sommaire
Présidence de M. Adrien Gouteyron
2. Organisme extraparlementaire
3. Candidatures à un organisme extraparlementaire
4. Souhaits de bienvenue à une délégation de parlementaires libanais
5. Commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006. - Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé).
M. le président.
Discussion générale : MM. Michel Billout, en remplacement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de résolution ; Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques.
Présidence de Mme Michèle André
MM. Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Daniel Raoul, Mme Évelyne Didier.
M. Jean-Paul Emorine, le président de la commission des affaires économiques.
Clôture de la discussion générale.
MM. Bruno Sido, Pierre Laffitte.
Adoption des conclusions négatives du rapport de la commission entraînant le rejet de la proposition de résolution.
6. Commission d'enquête sur le groupe EADS. - Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé).
Discussion générale : MM. Bertrand Auban, auteur de la proposition de résolution ; Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Michel Billout.
MM. le rapporteur, Bertrand Auban, Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.
Clôture de la discussion générale.
MM. Philippe Nogrix, Francis Grignon, Pierre Laffitte, Jean-Marc Pastor.
Adoption des conclusions négatives du rapport de la commission entraînant le rejet de la proposition de résolution.
7. Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
8. Énergies renouvelables. - Discussion des conclusions d'un rapport d'information et d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé).
MM. Claude Belot, auteur du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales ; Jean-Marc Juilhard, auteur du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales ; Pierre Laffitte, auteur de la question.
Mme Évelyne Didier, MM. Claude Saunier, Christian Gaudin, Pierre Laffitte, Jean-Marc Pastor, Marcel Deneux.
Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
présidence de M. Roland du Luart
9. Application de la loi du 11 février 2005 sur les handicapés. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé).
MM. Nicolas About, auteur de la question ; Mmes Michelle Demessine, Gisèle Printz, Muguette Dini, MM. Paul Blanc, Georges Mouly, Mme Michèle San Vicente-Baudrin, MM. Jacques Blanc, Jean-Pierre Godefroy.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.
Clôture du débat.
11. Transmission d'un projet de loi
12. Dépôt d'une proposition de loi
13. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
15. Dépôt d'un rapport d'information
16. Dépôt d'un avis
17. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
organisme extraparlementaire
M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission de suivi de la détention provisoire, en remplacement de M. François-Noël Buffet, démissionnaire.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des lois à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
3
candidatures à un ORGANISME extraPARLEMENTAIRE
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.
La commission des affaires économiques a fait connaître qu'elle propose la candidature de MM. Henri Revol et Bernard Piras pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
4
souhaits de bienvenue à une délégation de parlementaires libanais
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et le très grand honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de parlementaires libanais, composée de MM. Robert Ghanem, président de la commission Administration et justice, et Farid el-Khazen, vice-président de la commission des affaires étrangères et membre de la commission Éducation, enseignement supérieur et culture.
Je me félicite de ce que, dans le contexte actuel particulièrement difficile, nos amis parlementaires libanais, de tendances diverses, aient décidé de maintenir cette visite auprès du Sénat français. Consacrée à l'étude de l'enseignement supérieur en France, cette visite s'inscrit dans le cadre de l'accord de coopération signé entre nos deux assemblées, accord qui nous a valu le plaisir d'accueillir de nombreux collègues libanais.
Le thème même de cette visite démontre, s'il en était besoin, la volonté du Liban et de ses représentants de regarder vers l'avenir, en permettant à la jeunesse de ce pays de disposer des moyens de construire un destin meilleur pour l'ensemble des Libanais.
Qu'il me soit permis de dire, à titre personnel, tout le plaisir que j'ai à saluer nos amis ici présents, car ils représentent un pays que nous aimons, dont nous nous sentons tellement proches et qui souffre actuellement. (Mmes, MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
5
commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006
Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques, sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France, dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Michel Billout, Yves Coquelle, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Gérard Le Cam, Mmes Éliane Assassi, Marie-France Beaufils, M. Robert Bret, Mme Annie David, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, M. Robert Hue, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon-Poinat, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera, Jean-François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès (nos 104, 63, 97).
Mes chers collègues, notre séance mensuelle réservée du mois de décembre s'ouvre par l'examen de deux propositions de résolution tendant à créer chacune une commission d'enquête, présentées respectivement par le groupe CRC et le groupe socialiste. Il s'agit de la première mise en oeuvre du « droit de tirage » que la conférence des présidents a décidé d'expérimenter, dans le cadre de sa réflexion sur l'amélioration de nos méthodes de travail.
En effet, un consensus s'est dégagé en conférence des présidents pour réserver deux sujets de chaque journée mensuelle réservée aux groupes politiques, ces sujets étant répartis à la proportionnelle. Nous pouvons nous féliciter de cette importante avancée qui permet un meilleur partage de l'espace de liberté que constitue l'ordre du jour réservé.
Autre innovation : afin de consacrer le droit d'expression des auteurs des propositions inscrites à l'ordre du jour réservé dans le cadre d'un droit de tirage, la conférence des présidents a décidé, toujours à titre expérimental, de leur accorder un temps de parole spécifique ès qualités au début de la discussion générale, avant le rapporteur. Pour aujourd'hui, elle a fixé ce temps de parole à quinze minutes.
Je donne donc sans plus tarder la parole à M. Michel Billout, en remplacement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de résolution.
M. Michel Billout. Monsieur le président, mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC ont saisi le Sénat d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France, dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique.
Nous regrettons que la commission des affaires économiques ait conclu au rejet de la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête, tant en raison de la gravité du sujet que des arguments avancés dans le rapport. Si le Sénat venait à suivre la position du rapporteur, M. Poniatowski, nous nous contenterions de la mise en place d'une mission d'information. Force serait alors de constater l'impuissance des parlementaires français face à un problème majeur qui touche directement notre pays et nos concitoyens.
Rappelons que la création d'une commission d'enquête illustre la volonté politique de l'assemblée de se saisir d'un fait significatif et relativement grave. Or, monsieur le rapporteur, vous nous opposez l'argument selon lequel la panne d'électricité ne serait un sujet ni assez lourd ni assez sensible pour justifier la mise en oeuvre d'une telle procédure, comme le furent l'affaire d'Outreau ou encore les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Nous vous laissons la responsabilité de ces comparaisons, qui nous paraissent aussi hasardeuses qu'inutiles.
Pour notre part, nous tenons à souligner le fait que la survenance d'une panne générale d'électricité n'est pas une hypothèse d'école. D'un coût important, elle serait susceptible de provoquer une grave crise, de porter atteinte à la sécurité des personnes et de paralyser l'économie. Il nous paraît donc essentiel de ne pas minimiser les risques en présence et de tout mettre en oeuvre pour éviter au maximum qu'ils ne deviennent réalité.
Contrairement à ce qui s'est passé en 1978 - durant une période de grand froid qui a connu un pic de consommation électrique -, la panne est intervenue à un moment où la consommation d'électricité était habituelle. De plus, elle a été déclenchée par une manoeuvre habituelle et préparée à l'avance ! Vous comprendrez dès lors, monsieur le rapporteur, que l'absence de commission d'enquête en 1978 et 1987 est un argument qui ne nous convainc absolument pas !
Les conditions déclenchant la survenance d'une telle panne nous poussent, au contraire, à croire que la création d'une commission d'enquête parlementaire dotée de pouvoirs d'investigation étendus est plus que nécessaire.
En effet, les pouvoirs accordés aux parlementaires dans le cadre de la commission d'enquête - le droit de citation, la possibilité pour les rapporteurs d'exercer leur mission sur pièces et sur place, de demander à la Cour des comptes des enquêtes sur la gestion des services et des organismes, mais surtout la possibilité de se faire communiquer tout document de service - ne seraient pas inutiles pour analyser de manière approfondie les causes de la panne.
Rappelons que, en l'état actuel, le droit international ne nous permet évidemment pas, sauf mise en oeuvre de la coopération judiciaire internationale, d'exercer ces pouvoirs à l'encontre d'une personne se trouvant à l'étranger. Cependant, au titre de la puissance territoriale, la commission d'enquête pourrait exercer ces prérogatives en France.
En fait, au nom de pouvoirs que le Parlement ne détient pas et qu'il n'entend pas, bien sûr, usurper, vous le privez des outils efficaces nécessaires à l'application de sa mission de contrôle.
J'aborderai maintenant les arguments qui, à notre sens, font vraiment débat.
Lorsque nous avons déposé cette proposition de résolution, le 9 novembre dernier, effectivement - et nous n'avons jamais dit le contraire -, un certain nombre d'éléments étaient à notre disposition. Mais les tentatives d'explication de la panne étaient faibles et peu abouties. D'ailleurs, le gouvernement allemand lui-même a demandé à cette même date des précisions au gestionnaire de réseau E.ON.
Nous savions que E.ON Netz avait mis hors service une ligne électrique à très haute tension afin de laisser passer un navire de croisière. Des flux d'électricité plus importants que prévu chargeant les lignes en service dans le sens est-ouest, des protections de surcharge ont mis alors hors service deux lignes de 400 kilovolts acheminant les flux est-ouest. De nombreux ouvrages de transport en ont fait de même en quelques secondes, sous l'action d'automates de protection. À vingt-deux heures dix, le réseau d'Europe continentale était coupé en trois régions déconnectées les unes des autres.
Tous les pays concernés ont procédé à des délestages. Ceux-ci, grâce aux dispositifs de protection fréquencemétrique installés sur le réseau de distribution français, ont très clairement permis de sauver le réseau national et, simultanément avec l'ensemble des distributeurs européens, de sauver l'Europe d'une grave crise.
Comme l'a très justement souligné le rapporteur, la production hydraulique a permis de remettre rapidement à niveau les réseaux national et européen. Les gros moyens de production, notamment nucléaires, ont maintenu le réseau au moment de l'écroulement de fréquence.
Enfin, il faut saluer la réaction du personnel de RTE, Réseau de transport d'électricité, qui, dans une logique de service public intégré, a assuré une coordination des actions prises depuis la production jusqu'à la distribution.
Cependant, plus d'un mois après les événements, des zones d'ombre demeurent. RTE confesse sur son site Internet que « l'enchaînement précis et les causes de cet événement ne seront connus avec exactitude qu'à l'issue des enquêtes européennes lancées par ETSO [European transmission system operators, l'Association européenne des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité] et l'UCTE », l'Union pour la coordination du transport d'électricité.
De plus, notre information reste limitée. Votre rapport, qui s'est essentiellement fondé sur le rapport de RTE, témoigne de la faible diversité des sources d'information.
Les enquêtes conduites par l'UCTE et le Conseil des régulateurs européens de l'énergie sont une bonne chose mais, contrairement à ce qui est soutenu dans le rapport, nous ne considérons pas qu'elles fassent perdre de son intérêt à la création d'une commission d'enquête nationale. Ces documents constitueront autant d'éléments utiles à l'exercice par la commission d'enquête de sa mission de contrôle.
Dans son rapport intermédiaire, l'UCTE fournit un début d'analyse intéressant. En effet, l'organisation estime que l'incident est imputable à plusieurs causes.
D'abord, elle dénonce le manque d'anticipation des électriciens allemands, aggravé par le manque absolu de coordination entre les quatre gestionnaires de réseau, notamment entre RWE et E.ON. Ce constat montre la nécessité de conserver un seul gestionnaire de réseau de transport de l'électricité en France, comme c'est le cas à l'heure actuelle avec RTE, filiale à 100 % d'EDF. On a constaté que les structures héritées du service public intégré EDF ont sauvé le réseau.
Ensuite, l'UCTE note que les électriciens ont mis un certain temps à réduire la puissance véhiculée sur leurs réseaux pour ne pas compromettre la tenue « d'engagements commerciaux trop importants ». Autrement dit, la sûreté a été sacrifiée au nom de la rentabilité.
Enfin, il semblerait que les champs d'éoliennes espagnols et allemands aient été un facteur aggravant de la panne.
Si les éléments envisagés dans ce rapport constituent de précieux renseignements, nous pensons que d'autres questions peuvent être posées. On ne voit pas pourquoi l'étendue du champ d'investigation serait laissée au bon vouloir des organismes précités. C'est dans cette optique que la pertinence d'une commission d'enquête nationale s'affirme.
En effet, il nous faut déterminer les raisons qui ont transformé une manoeuvre planifiée et connue en incident incontrôlé. Les analyses à mener sont complexes et ne doivent pas s'arrêter à l'identification des causes directes de l'incident. Il est primordial de s'interroger sur l'influence de la mise en place de la libéralisation du marché de l'énergie à l'échelle européenne, libéralisation qui est beaucoup plus avancée dans d'autres pays qu'en France.
Les critères de marché génèrent des flux supplémentaires sur le réseau électrique européen ; je pense aux importations importantes en provenance de la zone est de l'Europe, car moins chères en termes de coûts de production. Il reste à déterminer si ces flux ont contribué à une aggravation de l'incident. La financiarisation du système électrique européen entraîne des risques pour celui-ci, comme en témoignent les précédents incidents qui ont touché l'Italie ou la Californie.
Avant les logiques de libéralisation, l'interconnexion des réseaux européens d'électricité était motivée par des considérations de sécurité et de solidarité plus que par des logiques commerciales. En cas de difficultés sur le réseau, les différentes entreprises électriques réglaient les problèmes à travers les échanges dits « à bien plaire ». Désormais, les logiques commerciales rendent difficiles ces échanges, comme le note d'ailleurs l'UCTE.
De plus, les marges permettant d'assurer l'équilibre production-consommation se dégradent partout en Europe. Les 3000 mégawatts de réserves primaires sont très largement insuffisants quand on sait que cela représente une marge de deux à trois degrés centigrades seulement. Aussi, augmenter les capacités des interconnexions pour répondre à des exigences purement commerciales n'est pas sans danger.
Cela me conduit à aborder la question cruciale de l'implantation des moyens de production. Cette implantation, comme le maillage des réseaux, en termes de proximité par rapport aux lieux de consommation, sont, à notre avis, des éléments essentiels. L'entreprise intégrée ne réfléchissait pas uniquement en fonction de la rentabilité à court terme pour implanter un moyen de production, mais aussi en fonction des problématiques réseaux.
La marchandisation de l'électricité induit, a contrario, que les producteurs implantent les nouveaux moyens de production dans des lieux qui rentabilisent au maximum les investissements. On se retrouve donc avec des projets d'implantation sur les mêmes sites - terminal gazier, port - qui ignorent les contraintes du réseau. RTE est alors obligé d'avoir recours à un appel d'offres pour localiser au mieux certains moyens de production. C'est encore un coût supplémentaire généré par la déréglementation ! Cette logique s'applique également au cadre européen, comme en témoigne l'incident du 4 novembre dernier.
Le comportement de la production décentralisée - éolien, cogénération - dans la zone ouest a été largement mis en cause. Lorsque la fréquence a atteint 49 hertz, une grande partie de cette production s'est séparée du réseau ; il a manqué 2 800 mégawatts en Espagne et, par ricochet, 1 600 mégawatts en France.
Cela a aggravé l'ampleur de l'incident et aurait pu conduire à un black-out. Cela montre qu'il est nécessaire d'avoir, à côté de ces productions renouvelables ou de pointe, utiles par ailleurs, une structure de parcs de production permettant de sécuriser le réseau et de compenser leur versatilité. Il est également nécessaire que les recherches soient accélérées pour fiabiliser la tenue des éoliennes face aux aléas pouvant survenir sur un réseau électrique.
Enfin, le rapport considère que le délai de six mois imposé par les textes à une commission d'enquête pour achever ses travaux n'est pas adapté en l'espèce. Compte tenu de l'ouverture totale du marché de l'énergie fixée par l'Europe au 1er juillet 2007 et de l'intérêt de connaître les causes de la panne et l'état de la sécurité d'approvisionnement dans le cadre de ces politiques européennes, nous ne considérons pas que ce délai imposé constitue une entrave, bien au contraire.
L'actualité politique, avec la promulgation de la loi relative au secteur de l'énergie, la privatisation de GDF, la remise en cause du maintien des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité par la décision du Conseil constitutionnel, montre l'urgence de mettre un arrêt net à la déréglementation du secteur énergétique.
Aujourd'hui, le Gouvernement organise la privatisation de GDF ; demain, EDF sera sans aucun doute concernée. On voit déjà les dommages collatéraux à travers la volonté de suppression des tarifs réglementés. L'opposition n'est d'ailleurs pas la seule à considérer que « la libéralisation du secteur de l'énergie est suicidaire pour le consommateur » ; c'est Dominique Paillé, député UMP, qui le déclarait récemment.
De plus, la fuite en avant engendrée par la politique folle de l'Europe n'est pas de nature à nous rassurer. La commissaire européenne à la concurrence, Nelly Kroes, a répété jeudi 30 novembre à Calais sa volonté d'une séparation « une fois pour toutes » entre les réseaux de transport d'énergie et les producteurs. Elle a précisé que cela passait par la « séparation patrimoniale », autrement dit par la sortie des réseaux du périmètre de leurs maisons mères. Cette déclaration ouvre la voie à une nouvelle directive imposant la séparation totale des réseaux de transport des producteurs.
Pour toutes ces raisons et devant l'urgence de la situation, nous vous demandons, mes chers collègues, d'adopter notre proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, mes chers collègues, nous devons donc nous prononcer sur la création d'une commission d'enquête proposée par nos collègues du groupe CRC, défendue par Michel Billout, portant sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre dernier et sur les conditions de la sécurité d'approvisionnement en électricité de notre pays dans le contexte de l'ouverture des marchés énergétiques à la concurrence.
Si vous me le permettez, je débuterai mon propos par un bref récit de l'incident qui a mis près de 15 millions de ménages européens, dont 5,6 millions de Français, dans le noir entre 22 heures 10 et 23 heures ce samedi 4 novembre.
Ce jour-là, l'un des gestionnaires du réseau de transport d'électricité allemand, E.ON Netz, avait prévu de mettre provisoirement hors tension une ligne surplombant la rivière Ems afin d'assurer le passage en toute sécurité d'un paquebot vers la mer du Nord. Cette interruption de la ligne a eu lieu à 21 heures 38 - la précision est importante -, soit un peu plus tôt que ce qui était initialement prévu. À cette heure, la consommation d'électricité en Europe, tout en étant soutenue, était conforme au niveau des prévisions.
En cas de manoeuvre comme celle-ci, qui est tout à fait classique et préparée à l'avance, l'électricité emprunte mécaniquement d'autres lignes du réseau de transport. Toutefois, à la suite de cette mise hors service, E.ON Netz a constaté des flux importants d'électricité allant d'est en ouest de l'Europe.
Il semble qu'à ce moment des erreurs d'appréciation aient été commises, tant en raison d'erreurs humaines que d'un défaut de coordination entre les gestionnaires allemands. Il faut savoir, en effet, que, contrairement à la France, où la gestion du réseau de transport est assurée exclusivement par RTE, il y a quatre gestionnaires de réseaux en Allemagne.
Au total, ces surcharges constatées sur deux autres lignes de transport ont provoqué leur mise hors service automatique, enclenchant alors un « effet dominos » sur le reste du réseau de transport de toute l'Europe. En moins de trente secondes, ce sont alors près de vingt lignes de transport, situées en Allemagne, en Autriche et en Croatie qui se sont interrompues, conduisant à une division du réseau européen, d'habitude totalement interconnecté, en trois zones indépendantes, une zone ouest allant de la partie ouest de la Croatie au Portugal et comprenant la France, au sein de laquelle le volume de production s'est trouvé insuffisant pour satisfaire la consommation, une zone nord-est - l'est de l'Allemagne et de l'Autriche, la Pologne - se caractérisant par une situation de surproduction, et une zone sud-est - la Grèce, l'Albanie, la Bulgarie - en situation de légère sous-production.
Dans la zone ouest, où se situe la France, ce déséquilibre entre l'offre et la demande a entraîné une chute de la fréquence à 49 hertz, alors qu'elle se situe habituellement à 50 hertz.
Une telle chute de la fréquence a deux effets principaux.
D'une part, les postes sources du réseau de distribution sont programmés pour délester automatiquement une partie de la consommation afin de rétablir la fréquence à son niveau de 50 hertz. Notre plan de délestage répartit les consommateurs français en cinq catégories représentant chacune 20 % de la consommation française. Quand la fréquence atteint le seuil de 49 hertz, le premier échelon se coupe automatiquement, ce qui occasionne des coupures dans tous les départements continentaux. De ce fait, 5,6 millions de consommateurs français ont vu leur alimentation électrique interrompue.
D'autre part, les moyens de production d'électricité sont conçus pour fonctionner à la fréquence de 50 hertz. Quand celle-ci chute en dessous de certaines valeurs, qui diffèrent selon la source de production - nucléaire, thermique, éoliens - les centrales se déconnectent du réseau pour préserver leur intégrité.
En France, ce phénomène a conduit à aggraver le déséquilibre offre-demande puisque nous avons perdu près de 2 000 mégawatts de cogénération et une centaine de mégawatts d'éoliens, ce type d'installation décrochant en deçà de 49,5 hertz.
Simultanément, en Espagne, ce sont plus de 2 800 mégawatts d'origine éolienne qui ont été perdus, déconnectés.
Une fois ces mécanismes de défense automatiques mis en oeuvre, RTE, notre transporteur, a immédiatement fait appel aux producteurs pour qu'ils accroissent leur volume de production afin de réalimenter les consommateurs le plus rapidement possible.
En France, EDF a démarré, entre 22 heures 15 et 22 heures 20, soit très peu de temps après l'incident, plusieurs usines hydroélectriques qui présentent la caractéristique principale de pouvoir être mobilisées rapidement, injectant sur le réseau environ 3 900 mégawatts d'électricité d'origine hydraulique.
Grâce à ce surcroît de puissance, RTE a pu demander, à 22 heures 30, aux gestionnaires de réseaux de distribution de reconnecter la moitié des consommateurs interrompus. Autrement dit, la moitié de ces 3,6 millions de foyers ont été réalimentés en moins d'une demi-heure. À 22 heures 40, RTE demandait la réalimentation de l'ensemble des consommateurs français, notamment grâce à la mobilisation de 1 000 mégawatts supplémentaires provenant de la chaîne de barrages hydrauliques de la Durance. À 22 heures 50, les trois zones européennes étaient reconnectées et, à 23 heures, l'équilibre offre-demande était totalement rétabli en France.
En définitive, cet incident, qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves, aura duré moins d'une heure grâce aux mécanismes de coordination liant les différents opérateurs du réseau électrique européen.
Je crois, d'ores et déjà, qu'un certain nombre d'enseignements peuvent être tirés de cet incident.
Tout d'abord, les acteurs du système électrique français ont parfaitement maîtrisé l'incident puisque le black-out, qui n'est pas un scénario invraisemblable, aura été évité. La bonne coordination entre gestionnaires de réseaux et producteurs aura permis de réalimenter très rapidement les consommateurs.
Au passage, je pense que nous pouvons voir dans cette situation une confirmation des analyses que le Sénat a toujours défendues, il y a quelques semaines encore par Bernard Sido, rapporteur du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, analyses soulignant la nécessité de préserver le potentiel de production d'électricité à partir de l'hydraulique.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. À l'évidence, le fait de disposer d'un parc hydroélectrique important est un élément de stabilisation du réseau et il est bien dommage que la France ne soit pas capable d'accueillir davantage de barrages hydrauliques.
Par ailleurs, en ce qui concerne le second phénomène, à savoir les délestages, il convient de noter que la situation a, là aussi, été bien maîtrisée puisque, parmi les usagers prioritaires que sont notamment les hôpitaux et les laboratoires, mais aussi les particuliers qui ont besoin, pour des raisons de santé, d'être branchés en permanence à un réseau électrique à leur domicile, seul un incident a été relevé dans toute la France : il s'est produit dans les Hautes-Pyrénées, à l'hôpital de Lamnezan, et n'a duré que quelques minutes.
Le système a donc parfaitement fonctionné.
Il n'en reste pas moins que, dès aujourd'hui, des pistes d'amélioration peuvent être définies pour éviter qu'une telle panne ne se reproduise.
À cet effet, les idées défendues par RTE ou par les régulateurs énergétiques européens, comme la création d'un centre européen de coordination du transport d'électricité, une harmonisation des compétences des régulateurs ou un renforcement des interconnexions, sont de nature à renforcer la sûreté du réseau.
Pour autant, mes chers collègues, faut-il constituer une commission d'enquête sur la panne, de cinquante minutes, je vous le rappelle ?
Votre commission ne le croit pas, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il n'y a pas matière à enquêter en France sur la panne puisque nos acteurs nationaux ont, tous, bien réagi, et je tiens ici à saluer RTE, EDF et tous leurs salariés.
Par ailleurs, l'origine de l'incident se situe en Allemagne, comme vous l'avez justement précisé, monsieur Billout, et il n'appartient pas à une commission d'enquête du Sénat français d'aller investiguer à l'étranger ou de faire venir des responsables allemands en France pour qu'ils répondent de leurs actes.
Au demeurant, deux enquêtes sont en cours : la première est menée par l'association des transporteurs européens d'électricité, la seconde par les régulateurs européens. Un bilan d'étape de l'enquête des transporteurs a été rendu public vendredi 1er décembre dernier et les résultats définitifs des deux enquêtes seront connus avant la fin de février 2007. Une éventuelle commission d'enquête rendrait donc ses travaux quand toutes les conclusions auront été tirées et serait dès lors inutile.
En outre, votre commission a estimé que la création d'une commission d'enquête, de par son caractère symbolique et solennel, devait être réservée aux sujets plus lourds. J'assume mes responsabilités en affirmant cette position qui, je le sais, monsieur Billout, ne vous plaît pas et je me réfère aux précédents très récents, par exemple à la commission d'enquête sur Outreau ou encore à celle sur le naufrage du Prestige.
D'ailleurs, l'incident dont nous parlons est sans commune mesure, en termes de conséquences pour les ménages et les entreprises, avec d'autres pannes qui ont frappé la France par le passé, et vous avez bien voulu rappeler les pannes que j'ai citées dans mon rapport, celles de 1978 et 1987, qui n'avaient pas conduit à la création de commission d'enquête.
En revanche, le second sujet évoqué dans la proposition de résolution de nos collègues semble beaucoup plus propice à la conduite d'investigations complémentaires. La question de la sécurité des approvisionnements électriques de la France et de l'Europe est en effet un vrai sujet de préoccupation.
Soyons clairs, la panne du 4 novembre ne peut être imputée à une insuffisance de moyens de production. Juste avant l'incident, la France était d'ailleurs en situation d'exportatrice nette. Sur ce point, je vous renvoie, mes chers collègues, au rapport dans lequel nous avons montré, à partir de la documentation qui provient de RTE, que cette situation, où nous exportons plus d'électricité que nous n'en importons, était assez fréquente.
Toutefois, on constate que notre pays est régulièrement à la limite de l'équilibre offre-demande lors des périodes de forte consommation et ne peut compter que sur son propre parc de production pour franchir les pics. À titre d'exemple, le 28 février 2005, journée particulièrement froide, la France a importé plus de 3 000 mégawatts.
De même, il apparaît que les interconnexions entre les États européens ne se sont pas suffisamment développées au cours des dernières années au regard de l'évolution de la production et de la consommation en Europe, aggravant ainsi les risques de défaillance du réseau électrique.
Certes, les opérateurs français ont des plans d'investissements conséquents dans la production. Je vous rappelle, mes chers collègues qu'EDF, qui prévoit d'investir plus de 26 milliards d'euros en France et à l'étranger dans les deux ans, a programmé la mise en service de 5 200 mégawatts avant 2012. Toutefois, la question se pose de savoir si ces efforts d'investissements en France et en Europe sont suffisants.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a conclu au rejet de la demande de création d'une commission d'enquête et a en revanche à l'unanimité décidé, sur proposition de son président, M. Jean-Paul Emorine, et de votre rapporteur, de constituer une mission d'information sur la question de la sécurité d'approvisionnement.
Nous avons indiqué qu'une telle mission devrait associer à ses travaux, de manière pluraliste, tous les groupes politiques et que toutes les commissions intéressées pourraient y participer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC - UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(Mme Michèle André remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, mes chers collègues, le Sénat est donc saisi d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête portant à la fois sur un événement particulier, à savoir la panne d'électricité du 4 novembre 2006, et, plus largement, sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France dans un cadre européen.
La commission saisie au fond est la commission des affaires économiques, et je laisse, bien sûr, à nos collègues qui en sont membres et à son rapporteur le soin de se prononcer sur le fond.
Pour autant, vous le savez, mes chers collègues, la commission des lois est appelée à émettre un avis sur la recevabilité des demandes de création de commission d'enquête, recevabilité qui s'analyse au regard des dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
En application de ces dispositions, les commissions d'enquête peuvent avoir deux missions : elles peuvent se pencher soit sur des faits déterminés, soit sur le fonctionnement d'un service public ou d'une entreprise nationale.
La partie générale de la demande de création d'une commission d'enquête qui nous occupe aujourd'hui entre dans ce deuxième cadre et, sous cet aspect, elle est donc recevable.
En ce qui concerne les faits particuliers, nous devons nous assurer, pour respecter la séparation des pouvoirs, qu'il n'y a pas de procédures en cours, car nous devrions alors attendre que la justice se soit prononcée.
C'est la raison pour laquelle, s'agissant du fait précis de la panne d'électricité du 4 novembre 2006, le président de la commission des lois a sollicité le président du Sénat pour qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant ce fait. La réponse nous est parvenue : il n'y a pas eu de procédures judiciaires concernant cet incident d'approvisionnement électrique.
Par conséquent, la commission des lois a considéré, évidemment sans préjugé du fond, que la demande de création d'une commission d'enquête était recevable.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Madame la présidente, mes chers collègues, la panne du 4 novembre a été, si vous me permettez l'expression, un « avertissement sans frais », en ce sens que nous avons échappé au black-out total de l'Europe.
Certes, le côté positif a été le parfait fonctionnement du dispositif de délestage, qui a permis d'éviter des dégradations irréversibles des réseaux de transport en surcharge et, surtout, des centres de production.
En particulier, la baisse de fréquence, déjà évoquée, qui s'est produite dans un certain nombre de centrales aurait pu avoir - je le dis calmement - des effets irréversibles, notamment sur les génératrices et sur les alternateurs. Sans qu'il soit question de faire un cours de physique, disons que la relation entre la tension et l'intensité est évidente concernant une puissance appelée : il s'agit d'un produit simple et une baisse ou une hausse entraîne directement un effet induit sur l'intensité supportée par les réseaux de transport.
Cet accident est un véritable appel à une politique européenne de l'énergie coordonnée et planifiée en fonction de l'évolution prévisible des besoins, comme doivent nous en convaincre les documents qui sont à notre disposition, et, bien sûr, en conformité avec le protocole de Kyoto.
Dans cet esprit, l'instauration d'un super-régulateur nous apparaît comme une mesure tout à fait insuffisante alors que la coordination des réseaux de transport a, cela a été démontré, bien fonctionné au niveau européen, même si, en Allemagne, il y a eu quelques petits problèmes et même si la coordination aurait pu être encore améliorée.
Laissons donc chaque pays maître des opérations de délestage et de la définition de ses cibles prioritaires, en rappelant, après notre rapporteur, qu'en font partie dans notre pays non seulement les établissements de soins mais aussi des particuliers.
Cette politique européenne que nous appelons de nos voeux mettrait fin aux attitudes hypocrites de différents pays voisins, en particulier l'Allemagne et d'autres que je ne nommerai pas.
Cet accident a aussi démontré l'insuffisance des investissements dans le réseau allemand. Le gouvernement allemand s'en est d'ailleurs inquiété et a rappelé à l'ordre certains opérateurs, et non des moindres, en particulier E.ON Netz.
Les investissements dans les réseaux supposent bien entendu un plan pluriannuel. Or, on a constaté en Allemagne - je ne fais pas une « fixation », mais ce sont les seuls chiffres concernant les pays européens dont nous disposons - une chute de 40 % en dix ans des investissements sur les réseaux de transport.
Dans le contexte de libéralisation des marchés de l'énergie, les pannes se sont multipliées en Europe - la dernière a fait apparaître le problème de l'Allemagne, mais il y a aussi le problème de l'Italie - comme aux États-Unis, et la similitude avec la situation des chemins de fer au Royaume-Uni est évidente. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, c'est un axiome de base en physique !
Le moins que l'on puisse dire est que la libéralisation est loin d'avoir fait les preuves de son efficacité et que la concurrence dans le domaine de l'énergie n'a jamais fait baisser les coûts. L'ouverture du marché de l'électricité pour les entreprises en France nous a même démontré que c'est le contraire qui se produisait et, sans reprendre le débat qui nous a occupés voilà quelque temps, je vous rappelle, mes chers collègues, que nous avons dû essayer de trouver un « parapluie » pour abriter les quelques aventureux qui étaient sortis du cadre des tarifs réglementés.
Les opérateurs de production et/ou de transports ne doivent pas continuer leur politique de croissance externe et de dividendes au détriment de la maintenance et des investissements à moyen et long termes.
Cet accident a aussi révélé les effets secondaires liés au développement de l'énergie éolienne, qui demande presque un doublement de la capacité des réseaux de transport, ce qui démontre les limites de cette énergie. Elle ne sera jamais qu'un appoint en régime normal et fait défaut en régime de pointe, notamment dans les périodes de grand froid ou de hautes températures.
M. Pierre Laffitte. Très juste !
M. Daniel Raoul. Tous ces faits plaident en faveur d'une politique s'appuyant sur un backbone qui ne peut qu'être un pôle public de l'énergie, alliant à notre sens - je le rappelle, mais la répétition est un outil de la pédagogie - EDF et Gaz de France, servant de régulateur de production et imposant à des opérateurs de diminuer leur production.
À cet égard, je n'ai guère vu trace, dans le rapport de M. Poniatowski, du problème des éoliennes dans le secteur nord-est. Je comprends bien l'intérêt des producteurs de ne pas diminuer leur production en raison d'accords commerciaux, mais cette situation va à l'encontre de l'intérêt tant du réseau de transport que des centrales de production.
Enfin, si la Commission européenne exigeait, au-delà de la séparation juridique et comptable, une séparation patrimoniale, la solution consisterait, ainsi que notre groupe l'a déjà dit, à donner à RTE le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, et ce quelles que soient les réactions corporatistes.
Tout en reconnaissant à la proposition de résolution le mérite de soulever les problèmes tant de la production que du transport et de remettre à l'ordre du jour la politique énergétique nationale, mais aussi européenne - j'insiste sur ce point -, je ne saurais ignorer les limites géographiques, dans l'état du droit international, d'une commission d'enquête parlementaire. J'attendrai donc avec beaucoup d'impatience les conclusions des enquêtes de l'UCTE, l'Union for the Coordination of Transmission of Electricity, et du conseil des régulateurs européens de l'énergie.
Aussi, en accord avec mes collègues Roland Courteau et Daniel Reiner, qui se sont beaucoup investis dans ce domaine, je m'abstiendrai sur cette proposition de résolution, étant entendu que nous attendons beaucoup de la mission d'information sur le sujet dont notre commission a voté la création à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, mes chers collègues, mon ami Michel Billout a présenté devant vous les raisons qui ont conduit les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à proposer la création d'une commission d'enquête sur la panne d'électricité du 4 novembre dernier et, plus généralement, sur l'état de la sécurité de l'approvisionnement en électricité, non seulement en France mais aussi en Europe.
