de nature à prouver à tous que la France, à travers son Parlement, se montre très attentive à l'avenir de l'industrie aéronautique en général, et d'EADS et Airbus en particulier, et qu'elle est prête à aider sur tous les plans ces deux entreprises.
Notre proposition de résolution tend essentiellement à identifier les dysfonctionnements qui ont conduit à une situation devenue aujourd'hui inquiétante à plusieurs titres, et donc à éviter qu'ils ne se renouvellent.
Cette situation est inquiétante en raison des retards de production et de livraison de l'A380, car c'est bien de cet avion qu'il s'agit. L'argumentation de l'entreprise semble faible, car les problèmes de câblage et de harnais qu'elle met en avant ne peuvent justifier à eux seuls les retards. Nous estimons que les causes profondes de ces problèmes sont intimement liées au système de gouvernance du groupe, c'est-à-dire à la non-intégration de l'entreprise Airbus. L'un des objectifs de la commission d'enquête que nous souhaitons instituer serait de clarifier ce point.
La situation est inquiétante également en raison des conséquences financières et boursières de ces retards pour l'entreprise, qui ont entraîné la mise en place du plan « Énergie 8 », dont nous redoutons les conséquences sur l'emploi, les sous-traitants et l'économie de nombreuses régions françaises.
Je le rappelle, d'ici à 2010, la sous-traitance sera réduite à 20 % de ce qu'elle est aujourd'hui. On va lui demander de participer au capital d'EADS, mais aussi, et surtout, d'aller produire dans des pays à bas coûts de production et faisant parie de la zone dollar. Que la première entreprise dont l'identité est européenne ait besoin de se refaire une santé en délocalisant en zone dollar ne constitue-t-il pas un déplorable paradoxe ?
La situation est inquiétante encore en raison du faux départ de l'A350, en fait un A330 « relooké ». Cet appareil est aujourd'hui reconverti en A350 XWB, mais son coût initial a doublé, pour atteindre 10 milliards d'euros, et il sera mis sur le marché, dans le meilleur des cas, avec six ou sept ans de retard par rapport à l'avion de Boeing, le Dreamliner ou Boeing 787, qui enregistre aujourd'hui près de 450 options d'achat.
Mes chers collègues, pour vous donner une idée de ces investissements, je vous rappelle que 10 milliards de dollars, soit la somme consacrée aux dépenses de recherche et développement d'un seul avion, correspondent à peu près au trentième du budget de l'État.
La situation est inquiétante, enfin, au regard de la gouvernance de l'entreprise, même si aujourd'hui l'arrivée de M. Louis Gallois à la présidence d'Airbus et à la co-présidence d'EADS est plutôt de nature à nous rassurer. De même, l'annonce récente du lancement de l'A350 XWB constitue un signal positif, avec toutefois ce bémol : son financement doit être clarifié rapidement.
L'arrivée chez Airbus, comme directeur général délégué, de M. Fabrice Brégier, ancien directeur de la division Eurocopter, entreprise installée à Marignane, dans les Bouches-du-Rhône, constitue un autre point positif. En effet, cette entreprise est le leader mondial de son secteur et elle vient de remporter le « marché du siècle », si j'ose dire, en vendant 280 hélicoptères à l'armée américaine. Mes chers collègues, il s'agit d'un beau symbole, qui prouve que tous les défis peuvent être relevés pour peu que soient réunies qualité, compétence, volonté, cohérence et, ajouterai-je, transparence.
Or c'est en matière de cohérence que le bât a blessé pour Airbus et EADS. Nous estimons qu'il est essentiel de nous pencher sur le système de gouvernance et les mentalités : je fais allusion aux tiraillements et rivalités qui sont dictées par l'esprit national des uns ou des autres, voire par quelques vanités déplacées.
Faute de cet examen auquel nous souhaitons que le Sénat procède, il est fort à craindre que les mêmes maux ne se traduisent par les mêmes erreurs.
Je connais parfaitement les circonstances et les contraintes politiques, économiques et industrielles qui ont conduit à adopter le système de gouvernance en vigueur. Celui-ci avait sa pertinence, mais force est de constater qu'il ne répond pas aux schémas classiques et provoque, dans les moments difficiles, des paralysies et des incohérences.
C'est pourquoi je persiste à penser qu'il serait judicieux et salutaire que notre assemblée s'interroge de manière approfondie sur ce mode de fonctionnement.
Nous sommes tous ici intimement convaincus de l'importance d'EADS et d'Airbus pour l'économie nationale et européenne. Mes chers collègues, quand Airbus tousse, l'économie française et européenne s'enrhume, si vous m'autorisez cette paraphrase.
C'est pourquoi, au-delà de querelles politiques qui n'ont pas lieu d'être sur un tel sujet, j'estime que la Haute Assemblée s'honorerait en créant cette commission d'enquête, dont les conclusions, j'en suis persuadé, permettraient d'éviter la répétition des erreurs passées, ce qui constitue la raison d'être de notre démarche.
En conclusion, mes chers collègues, au moment où les compagnies aériennes risquent d'annuler leurs commandes d'A380 et où la compagnie allemande Lufthansa vient de choisir des Boeing 747-800, je crois que tous, l'État français, EADS et Airbus, trouveraient leur compte à un examen minutieux des dysfonctionnements intervenus, et je vous invite donc à voter pour cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour répondre à M. Bertrand Auban, je voudrais rappeler que les principes régissant la création des commissions d'enquête ne remettent pas en cause la capacité des membres de notre assemblée à expliquer les raisons qui conduisent, selon eux, à instituer une telle commission, quand bien même un rapporteur issu d'un autre groupe politique aurait été nommé par la commission du Sénat compétente au fond.
La meilleure preuve en est, monsieur Auban, que vous venez de souligner, avec beaucoup de talent et de persuasion d'ailleurs, les raisons qui ont amené le groupe socialiste, auquel vous appartenez, à formuler une telle demande. Cela n'empêche pas, permettez-moi de le rappeler avec beaucoup d'amitié et de modération, la commission de désigner en son sein un rapporteur !
Je ne suis que le modeste rapporteur de cette commission (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)...
M. Daniel Raoul. Très modeste !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Vous avez raison, monsieur Raoul, je ne suis que le très modeste rapporteur de la commission des affaires économiques, et je ne puis donc en rien amoindrir la force et la qualité de la proposition qui a été formulée.
Mes chers collègues, j'évoquerai, tout d'abord, les aspects juridiques et les questions de fond que pose ce dossier. Puis, fort de cette analyse, j'énumérerai les avantages et inconvénients que présenterait la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS. Enfin, j'exposerai le point de vue qui a été retenu par la commission des affaires économiques.
Mon éminent collègue Laurent Béteille reviendra tout à l'heure sur les aspects juridiques. Je ne les traiterai donc pas en détail, et me contenterai d'en présenter quelques-uns, qui sont à mon sens de deux ordres.
En premier lieu, les commissions d'enquête parlementaires sont soumises aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui ont été reprises à l'article 11 du règlement du Sénat.
Pour être recevable, une commission d'enquête doit tout d'abord ne doit pas empiéter sur le champ d'une procédure judiciaire. Pour savoir ce qu'il en était en l'occurrence, M. le Président du Sénat a interrogé M. le Garde des Sceaux, dont la réponse est tout à fait claire : l'information judiciaire qui a été ouverte récemment « porte sur la cession des titres d'EADS intervenue antérieurement à l'annonce publique des retards de livraison de l'Airbus A380 en mai 2006 », ce qui limite déjà le champ d'investigation qui pourrait être laissé à une commission d'enquête parlementaire.
En second lieu, au regard de l'ordonnance du 17 novembre 1958, la recevabilité d'une commission d'enquête dépend de l'objet de la demande. Il faut que celle-ci porte soit sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, soit qu'elle concerne des faits précis. Or, en l'espèce, ces critères ne sont pas satisfaits.
D'une part, EADS n'est ni un service public ni une entreprise nationale. En effet, et cela en surprendra peut-être quelques-uns, EADS est une société de droit néerlandais, dont l'État français ne détient que 15 %, et ce de manière indirecte.
D'autre part, la rédaction de la proposition de résolution est très générale. Certes, les faits sur lesquels porte l'enquête peuvent prêter à discussion, mais, pour trancher, je m'en suis tenu au texte même de la proposition. Or la commission d'enquête concerne le groupe EADS - ce n'est pas en soi un fait précis - et les retards de production d'Airbus.