La survenance de cette panne, alors même que la consommation électrique n'était en rien inhabituelle et que la manoeuvre incriminée n'était pas complexe, pose la question de la fiabilité du réseau électrique européen tel qu'il est actuellement conçu.
Je suis bien entendu d'accord avec notre collègue Ladislas Poniatowski pour souligner la réactivité et le professionnalisme des personnels français. Toutefois, ne pensez-vous pas, monsieur le rapporteur, que ce savoir-faire est précisément dû à la culture du service public de ces mêmes personnels ?
Face à la gravité du risque d'une panne de plus grande ampleur, le Parlement français doit prendre ses responsabilités et se donner les moyens de conduire une analyse approfondie sur l'état tout à la fois de la production, du transport et de la distribution de l'électricité en France et en Europe.
À notre avis, la multiplication des incidents sur le réseau électrique européen démontre la nocivité des politiques européennes de libéralisation et de privatisation du secteur énergétique. La marchandisation de l'énergie, la priorité accordée à la rémunération des actionnaires, la volonté de casser les monopoles publics nationaux au nom de la concurrence libre et non faussée : voilà autant d'éléments profondément incompatibles avec la réalisation des investissements massifs nécessaires pour augmenter la capacité de production et sécuriser le transport de l'électricité.
En effet, les entreprises qui, compte tenu de la libéralisation du secteur énergétique, doivent vivre avec des cours de l'électricité volatiles, hésitent naturellement à engager des projets à long terme.
Le ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, ainsi que le ministre délégué à l'industrie, François Loos, se sont félicités de l'adoption définitive du texte relatif au secteur de l'énergie qui, selon eux, « apporte des garanties fortes à nos concitoyens et nos entreprises ».
Qu'en est-il un mois plus tard ?
Dans sa décision du 30 novembre 2006, le Conseil constitutionnel a censuré, comme étant manifestement incompatible avec les objectifs d'ouverture à la concurrence fixés par les directives communautaires « Énergie », l'obligation de fourniture à un tarif réglementé pesant sur les entreprises Gaz de France et Électricité de France.
Aux termes de cette décision, et contrairement à toutes les garanties données par le Gouvernement et la majorité parlementaire tout au long des débats, la France devrait accepter la suppression des tarifs réglementés.
Pourtant, le Gouvernement n'a pas hésité à déclarer, à la suite de cette décision du Conseil constitutionnel : « On ne peut pas dire que c'est la fin des tarifs réglementés. Le principe a bien été maintenu. »
Ne pensez-vous pas, au contraire, mes chers collègues, que GDF et EDF ne pourront plus reconduire tacitement de tels contrats, devenus illégaux au regard du droit communautaire, et que, par conséquent, il s'agit bien là de la fin des tarifs réglementés pour l'ensemble de nos concitoyens ?
Or cette suppression, si elle était adoptée, exposerait les consommateurs à de fortes augmentations de tarifs. Nous savons que les consommateurs non domestiques qui ont choisi de quitter le secteur régulé ont dû faire face à des hausses de 60 % à 80 % de leur facture énergétique. Il est essentiel de ne pas banaliser l'électricité et le gaz, qui ne peuvent être considérés comme des marchandises ordinaires au regard des enjeux économiques et sociaux que recouvre la disponibilité de ces produits.
La question des tarifs réglementés, les incertitudes pesant sur une fusion qui, en raison des contreparties demandées par la Commission européenne, a perdu toute justification, les inquiétudes de l'opposition et de certains parlementaires de la majorité : rien de tout cela n'a dissuadé le Président de la République de promulguer la loi relative au secteur de l'énergie.
Il est temps que le Gouvernement mette un terme à cette fuite en avant et fasse le constat de la dangerosité de l'ouverture totale à la concurrence du marché de l'énergie dans le contexte européen et mondial actuel.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'analyser de manière approfondie les conséquences d'une adhésion aux politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique. Cette commission, qui serait composée des divers groupes parlementaires, pourrait ainsi apporter, avant la date fatidique du 1er juillet 2007, des éléments utiles à la prise de décisions politiques réfléchies.
En tout état de cause, la Commission européenne doit se pencher prochainement sur la question de l'énergie. La panne du 4 novembre dernier montre qu'il n'existe pas, à proprement parler, de politique énergétique européenne. La question de la définition d'une politique énergétique européenne se pose donc avec force.
À cet égard, le Parlement français se doit d'apporter son expérience. Quant à la commission d'enquête dont nous demandons la mise en place, elle contribuera, n'en doutons pas, à apporter des réponses à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Il me paraît important, avant d'en venir au vote sur cette proposition de résolution, de confirmer ce qu'a dit tout à l'heure notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, concernant la mission commune d'information que propose la commission des affaires économique en lieu et place d'une commission d'enquête.
En effet, après avoir consulté mes collègues présidents de commission sur ce sujet, quatre d'entre eux m'ont répondu que leur propre commission serait intéressée par une participation à des travaux communs portant sur la sécurité des approvisionnements électriques.
Cette mission commune, si le prochain bureau du Sénat en accepte le principe, serait donc composée de membres de la commission des finances, des affaires culturelles, des affaires étrangères, des affaires sociales et, bien entendu, des affaires économiques.
La réunion du bureau du Sénat étant prévue le 19 décembre, c'est-à-dire peu de jours avant la suspension de nos travaux, il m'apparaît à première vue raisonnable d'envisager la constitution de cette mission commune à la rentrée parlementaire de janvier.
Cependant, pour répondre à beaucoup de vos préoccupations, mes chers collègues, il me paraissait important de vous faire part dès à présent de mon sentiment quant au pilotage de cette mission commune, que notre rapporteur a d'ailleurs déjà évoquée tout à l'heure et sur laquelle j'ai également, pour ce qui me concerne, eu l'occasion de m'exprimer.
Cette mission commune devrait ainsi être conduite par un président et trois rapporteurs, ce qui permettrait de refléter les grandes sensibilités politiques de notre assemblée et de garantir le caractère pluraliste des travaux qui seront menés.
Il est évident qu'après sa constitution la mission commune aura à discuter de cette composition lors de la réunion de son bureau, mais il me semblait indispensable, mes chers collègues, de vous tenir dès maintenant informés des perspectives politiques qu'a tracées la commission des affaires économiques en se prononçant en faveur d'une mission commune.
Explications de vote
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution, je donne la parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Madame la présidente, mes chers collègues, le 4 novembre dernier, dix millions de nos concitoyens français et européens étaient victimes d'une panne d'électricité sans précédent ; le rapporteur de la commission des affaires économiques, Ladislas Poniatowski, vient d'ailleurs de disséquer l'incident avec une précision de chirurgien et de le décrire avec la concision du greffier ! (Sourires.)
Certes, l'issue de cet incident n'a pas été grave et celui-ci semble avoir été rapidement maîtrisé puisque la coupure n'a duré qu'une heure et n'a pas entraîné de black-out qui aurait pu durer plusieurs jours.
Ainsi, la première conclusion que nous pouvons tirer de cet incident est que la réactivité et la solidarité des opérateurs européens ont bien fonctionné. Toutefois, il ne doit pas être minimisé. Au contraire, il doit tenir lieu d'avertissement ; il a, en effet, révélé une réelle fragilité du système européen de l'électricité qui doit nous inciter à améliorer ce dernier.
Le contexte général est connu : l'origine de la panne n'est pas à chercher dans une insuffisance de production. Néanmoins, nous savons que la demande d'énergie électrique ne fera qu'augmenter et que, pour répondre à cette demande croissante, il convient d'investir dans la production.
À ce propos, nous avons noté avec satisfaction que, dans son dernier contrat de service public, EDF renoue avec une politique d'investissement.
Si nous disposons déjà, depuis le 4 novembre, d'éléments d'information relativement concluants, la cause et la gestion de la crise doivent cependant faire l'objet d'analyses particulièrement fines afin que nous puissions en tirer des conclusions utiles pour l'avenir.
Plusieurs expertises sont d'ailleurs en cours, notamment en Allemagne et en France - je pense, en particulier à celle de la Commission de régulation de l'énergie -, ainsi qu'à l'échelon européen.
Au-delà, il serait utile de s'interroger à la fois sur l'état des réseaux de transport, sur les capacités d'interconnexion, sur la création de nouvelles lignes, sur la coordination entre les électriciens d'un même pays mais aussi de pays différents, ainsi que sur la coordination entre gestionnaires de transport. Enfin, la question des capacités de production de pointe doit aussi être abordée.
L'incident du 4 novembre 2006 plaide donc pour la mise en place d'une véritable politique de l'énergie européenne qui passe par une meilleure organisation énergétique de l'Union européenne et un réseau européen de l'électricité mieux intégré, avec un organe de contrôle.
Dans ce contexte, l'initiative de nos collègues communistes républicains et citoyens mérite attention, en ce qu'elle permet au Parlement français de se saisir d'un dossier important, et ce dans le droit fil de ses travaux, plus particulièrement de ceux de la commission des affaires économiques : je veux parler de notre politique énergétique dans un contexte européen et de la recherche de la plus grande sécurité d'approvisionnement possible pour notre pays.
Cependant, le groupe UMP se rangera à l'analyse développée par notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, à savoir que la mission d'enquête proposée par nos collègues du groupe CRC n'est peut-être pas le moyen le plus approprié pour une intervention de la représentation nationale.
En conséquence, notre groupe se déclare favorable à la constitution d'une mission d'information dans les termes proposés par M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je voudrais d'abord préciser que je suis tout à fait d'accord avec la proposition de la commission et souhaite qu'elle soit mise en oeuvre le plus tôt possible.
En effet, il me paraît vraiment indispensable, sur ce sujet tout à fait capital, de mettre en place une mission d'information qui, par nature, est plus ouverte et dont les travaux ont vocation à être rendus publics - ce n'est évidemment pas le cas d'une commission d'enquête -, et je suis convaincu que tous ceux de nos collègues qui sont intéressés par ces questions doivent pouvoir participer à cette mission.
Nous sommes tous, ici, conscients de l'absolue nécessité de disposer d'une politique énergétique européenne commune - sous une forme qui reste à déterminer et qui pourrait être éventuellement indépendante de la Commission -, laquelle constituerait le ferment d'une structuration d'une politique industrielle commune. Ce serait le levier d'une nouvelle dimension de l'Europe, d'une Europe politique ayant, au niveau mondial, la capacité de réagir dans un domaine aussi fondamental que celui de l'énergie.
Au-delà du problème des réseaux, il est évident qu'il faut également mener des recherches complémentaires en ce qui concerne tant la production d'électricité, qui sera de plus en plus décentralisée, que les possibilités pour les collectivités locales d'économiser l'énergie.
Le système de transport de l'énergie ne peut, hélas, faire l'objet de modifications dans l'immédiat. Personnellement, le département dont je suis élu se situe tout à fait en bout de ligne, ce qui nous fait craindre, chaque jour où il y a surconsommation d'énergie, un véritable black-out. Une deuxième ligne avait été prévue ; le projet a été abandonné et, par conséquent, mon département est véritablement à la limite de ses possibilités. Nous sommes d'ailleurs d'ores et déjà obligés de mettre en place des programmes de diminution de la consommation d'énergie, alors que ce département connaît un développement économique considérable.
Par conséquent, il y a véritablement urgence et je crois qu'il est absolument nécessaire de mettre en oeuvre une politique énergétique européenne, gage d'une relance possible de l'Europe.
J'ai présidé récemment un colloque franco-allemand sur la politique énergétique. Pour la première fois, un ministre de la République fédérale a admis qu'au mois de mai prochain il serait amené à revoir le fameux contrat liant son gouvernement à l'industrie, afin de négocier l'éventuelle sortie du nucléaire de l'Allemagne, qui est d'ailleurs considérée par toute l'industrie de ce pays comme une stupidité. Et ce mouvement gagne toute l'Europe !
Nous continuons à accroître notre consommation énergétique, et donc notre dépendance vis-à-vis de pays auxquels nous ne pouvons pas vraiment nous fier. Qu'il s'agisse des États du Golfe ou de la Russie, les risques de chantage énergétique existent, et ils ont tendance à se concrétiser. La mise en place d'une politique européenne de l'énergie constitue donc une priorité absolue.
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant qu'il ne soit procédé au vote, je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'il s'agit de conclusions négatives.
Autrement dit, ceux qui ne sont pas favorables à la proposition de résolution doivent voter « pour » les conclusions de la commission ; ceux qui sont favorables à la proposition de résolution et souhaitent passer à la discussion des articles doivent voter « contre » les conclusions de la commission.
Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution.
Mme la présidente. En conséquence la proposition de résolution est rejetée.
6
Commission d'enquête sur le groupe EADS
Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution de M. Bertrand Auban, Jean-Pierre Bel, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean-Pierre Plancade, Marc Massion, Jean-Pierre Masseret, Bernard Angels, Mme Nicole Bricq, MM. Michel Charasse, Jean-Pierre Demerliat, Jean-Claude Frécon, Claude Haut, François Marc, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Michel Sergent, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Josette Durrieu, MM. Jean-Noël Guérini, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Daniel Percheron, Gérard Roujas, André Rouvière, Mme Catherine Tasca, M. André Vantomme, Mme Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus (nos103, 66, 98).
La parole est à M. Bertrand Auban, auteur de la proposition de résolution.
M. Bertrand Auban. Madame la présidente, mes chers collègues, je me trouve dans la curieuse situation d'intervenir le premier, avant le rapporteur de la commission des affaires économiques, au sujet d'une proposition tendant à créer une commission d'enquête dont je suis l'auteur et qui a reçu le plein soutien de mon groupe.
Cette forme d'intervention constitue une première. Elle est aussi la conséquence curieuse du rendez-vous manqué du Sénat avec sa rénovation.
Depuis la révision constitutionnelle de 1995, qui a créé des séances mensuelles réservées à l'initiative parlementaire dans chaque assemblée, la pratique est fort différente à l'Assemblée nationale et au Sénat : au Palais-Bourbon, chaque groupe dispose à tour de rôle d'un droit de tirage ; au palais du Luxembourg, la majorité contrôle tout.
Depuis longtemps, nous réclamons que l'opposition puisse, dans ce cadre, faire débattre le Sénat de ses initiatives, sans que la majorité, qui sélectionnait jusqu'à présent les propositions et ne retenait que celles qui lui convenaient, dispose d'un droit de veto.
À la fin du mois d'octobre dernier, nous avons cru obtenir satisfaction, la conférence des présidents ayant admis que chaque groupe politique pourrait disposer, à la proportionnelle, d'un droit d'initiative parlementaire. Toutefois, la majorité a dénaturé complètement cette petite avancée, en refusant aux groupes socialiste et CRC, lorsqu'ils déposent une proposition, le droit de la présenter eux-mêmes en séance publique.
Je n'ai donc pu être désigné rapporteur de la résolution tendant à tendant à créer une commission d'enquête sur EADS : cette tâche a été confiée à un sénateur de la majorité, alors même que je suis, avec mon groupe politique, à l'origine de cette demande, que la majorité avait toujours la possibilité de rejeter par un vote négatif.
Mes chers collègues, même à l'Assemblée nationale, ces pratiques hégémoniques n'ont plus cours depuis plus de dix ans !
Nous continuons d'espérer que notre proposition de résolution recueillera l'assentiment de notre assemblée. C'est pourquoi je souhaite en préciser de nouveau très clairement l'objet.
Tout d'abord, eu égard aux récents développements de l'actualité, je veux affirmer avec force que cette commission d'enquête, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, ne porterait aucunement sur des faits relevant de la justice.
Ensuite, dans notre esprit, il ne s'agit à aucun moment de fragiliser, directement ou indirectement, les groupes EADS et Airbus.
En tant qu'élu de la Haute-Garonne, je suis trop conscient des enjeux économiques et sociaux liés à ces entreprises pour envisager une seule seconde que l'intérêt national ou local, celui des citoyens et des salariés, puisse trouver son compte dans l'affaiblissement de notre industrie aéronautique.
Je suis bien trop conscient que sont en cause l'emploi de dizaines de milliers de salariés, l'avenir des 15 000 fournisseurs d'Airbus et l'économie de plusieurs villes françaises, comme Meaulte, dans la Somme, Nantes, Saint-Nazaire ou Toulouse, dans la Haute-Garonne, pour participer à des actions négatives.
Je ne crois pas que la création d'une commission d'enquête porterait tort à ces entreprises et serait interprétée comme un signe de défiance du Sénat à leur égard. Au contraire, j'estime qu'une volonté marquée de rendre transparentes et de mettre à plat les difficultés rencontrées par ces groupes, ainsi que leurs causes, serait de nature à prouver à tous que la France, à travers son Parlement, se montre très attentive à l'avenir de l'industrie aéronautique en général, et d'EADS et Airbus en particulier, et qu'elle est prête à aider sur tous les plans ces deux entreprises.
Notre proposition de résolution tend essentiellement à identifier les dysfonctionnements qui ont conduit à une situation devenue aujourd'hui inquiétante à plusieurs titres, et donc à éviter qu'ils ne se renouvellent.
Cette situation est inquiétante en raison des retards de production et de livraison de l'A380, car c'est bien de cet avion qu'il s'agit. L'argumentation de l'entreprise semble faible, car les problèmes de câblage et de harnais qu'elle met en avant ne peuvent justifier à eux seuls les retards. Nous estimons que les causes profondes de ces problèmes sont intimement liées au système de gouvernance du groupe, c'est-à-dire à la non-intégration de l'entreprise Airbus. L'un des objectifs de la commission d'enquête que nous souhaitons instituer serait de clarifier ce point.
La situation est inquiétante également en raison des conséquences financières et boursières de ces retards pour l'entreprise, qui ont entraîné la mise en place du plan « Énergie 8 », dont nous redoutons les conséquences sur l'emploi, les sous-traitants et l'économie de nombreuses régions françaises.
Je le rappelle, d'ici à 2010, la sous-traitance sera réduite à 20 % de ce qu'elle est aujourd'hui. On va lui demander de participer au capital d'EADS, mais aussi, et surtout, d'aller produire dans des pays à bas coûts de production et faisant parie de la zone dollar. Que la première entreprise dont l'identité est européenne ait besoin de se refaire une santé en délocalisant en zone dollar ne constitue-t-il pas un déplorable paradoxe ?
La situation est inquiétante encore en raison du faux départ de l'A350, en fait un A330 « relooké ». Cet appareil est aujourd'hui reconverti en A350 XWB, mais son coût initial a doublé, pour atteindre 10 milliards d'euros, et il sera mis sur le marché, dans le meilleur des cas, avec six ou sept ans de retard par rapport à l'avion de Boeing, le Dreamliner ou Boeing 787, qui enregistre aujourd'hui près de 450 options d'achat.
Mes chers collègues, pour vous donner une idée de ces investissements, je vous rappelle que 10 milliards de dollars, soit la somme consacrée aux dépenses de recherche et développement d'un seul avion, correspondent à peu près au trentième du budget de l'État.
La situation est inquiétante, enfin, au regard de la gouvernance de l'entreprise, même si aujourd'hui l'arrivée de M. Louis Gallois à la présidence d'Airbus et à la co-présidence d'EADS est plutôt de nature à nous rassurer. De même, l'annonce récente du lancement de l'A350 XWB constitue un signal positif, avec toutefois ce bémol : son financement doit être clarifié rapidement.
L'arrivée chez Airbus, comme directeur général délégué, de M. Fabrice Brégier, ancien directeur de la division Eurocopter, entreprise installée à Marignane, dans les Bouches-du-Rhône, constitue un autre point positif. En effet, cette entreprise est le leader mondial de son secteur et elle vient de remporter le « marché du siècle », si j'ose dire, en vendant 280 hélicoptères à l'armée américaine. Mes chers collègues, il s'agit d'un beau symbole, qui prouve que tous les défis peuvent être relevés pour peu que soient réunies qualité, compétence, volonté, cohérence et, ajouterai-je, transparence.
Or c'est en matière de cohérence que le bât a blessé pour Airbus et EADS. Nous estimons qu'il est essentiel de nous pencher sur le système de gouvernance et les mentalités : je fais allusion aux tiraillements et rivalités qui sont dictées par l'esprit national des uns ou des autres, voire par quelques vanités déplacées.
Faute de cet examen auquel nous souhaitons que le Sénat procède, il est fort à craindre que les mêmes maux ne se traduisent par les mêmes erreurs.
Je connais parfaitement les circonstances et les contraintes politiques, économiques et industrielles qui ont conduit à adopter le système de gouvernance en vigueur. Celui-ci avait sa pertinence, mais force est de constater qu'il ne répond pas aux schémas classiques et provoque, dans les moments difficiles, des paralysies et des incohérences.
C'est pourquoi je persiste à penser qu'il serait judicieux et salutaire que notre assemblée s'interroge de manière approfondie sur ce mode de fonctionnement.
Nous sommes tous ici intimement convaincus de l'importance d'EADS et d'Airbus pour l'économie nationale et européenne. Mes chers collègues, quand Airbus tousse, l'économie française et européenne s'enrhume, si vous m'autorisez cette paraphrase.
C'est pourquoi, au-delà de querelles politiques qui n'ont pas lieu d'être sur un tel sujet, j'estime que la Haute Assemblée s'honorerait en créant cette commission d'enquête, dont les conclusions, j'en suis persuadé, permettraient d'éviter la répétition des erreurs passées, ce qui constitue la raison d'être de notre démarche.
En conclusion, mes chers collègues, au moment où les compagnies aériennes risquent d'annuler leurs commandes d'A380 et où la compagnie allemande Lufthansa vient de choisir des Boeing 747-800, je crois que tous, l'État français, EADS et Airbus, trouveraient leur compte à un examen minutieux des dysfonctionnements intervenus, et je vous invite donc à voter pour cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour répondre à M. Bertrand Auban, je voudrais rappeler que les principes régissant la création des commissions d'enquête ne remettent pas en cause la capacité des membres de notre assemblée à expliquer les raisons qui conduisent, selon eux, à instituer une telle commission, quand bien même un rapporteur issu d'un autre groupe politique aurait été nommé par la commission du Sénat compétente au fond.
La meilleure preuve en est, monsieur Auban, que vous venez de souligner, avec beaucoup de talent et de persuasion d'ailleurs, les raisons qui ont amené le groupe socialiste, auquel vous appartenez, à formuler une telle demande. Cela n'empêche pas, permettez-moi de le rappeler avec beaucoup d'amitié et de modération, la commission de désigner en son sein un rapporteur !
Je ne suis que le modeste rapporteur de cette commission (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)...
M. Daniel Raoul. Très modeste !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Vous avez raison, monsieur Raoul, je ne suis que le très modeste rapporteur de la commission des affaires économiques, et je ne puis donc en rien amoindrir la force et la qualité de la proposition qui a été formulée.
Mes chers collègues, j'évoquerai, tout d'abord, les aspects juridiques et les questions de fond que pose ce dossier. Puis, fort de cette analyse, j'énumérerai les avantages et inconvénients que présenterait la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS. Enfin, j'exposerai le point de vue qui a été retenu par la commission des affaires économiques.
Mon éminent collègue Laurent Béteille reviendra tout à l'heure sur les aspects juridiques. Je ne les traiterai donc pas en détail, et me contenterai d'en présenter quelques-uns, qui sont à mon sens de deux ordres.
En premier lieu, les commissions d'enquête parlementaires sont soumises aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui ont été reprises à l'article 11 du règlement du Sénat.
Pour être recevable, une commission d'enquête doit tout d'abord ne doit pas empiéter sur le champ d'une procédure judiciaire. Pour savoir ce qu'il en était en l'occurrence, M. le Président du Sénat a interrogé M. le Garde des Sceaux, dont la réponse est tout à fait claire : l'information judiciaire qui a été ouverte récemment « porte sur la cession des titres d'EADS intervenue antérieurement à l'annonce publique des retards de livraison de l'Airbus A380 en mai 2006 », ce qui limite déjà le champ d'investigation qui pourrait être laissé à une commission d'enquête parlementaire.
En second lieu, au regard de l'ordonnance du 17 novembre 1958, la recevabilité d'une commission d'enquête dépend de l'objet de la demande. Il faut que celle-ci porte soit sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, soit qu'elle concerne des faits précis. Or, en l'espèce, ces critères ne sont pas satisfaits.
D'une part, EADS n'est ni un service public ni une entreprise nationale. En effet, et cela en surprendra peut-être quelques-uns, EADS est une société de droit néerlandais, dont l'État français ne détient que 15 %, et ce de manière indirecte.
D'autre part, la rédaction de la proposition de résolution est très générale. Certes, les faits sur lesquels porte l'enquête peuvent prêter à discussion, mais, pour trancher, je m'en suis tenu au texte même de la proposition. Or la commission d'enquête concerne le groupe EADS - ce n'est pas en soi un fait précis - et les retards de production d'Airbus.
S'agissant de ce dernier point, mes chers collègues, je tiens à vous rappeler la situation d'Airbus. La production de l'A320 s'élève à 34 appareils par mois, et il est prévu de la porter à 36. Pour ce qui est de l'A330-A340, les appareils sont livrés sans aucun retard. Nous savons tous ici que seuls les retards de l'A380 sont visés, mais ce n'est pas formulé précisément dans la proposition de résolution.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques et moi-même avons estimé que les conditions de recevabilité permettant la création d'une commission d'enquête n'étaient pas réunies.
J'aborderai maintenant les questions de fond.
Premièrement, nous disposons aujourd'hui d'un certain nombre d'informations propres à apaiser les inquiétudes. Ainsi, l'équipe de management d'EADS a présenté le plan « Énergie 8 », également appelé « Power 8 ». Il serait d'ailleurs plus exact de parler de plan « Énergie 9 », puisqu'un nouvel objectif a été ajouté aux huit objectifs que prévoit le plan « Énergie 8 » pour atteindre une meilleure productivité et une meilleure organisation de l'entreprise. Je n'y reviens pas, car la presse s'en est largement fait l'écho : il s'agit d'optimiser les moyens mis en oeuvre pour que les appareils soient construits dans les meilleures conditions.
Les médias ont également mis en exergue l'éventuelle réduction du nombre de sous-traitants d'Airbus. Je souhaite apporter quelques précisions à ce sujet. Jusqu'à peu, Airbus travaillait avec environ 15 000 sous-traitants, avec lesquels elle développait des négociations bilatérales. Airbus n'envisage pas une réduction du nombre de ses fournisseurs, mais entend mettre au point une organisation différente, au sein de laquelle les opérateurs de premier rang s'occuperont de la négociation avec les sous-traitants de deuxième rang, afin de restreindre le nombre de relations bilatérales qui alourdissaient très fortement sa charge de travail.
Pour mémoire, je rappelle que, dans l'ancienne configuration, plus de 300 personnes étaient, chez Airbus, chargées des relations entre les sous-traitants et la production. On est là bien loin d'une optimisation ! L'instauration de sous-traitants de premier rang réduira et simplifiera donc les relations d'Airbus avec ses fournisseurs.
Deuxièmement, l'appréciation de l'euro face au dollar est peut-être ce qui explique le mieux les difficultés que rencontre Airbus. Depuis que l'A380 a été lancé, le dollar a perdu 40 % de sa valeur par rapport à l'euro, ce qui entraîne mécaniquement une perte de 20 % de la compétitivité d'Airbus face à son concurrent Boeing. Quelle entreprise se sentirait aujourd'hui capable de résister à une telle dépréciation de sa compétitivité, qui ne serait due qu'à l'effet mécanique d'une évolution de taux de change ?
Il faut donc prendre en considération tous ces facteurs.
Quant aux causes du retard du programme A380 - puisque c'est l'objet de votre préoccupation, monsieur Auban -, elles sont connues. Je vous renvoie pour cela à mon rapport écrit, qui les examine en détail.
Des difficultés sont apparues sur le site d'assemblage au moment de la réunion des différents tronçons de l'appareil. Je m'en suis expliqué en commission.
Je souhaite revenir sur l'une des raisons essentielles de ce retard. La conception de l'A380 n'a rien à voir avec celle des autres appareils : cet avion comporte 100 000 fils électriques et 40 300 connecteurs, ce qui représente 530 kilomètres de câblages qu'il faut faire entrer dans 80 mètres de fuselage. Ce degré de complexité n'a jamais été atteint, même avec l'A340, qui était pourtant le plus gros appareil construit jusque-là. Il n'y avait pas de difficultés majeures entre les unités d'assemblages qui existaient en France et celles qui existaient en Allemagne : le système de fuselage était à peu près cohérent et, globalement, les câblages rentraient.
En outre, s'agissant de l'A380, la complexité est accrue par la diversité des exigences de la clientèle. Selon la compagnie, Virgin Atlantic Airlines, Singapore Airlines, Thai Airways ou autre, les demandes en matière d'agencement intérieur ne sont pas les mêmes ; cela signifie qu'il faut déplacer les galleys et revoir l'espace réservé aux harnais de câblage.
J'ajoute que les améliorations qui ont pu être apportées grâce aux essais en vol n'ont pu être prises en compte par les logiciels utilisés par les équipes d'ingénieurs en Allemagne, qui n'étaient pas suffisamment puissants pour intégrer les modifications en cours. Cela a abouti à des télescopages entre les capacités des uns et celles des autres.
Cette situation peut paraître un peu curieuse : une importante société comme Airbus ne serait donc pas capable de fusionner ses procédés de fabrication ? Il faut savoir qu'EADS est une grande entreprise multinationale, présente en Allemagne, en France, en Espagne et dans d'autres pays européens ; il est donc parfois très compliqué d'ajuster le tir.
Les difficultés d'aujourd'hui sont-elles le fruit d'une erreur, voire d'une insuffisance de management ou bien sont-elles la conséquence de la politique de l'entreprise, qui consistait à rajouter de la complexité tant que cela était possible ? Que l'on ne croie pas que je montre du doigt les équipes allemandes ! Si l'A330-A340 était essentiellement conçu en France, les conséquences étant ensuite tirées en Allemagne, la conception de l'A380 est partagée entre la France et l'Allemagne, ce qui explique les problèmes qui sont apparus. La solution se trouve bien dans la réorganisation de l'équipe de management d'Airbus et d'EADS.
Je profite de l'examen de cette proposition de résolution pour redire, de manière que cela puisse être entendu au-delà de cette enceinte, qu'une fabrication de type industriel de l'A380 interviendra dans un an et demi, voire dans deux ans, dès lors que les personnels seront parfaitement formés aux logiciels utilisés, c'est-à-dire à partir du vingt-sixième appareil. Cela ne signifie nullement que les vingt-six premiers avions seront dangereux ou ne seront pas en état de voler, mais l'approche de la fabrication changera. Pour autant, quelles que soient les modalités de fabrication, les exigences en matière de sécurité seront tenues.
Concernant les éventuelles responsabilités individuelles, outre l'enquête judiciaire que j'ai mentionnée au début de mon intervention et qui fait obstacle à la création d'une commission d'enquête sénatoriale, EADS a commandé une enquête interne à des experts extérieurs. Les résultats seront rendus publics au plus tard à l'occasion de l'assemblée générale du mois de mai prochain. Il est donc fort peu probable qu'une commission d'enquête nous en apprenne davantage.
Je formulerai une dernière observation pour faire litière d'informations négatives. Airbus n'a enregistré aucune annulation de commande d'A380 destinés au transport de passagers. Les seules suppressions concernent des A380 cargos et sont pour l'instant le seul fait de la société FedEx. Il est vrai que d'autres entreprises pourront faire de même, car, dans ce secteur, il est urgent d'adapter les moyens mis en oeuvre aux besoins du marché.
Concernant les commandes des compagnies de passagers, je tiens à le rappeler avec force, il s'agit de répondre à un marché réel et non de créer un appareil « merveilleux ». La massification du marché fait que les compagnies aériennes les plus importantes - Singapore Airlines, la Thai, etc. - se sont mises sur les rangs ; il y a donc une niche pour l'A380, qui répond à un besoin spécifique.
Les retards ont modifié le seuil de rentabilité de l'A380, mais la niche reste largement porteuse, et cet appareil sera un succès économique. Ainsi, dès que Singapore Airlines fera se poser et décoller des A380 à Tokyo-Narita ou sur les autres grands aéroports internationaux, je suis persuadé que de nouvelles compagnies voudront, elles aussi, avoir l'A380. Cette certitude doit non pas nous rassurer, car nous n'avons pas besoin d'être rassurés, mais simplement nous réjouir de voir qu'une grande compétition mondiale s'engage entre deux challengers, Boeing et Airbus.
Telles sont, madame la présidente, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur les aspects juridiques et les questions de fond que soulevait cette proposition de résolution.
Je m'interrogerai maintenant sur les effets qu'entraînerait la création de cette commission d'enquête. Ils seraient de trois ordres et, selon moi, vous vous en doutez, tous négatifs.
Le premier inconvénient concerne l'image du groupe. On a déjà vu à quel emballement médiatique a donné lieu le sujet. Il est évident que la création d'une commission d'enquête serait analysée par les médias et par les observateurs comme un signe de défiance du Parlement français à l'égard d'une grande entreprise européenne. Je pense qu'il n'est guère nécessaire d'insister sur ce point.
Deuxième inconvénient : sur le plan financier, l'impact serait immédiat, le cours de bourse de la société en pâtirait, ce qui ne pourrait que rendre plus difficile le financement des programmes stratégiques dans les mois qui viennent. Vous savez que le groupe Airbus vient de décider le lancement du programme de l'A350, qui est vital pour l'entreprise puisqu'il lui permet de prendre place sur un segment de marché où Boeing détient aujourd'hui une légère avance, ce qui signifie que rien n'est définitif et que des parts de marché peuvent être récupérées.
Troisième inconvénient : sur le plan commercial, la constitution d'une commission d'enquête serait utilisée par l'autre grand constructeur pour fragiliser son concurrent auprès des clients.
Avant de conclure, je veux rappeler qu'Airbus n'est pas le seul constructeur à connaître des difficultés dans la mise en oeuvre d'un programme. Les retards de l'A380 ne concernent qu'une machine. Les deux premiers appareils, qui devaient être livrés cette année, le seront l'an prochain. Boeing, lui, lors du lancement du 747, a connu pendant deux ans des difficultés d'un tout autre ordre, qui mettaient en jeu la sécurité des passagers. Ainsi, un Boeing 747 a été obligé de se poser un jour à Kennedy Airport avec un seul un moteur sur quatre parce que la conception du support des moteurs et des moteurs eux-mêmes était défectueuse. Pendant deux ans, la société Boeing a eu toutes les peines pour mettre au point son appareil. Or elle l'a fait « sur le dos » de la sécurité des passagers puisque c'est tout en continuant les vols qu'elle a réussi à corriger les erreurs. Airbus, pour sa part, a l'honnêteté et le scrupule de vérifier que les choses se passent bien avant de faire voler un appareil avec des passagers à son bord. C'est tout à son honneur.
Il ne convient pas d'épiloguer sur de tels sujets, mais je veux quand même rappeler que la construction aéronautique est suffisamment complexe et difficile pour que personne ne s'amuse à en tirer des conclusions hâtives.