S'agissant de ce dernier point, mes chers collègues, je tiens à vous rappeler la situation d'Airbus. La production de l'A320 s'élève à 34 appareils par mois, et il est prévu de la porter à 36. Pour ce qui est de l'A330-A340, les appareils sont livrés sans aucun retard. Nous savons tous ici que seuls les retards de l'A380 sont visés, mais ce n'est pas formulé précisément dans la proposition de résolution.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques et moi-même avons estimé que les conditions de recevabilité permettant la création d'une commission d'enquête n'étaient pas réunies.
J'aborderai maintenant les questions de fond.
Premièrement, nous disposons aujourd'hui d'un certain nombre d'informations propres à apaiser les inquiétudes. Ainsi, l'équipe de management d'EADS a présenté le plan « Énergie 8 », également appelé « Power 8 ». Il serait d'ailleurs plus exact de parler de plan « Énergie 9 », puisqu'un nouvel objectif a été ajouté aux huit objectifs que prévoit le plan « Énergie 8 » pour atteindre une meilleure productivité et une meilleure organisation de l'entreprise. Je n'y reviens pas, car la presse s'en est largement fait l'écho : il s'agit d'optimiser les moyens mis en oeuvre pour que les appareils soient construits dans les meilleures conditions.
Les médias ont également mis en exergue l'éventuelle réduction du nombre de sous-traitants d'Airbus. Je souhaite apporter quelques précisions à ce sujet. Jusqu'à peu, Airbus travaillait avec environ 15 000 sous-traitants, avec lesquels elle développait des négociations bilatérales. Airbus n'envisage pas une réduction du nombre de ses fournisseurs, mais entend mettre au point une organisation différente, au sein de laquelle les opérateurs de premier rang s'occuperont de la négociation avec les sous-traitants de deuxième rang, afin de restreindre le nombre de relations bilatérales qui alourdissaient très fortement sa charge de travail.
Pour mémoire, je rappelle que, dans l'ancienne configuration, plus de 300 personnes étaient, chez Airbus, chargées des relations entre les sous-traitants et la production. On est là bien loin d'une optimisation ! L'instauration de sous-traitants de premier rang réduira et simplifiera donc les relations d'Airbus avec ses fournisseurs.
Deuxièmement, l'appréciation de l'euro face au dollar est peut-être ce qui explique le mieux les difficultés que rencontre Airbus. Depuis que l'A380 a été lancé, le dollar a perdu 40 % de sa valeur par rapport à l'euro, ce qui entraîne mécaniquement une perte de 20 % de la compétitivité d'Airbus face à son concurrent Boeing. Quelle entreprise se sentirait aujourd'hui capable de résister à une telle dépréciation de sa compétitivité, qui ne serait due qu'à l'effet mécanique d'une évolution de taux de change ?
Il faut donc prendre en considération tous ces facteurs.
Quant aux causes du retard du programme A380 - puisque c'est l'objet de votre préoccupation, monsieur Auban -, elles sont connues. Je vous renvoie pour cela à mon rapport écrit, qui les examine en détail.
Des difficultés sont apparues sur le site d'assemblage au moment de la réunion des différents tronçons de l'appareil. Je m'en suis expliqué en commission.
Je souhaite revenir sur l'une des raisons essentielles de ce retard. La conception de l'A380 n'a rien à voir avec celle des autres appareils : cet avion comporte 100 000 fils électriques et 40 300 connecteurs, ce qui représente 530 kilomètres de câblages qu'il faut faire entrer dans 80 mètres de fuselage. Ce degré de complexité n'a jamais été atteint, même avec l'A340, qui était pourtant le plus gros appareil construit jusque-là. Il n'y avait pas de difficultés majeures entre les unités d'assemblages qui existaient en France et celles qui existaient en Allemagne : le système de fuselage était à peu près cohérent et, globalement, les câblages rentraient.
En outre, s'agissant de l'A380, la complexité est accrue par la diversité des exigences de la clientèle. Selon la compagnie, Virgin Atlantic Airlines, Singapore Airlines, Thai Airways ou autre, les demandes en matière d'agencement intérieur ne sont pas les mêmes ; cela signifie qu'il faut déplacer les galleys et revoir l'espace réservé aux harnais de câblage.
J'ajoute que les améliorations qui ont pu être apportées grâce aux essais en vol n'ont pu être prises en compte par les logiciels utilisés par les équipes d'ingénieurs en Allemagne, qui n'étaient pas suffisamment puissants pour intégrer les modifications en cours. Cela a abouti à des télescopages entre les capacités des uns et celles des autres.
Cette situation peut paraître un peu curieuse : une importante société comme Airbus ne serait donc pas capable de fusionner ses procédés de fabrication ? Il faut savoir qu'EADS est une grande entreprise multinationale, présente en Allemagne, en France, en Espagne et dans d'autres pays européens ; il est donc parfois très compliqué d'ajuster le tir.
Les difficultés d'aujourd'hui sont-elles le fruit d'une erreur, voire d'une insuffisance de management ou bien sont-elles la conséquence de la politique de l'entreprise, qui consistait à rajouter de la complexité tant que cela était possible ? Que l'on ne croie pas que je montre du doigt les équipes allemandes ! Si l'A330-A340 était essentiellement conçu en France, les conséquences étant ensuite tirées en Allemagne, la conception de l'A380 est partagée entre la France et l'Allemagne, ce qui explique les problèmes qui sont apparus. La solution se trouve bien dans la réorganisation de l'équipe de management d'Airbus et d'EADS.
Je profite de l'examen de cette proposition de résolution pour redire, de manière que cela puisse être entendu au-delà de cette enceinte, qu'une fabrication de type industriel de l'A380 interviendra dans un an et demi, voire dans deux ans, dès lors que les personnels seront parfaitement formés aux logiciels utilisés, c'est-à-dire à partir du vingt-sixième appareil. Cela ne signifie nullement que les vingt-six premiers avions seront dangereux ou ne seront pas en état de voler, mais l'approche de la fabrication changera. Pour autant, quelles que soient les modalités de fabrication, les exigences en matière de sécurité seront tenues.
Concernant les éventuelles responsabilités individuelles, outre l'enquête judiciaire que j'ai mentionnée au début de mon intervention et qui fait obstacle à la création d'une commission d'enquête sénatoriale, EADS a commandé une enquête interne à des experts extérieurs. Les résultats seront rendus publics au plus tard à l'occasion de l'assemblée générale du mois de mai prochain. Il est donc fort peu probable qu'une commission d'enquête nous en apprenne davantage.
Je formulerai une dernière observation pour faire litière d'informations négatives. Airbus n'a enregistré aucune annulation de commande d'A380 destinés au transport de passagers. Les seules suppressions concernent des A380 cargos et sont pour l'instant le seul fait de la société FedEx. Il est vrai que d'autres entreprises pourront faire de même, car, dans ce secteur, il est urgent d'adapter les moyens mis en oeuvre aux besoins du marché.
Concernant les commandes des compagnies de passagers, je tiens à le rappeler avec force, il s'agit de répondre à un marché réel et non de créer un appareil « merveilleux ». La massification du marché fait que les compagnies aériennes les plus importantes - Singapore Airlines, la Thai, etc. - se sont mises sur les rangs ; il y a donc une niche pour l'A380, qui répond à un besoin spécifique.
Les retards ont modifié le seuil de rentabilité de l'A380, mais la niche reste largement porteuse, et cet appareil sera un succès économique. Ainsi, dès que Singapore Airlines fera se poser et décoller des A380 à Tokyo-Narita ou sur les autres grands aéroports internationaux, je suis persuadé que de nouvelles compagnies voudront, elles aussi, avoir l'A380. Cette certitude doit non pas nous rassurer, car nous n'avons pas besoin d'être rassurés, mais simplement nous réjouir de voir qu'une grande compétition mondiale s'engage entre deux challengers, Boeing et Airbus.
Telles sont, madame la présidente, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur les aspects juridiques et les questions de fond que soulevait cette proposition de résolution.
Je m'interrogerai maintenant sur les effets qu'entraînerait la création de cette commission d'enquête. Ils seraient de trois ordres et, selon moi, vous vous en doutez, tous négatifs.
Le premier inconvénient concerne l'image du groupe. On a déjà vu à quel emballement médiatique a donné lieu le sujet. Il est évident que la création d'une commission d'enquête serait analysée par les médias et par les observateurs comme un signe de défiance du Parlement français à l'égard d'une grande entreprise européenne. Je pense qu'il n'est guère nécessaire d'insister sur ce point.
Deuxième inconvénient : sur le plan financier, l'impact serait immédiat, le cours de bourse de la société en pâtirait, ce qui ne pourrait que rendre plus difficile le financement des programmes stratégiques dans les mois qui viennent. Vous savez que le groupe Airbus vient de décider le lancement du programme de l'A350, qui est vital pour l'entreprise puisqu'il lui permet de prendre place sur un segment de marché où Boeing détient aujourd'hui une légère avance, ce qui signifie que rien n'est définitif et que des parts de marché peuvent être récupérées.
Troisième inconvénient : sur le plan commercial, la constitution d'une commission d'enquête serait utilisée par l'autre grand constructeur pour fragiliser son concurrent auprès des clients.
Avant de conclure, je veux rappeler qu'Airbus n'est pas le seul constructeur à connaître des difficultés dans la mise en oeuvre d'un programme. Les retards de l'A380 ne concernent qu'une machine. Les deux premiers appareils, qui devaient être livrés cette année, le seront l'an prochain. Boeing, lui, lors du lancement du 747, a connu pendant deux ans des difficultés d'un tout autre ordre, qui mettaient en jeu la sécurité des passagers. Ainsi, un Boeing 747 a été obligé de se poser un jour à Kennedy Airport avec un seul un moteur sur quatre parce que la conception du support des moteurs et des moteurs eux-mêmes était défectueuse. Pendant deux ans, la société Boeing a eu toutes les peines pour mettre au point son appareil. Or elle l'a fait « sur le dos » de la sécurité des passagers puisque c'est tout en continuant les vols qu'elle a réussi à corriger les erreurs. Airbus, pour sa part, a l'honnêteté et le scrupule de vérifier que les choses se passent bien avant de faire voler un appareil avec des passagers à son bord. C'est tout à son honneur.
Il ne convient pas d'épiloguer sur de tels sujets, mais je veux quand même rappeler que la construction aéronautique est suffisamment complexe et difficile pour que personne ne s'amuse à en tirer des conclusions hâtives.
Madame la présidente, mes chers collègues, telles sont les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques ne souhaite pas suivre la proposition émanant de nos collègues socialistes et tendant à la création d'une commission d'enquête.
Quoi qu'il en soit, le Parlement est en droit d'être informé. C'est la raison pour laquelle M. le président de la commission des affaires économiques et les membres de ladite commission ont proposé qu'un rapport d'information soit présenté sur ce sujet, après la reprise des travaux parlementaires, sujet suffisamment important pour que nous nous en préoccupions.
Monsieur Auban, je souhaite vous dire en conclusion, parce que vous avez fait preuve d'une très grande courtoisie, que la construction aéronautique et le transport aérien continuent de faire rêver et que ce seul fait doit nous rapprocher. C'est la raison pour laquelle, j'en suis persuadé, vous accepterez les conclusions de la commission des affaires économiques. Votre proposition était intelligente, bien formulée, mais elle est aujourd'hui inopportune. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, mes chers collègues, comme notre excellent collègue Jean-François Le Grand vient de nous l'exposer, le Sénat est saisi d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus.
Lors du précédent débat, j'ai eu l'occasion d'expliquer quelles étaient les principales conditions de recevabilité de telles commissions d'enquête. Pour être, en cet instant, un peu plus complet, je veux indiquer que lesdites commissions, qui résultent de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, fusionnent deux dispositifs plus anciens : d'une part, les commissions de contrôle concernant les services publics ou les entreprises nationales et, d'autre part, les commissions d'enquête, proprement dites, visant des faits précis. Pour autant, cette distinction existe toujours. Les commissions d'enquête sont appelées à se pencher soit sur le contrôle des services publics, soit sur des faits déterminés.
En l'occurrence, il est clair que le contrôle des services publics ne s'applique pas à la proposition de création d'une commission d'enquête qui nous est soumise par nos collègues socialistes. En effet, et personne n'en disconviendra, nous ne sommes pas en présence d'un service public. EADS pas plus qu'Airbus ne sont, d'ailleurs, des entreprises nationales. Il a effectivement été rappelé précédemment qu'EADS était une entreprise de droit néerlandais dans laquelle la part de l'État français, s'élevant à 15 %, est assez réduite.
La demande formulée vise des faits déterminés, à savoir le retard de livraison de matériels. La commission des lois a examiné avec beaucoup d'attention la proposition de résolution émanant de nos collègues, en particulier l'exposé des motifs. Il ressort de ce dernier document que nos collègues se sont interrogés sur le comportement des différents actionnaires. C'est là que le bât blesse. Après la demande formulée, de manière classique, par le président de la commission des lois, par l'intermédiaire de M. le président du Sénat, au garde des sceaux, ce dernier, par courrier du 4 décembre 2006, nous a fait savoir qu'une information judiciaire était ouverte devant le tribunal de grande instance de Paris et vise des faits de délit d'initié, de recel de délit d'initié et de diffusion de fausses informations. Mes chers collègues, si vous avez suivi l'actualité de ces derniers jours, vous savez que sont en cours actuellement un certain nombre de perquisitions aussi bien chez EADS qu'au groupe Lagardère, l'un de ses actionnaires.
Or cette procédure judiciaire étant pendante, elle fait totalement obstacle à la création d'une commission d'enquête ; c'est la conclusion à laquelle est arrivée la commission des lois. Cette dernière, ayant jugé irrecevable la proposition de résolution, telle qu'elle était rédigée, a cependant laissé la porte ouverte à une modification de sa formulation, en suggérant aux auteurs de supprimer la référence aux faits que je viens d'évoquer. Nos collègues socialistes n'ont pas agi en ce sens, considérant sans doute que cela retirerait sans doute beaucoup d'intérêt à leur demande. Dans ces conditions, leur demande reste malheureusement irrecevable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, mes chers collègues, préalablement à mon intervention et puisque je ne l'ai pas fait lors du débat précédent, je souhaite souligner ma satisfaction de voir inscrites à l'ordre du jour de nos travaux deux propositions de résolution émanant de l'opposition parlementaire.
En effet, dans l'ordre du jour des séances mensuelles réservées, il est bien rare qu'une telle place soit accordée aux initiatives de l'opposition. Je formule donc le souhait que, lors des prochaines séances mensuelles réservées, cet équilibre soit maintenu.
Cependant, cette bonne disposition de la majorité ne va pas jusqu'à accéder à la demande de création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS. En effet, la commission des affaires économiques a formulé un avis négatif à ce sujet, au double motif qu'une enquête judiciaire sur l'infraction de délit d'initié est en cours et que l'État n'étant actionnaire que de 15 % du groupe, la représentation nationale n'est pas fondée à enquêter sur la situation de ce groupe européen, qui n'est pas une entreprise publique nationale.
Si le premier argument, que nous ne contestons pas, peut se comprendre aisément, le second est plus hasardeux. En effet, indépendamment de la participation française dans le capital de cette entreprise, le secteur d'activité de cette dernière est un fleuron de l'industrie nationale depuis la création de la société Aérospatiale. À ce titre, la commission des affaires économiques reconnaît d'ailleurs pleinement le caractère stratégique du secteur d'activité d'EADS.
Pourtant, au motif que l'État ne serait pas suffisamment présent dans le capital de ces entreprises, la représentation nationale n'aurait ni à connaître des difficultés qu'aurait pu faire naître leur gestion ni à influer sur les enjeux relatifs à ce secteur d'activité.
Si l'on suit bien le raisonnement, c'est donc, à terme, l'ensemble de l'économie qui doit échapper au pouvoir politique, puisque, selon les dogmes libéraux, les services publics et les entreprises nationales appartiennent à l'histoire et doivent céder la place à la concurrence libre et non faussée, censée régir désormais l'ensemble des activités humaines. Cet argument apparaît d'ailleurs en filigrane dans la motivation du refus de la commission des affaires économiques de création d'une commission d'enquête, refus qui tient, pour partie, aux conséquences de la création de cette commission sur la bourse, ainsi que vous l'avez du reste rappelé, monsieur le rapporteur.