Madame la présidente, mes chers collègues, telles sont les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques ne souhaite pas suivre la proposition émanant de nos collègues socialistes et tendant à la création d'une commission d'enquête.
Quoi qu'il en soit, le Parlement est en droit d'être informé. C'est la raison pour laquelle M. le président de la commission des affaires économiques et les membres de ladite commission ont proposé qu'un rapport d'information soit présenté sur ce sujet, après la reprise des travaux parlementaires, sujet suffisamment important pour que nous nous en préoccupions.
Monsieur Auban, je souhaite vous dire en conclusion, parce que vous avez fait preuve d'une très grande courtoisie, que la construction aéronautique et le transport aérien continuent de faire rêver et que ce seul fait doit nous rapprocher. C'est la raison pour laquelle, j'en suis persuadé, vous accepterez les conclusions de la commission des affaires économiques. Votre proposition était intelligente, bien formulée, mais elle est aujourd'hui inopportune. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, mes chers collègues, comme notre excellent collègue Jean-François Le Grand vient de nous l'exposer, le Sénat est saisi d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus.
Lors du précédent débat, j'ai eu l'occasion d'expliquer quelles étaient les principales conditions de recevabilité de telles commissions d'enquête. Pour être, en cet instant, un peu plus complet, je veux indiquer que lesdites commissions, qui résultent de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, fusionnent deux dispositifs plus anciens : d'une part, les commissions de contrôle concernant les services publics ou les entreprises nationales et, d'autre part, les commissions d'enquête, proprement dites, visant des faits précis. Pour autant, cette distinction existe toujours. Les commissions d'enquête sont appelées à se pencher soit sur le contrôle des services publics, soit sur des faits déterminés.
En l'occurrence, il est clair que le contrôle des services publics ne s'applique pas à la proposition de création d'une commission d'enquête qui nous est soumise par nos collègues socialistes. En effet, et personne n'en disconviendra, nous ne sommes pas en présence d'un service public. EADS pas plus qu'Airbus ne sont, d'ailleurs, des entreprises nationales. Il a effectivement été rappelé précédemment qu'EADS était une entreprise de droit néerlandais dans laquelle la part de l'État français, s'élevant à 15 %, est assez réduite.
La demande formulée vise des faits déterminés, à savoir le retard de livraison de matériels. La commission des lois a examiné avec beaucoup d'attention la proposition de résolution émanant de nos collègues, en particulier l'exposé des motifs. Il ressort de ce dernier document que nos collègues se sont interrogés sur le comportement des différents actionnaires. C'est là que le bât blesse. Après la demande formulée, de manière classique, par le président de la commission des lois, par l'intermédiaire de M. le président du Sénat, au garde des sceaux, ce dernier, par courrier du 4 décembre 2006, nous a fait savoir qu'une information judiciaire était ouverte devant le tribunal de grande instance de Paris et vise des faits de délit d'initié, de recel de délit d'initié et de diffusion de fausses informations. Mes chers collègues, si vous avez suivi l'actualité de ces derniers jours, vous savez que sont en cours actuellement un certain nombre de perquisitions aussi bien chez EADS qu'au groupe Lagardère, l'un de ses actionnaires.
Or cette procédure judiciaire étant pendante, elle fait totalement obstacle à la création d'une commission d'enquête ; c'est la conclusion à laquelle est arrivée la commission des lois. Cette dernière, ayant jugé irrecevable la proposition de résolution, telle qu'elle était rédigée, a cependant laissé la porte ouverte à une modification de sa formulation, en suggérant aux auteurs de supprimer la référence aux faits que je viens d'évoquer. Nos collègues socialistes n'ont pas agi en ce sens, considérant sans doute que cela retirerait sans doute beaucoup d'intérêt à leur demande. Dans ces conditions, leur demande reste malheureusement irrecevable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, mes chers collègues, préalablement à mon intervention et puisque je ne l'ai pas fait lors du débat précédent, je souhaite souligner ma satisfaction de voir inscrites à l'ordre du jour de nos travaux deux propositions de résolution émanant de l'opposition parlementaire.
En effet, dans l'ordre du jour des séances mensuelles réservées, il est bien rare qu'une telle place soit accordée aux initiatives de l'opposition. Je formule donc le souhait que, lors des prochaines séances mensuelles réservées, cet équilibre soit maintenu.
Cependant, cette bonne disposition de la majorité ne va pas jusqu'à accéder à la demande de création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS. En effet, la commission des affaires économiques a formulé un avis négatif à ce sujet, au double motif qu'une enquête judiciaire sur l'infraction de délit d'initié est en cours et que l'État n'étant actionnaire que de 15 % du groupe, la représentation nationale n'est pas fondée à enquêter sur la situation de ce groupe européen, qui n'est pas une entreprise publique nationale.
Si le premier argument, que nous ne contestons pas, peut se comprendre aisément, le second est plus hasardeux. En effet, indépendamment de la participation française dans le capital de cette entreprise, le secteur d'activité de cette dernière est un fleuron de l'industrie nationale depuis la création de la société Aérospatiale. À ce titre, la commission des affaires économiques reconnaît d'ailleurs pleinement le caractère stratégique du secteur d'activité d'EADS.
Pourtant, au motif que l'État ne serait pas suffisamment présent dans le capital de ces entreprises, la représentation nationale n'aurait ni à connaître des difficultés qu'aurait pu faire naître leur gestion ni à influer sur les enjeux relatifs à ce secteur d'activité.
Si l'on suit bien le raisonnement, c'est donc, à terme, l'ensemble de l'économie qui doit échapper au pouvoir politique, puisque, selon les dogmes libéraux, les services publics et les entreprises nationales appartiennent à l'histoire et doivent céder la place à la concurrence libre et non faussée, censée régir désormais l'ensemble des activités humaines. Cet argument apparaît d'ailleurs en filigrane dans la motivation du refus de la commission des affaires économiques de création d'une commission d'enquête, refus qui tient, pour partie, aux conséquences de la création de cette commission sur la bourse, ainsi que vous l'avez du reste rappelé, monsieur le rapporteur.
Nous déduisons également de votre argumentaire que la majorité gouvernementale va clairement dans le sens de l'abandon du modèle gaulliste, qui a permis l'intervention étatique dans les secteurs clés de l'économie française. En effet, depuis vingt ans, l'État ne cesse de se dessaisir de ses participations dans les entreprises publiques, dont la liste est longue : Gaz de France, Électricité de France, Air France, Aéroports de Paris, etc.
Dans le domaine de l'aéronautique, le gouvernement Jospin a autorisé, il est vrai, la privatisation de l'entreprise Aérospatiale et sa fusion avec l'entreprise Matra, société du groupe Lagardère, comme cela est souligné dans le rapport écrit.
Cette opération a effectivement permis la création d'EADS en 2000, groupe conçu non comme une coopération intergouvernementale, mais comme une entreprise européenne fonctionnant avec les actionnaires de plusieurs pays, notamment français, allemands, espagnols, qu'ils soient publics ou privés, et dont l'objectif premier était de concurrencer Boeing.
Les communistes, dans leur diversité, n'étaient pas forcément favorables à cette opération. Mais là n'est pas la question aujourd'hui.
Certes, le gouvernement Jospin a fait des erreurs, notamment quand son action a été dans le sens d'un accompagnement du libéralisme mondialisé et qu'il s'est séparé des outils de maîtrise publique, et donc citoyenne.
Concrètement, lorsque Lionel Jospin déclarait, en 2002, que le pouvoir politique ne pouvait contraindre l'économie, je pense qu'il a fait une erreur fondamentale, qui explique, en partie, la désaffection envers la politique de nombre de nos concitoyens.
En tout cas, le fait que le gouvernement Jospin ait, en son temps, fait le choix de privatiser l'entreprise Aérospatiale ne permet certainement pas d'affirmer que, aujourd'hui, les parlementaires de gauche ne pourraient débattre de la situation d'EADS.
Les sénateurs communistes estiment qu'il est plus qu'urgent de faire le bilan des politiques de libéralisation et de privatisation menées au niveau tant national qu'européen, avant de continuer dans cette fuite en avant. Il devient, en effet, pressant d'analyser si ce désinvestissement des pouvoirs publics dans les secteurs clés de l'économie, aboutissant à laisser comme seul régulateur la loi du marché, a permis un véritable développement de ce secteur et répondu aux besoins des usagers.
Dans le secteur de l'aéronautique, notamment, au regard des difficultés d'EADS et de l'opacité incroyable qui entoure la gestion de cette entreprise, nous estimons que cette politique de retrait des pouvoirs publics n'est pas concluante. À cet égard, je trouve que la proposition de résolution émanant du groupe socialiste est intéressante et aurait mérité plus qu'un débat de quelques heures, de même que le sujet aurait mérité plus qu'une simple information des parlementaires dans plusieurs mois.
J'en viens, maintenant, au fond même de cette proposition de résolution, c'est-à-dire ce qui légitime une en quête sur la situation de l'entreprise EADS, sur les causes qui ont provoqué le retard de livraison de l'A380 et, finalement, sur la politique industrielle de cette société.
À mon sens, la question du retard de livraison ne peut se comprendre et s'analyser que dans le cadre global de la politique industrielle de ce groupe. En effet, de nombreux arguments techniques peuvent être avancés pour justifier ce retard, notamment l'utilisation d'un logiciel non conforme pour le câblage à l'usine de Hambourg. Cependant, je considère que ces retards sont la conséquence directe de la politique industrielle de cette entreprise ou, plutôt, de son absence de politique industrielle.
En effet, comment ne pas considérer que la gestion de cette entreprise orientée vers la recherche d'une rentabilité maximale crée ce type de risques ?
Les causes profondes de la crise que connaît aujourd'hui EADS sont le fruit d'une stratégie essentiellement financière, qui a fait prévaloir les intérêts des actionnaires sur la logique industrielle.
En effet, alors que les dividendes versés aux actionnaires n'ont jamais été si importants - ils ont progressé de manière continue sur quatre ans, pour parvenir à une augmentation de 200 % -, une politique de réduction des coûts est largement mise en oeuvre dans le même temps.
On se trouve donc devant une stratégie de réduction des coûts de production qui ne saurait absolument pas se justifier par des difficultés financières ni par la situation de l'euro par rapport au dollar, comme le suggère la commission des affaires économiques, mais qui s'explique uniquement par la volonté des actionnaires français, allemands et espagnols d'augmenter leurs profits.
Ils ne sont pas d'ailleurs déçus : les profits ont encore été en hausse de 30 % en 2005. Pour l'année 2006, le géant de l'aéronautique table sur une progression du chiffre d'affaires de près de 3 milliards d'euros.
C'est dans ce cadre que l'entreprise a lancé, il y a maintenant deux ans, le plan « Route 06 », destiné à économiser 1,5 milliard d'euros par an.
Ainsi, les actionnaires ont voulu, pour des raisons financières, réduire les délais d'études et de développement de l'A380 de sept à cinq ans. La conséquence directe de cette décision est que la filiale Airbus a réduit en 2004 son budget de recherche et développement, alors que ce nouvel avion était en plein développement.
La filiale Sogerma a également été sacrifiée parce qu'elle n'atteignait pas le taux de rentabilité espéré par les actionnaires. Le conseil d'administration a en effet décidé « d'arrêter les activités déficitaires sans perspectives de rentabilité ».
Le recours accru à la sous-traitance est aussi source de risque puisqu'il élargit encore un peu plus la chaîne de production.
Nous estimons donc que c'est ce plan qui est fondamentalement à l'origine des retards de production de l'A380 : il ne s'agit pas de simples problèmes de compatibilité technique ou de gouvernance d'entreprise.
Vouloir aller toujours plus vite en rognant toujours davantage sur les coûts comporte en effet ce type de risque.
Pourtant, cela ne fait nullement reculer la direction d'EADS, qui persiste dans cette logique. En effet, le lancement de l'A350, décidé le 1er décembre dernier en conseil d'administration, est lié à la mise en oeuvre d'un nouveau plan de restructuration, intitulé « Énergie 8 ».
Ce plan vise à permettre l'autofinancement par EADS de l'A 350, à hauteur de 5 milliards d'euros, d'ici à 2010. Il tend également à ce que les sous-traitants prennent à leur charge 1,8 milliard d'euros de coûts de développement, c'est-à-dire qu'ils devront eux-mêmes pratiquer des réductions de coûts de production.
Le reste des financements nécessaires devrait être trouvé en passant par des émissions obligataires avec garantie publique.
Ce plan repose également sur un recours accru à la sous-traitance, à hauteur de 50 %, alors que le recours à la sous-traitance pour l'A 380 était de 30 %. Il ne s'agit donc pas, comme vous l'avez d'ailleurs indiqué, monsieur le rapporteur, d'une réduction de la sous-traitance, bien au contraire.
De plus, ce plan préconise une concentration des sous-traitants et une réduction de 30 % des prix de leurs prestations. Ce sera donc à eux d'assumer la charge de la sous-traitance en cascade : ils devront délocaliser dans les pays à bas coûts de main d'oeuvre.
D'autre part, ce plan préconise également des suppressions d'emplois.
C'est donc, une nouvelle fois, les emplois, les conditions de travail et les investissements qui pâtiront de la logique financière de l'entreprise.
Les sénateurs communistes estiment, devant cette situation, que les pouvoirs publics ont une responsabilité politique particulière, qui ne dépend pas de l'importance du capital détenu mais du caractère stratégique du secteur d'activité de l'entreprise EADS.
L'État français doit définir une politique industrielle pour la France et doter celle-ci des outils nécessaires pour parvenir aux objectifs démocratiquement fixés.
L'industrie aéronautique ne peut être laissée entre les seules mains des actionnaires, qui n'ont pas fait la preuve de leur capacité à développer l'activité de ce secteur.
Je ne reviendrai pas sur les récents problèmes judiciaires, mais on voit bien que les intérêts des actionnaires ne coïncident pas toujours avec les intérêts de l'entreprise. On voit également que, lorsqu'on laisse la gestion aux seuls actionnaires privés, ce sont leurs intérêts qui prévalent.
Nous ne pouvons nous en satisfaire.
Il faut rompre avec cette logique de régression et construire un grand projet industriel, avec des financements publics, contrôlés par les citoyens, pour des investissements à long terme, dégagés de l'emprise financière.
Ce projet passe par la définition de gammes complètes de produits, qui répondent aux besoins et ne soient pas soumis aux choix prioritaires d'actionnaires guidés par le souci du retour sur investissement le plus élevé dans le temps le plus court.
Airbus, qui a récemment décidé du lancement de l'A350, doit donc aujourd'hui y consacrer les budgets nécessaires.
L'avenir passe également par le successeur de l'A320, l'avion « monocouloir » qui a fait la différence dans la compétition avec Boeing.
Enfin, le gros-porteur A380 reste l'enjeu majeur des efforts industriels à engager. Il implique de nouveaux investissements technologiques et humains et une nouvelle conception des rapports entre maître d'oeuvre et sous-traitants.
Or la priorité donnée à la réduction des coûts, répercutée en cascade par tous les équipementiers, constitue une course effrénée vers la régression sociale et l'échec industriel.
Il faut donc sortir de cette ornière et revaloriser le travail, les salariés et leurs compétences. En effet, la compétence première d'Airbus, c'est avant tout le savoir-faire de ses salariés.
C'est pourquoi nous estimons, à l'inverse de certains de nos collègues qui préconisent l'abandon pur et simple des parts de l'État dans EADS, que seul un renforcement de la présence de capitaux publics sera à même de garantir une maîtrise citoyenne des enjeux liés à la politique industrielle dans le secteur aéronautique.
En effet, la gestion d'EADS est pour le moins opaque, et sa dimension européenne, loin de favoriser une plus grande transparence et une plus grande coopération intergouvernementale, vise tout simplement à éliminer la moindre velléité de contrôle public et démocratique des choix au sein de ce secteur, fleuron de l'industrie française, je le rappelle.
Je terminerai en disant que ce n'est pas cette construction européenne que nous appelons de nos voeux : ce n'est pas une Europe des capitaux privés intégrés dans le marché mondialisé, mais une Europe des peuples, une Europe démocratique, où les pouvoirs publics oeuvrent pour le développement partagé et le progrès pour tous.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen estiment que cette proposition de résolution devrait être adoptée, afin de permettre à la représentation nationale d'apprécier la situation du secteur aéronautique et, ainsi, d'apporter de très utiles informations quant aux conséquences de la libéralisation dans ce secteur stratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. J'aimerais apporter très brièvement deux précisions après l'intervention de M. Billout.
Tout d'abord, je n'ai en aucun cas évoqué une diminution de la sous-traitance. J'ai seulement parlé d'une réorganisation de la sous-traitance.
M. Michel Billout. J'ai bien précisé que vous vous étiez inscrit en faux contre cette idée de diminution, qui est apparue dans les médias.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Alors, cela relève de leur responsabilité. En tout cas, il n'y a dans ma position aucune ambiguïté : le nombre de sous-traitants doit être maintenu et je me réjouis de la nouvelle organisation.
D'autre part, si l'État actionnaire détient 15 % du capital de l'entreprise, il n'est qu'un actionnaire « muet » : il n'a aucune capacité d'intervention sur le déroulement des process ou sur les décisions à prendre.
Évidemment, cela peut paraître bizarre - et cela pourrait éventuellement faire l'objet d'une réflexion -, mais je rappellerai, sans vouloir polémiquer et sans esprit de malice, que cet état de fait résulte d'une décision qui a été prise entre 1998 et 2000, époque à laquelle, me semble-t-il, le ministre des transports relevait plutôt de votre sensibilité, monsieur Billout.
Qu'un ministre communiste se propose de situer la participation de l'État actionnaire à 15 % en privant ledit État de toute capacité d'intervention est tout de même chose curieuse ! Vous pourrez le vérifier auprès de l'Agence des participations de l'État : j'ai auditionné la personne qui est en charge de cette agence, et elle piaffait quelque peu face à cette situation, en disant : « Je ne fais que constater ! »
Je pense qu'il n'était pas inutile de faire ce rappel.
Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Auban.
M. Bertrand Auban. Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes évidemment déçus des conclusions auxquelles donne lieu notre proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête.
En effet, je le répète, nous pensions qu'elle pouvait, au-delà des différences politiques, recueillir l'assentiment de notre assemblée.
Permettez-moi d'apporter quelques réponses aux objections qui motivent cet avis négatif.
En ce qui concerne la recevabilité de la proposition, je réaffirme que celle-ci n'a aucunement pour objectif de traiter de dossiers dont la justice est saisie : le délit d'initié ne figure pas dans notre exposé des motifs.
M. le garde des sceaux a fait connaître à M. le président du Sénat qu'une information judiciaire était en cours, concernant des faits de délit d'initié, de recel de délit d'initié et de diffusion de fausses informations. C'est l'affaire de la justice, et nous n'avons certainement pas l'intention de substituer le Parlement à l'institution judiciaire.
L'objet de notre demande de création d'une commission d'enquête ne mentionne d'ailleurs aucunement les faits en question ; en faire une telle lecture constitue selon nous une interprétation abusive.
L'information judiciaire vise des personnes et non le groupe EADS en lui-même. Elle ne vise pas les retards de production et de livraison de l'A380.
Monsieur le rapporteur, je suis d'accord avec vous, les délais et les retards de livraison de l'A380 proviennent incontestablement de ce que les cinq premiers avions sont consacrés aux essais, qui nécessitent quelque 2 600 heures de vol. Au fond, si ces milliers d'heures d'essais n'étaient pas utiles, il n'y serait pas procédé ; autrement dit, il faut bien qu'elles produisent des améliorations.
Je signale que le premier de ces avions, le numéro 00 ne vole pas : il est « torturé » afin d'évaluer le niveau de résistance du fuselage, des ailes, de l'empennage, etc. Les avions consacrés aux essais font d'ores et déjà l'objet d'options d'achat, avec une ristourne, bien entendu.
Globalement, cela explique une année de retard, délai communément admis dans l'aéronautique. L'année supplémentaire de retard, en revanche, va se traduire par plus de 6,3 milliards d'euros de pénalités et de manque de trésorerie pour l'entreprise.
Cette somme est tout simplement imputable à un premier fait technique : le logiciel Circé n'a pas été adopté par les Allemands, qui ont travaillé « à la paluche », en doublant ou en triplant les effectifs, pour réaliser les harnais et le câblage électrique des tronçons dont ils étaient responsables. Lorsque ces tronçons arrivent à Toulouse, ils sont en effet prééquipés.
Cette année de retard est donc due à la non-adoption du logiciel Circé, mais surtout à l'incapacité de l'entreprise à réaliser les mêmes tâches dans les mêmes temps, dans les différents sites de production d'Airbus. Il s'agit en l'occurrence du site de Hambourg, non de ceux de Séville, Saint-Nazaire ou Bristol.
Le problème se situait bien là, et tout le monde apparemment le savait, sauf peut-être l'opinion publique, les médias et les parlementaires. Acceptons cette réalité !
Je vous ai écouté attentivement, monsieur le rapporteur. Je sais qu'il faut être prudent, qu'il faut faire attention aux effets psychologiques, etc.
Le but de la création de la commission pourrait se résumer en cette formule : « Plus jamais ça ! ».
Trop de conséquences financières, économiques et sociales se font sentir sur cette industrie dont nous sommes fiers et qui, pendant longtemps, à travers la France et l'Europe, a donné l'impression que nous avions enfin pris le dessus sur les Américains. Peut-être a-t-on trop vite crié victoire...
Quoi qu'il en soit, il est aujourd'hui évident que nous sommes en présence de graves difficultés.
J'ajouterai que nous pourrions discourir à ce sujet des heures durant sans atteindre le niveau du réquisitoire sans concession qu'a présenté M. Christian Streiff. Ce réquisitoire a d'ailleurs sans doute abrégé sa carrière dans l'aéronautique, puisqu'il n'y est resté que trois mois ! La teneur de ces propos est connue, non seulement par Boeing mais par toute la presse spécialisée : nous la reprenons avec modération.
Christian Streiff a eu le mérite de mettre les choses à plat. Il a en fait extorqué des informations qui étaient restées jusque-là parfaitement cachées, ce qui lui a permis de dire : « Aujourd'hui, cette industrie éprouve des difficultés pour telle et telle raison, et cela est à la source de retards très importants, de pertes considérables, etc. »
L'A380 est un excellent avion, personne ne remet ce fait en cause, et il présente un avantage énorme : il est le seul à occuper son créneau, ce qui n'est pas le cas de l'A350.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. C'est vrai !
M. Bertrand Auban. Certes, ce ne sont que des options portant sur la version cargo qui ont été annulées. En revanche, la compagnie Emirates Airlines a acheté 50 avions à 306 millions d'euros pièce, soit 2 milliards de francs pièce ; vous me pardonnerez, je calcule toujours en francs. Cette compagnie a donc pris une option pour 500 milliards de francs !
Vous savez comment se passent ces transactions : pour prendre l'option, il faut payer des arrhes. Emirates a donc payé 50 fois 10 % de 306 millions d'euros. Pour le moment cela ne donne lieu qu'à des pénalités. Mais si, par malheur, la seule compagnie Emirates renonçait à tout ou partie de ces options, cela produirait un véritable krach économique. La décision ne dépend que des responsables de la compagnie.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Ce serait un scénario catastrophe !
M. Bertrand Auban. Évidemment, l'absence de concurrent nous incite à ne pas imaginer le pire.
Quoi qu'il en soit, c'est dans ce contexte que nous avons proposé la création d'une commission d'enquête : il nous a paru nécessaire que le Parlement réfléchisse aux moyens d'éviter que puisse se reproduire une telle situation. Je ne citerai pas de noms, mais, à l'évidence, il y a eu un problème de gouvernance.
Le plan d'économies « Power 8 », mis en place à la suite du diagnostic posé par Christian Streiff, a été repris intégralement par Louis Gallois sous le nom d'« Énergie 8 ». Certes, je comprends que des économies soient nécessaires dans l'industrie ; mais, en l'occurrence, l'objectif est loin d'être négligeable : 2 milliards d'euros d'économies par an !
Monsieur le rapporteur, vous l'avez souligné, Airbus demande à ses principaux sous-traitants, notamment Latécoère, Socata et Sogerma, de sous-traiter eux-mêmes une partie de la production. Je ne me fais pas d'illusion sur l'issue finale, car les conséquences se font déjà sentir pour un certain nombre de sociétés. Dans ma région de Midi-Pyrénées, la sous-traitance régionalisée existe déjà dans tous les départements : d'ores et déjà, certaines entreprises n'ont pas pu tenir le choc.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Certains retards ont été compensés !
M. Bertrand Auban. Si les sous-traitants répondent aux souhaits d'Airbus et délocalisent leur production en zone dollar à bas coûts - vous avez le choix entre l'Inde, l'Indonésie, etc. -, je peux vous assurer que cela aura chez nous des conséquences sur l'emploi, aussi bien en Midi-Pyrénées que dans la Somme et en Loire-Atlantique.
Nous avons besoin de connaître les causes d'une telle situation. Loin de nous l'idée d'instruire un procès ou de tomber dans la polémique et la politique politicienne. Nous souhaitons tout simplement que le Parlement ait le courage de prendre ses responsabilités.
Il faut le dire : avant que MM. Streiff et Gallois arrivent aux commandes de l'entreprise, en quelque sorte sous l'ancien régime, la plus grande opacité régnait, tout était fait dans le manque de transparence le plus total ! Ce serait donc tout à notre honneur de vouloir faire la lumière sur cette affaire, qui concerne quand même l'un des fleurons de l'économie française et européenne.
Monsieur le rapporteur, je reconnais que votre rapport est intéressant et objectif, même si je ne suis évidemment pas d'accord avec toutes vos conclusions. Selon vous, EADS subit, en termes de compétitivité, un delta de 25 % au prétexte que ses avions seraient construits dans la zone euro et vendus en dollars. Mais le problème n'est pas nouveau, cette situation n'est pas apparue subitement avec l'A380 ! Peut-être M. Trichet n'est-il pas assez vigilant ; toujours est-il la crise ne date pas d'hier. Bien sûr, cela rend les choses plus difficiles, mais je vous signale qu'au cours des trois dernières années Boeing a vendu moins d'avions que nous et a pourtant dégagé des marges bénéficiaires plus importantes !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. C'est vrai !
M. Bertrand Auban. Dans ces conditions, vous pensez bien que nous sommes inquiets pour l'avenir !
S'agissant des erreurs de gouvernance, il faut dire aussi que l'A320 va devenir un vieil avion : il a déjà vingt ans !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Eh oui !
M. Bertrand Auban. Il sera construit en Chine. Vous verrez que, dans quelques temps, ce sera la Logan du court-courrier !
Quant à l'A350, il représente 40 % de l'activité aéronautique. Comment se fait-il que des managers aient pu penser à « relooker » un A330 en A350, alors qu'aucune compagnie ne voulait l'acheter, parce que lui aussi commence à devenir un vieil avion.
Par ailleurs, ne l'oubliez pas, l'A340-600 est en voie d'extinction rapide : c'est un avion qui ne se vend plus avant même d'avoir été vendu, et cela pour la simple raison qu'il consomme trop.
Aujourd'hui les deux critères de vente d'un avion, c'est le bruit et le prix de revient au siège. Airbus est certes très performant sur le premier.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Effectivement !
M. Bertrand Auban. Mais avec ses quatre réacteurs, l'A340-600 est en compétition avec le Boeing 777, qui n'en a que deux et qui consomme moins. Or l'autonomie de l'A340-600 n'est supérieure que de 500 kilomètres à celle de son concurrent. Cela n'a aucun intérêt pour un vol Paris-Singapour : à 500 kilomètres au-delà de Singapour, il n'y a pas de grand aéroport !
Tout cela mériterait tout de même d'être examiné avec attention, dans le but de défendre une réussite exemplaire de l'industrie européenne.
Personnellement, je garde en mémoire ce qui s'est passé : si, le jour prévu du mariage entre British Aerospace et Daimler, les Anglais n'avaient pas éconduit les Allemands, nous ne serions peut-être pas en train de débattre aujourd'hui de l'industrie aéronautique française !
Fort heureusement, le Président de la République, le Premier ministre de l'époque, qui a été cité à plusieurs reprises, mais malheureusement pas toujours en bien, le ministre des finances ainsi que Jean-Luc Lagardère ont conjugué leurs efforts pour mettre en oeuvre la fusion qui a donné naissance à EADS. Initialement, les Allemands souhaitaient supprimer tout capital public, ce qui aurait mené à la privatisation totale. Finalement, le capital fut réparti essentiellement entre trois grands acteurs : près de 30 % pour DaimlerChrysler, 15 % pour Matra, autant pour l'État français. Aujourd'hui, les proportions diffèrent, Arnaud Lagardère ayant réduit à 7,5 % la participation de son groupe au capital.
Vous l'avez dit assez justement, l'État français n'a pas de véritable influence sur EADS. Comble du paradoxe, la Chancelière allemande, qui prône une politique beaucoup plus libérale, intervient beaucoup plus que nous dans ce secteur industriel et était prête, si elle en recevait l'autorisation, à envisager une participation de l'État allemand afin de compenser le désengagement de DaimlerChrysler. Alors que la l'État français détient 15 % du capital, il n'a aucune marge de manoeuvre : il est « ficelé » ! C'est le contraire pour les Allemands, qui n'ont aucune participation dans le capital mais qui parviennent à être beaucoup plus efficaces parce qu'ils sont beaucoup plus interventionnistes que nous !
Voilà pourquoi nous souhaitons une commission d'enquête. Nous ne voulons, en aucun cas, affaiblir qui que ce soit. Nous entendons simplement donner à ce dossier une certaine solennité en permettant au Parlement d'y avoir accès. Chacun d'entre nous, j'en suis persuadé, défend le groupe EADS, qui est une grande réussite européenne, qui construit des avions, des lanceurs, des satellites, avec Astrium.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Des hélicoptères !
M. Bertrand Auban. Sa gestion, peut-être un peu trop politisée et pas assez industrielle, a sans doute manqué de cohérence. Il n'en demeure pas moins que ce groupe doit faire l'objet de toute notre attention et, dirai-je, de toute notre affection.
Mes chers collègues, en proposant une commission d'enquête, nous n'avons que cet objectif. Il ne s'agit surtout pas de promouvoir une quelconque ingérence, comme certains ont pu le prétendre.
Tout le monde le sait, un manager peut être tout à la fois mauvais et amoral. Pour ma part, je me suis contenté d'évoquer la mauvaise gestion quand d'autres doutaient de la moralité d'Untel ou d'Untel, allant jusqu'à citer des noms précis.
Force est de constater qu'il y a eu de nombreuses négligences. Au-delà de l'instruction judiciaire, qui suit son cours, nous devrons de toute façon veiller à ce que de tels errements ne se reproduisent plus, notamment dans des secteurs où des sommes vertigineuses - plusieurs milliards d'euros, tout de même ! - sont en jeu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Je souhaite que de la discussion d'aujourd'hui ressorte un message clair du Sénat à l'intention de M. Louis Gallois. Notre assemblée et, plus largement, le Parlement doivent lui faire confiance, être à ses côtés et le soutenir, pour que sa mission de redressement de l'entreprise soit une réussite.
Mon cher collègue, cessons de critiquer les mesures qui ont été prises, notamment la construction de l'A320 en Chine. Cet avion est leader sur son marché. Si Airbus n'avait pas joué « gagnant-gagnant » avec la Chine, cette société serait en train de perdre des parts de marché.
Par ailleurs, l'A350 est en compétition avec le Boeing 787. Sur les financements croisés, il y aurait beaucoup à dire, notamment en ce qui concerne la mise de l'État japonais au pot des dépenses de recherche et développement relatives à ce dernier avion. Mais c'est un autre sujet. En l'espèce, gardons-nous d'aller trop dans le détail, car cela pourrait être mal interprété.
Je le répète, mon seul souhait est que Louis Gallois reçoive, par un biais ou par un autre, le message de confiance que le Parlement français, aujourd'hui à travers le Sénat, se doit de lui adresser.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Auban, soyez tout de même un peu plus optimiste ! Souvenez-vous de la situation dans laquelle se trouvait l'industrie aéronautique de notre pays voilà quelques années. Qui aurait osé parier il y a sept ou huit ans qu'Airbus rivaliserait avec Boeing et même le dépasserait sur certains segments du marché ?
L'an passé, la commission des affaires économiques s'est rendue sur le site de Toulouse et a été très impressionnée : à l'époque, l'objectif fixé était d'un A380 produit par semaine, ce qui ne pouvait que rassurer tous les acheteurs du monde entier.
Aujourd'hui, il est pénible de voir uniquement pointer du doigt les difficultés rencontrées par cette grande entreprise. Que je sache, toutes les entreprises connaissent à un moment donné quelques problèmes. S'agit-il forcément d'erreurs stratégiques ? À mon sens, il importe de donner une tout autre image au monde entier, notamment aux futurs acheteurs : celle d'une industrie aéronautique capable de rivaliser avec la plus grande industrie au monde.
Mes chers collègues, si nous ne savons pas transmettre une vision positive de cette grande entreprise qu'est Airbus, vous vous imaginez bien que les grands acheteurs du monde ne manqueront pas de se tourner vers Boeing, qui bénéficie d'ores et déjà de la valeur actuelle du dollar par rapport à l'euro. À cet égard, la création d'une commission d'enquête constituerait un bien mauvais message.
Au contraire, réjouissons-nous de disposer d'une telle industrie, qui fonctionne bien. Eurocopter vend ainsi des hélicoptères dans 160 pays ! C'est à travers ces marchés que l'on peut gagner la confiance des futurs acheteurs.
Par la voix de son rapporteur, la commission des affaires économiques s'est déclarée défavorable à la création d'une commission d'enquête. D'ailleurs, le seul emploi du mot « enquête » jette chaque fois la suspicion. Pour autant, M. le rapporteur et nous-mêmes souhaitons continuer à suivre attentivement l'évolution de cette grande entreprise.
Dans cette optique, le bureau de la commission des affaires économiques, qui doit se réunir le 10 janvier prochain, pourrait décider des modalités d'élaboration d'un rapport d'information sur le sujet. À la suite de Jean-François Le Grand, qui s'est fort bien exprimé, je souligne d'ores et déjà tout l'intérêt qu'il y aura à élaborer ce rapport dans un esprit de prudence en même temps que de pluralisme.
En cet instant, juste avant que le Sénat se prononce sur les conclusions de notre commission, il me paraissait utile de faire ces quelques observations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution, je donne la parole à M. Philippe Nogrix, pour explication de vote.
M. Philippe Nogrix. Vous venez de le rappeler, monsieur le président de la commission des affaires économiques, la création d'une commission d'enquête est généralement perçue comme une mise en examen.
Une telle initiative serait donc singulièrement inopportune juste au moment où l'A380 vient d'être agréé et autorisé à voler avec des passagers. Alors que le premier client sera livré dans six mois et qu'il pourra donc commencer son exploitation sur une ligne commerciale, la création d'une commission d'enquête ne constituerait vraiment pas le bon message à faire passer !
En revanche, en tant que parlementaires, nous sommes en droit de connaître les tenants et les aboutissants de cette affaire, car nous avons concomitamment un devoir d'explication à l'égard de nos concitoyens. Au demeurant, notre mission est aussi de faire taire les rumeurs, qui répandent tout et n'importe quoi.