Nous déduisons également de votre argumentaire que la majorité gouvernementale va clairement dans le sens de l'abandon du modèle gaulliste, qui a permis l'intervention étatique dans les secteurs clés de l'économie française. En effet, depuis vingt ans, l'État ne cesse de se dessaisir de ses participations dans les entreprises publiques, dont la liste est longue : Gaz de France, Électricité de France, Air France, Aéroports de Paris, etc.
Dans le domaine de l'aéronautique, le gouvernement Jospin a autorisé, il est vrai, la privatisation de l'entreprise Aérospatiale et sa fusion avec l'entreprise Matra, société du groupe Lagardère, comme cela est souligné dans le rapport écrit.
Cette opération a effectivement permis la création d'EADS en 2000, groupe conçu non comme une coopération intergouvernementale, mais comme une entreprise européenne fonctionnant avec les actionnaires de plusieurs pays, notamment français, allemands, espagnols, qu'ils soient publics ou privés, et dont l'objectif premier était de concurrencer Boeing.
Les communistes, dans leur diversité, n'étaient pas forcément favorables à cette opération. Mais là n'est pas la question aujourd'hui.
Certes, le gouvernement Jospin a fait des erreurs, notamment quand son action a été dans le sens d'un accompagnement du libéralisme mondialisé et qu'il s'est séparé des outils de maîtrise publique, et donc citoyenne.
Concrètement, lorsque Lionel Jospin déclarait, en 2002, que le pouvoir politique ne pouvait contraindre l'économie, je pense qu'il a fait une erreur fondamentale, qui explique, en partie, la désaffection envers la politique de nombre de nos concitoyens.
En tout cas, le fait que le gouvernement Jospin ait, en son temps, fait le choix de privatiser l'entreprise Aérospatiale ne permet certainement pas d'affirmer que, aujourd'hui, les parlementaires de gauche ne pourraient débattre de la situation d'EADS.
Les sénateurs communistes estiment qu'il est plus qu'urgent de faire le bilan des politiques de libéralisation et de privatisation menées au niveau tant national qu'européen, avant de continuer dans cette fuite en avant. Il devient, en effet, pressant d'analyser si ce désinvestissement des pouvoirs publics dans les secteurs clés de l'économie, aboutissant à laisser comme seul régulateur la loi du marché, a permis un véritable développement de ce secteur et répondu aux besoins des usagers.
Dans le secteur de l'aéronautique, notamment, au regard des difficultés d'EADS et de l'opacité incroyable qui entoure la gestion de cette entreprise, nous estimons que cette politique de retrait des pouvoirs publics n'est pas concluante. À cet égard, je trouve que la proposition de résolution émanant du groupe socialiste est intéressante et aurait mérité plus qu'un débat de quelques heures, de même que le sujet aurait mérité plus qu'une simple information des parlementaires dans plusieurs mois.
J'en viens, maintenant, au fond même de cette proposition de résolution, c'est-à-dire ce qui légitime une en quête sur la situation de l'entreprise EADS, sur les causes qui ont provoqué le retard de livraison de l'A380 et, finalement, sur la politique industrielle de cette société.
À mon sens, la question du retard de livraison ne peut se comprendre et s'analyser que dans le cadre global de la politique industrielle de ce groupe. En effet, de nombreux arguments techniques peuvent être avancés pour justifier ce retard, notamment l'utilisation d'un logiciel non conforme pour le câblage à l'usine de Hambourg. Cependant, je considère que ces retards sont la conséquence directe de la politique industrielle de cette entreprise ou, plutôt, de son absence de politique industrielle.
En effet, comment ne pas considérer que la gestion de cette entreprise orientée vers la recherche d'une rentabilité maximale crée ce type de risques ?
Les causes profondes de la crise que connaît aujourd'hui EADS sont le fruit d'une stratégie essentiellement financière, qui a fait prévaloir les intérêts des actionnaires sur la logique industrielle.
En effet, alors que les dividendes versés aux actionnaires n'ont jamais été si importants - ils ont progressé de manière continue sur quatre ans, pour parvenir à une augmentation de 200 % -, une politique de réduction des coûts est largement mise en oeuvre dans le même temps.
On se trouve donc devant une stratégie de réduction des coûts de production qui ne saurait absolument pas se justifier par des difficultés financières ni par la situation de l'euro par rapport au dollar, comme le suggère la commission des affaires économiques, mais qui s'explique uniquement par la volonté des actionnaires français, allemands et espagnols d'augmenter leurs profits.
Ils ne sont pas d'ailleurs déçus : les profits ont encore été en hausse de 30 % en 2005. Pour l'année 2006, le géant de l'aéronautique table sur une progression du chiffre d'affaires de près de 3 milliards d'euros.
C'est dans ce cadre que l'entreprise a lancé, il y a maintenant deux ans, le plan « Route 06 », destiné à économiser 1,5 milliard d'euros par an.
Ainsi, les actionnaires ont voulu, pour des raisons financières, réduire les délais d'études et de développement de l'A380 de sept à cinq ans. La conséquence directe de cette décision est que la filiale Airbus a réduit en 2004 son budget de recherche et développement, alors que ce nouvel avion était en plein développement.
La filiale Sogerma a également été sacrifiée parce qu'elle n'atteignait pas le taux de rentabilité espéré par les actionnaires. Le conseil d'administration a en effet décidé « d'arrêter les activités déficitaires sans perspectives de rentabilité ».
Le recours accru à la sous-traitance est aussi source de risque puisqu'il élargit encore un peu plus la chaîne de production.
Nous estimons donc que c'est ce plan qui est fondamentalement à l'origine des retards de production de l'A380 : il ne s'agit pas de simples problèmes de compatibilité technique ou de gouvernance d'entreprise.
Vouloir aller toujours plus vite en rognant toujours davantage sur les coûts comporte en effet ce type de risque.
Pourtant, cela ne fait nullement reculer la direction d'EADS, qui persiste dans cette logique. En effet, le lancement de l'A350, décidé le 1er décembre dernier en conseil d'administration, est lié à la mise en oeuvre d'un nouveau plan de restructuration, intitulé « Énergie 8 ».
Ce plan vise à permettre l'autofinancement par EADS de l'A 350, à hauteur de 5 milliards d'euros, d'ici à 2010. Il tend également à ce que les sous-traitants prennent à leur charge 1,8 milliard d'euros de coûts de développement, c'est-à-dire qu'ils devront eux-mêmes pratiquer des réductions de coûts de production.
Le reste des financements nécessaires devrait être trouvé en passant par des émissions obligataires avec garantie publique.
Ce plan repose également sur un recours accru à la sous-traitance, à hauteur de 50 %, alors que le recours à la sous-traitance pour l'A 380 était de 30 %. Il ne s'agit donc pas, comme vous l'avez d'ailleurs indiqué, monsieur le rapporteur, d'une réduction de la sous-traitance, bien au contraire.
De plus, ce plan préconise une concentration des sous-traitants et une réduction de 30 % des prix de leurs prestations. Ce sera donc à eux d'assumer la charge de la sous-traitance en cascade : ils devront délocaliser dans les pays à bas coûts de main d'oeuvre.
D'autre part, ce plan préconise également des suppressions d'emplois.
C'est donc, une nouvelle fois, les emplois, les conditions de travail et les investissements qui pâtiront de la logique financière de l'entreprise.
Les sénateurs communistes estiment, devant cette situation, que les pouvoirs publics ont une responsabilité politique particulière, qui ne dépend pas de l'importance du capital détenu mais du caractère stratégique du secteur d'activité de l'entreprise EADS.
L'État français doit définir une politique industrielle pour la France et doter celle-ci des outils nécessaires pour parvenir aux objectifs démocratiquement fixés.
L'industrie aéronautique ne peut être laissée entre les seules mains des actionnaires, qui n'ont pas fait la preuve de leur capacité à développer l'activité de ce secteur.
Je ne reviendrai pas sur les récents problèmes judiciaires, mais on voit bien que les intérêts des actionnaires ne coïncident pas toujours avec les intérêts de l'entreprise. On voit également que, lorsqu'on laisse la gestion aux seuls actionnaires privés, ce sont leurs intérêts qui prévalent.
Nous ne pouvons nous en satisfaire.
Il faut rompre avec cette logique de régression et construire un grand projet industriel, avec des financements publics, contrôlés par les citoyens, pour des investissements à long terme, dégagés de l'emprise financière.
Ce projet passe par la définition de gammes complètes de produits, qui répondent aux besoins et ne soient pas soumis aux choix prioritaires d'actionnaires guidés par le souci du retour sur investissement le plus élevé dans le temps le plus court.
Airbus, qui a récemment décidé du lancement de l'A350, doit donc aujourd'hui y consacrer les budgets nécessaires.
L'avenir passe également par le successeur de l'A320, l'avion « monocouloir » qui a fait la différence dans la compétition avec Boeing.
Enfin, le gros-porteur A380 reste l'enjeu majeur des efforts industriels à engager. Il implique de nouveaux investissements technologiques et humains et une nouvelle conception des rapports entre maître d'oeuvre et sous-traitants.
Or la priorité donnée à la réduction des coûts, répercutée en cascade par tous les équipementiers, constitue une course effrénée vers la régression sociale et l'échec industriel.
Il faut donc sortir de cette ornière et revaloriser le travail, les salariés et leurs compétences. En effet, la compétence première d'Airbus, c'est avant tout le savoir-faire de ses salariés.
C'est pourquoi nous estimons, à l'inverse de certains de nos collègues qui préconisent l'abandon pur et simple des parts de l'État dans EADS, que seul un renforcement de la présence de capitaux publics sera à même de garantir une maîtrise citoyenne des enjeux liés à la politique industrielle dans le secteur aéronautique.
En effet, la gestion d'EADS est pour le moins opaque, et sa dimension européenne, loin de favoriser une plus grande transparence et une plus grande coopération intergouvernementale, vise tout simplement à éliminer la moindre velléité de contrôle public et démocratique des choix au sein de ce secteur, fleuron de l'industrie française, je le rappelle.
Je terminerai en disant que ce n'est pas cette construction européenne que nous appelons de nos voeux : ce n'est pas une Europe des capitaux privés intégrés dans le marché mondialisé, mais une Europe des peuples, une Europe démocratique, où les pouvoirs publics oeuvrent pour le développement partagé et le progrès pour tous.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen estiment que cette proposition de résolution devrait être adoptée, afin de permettre à la représentation nationale d'apprécier la situation du secteur aéronautique et, ainsi, d'apporter de très utiles informations quant aux conséquences de la libéralisation dans ce secteur stratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. J'aimerais apporter très brièvement deux précisions après l'intervention de M. Billout.
Tout d'abord, je n'ai en aucun cas évoqué une diminution de la sous-traitance. J'ai seulement parlé d'une réorganisation de la sous-traitance.
M. Michel Billout. J'ai bien précisé que vous vous étiez inscrit en faux contre cette idée de diminution, qui est apparue dans les médias.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Alors, cela relève de leur responsabilité. En tout cas, il n'y a dans ma position aucune ambiguïté : le nombre de sous-traitants doit être maintenu et je me réjouis de la nouvelle organisation.
D'autre part, si l'État actionnaire détient 15 % du capital de l'entreprise, il n'est qu'un actionnaire « muet » : il n'a aucune capacité d'intervention sur le déroulement des process ou sur les décisions à prendre.
Évidemment, cela peut paraître bizarre - et cela pourrait éventuellement faire l'objet d'une réflexion -, mais je rappellerai, sans vouloir polémiquer et sans esprit de malice, que cet état de fait résulte d'une décision qui a été prise entre 1998 et 2000, époque à laquelle, me semble-t-il, le ministre des transports relevait plutôt de votre sensibilité, monsieur Billout.
Qu'un ministre communiste se propose de situer la participation de l'État actionnaire à 15 % en privant ledit État de toute capacité d'intervention est tout de même chose curieuse ! Vous pourrez le vérifier auprès de l'Agence des participations de l'État : j'ai auditionné la personne qui est en charge de cette agence, et elle piaffait quelque peu face à cette situation, en disant : « Je ne fais que constater ! »
Je pense qu'il n'était pas inutile de faire ce rappel.
Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Auban.
M. Bertrand Auban. Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes évidemment déçus des conclusions auxquelles donne lieu notre proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête.
En effet, je le répète, nous pensions qu'elle pouvait, au-delà des différences politiques, recueillir l'assentiment de notre assemblée.
Permettez-moi d'apporter quelques réponses aux objections qui motivent cet avis négatif.
En ce qui concerne la recevabilité de la proposition, je réaffirme que celle-ci n'a aucunement pour objectif de traiter de dossiers dont la justice est saisie : le délit d'initié ne figure pas dans notre exposé des motifs.
M. le garde des sceaux a fait connaître à M. le président du Sénat qu'une information judiciaire était en cours, concernant des faits de délit d'initié, de recel de délit d'initié et de diffusion de fausses informations. C'est l'affaire de la justice, et nous n'avons certainement pas l'intention de substituer le Parlement à l'institution judiciaire.
L'objet de notre demande de création d'une commission d'enquête ne mentionne d'ailleurs aucunement les faits en question ; en faire une telle lecture constitue selon nous une interprétation abusive.
L'information judiciaire vise des personnes et non le groupe EADS en lui-même. Elle ne vise pas les retards de production et de livraison de l'A380.
Monsieur le rapporteur, je suis d'accord avec vous, les délais et les retards de livraison de l'A380 proviennent incontestablement de ce que les cinq premiers avions sont consacrés aux essais, qui nécessitent quelque 2 600 heures de vol. Au fond, si ces milliers d'heures d'essais n'étaient pas utiles, il n'y serait pas procédé ; autrement dit, il faut bien qu'elles produisent des améliorations.
Je signale que le premier de ces avions, le numéro 00 ne vole pas : il est « torturé » afin d'évaluer le niveau de résistance du fuselage, des ailes, de l'empennage, etc. Les avions consacrés aux essais font d'ores et déjà l'objet d'options d'achat, avec une ristourne, bien entendu.
Globalement, cela explique une année de retard, délai communément admis dans l'aéronautique. L'année supplémentaire de retard, en revanche, va se traduire par plus de 6,3 milliards d'euros de pénalités et de manque de trésorerie pour l'entreprise.
Cette somme est tout simplement imputable à un premier fait technique : le logiciel Circé n'a pas été adopté par les Allemands, qui ont travaillé « à la paluche », en doublant ou en triplant les effectifs, pour réaliser les harnais et le câblage électrique des tronçons dont ils étaient responsables. Lorsque ces tronçons arrivent à Toulouse, ils sont en effet prééquipés.
Cette année de retard est donc due à la non-adoption du logiciel Circé, mais surtout à l'incapacité de l'entreprise à réaliser les mêmes tâches dans les mêmes temps, dans les différents sites de production d'Airbus. Il s'agit en l'occurrence du site de Hambourg, non de ceux de Séville, Saint-Nazaire ou Bristol.
Le problème se situait bien là, et tout le monde apparemment le savait, sauf peut-être l'opinion publique, les médias et les parlementaires. Acceptons cette réalité !
Je vous ai écouté attentivement, monsieur le rapporteur. Je sais qu'il faut être prudent, qu'il faut faire attention aux effets psychologiques, etc.
Le but de la création de la commission pourrait se résumer en cette formule : « Plus jamais ça ! ».
Trop de conséquences financières, économiques et sociales se font sentir sur cette industrie dont nous sommes fiers et qui, pendant longtemps, à travers la France et l'Europe, a donné l'impression que nous avions enfin pris le dessus sur les Américains. Peut-être a-t-on trop vite crié victoire...
Quoi qu'il en soit, il est aujourd'hui évident que nous sommes en présence de graves difficultés.
J'ajouterai que nous pourrions discourir à ce sujet des heures durant sans atteindre le niveau du réquisitoire sans concession qu'a présenté M. Christian Streiff. Ce réquisitoire a d'ailleurs sans doute abrégé sa carrière dans l'aéronautique, puisqu'il n'y est resté que trois mois ! La teneur de ces propos est connue, non seulement par Boeing mais par toute la presse spécialisée : nous la reprenons avec modération.
Christian Streiff a eu le mérite de mettre les choses à plat. Il a en fait extorqué des informations qui étaient restées jusque-là parfaitement cachées, ce qui lui a permis de dire : « Aujourd'hui, cette industrie éprouve des difficultés pour telle et telle raison, et cela est à la source de retards très importants, de pertes considérables, etc. »
L'A380 est un excellent avion, personne ne remet ce fait en cause, et il présente un avantage énorme : il est le seul à occuper son créneau, ce qui n'est pas le cas de l'A350.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. C'est vrai !