Vu la guerre commerciale que se livrent Boeing et Airbus, cette dernière société a véritablement besoin de notre soutien. À nous de la faire briller et de révéler au grand jour tous ses bons résultats, que vous avez rappelés les uns et les autres, avec l'A320-A340, et, demain, avec l'A350. N'oublions pas le succès de l'A400M, commandé par sept forces militaires. Même les Américains songent à en acquérir !
À l'évidence, ce n'est véritablement pas le moment de nous appesantir sur l'incapacité d'Airbus à assurer sa production dans les délais annoncés et à honorer ses réservations !
En outre, comme l'a très bien expliqué M. le rapporteur, le premier écueil pour Airbus se situe au niveau financier, avec la parité entre le dollar et l'euro. Lorsque nous avons reçu M. Gallois en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, il nous a clairement précisé que l'entreprise perdait 10 milliards par an du seul fait du déséquilibre qui affecte le taux de change entre les deux monnaies.
C'est là que, sur le plan financier, se situe le risque le plus important, car les actionnaires, eux, ont réagi dès qu'ils ont eu connaissance d'éventuels retards de livraison.
Enfin, sur le plan commercial, notre rôle est de porter très haut les couleurs de notre pays.
On a l'impression que, en France, dès que nous enregistrons une réussite dans le domaine technologique, on s'empresse de la dénigrer ! Ainsi, on ne cesse de clamer que le Rafale, fabriqué par Dassault Aviation, n'est vendu nulle part ! Est-ce ainsi que nous parviendrons à le vendre ? Pourtant, exactement comme l'Airbus, il s'agit du meilleur avion de sa catégorie existant sur le marché. Par exemple, il a gagné tous les combats de simulation organisés par l'OTAN en Espagne : c'est le meilleur avion de combat !
Il y a vraiment là une attitude à revoir.
Enfin, s'agissant de l'aspect technique de ce dossier, je rappelle que l'obsolescence des logiciels spécialisés est rapide. C'est une entreprise française, Dassault Systèmes - connue dans le monde entier pour avoir vendu à Airbus, Boeing, mais aussi dans les secteurs de l'automobile de pointe et des trains, des logiciels de modélisation en trois dimensions et de conception assistée par ordinateur -, qui a vendu en avant-première à Airbus France son logiciel de CAO de nouvelle génération, tandis que les Allemands utilisent toujours le logiciel CATIA de la génération précédente. Mais ce retard sera très rapidement comblé, ce qui permettra à l'A380 d'être livré en temps et en heure à ses acheteurs.
Vous aurez compris, mes chers collègues, que le groupe de l'UC-UDF est opposé à cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. Il se félicite, en revanche, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que soit élaboré, au sein de la commission des affaires économiques, un rapport d'information sur ce sujet, car nous voulons connaître la vérité afin d'être en mesure de répondre aux interrogations de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Grignon.
M. Francis Grignon. Madame la présidente, mes chers collègues, je remercie M. le rapporteur de nous avoir livré une analyse globale de cette affaire. En effet, même si nous avons lu des articles de presse et pris connaissance de bribes d'informations sur ce sujet, il était important que nous ayons une vue d'ensemble de la situation actuelle d'EADS : le rapport de la commission apporte à cet égard de très utiles éclaircissements.
Comme M. le président de la commission des affaires économiques, je serai très positif dans mes propos. C'est en effet la seule attitude raisonnable dans un monde de compétition globalisée qui exige que nous soyons en permanence combatifs.
Qu'il me soit d'abord permis de rappeler qu'après un vol inaugural, le 27 avril 2005, l'A380 a reçu hier, dans les temps prévus, son certificat de navigabilité, accordé par les autorités européennes et américaines de l'aviation civile.
Ainsi, depuis 2000, Airbus est la première entreprise mondiale d'aéronautique en termes de prises de commandes, et même si Boeing est en passe de lui ravir ce titre pour 2006, Airbus restera, pour la quatrième année consécutive, le numéro un sur le plan des livraisons d'avions.
Enfin, EADS et Airbus sont prêts à lancer le futur long courrier A350, concurrent direct du Boeing 787.
Ces succès, sur un marché mondial où la compétition est particulièrement acérée, méritent d'être soulignés, tout comme la réussite en matière de coopération technologique et industrielle européenne que représente le groupe privé EADS. Mais ils ne doivent pas occulter les difficultés rencontrées cette année, notamment les changements intervenus au niveau de la direction d'EADS et le retard affectant le programme des livraisons.
Nos collègues socialistes estiment que ces difficultés devraient donner lieu à la création d'une commission d'enquête sénatoriale. Je suis au regret de leur dire que plusieurs éléments s'opposent à cette initiative.
Tout d'abord, EADS est une entreprise de droit privé dans laquelle l'État ne détient que 15 % du capital et qui n'assume pas de missions de service public. Or il est délicat, pour la représentation nationale, de lancer des investigations concernant une entreprise presque entièrement privée.
J'ai entendu marteler, sur les travées de l'opposition, que cette entreprise avait un caractère stratégique. Même si nous ne l'avons pas répété en permanence, nous en sommes tout autant convaincus. Mais nous pensons que la méthode qu'il convient, en l'occurrence, d'adopter n'est pas du tout celle que préconisent nos collègues socialistes. En revanche, celle qui est proposée par M. le président de la commission devrait répondre complètement à nos attentes.
Des mesures ont d'ores et déjà été prises, dans le cadre normal de la gestion de l'entreprise EADS, pour surmonter ses difficultés. Je citerai ainsi la nomination de Louis Gallois à la tête d'Airbus ou la mise en place du plan de redressement « Power 8 ». Laissons donc un peu de temps à la nouvelle direction pour améliorer la situation.
En outre, des procédures judiciaires sont en cours, ce qui rend impossible l'ouverture d'une commission d'enquête.
Le groupe de l'UMP se rangera donc à l'avis de MM. les rapporteurs, Laurent Béteille et Jean-François Le Grand, et rejettera la proposition de nos collègues socialistes.
EADS et Airbus ont toutes les compétences requises pour surmonter la crise survenue cette année. Notre rôle est de soutenir ces entreprises et non de prendre le risque de les fragiliser. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je souhaite tout d'abord féliciter M. le président de la commission des affaires économiques, mais aussi l'auteur de cette proposition de résolution car, grâce à lui, nous avons pu avoir un débat intéressant sur Airbus, ce fleuron de l'industrie européenne.
Je profite également de l'occasion qui m'est offerte pour souligner le comportement courageux de mon ancien élève Christian Streiff : ce manager, après avoir analysé la situation d'Airbus et posé ses conditions, a claqué la porte, car il n'avait pas obtenu satisfaction. C'est un acte de courage qu'il convient de saluer.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Le sujet que nous avons abordé aujourd'hui concerne l'Europe.
J'ai entendu les uns et les autres se glorifier en parlant de l'aviation, qu'ils assimilent à la France. Ce n'est pas tout à fait juste, chers amis !
Peut-être le principal problème rencontré par Airbus et l'A380 est-il justement dû au fait que l'on a raisonné à l'échelle nationale, alors qu'il fallait prendre en compte la dimension européenne, et c'était bien une erreur de management.
L'Europe, voilà cinquante ans, c'était celle du charbon et de l'acier. Puis, il y a vingt ou trente ans, nous avons vu naître une Europe de l'aviation, notamment grâce aux évolutions techniques intervenues dans ce domaine. Ainsi le Concorde a-t-il représenté un bouleversement technique incroyable, qui s'est décliné dans le domaine de l'industrie automobile, de la sidérurgie, etc.
L'Airbus A380, ce n'est même plus un avion ! On l'appelle « avion » parce qu'il vole, mais sa conception même défie toutes les techniques traditionnelles de l'aviation. En fait, c'est une sorte de monstre qui glisse dans les airs, une réalisation fabuleuse qu'il faut inscrire au tableau d'honneur de l'Europe.
Que s'est-il passé exactement ?
S'agissant de la mise en place de cette technologie, je pense que, les uns et les autres, nous nous sommes trop comportés en nationalistes, distribuant les tâches en fonction des diverses nationalités : les Anglais devaient faire telle chose, les Allemands telle autre, les Espagnols ceci et les Français cela !
En général, les Français se battent pour profiter des retombées en termes d'image : comme toutes les pièces sont assemblées à Toulouse, on laisse entendre que l'avion est français. Or il ne faut jamais oublier que, pour l'essentiel, les pièces sont fabriquées ailleurs qu'en France.
Parfois même, nous nous battons pour obtenir que le grand patron soit français, sans nous préoccuper de ce qu'il y a au-delà.
Je suis sensible à ce dossier non seulement parce que mon groupe a déposé cette proposition de résolution, mais aussi parce que je suis originaire de la région Midi-Pyrénées. Or vous connaissez tous les incidences de ce projet sur l'économie et l'industrie locales, notamment en termes de sous-traitance. Ce n'est pas rien !
Comment expliquer qu'un gouvernement libéral comme celui de Mme Angela Merkel ait souhaité que l'État allemand entre directement dans le capital d'EADS ? C'est tout de même curieux ! La raison est pourtant simple : Mme Merkel sait que l'activité de ce groupe - en particulier l'A380 - représente un levier économique important pour son pays, et je la comprends.
Comment se fait-il que les Russes frappent désormais à la porte d'EADS, puis d'Airbus ? Parce qu'ils sont tout à fait prêts à entrer dans le capital de ces entreprises, avec la complicité des Allemands ? Là encore, ce n'est pas rien !
Pourquoi les Français restent-ils muets ? Ce projet concerne pourtant notre industrie et, plus largement, notre économie. C'est là que le problème commence à surgir.
Que s'est-il passé, au cours des trois dernières années, à l'intérieur même du dispositif de l'A380 ?
Il faut savoir que des responsables français de la sous-traitance ont été convoqués par des acteurs politiques allemands afin qu'ils expliquent pourquoi la sous-traitance allemande était si peu impliquée dans la fabrication de cet avion !
Aujourd'hui, dans l'organigramme de ce projet, on trouve en majorité, non des Anglais, des Espagnols ou des Italiens, mais des Allemands, qui ont pour mission de défendre les intérêts économiques de leur pays.
À travers l'exemple d'Airbus et d'EADS, nous devons nous demander comment nous pouvons, à l'aide des nouvelles technologies, rebâtir ce fleuron de l'industrie européenne qu'est l'A380, sans parler de l'A350, qui reste à fabriquer.
Dans ce dossier, tout doit être exposé en toute clarté. Par ailleurs, nous devons accompagner dans sa tâche M. Gallois. La représentation nationale française doit en savoir plus et rappeler que l'Europe se bâtit ensemble, et non pas en agissant dans le dos des autres partenaires.
Voilà pourquoi nous avons déposé cette proposition de résolution. Je regrette donc que votre conclusion, monsieur le président de la commission des affaires économiques, consiste à recommander l'établissement d'un rapport. À la limite, la mise en place d'une mission d'information aurait permis d'établir quelques contacts et de rencontrer certains partenaires. Un rapport, on sait ce que cela signifie : on trouvera toujours quelqu'un qui sache écrire pour remplir une centaine de pages au sujet d'EADS ! Ce n'est pas de cela que nous avons besoin aujourd'hui. Le problème est suffisamment grave pour que le Parlement français s'en saisisse d'une autre façon. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution.
(Ces conclusions sont adoptées.)
Mme la présidente. En conséquence, la proposition de résolution est rejetée.
7
NOMINATION DE MEMBRES D'UN organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle que la commission des affaires économiques a proposé deux candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Henri Revol et Bernard Piras membres du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.
8
énergies renouvelables
Discussion des conclusions d'un rapport d'information et d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur les énergies renouvelables, la transition énergétique et le plan climat : rapport d'information de MM. Claude Belot et Jean-Marc Juilhard fait au nom de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire (n° 436, 2005-2006) et question orale avec débat n° 19 de M. Pierre Laffitte sur la transition climatique et le plan climat.
La parole est à M. Claude Belot, auteur du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales.
M. Claude Belot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons enfin parler ici, en séance publique, des énergies renouvelables !
Ces énergies, qui constituent pourtant une très vieille affaire, trouvent difficilement leur place dans le dispositif énergétique français, système complexe, essentiellement dirigé, et ce depuis bien longtemps, par les « grosses machines » que sont les acteurs majeurs de l'énergie : EDF, GDF, les pétroliers.
De ce fait, on avait oublié deux choses essentielles : d'une part, que les énergies renouvelables avaient tout simplement permis aux Français de vivre pendant bien longtemps et que, localement, elles permettaient de créer des emplois ; d'autre part, que c'étaient les collectivités locales, particulièrement les communes, qui souvent, à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, avaient créé les réseaux d'électricité et les réseaux de gaz, parce que cela répondait à une nécessité locale et qu'on raisonnait alors en termes de proximité.
Aujourd'hui, la donne est complètement différente.
Il se trouve que, dans le cadre de recherches universitaires, voilà maintenant quelque temps, j'ai découvert la situation dans laquelle nous étions : j'ai découvert que nous allions dans le mur, et en chantant ! On ne parlait pas, alors, de dioxyde de carbone, ni d'effet de serre, ni de réchauffement climatique, mais le premier choc pétrolier a été le révélateur d'une situation qui ne pouvait que s'aggraver parce que les réserves d'énergies fossiles - essentiellement les hydrocarbures gazeux ou liquides - étaient par nature limitées et qu'il arriverait nécessairement un moment où elles seraient épuisées.
Au surplus, à l'époque, il n'était pas impossible de prévoir que de nouveaux convives apparaîtraient à la table du banquet, et des convives de poids, qu'il s'agisse de la Chine, de l'Inde, du Brésil et de quelques autres : cela se vérifie aujourd'hui.
On pouvait donc sans mal imaginer que l'abondance d'énergies fossiles aurait une fin.
En tant qu'universitaire théoricien et maire de ma commune, je me suis efforcé de passer aux travaux pratiques.
Que faire ? Très vite, des conclusions se sont imposées. Le sous-sol du nord de l'Aquitaine contient d'intéressantes réserves géothermiques. Il en existe aussi en région parisienne, en Alsace, en Limagne, dans le Midi, dans le sillon rhodanien et dans un certain nombre d'autres lieux en France. Et puis il y a l'immense réservoir de la biomasse, essentiellement forestière. Je ne parle pas des déchets, qu'il ne faut cependant pas négliger. Bien des ressources étaient donc susceptibles d'être utilisées.
Comment ? Seuls les réseaux de chaleur peuvent être mis en oeuvre à une échelle industrielle et sont facilement accessibles au client. Mais les réseaux de chaleur se sont insuffisamment développés en France, sauf à Paris, pour des raisons historiques. D'ailleurs, je signale que le Sénat est chauffé grâce à un réseau de chaleur par la Compagnie parisienne de chauffage urbain, et ce depuis des décennies. En revanche, cette technique est très répandue et est devenue tout à fait banale en Suède et dans les autres pays scandinaves, ainsi qu'en Allemagne.
Un réseau de chaleur, c'est un pont qui transporte de l'eau chaude bon marché, parce qu'elle est produite avec des énergies elles-mêmes bon marché, vers un client. C'est tout ! Moi qui dirige le département qui a construit le pont de l'île de Ré, je puis vous dire que l'un et l'autre fonctionnent selon la même économie.
Dans les travaux pratiques, il y a toujours des difficultés : après les « Y'a qu'à » et les « Y'faut qu'on », il reste à passer aux actes ! Les actes, quels étaient-ils ? On a fait des forages géothermiques. À l'époque - il y a plus de trente ans -, les foreurs étaient des pétroliers qui ne savaient pas trop comment traiter les réservoirs d'eau, qui ne sont pas éruptifs ; c'est une source de difficulté. On ne savait pas trop quels étaient les bons matériaux pour les tuyaux. Il a fallu surmonter ces difficultés.
Aujourd'hui, il est possible de mettre en oeuvre ces énergies renouvelables car les technologies le permettant sont toutes matures, et françaises de surcroît, ce qui ne gâte rien.
Quand on parle de la production de chaleur, il faut avoir à l'esprit que, depuis plus d'une quinzaine d'années, la consommation énergétique française plafonne à environ 180 millions de tonnes d'équivalent pétrole. Cela signifie que les Français ne gaspillent pas, qu'ils ont mis en oeuvre des mesures visant à économiser l'énergie, que leurs comportements ont changé et que les politiques qui ont été conduites à cet égard ont été efficaces.
La production de chaleur représente plus du tiers de la consommation énergétique française, soit plus de 60 millions de tonnes d'équivalent pétrole. Ce n'est pas rien ! Si l'on trouvait quelque part en France un gisement de gaz ou de pétrole produisant une telle quantité de matière fossile, la presse en ferait ses manchettes pendant toute une année ! Eh bien ce gisement existe !
Depuis les deux chocs pétroliers, les réseaux de chaleur ont été mis en valeur, différentes expériences ont été tentées. Les résultats sont là : ça marche ! Certes, quelques opérations ont échoué, notamment la géothermie en région parisienne. Mais elles sont bien peu de chose par rapport à celles qui ont réussi.
Les réseaux de chaleur, c'est une technique simple et maîtrisée, qui fonctionne. Et, sur le plan financier, c'est également un succès : il faut savoir que les gens qui sont aujourd'hui raccordés à des réseaux de chaleur paient leur énergie moins cher que ceux qui ont opté pour des solutions individuelles, qu'il s'agisse du gaz ou du pétrole.
Où en est-on à ce jour ? Faut-il agir ou non ? Sur quelque travée que nous siégions, nous avons tous la volonté politique de débloquer cette situation. Cette volonté est générale, comme j'ai pu le constater cette année en différentes circonstances. Je sais, madame la ministre, que le Gouvernement partage aussi cette volonté. Il l'a démontré à plusieurs occasions. Alors, il ne reste plus qu'à « faire ». Qui peut « faire » ? Les grosses machines de l'énergie ? Je ne compte pas trop sur elles, peut-être à tort...
Notre pays compte des communes entreprenantes, qui ont la capacité juridique et financière d'agir.
M. Jean-Marc Pastor. Très bien ! Absolument !
M. Claude Belot. Rien n'est plus banal et plus ancien dans le doit communal français qu'une régie gérant un service public à caractère industriel et commercial. J'ai moi-même créé un réseau de chaleur qui fonctionne depuis 1981. Depuis lors, à la satisfaction générale de tous, il a permis la distribution de dizaines de millions de kilowatts, et ce dans le cadre précisément d'une régie gérant un service public à caractère industriel et commercial, elle-même affermée à un grand groupe français. Ces grands groupes disposent maintenant d'un savoir-faire en la matière. Il y a trente ans, ils regardaient cela d'un oeil prudent. Aujourd'hui, ils sont preneurs et ils savent faire !
Le cadre juridique existe donc. Venons-en aux aspects financiers.
N'oublions pas, mes chers collègues, que nous sommes à un moment unique de notre histoire, dont il n'est pas certain qu'il durera très longtemps. En effet, les taux d'intérêt réels, le loyer de l'argent, sont historiquement bas. Sachez que lorsque j'ai mis en place le réseau de chaleur de ma commune, j'ai dû contracter auprès de l'ancienne Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales, la CAECL, un prêt au taux de 16,5 %. Cela nous semble à peine croyable aujourd'hui. Certes, j'ai pu le renégocier, mais, à l'époque les taux étaient élevés.
La technologie existe, ainsi que la ressource. Il ne reste plus qu'à décider les acteurs à « faire ».
Il ne sera guère nécessaire que notre cadre législatif évolue, dans la mesure où nous avons franchi cette année des étapes fondatrices. Lors de la discussion du projet de loi portant engagement national pour le logement, notre collègue Juilhard et moi-même avions déposé un amendement visant à instaurer la TVA à 5,5 % sur l'ensemble de la facture d'un abonné raccordé à un réseau de chaleur ou de froid renouvelable. Bercy n'était pas enthousiaste, mais, de toute façon, le rôle de Bercy est de ne jamais être enthousiaste ! (Sourires.) Le ministre de l'emploi, Jean-Louis Borloo, sentant qu'il serait mis en minorité par un Sénat unanime sur cette question, a finalement accepté de transiger, au terme d'une suspension de séance. Un amendement de consensus élaboré par la commission a alors été adopté, qui a prospéré à l'Assemblée nationale.
Ainsi, les énergies renouvelables bénéficient aujourd'hui d'un taux de TVA plus favorable que celui qui s'applique aux autres sources d'énergie. C'est le signe d'une volonté politique forte en faveur de leur développement.
Un autre amendement a également été adopté visant à alléger et à simplifier la procédure de classement des réseaux de chaleur afin de permettre aux élus locaux d'imposer le raccordement à ces réseaux.
Cette disposition est très importante, quoique certains d'entre vous ou certains groupes n'en aient pas perçu immédiatement la portée. Dorénavant, le maire qui fait un lotissement ou qui lance une opération d'aménagement urbain peut obliger les demandeurs de permis de construire à se raccorder à son système de réseau de chaleur. C'est la garantie d'une meilleure rentabilité.
Ainsi, il n'existe plus guère d'obstacles. C'est l'un des sujets sur lesquels s'accordent tous les responsables politiques français. Personne ne remet ici en cause ce type de solution. Nous sommes prudents, nous savons que personne ne possède une baguette magique. Il faut qu'en une génération, on ait complètement changé en France le « logiciel » de fonctionnement de l'énergie domestique, de l'énergie des bâtiments, bref, de l'énergie fournissant de la chaleur. On a complètement laissé de côté les biocarburants, ce qui ne manquera pas d'entraîner de nombreuses conséquences.
L'action locale joue un rôle très important dans la fabrication des combustibles et dans la mise en valeur de la géothermie. C'est la source de nombreux développements. Ainsi, dans ma petite ville, j'ai construit un établissement thermal, très fréquenté, qui a permis la création de nombreux emplois. Et quand les clients en sont lassés, il leur est toujours loisible de se rendre au casino voisin !
Ne rêvons pas : il n'y aura pas des casinos et des stations thermales partout ! (Sourires.) Cette démarche énergétique a pu être considérée comme étant particulière et a souvent fait rire quand le baril de pétrole valait 15, 20 ou 25 dollars. Pour mesurer le chemin parcouru, il faut se rappeler qu'en 1972, il valait 2,5 dollars !
On tient là une bonne solution pour changer, autant que faire se peut, les données de la géopolitique, et non plus seulement celles de la géopolitique énergétique. Car l'on sait bien que c'est le pétrole qui est responsable du climat d'insécurité qui règne actuellement au Moyen-Orient, en Afrique ou en Amérique du Sud. On sait que ça va mal là où ça pue le pétrole !
Alors, mes chers collègues, il faut nous réunir. Et il faut que les croisés veuillent bien repartir en croisade : c'est le rôle des responsables des collectivités locales, qui ont toujours été présentes quand il le fallait. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - MM. Claude Saunier et Jean-Marc Pastor applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Juilhard, auteur du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales.
M. Jean-Marc Juilhard. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, lorsque le président de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire, Jean François-Poncet, m'a proposé d'être le co-rapporteur d'une étude portant sur les énergies locales et renouvelables, j'ai tout de suite manifesté mon intérêt pour ce sujet de première actualité. J'en ai cependant conçu une certaine appréhension, au regard de mes lacunes théoriques et techniques en la matière.
Pourtant, au fil de nos vingt-neuf auditions et de nos quatre déplacements, j'ai pris un plaisir évident à découvrir ce sujet passionnant et déterminant pour l'avenir de notre pays. J'ai d'ailleurs constaté que de nombreux élus avaient engagé des actions ambitieuses et innovantes pour promouvoir, sur le plan local, des ressources souvent pléthoriques, mais encore largement sous-exploitées, comme l'a dit Claude Belot.
Le rapport recense ainsi de nombreuses bonnes pratiques locales et a pour vocation de servir de guide aux élus.
J'ai notamment été marqué par deux importantes expériences locales.
Le 13 mars dernier, j'ai d'abord eu le privilège de découvrir, non sans une certaine admiration, le système énergétique de Jonzac.
J'espère ne pas froisser la susceptibilité de Claude Belot en explicitant quelques points, que, par modestie, il n'a pas détaillés lorsqu'il nous a fait part de son cheminement durant plus de trente ans.
Depuis 1980, la commune de Jonzac s'emploie à développer l'exploitation des sources d'énergie locales : géothermie et biomasse.
Après le second choc pétrolier, un premier forage, réalisé en 1979, a révélé l'existence, à quelque 1 800 mètres de profondeur, d'eau géothermique d'une température d'environ 65 degrés.
Des analyses effectuées sur l'eau du forage ayant révélé des qualités thérapeutiques intéressantes, une station thermale a vu le jour dans les anciennes carrières de calcaire et est actuellement en plein développement.
Un second forage a été réalisé en 1993 pour chauffer le centre aquatique et ludique de remise en forme appelé « Les Antilles de Jonzac ». C'est aussi, bien sûr, une source de création d'emplois.
En 2002, la ville de Jonzac a décidé de remplacer son usine d'incinération d'ordures ménagères par deux chaudières à bois. Ainsi, ce sont aujourd'hui plus de 10 000 tonnes de combustibles issus de la biomasse, sous forme de bois de rebut déchiquetés, qui sont brûlées chaque année pour assurer les besoins thermiques de 1 800 équivalents logements raccordés à ce réseau. Cela représente, comme le dit couramment notre collègue, un petit pétrolier, et qui ne pollue pas trop.
Ce réseau de chaleur présente un bilan extrêmement positif à tous points de vue.
Sur le plan environnemental, ce système permet d'éviter le rejet de près de 9 000 tonnes de CO2 dans l'atmosphère, ce qui n'est pas négligeable.
Sur le plan social, il a permis la création nette directe d'une dizaine d'emplois. Il faut y ajouter les emplois induits - hôtellerie, restauration, thermes, casino -, dont le nombre s'élève aujourd'hui à près de 165. (M. Claude Belot acquiesce.)
Sur le plan financier, l'opération s'est révélée réussie et le remboursement du réseau de chaleur est quasiment achevé. Quant aux activités touristiques induites, elles assurent le tiers des recettes de fonctionnement de la commune. La rentabilité pourrait d'ailleurs être encore améliorée à l'avenir par le développement de cultures énergétiques : pins, eucalyptus, saules, etc.
Ces réalisations remarquables sont socialement, économiquement et écologiquement très intéressantes et reproductibles.
Nous nous sommes ensuite rendus en Suède, où j'ai découvert l'impressionnant système mis en place par la ville d'Enköping.
Dans cette municipalité de 20 000 habitants, située à 70 kilomètres au nord-ouest de Stockholm, une centrale à biomasse chauffe 95 % de la population et couvre 60 % des besoins de la ville en électricité via un procédé de cogénération. L'industrie forestière locale fournit 80 % du combustible nécessaire, sous forme de copeaux, écorces et sciures de bois. Les 20 % restant proviennent de cultures énergétiques fournies par des saules à rotation rapide. Il faut noter que la chaufferie d'Enköping n'utilise aucune énergie fossile, même en appoint.
Au final, compte tenu de la « fiscalité carbone » appliquée en Suède, l'utilisation des ressources locales a permis de diviser par trois la facture de chauffage pour les habitants et de créer emplois et activités d'importance.
Enköping n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres de valorisation intelligente des ressources locales, et il est remarquable de noter que la Suède entend couvrir 100 % de ses besoins en chaleur par des énergies renouvelables d'ici à 2020.
À l'instar de la Suède, la France n'a pas de pétrole, mais elle a des collectivités territoriales ! (Sourires.) Nous souhaitons les aider non seulement à réfléchir sur cette question, mais à agir. En effet, aucune action d'envergure dans le domaine énergétique ne pourra être menée sans une forte implication des élus locaux. Les collectivités doivent développer les énergies locales et mettre en oeuvre des actions d'« intelligence territoriale ».
Compte tenu de la place de l'électricité et de l'importance du nucléaire dans sa production, les collectivités territoriales doivent prioritairement agir dans le domaine de la chaleur.
La chaleur représente le premier besoin énergétique en France, loin devant l'électricité spécifique, c'est-à-dire celle qui ne peut être remplacée par aucune autre énergie. Or la chaleur est aujourd'hui couverte à 80 % par des énergies fossiles qui affaiblissent notre pays sur les plans économique et géopolitique et qui contribuent puissamment au dérèglement climatique. Il faut donc se garder de tout « électrocentrisme ».
Les collectivités peuvent s'appuyer sur des ressources territoriales considérables, formant un bouquet énergétique riche et varié.
Deux exemples m'ont particulièrement frappé.
En premier lieu, la biomasse représente en France un gisement considérable de chaleur d'origine renouvelable. La forêt française regorge de potentialités. Avec 15 millions d'hectares, elle occupe actuellement 27 % du territoire national. Sa superficie a doublé depuis deux siècles. Loin d'être menacée de disparition comme on l'entend parfois, la forêt française est même en croissance continue : la surface de la forêt augmente dans notre pays de 30 000 à 82 000 hectares par an. Selon les estimations actuelles, le tiers de l'accroissement annuel de la biomasse forestière n'est pas valorisé.
Le potentiel énergétique de l'agriculture est, lui aussi, considérable : les déchets d'élevage et les sous-produits agricoles - pailles de céréales, tiges de maïs, sarments de vigne, etc. - sont abondants, et des cultures énergétiques dédiées sont en train de faire leur apparition, à Jonzac et ailleurs.
Ainsi, les agriculteurs et forestiers d'aujourd'hui pourraient devenir demain de véritables producteurs d'énergie.
En second lieu, la géothermie, « trésor énergétique sous nos pieds », est l'énergie produite par la chaleur interne de la terre. Les potentialités de cette source d'énergie sont considérables, notamment en Île-de-France, en Aquitaine, et même en Auvergne, en Limagne notamment. Or la technologie est aujourd'hui parfaitement maîtrisée, le risque géologique connu et la rentabilité économique garantie.
Cet état des lieux que nous avons établi nous a conduits à formuler de nombreuses recommandations. J'en citerai trois qui me paraissent particulièrement importantes.
La première recommandation concerne la fiscalité énergétique.
Pour favoriser le recours aux énergies renouvelables thermiques, et en particulier la chaleur collective, il convient de mettre en place dès à présent un cadre fiscal incitatif.
Il faut en effet rappeler que l'« éco-électricité », la chaleur renouvelable individuelle, les biocarburants et les économies d'énergie disposent déjà, quant à eux, d'outils financiers avantageux.
En revanche, la chaleur collective n'a longtemps bénéficié d'aucun régime incitatif. C'est pourquoi, avec mon collègue Claude Belot, nous avons soutenu, lors des débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, un amendement tendant à introduire une TVA à taux réduit, que M. Belot vient d'évoquer avec le brio qui le caractérise.
De même, il faut se réjouir de l'adoption au Sénat, le 27 novembre dernier, lors de l'examen du budget, de l'amendement visant à ce que le Gouvernement présente au Parlement, avant le 1er septembre 2007, un rapport sur la création d'un fonds de développement de la chaleur renouvelable.
Il me paraît souhaitable, madame le ministre, que ce fonds soit alimenté par un prélèvement sur les recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, par une contribution aux charges de service public du gaz ainsi que par les ressources provenant de la taxe charbon que le Premier ministre a annoncé vouloir mettre en place.
Deuxième grande recommandation : donner à l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, un rôle de coordination et de fédération.
Les pouvoirs publics ont eu tendance, ces dernières années, à multiplier les structures administratives compétentes à des degrés divers dans le domaine des énergies renouvelables. Je ne les citerai pas, mais il en existe une dizaine.
Ne pensez-vous pas, madame le ministre, que notre administration aurait besoin, au contraire, d'une structure fédératrice, forte et transversale ? Il conviendrait, dans une perspective de simplification, de rationalisation et d'efficacité, de conférer à l'ADEME un rôle de coordination et de fédération de toutes ces structures.
Pour notre part, nous suggérons de renforcer les moyens humains et financiers des délégations régionales de l'ADEME, qui relaient si efficacement l'action nationale et qui n'ont pas d'équivalent en Europe.
La troisième recommandation importante est de former les professionnels.
Les diverses auditions ont permis de constater que le secteur des énergies renouvelables et des économies d'énergie manquait actuellement de professionnels qualifiés. Certaines entreprises spécialisées dans les réseaux de chaleur ont même déclaré qu'elles connaissaient de réelles difficultés de recrutement. Aussi, la formation initiale et continue de toute la chaîne des professionnels qualifiés - architectes, bureaux d'étude, installateurs-réparateurs, gestionnaires de service énergétique - constitue aujourd'hui un véritable enjeu pour notre pays.
Certes, Claude Belot et moi-même nous félicitons de la nouvelle obligation d'établir un diagnostic énergétique des logements lors de leur vente ou de leur mise en location. L'un des grands avantages de ce mécanisme est d'inciter les sociétés de service énergétique à développer une forte compétence en matière de sobriété énergétique et d'énergies renouvelables.
Toutefois, ces premières avancées doivent être encouragées et amplifiées, et nous estimons indispensable d'améliorer la formation initiale des futurs professionnels de l'énergie.
Le premier effort de l'État devrait porter sur les écoles d'architecture. Curieusement, mes chers collègues, celles-ci sont sous la tutelle, non plus du ministère du logement, mais du ministère de la culture. Elles se sont orientées vers une formation patrimoniale, et non énergétique. Or les deux dimensions doivent être mariées, comme l'a justement rappelé au cours de son audition M. Alain Liébard, président de l'Observatoire des énergies renouvelables, et par ailleurs professeur d'architecture à l'école de Paris-La-Villette. Nous souhaitons que les écoles d'architectes soient désormais placées sous la double tutelle des ministères du logement et de la culture, et que l'enseignement soit fortement orienté vers l'« éco-habitat ». De même, les architectes des bâtiments de France doivent suivre une formation tant énergétique que patrimoniale.
Enfin, et j'en terminerai par là, la formation initiale doit être relayée par des actions fortes de formation continue. Nombreux sont les organismes qui oeuvrent dans le domaine des énergies nouvelles et qui sont en mesure d'assurer de telles formations. Citons les agences locales de l'énergie - telles que l'ADUHME, l'Association pour un développement urbain harmonieux par la maîtrise de l'énergie, sur le bois-énergie en Auvergne, que connaît bien Mme la présidente -, les délégations régionales de l'ADEME, les associations - parmi lesquelles le Comité de liaison des énergies renouvelables -, voire des structures ad hoc comme Biomasse Normandie.
Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques-unes des pistes évoquées par notre rapport pour tendre vers un objectif ambitieux mais réaliste : couvrir 80 % de nos besoins thermiques à partir d'énergies renouvelables d'ici une génération, et 100 % d'ici deux générations. Tout cela est possible, et nous comptons sur les engagements et sur un investissement fort des collectivités locales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laffitte, auteur de la question orale avec débat relative à la transition énergétique et au plan climat.
M. Pierre Laffitte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la conférence des présidents ait décidé d'inscrire cette question orale avec débat relative à la transition énergétique et au plan climat à l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui, et je voudrais l'en remercier.
Mon intervention portera essentiellement sur le rapport que Claude Saunier et moi-même avons rédigé pour le compte de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il est paru au mois de juin dernier, à la suite d'un colloque organisé au Sénat qui a eu un immense succès et auquel de nombreuses personnalités des secteurs industriel et scientifique, ainsi que du monde régional, étaient présentes.
Ce rapport, qui est intitulé : « Les apports de la science et de la technologie au développement durable - Changement climatique et transition énergique : dépasser la crise », comporte un sous-titre : « alerte rouge ». Pourquoi ? Tout simplement parce que nous considérons que notre planète se trouve dans une situation extraordinairement dangereuse et va à la catastrophe.
Certes, ce propos n'apparaît pas original aujourd'hui. Ni au sein du Parlement puisque d'autres rapports ont vu le jour entre-temps, notamment celui de nos collègues de l'Assemblée nationale, ainsi que l'excellent rapport qui vient de nous être présenté par MM. Belot et Juilhard, sur le problème particulier des collectivités locales. Ni dans l'opinion publique car la presse ou même les films en parlent désormais, et c'est heureux. Mais sans proposer d'actions précises.
Dans notre rapport, nous évoquons les collectivités locales, acteurs privilégiés dans ce domaine, car la mobilisation générale de toutes les compétences et toutes les volontés est nécessaire pour permettre à notre pays de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, comme le souligne le rapport qui vient d'être publié sous l'égide de votre ministère, et du ministère de l'économie et des finances et de l'industrie, intitulé : « Division par quatre des émissions de gaz à effet de serre de la France à l'horizon 2050 ». Le plan Climat français est exemplaire. Il faut que les décisions d'application suivent.
Ce rapport explicite le fait que l'on peut diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Telle est également notre conclusion : cet objectif est possible. Il devrait à notre avis être atteint avant 2050 pour servir d'exemple et entraîner par là même l'Europe puis la planète.
Nous avons parcouru le monde, auditionné pendant plus de mille heures des centaines de personnes, visité une centaine d'organismes spécialisés, les meilleurs centres de recherche mondiaux, en Chine, au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis. Tous nous disent : il est urgent de réagir. Il faut une volonté politique.
Pour l'essentiel, nous savons déjà ce qu'il faudrait faire. Il est bien entendu nécessaire de renforcer encore les compétences scientifiques pour savoir de façon plus précise dans quelles conditions ce changement de climat va se présenter.
Le problème ayant une dimension planétaire, il faut, notamment pour étudier l'évolution climatique et ses conséquences hydrologiques qui correspondent à des points particuliers, des moyens de calcul cent fois plus puissants qu'actuellement. C'est techniquement possible. C'est une question de volonté politique.
Aux États-Unis, cette volonté politique se développe fortement non pas à l'échelon fédéral, mais dans un certain nombre d'États et dans soixante grandes villes, telles New York et Los Angeles. À nos yeux, ce changement politique est largement dû au fait que la population a suivi l'avis de scientifiques et d'industriels, plutôt que celui du gouvernement fédéral.
Nous estimons que la même chose doit se produire en Europe. J'ai piloté une opération franco-allemande en matière de politique énergétique. À cette occasion, j'ai appris que, pour la première fois, un ministre allemand en exercice avait osé évoquer la remise en question du contrat passé entre le gouvernement allemand et les industriels, visant à sortir du nucléaire, alors que 26 % de la production allemande d'électricité est aujourd'hui d'origine nucléaire et que les Verts allemands voudraient éliminer complètement le nucléaire.
Cette politique anti-nucléaire est une véritable hérésie : L'Allemagne, signataire du protocole de Kyoto, est désormais obligé de multiplier les centrales au charbon, voire au lignite, qui ont des effets considérables sur l'évolution du climat. Elles ont également contribué au récent black-out.
Pourquoi ce black-out ? Il a été dû en partie au fait que certains développements énergétiques locaux, notamment les éoliennes, ont conduit à des problèmes complexes en matière de gestion des transports d'électricité.
Quantité d'éléments scientifiques peuvent nous guider pour piloter de façon énergique la totalité des actions nécessaires.
Notre rapport, que vous connaissez, madame la ministre, développe le contenu de ces actions et tire vingt-sept conclusions, un peu plus précises que celles figurant dans le rapport qui vient de nous être présenté.
En effet, notre analyse de la situation nous a conduits à évoquer des points qui n'apparaissent malheureusement pas dans le rapport sur le plan Climat, en particulier celui qui concerne le coût des dégâts liés au climat.
Ce coût est encore mal connu. Selon notre rapport, il sera de l'ordre de 6 % du produit intérieur brut mondial d'ici à une quinzaine d'années. Depuis nos travaux, le rapport Stern, dont la presse s'est fait largement l'écho, a cité des chiffres comparables, fondés sur des analyses qui ne sont ni plus précises ni meilleures ni moins discutables que les nôtres.
Il s'agit là d'un ordre de grandeur, mais il est inquiétant : 6 % du PIB, cela signifie que l'Europe et les États-Unis vont entrer dans une récession. Il en va de même pour des pays comme la Chine et l'Inde. Et pourtant, je pense que des travaux énormes devront être engagés, en particulier à titre de prévention contre des événements prévisibles dont la répétition sera d'autant plus dangereuse que les mesures seraient plus tardives.
Je prends l'exemple de l'eau : grâce à vous, madame la ministre, nous avons introduit, dans le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, la notion de changement de climat. Les organismes de gestion de l'eau, notamment les agences de l'eau, devront tenir compte des périodes de sécheresse de plus en plus longues, alternant avec des pluies diluviennes, donc la survenue des crues.
On sait qu'il est possible d'augmenter les ressources en eau en développant des barrages collinaires là où c'est possible, prévoir des bassins d'étalement des crues et, surtout, conduire une politique d'aménagement du territoire qui soit cohérente avec le phénomène des crues.
Il m'apparaît en effet inadmissible de reconstruire les villes sur le même emplacement si elles sont inondées chaque année, notamment dans les régions méditerranéennes, les Gardons ou telle partie du Var. Les plans locaux d'urbanisme, les PLU, doivent en tenir compte.
Par ailleurs, il est essentiel que ces plans locaux d'urbanisme tiennent compte également du changement de climat, ainsi que de la transition énergétique, c'est-à-dire de la nécessité de remplacer bon nombre de déplacements en voitures par des transports en commun.
À l'évidence, ce sont encore les collectivités locales qui seront au premier plan, puisqu'elles devront veiller à substituer au mitage du territoire la densification d'un certain nombre de lieux afin d'assurer la rentabilité des transports en commun.
L'industrie doit également se préparer à des changements, tout comme l'agriculture qui doit utiliser des produits moins dépendants de la pluie et de l'irrigation - ce qui est parfaitement possible -, ou encore les transports.
Nous devons tous nous préparer à ces changements draconiens, sous peine d'aller dans le mur.
Les moyens que je viens de décrire, comme ceux qui ont été évoqués tout à l'heure par M. Belot, nous permettront de nous y préparer, mais ils peuvent être étendus.
Je pense aux énergies solaires thermiques et photovoltaïques, à nombre d'énergies susceptibles de remplacer les combustibles fossiles qui vont de toute façon disparaître dans deux ou trois générations.
Avons-nous le droit de consommer tout le pétrole, tout le gaz que la terre a mis des millions d'années à faire, qui sont des matières premières et non pas des combustibles ? Brûler du gaz ou du pétrole, c'est une hérésie ! Ces matières premières représentent beaucoup plus que leur valeur énergétique.
En revanche, le soleil, le vent, la mer, les vagues en offrent des quantités ! Il y a aussi ce que l'on appelle les « négawatts », c'est-à-dire des économies d'énergie qui sont considérables, lesquelles représentent plus de 20 %.
D'où la nécessité d'une planification, et ce sera le dernier point que j'évoquerai.
Il faut un grand programme sur une quinzaine d'années, s'inscrivant dans l'esprit du plan Climat, pour que la France soit porteuse d'un projet pour l'humanité.
Comme nous l'étions dans les années grandioses du siècle des Lumières, soyons exemplaires pour l'Europe, pour son avenir, afin de lui donner la possibilité de se libérer de la menace du chantage énergétique exercé par certains pays que nous connaissons bien, mais aussi de créer des richesses et de nombreux emplois.
Cela passe par un effort de formation systématique à tous les niveaux, dans tous les domaines, qu'il s'agisse du bâtiment, de la gestion, de l'aménagement du territoire, ou encore du télétravail permettant de réduire les trajets quotidiens.
Nous pouvons devenir les meilleurs ; ne nous privons pas de cette possibilité de développement de potentialités exceptionnelles ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons deux défis à relever qui sont liés : le défi énergétique et le défi que je qualifierai de climatique.
À écouter les orateurs qui viennent de s'exprimer, au fond, les solutions sont là et tout va bien. J'ai bien peur de développer des idées qui n'iront pas dans le sens de cet optimisme.
La nécessité de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et les conséquences dramatiques que pourrait avoir le réchauffement climatique est un diagnostic globalement partagé. Les divers rapports parlementaires, particulièrement ceux qui émanent de nos éminents collègues, les rapports des scientifiques, voire des économistes, tous s'accordent pour conclure que l'amplification de l'effet de serre, liée aux activités humaines, va bouleverser les économies et provoquer des répercussions graves sur les populations.
L'un des derniers rapports en date, le rapport Stern, est des plus alarmants. Il estime entre 5 % et 20 % du PIB mondial, soit à plusieurs milliers de milliards d'euros, le coût potentiel d'un changement climatique majeur qui pourrait survenir dans les prochaines décennies.
Les conséquences économiques seraient désastreuses. Les conséquences sociales et politiques à l'échelon mondial pèseraient très lourd dans l'addition : déplacement massif d'individus, instabilités politiques, guerres liées aux ressources naturelles devenues rares, etc.
Rappelons que l'Observatoire national des effets du réchauffement climatique, l'ONERC, est né d'une proposition de loi déposée par notre ancien collègue réunionnais Paul Vergès et adoptée à l'unanimité par le Parlement français. Sa création montre que, déjà à l'époque, le sujet était devenu incontournable : on ne peut pas écarter cette préoccupation du débat politique.
Les parlementaires dans leur ensemble, ou presque, s'accordent pour constater qu'il est urgent de prendre des mesures nationales et internationales dans ce domaine, même si, il faut bien le reconnaître, dans chaque groupe parlementaire se trouvent toujours des personnes sceptiques qui affirment que l'on exagère et que l'on trouvera une solution... le moment venu !
Pourtant, nos concitoyens, eux, ne se trompent pas et placent cette question au deuxième rang de leurs préoccupations.
Bien sûr, des changements climatiques ont déjà eu lieu par le passé ; mais on assiste aujourd'hui à une accélération inquiétante du phénomène, et la brutalité du changement est particulièrement préoccupante : la perspective d'un réchauffement massif et rapide de la Terre évoquée dans le rapport n'est malheureusement pas une hypothèse d'école. C'est pourquoi nous devons agir, et vite.
De notre point de vue, seule une action d'envergure internationale serait efficace pour éviter cette catastrophe annoncée.
À l'heure actuelle, quels sont les outils à notre disposition ? Évidemment, on pense d'abord au protocole de Kyoto, qui entérine une logique que nous avions en son temps condamnée puisqu'elle consiste à laisser faire le marché. Cependant, ce traité n'en a pas moins le mérite d'exister ; il faut donc l'exploiter au maximum de ses possibilités.
Du sommet de La Haye, en mars 1989, au sommet de Kyoto, en décembre 1997, en passant par le sommet fondateur de Rio de Janeiro, en juin 1992, la France a figuré parmi les premiers pays à militer pour des engagements fermes de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Elle doit continuer de montrer la voie et faire agir la communauté, qui doit peser plus fortement à l'échelon mondial.
Malheureusement, la dernière conférence sur l'environnement, celle de Nairobi, ne laisse pas beaucoup de place à l'optimisme. Le protocole de Kyoto devrait être révisé d'ici à 2008 afin d'élargir l'accord de réduction des gaz à effet de serre à des pays comme l'Inde et la Chine. Rappelons que, même si certaines villes ou États ont déjà pris des positions contraires, les États-Unis ont refusé en 2005 de soumettre le traité à ratification parce que l'administration Bush considérait que cela freinerait l'activité économique du pays. Les États-Unis sont pourtant le plus gros émetteur, pour environ 23 %, de gaz à effet de serre.
La conférence de Nairobi, il faut bien l'admettre, est globalement décevante. Les pays participants ont reconnu l'importance de conclure un nouvel accord pour réduire les émissions, mais le détail des mesures effectives a été renvoyé à une date ultérieure. Il est clair qu'en cas de conflit d'intérêts - l'attitude des États-Unis que je citais le montre, et je ne vois pas de contre-exemple - l'économique l'emporte toujours sur le social et sur l'environnemental.
Quant au plan climat 2004, sans entrer dans le détail, si les mesures qu'il contient sont intéressantes - communication, éducation, crédit d'impôt, développement des biocarburants -, je ne suis pas certaine qu'il suffira pour apporter des solutions satisfaisantes.
En outre, donner à penser que promouvoir l'initiative individuelle tout en laissant faire le marché est de nature à régler la question n'est pas à mes yeux une attitude responsable. C'est d'une politique publique à l'échelle nationale, à l'échelle européenne, à l'échelle mondiale que nous avons besoin, et certainement pas d'un transfert de la responsabilité de l'État sur les particuliers ou sur les collectivités territoriales. Bien sûr, nos concitoyens doivent être sensibilisés ; bien sûr, les collectivités territoriales, nos collègues l'ont souligné, ont leur rôle à jouer. Pour autant, cela ne suffit pas.
De la même façon, si les politiques dites de développement durable au sein des entreprises, qui ont été elles aussi sensibilisées, permettent de faire évoluer les mentalités, elles restent prisonnières de la logique de marché : tant que l'on n'intègre pas le coût social et environnemental dans le coût des activités économiques, on va à l'inverse d'une démarche de développement durable.
Ceux qui produisent de la richesse ne veulent pas assumer les dommages qu'ils occasionnent : il suffit de se rappeler les difficultés rencontrées par les communes pour obtenir réparation des dégâts causés par les pétroliers sur leurs côtes !
Rappelons aussi les drames du plomb : l'usine Metaleurop s'en est allée, laissant là des centaines de familles sans travail, mais aussi victimes du saturnisme. Le plomb n'empoisonne pas seulement les salariés : il se dépose en poussière sur les champs, sur les jardins, il s'écoule dans la rivière, contamine les sédiments et l'eau... Hélas, nous pourrions multiplier les exemples de ce genre !
Aujourd'hui, les industries ne sont pas toutes prêtes à accepter de prendre en compte des coûts induits par leur activité. Il faut se battre, et vous le savez bien, pour obtenir des réparations. Seules des politiques cohérentes et responsables sont à même de réduire notre important et multiforme gaspillage énergétique.
Prenons l'exemple de la politique des transports : plus d'un quart des émissions de gaz à effet de serre en France est dû aux transports ! Le secteur routier est responsable à lui seul de 84 % de ces émissions. Le rail est un mode de transport plus économe en énergie et moins polluant. Pourtant, force est de constater le sous-investissement chronique de l'État, lequel aboutira à la suppression de 60 % des lignes d'ici à 2025. Quant au fret ferroviaire français, il n'a pas été soutenu comme il aurait été nécessaire qu'il le fût.
Le Premier ministre évoque une taxe « carbone » européenne à l'importation, alors même que les instances européennes jugent insuffisants les quotas de réduction imposés aux industriels. Ainsi, le Commissaire européen à l'environnement se réjouissait que la France propose un nouveau plan de quotas de CO2 pour améliorer le plan initial. Croyez-vous que cela suffira pour aller dans le sens d'une promotion efficace du développement durable ?
Celui-ci avait été défini par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement, dans le fameux rapport Brundtland, comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Mais on omet souvent de citer la fin de la définition de 1987, qui précise : « Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept du ?besoin?, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »
À l'échelle mondiale, ce sont bien sûr les pays les moins développés et les écosystèmes les plus vulnérables qui seront les premières victimes du changement climatique. Lors de la conférence de Nairobi, l'Inde a d'ailleurs renvoyé les pays du Nord à leur « responsabilité historique en matière de pollution ».
Pour répondre aux enjeux écologiques, il faut transformer la société, et ce selon deux axes : la solidarité et la prise en compte des coûts humains et environnementaux dans le coût général des activités.
C'est pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen en appellent à des politiques publiques volontaristes et ambitieuses en rupture avec la stricte logique de rentabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Saunier.
M. Claude Saunier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord dire ma très vive satisfaction de participer à ce débat et d'avoir entendu les orateurs qui m'ont précédé aborder avec beaucoup de sérieux la question de l'énergie au travers de la problématique locale et, d'une façon générale, la problématique de l'environnement.
Je voudrais aussi, une fois n'est pas coutume, remercier très chaleureusement et très confraternellement, moi qui suis sénateur socialiste, un parlementaire de la majorité, Pierre Laffitte, qui a eu l'heureuse initiative de provoquer ce débat par sa question orale. Cela entre dans une sorte de stratégie commune que nous avons mise au point ensemble, voilà maintenant quelques mois - car nous sommes complices. Nous avons en effet considéré que l'environnement est aujourd'hui l'une des clefs centrales pour ce qui est de l'avenir de l'humanité.
Nous avons constaté que l'opinion publique, en particulier la « classe politique », comme on l'appelle, ignorait l'ampleur des risques et des enjeux. Nous avons donc voulu, au travers d'un rapport commun sur le développement durable, poser un certain nombre de constats avec force, avec détermination, et oser quelques propositions que Pierre Laffitte a bien voulu évoquer.
Notre intuition me semble en effet plus que jamais justifiée, et deux études d'opinion l'ont confirmé ces deux derniers jours : l'environnement, cela a été indiqué, apparaît nettement comme étant placé au deuxième rang des préoccupations de nos concitoyens, après la première, légitime, qui est celle de l'emploi.
En retour, et cela doit nous pousser à nous interroger, nos concitoyens créditent les « grands partis de gouvernement », comme on les appelle, d'un zéro pointé, ainsi que l'a souligné un grand quotidien du soir, dans leur capacité à répondre à cette préoccupation. C'est là une question qui ne peut laisser aucun de nous indifférent.
Certes, les lignes commencent à bouger. Le débat que la conférence des présidents a bien voulu organiser est bienvenu. Mais il est encore très insuffisant, car il ne répond ni aux attentes de nos concitoyens ni aux enjeux planétaires. Avec Pierre Laffitte, j'ai écouté beaucoup de scientifiques, recueilli de nombreux témoignages : le mot qui me vient spontanément à l'esprit, alors que je n'avais pas cette sensibilité, cette préoccupation particulière quant à l'avenir de la planète, est le mot « terrifiant ».
Les faits sont têtus, et les chiffres sont véritablement terribles. Vous me pardonnerez, madame la ministre, mes chers collègues, d'évoquer des choses que tout le monde a maintenant en tête, mais nous sommes là dans une réunion officielle, et il faut qu'elles soient actées.
Le réchauffement de la planète d'ici à la fin de ce siècle est estimé, pour les quelques décennies qui viennent, à au moins trois degrés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, qui va rendre dans quelques semaines ses nouvelles conclusions, définitives cette fois, et qui va probablement réviser à la hausse ses prévisions antérieures.
Vous me direz que trois degrés, ce n'est pas grand-chose. Ayant enseigné l'histoire et la géographie pendant quelques années, j'ai appris à mes jeunes élèves que la température moyenne de la Terre, entre la dernière glaciation et aujourd'hui, s'était élevée de cinq degrés. Concrètement, trois degrés de plus, cela signifie qu'une autre planète est en train de naître sous nos yeux.
Nous sommes par ailleurs en train de travailler actuellement sur la question de la biodiversité : selon les spécialistes, elle s'effondre à un rythme qui est de 100 à 1 000 fois supérieur au rythme normal des extinctions d'espèces. On assiste aujourd'hui à une véritable rupture de la chaîne de la vie, comparable aux grandes ruptures biogéologiques, mais plus rapide, et donc plus brutale.
Je voudrais souligner qu'il ne s'agit pas là d'annonces spectaculaires de journalistes en mal de titres, en mal de copie : il s'agit du témoignage croisé, convergent de tout ce que notre planète compte d'autorités scientifiques. La communauté scientifique internationale, en effet, s'accorde sur ce diagnostic, et je reprends le mot, terrifiant.
De même, les origines de cette atteinte à l'intégrité de notre planète sont maintenant clairement établies : c'est l'humanité elle-même qui est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. Ce qui est en cause, c'est notre mode de production, c'est l'aveuglement qui nous conduit à bâtir notre opulence d'aujourd'hui sur l'épuisement des ressources de la planète, c'est l'utilisation inconsidérée, en deux ou trois siècles, des réserves d'énergies fossiles qui ont mis des centaines de millions d'années à se constituer. Tout cela est connu et, si je le rappelle, ce n'est que pour jalonner la progression de notre réflexion.
Il ne peut y avoir, à l'égard de l'opinion publique, à l'égard de nos concitoyens, aucune ambiguïté sur ce qui nous attend : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Oui, nous avons été prévenus ; oui, nous avons été alertés ; oui, cela va plus vite, beaucoup plus vite que ce que l'on nous annonçait voilà seulement une dizaine d'années, qu'il s'agisse du réchauffement du climat, de l'épuisement des énergies fossiles, de l'effondrement des ressources de la mer... Chaque semaine apporte des études qui vont dans le même sens.
Comme l'a souligné à juste titre Pierre Laffitte, cela a un coût.
La première vertu de l'approche monétariste est la pédagogie. Pierre Laffitte et moi-même, nous sommes donc demandé comment nous allions faire passer ce message du coût de la dégradation des grands équilibres planétaires.
Nous avions fait une première estimation qui s'appuyait sur l'étude de compagnies d'assurance allemandes, aboutissant en effet au chiffre d'environ 5 000 milliards d'euros qui a été avancé, consolidé avec éclat par le rapport Stern, soit 5 500 milliards de dollars par an.
Ce montant ne veut pas dire grand-chose, cela représente entre 5 % et 20 % du PIB mondial, mais le rapport Stern est plus précis et plus pédagogique : il évoque l'équivalent du coût pour l'économie mondiale du krach boursier de 1929, ou du coût des Première et Seconde Guerres mondiale.
Ce sont véritablement des chocs terribles qui attendent l'humanité, et il va falloir payer rapidement, beaucoup plus rapidement qu'on ne l'imaginait voilà encore peu de temps.
Déjà, on nous annonce - il y a convergence des experts sur ce point - le début de la réduction de l'exploitation des hydrocarbures, le peak oil - que l'on envisageait assez loin encore -, aux alentours de 2035, 2040, 2045 ; c'est très proche car 2040, 2050, techniquement et économiquement, c'est demain.
La revue Nature vient de publier un rapport selon lequel la fin de l'exploitation des ressources halieutiques est envisagée pour 2050. Je rappelle qu'elles fournissent l'essentiel de leurs protéines alimentaires à des milliards d'hommes et de femmes.
En un mot, le temps s'accélère, joue contre nous et nous avons donc très peu de temps pour réagir.
Face à cette réalité, que faisons-nous ?
Bien sûr, les bonnes intentions s'enchaînent, s'accumulent : les conférences, les déclarations. Nous avons tous entendu - je le dis sans aucune arrière-pensée maligne - la superbe déclaration du Président Chirac à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. ».
Il est important qu'un homme politique comme le président de la République affiche cette préoccupation sur une scène internationale, et cela nous vaut un regard positif et reconnaissant de la part de la communauté internationale.
Des mesures symboliques ont été prises, mais, je le dis avec regret, madame la ministre, s'il y a les grandes intentions, les grandes déclarations, les actes symboliques et sympathiques, comme la taxe sur le kérosène qui va dans le bon sens, il y a aussi un certain nombre de faiblesses dans l'action gouvernementale, vous ne pouvez l'ignorer. Je pense, et la presse en a parlé, à la condamnation pour le retard pris dans la production des dossiers Natura 2000.
M. Claude Saunier. Le débat est ouvert, madame, et si mes informations sont erronées, je suis prêt à le reconnaître.
Je pense également à la condamnation pour le retard pris dans la mise en oeuvre du dispositif de publication des cultures d'OGM, avec une amende de 34 millions d'euros, plus des astreintes journalières qui vont coûter cher. Et puis, il y a les difficultés pour appliquer les quotas de CO2 au regard du protocole de Kyoto.
M. Claude Saunier. Bref, il y a dans l'action gouvernementale un certain nombre d'incertitudes. Mais je voudrais éviter de polluer notre débat par des considérations qui, si elles méritent d'être posées, me semblent subalternes par rapport aux enjeux.
Globalement, au niveau de la planète, à l'évidence, l'action de l'ensemble des gouvernements fait que le compte n'y est pas. L'humanité continue à polluer, à épuiser, à altérer. Notre planète est irrémédiablement dégradée, cette planète que nous avons la responsabilité de laisser à nos enfants et à nos petits-enfants.
Il est indispensable de passer aux actes, qu'il s'agisse de l'action locale, concrète, où les collectivités territoriales jouent un rôle irremplaçable, qu'il s'agisse d'une vision beaucoup plus générale, et je rejoins les propos de notre collègue Évelyne Didier, dans cette préoccupation d'avoir une stratégie beaucoup plus globale.
Permettez-moi d'évoquer deux ou trois pistes de réflexion qui peuvent servir de guide à notre action.
Nous avons la responsabilité de poser le problème là où il se situe, c'est-à-dire au niveau mondial, car la réponse ne peut qu'être mondiale. Il appartient à la France et il nous appartient aux uns et aux autres - je rejoins sur ce point Pierre Laffitte qui souhaite que la voix de la France s'exprime avec force sur la scène internationale - de poser la question de l'intégration, dans les règles du commerce international, de la dimension environnementale.
Il n'est plus possible d'accepter de consommer des produits délibérément bon marché qui provoquent du chômage chez nous et de la pollution ailleurs. Il s'agit d'une contradiction majeure, et je pense d'ailleurs qu'il y a là des éléments de convergence qui doivent nous rassembler.
Il faudra également revoir radicalement les modalités d'application du protocole de Kyoto. C'était une première étape, une première démarche qui allait dans le bon sens, la prise de conscience de la nécessité de mobiliser la planète sur cette question était indispensable.
Toutefois, je ne suis pas convaincu que le marché seul soit de nature à répondre à la problématique des grands équilibres planétaires - je suis même convaincu du contraire - et j'observe que dans la communauté internationale on parle de plus en plus de fiscalité mondiale et d'une taxe « carbone » au niveau mondial. C'est une réflexion qu'il faudra engager et il s'agit, à mon avis, d'une piste féconde.
Poser le problème à l'échelon mondial, cela veut dire, bien sûr, s'appuyer sur les outils qui nous permettent d'être réellement entendus au niveau mondial et l'outil majeur, c'est évidemment l'Europe, qui, sur notre initiative, doit jouer un rôle déterminant dans la construction de ce nouvel ordre environnemental planétaire.
Le chantier de l'énergie serait d'ailleurs excellent pour permettre à l'Europe de sortir de la crise et de l'enlisement dans lequel elle se trouve aujourd'hui. Ici même au Sénat, voilà une quinzaine de jours, Jacques Delors réunissant un certain nombre de responsables européens, a proposé de lancer au niveau européen le chantier de l'environnement et de l'énergie.
Mais cela ne doit pas nous dispenser d'un engagement national déterminé.
Pierre Laffitte a évoqué la nécessaire planification. J'évoquerai, pour ma part, la volonté forte d'une politique énergétique globale, fondée sur la diversification des apports, sans faire l'impasse sur le nucléaire car il est nécessaire d'avoir une attitude responsable sur l'approvisionnement énergétique, quand on voit l'impasse dans laquelle se trouve l'Allemagne sur cette question.
Il sera également nécessaire de hiérarchiser nos efforts. Oui, à la diversification, mais oui, en priorité, à l'exploitation de cet immense gisement énergétique que constituent les économies d'énergie. Et là, il y a un effort tout à fait considérable à fournir et des perspectives très concrètes s'offrent à nous.
Par ailleurs, nous devrons réfléchir à l'adaptation des dispositifs administratifs et politiques français à ce qui devra constituer une priorité, un axe majeur du Gouvernement.
On parle beaucoup de vice-Premier ministre. Au-delà de l'anecdote, retenons qu'il s'agit, de la part d'un certain nombre de personnalités qui se préoccupent de ces questions environnementales, de marquer symboliquement la place que doit avoir l'environnement dans le dispositif politique national.
J'évoquerai aussi la nécessité de renforcer considérablement les missions, les pouvoirs et les moyens de l'ADEME et peut-être, s'agissant de l'environnement, de donner à notre pays la grande agence de sécurité environnementale dont nous avons besoin.
Mais les idées ne manquent pas. Madame la ministre, notre capacité à juger de la sincérité de l'engagement des uns et des autres dans cette période préélectorale se fera sur les moyens financiers qui seront donnés pour mener ces actions. Cela implique une vraie réflexion, qui commence à émerger, sur l'utilisation de la fiscalité comme instrument d'une politique énergétique.
En fait, il faudra envisager de revoir radicalement le dispositif fiscal en fonction de cette préoccupation environnementale et énergétique, pour réorienter à la fois notre consommation d'énergie et nos comportements collectifs et individuels. Il est nécessaire de mettre en oeuvre une fiscalité incitative à la baisse, mais il faudra aussi que nous ayons le courage politique de dire qu'il y a des pratiques, des achats, des comportements, des procédures qui doivent être pénalisés fiscalement. Jouer à la fois sur une fiscalité négative et sur une fiscalité positive et dissuasive me semble indispensable.
Je conclurai par quelques mots et un souhait.
Premièrement, à l'évidence, l'avenir de la planète est aujourd'hui clairement posé.
Deuxièmement, il y a dans notre assemblée une véritable expertise, un goût, un intérêt pour ces questions d'énergie et d'environnement. La période électorale qui s'ouvre nous offre une belle opportunité. C'est la raison pour laquelle je vous propose, madame la ministre, et je le propose également au bureau du Sénat, d'envisager l'organisation d'un grand débat parlementaire intégrant l'ensemble de ces approches - locales, générales, voire internationales -, qui pourrait se tenir au cours du premier trimestre de l'année prochaine, dans une période particulièrement sensible. Ce grand débat, qui permettrait à nos concitoyens de mieux appréhender un dossier majeur, serait apprécié et notre assemblée s'honorerait de prendre une telle initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Marcel Deneux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Gaudin.
M. Christian Gaudin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'an dernier, à ce moment même, j'étais sur le lieu du forage EPICA, à la base scientifique Concordia, sur le dôme C, au coeur du continent des extrêmes : l'Antarctique.
Pour la première fois, une équipe de chercheurs européens a réussi, à cet endroit, l'extraction d'une carotte de glace d'une profondeur de 3 230 mètres, permettant ainsi la lecture de 850 000 ans d'histoire de l'évolution du climat.
Dans le cadre du rapport que je vais présenter dans quelques semaines devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'auditionne, depuis huit mois, s'agissant de la recherche en milieu polaire, les plus éminents spécialistes, qu'ils soient américains, russes ou européens.
J'ai rencontré au Congrès, à Washington, et à la Douma, à Moscou, des parlementaires qui sont aujourd'hui convaincus de la réalité de ces préoccupations.
J'ai été reçu à la National science foundation, la NSF, à la National aeronautics and space administration, la NASA, à l'Académie des sciences de Russie et dans les organismes de recherche des pays européens. J'ai toujours voulu privilégier, dans le cadre international des enjeux de la recherche en milieu polaire, la rencontre avec les scientifiques, les organismes et les instituts de recherche, mais aussi avec les responsables politiques, membres de gouvernements ou parlementaires.
Si les deux pôles sont les sentinelles de notre planète, ils sont également la mémoire et les marqueurs des évolutions climatiques.
Le système climatique est un système de très haute complexité. Chaque composante possède des temps caractéristiques différents : quelques jours pour l'atmosphère, quelques mois pour les eaux superficielles de l'océan, plus d'un millénaire pour l'océan profond, plusieurs dizaines de millénaires pour les calottes glaciaires.
Toutefois, des perturbations brutales, avec des constantes de temps très inférieurs à leur temps caractéristique provoquant des ruptures d'équilibre au sein du système climatique, sont responsables de modifications de l'environnement sensibles à l'échelle d'une vie humaine.
La connaissance des paléoclimats, rendue possible grâce aux échantillons d'atmosphère piégée dans les glaces, est sans doute l'élément le plus déterminant et immédiat dans la compréhension de l'équilibre fragile du système climatique.
Car dans sa modélisation, cette connaissance permet de faire la part de ce qui appartient au phénomène naturel de ce qui relève de la responsabilité directe de nos comportements.
C'est pourquoi les recherches sont nécessaires. En effet, seule l'expertise scientifique du passé, ancien ou plus récent, et la modélisation de l'incidence des gaz à effets de serre donneront une juste appréciation des risques encourus par notre planète.
Si, en adoptant un plan Climat, la France a témoigné d'une réelle volonté politique, ce plan s'est très vite révélé insuffisant. C'est pourquoi le Gouvernement a annoncé, lors d'un récent comité interministériel sur le développement durable, une modification du plan Climat, avec des mesures comme le renforcement de la fiscalité écologique.
Ce nouveau plan intègre également des projets comme la création d'une taxe spécifique sur le charbon, qui est particulièrement polluant, le relèvement de 10 % des taxes sur les pollutions industrielles et les déchets.
Enfin, il est proposé le principe d'une taxe carbone à l'échelon européen sur les importations de produits industriels en provenance des pays qui refuseraient de s'engager en faveur du protocole de Kyoto après 2012.
De nombreux pays ne contestent plus la réalité du réchauffement climatique et les études alarmistes se multiplient.
Ainsi, le rapport Stern est-il particulièrement intéressant, car son auteur, qui est non pas un scientifique, mais un économiste, mesure l'incidence du réchauffement sur l'économie mondiale.
C'est donc dès à présent qu'il faut modifier nos comportements et nous engager vers trois grands axes d'actions : taxer les émissions de CO2, généraliser les technologies à faibles émissions de carbone et améliorer les rendements énergétiques.
Malgré le coût qui en résultera pour les pays industrialisés, ce sont les industries de ces pays qui pourront y trouver de nouvelles opportunités en développant des filières novatrices, pour de nouveaux marchés.
L'effort doit être collectif, tant à l'échelon national qu'à l'échelon européen.
Si la nécessité de lutter contre les changements climatiques fait l'objet d'un consensus entre les États membres de l'Union, avec l'objectif de réduire les émissions d'au moins 15 % d'ici à 2020 et de 50 % d'ici à 2050, nous devons mieux nous entendre pour l'application de cette réduction. Une réelle mobilisation est nécessaire pour atteindre une meilleure efficacité en matière d'énergie et de transports routiers et aériens, domaines dans lesquels il reste beaucoup à faire.
Nous devons lier les stratégies de Kyoto et de Lisbonne, assurer notre sécurité énergétique, réduire le réchauffement tout en relançant la croissance, qui est particulièrement en panne dans l'Hexagone.