M. Bertrand Auban. Certes, ce ne sont que des options portant sur la version cargo qui ont été annulées. En revanche, la compagnie Emirates Airlines a acheté 50 avions à 306 millions d'euros pièce, soit 2 milliards de francs pièce ; vous me pardonnerez, je calcule toujours en francs. Cette compagnie a donc pris une option pour 500 milliards de francs !
Vous savez comment se passent ces transactions : pour prendre l'option, il faut payer des arrhes. Emirates a donc payé 50 fois 10 % de 306 millions d'euros. Pour le moment cela ne donne lieu qu'à des pénalités. Mais si, par malheur, la seule compagnie Emirates renonçait à tout ou partie de ces options, cela produirait un véritable krach économique. La décision ne dépend que des responsables de la compagnie.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Ce serait un scénario catastrophe !
M. Bertrand Auban. Évidemment, l'absence de concurrent nous incite à ne pas imaginer le pire.
Quoi qu'il en soit, c'est dans ce contexte que nous avons proposé la création d'une commission d'enquête : il nous a paru nécessaire que le Parlement réfléchisse aux moyens d'éviter que puisse se reproduire une telle situation. Je ne citerai pas de noms, mais, à l'évidence, il y a eu un problème de gouvernance.
Le plan d'économies « Power 8 », mis en place à la suite du diagnostic posé par Christian Streiff, a été repris intégralement par Louis Gallois sous le nom d'« Énergie 8 ». Certes, je comprends que des économies soient nécessaires dans l'industrie ; mais, en l'occurrence, l'objectif est loin d'être négligeable : 2 milliards d'euros d'économies par an !
Monsieur le rapporteur, vous l'avez souligné, Airbus demande à ses principaux sous-traitants, notamment Latécoère, Socata et Sogerma, de sous-traiter eux-mêmes une partie de la production. Je ne me fais pas d'illusion sur l'issue finale, car les conséquences se font déjà sentir pour un certain nombre de sociétés. Dans ma région de Midi-Pyrénées, la sous-traitance régionalisée existe déjà dans tous les départements : d'ores et déjà, certaines entreprises n'ont pas pu tenir le choc.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Certains retards ont été compensés !
M. Bertrand Auban. Si les sous-traitants répondent aux souhaits d'Airbus et délocalisent leur production en zone dollar à bas coûts - vous avez le choix entre l'Inde, l'Indonésie, etc. -, je peux vous assurer que cela aura chez nous des conséquences sur l'emploi, aussi bien en Midi-Pyrénées que dans la Somme et en Loire-Atlantique.
Nous avons besoin de connaître les causes d'une telle situation. Loin de nous l'idée d'instruire un procès ou de tomber dans la polémique et la politique politicienne. Nous souhaitons tout simplement que le Parlement ait le courage de prendre ses responsabilités.
Il faut le dire : avant que MM. Streiff et Gallois arrivent aux commandes de l'entreprise, en quelque sorte sous l'ancien régime, la plus grande opacité régnait, tout était fait dans le manque de transparence le plus total ! Ce serait donc tout à notre honneur de vouloir faire la lumière sur cette affaire, qui concerne quand même l'un des fleurons de l'économie française et européenne.
Monsieur le rapporteur, je reconnais que votre rapport est intéressant et objectif, même si je ne suis évidemment pas d'accord avec toutes vos conclusions. Selon vous, EADS subit, en termes de compétitivité, un delta de 25 % au prétexte que ses avions seraient construits dans la zone euro et vendus en dollars. Mais le problème n'est pas nouveau, cette situation n'est pas apparue subitement avec l'A380 ! Peut-être M. Trichet n'est-il pas assez vigilant ; toujours est-il la crise ne date pas d'hier. Bien sûr, cela rend les choses plus difficiles, mais je vous signale qu'au cours des trois dernières années Boeing a vendu moins d'avions que nous et a pourtant dégagé des marges bénéficiaires plus importantes !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. C'est vrai !
M. Bertrand Auban. Dans ces conditions, vous pensez bien que nous sommes inquiets pour l'avenir !
S'agissant des erreurs de gouvernance, il faut dire aussi que l'A320 va devenir un vieil avion : il a déjà vingt ans !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Eh oui !
M. Bertrand Auban. Il sera construit en Chine. Vous verrez que, dans quelques temps, ce sera la Logan du court-courrier !
Quant à l'A350, il représente 40 % de l'activité aéronautique. Comment se fait-il que des managers aient pu penser à « relooker » un A330 en A350, alors qu'aucune compagnie ne voulait l'acheter, parce que lui aussi commence à devenir un vieil avion.
Par ailleurs, ne l'oubliez pas, l'A340-600 est en voie d'extinction rapide : c'est un avion qui ne se vend plus avant même d'avoir été vendu, et cela pour la simple raison qu'il consomme trop.
Aujourd'hui les deux critères de vente d'un avion, c'est le bruit et le prix de revient au siège. Airbus est certes très performant sur le premier.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Effectivement !
M. Bertrand Auban. Mais avec ses quatre réacteurs, l'A340-600 est en compétition avec le Boeing 777, qui n'en a que deux et qui consomme moins. Or l'autonomie de l'A340-600 n'est supérieure que de 500 kilomètres à celle de son concurrent. Cela n'a aucun intérêt pour un vol Paris-Singapour : à 500 kilomètres au-delà de Singapour, il n'y a pas de grand aéroport !
Tout cela mériterait tout de même d'être examiné avec attention, dans le but de défendre une réussite exemplaire de l'industrie européenne.
Personnellement, je garde en mémoire ce qui s'est passé : si, le jour prévu du mariage entre British Aerospace et Daimler, les Anglais n'avaient pas éconduit les Allemands, nous ne serions peut-être pas en train de débattre aujourd'hui de l'industrie aéronautique française !
Fort heureusement, le Président de la République, le Premier ministre de l'époque, qui a été cité à plusieurs reprises, mais malheureusement pas toujours en bien, le ministre des finances ainsi que Jean-Luc Lagardère ont conjugué leurs efforts pour mettre en oeuvre la fusion qui a donné naissance à EADS. Initialement, les Allemands souhaitaient supprimer tout capital public, ce qui aurait mené à la privatisation totale. Finalement, le capital fut réparti essentiellement entre trois grands acteurs : près de 30 % pour DaimlerChrysler, 15 % pour Matra, autant pour l'État français. Aujourd'hui, les proportions diffèrent, Arnaud Lagardère ayant réduit à 7,5 % la participation de son groupe au capital.
Vous l'avez dit assez justement, l'État français n'a pas de véritable influence sur EADS. Comble du paradoxe, la Chancelière allemande, qui prône une politique beaucoup plus libérale, intervient beaucoup plus que nous dans ce secteur industriel et était prête, si elle en recevait l'autorisation, à envisager une participation de l'État allemand afin de compenser le désengagement de DaimlerChrysler. Alors que la l'État français détient 15 % du capital, il n'a aucune marge de manoeuvre : il est « ficelé » ! C'est le contraire pour les Allemands, qui n'ont aucune participation dans le capital mais qui parviennent à être beaucoup plus efficaces parce qu'ils sont beaucoup plus interventionnistes que nous !
Voilà pourquoi nous souhaitons une commission d'enquête. Nous ne voulons, en aucun cas, affaiblir qui que ce soit. Nous entendons simplement donner à ce dossier une certaine solennité en permettant au Parlement d'y avoir accès. Chacun d'entre nous, j'en suis persuadé, défend le groupe EADS, qui est une grande réussite européenne, qui construit des avions, des lanceurs, des satellites, avec Astrium.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Des hélicoptères !
M. Bertrand Auban. Sa gestion, peut-être un peu trop politisée et pas assez industrielle, a sans doute manqué de cohérence. Il n'en demeure pas moins que ce groupe doit faire l'objet de toute notre attention et, dirai-je, de toute notre affection.
Mes chers collègues, en proposant une commission d'enquête, nous n'avons que cet objectif. Il ne s'agit surtout pas de promouvoir une quelconque ingérence, comme certains ont pu le prétendre.