En effet, la compétitivité ne doit pas être oubliée, sous peine de récession grave. Les pays industriels sont au premier plan pour réduire les gaz à effet de serre, mais ils doivent convaincre les pays émergeants comme l'Inde et la Chine de limiter les énergies polluantes. Ainsi, la Chine, qui a d'énormes réserves de charbon, doit intégrer sans retard les techniques de captation et de stockage de CO2 à la source.
Nous savons que cet effort collectif doit être entrepris par tous les pays, et il le sera d'autant plus aisément que les populations seront informées sur les conséquences du réchauffement, grâce à une meilleure diffusion de toutes les données scientifiques.
C'est pourquoi les connaissances scientifiques doivent être au coeur de la société. Cela est vrai pour le climat, mais aussi pour tous les sujets qui ont suscité récemment des débats passionnés au sein même de notre hémicycle.
Vous l'aurez compris, madame la ministre, la recherche scientifique qui est conduite dans les pôles est importante pour l'expertise de l'évolution de notre planète.
Les moyens financiers nécessaires sont lourds, car la logistique qui permet à l'homme d'évoluer dans des milieux aussi hostiles est coûteuse. Cette recherche est cependant nécessaire et urgente.
La communauté des scientifiques européens des disciplines concernées commence à s'organiser et elle interpelle aujourd'hui les politiques. C'est à eux de prendre conscience de tous les enjeux et de mettre en application les mesures nécessaires, de façon coordonnée. Car demain s'il existe une organisation réunissant les nations autour de l'environnement, comme cela est souhaité, l'Europe devra y prendre toute sa place. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de revenir sur certaines propositions concrètes qui figurent dans notre rapport.
Les mesures que nous avons proposées nous paraissent bien évidemment fondamentales.
Premièrement, il faut intégrer le changement climatique dans les mécanismes de la mondialisation, en créant la taxe carbone mondiale pour établir une concurrence égale entre les pays et en réinsérant l'impératif climatique dans les règles de l'OMC.
Cet objectif me paraît possible. Tous les gouvernements doivent s'efforcer de l'atteindre. Il n'y a pas de raison que nous soyons les seuls à faire des efforts ; même les pays qui n'ont pas signé le protocole de Kyoto doivent en faire.
Deuxièmement, il faut créer une fiscalité spécifique pour financer la transition énergétique, notamment en rétablissant la vignette sous la forme d'une taxe carbone concernant tous les véhicules à moteur, y compris les deux roues, en instituant une taxe spécifique pour l'usage des autoroutes par les poids lourds - cette mesure devrait être plus populaire que le rétablissement de la vignette -, enfin, en augmentant de 1 % pendant dix ans la taxe intérieure sur les produits pétroliers, à l'exclusion du fioul domestique.
Troisièmement, nous devons bien entendu avoir la certitude que ces mesures permettront de conduire les opérations indispensables. Ces nouvelles ressources devront donc alimenter un fonds spécial, géré par des méthodes transversales qui sont d'ailleurs rendues possibles par la LOLF. En effet, la LOLF permet de discuter en même temps des dépenses relevant de ministères différents. Cela vaut en particulier pour la transition énergétique et pour la protection de l'environnement.
Quatrièmement, il faut mieux cerner les effets du changement climatique, donc mieux les connaître. Quelques scientifiques continuent de penser que la plus grande partie de l'augmentation de gaz carbonique dans l'atmosphère est liée non pas à des effets anthropiques, mais au rayonnement solaire. C'est notamment le cas d'un ancien ministre de la recherche, que nous connaissons tous. Il est certain que l'évolution climatique dépend aussi de l'activité du soleil. Toutefois, ce chercheur admet que cette évolution dépend également de l'augmentation de gaz carbonique, laquelle peut être liée à l'élévation de la température. En effet, selon la loi de Henry, plus la température s'élève, moins les océans consomment de gaz carbonique.
Ce n'est toutefois pas une raison pour rejeter davantage de gaz carbonique dans l'atmosphère. Les rejets de la Chine, qui, d'ores et déjà, pollue plus que l'Europe, vont probablement être multipliés par dix. Il s'agit d'un élément incontournable. Si nous n'agissons pas immédiatement, nous allons droit dans le mur.
On aurait pu nous reprocher d'adresser ces préconisations à la France qui déjà pollue moins que d'autres pays. Pour prévenir ce reproche, nous avons fait traduire les conclusions du résumé de notre rapport bien évidemment en anglais et en allemand puisque nous visons l'Europe, mais aussi en arabe, en japonais et en chinois. Il pourra être diffusé dans ces pays, soit par l'internet, ce qui a déjà commencé, soit sur un support papier.
Ces pays sont conscients de la situation. Mais lorsqu'ils verront que nous avons un programme, que nos propositions s'intègrent dans un plan Climat français, nous pourrons sans doute aller beaucoup plus loin, beaucoup plus vite. Nous devrions également pouvoir exporter massivement les technologies et les systèmes de formations adaptés aux changements climatiques, notamment pour les artisans. En effet, l'artisanat est important dans le secteur du bâtiment, lequel représente plus du quart de la consommation énergétique de la planète.
M. Pierre Laffitte. Si nous faisons de même dans le domaine des transports, nous arriverons ainsi à une bonne moitié.
Reste la question de la production d'électricité et de la construction de centrales nucléaires. Il est inconcevable que le monde entier puisse atteindre très rapidement le niveau de la France en termes de production d'électricité d'origine nucléaire. Toutefois, il faudra très vite passer au stade des surgénérateurs, qui permettront de multiplier par cent les réserves d'uranium. Les surgénérateurs sont prévus pour 2040, sans doute faudrait-il qu'ils soient prêts plus tôt.
Il faudra dans le même temps généraliser les efforts en matière de captation de carbone, et en ce domaine nous avons aussi de grandes possibilités d'exportation, donc de création d'emplois
Grâce au solaire photovoltaïque et thermique, les Allemands ont créé 150 000 emplois. À l'heure actuelle, ils consomment plus de deux fois moins de kilowattheures par mètre carré et par an que la France : 100, contre 250. Quant aux Suisses, ils n'en consomment que 40. Il nous reste donc beaucoup de travail à faire. C'est pourquoi nous avons besoin d'un grand programme.
Nous avons réussi, dans le passé, à lancer de grands programmes, qu'il s'agisse de la reconstruction, de l'aéronautique, du nucléaire ou du ferroviaire. Le temps est venu de réaliser un grand programme industriel couvrant l'ensemble des aspects de ce secteur. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le développement des activités humaines et leur très forte intensification contribue à des modifications ou à des atteintes à l'environnement que nous connaissons et que nous constatons depuis maintenant de trop nombreuses années.
C'est dans une gestion adaptée aux exigences d'une économie globalisée, dans le respect de la nature et des patrimoines, que la solution doit être recherchée.
Un nouvel équilibre écologique est certainement à recréer aujourd'hui. Il trouvera une voie dans la vie quotidienne, dans des comportements nouveaux, dans l'idée d'un travail sur une série de niches plutôt que dans l'invention d'une solution déclinable partout et pour tous.
Dans cette optique, je ne peux que féliciter et remercier MM. Belot et Juilhard, auteurs du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales, et MM. Laffitte et Saunier, auteurs du rapport intitulé : « Développement durable, changement climatique, transition énergétique : dépasser la crise ». Ces deux rapports sont en effet très riches en informations.
Je vous propose d'aborder un seul maillon de ce formidable ensemble, une petite niche de cette fabuleuse chaîne, à savoir le traitement des déchets ménagers, la biomasse et les réseaux de chaleur.
Certes, proportionnellement, ce ne sont pas les déchets ménagers qui produisent le plus de gaz à effet de serre, bien qu'ils contribuent, bien entendu, à ces émissions. Des millions de mètres cubes de méthane et de gaz carbonique sont tout de même produits ! Et ce n'est pas la tentative de récupération partielle de ces gaz, qui sont ensuite brûlés en torchère, dans les centres d'enfouissement techniques, qui peut nous satisfaire, loin de là : en effet, 60 % d'entre eux s'évaporent dans l'atmosphère.
Dans ce secteur, seule la valorisation énergétique permettra d'en finir avec les émissions de gaz à effet de serre. Les déchets doivent être traités plutôt qu'enfouis. Ils doivent être considérés, si nous voulons évoluer dans ce secteur, comme une matière première. Outre l'incinération et les centres d'enfouissement techniques, une troisième famille de traitement des déchets existe en France depuis près de dix ans. Il s'agit de la biomasse, de la méthanisation par les bioréacteurs, qui permet au biogaz de servir de combustible dans le cadre de réseaux de chaleur ou de production d'électricité.
La biomasse et les bioréacteurs, qui permettent de réaliser les objectifs évoqués par les uns et les autres, correspondent à la mise en oeuvre d'une technique nouvelle en France, même si elle existe depuis maintenant près de dix ans. Cette technique existe depuis beaucoup plus longtemps dans d'autres pays et dans certaines villes. Je pense en particulier à Chicago. Intervenant après les opérations de tri et de « valorisation matière », elle implique une production de gaz en vase clos, en silos, avec réinjection des lixiviats et aspiration par le bas du méthane. Foncièrement différente de la technique de l'incinération, elle ne s'apparente pas du tout, compte tenu des aménagements considérables qu'elle suppose, à un simple stockage de déchets ménagers. Elle valorise 100 % du biogaz, soit en réseau de chaleur soit par cogénération, avec production d'électricité.
Ce système présente l'avantage de cumuler deux caractéristiques très importantes : la maîtrise complète de la production de gaz à effet de serre issus des déchets ménagers et la production d'énergie renouvelable, à partir du biogaz ainsi produit.
Il s'agit donc de promouvoir une gestion et une exploitation bien meilleures que celles qui existent actuellement. Cette évolution est fondamentale, selon nous, car la France accuse tout de même un certain retard dans ce domaine !
J'en reviens au rapport de nos collègues Belot et Juilhard, qui n'hésitent pas à rappeler que ces dispositifs méritent des soutiens fiscaux, des accompagnements, des mesures incitatives et, éventuellement, une hausse du prix de l'énergie produite par ces méthodes, afin de les rendre encore plus attractives.
Madame la ministre, nous vous demandons d'enclencher un travail de réflexion dans ce sens, qui permette de trouver une solution.
Aux freins économiques s'ajoutent des contraintes réglementaires inadaptées à cette nouvelle technique, pourtant vieille de dix ans !
Premièrement, les unités de biomasse et de méthanisation comme les bioréacteurs, dont les silos sont rouverts au terme de la fermentation, c'est-à-dire huit ans à dix ans plus tard, pour récupérer le compost et la part de déchets inertes, ne doivent pas être considérées, comme c'est le cas actuellement, comme des centres d'enfouissement techniques, lesquels restent en place pour l'éternité.
Deuxièmement, le statut juridique des collectivités territoriales doit être adapté, de manière à établir plus facilement des partenariats public-privé, pour mieux rentabiliser un certain nombre d'équipements. C'est une autre piste de réflexion que je vous propose, madame la ministre.
Troisièmement, pour éliminer les déchets ménagers, il existe aujourd'hui trois grands procédés. Soit on souhaite procéder à cette élimination en deux ou trois jours, et on a recours à l'incinération ; soit on souhaite effectuer cette tâche en trente ou quarante ans, et on a recours aux centres d'enfouissement techniques ; soit on recherche un schéma médian, afin de régler la question en huit ou dix ans, et on a recours à la biomasse et à la méthanisation.
Paradoxalement, le code des douanes, car, il faut le reconnaître, sa réforme commence à dater, ne reconnaît aujourd'hui que deux techniques : l'incinération et l'enfouissement. Il serait certainement opportun, madame la ministre, d'y apporter les adaptations nécessaires !
En effet, deux techniques permettent de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, en favorisant la production d'énergies renouvelables : il s'agit de l'incinération et de la méthanisation de la biomasse.
Depuis vingt-trois ans, grâce à ce dernier procédé, Chicago alimente en électricité le cinquième de la ville, ce qui est tout de même remarquable.
Je partage l'opinion exprimée par mon collègue Claude Belot, qui précisait qu'il n'existe pas d'obstacle majeur concernant les énergies renouvelables. L'essentiel étant encadré, nous traitons désormais de points de détail, qui nécessitent bien évidemment des améliorations. C'est tout le sens de mon intervention.
Aujourd'hui, seuls les incinérateurs produisant de l'énergie renouvelable bénéficient d'une mesure fiscale incitative, à savoir une exonération de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, pour les déchets entrants.
Outre l'incinération et l'enfouissement, il serait opportun de prévoir une nouvelle catégorie dans le code des douanes, à savoir la biomasse et la méthanisation avec le principe du bioréacteur. En effet, après le tri et la valorisation matière, le bioréacteur permet de récupérer, par aspiration en vase clos, la totalité du biogaz produit. Ce dernier est totalement valorisé par un réseau de chaleur ou par cogénération.
Madame la ministre, je vous demande de reconnaître cette modernité. Ainsi, ces techniques, qui sont de notre temps, seraient attractives, au même titre que l'incinération pour produire de l'énergie.
Sur ce sujet, la commission des affaires économiques, par l'intermédiaire de M. Jean Bizet, rapporteur pour avis sur la mission « Écologie et développement durable », a déposé, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, un amendement qu'elle avait adopté à l'unanimité. La commission des finances a soutenu cet amendement, et le Gouvernement, par la voix de M. Copé, a demandé quelques jours de réflexion pour mieux appréhender cette proposition, suggérant de l'examiner lundi prochain, dans le cadre de la discussion du collectif budgétaire.
Madame la ministre, le calendrier parlementaire, qui nous permet d'évoquer aujourd'hui ce sujet, est bien fait ! Je vous demande, au nom de tous mes collègues, de rapprocher vos services de ceux de M. Copé, afin de lui faire entendre l'urgence à reconnaître, au même titre que l'incinération, la technique de la biomasse et de la méthanisation à partir des déchets ménagers, qui produit de l'énergie renouvelable, permettant ainsi de lutter contre l'effet de serre.
Une telle exonération de la TGAP à partir du 1er janvier 2007 concerne, en France, cinq unités. Son coût serait inférieur à deux millions d'euros. Cette mesure représente donc peu de choses pour le budget de la nation.
Cependant, si la masse financière n'est pas des plus importantes, une telle mesure permettrait, madame le ministre, de franchir un pas supplémentaire en faveur des énergies renouvelables. Vous-même pourriez ainsi conclure avec bonheur la mission qui vous a été confiée à la tête du ministère dont vous avez la charge, par une mesure concrète, en plaçant la France dans la modernité et la durée. Nous vous en remercions par avance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Jacques Blanc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous connaissez mon engagement de longue date en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et du développement des énergies renouvelables. Voilà quatre ans, j'avais publié un rapport intitulé L'ampleur des changements climatiques, de leurs causes et de leur impact possible sur la géographie de la France à l'horizon 2005, 2050 et 2010. Je m'étais alors rendu au sommet de Johannesburg. J'avoue que j'y avais remporté un succès d'estime, qui n'avait cependant rien de commun avec ce qui se passe actuellement dans l'opinion publique française.
La question du changement climatique est désormais une question d'actualité récurrente. Parmi les derniers événements en date, je citerai la Journée internationale d'actions contre le changement climatique du 4 novembre, qui est passée presque totalement inaperçue, et la récente conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s'est tenu à Nairobi, sans oublier la multiplication de films documentaires, de fictions, d'articles de presse et de rapports de toutes natures. Tous s'alarment des conséquences désastreuses de l'effet de serre sur notre planète : sécheresses de plus en plus terribles, cyclones chaque fois plus violents, inondations de plus en plus fréquentes, hausse des températures, etc. Cet ensemble de catastrophes, de plus, s'abat sur des populations déjà extrêmement vulnérables.
À l'heure où le très pertinent rapport Stern révèle que le coût économique du réchauffement de la planète pourrait s'élever à plus de 5 500 milliards d'euros si les gouvernements ne prennent aucune mesure significative pour contrôler les émissions de gaz, il est plus que jamais nécessaire, madame la ministre, de mettre rapidement en oeuvre une politique ambitieuse. C'est d'autant plus important que l'investissement financier dans la lutte contre le réchauffement climatique ne pénaliserait pas l'essor économique des pays industriels. Au contraire, cette démarche politique et volontariste serait créatrice de richesses. Ce rapport insiste ainsi sur l'importance d'investir dans la recherche et le développement, ainsi que dans les nouvelles technologies moins polluantes. Il souligne enfin la nécessité d'apporter une réponse politique et volontariste au changement climatique.
Tels sont donc les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Où en sommes-nous exactement pour le moment ?
Tout d'abord, la France et l'Europe ont récemment mis en place plusieurs instruments pour lutter contre le réchauffement climatique. Je pense notamment au plan climat et au plan national d'allocation des quotas d'émission de CO2.
Madame la ministre, vous avez renforcé le plan Climat, qui est également prolongé jusqu'en 2012. Il est désormais prévu une réduction de 10 % des émissions françaises de CO2 à l'horizon 2010. Les deux principaux secteurs visés sont le bâtiment et les transports. Car il y a urgence à agir ! Ainsi, dès 2007, les réhabilitations importantes dans les bâtiments de plus de 1 000 mètres carrés devront respecter une performance énergétique minimale.
S'agissant des transports, le Gouvernement accélère le développement des biocarburants. Permettez-moi de vous rappeler, madame la ministre, que l'UDF bataille depuis plusieurs années pour développer cette énergie. Si nous voulons être au rendez-vous des biocarburants, ce que nous souhaitons apparemment tous, nous devons faire preuve d'une grande détermination. À la suite du rapport demandé par le ministre de l'économie à Alain Prost, des avancées ont été réalisées, avec, notamment, un plan de mise en place de pompes distribuant du carburant E85. Mais il faudra également que les constructeurs automobiles s'engagent résolument dans cette voie.
Ce défi lancé à notre industrie devra être relevé collectivement. C'est pourquoi je me félicite de l'adoption, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, d'un régime fiscal très favorable pour ce nouveau carburant. Toutefois, si nous pouvons nous féliciter de l'ensemble des mesures fiscales que nous avons pu adopter en faveur des biocarburants au cours des dernières années, les objectifs fixés sont encore loin d'être atteints. Aujourd'hui, nous ne parvenons pas aux taux d'incorporation que nous avions fixés au niveau communautaire ou dans le cadre de la fameuse TGAP. Ce taux est de 1 % à peine pour le bioéthanol, alors qu'il était prévu d'atteindre, dès cette année, un taux de 1,5 % et, en 2007, de 3,5 %. Mais nous sommes dans la bonne direction : continuons !
En ce qui concerne le plan national d'allocation des quotas d'émission de CO2, je souhaiterais connaître, madame la ministre, la position du Gouvernement après le retrait précipité du plan prévu pour la période 2008-2012 auprès de la Commission. Quelles sont les nouvelles orientations choisies par le Gouvernement ?
Le PNAQ ne concerne que les sites industriels d'une puissance supérieure à 20 mégawatts thermiques, soit 1 127 sites seulement. C'est pourquoi la mission Climat de la Caisse des dépôts et consignations a proposé d'élargir les incitations économiques à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment grâce à la mise en place d'un dispositif de projets domestiques CO2 sur la période 2008 - 2012.
Les projets domestiques sont des outils qui permettraient de valoriser financièrement les réductions d'émission de gaz à effet de serre dans les secteurs qui, aujourd'hui, ne sont pas couverts par le système européen des quotas, tels que les transports, l'agriculture et les bâtiments. Un tel système mérite d'être étudié, car, à l'heure actuelle, le PNAQ ne couvre finalement que 30 % de nos émissions totales de CO2.
Le deuxième point primordial est la recherche. Il est indispensable de soutenir et de mettre en place une recherche ambitieuse.
J'insisterai sur la nécessité de constituer des programmes de recherche sur les océans. Couvrant 71 % de la surface du globe terrestre, les océans exercent, à ce titre, une influence essentielle sur le climat par la masse qu'ils représentent, mais également au travers des courants sous-marins qui jouent le rôle de répartiteurs de chaleur, avec toutes les conséquences, que nous connaissons mal, sur la faune et la flore marines.
Parallèlement, nous devons intensifier les moyens consacrés à la recherche sur la séquestration du CO2 et, à terme, créer une industrie française du CO2. C'est un secteur où la France a une avance qu'il faut garder.
D'une manière générale, il faut renforcer la recherche relative aux impacts, à la vulnérabilité et à l'adaptation. Pour faire court, le programme GICC, gestion et impacts du changement climatique, devra être poursuivi et renforcé. Il faut améliorer la connaissance et le suivi des impacts du changement climatique. En aval du programme GICC, il est nécessaire de développer en France des approches de type « expertise », abordant les problèmes de manière très concrète et en interaction avec les gestionnaires. Ce type d'approche reste encore peu pratiqué en France, alors qu'il s'agit d'une approche très courante dans les pays anglo-saxons.
Le troisième point concerne les énergies renouvelables.
Comme le secteur énergétique représente une part très importante de nos émissions de gaz à effet de serre, toute réduction d'émissions d'envergure passe par une reconfiguration complète de nos modes de production et de consommation d'énergie. En particulier, il faudra mettre en oeuvre un mix d'énergies renouvelables, d'énergie nucléaire et de projets de séquestration de carbone à grande échelle pour faire face à une demande énergétique croissante, qu'il faut pourtant maîtriser.
La directive 2001/77/CE relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergies renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité a été adoptée le 27 septembre 2001. Elle fixe des objectifs indicatifs par pays et vise, pour la France, à faire passer la part d'électricité d'origine renouvelable de 15 % en 1997 à 21 % en 2010.
Nous disposons de nombreux atouts en matière d'énergies renouvelables : des ressources hydroélectriques importantes, l'une des premières forêts d'Europe, un très bon gisement éolien, de vastes zones, notamment dans les départements d'outre-mer, où certaines énergies renouvelables sont moins chères à produire que l'électricité, et une technique reconnue en matière d'énergie solaire photovoltaïque ou thermique.
De fait, la France est le premier producteur européen d'énergies renouvelables - on ne le dit pas assez - devant la Suède et l'Allemagne, avec plus de 15 % du total de la production européenne à vingt-cinq. Mais nous sommes encore loin du compte. Cela est d'autant plus vrai que notre production d'électricité d'origine renouvelable, elle-même dépendante de la pluviométrie, est en baisse. En conséquence la part de l'électricité d'origine renouvelable dans la consommation intérieure brute d'électricité, pour la métropole uniquement, s'élève seulement à 11,0 % en 2005 contre 12,6 % en 2004.
L'hydraulique représente toujours 92 % de la production électrique d'origine renouvelable, les déchets urbains renouvelables 2,9 %, le bois-énergie 2,4 %, l'éolien 1,7 %, le biogaz et le solaire photovoltaïque assurant la part résiduelle.
Il est donc indispensable de développer les autres énergies renouvelables. L'excellent rapport de nos collègues Claude Belot et Jean-Marc Juilhard, Énergies renouvelables et développement local : l'intelligence territoriale en action, montre que les solutions existent et qu'elles fonctionnent sur le terrain. Ils insistent également sur le rôle moteur des collectivités locales dans le développement des énergies alternatives.
Toutefois, je souhaite insister sur l'énergie éolienne qui, curieusement, est la grande oubliée de ce rapport. Lors de l'examen de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, nous avons pu mettre en place un certain nombre d'outils qui sont aujourd'hui opérationnels et qui offrent un contexte favorable de développement à la filière : zone de développement de l'éolien, révision des tarifs d'achat de l'électricité de source éolienne, programmation pluriannuelle des investissements. Tout cela va se mettre en oeuvre. Ainsi, la filière éolienne prendra enfin son envol en France.
À la fin de l'année 2006, le parc éolien français atteint 1 500 mégawatts, soit un millier d'éoliennes. Au premier semestre 2007, compte tenu des projets en cours, le parc devrait dépasser 2 000 mégawatts. Cependant, notre pays reste encore en queue de peloton par rapport à ses voisins européens, comme l'Allemagne ou l'Espagne. Ce retard est corroboré par le fait que, actuellement, plus aucune grande entreprise française ne fabrique les équipements éoliens pour la métropole.
Toutefois, le décollage tant attendu du développement de l'éolien et le volume des projets recensés à ce jour prouvent que l'objectif de 10 000 mégawatts en 2010, sur lequel nous avons pris des engagements, est atteignable.
Cela est d'autant plus important qu'il est précisé, dans le Rapport sur la Programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, transmis au Parlement et portant sur la période de 2005 à 2015, « qu'il n'y avait pas d'ici à 2015, en France, d'autre choix que l'éolien pour un développement significatif des énergies renouvelables dans la production électrique ».
Il faut avant tout faire comprendre aux collectivités locales que les fermes éoliennes peuvent être une source d'enrichissement pour les collectivités locales, via la taxe professionnelle, bien sûr - on y pense ! -, suivant les modalités de répartition intercommunales fixées par la loi et à partir des zones de développement éolien, ZDE. Les fermes éoliennes peuvent également être une source d'enrichissement par la mise en valeur du territoire agricole à travers une valorisation de l'espace rural dont les activités économiques ont de la peine à se maintenir au niveau antérieur.
Pour l'éolien offshore, il est nécessaire de clarifier les critères d'affectation de la taxe professionnelle entre les communes du littoral. En effet, par définition, les éoliennes offshore sont situées en dehors des limites cadastrales des communes : dans ces conditions la taxe professionnelle doit-elle être affectée à la commune de raccordement au réseau de la ferme éolienne ou alors aux communes auxquelles elle fait face ? Ce point mérite d'être clarifié rapidement, car l'imprécision gêne le développement.
Enfin, je voudrais rappeler aux détracteurs des éoliennes que, ces dernières années, des progrès technologiques considérables ont été réalisés par la filière. De bonnes réponses ont été trouvées pour tous les inconvénients qu'on trouvait à ces dernières. De plus, les zones de développement de l'éolien sont un nouvel instrument au service des communes pour une meilleure prise en compte des attentes des populations et même d'une démocratie participative.
Pour terminer, permettez-moi de dire un mot de la stratégie nationale d'adaptation au changement climatique.
Après adoption par le conseil d'orientation de l'ONERC, où je siège, ce document a été validé par le comité interministériel pour le développement durable du 13 novembre dernier. Il reste maintenant à mettre cette stratégie en oeuvre.
Tout cela décliné en objectifs stratégiques puis en programmes d'actions - à condition qu'ils soient appliqués ! -, constitue une réelle politique, compatible avec le format de la stratégie européenne de développement durable.
Je compte donc sur vous, madame la ministre, ainsi que sur vos collègues du Gouvernement concernés, pour que la volonté politique soit présente en permanence sur ces sujets et pour que ce plan s'applique.
Le constat de l'état de la planète est terrifiant, on l'a dit plusieurs fois au cours de ce débat. L'urgence est réelle ; il faut agir vite. Je compte sur vous, madame la ministre. L'humanité tout entière a besoin d'une France active en matière d'environnement. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Jean-Marc Pastor applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, oui, le changement climatique est un défi majeur pour l'humanité et je suis heureuse de voir que cette prise de conscience prend corps dans la société. En tout cas, la France est constamment en pointe sur cette question depuis 2002. Il était temps que nous cessions d'opposer écologie et économie ! C'est en effet le discours qui a trop longtemps été entendu et qui a probablement creusé ce fossé que nous devons combler aujourd'hui.
La France est responsable de seulement 1,2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre alors qu'elle représente 5 % du produit intérieur brut mondial. Elle est l'un des pays industrialisés les moins émetteurs de gaz à effet de serre, en termes d'émissions de CO2 tant par habitant que par unité de produit intérieur brut.
M. Charles Gautier. Alors tout va bien !
Mme Nelly Olin, ministre. Je commencerai par le plan national d'affectation des quotas d'émission de CO2, sur lequel vous m'avez interrogé.
La France a voulu se montrer particulièrement exemplaire. Je tiens à dire solennellement ici que, sans aucune pression ni menace, nous avons pris la décision de retirer notre plan - ayant fait moi-même la démarche à Bruxelles, je sais exactement de quoi je parle ! - et de nous remettre au travail pour le réduire. Il sera donc de 132,8 millions de tonnes, soit une réduction de 23 millions de tonnes. Cet effort particulièrement significatif ne sera probablement pas sans poser quelques difficultés aux industriels. Quoi qu'il en soit, là aussi, la France n'a pas à rougir de la politique qu'elle mène !
Sur les cinq dernières années, notre pays a maintenu en moyenne ses émissions à un niveau inférieur de 2 % à celui de ses émissions de 1990, alors que la croissance économique a été positive - en monnaie constante, 25 % entre 1990 et 2004.
Continuer à respecter les engagements du protocole de Kyoto constitue en tout cas pour la France un objectif essentiel.
D'abord, pour qu'elle prenne sa part des efforts mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre au sein de la communauté internationale, nous avons pris l'engagement de rester dans les « clous », si vous me permettez l'expression.
Contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, la conférence de Nairobi n'a pas été un échec.
M. Claude Saunier. Je n'ai pas dit ça !
M. Charles Gautier. On l'a lu !
Mme Nelly Olin, ministre. Pardonnez-moi, mais j'y étais aussi ! Nous étions partis peu convaincus sur la nature des décisions qui seraient prises, car nous avions l'impression qu'il s'agissait d'une convention intermédiaire. Autour de la table, nous avons néanmoins réussi à obtenir et à acter que le protocole de Kyoto serait complètement révisé en 2008, et à discuter de l'après-2012. Tout cela était loin d'être gagné !
Je rappelle que le président de la République, que vous avez d'ailleurs cité, monsieur Saunier, et je vous en remercie, milite depuis plusieurs années en faveur d'une organisation des Nations unies pour l'environnement. Nous avons en effet besoin - nous le constatons aujourd'hui - d'une organisation suffisamment puissante, compte tenu des défis à relever pour faire face aux problèmes du climat, de la perte de biodiversité. Or, aujourd'hui, ces sujets relatifs au climat, à l'énergie, qui sont essentiels pour l'avenir de tous, ne sont pas suffisamment abordés aux Nations unies.
Voilà quelques années, lorsque le président de la République a émis cette idée, nous étions seulement deux à en parler : l'Allemagne et nous ! Aujourd'hui, non seulement les pays de l'Union européenne, mais aussi ceux de la francophonie ont rejoint cette idée et j'ai même constaté, au cours d'un déplacement en Tunisie, qu'il en est de même pour ce pays, qui est prêt à diffuser le message dans le bassin méditerranéen.
C'est donc une idée qui prend corps ! Mais nous devons continuer à cheminer, car le but n'est pas atteint. Des pays, les États-Unis par exemple, ne veulent toujours pas signer le protocole de Kyoto. Mais, sur le terrain, les mentalités changent. Je recevais récemment une délégation d'une quinzaine de maires de grandes villes américaines : tous sont engagés sur le terrain, y compris des gouverneurs. C'est vrai qu'aujourd'hui, en revanche, l'un de nos partenaires nous a fait défaut : le Canada, qui a fait un retour en arrière radical, seul le Québec continuant à respecter le protocole de Kyoto.
Cette grande idée de l'Organisation des Nations unies, c'est tous ensemble que nous devons la promouvoir, parce que c'est certainement là que nous trouverons les forces, la reconnaissance et les moyens nécessaires.
La France fait aujourd'hui quelques sacrifices par rapport à son plan d'allocation de CO2. Elle a décidé que, pour l'après-2012, les importations en provenance des pays qui n'auront pas adhéré au protocole de Kyoto devront acquitter une « taxe carbone », qui permettra de préserver la compétitivité des entreprises françaises en leur évitant d'être concurrencées par des importations de pays où les prix sont peu élevés mais où on continue malheureusement à polluer.
Le Gouvernement a lancé en juillet 2004 le « plan Climat 2004-2012 », qui définit des actions nationales de prévention du changement climatique.
Ce plan décline des mesures dans tous les secteurs de l'économie et de la vie quotidienne des Français. Il s'agit d'économiser de l'ordre de 10 % des émissions françaises à l'horizon 2010 - à peu près 6 millions à 8 millions de tonnes de CO2, ce qui est loin d'être négligeable - afin de maintenir la tendance actuelle à la stagnation des émissions de CO2, voire de faire mieux dans la perspective de la division par quatre des émissions à l'horizon 2050.
De nouveaux outils et instruments ont été mis en place. Il s'agit, d'abord, de mesures d'information, avec la généralisation en 2006 de l'étiquette énergie et CO2 pour les logements et pour les voitures ; et je peux vous dire que cela marche, cela marche même très bien parce que les gens regardent maintenant ce qu'ils achètent ! On voit qu'il y a une prise de conscience.
Il s'agit, ensuite, d'incitations fiscales : le crédit d'impôt de développement durable pour les particuliers et la fiscalité des biocarburants.
L'engagement budgétaire de l'État dans le cadre de la politique de lutte contre le changement climatique est très important : on peut évaluer à plus de 2 milliards d'euros la contribution annuelle des politiques gouvernementales à la lutte contre le changement climatique - et 2 milliards d'euros, ce n'est pas une petite somme.
Le recours aux énergies renouvelables constitue un levier essentiel de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.
La loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique a prévu un objectif ambitieux : augmenter de 50 % d'ici à 2010 la part de la chaleur renouvelable dans la consommation.
À cet égard, la France dispose de nombreux atouts en matière d'énergies renouvelables : d'abord, des ressources hydroélectriques importantes et fortement développées.
Ensuite, la troisième forêt tempérée d'Europe, derrière la Suède et la Finlande, dont 25 % ne sont pas exploités et auxquels il faut ajouter 8 millions d'hectares de forêts tropicales dans les quatre départements d'outre-mer.
En outre, un très bon gisement éolien, le deuxième en Europe, dont la sécurité de production en métropole peut être favorisée par un équipement réparti sur le territoire. La filière éolienne prend enfin son envol : la production éolienne - 1,7 % de la production d'électricité renouvelable - a fortement augmenté et la puissance installée est passée de 363 mégawatts à la fin de l'année 2004 à 705 mégawatts à la fin de 2005. Le parc éolien atteint, à la fin de 2006, près de 1 500 mégawatts.
Enfin, une capacité technique reconnue en matière d'énergie solaire photovoltaïque ou thermique.
L'objectif affiché par le Gouvernement depuis 2002 est d'améliorer le stock de bâtiments existants et de construire des bâtiments neufs de qualité en utilisant une panoplie d'instruments qui ont prouvé leur efficacité.
Premier instrument, la réglementation thermique 2005 pour les constructions neuves, qui est de 15 % plus exigeante que la précédente RT 2000. Elle favorise le recours aux énergies renouvelables. Les grosses rénovations devront également respecter des objectifs de performance énergétique.
Deuxième instrument, les diagnostics de performance énergétique, qui sont, depuis le 1er novembre 2006, obligatoires pour la vente de tout logement ; ils seront étendus aux locations à partir du 1er juillet 2007.
Troisième instrument, le crédit d'impôt pour le développement durable, dont bénéficient depuis 2005 les équipements performants ou les équipements d'énergies renouvelables, qui a vu son taux fortement augmenter en 2006 pour passer à 50 %. Cette incitation fiscale a remporté un grand succès avec une dépense fiscale prévue de près de 1 milliard d'euros en 2007.
Quatrième instrument, les prêts de la Caisse des dépôts et consignations en faveur des logements sociaux, pour lesquels je me suis beaucoup battue. Je pense qu'il eût été irresponsable de construire ou de reconstruire aujourd'hui sans y mettre de la haute performance énergétique. Ces prêts permettent en tout cas de relancer un plan de construction de logements sociaux dans les normes de haute performance énergétique.
Nous devons - et c'est une responsabilité de chacun que ce soit au niveau ministériel ou au niveau des collectivités régionales et territoriales - faire en sorte qu'aujourd'hui, tout projet soit soumis à une étude d'impact environnemental. Nous ne pouvons plus concevoir de faire des projets, quels qu'ils soient et à quelque échelle qu'ils soient, sans avoir, au préalable, vu les conséquences que cela pouvait générer sur l'environnement. Donc, nous devons être exigeants sur ces études d'impact environnemental.
J'ai noté la formation nécessaire pour ces nouvelles technologies, puisque beaucoup d'artisans se plaignent de ne pas trouver de main-d'oeuvre suffisamment qualifiée.
M. Jacques Blanc. C'est sûr !
Mme Nelly Olin, ministre. Autre instrument, en matière de recherche et de développement, le bâtiment à énergie positive, qui est un projet essentiel. Inscrit dans le cadre du PREBAT, le programme public de recherches sur le thème de l'énergie dans la construction, il instaure une véritable rupture technologique.
Grâce aux mesures du Gouvernement, les énergies renouvelables connaissent en tout cas une avancée spectaculaire chez les particuliers.
Les équipements tels que chauffe-eau solaire, chaudières à condensation, pompes à chaleur ou chaudières bois connaissent des progressions spectaculaires, avec, ce qui est une avancée significative, des taux de croissance annuelle en 2005 de deux chiffres, voire trois : 40 % pour les pompes à chaleur - 25 000 ont été installées en 2005, contre 17 300 en 2004 - ; 72 % pour les installations de chauffe-eau solaires individuels ; 127 % pour les chaudières bois et un doublement pour les chaudières à condensation, qui représentent dorénavant près de 10 % du marché de la chaudière individuelle.
Au total, ce sont près de 450 000 foyers qui se sont dotés en 2005 d'équipements utilisant des énergies renouvelables pour leurs besoins de chauffage ou d'eau chaude sanitaire.
Le nombre de mètres carrés de panneaux solaires thermiques installés par an en métropole est passé de moins de 60 000 mètres carrés en 2004 à plus de 100 000 mètres carrés en 2005, celui des chauffe-eau solaires de 8 000 à 14 000 unités, et celui des systèmes solaires combinés - eau chaude et chauffage - a triplé, passant de 600 à 1 800.
S'agissant des appareils de chauffage au bois, les ventes ont augmenté de 25 % en 2005. Quant au marché des poêles à bois, il a connu un développement spectaculaire de 50 % en une seule année.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre de dispositions et d'incitations fiscales ont été mises en place pour relever ce défi que nous avons devant nous et auquel nous devons tous être associés. En effet, au-delà des politiques, des élus, c'est tous ensemble et avec tous les citoyens que nous devrons participer à cet effort collectif.
Madame la présidente, je n'aurai pas le temps - et je vous prie de bien vouloir m'en excuser - de répondre individuellement aux orateurs parce que je dois regagner l'Assemblée nationale pour achever la deuxième lecture du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
J'indique simplement à M. Saunier que, s'agissant de Natura 2000, nous avons été au rendez-vous, fixé au 30 avril. Deux points mineurs font l'objet de critiques de la part des services juridiques de l'environnement (M. Claude Saunier s'exclame), mais ils ne pourraient donner lieu à un contentieux.
Certes, il y avait beaucoup de retard. Mais nous avons envoyé tous les dossiers en temps et en heure : nous y avions intérêt, pour ne pas tomber sous le coup d'une condamnation. Cet argent, il vaut mieux le garder dans notre budget !
M. Jacques Blanc. Très bien !
Mme Nelly Olin, ministre. Sur les OGM, il y avait deux problèmes : d'abord, les OGM confinés, mais nous avons publié deux décrets qui ont mis un terme définitif au contentieux ; ensuite, les OGM en dissémination. Je rappelle que le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés a été examiné par Sénat. Nous attendons un créneau pour l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Là non plus, on ne peut pas dire que les choses n'ont pas été faites !
Le ministère dont j'ai la charge peut être heureux et fier du travail accompli en un an et demi. Quatre mois après ma prise de fonctions, nous étions à jour de toutes les transpositions des directives européennes. Aujourd'hui, ce ministère n'a aucun retard dans les transpositions. Cela permet aussi de retrouver de la crédibilité auprès de la Commission européenne. Quand on a pris des engagements, il faut les respecter ! Je m'efforce de faire avancer les choses de cette manière.
Enfin, je félicite les rapporteurs pour leur remarquable travail et le Sénat tout entier pour cette magnifique initiative. Nous n'avons effectivement pas intérêt à laisser retomber la pression parce que le changement climatique est en cours. Quelles que soient les politiques que nous pourrons engager, un consensus se dégage : retroussons nos manches pour travailler tous ensemble. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Le débat est clos.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
application de la loi du 11 février 2005 sur les handicapés
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 23 de M. Nicolas About à M. le ministre de la santé et des solidarités relative à l'état d'application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Cette question est ainsi libellée :
M. Nicolas About demande à M. le ministre de la santé et des solidarités de bien vouloir lui faire connaître l'état d'application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il souhaite notamment faire le point sur l'installation des maisons départementales des personnes handicapées, dresser le bilan des premiers mois de versement de la nouvelle prestation de compensation du handicap et connaître les difficultés éventuelles rencontrées, sur les plans réglementaire, financier et pratique, dans la montée en charge de cette prestation. Il s'interroge enfin sur les mesures prises en faveur de l'intégration des personnes handicapées dans la cité, notamment en matière de scolarisation, d'emploi et d'accessibilité.
La parole est à M. Nicolas About, auteur de la question.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a soulevé chez ces personnes et leur famille un immense espoir : celui d'un changement de regard de la société sur le handicap, celui de leur intégration pleine et entière à la vie de la cité, celui de la reconnaissance longtemps attendue d'un droit à compensation des conséquences du handicap pour rendre à chacun sa dignité de citoyen.
Notre commission des affaires sociales se classe parmi les toutes premières instances à s'être investies dans ce grand chantier de rénovation de la politique du handicap. Elle a tout particulièrement lutté pour que le droit à compensation trouve une traduction concrète. Elle s'était engagée, par la voix de son rapporteur, notre collègue Paul Blanc, en clôture des débats de février 2005, à s'assurer de la mise en oeuvre effective de cette loi fondatrice.
Vingt et un mois après son adoption, nous avons estimé qu'il est temps de faire le point sur sa montée en charge.
Avant d'entrer dans le détail, permettez-moi de rappeler rapidement les principaux objectifs de la loi. Ils sont au nombre de quatre.
Tout d'abord, il s'agissait de prévenir la survenance ou l'aggravation des handicaps grâce à une recherche plus opérationnelle et à la mise en place de consultations de prévention spécifiques pour les personnes handicapées.
Ensuite, il convenait de mettre en oeuvre le droit à compensation. Sur ce point, si l'innovation majeure de la loi a été la création de la prestation de compensation du handicap, n'oublions pas que le droit à compensation est beaucoup plus large et qu'il englobe l'accueil en établissements et services, le soutien aux aidants familiaux ou encore la protection juridique offerte par les mesures de tutelle et de curatelle.
En outre, ce texte avait pour objectif de garantir à toutes les personnes handicapées des ressources d'existence décentes lorsqu'elles sont dans l'incapacité totale de travailler, en l'occurrence au moins 80 % du SMIC.
Enfin, le dernier objectif de la loi était de permettre l'accès de tous à tout. Ce texte traitait d'abord de l'accès à l'école, avec pour priorité la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. Puis il tendait à favoriser l'accès à l'emploi, notamment dans la fonction publique, afin d'ouvrir plus largement le monde du travail aux personnes handicapées. Mais certaines mesures visaient aussi à encourager tout simplement l'accès à la vie comme tout le monde, grâce à la mise en accessibilité des bâtiments, de la voirie et des transports.
Une loi aussi complète - cent un articles ! - appelait bien évidemment de nombreux textes d'application pour sa mise en oeuvre. En l'occurrence, - et c'est une forme de record - on dénombre cent trente-huit décrets ou autres types de mesures réglementaires, sans compter l'ordonnance et la loi de ratification nécessaires à l'adaptation de ses dispositions à l'outre-mer.
Dans leur sécheresse, ces quelques chiffres montrent toute l'importance que revêt la parution des décrets d'application pour la mise en oeuvre effective de la réforme de 2005. Plus fondamentalement, le respect, par ces mêmes décrets, de l'esprit de la loi que nous avons votée conditionne la traduction concrète de l'ambition qui nous a portés.
C'est d'ailleurs pourquoi nous avions doublement encadré la procédure de publication des décrets d'application de la loi, tout d'abord en prévoyant l'avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées sur ces textes, ensuite, en imposant leur publication dans les six mois suivant le vote de la loi.
Force est de constater que ces précautions ont été vaines et qu'il s'est révélé impossible de concilier ces deux exigences. Le temps de la concertation avec ledit conseil a tant mordu sur le délai de six mois qu'à l'échéance seuls cinq décrets et deux arrêtés avaient été pris. Cela étant, je ne suis pas choqué, bien au contraire, que le Gouvernement ait accordé sa préférence à l'association des personnes handicapées à l'élaboration des textes réglementaires.
Vingt et un mois plus tard, qu'en est-il ? Je reconnais d'abord volontiers l'ampleur de l'effort fourni par le Gouvernement : au 1er octobre dernier, sur les cent trente-huit mesures prévues, quatre-vingt-treize avaient bien été prises.
Des pans entiers de la loi sont désormais applicables, même si les mentalités, elles, mettent plus de temps à évoluer. C'est le cas des dispositions relatives aux ressources d'existence des personnes handicapées ou encore de la prestation de compensation à domicile ; il en est de même pour la scolarisation des enfants handicapés et pour la réforme de l'obligation d'emploi, dans le secteur public comme dans le secteur privé.
La nouvelle architecture institutionnelle, organisée autour de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, et des maisons départementales des personnes handicapées, a également été mise en place dans les délais prévus. Au 1er janvier 2006, quatre-vingt-dix-neuf départements sur cent avaient signé la convention constitutive créant leur maison départementale. En juin 2006, quatre-vingt-dix-huit départements sur cent avaient mis en place les nouvelles commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées et quatre-vingt-huit d'entre elles s'étaient déjà réunies dans cette nouvelle configuration.
Cependant, un grand nombre de ces structures fonctionnent encore a minima, en se bornant à reconduire les politiques menées par les anciennes COTOREP et commissions départementales de l'éducation spéciale, les CDES. Cette situation était sans doute inévitable, au moins dans un premier temps. L'effort demandé aux départements était en effet considérable. En moins d'un an, il leur a fallu remobiliser l'ensemble des partenaires de la politique du handicap, alors que ceux-ci étaient fortement tentés de se retirer, considérant que la loi opérait un transfert pur et simple de compétence aux conseils généraux.
Le bilan d'un an de fonctionnement des maisons départementales montre toutefois que celui-ci pourrait être amélioré sur deux points.
Premier point, il est indispensable, et notre commission l'a souligné au cours de l'examen de projet de loi de finances pour 2007, que l'État montre l'exemple d'une véritable mobilisation en faveur de ces maisons. Or, j'observe que l'État se limite à reconduire d'année en année les crédits qu'il consacrait auparavant aux sites pour la vie autonome.
De même, l'État s'était engagé à mettre à la disposition des maisons les personnels auparavant affectés aux COTOREP et aux CDES. Or, seuls 82 % des agents concernés ont accepté ce transfert, qu'on ne peut, dit-on, imposer. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il serait normal que l'État finance les recrutements contractuels nécessaires pour compenser ces refus ?
Second point, qui me tient particulièrement à coeur, il est urgent de donner toute sa force au principe de participation des personnes handicapées aux instances dirigeantes des maisons départementales, et notamment aux commissions des droits et de l'autonomie.
On m'objectera que 75 % des départements ont fait le choix de confier la vice-présidence - c'est important - des commissions des droits à un représentant associatif. C'est à mon sens l'arbre qui cache la forêt. La présence des représentants des personnes handicapées ne doit pas se résumer à de la figuration ; elle doit permettre l'émergence d'une culture partagée et la reconnaissance du fait que les premiers experts du handicap sont les personnes handicapées elles-mêmes.
Par ailleurs, je voudrais une nouvelle fois plaider en faveur de la nécessité de garantir le pluralisme des expressions associatives à travers la présence simultanée d'associations gestionnaires et non gestionnaires, conformément d'ailleurs à l'article 1er de la loi.
Bien sûr, pour respecter la lettre de la loi, il suffit de prévoir la présence d'une seule association non gestionnaire, et de nombreux départements l'ont d'ailleurs bien compris. Mais ce faisant, monsieur le ministre délégué, on viole l'esprit du texte : si la loi n'a pas posé un interdit brutal, sous la forme d'une incompatibilité totale entre les fonctions de gestionnaire et de représentant des personnes handicapées, ni même prévu une parité exacte entre les deux types d'associations, elle n'en a pas moins entendu permettre une présence significative des associations non gestionnaires.
Souvenez-vous, à la demande du Gouvernement, la commission des affaires sociales avait accepté de laisser sa chance au monde associatif, pour qu'il prenne lui-même conscience de la nécessité de mieux séparer les fonctions de gestionnaire d'établissement et de représentant des personnes handicapées.
Alors, monsieur le ministre délégué, quelles mesures envisagez-vous pour aider les associations à s'engager dans cette voie ?
Après ce satisfecit sincère, j'en viens maintenant - c'est la loi du genre - aux dispositions d'application toujours en attente.
Elles concernent des sujets qui sont loin d'être anecdotiques et que je vais citer pêle-mêle, en commençant par les modalités du message de prévention - et je me tourne, à ce propos, vers Mme Payet - qui, destiné aux femmes enceintes, devait être apposé sur les boissons alcoolisées pour encourager l'abstinence pendant la grossesse.
Mme Michelle Demessine. C'est vrai !
M. Nicolas About. Ce sujet nous est cher, et nous serons très attentifs à ce qui va se produire.
Plus grave encore, les conditions d'attribution de la prestation de compensation du handicap aux personnes accueillies en établissements ne sont pas fixées, et c'est un volet entier de la principale innovation de la loi qui reste ainsi lettre morte.
Je pense encore au départ anticipé à la retraite pour les fonctionnaires handicapés. J'en parle d'autant plus volontiers que la « malfaçon législative » qui, d'après le Gouvernement, constituait le seul obstacle à la parution du décret est corrigée depuis six mois, monsieur le ministre délégué, grâce à l'adoption d'une proposition de loi que j'avais déposée.
Je mentionne également la question des obligations des établissements et services d'aide par le travail en matière de formation professionnelle et de validation des acquis de l'expérience des personnes handicapées accueillies. Le vide juridique est particulièrement pénalisant pour les établissements qui doivent, malgré tout, budgéter les dépenses supplémentaires provoquées par ces nouvelles obligations.
Pouvez-vous d'ores et déjà, monsieur le ministre délégué, nous apporter des précisions sur le calendrier de publication des mesures d'application qui manquent encore à l'appel ?
J'ai gardé pour la fin la lacune la plus visible, celle qui se rapporte à l'accessibilité du cadre bâti et des transports, dont Paul Blanc parlera sans doute bien mieux que moi tout à l'heure.
Certes, les décrets relatifs aux bâtiments d'habitation et aux établissements recevant du public ont été publiés, mais sans être pour autant pleinement opérationnels. J'observe de surcroît que les mesures publiées restent très en retrait par rapport aux ambitions de la loi. Par exemple, elles ont fixé au 1er janvier 2015 la date limite de mise en accessibilité des établissements recevant du public existants. Telle est l'échéance maximale retenue par la loi ! La prudence dont nous avons fait preuve en mettant un « taquet » à 2015 était donc justifiée : qu'en aurait-il été si nous n'avions pas fixé de date limite dans la loi ?
Qui plus est, outre cette échéance extrême, le Gouvernement a repoussé au 1er janvier 2011 l'obligation, pour ces mêmes établissements, d'établir au moins un diagnostic de leurs locaux. J'estime excessif, monsieur le ministre délégué, d'accorder six ans pour établir un simple diagnostic. En pratique, la plupart des propriétaires vont attendre le dernier moment pour dresser l'état des lieux de l'accessibilité de leurs locaux et ils se trouveront ensuite pris de court face à l'ampleur de l'effort à accomplir.
Dans le domaine du transport, pardonnez ma brutalité, monsieur le ministre délégué, mais la situation est carrément inadmissible : aucun décret n'est paru et on continue donc à mettre en chantier de nouvelles infrastructures importantes sans qu'une quelconque garantie soit apportée quant au respect de l'accessibilité des personnes à mobilité réduite.
J'attends un décret en particulier : celui qui est relatif à l'accessibilité des bureaux et techniques de vote. Les échéances électorales des années 2007 et 2008 seront déterminantes pour l'avenir de notre pays, et il serait singulier que les personnes handicapées soient de facto empêchées d'exercer le premier de tous les droits reconnus à chaque citoyen, celui de choisir ses représentants par le vote.
À travers l'exemple de la prestation de compensation du handicap, je voudrais enfin montrer que les décrets d'application restent parfois bien en deçà des ambitions de la loi et que la mise en oeuvre effective du droit à compensation suppose bien plus que des décrets et des arrêtés : elle nécessite, mes chers collègues, une véritable révolution des mentalités.
D'après les premières informations, le nombre de prestations de compensation attribuées au 30 juin 2006 s'élèverait à 6 500, le nombre de dossiers en instance à cette même date se situant aux alentours de 31 000. Cela dit, dans un contexte de démarrage de la nouvelle prestation, ces chiffres n'ont pas une grande signification. Les conseils généraux se plaisent d'ailleurs à souligner la montée en charge rapide, voire exponentielle, depuis cette date des prestations attribuées.
Seule tendance significative à ce stade : le nombre plus important que prévu de personnes handicapées qui choisissent de conserver le bénéfice de l'ancienne allocation compensatrice pour tierce personne, pourtant moins favorable.
Cette tendance est-elle le simple reflet d'une certaine aversion au risque, face au saut dans l'inconnu que représente la prestation de compensation, ou l'indice d'un malaise plus profond dans la mise en oeuvre de la nouvelle prestation ? Il est sans doute trop tôt pour le dire.
Si les chiffres ne nous apprennent rien, les premiers mois de versement de la prestation sont en revanche riches d'enseignements et ouvrent déjà des pistes pour adapter les textes réglementaires et les pratiques professionnelles.
Premier constat, le caractère pluridisciplinaire de l'évaluation des besoins de la personne handicapée reste bien souvent virtuel. Trop souvent, seul un médecin intervient, éventuellement accompagné d'un professionnel du secteur médicosocial, exactement comme au temps des anciennes COTOREP.
Comment, dans ces conditions, impulser le changement de mentalité nécessaire à une véritable concertation sur le projet de vie de la personne handicapée ? Sans une véritable pluridisciplinarité, les évaluations resteront établies dans le même état d'esprit, selon une approche purement médicale et restrictive des besoins de la personne.
J'ai parfaitement conscience que les équipes pluridisciplinaires ne pouvaient pas toujours être étoffées de façon satisfaisante dans des délais courts. Je voudrais cependant m'assurer que la volonté d'y parvenir existe et que le Gouvernement, qui contribue au fonctionnement des maisons départementales, est prêt à s'engager dans cette voie.
Deuxième constat, les modalités de recours aux aides humaines doivent impérativement être assouplies. Je reconnais volontiers que la publication du décret portant à vingt-quatre heures par jour le plafond des aides humaines constitue une avancée significative.
Il importe, monsieur le ministre délégué, de poursuivre en ce sens par la mise en place d'une procédure pour réétudier les dossiers des personnes lourdement handicapées qui ont, par exemple, vu leur élément « aides humaines » limité à douze heures par jour, en application de l'ancien plafond, ainsi que par la possibilité d'aller parfois au-delà de ce plafond de vingt-quatre heures, car certaines situations peuvent requérir la présence simultanée de deux aidants.
Se pose également la question du contrôle de l'effectivité de l'aide imposé aux personnes qui recourent aux aides humaines, car la pratique est, là encore, en contradiction avec la volonté initiale du législateur.
Quand nous avons approuvé la mise en place d'un tel contrôle, nous l'avions imaginé annuel et a posteriori : la personne handicapée devait percevoir chaque mois une somme correspondant à la moyenne de ses besoins, de telle sorte qu'elle puisse lisser ses dépenses d'un mois sur l'autre, la régularisation n'intervenant qu'en fin d'année.
Or, dans les faits, de nombreux départements ont prévu un contrôle mensuel, assorti d'un déclenchement du versement de l'aide sur justificatifs. Ils demandent ainsi aux bénéficiaires de l'aide d'avancer l'intégralité des sommes nécessaires à la couverture de leurs besoins pour les leur rembourser dans un délai aléatoire, sur présentation de justificatifs et dans la limite d'un plafond.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, j'ai proposé, et mes collègues députés et sénateurs m'ont suivi sur ce point, que les sommes versées puissent être globalisées par trimestre et que les justificatifs ne soient demandés qu'a posteriori. Nous aurions souhaité que cette globalisation soit automatique ; ce n'est qu'une possibilité et il convient d'obtenir, monsieur le ministre délégué, que cette possibilité devienne la règle.
Troisième constat, un certain nombre de tarifs de prise en charge prévus par le barème de la prestation de compensation doivent impérativement être revus.
C'est tout particulièrement le cas des tarifs relatifs aux aides humaines, car il existe un décalage important entre les tarifs fixés pour la prestation de compensation et les coûts réels. Le tarif horaire brut pour une embauche de gré à gré est fixé à 11,02 euros, soit un tarif net de 8,54 euros. Ce chiffre, tout le monde ici le sait, est largement inférieur aux tarifs réellement pratiqués par les professionnels de l'aide à domicile, notamment en région parisienne et dans les grandes villes.
On me rétorquera que ce tarif est plus élevé lorsque l'on recourt à un service mandataire ou prestataire. Cet argument est à mon avis totalement irrecevable : la rémunération réellement perçue par le salarié n'est pas plus importante, puisque le différentiel finance les coûts fixes du service.
Plus fondamentalement, cette disposition est même choquante : elle signifie qu'une personne handicapée qui souhaiterait se montrer économe en recourant au gré à gré serait pénalisée par un tarif de prise en charge plus bas.
Compte tenu de ces éléments, monsieur le ministre délégué, envisagez-vous une adaptation des décrets relatifs à la prestation de compensation, notamment dans son volet « aides humaines » ?
Mon quatrième et dernier constat porte sur la mise en place trop partielle des fonds départementaux de compensation du handicap.
Ces fonds sont chargés d'aider les personnes handicapées à couvrir les frais restant à leur charge après déduction des sommes versées au titre de la prestation de compensation. Or leur création est pénalisée par l'interprétation très restrictive de leurs possibilités d'intervention.
Nous avons déjà eu ce débat lors de l'examen du projet de loi de finances, mais vous me permettrez d'y revenir, car il touche à un point essentiel de la réforme de 2005 : la garantie apportée aux personnes handicapées que leur « reste à charge » en matière de compensation ne sera jamais supérieur à 10 % de leurs ressources.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Dans la limite des plafonds et des tarifs !
M. Nicolas About. Selon la loi, cette règle devait s'appliquer une fois déduites la prestation de compensation et les aides du fonds départemental de compensation. Il s'agissait d'un montage pour le moins baroque : la loi faisait ainsi porter une obligation de résultat sur un fonds entièrement alimenté par des contributions extralégales.
Au cours des débats, nous avions dénoncé le risque que la garantie soit impossible à appliquer dans ces conditions. Le Gouvernement nous avait alors répondu qu'en l'absence de contributions suffisantes de la part de leurs partenaires les départements auraient l'obligation d'alimenter le fonds de façon à disposer des crédits nécessaires à l'application effective de cette garantie.
Force est de constater que tel n'a pas été le cas. En dépit de la lettre de la loi, les départements persistent à se considérer comme des contributeurs extralégaux de droit commun au sein de ces fonds. Pis, au 30 juin 2006, 50 % d'entre eux n'avaient pas mis en place de fonds !
C'est la raison pour laquelle nous avons voulu clarifier la situation en revenant à la position première du Sénat en la matière. Nous avions donc déposé un amendement pour transférer la responsabilité d'assurer le respect du « reste à charge » du fonds de compensation vers la prestation de compensation.
Dans notre esprit, il s'agissait simplement de revenir sur une malfaçon de la loi. Toutefois, les conseils généraux ont apparemment estimé, prouvant par là leur interprétation restrictive de leurs responsabilités à l'égard des fonds de compensation, que cela augmenterait leurs charges et ont obtenu, nous nous en souvenons, le retrait de cet amendement.
Monsieur le ministre délégué, quelle forme prendra la concertation que vous avez promis d'engager avec les départements sur ce sujet particulier ? Quelles sont les pistes d'amélioration qui vous paraissent susceptibles d'être explorées à droit constant ?
Je ne puis, en effet, que prendre acte du statu quo concernant les règles d'intervention des fonds, même si j'attends en retour, comme les personnes handicapées, que les départements prennent la mesure de leurs véritables responsabilités à l'égard du fonds en s'engageant à les mettre en place et à les faire vivre sur tout le territoire, faute de quoi nous serons obligés de revenir sur ce point l'an prochain.
Telles sont, monsieur le ministre délégué, les nombreuses questions que pose aujourd'hui, à mon sens, la mise en oeuvre de la loi Handicap.
Nous devons veiller à la bonne application de ce texte, afin de ne pas décevoir les espoirs qu'il a suscités. Gardons présent à l'esprit le fait que les efforts accomplis en faveur des personnes handicapées sont des dépenses réalisées non pas au profit d'un groupe particulier, mais, au contraire pour le plus grand développement de notre société. Ne dit-on pas que la valeur d'une société se juge à l'aune du sort qu'elle réserve aux plus faibles d'entre les siens ? (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, voilà près de deux ans, alors que nous clôturions les débats relatifs à la loi pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, j'avais insisté sur le formidable espoir qu'avait suscité cette réforme et sur le fait qu'il n'était pas digne de notre démocratie d'apporter une réponse bien en deçà des attentes de dizaines de milliers de citoyens en situation de handicap.
En refusant une définition du handicap intégrant pleinement l'environnement de l'individu, force est de constater que le Gouvernement a limité l'ambition de la loi.
Le résultat patent en est qu'une fois de plus la personne handicapée se voit enfermée dans la sphère de l'assistance et ne s'inscrit aucunement dans celle de la citoyenneté.
Au premier chef de ce constat, je me dois d'évoquer la question des ressources.
Alors que les associations se sont engagées de façon loyale dans le chantier de la réforme, toutes considèrent aujourd'hui qu'il est urgent de garantir un revenu d'existence décent aux personnes handicapées, rappelant que celles-ci vivent en dessous du seuil de pauvreté !
La promesse de citoyenneté contenue dans la loi n'a donc pas passé la barrière des moyens qui sont affectés à sa mise en oeuvre.
Faute pour le législateur d'avoir consacré, au coeur de la réforme, le droit à un véritable revenu d'existence au moins égal au SMIC, nous constatons trop nombreuses différences de traitement quant à l'accès aux prestations telles que l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, la garantie de ressources, la majoration pour la vie autonome.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, a elle-même signalé l'iniquité de ces dispositifs.
Il ne faut donc pas s'étonner de la colère qui gronde et qui pousse les personnes handicapées à menacer de renoncer à utiliser leur carte d'électeur, elles qui disposent déjà de si peu de citoyenneté. Vous avez d'ailleurs pu, comme moi, monsieur le ministre délégué, entendre le cri poussé, hier dans les rues de Paris, par ces personnes, et ce pour la deuxième fois, et pour la même raison. C'est dire leur désespoir devant des promesses non tenues.
Je rappelle, pour m'en souvenir parfaitement, qu'à la fin du débat parlementaire sur la loi dont nous dressons ce soir le bilan une grande manifestation devant l'Assemblée nationale avait réuni un grand nombre de personnes handicapées. Celles-ci n'acceptaient pas, en effet, que cette loi ne contienne rien sur le niveau d'existence qui, pour elles, était le préalable à toutes les autres mesures. « Que peut-on faire de plus quand nous n'avons que les moyens de survivre ? » Telle était leur interrogation. Elles réclamaient ainsi, en vertu de la loi, une forte revalorisation de l'AAH. Le Gouvernement leur avait alors déclaré, dans un bel effet d'annonce, qu'il porterait le montant de cette allocation à 80 % du SMIC !
J'avais personnellement dénoncé, lors de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire, après avoir étudié en détail les mesures annoncées, ce qui me semblait être une supercherie et déploré qu'en fin de compte peu de personnes handicapées en seraient bénéficiaires.
Certes, monsieur le ministre délégué, vous avez vous-même reconnu, dix-huit mois plus tard - dix-huit mois perdus ! - que j'avais raison. En effet, à l'occasion du débat sur le budget de la solidarité, c'est bien vous qui avez constaté que le nombre de bénéficiaires n'était que de 50 000 sur les 150 000 attendus. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant : il suffisait de regarder la maigreur des sommes affectées à l'époque pour prévoir qu'il en serait ainsi !
Tout au long du débat sur cette loi, le problème des ressources est revenu comme un leitmotiv. Les deux ministres chargés des personnes handicapées qui se sont succédé nous ont alors expliqué que la prestation de compensation était précisément destinée à répondre au poids des charges qui pèsent sur les maigres ressources des personnes handicapées.
Or, aujourd'hui, là encore, rien n'est réellement rassurant ; le président About vient d'ailleurs d'en faire la remarque et j'y reviendrai également ultérieurement.
S'agissant toujours du revenu minimum, si j'en crois la presse de ce matin, le Gouvernement s'est à nouveau engagé à porter l'AAH à 80 % du SMIC. Un amendement a même été voté au Sénat, tendant à permettre aux personnes titulaires d'une pension d'invalidité de bénéficier du complément de ressources.
Monsieur le ministre délégué, il reste à peine un trimestre avant l'ouverture de la période électorale. Pouvez-vous nous dire avec quels moyens budgétaires et selon quel calendrier précis vous allez mettre en place ces mesures pour que celles-ci ne viennent pas s'ajouter à la liste des promesses non tenues ?
J'évoquerai maintenant une autre difficulté soulevée par cette loi, je veux parler des ressources des travailleurs des établissements et services d'aide par le travail, les ESAT. À cet égard, je ne puis que reprendre la déclaration faite par une association - l'UNAPEI, c'est-à-dire l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés -, et qui se résume ainsi : « Réforme ou supercherie ? »
En effet, les dispositions prises cette année par le Gouvernement entraînent un manque à gagner de l'ordre de 14 euros mensuels par rapport à la situation antérieure à la promulgation de loi de février 2005.
C'est ainsi que plus de 100 000 travailleurs se voient aujourd'hui pénalisés, alors qu'ils avaient fondé tous leurs espoirs d'une vie meilleure dans la réforme de la loi.
En outre, force est de constater que, malgré les déclarations optimistes, l'emploi des personnes handicapées a tendance à se détériorer, notamment en raison de l'âpreté de la concurrence et de la fragilisation des structures, précisément dues à cette loi.
J'en veux pour preuve le fait que des entreprises adaptées se trouvent actuellement en grande difficulté et se voient contraintes d'avoir recours à des plans de licenciements. Elles ne peuvent plus faire face aux pressions du marché et de la concurrence, alors que leur vocation première est de soutenir l'emploi des handicapés.
C'est la raison pour laquelle je pense qu'il convient de prendre en compte dans toute leur ampleur les propositions faites par ce secteur telles que l'attribution systématique, dans un premier temps, en 2007, de l'aide au poste maximum à tous les salariés handicapés qui bénéficiaient déjà d'un abattement de salaire maximum, ou encore la mise en place d'une disposition permettant à tout travailleur handicapé orienté en ESAT de bénéficier de l'aide au poste maximum pour une durée de cinq ans renouvelable. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une condition nécessaire pour les aider à mieux résister.
Il est indéniable que la logique budgétaire que nous avions dénoncée à l'époque tout au long des débats, qu'il s'agisse des ressources ou de l'emploi, produit aujourd'hui des effets plus que négatifs sur la portée même de la loi.
Dans le même esprit, la prestation de compensation - ce point a longuement été évoqué par le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About - bien que considérée dans le texte comme universelle, reste parcellaire, voire quelque peu illusoire. Ainsi, le reste à charge des personnes et des familles est bien loin des 10 % des revenus nets d'impôt.
Je voudrais citer un exemple des obstacles que peuvent rencontrer un certain nombre de services chargés de la mise en place de cette prestation.
La plupart des personnes handicapées éligibles à la prestation de compensation du handicap, la PCH, du fait de leur impossibilité d'accomplir seules les actes essentiels de la vie, sont, a fortiori, dans l'incapacité d'assurer l'entretien de leur logement.
Or, à la lecture des textes réglementaires, il apparaît clairement que les tâches ménagères ne figurent pas parmi celles qui sont prises en charge par la PCH, ce à quoi la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, répond en renvoyant à la prestation d'aide ménagère.
Aussi, alors que la loi de février 2005 affichait une volonté de simplification, la position prise par la CNSA obligerait les personnes handicapées à déposer un dossier supplémentaire, en même temps que celui de la PCH.
Pour parfaire le tout, la prestation d'aide ménagère n'est accessible qu'aux personnes à faibles ressources et, lorsqu'elle est attribuée par l'assurance maladie, elle ne s'inscrit pas dans la durée.
Pour répondre à cette problématique, certains départements ont déjà fait le choix d'intégrer les heures d'aide ménagère dans le plan personnalisé de compensation, impliquant, de fait, leur prise en charge par la PCH, ce qui constitue, à mes yeux, un raisonnement parfaitement cohérent. Bien sûr, les conséquences financières d'une telle option devront être examinées en termes d'impact sur les budgets départementaux, comme il conviendra de tenir compte du fait que la CNSA se refusera à compenser des dépenses qui ne résultent pas de la stricte application de la loi. Cet exemple n'est, hélas, pas unique ; nous en retrouvons d'identiques dans tous les champs de la compensation qu'il s'agisse des aides techniques comme des aides humaines.
Il était écrit que, du fait de l'imprécision - je dirais volontaire - de la prestation de compensation, nous ne pouvions qu'en arriver à de telles aberrations !
Ainsi, comme l'a rappelé le président About, le reste à charge pour les personnes handicapées constitue un véritable piège.
Par ailleurs, en l'absence de financement à la hauteur des besoins, l'on peut craindre que les bénéficiaires ne fassent les frais d'un reste à charge qui deviendra sans conteste la variable d'ajustement de l'insuffisance du financement public, en particulier quand les conseils généraux, accablés par les transferts de charges de toutes sortes, mettront inévitablement, face à cette nouvelle dépense, le pied sur le frein !
Pouvez-vous, monsieur le ministre délégué, nous apporter quelques éclaircissements sur ces contradictions ?
J'en viens à un autre point majeur de la loi qui a également suscité beaucoup d'espoirs, je veux parler de la scolarisation.