Tout le monde le sait, un manager peut être tout à la fois mauvais et amoral. Pour ma part, je me suis contenté d'évoquer la mauvaise gestion quand d'autres doutaient de la moralité d'Untel ou d'Untel, allant jusqu'à citer des noms précis.
Force est de constater qu'il y a eu de nombreuses négligences. Au-delà de l'instruction judiciaire, qui suit son cours, nous devrons de toute façon veiller à ce que de tels errements ne se reproduisent plus, notamment dans des secteurs où des sommes vertigineuses - plusieurs milliards d'euros, tout de même ! - sont en jeu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Je souhaite que de la discussion d'aujourd'hui ressorte un message clair du Sénat à l'intention de M. Louis Gallois. Notre assemblée et, plus largement, le Parlement doivent lui faire confiance, être à ses côtés et le soutenir, pour que sa mission de redressement de l'entreprise soit une réussite.
Mon cher collègue, cessons de critiquer les mesures qui ont été prises, notamment la construction de l'A320 en Chine. Cet avion est leader sur son marché. Si Airbus n'avait pas joué « gagnant-gagnant » avec la Chine, cette société serait en train de perdre des parts de marché.
Par ailleurs, l'A350 est en compétition avec le Boeing 787. Sur les financements croisés, il y aurait beaucoup à dire, notamment en ce qui concerne la mise de l'État japonais au pot des dépenses de recherche et développement relatives à ce dernier avion. Mais c'est un autre sujet. En l'espèce, gardons-nous d'aller trop dans le détail, car cela pourrait être mal interprété.
Je le répète, mon seul souhait est que Louis Gallois reçoive, par un biais ou par un autre, le message de confiance que le Parlement français, aujourd'hui à travers le Sénat, se doit de lui adresser.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Auban, soyez tout de même un peu plus optimiste ! Souvenez-vous de la situation dans laquelle se trouvait l'industrie aéronautique de notre pays voilà quelques années. Qui aurait osé parier il y a sept ou huit ans qu'Airbus rivaliserait avec Boeing et même le dépasserait sur certains segments du marché ?
L'an passé, la commission des affaires économiques s'est rendue sur le site de Toulouse et a été très impressionnée : à l'époque, l'objectif fixé était d'un A380 produit par semaine, ce qui ne pouvait que rassurer tous les acheteurs du monde entier.
Aujourd'hui, il est pénible de voir uniquement pointer du doigt les difficultés rencontrées par cette grande entreprise. Que je sache, toutes les entreprises connaissent à un moment donné quelques problèmes. S'agit-il forcément d'erreurs stratégiques ? À mon sens, il importe de donner une tout autre image au monde entier, notamment aux futurs acheteurs : celle d'une industrie aéronautique capable de rivaliser avec la plus grande industrie au monde.
Mes chers collègues, si nous ne savons pas transmettre une vision positive de cette grande entreprise qu'est Airbus, vous vous imaginez bien que les grands acheteurs du monde ne manqueront pas de se tourner vers Boeing, qui bénéficie d'ores et déjà de la valeur actuelle du dollar par rapport à l'euro. À cet égard, la création d'une commission d'enquête constituerait un bien mauvais message.
Au contraire, réjouissons-nous de disposer d'une telle industrie, qui fonctionne bien. Eurocopter vend ainsi des hélicoptères dans 160 pays ! C'est à travers ces marchés que l'on peut gagner la confiance des futurs acheteurs.
Par la voix de son rapporteur, la commission des affaires économiques s'est déclarée défavorable à la création d'une commission d'enquête. D'ailleurs, le seul emploi du mot « enquête » jette chaque fois la suspicion. Pour autant, M. le rapporteur et nous-mêmes souhaitons continuer à suivre attentivement l'évolution de cette grande entreprise.
Dans cette optique, le bureau de la commission des affaires économiques, qui doit se réunir le 10 janvier prochain, pourrait décider des modalités d'élaboration d'un rapport d'information sur le sujet. À la suite de Jean-François Le Grand, qui s'est fort bien exprimé, je souligne d'ores et déjà tout l'intérêt qu'il y aura à élaborer ce rapport dans un esprit de prudence en même temps que de pluralisme.
En cet instant, juste avant que le Sénat se prononce sur les conclusions de notre commission, il me paraissait utile de faire ces quelques observations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution, je donne la parole à M. Philippe Nogrix, pour explication de vote.
M. Philippe Nogrix. Vous venez de le rappeler, monsieur le président de la commission des affaires économiques, la création d'une commission d'enquête est généralement perçue comme une mise en examen.
Une telle initiative serait donc singulièrement inopportune juste au moment où l'A380 vient d'être agréé et autorisé à voler avec des passagers. Alors que le premier client sera livré dans six mois et qu'il pourra donc commencer son exploitation sur une ligne commerciale, la création d'une commission d'enquête ne constituerait vraiment pas le bon message à faire passer !
En revanche, en tant que parlementaires, nous sommes en droit de connaître les tenants et les aboutissants de cette affaire, car nous avons concomitamment un devoir d'explication à l'égard de nos concitoyens. Au demeurant, notre mission est aussi de faire taire les rumeurs, qui répandent tout et n'importe quoi.
Vu la guerre commerciale que se livrent Boeing et Airbus, cette dernière société a véritablement besoin de notre soutien. À nous de la faire briller et de révéler au grand jour tous ses bons résultats, que vous avez rappelés les uns et les autres, avec l'A320-A340, et, demain, avec l'A350. N'oublions pas le succès de l'A400M, commandé par sept forces militaires. Même les Américains songent à en acquérir !
À l'évidence, ce n'est véritablement pas le moment de nous appesantir sur l'incapacité d'Airbus à assurer sa production dans les délais annoncés et à honorer ses réservations !
En outre, comme l'a très bien expliqué M. le rapporteur, le premier écueil pour Airbus se situe au niveau financier, avec la parité entre le dollar et l'euro. Lorsque nous avons reçu M. Gallois en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, il nous a clairement précisé que l'entreprise perdait 10 milliards par an du seul fait du déséquilibre qui affecte le taux de change entre les deux monnaies.
C'est là que, sur le plan financier, se situe le risque le plus important, car les actionnaires, eux, ont réagi dès qu'ils ont eu connaissance d'éventuels retards de livraison.
Enfin, sur le plan commercial, notre rôle est de porter très haut les couleurs de notre pays.
On a l'impression que, en France, dès que nous enregistrons une réussite dans le domaine technologique, on s'empresse de la dénigrer ! Ainsi, on ne cesse de clamer que le Rafale, fabriqué par Dassault Aviation, n'est vendu nulle part ! Est-ce ainsi que nous parviendrons à le vendre ? Pourtant, exactement comme l'Airbus, il s'agit du meilleur avion de sa catégorie existant sur le marché. Par exemple, il a gagné tous les combats de simulation organisés par l'OTAN en Espagne : c'est le meilleur avion de combat !
Il y a vraiment là une attitude à revoir.
Enfin, s'agissant de l'aspect technique de ce dossier, je rappelle que l'obsolescence des logiciels spécialisés est rapide. C'est une entreprise française, Dassault Systèmes - connue dans le monde entier pour avoir vendu à Airbus, Boeing, mais aussi dans les secteurs de l'automobile de pointe et des trains, des logiciels de modélisation en trois dimensions et de conception assistée par ordinateur -, qui a vendu en avant-première à Airbus France son logiciel de CAO de nouvelle génération, tandis que les Allemands utilisent toujours le logiciel CATIA de la génération précédente. Mais ce retard sera très rapidement comblé, ce qui permettra à l'A380 d'être livré en temps et en heure à ses acheteurs.
Vous aurez compris, mes chers collègues, que le groupe de l'UC-UDF est opposé à cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. Il se félicite, en revanche, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que soit élaboré, au sein de la commission des affaires économiques, un rapport d'information sur ce sujet, car nous voulons connaître la vérité afin d'être en mesure de répondre aux interrogations de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Grignon.
M. Francis Grignon. Madame la présidente, mes chers collègues, je remercie M. le rapporteur de nous avoir livré une analyse globale de cette affaire. En effet, même si nous avons lu des articles de presse et pris connaissance de bribes d'informations sur ce sujet, il était important que nous ayons une vue d'ensemble de la situation actuelle d'EADS : le rapport de la commission apporte à cet égard de très utiles éclaircissements.
Comme M. le président de la commission des affaires économiques, je serai très positif dans mes propos. C'est en effet la seule attitude raisonnable dans un monde de compétition globalisée qui exige que nous soyons en permanence combatifs.
Qu'il me soit d'abord permis de rappeler qu'après un vol inaugural, le 27 avril 2005, l'A380 a reçu hier, dans les temps prévus, son certificat de navigabilité, accordé par les autorités européennes et américaines de l'aviation civile.
Ainsi, depuis 2000, Airbus est la première entreprise mondiale d'aéronautique en termes de prises de commandes, et même si Boeing est en passe de lui ravir ce titre pour 2006, Airbus restera, pour la quatrième année consécutive, le numéro un sur le plan des livraisons d'avions.
Enfin, EADS et Airbus sont prêts à lancer le futur long courrier A350, concurrent direct du Boeing 787.
Ces succès, sur un marché mondial où la compétition est particulièrement acérée, méritent d'être soulignés, tout comme la réussite en matière de coopération technologique et industrielle européenne que représente le groupe privé EADS. Mais ils ne doivent pas occulter les difficultés rencontrées cette année, notamment les changements intervenus au niveau de la direction d'EADS et le retard affectant le programme des livraisons.
Nos collègues socialistes estiment que ces difficultés devraient donner lieu à la création d'une commission d'enquête sénatoriale. Je suis au regret de leur dire que plusieurs éléments s'opposent à cette initiative.
Tout d'abord, EADS est une entreprise de droit privé dans laquelle l'État ne détient que 15 % du capital et qui n'assume pas de missions de service public. Or il est délicat, pour la représentation nationale, de lancer des investigations concernant une entreprise presque entièrement privée.
J'ai entendu marteler, sur les travées de l'opposition, que cette entreprise avait un caractère stratégique. Même si nous ne l'avons pas répété en permanence, nous en sommes tout autant convaincus. Mais nous pensons que la méthode qu'il convient, en l'occurrence, d'adopter n'est pas du tout celle que préconisent nos collègues socialistes. En revanche, celle qui est proposée par M. le président de la commission devrait répondre complètement à nos attentes.
Des mesures ont d'ores et déjà été prises, dans le cadre normal de la gestion de l'entreprise EADS, pour surmonter ses difficultés. Je citerai ainsi la nomination de Louis Gallois à la tête d'Airbus ou la mise en place du plan de redressement « Power 8 ». Laissons donc un peu de temps à la nouvelle direction pour améliorer la situation.
En outre, des procédures judiciaires sont en cours, ce qui rend impossible l'ouverture d'une commission d'enquête.
Le groupe de l'UMP se rangera donc à l'avis de MM. les rapporteurs, Laurent Béteille et Jean-François Le Grand, et rejettera la proposition de nos collègues socialistes.
EADS et Airbus ont toutes les compétences requises pour surmonter la crise survenue cette année. Notre rôle est de soutenir ces entreprises et non de prendre le risque de les fragiliser. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je souhaite tout d'abord féliciter M. le président de la commission des affaires économiques, mais aussi l'auteur de cette proposition de résolution car, grâce à lui, nous avons pu avoir un débat intéressant sur Airbus, ce fleuron de l'industrie européenne.
Je profite également de l'occasion qui m'est offerte pour souligner le comportement courageux de mon ancien élève Christian Streiff : ce manager, après avoir analysé la situation d'Airbus et posé ses conditions, a claqué la porte, car il n'avait pas obtenu satisfaction. C'est un acte de courage qu'il convient de saluer.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Le sujet que nous avons abordé aujourd'hui concerne l'Europe.
J'ai entendu les uns et les autres se glorifier en parlant de l'aviation, qu'ils assimilent à la France. Ce n'est pas tout à fait juste, chers amis !
Peut-être le principal problème rencontré par Airbus et l'A380 est-il justement dû au fait que l'on a raisonné à l'échelle nationale, alors qu'il fallait prendre en compte la dimension européenne, et c'était bien une erreur de management.
L'Europe, voilà cinquante ans, c'était celle du charbon et de l'acier. Puis, il y a vingt ou trente ans, nous avons vu naître une Europe de l'aviation, notamment grâce aux évolutions techniques intervenues dans ce domaine. Ainsi le Concorde a-t-il représenté un bouleversement technique incroyable, qui s'est décliné dans le domaine de l'industrie automobile, de la sidérurgie, etc.
L'Airbus A380, ce n'est même plus un avion ! On l'appelle « avion » parce qu'il vole, mais sa conception même défie toutes les techniques traditionnelles de l'aviation. En fait, c'est une sorte de monstre qui glisse dans les airs, une réalisation fabuleuse qu'il faut inscrire au tableau d'honneur de l'Europe.
Que s'est-il passé exactement ?
S'agissant de la mise en place de cette technologie, je pense que, les uns et les autres, nous nous sommes trop comportés en nationalistes, distribuant les tâches en fonction des diverses nationalités : les Anglais devaient faire telle chose, les Allemands telle autre, les Espagnols ceci et les Français cela !
En général, les Français se battent pour profiter des retombées en termes d'image : comme toutes les pièces sont assemblées à Toulouse, on laisse entendre que l'avion est français. Or il ne faut jamais oublier que, pour l'essentiel, les pièces sont fabriquées ailleurs qu'en France.
Parfois même, nous nous battons pour obtenir que le grand patron soit français, sans nous préoccuper de ce qu'il y a au-delà.
Je suis sensible à ce dossier non seulement parce que mon groupe a déposé cette proposition de résolution, mais aussi parce que je suis originaire de la région Midi-Pyrénées. Or vous connaissez tous les incidences de ce projet sur l'économie et l'industrie locales, notamment en termes de sous-traitance. Ce n'est pas rien !
Comment expliquer qu'un gouvernement libéral comme celui de Mme Angela Merkel ait souhaité que l'État allemand entre directement dans le capital d'EADS ? C'est tout de même curieux ! La raison est pourtant simple : Mme Merkel sait que l'activité de ce groupe - en particulier l'A380 - représente un levier économique important pour son pays, et je la comprends.
Comment se fait-il que les Russes frappent désormais à la porte d'EADS, puis d'Airbus ? Parce qu'ils sont tout à fait prêts à entrer dans le capital de ces entreprises, avec la complicité des Allemands ? Là encore, ce n'est pas rien !
Pourquoi les Français restent-ils muets ? Ce projet concerne pourtant notre industrie et, plus largement, notre économie. C'est là que le problème commence à surgir.
Que s'est-il passé, au cours des trois dernières années, à l'intérieur même du dispositif de l'A380 ?
Il faut savoir que des responsables français de la sous-traitance ont été convoqués par des acteurs politiques allemands afin qu'ils expliquent pourquoi la sous-traitance allemande était si peu impliquée dans la fabrication de cet avion !
Aujourd'hui, dans l'organigramme de ce projet, on trouve en majorité, non des Anglais, des Espagnols ou des Italiens, mais des Allemands, qui ont pour mission de défendre les intérêts économiques de leur pays.
À travers l'exemple d'Airbus et d'EADS, nous devons nous demander comment nous pouvons, à l'aide des nouvelles technologies, rebâtir ce fleuron de l'industrie européenne qu'est l'A380, sans parler de l'A350, qui reste à fabriquer.
Dans ce dossier, tout doit être exposé en toute clarté. Par ailleurs, nous devons accompagner dans sa tâche M. Gallois. La représentation nationale française doit en savoir plus et rappeler que l'Europe se bâtit ensemble, et non pas en agissant dans le dos des autres partenaires.
Voilà pourquoi nous avons déposé cette proposition de résolution. Je regrette donc que votre conclusion, monsieur le président de la commission des affaires économiques, consiste à recommander l'établissement d'un rapport. À la limite, la mise en place d'une mission d'information aurait permis d'établir quelques contacts et de rencontrer certains partenaires. Un rapport, on sait ce que cela signifie : on trouvera toujours quelqu'un qui sache écrire pour remplir une centaine de pages au sujet d'EADS ! Ce n'est pas de cela que nous avons besoin aujourd'hui. Le problème est suffisamment grave pour que le Parlement français s'en saisisse d'une autre façon. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution.
(Ces conclusions sont adoptées.)
Mme la présidente. En conséquence, la proposition de résolution est rejetée.