L'école républicaine se doit d'accueillir tous les enfants, quel que soit leur handicap. Là aussi, il y a loin de la coupe aux lèvres !
Il me semble que la traduction concrète du peu de moyens alloués et de l'absence presque totale de préparation des personnels de l'éducation nationale conduit - sans que ce soit l'intention du Gouvernement, bien entendu - à nier le handicap, ce qui peut se traduire par des situations de détresse tant pour l'enfant que pour sa famille et les enseignants.
Je ne m'appesantirai pas sur le tour de passe-passe du ministère de l'éducation nationale qui comptabilise les auxiliaires de vie scolaire dans son quota d'enseignants et de personnels administratifs.
Ainsi, ce ministère ne participera qu'à hauteur de 4,7 millions d'euros au fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, alors que cette contribution est estimée à 73,2 millions d'euros pour 2007.
Depuis la rentrée scolaire de septembre, les témoignages émanant des familles, des enseignants, des soignants, des médecins scolaires ou encore des praticiens de terrain affluent pour dénoncer l'échec de la scolarisation des enfants handicapés telle qu'elle a été engagée. Certes, on peut brandir les statistiques de la scolarisation massives de ces enfants, mais la réalité est tout autre, tant il est vrai que la loi induit des intégrations au forcing avec des temps de soins et d'accompagnement dérisoires.
Comment croire, par exemple, qu'avec un médecin de l'éducation nationale pour plus de 7 700 élèves, en moyenne, l'accompagnement à la scolarisation des enfants handicapés puisse être à la hauteur des besoins ?
Comment croire que les projets personnalisés de scolarisation rédigés sur un coin de table par des enseignants sans formation préalable puissent répondre correctement aux attentes des enfants et de leur famille ?
Comment imaginer que les auxiliaires de vie scolaire, les AVS, insuffisants en nombre et trop peu formés, pourront correctement assurer les missions qui leur sont confiées ?
Que signifie le fait de notifier aux parents qu'ils ont droit à tant d'heures d'AVS, tout en leur signifiant dans le même temps que les moyens budgétaires ne sont pas suffisants pour traduire dans les faits ce droit ?
Je connais une famille aux revenus modestes dont les parents ont dû s'endetter pour assurer la scolarisation de leur petite fille, Victoire, atteinte d'autisme. Ils déboursent chaque mois 1 700 euros pour permettre à leur enfant de suivre une scolarité normale et empêcher ainsi qu'elle ne finisse sa vie en hôpital de jour.
Je connais également d'autres familles à qui n'est accordée qu'une scolarisation très partielle de leur enfant handicapé : trois demi-journées, par exemple, quand ce n'est pas une seule ! Peut-on, dès lors, parler de scolarisation ?
Par ailleurs, que fait l'enfant en dehors de ce temps scolaire ? Rien ! C'est la raison pour laquelle certaines mères de famille se voient contraintes d'interrompre leur activité professionnelle, ce qui se traduit, je puis vous l'assurer, monsieur le ministre délégué, par une grande amertume !
Quant aux emplois de vie scolaire, les EVS, nous sommes indignés à double titre : en premier lieu, parce qu'il s'agit d'emploi au rabais qui ne permettent d'accéder ni à la qualification professionnelle ni à la pérennisation des postes et, en second lieu, parce que les personnes recrutées sont souvent elles-mêmes en grande difficulté et ne peuvent, faute de formation et de qualification, être à même d'accompagner les enfants en situation de handicap qui ont besoin, vous le savez, monsieur le ministre délégué, d'une personnalisation du parcours scolaire et donc d'un professionnalisme sans faille.
En outre, comment accueillir des enfants handicapés dans des classes surchargées, où les professeurs sont tout juste informés des nouvelles dispositions et les enseignants référents en sous-effectifs et sans réels moyens d'action ?
Sur cette vaste question de la scolarisation, je partage l'avis des associations, des familles et des professionnels. Tant que les conditions de disponibilité, financière et humaine, ne seront pas réunies, il y aura quelque chose de malhonnête à faire croire aux parents des enfants qui sont handicapés - ou non - que l'insertion scolaire est possible et qu'elle est bonne pour ces enfants.
Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, il y aurait bien d'autres sujets à aborder, mais je conclurai mon intervention en évoquant l'accessibilité. Même si, globalement, cette question progresse et les mentalités bougent, je profiterai de cette intervention pour porter à votre connaissance une situation riche d'enseignements, celle de Me Marianne Bleitrach.
Cette avocate au barreau de Béthune, handicapée et en fauteuil roulant à la suite d'une maladie, se bat depuis trois ans, avec le soutien d'ailleurs de l'APF, l'Association des paralysés de France, pour l'accessibilité du palais de justice de Béthune, dont l'architecture est ancienne et donc très défavorable à l'accueil des handicapés.
Comme elle n'obtenait pas satisfaction par la voie du dialogue, elle a porté son cas devant le tribunal administratif, en soulignant qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'exercer normalement sa profession. Je vous livre un extrait du jugement qui vient d'être rendu par cette juridiction : « Les difficultés d'accessibilité de Mme Bleitrach tiennent à son handicap, et non à l'aménagement des tribunaux » ! (M. le ministre délégué s'exclame.)
M. Nicolas About. Ce n'est pas possible !
Mme Michelle Demessine. Nous pouvons nous interroger sur un tel jugement. Si nous avions adopté la définition juridique de l'Organisation mondiale de la santé, aurait-il été possible ?
Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la plus grande partie des difficultés auxquelles se trouve confrontée pour son application la loi de 2005, ainsi que les déceptions qu'elle suscite, sont issues, nous le savons et n'avons cessé de le souligner, du grand écart entre les mesures adoptées et les moyens consacrés à leur financement.
M. le président. Je vous prie de conclure, ma chère collègue.
Mme Michelle Demessine. C'est bien parce que l'instauration de la CNSA, votée par le Parlement dans des conditions pour le moins acrobatiques, exclut dans ses fondements mêmes le principe d'universalité et d'égalité de traitement sur le territoire que nous en arrivons aujourd'hui à un tel bilan et à une telle déception !
La CNSA n'apporte qu'un financement complémentaire aux départements, qui doivent donc verser la différence. Or nous savons bien aujourd'hui que le compte n'y est pas ! La mise en place des maisons départementales des personnes handicapées fait partie d'un dispositif d'une rare complexité, qui révèle le manque de personnel, de formation et à tout le moins d'un référentiel national permettant une réelle harmonisation des prises en charge.
Dans ce contexte, les fonds départementaux de compensation ne peuvent tenir leurs engagements, puisqu'ils reposent sur le principe d'une participation facultative pour un champ d'intervention obligatoire. Ils illustrent parfaitement le paradoxe créé par la loi de février 2005, mais aussi, entre autres, par la loi relative aux libertés et responsabilités locales, à savoir la mise en place d'enveloppes de crédits fermées qui sont destinées à financer des besoins par nature individualisés et évolutifs !
Même la CNSA dans son rapport d'activité pour 2006 en tire les conséquences : « La question du cinquième risque se pose naturellement » - nous n'avons cessé de le dire, mes chers collègues ! - « dès l'instant où l'on prend la mesure du reste à charge lié, soit au financement de l'hébergement en établissement, soit à la fraction du coût des aides humaines et techniques qui excéderait le montant de la PCH ou de l'APA. »
Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la réforme de la loi de 1975 portait un légitime espoir de progrès et de transformation de notre culture et du regard porté sur les handicapés. Elle a permis quelques avancées. Toutefois, force est de constater que ce chantier présidentiel n'aura pas transformé ces espoirs en réalités pour les personnes qui se trouvent en situation de handicap, loin s'en faut, et je pense qu'il faudra y revenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 devait enfin permettre à des millions de personnes handicapées de vivre dignement, en tant que citoyens à part entière, dans une société équitable.
Malheureusement, près de deux ans après l'entrée en vigueur de ce texte, force est de constater que son bilan est en demi-teinte, pour ne pas dire négatif, tant les besoins sont importants.
S'agissant de l'emploi, tout d'abord, trop nombreuses sont les entreprises qui préfèrent payer l'amende et embaucher moins de 6 % de handicapés. Il est indispensable de faire respecter les obligations légales d'embauche et de montrer l'exemple dans la fonction publique, où le quota de 6 % de travailleurs handicapés n'est pas encore rempli. L'accès à la formation des personnes handicapées doit également être facilité.
Les personnes qui se trouvent dans l'impossibilité de travailler ne disposent toujours d'aucune garantie quant à l'attribution d'un revenu d'existence décent. Aujourd'hui, l'allocation aux adultes handicapés maintient bon nombre de personnes sous le seuil de pauvreté et dans la précarité, les bénéficiaires de la pension d'invalidité n'échappant pas à cette situation. Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, c'est inacceptable ! Une réforme importante de la politique des ressources accordées aux personnes handicapées doit être entreprise.
Ainsi, l'AAH doit être augmentée de façon substantielle, et notre objectif est d'obtenir la parité entre cette prestation et le SMIC.
L'annonce de l'ouverture des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, a suscité de grands espoirs. Malheureusement, à ce jour, nous ne pouvons que déplorer les difficultés rencontrées sur le terrain.
La plupart de ces maisons, organisées en groupements d'intérêt public, ont hérité d'une situation dégradée et de milliers de dossiers en souffrance. En outre, lors des transferts de personnel, elles ont souffert de défections d'agents des services déconcentrés de l'État.
Les personnes handicapées qui frappent aux portes de ces maisons attendent des réponses concrètes et rapides. Or, bien souvent, les MDPH consacrent leurs premiers efforts à rattraper les mois de retard accumulés dans l'instruction des dossiers. Il en résulte des relations tendues dans de nombreux départements, car les dossiers de handicaps à faible prévalence ne sont pas traités.
Le plan personnalisé de compensation est élaboré sans concertation, et les demandes qui ne concernent pas la prestation de compensation du handicap ne sont pas satisfaites. Cette période de rodage, préjudiciable aux handicapés, est beaucoup trop longue !
La politique de compensation que je viens d'évoquer au travers des MDPH, nous pose aussi problème, et nous pensons qu'elle doit être revue.
Le Président de la République avait promis la mise en oeuvre d'un véritable droit à compensation pour toutes les personnes en situation de handicap. Or, aujourd'hui, les associations dénoncent l'application non uniforme sur le territoire national de la nouvelle prestation de compensation du handicap.
S'agissant enfin de la scolarisation des enfants handicapés en milieu dit « ordinaire », elle laisse encore à désirer, tant pour le nombre d'élèves accueillis que pour la qualité de leur intégration. L'inscription est obligatoire mais, dans la pratique, elle est de pure forme : de nombreuses dérogations sont accordées parce que les écoles ne sont pas adaptées.
Ainsi, seule la moitié des enfants handicapés, dont l'effectif est estimé à environ 240 000, ont profité du dispositif l'an dernier. Pour nous, l'intégration en milieu ordinaire doit être la règle et les structures spécialisées, auxquelles il ne faut recourir que lorsque le handicap l'impose vraiment, l'exception. Il est donc nécessaire de renforcer les contraintes et de mieux adapter l'école en commençant, par exemple, par la formation des accompagnants, dont la pénurie est patente.
Pourtant, ces difficultés ne semblent pas près d'être résolues, notamment à cause de l'inertie de l'éducation nationale, qui n'investit pas assez dans la formation des accompagnants et ne consulte même plus les associations pour mettre en oeuvre la loi.
M. Paul Blanc. C'est vrai !
Mme Gisèle Printz. Un effort décisif doit être engagé dans cette perspective.
Enfin, il me semble important de faire le point, aujourd'hui, sur les décrets d'application qui, aux termes du dernier article de la loi, aurait dû paraître six mois après la publication de celle-ci.
Plusieurs textes d'application sont encore attendus dans divers domaines. C'est le cas en ce qui concerne l'outre-mer, puisque le délai habilitant le Gouvernement à prendre des dispositions par ordonnance est dépassé depuis le 12 février dernier. Monsieur le ministre délégué, où est donc l'égalité territoriale ?
L'application de la loi dans la fonction publique requiert encore deux décrets, dont celui, très attendu, qui permettrait l'entrée en vigueur de la loi dite « About » du 27 juin 2006 sur la retraite anticipée des fonctionnaires lourdement handicapés, texte qui corrigeait une erreur de la loi du 11 février 2005. Il en est de même du décret nécessaire à l'application de l'article 21 de la loi de 2005, qui concerne le code de l'éducation et qui est relatif aux enseignants recrutés.
Sont encore attendus plusieurs décrets sur toutes les formes de l'accessibilité, que celle-ci concerne la voirie, les locaux professionnels, les services de communication en ligne, les services publics, les transports ou les services téléphoniques d'urgence pour les déficients auditifs. Quant au décret sur l'accessibilité des bureaux et des techniques de vote, il est bien paru, mais il est très en retrait par rapport à la loi, car il se focalise presque exclusivement sur les personnes handicapées en fauteuil roulant.
S'agissant des droits et prestations, il manque trois décrets : celui qui est mentionné à l'article 39 de la loi, sur le modèle de contrat de soutien et d'aide par le travail, celui qui est évoqué à l'article 12, sur la prestation de compensation en établissement, et celui qui est prévu au V de l'article 18, sur les frais d'hébergement, également en établissement. En ce qui concerne ce dernier décret, et selon le rapport gouvernemental consacré à l'application de la loi qui date du début du mois d'octobre, l'administration en serait « au stade de la réflexion », compte tenu de l'impact de ce texte sur les personnes âgées !
S'agissant du fonctionnement des établissements et des services d'aide par le travail, les deux décrets prévus par l'article 39 de la loi ne semblent pas près de voir le jour car, selon le rapport précité, ils « demandent un important travail de concertation avec les associations des personnes handicapées et les organismes gestionnaires ».
Enfin, l'élaboration des décrets en Conseil d'État mentionnés à l'article 80 de la loi, qui sont destinés à définir les modalités de formation des aidants familiaux, des bénévoles associatifs et des accompagnants non professionnels, pourrait être abandonnée, toujours selon le rapport du gouvernement d'octobre 2006, à la suite des « mesures alternatives prises lors de la conférence de la famille du 3 juillet 2006 », ce qui est regrettable.
Pour conclure, monsieur le ministre délégué, il serait urgent que ces décrets paraissent rapidement, afin que nous puissions dresser un bilan complet de cette loi.
Toutefois, nous pouvons espérer que ce texte qui, finalement, marginalise les personnes handicapées soit le dernier de ce genre.
M. Jacques Blanc. « Marginalise » ?
Mme Gisèle Printz. En effet, le handicap devrait être traité de manière transversale, grâce à l'adjonction d'un volet spécifique dans chaque texte législatif. C'est seulement de cette façon que les personnes handicapées pourront devenir des citoyens à part entière, de véritables acteurs dans tous les secteurs de la société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Blanc. Ils n'ont rien fait pendant des années et maintenant ils viennent nous donner des leçons !
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la loi d'orientation du 30 juin 1975 a été fondamentale pour les personnes handicapées, dont elle a permis, pour la première fois, l'accueil décent dans notre pays.
Puis est venue la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce texte généreux vise un objectif auquel il est difficile de ne pas souscrire, puisqu'il tend à inscrire les personnes handicapées dans le droit commun des citoyens.
Pour cela, il a créé la prestation de compensation du handicap et simplifié les structures administratives associées à la mise en oeuvre de la politique du handicap.
En substituant aux CDES, les commissions départementales de l'éducation spéciale, et aux COTOREP, les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, une commission unique des droits et de l'autonomie des personnes handicapées au sein des maisons départementales des personnes handicapées, il permet une plus grande efficacité et un examen plus rapide des dossiers.
Ce souci de clarification ne s'est malheureusement pas accompagné des moyens nécessaires à ces louables intentions.
En effet, pour les départements, il existe une différence très importante entre le prix de référence, retenu par heure d'aide prise en charge dans le cadre de la compensation, et le coût réel d'une heure d'aide. Le montant de référence retenu est de 14,43 euros par heure d'aide, alors que son coût réel est voisin de 17 euros.
Qui est amené à payer cette différence ? Ce sont bien sûr les départements, dont les finances sont sans cesse obérées par de nouvelles charges non compensées. (M. le ministre délégué s'exclame.)
Le décalage entre prix de référence et coût réel de l'heure d'aide compromet le système de la compensation du handicap. Il pose de graves problèmes sur le terrain et remet en cause l'effectivité de l'aide, car il se traduit, très souvent, par une réduction du nombre d'heures au service de la personne handicapée.
Les départements ne sont pas les seuls à constater le décalage existant entre les tarifs fixés pour la prestation de compensation et ses coûts réels. Il est également pointé par le groupe de suivi de la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 pour les personnes très lourdement handicapées, créé au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées, le CNCPH.
Pour y remédier, le groupe de suivi du CNCPH livre trois pistes.
D'abord, il propose de modifier l'arrêté de tarification de l'élément « aide humaine » de la prestation de compensation, pour le mettre en conformité avec la réalité des coûts.
Ensuite, il suggère de définir de manière claire les principes retenus pour mettre en place le fonds de compensation, afin de couvrir la différence existante.
Enfin, il avance une modification législative du fonctionnement du fonds départemental.
Quelle que soit la solution retenue, cette charge nouvelle devra être compensée.
Monsieur le ministre délégué, c'est seulement quand vous compenserez ce décalage que la loi du 11 février 2005 pourra se voir pleinement appliquée.
Mais nous nous méfions de vous, monsieur le ministre délégué (Exclamations amusées) - M. Michel Mercier, notre président de groupe, me charge de vous le dire -, parce que nous connaissons bien votre propension à vous montrer généreux avec l'argent des départements ! (Rires.)
M. Nicolas About. Ah, c'est déjà bien !
Mme Muguette Dini. Nous aimerions donc avoir l'assurance que ce ne sera pas le cas cette fois-ci.
Je remercie Nicolas About d'avoir fait inscrire à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée cette question si importante. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
M. Nicolas About. On reconnaît bien là la vice-présidente du conseil général du Rhône !
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, très attendue par les personnes handicapées et leurs familles parce qu'elle offrait des solutions enfin concrètes à leurs difficultés quotidiennes, la loi du 11 février 2005 constitue la traduction législative du troisième grand chantier du Président de la République, celui de l'intégration pleine et entière des personnes handicapées dans notre société.
Guidée par des principes généreux, cette loi a eu pour ambition de placer entre les mains de chaque personne handicapée les outils nécessaires à la maîtrise de son choix de vie et de consolider l'architecture financière de la nouvelle prestation de compensation.
Son application a été d'ores et déjà très positive concernant un certain nombre de dispositions, telles que la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées ou la scolarisation des enfants souffrant d'un handicap.
Bien qu'ils aient accueilli avec réticence le recours au groupement d'intérêt public pour la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées, les conseils généraux se sont malgré tout fortement mobilisés pour rendre l'ensemble du dispositif opérationnel dans les délais prévus par la loi. Ainsi, dès le 1er janvier 2006 - Nicolas About l'a rappelé -, 99 départements avaient constitué juridiquement leur maison départementale des personnes handicapées.
Les départements ont également accepté de faire participer d'autres partenaires à la constitution des maisons. Selon une enquête de l'Observatoire national de l'action sociale, l'ODAS, du mois de mai 2006, 60 % d'entre eux ont élargi la composition de leur commission exécutive au-delà de ce que leur imposait la loi et 75 % ont fait le choix d'une vice-présidence associative des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, les CDAPH. Mais on pourrait aller plus loin, Nicolas About l'a souligné.
S'agissant de l'organisation concrète des maisons départementales des personnes handicapées, l'enquête de l'ODAS montre que les départements dans leur quasi-totalité - 97 % - ont choisi de les constituer en un lieu physiquement identifié, tout en s'appuyant sur un réseau de proximité, dont le maillage recoupe celui qui a été retenu par le département pour ses circonscriptions d'action sociale.
Je ne peux que me féliciter de cet investissement des conseils généraux dans les maisons départementales des personnes handicapées. Il est en effet évident qu'ils ne peuvent demeurer un partenaire parmi d'autres, mais qu'ils ont, bien au contraire, vocation à en piloter les actions.
Financièrement, l'État a également su s'investir dans le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées. Je regrette simplement que certains personnels transférés n'aient pas réellement accepté leur mise à disposition, fragilisant ainsi sérieusement la mise en place de ces établissements dans de nombreux départements.
Un autre progrès réside dans la scolarisation des enfants handicapés.
L'accent mis par le Gouvernement depuis 2002 sur la scolarisation en milieu ordinaire des enfants handicapés a été confirmé par la loi du 11 février 2005. Avec l'élaboration d'un projet personnalisé de scolarisation, en concertation entre les parents, l'enseignant référent et l'ensemble des professionnels intervenant, les décisions concernant l'orientation de l'enfant sont prises dans de meilleures conditions, et il est bien plus facile qu'avant de mobiliser pour lui les dispositifs de soutien les plus adaptés.
On constate notamment une augmentation sensible du nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire. Dès la rentrée scolaire de 2005, ce nombre a augmenté de 36 % dans le premier degré et de 55 % dans le second degré, par rapport à l'année scolaire 2003-2004.
Ce succès - car je considère que c'en est un - est rendu possible par le développement des dispositifs d'accompagnement des élèves handicapés : la création de places en services d'éducation spéciale et de soins à domicile, les SESSAD, et le recrutement d'auxiliaires de vie scolaire chargés d'accompagner les enfants au quotidien dans leur scolarité. C'est un véritable progrès.
Je me félicite aussi de la proportion croissante d'enfants qui peuvent bénéficier d'une prise en charge mixte, alliant accueil en établissement d'éducation spéciale et scolarisation - au moins à temps partiel - à l'école ordinaire. Le développement de partenariats entre les établissements médicosociaux et les écoles, collèges et lycées de proximité doit effectivement être encouragé.
Il semble ainsi évident que les établissements médico-sociaux pourront se recentrer sur la prise en charge des enfants présentant les handicaps les plus lourds pour le plus grand profit de ces derniers, accroissant ainsi dans la mesure du possible la place strictement réservée aux programmes d'enseignement pour leur permettre de progresser dans des conditions toujours plus satisfaisantes.
Il existe en revanche des domaines dans lesquels l'application de la loi est perfectible. Je voudrais en particulier me pencher sur l'emploi des personnes handicapées et sur la prestation de compensation, pour enchérir sur les propos de Nicolas About.
L'accès au travail des personnes handicapées demeure très difficile. Un nombre toujours important de personnes handicapées se trouvent dans l'incapacité, temporaire ou définitive, de subvenir à ses besoins par son travail.
La loi de 2005, complétant la loi de 1987, contient des mesures très positives pour favoriser l'emploi des personnes handicapées : réforme de l'obligation d'emploi, renouvellement des missions de l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, et du réseau Cap emploi, création du Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique, renforcement des aides aux entreprises adaptées...
Les premiers résultats de la réforme de l'obligation d'emploi demeurent pourtant décevants. En effet, les demandeurs d'emploi handicapés semblent profiter beaucoup moins de l'embellie économique que les autres : leur taux de chômage n'a reculé que de 1,1 % en 2005, alors qu'il baissait de 5,1 % pour l'ensemble de la population ; une amélioration semble toutefois se dessiner en cette fin d'année.
Il semble qu'un nombre encore trop important d'entreprises continue à méconnaître l'esprit de l'obligation d'emploi, en recourant systématiquement à la contribution à l'AGEFIPH, malgré le triplement des sanctions financières applicables.
M. Nicolas About. Oui !
M. Paul Blanc. Pour autant, l'AGEFIPH se bat et reste offensive. Je me félicite de deux actions dans lesquelles elle investit actuellement de façon prioritaire : le soutien apporté à la formation professionnelle des personnes handicapées et le financement du réseau Cap emploi.
Pour ce qui concerne les établissements et services d'aide par le travail, les anciens CAT, l'État poursuit son effort avec des crédits pour l'année prochaine en hausse de 3,5 % par rapport à 2006.
De nouvelles dispositions concernant le statut des personnes handicapées accueillies en ESAT, notamment celles qui sont relatives à l'incitation au départ vers le milieu ordinaire de travail, entrent en vigueur en 2007. Je ne peux que me réjouir de la création de ces passerelles entre milieu protégé et milieu ordinaire de travail.
Il demeure une difficulté s'agissant de la rémunération garantie en établissements et services d'aide par le travail qui devait permettre aux personnes handicapées de profiter des fruits de leur travail, malgré leur plus faible productivité.
Désormais, le montant de l'aide au poste est calculé de façon à ce que l'effort réalisé par l'établissement pour améliorer la part de la rémunération financée sur ses ressources propres ne soit plus totalement absorbé par une baisse à due concurrence de l'aide de l'État et ne traduise donc plus par une stagnation du revenu des personnes concernées.
Toutefois, dans les faits, cette revalorisation de la rémunération garantie a finalement été moins ambitieuse que prévue et ne permet pas aux personnes accueillies en ESAT de se passer de l'AAH pour compléter leurs ressources, contrairement à ce qui avait été annoncé lors du vote de la loi Handicap.
Dans ces conditions, les modalités du cumul entre AAH et rémunération garantie doivent faire l'objet d'une attention toute particulière, afin que les efforts réalisés pour rendre la rémunération garantie progressive en fonction du salaire direct versé ne soient pas annulés par un montant d'AAH lui-même strictement dégressif au fur et à mesure de l'augmentation de cette rémunération.
Le Gouvernement a tenu compte de cette question, en mettant fin au plafonnement du cumul entre rémunération garantie et AAH et en créant un dispositif d'abattement sur les revenus perçus en ESAT.
Mais il reste d'autres difficultés pratiques aux conséquences inconnues. Qu'adviendra-t-il en cas d'arrêt de travail ? Il semble qu'il y ait subrogation automatique de l'entreprise pour payer la rémunération due à la personne malade. Mais aucun délai d'application maximum de cette subrogation n'est prévu. Si l'État et l'ESAT se subrogent pendant la totalité des périodes ouvrant droit à une indemnisation au titre de l'assurance maladie, le délai de carence leur est opposable. Cette charge va peser sur le budget des ESAT à concurrence de sa participation dans la rémunération. Comment vont-ils pouvoir y faire face, leurs budgets étant déjà très serrés, alors qu'ils sont déjà confrontés à des conditions de concurrence extrêmement fortes ?
La mise en oeuvre de l'obligation d'emploi dans le secteur privé, si elle n'est pas exemplaire, est toutefois en progression. En revanche, dans la fonction publique, elle semble se heurter à une force d'inertie extrêmement regrettable.
En effet, le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique connaît un démarrage très difficile, sans doute parce que la culture et l'accompagnement du handicap font encore grandement défaut à la fonction publique.
L'état des lieux est peu brillant. Le traitement des déclarations par le FIPHFP a révélé un taux de 3,6 % de personnes handicapées employées dans la fonction publique, soit une proportion sensiblement plus faible que celle qui avait été avancée avant l'adoption de la loi de 2005.
En outre, les chiffres collectés sont peu fiables. En effet, dans les trois fonctions publiques, la notion de personne handicapée est entourée d'un grand flou. De cette incertitude sont nées des situations anormales. Des agents atteints d'une incapacité de seulement 10 % ont ainsi été décomptés au titre de l'obligation d'emploi ! Et je ne parle pas de l'éducation nationale ou des assistantes scolaires !
Le guide du bon usage de l'obligation d'emploi, que prévoit d'éditer et de diffuser le comité national du fonds, est donc une nécessité urgente.
Le fonctionnement du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique n'est pas non plus satisfaisant. Les services de la Caisse des dépôts et consignations sont chargés de la gestion technique et financière. Ils facturent ce service près de 6 millions d'euros, sans que cette somme corresponde à des prestations identifiées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas About. C'est scandaleux !
M. Paul Blanc. De plus, ils gèrent l'argent collecté auprès des administrations et services en attendant son affectation, mais cet argent n'est pas placé sur des comptes rémunérés ! Pourtant, 52 millions d'euros ont été collectés en 2006.
M. Nicolas About. Il faut intervenir, monsieur le ministre délégué !
M. Paul Blanc. En outre, il n'y a aucune structure administrative pour faire vivre et dynamiser l'activité du fonds. Il serait donc nécessaire que le comité national puisse s'entourer de quelques personnes motivées, notamment d'un juriste et d'un responsable de la communication, qui lui permettraient d'élaborer ses stratégies d'action et de communication et de disposer d'une expertise sur les questions du handicap. Le décret du 3 mai 2006 nécessiterait donc d'être modifié dans ce sens, monsieur le ministre délégué.
M. Nicolas About. C'est urgent!
M. Paul Blanc. Quant aux comités locaux devant être constitués dans chaque région, ils sont censés délibérer sur les priorités du fonds à l'échelon régional, les décisions de financement des projets en région et l'utilisation des crédits alloués par le comité national. Leur mise en place, encore non effective, est donc indispensable pour faire remonter au comité national les projets des employeurs et pour contrôler les dépenses sur les projets que le comité national a décidé de financer.
S'agissant des sommes collectées, elles sont réparties en trois sections correspondant à chacune des fonctions publiques. Un décloisonnement relatif des financements serait utile, aussi bien pour lancer des actions communes à plusieurs fonctions publiques que pour mettre en place, en partenariat avec l'AGEFIPH, des actions tournées vers les salariés du secteur privé et les agents des trois fonctions publiques.
Il serait notamment utile de pouvoir mobiliser une partie de ces fonds pour réaliser des études ou des audits dans les administrations ou les établissements, afin d'évaluer les besoins des personnes handicapées et les diverses solutions permettant le maintien dans l'emploi, ainsi que pour réaliser des actions de sensibilisation des directions des ressources humaines et des agents de la fonction publique sur l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail.
De même, le réseau Cap Emploi, financé par l'AGEFIPH, qui oriente déjà des travailleurs handicapés vers la fonction publique, pourrait être utilisé par les fonctions publiques, le fonds pouvant payer des prestations de services.
L'étanchéité des frontières entre secteurs public et privé n'est donc pas favorable à l'emploi des travailleurs handicapés.
M. Nicolas About. C'est sûr !
M. Paul Blanc. De manière plus générale, il faut veiller à considérer l'emploi des personnes handicapées dans une perspective globale, en évitant de recréer des barrières là où elles n'ont pas lieu d'être.
M. Nicolas About. Eh oui !
M. Paul Blanc. Concrètement, les premières aides matérielles devraient être versées au début de l'année 2007, après la constitution des comités locaux. Ce long temps de démarrage n'est pas anormal et rappelle celui qu'avait connu l'AGEFIPH après le vote de la loi du 10 juillet 1987. Cependant, aujourd'hui, nous disposons justement de l'expérience de l'AGEFIPH, et il est regrettable que le fonds ne puisse visiblement pas en profiter pour accélérer la mise en place des aides et qu'il soit ralenti par une mauvaise organisation dès le départ.
M. Nicolas About. Fusion !
M. Paul Blanc. Pourtant, l'enjeu est énorme. Un travail de sensibilisation est indispensable, la fonction publique n'ayant pas encore la culture du handicap. Le recrutement par concours ne peut être un succès que si les autorités de nomination sont correctement sensibilisées et informées sur les questions relatives au handicap et finissent par considérer qu'un travailleur handicapé formé, encadré et dont le poste est adapté peut produire un travail aussi efficace, si ce n'est plus, qu'un agent valide. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Paul Blanc. Le comité national du fonds doit donc pouvoir mener des campagnes d'information et de pédagogie en ce sens. Or le décret du mois de mai 2006 ne semble pas assez clair sur ce point, puisque les gestionnaires des fonds issus de la Caisse des dépôts et consignations refusent d'y consacrer les sommes nécessaires. Il est donc très important que le décret puisse être réécrit dans les meilleurs délais - je le répète, monsieur le ministre délégué -, de sorte que le fonds puisse communiquer, faire connaître son activité et développer ses interventions.
S'agissant de la prestation de compensation du handicap, la PCH, que Nicolas About a longuement évoquée, elle est sans doute la plus grande avancée du texte voté en 2005. Elle vise à prendre en charge les surcoûts de toute nature liés au handicap. Elle constitue un véritable progrès par rapport à la situation antérieure, puisqu'elle couvre un domaine bien plus large que l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, dont elle prend la suite. Contrairement à cette dernière, elle est versée sans condition de ressources et son montant est non plus forfaitaire, mais calculé en fonction des besoins réels du demandeur. Comme nous l'avions fait remarquer au moment de la discussion de la loi, c'est du sur-mesure !
D'après un premier bilan réalisé par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et de la statistique du ministère de la santé et des solidarités, au 31 août 2006, environ 38 000 demandes de PCH avaient été déposées, et non 31 000, comme vous l'avez indiqué, monsieur About, et 6 500 prestations avaient été réellement attribuées. Ce nombre, encore très faible, n'est pas anormal. Il est à mettre en lien avec la mise en place de la nouvelle architecture institutionnelle de la politique du handicap.
Toutefois, les incertitudes quant au barème de la PCH et au contrôle de l'effectivité de l'aide apportée contribuent également à ralentir les demandes, certaines personnes handicapées continuant de manifester une préférence pour un maintien dans le dispositif de l'allocation compensatrice pour tierce personne.
S'agissant de la PCH à domicile, les premiers mois de versement montrent, à l'évidence, la nécessité de procéder à certains ajustements, d'ailleurs bien naturels, pour calibrer au mieux une prestation aussi innovante, tant dans son mode d'instruction que dans ses modalités de calcul.
Il importe, d'abord, de diversifier la composition des équipes pluridisciplinaires, en y associant des professionnels d'horizons différents, formés à la prise en compte du projet de vie de la personne handicapée. Il convient également d'assouplir les dispositions relatives aux aides humaines, notamment pour ce qui concerne la question des tarifs de prise en charge, particulièrement faibles, comme cela a déjà été souligné. Il est enfin indispensable de revoir les règles relatives au contrôle de l'effectivité de l'aide. Ainsi, il n'est pas normal que, dans la pratique, on demande aux bénéficiaires de faire l'avance des sommes nécessaires à la couverture de ses besoins, ces dernières lui étant remboursées avec un mois de décalage, sur présentation de justificatifs et dans la limite d'un plafond. Je rejoins, sur ce point, les critiques qui ont été formulées par mon collègue et ami Nicolas About.
La situation devrait s'améliorer avec l'introduction, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, d'un amendement tendant à modifier la date de versement des sommes relatives aux aides humaines et à autoriser un versement de ces dernières par tranches trimestrielles.
Enfin, Nicolas About a longuement abordé la question de l'accessibilité, je n'y reviendrai pas.
On ne peut débattre de l'application de la loi de 2005 sans aborder les perspectives d'évolution du plan de financement et des structures de gestion.
Dès l'origine, le débat s'est concentré sur l'opportunité d'étendre les missions de la sécurité sociale à la gestion des risques du handicap et de la dépendance. Or, malgré plusieurs projets, aucun gouvernement n'a pu trouver les moyens d'instituer cette cinquième branche.
Une nouvelle caisse, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, a enfin été créée en 2005 pour gérer le financement, alors que la gestion des prestations est confiée aux départements. Aujourd'hui, s'il n'est certes pas impossible de retourner en arrière et de créer, dans le cadre de la sécurité sociale, une nouvelle branche, peu importe qu'elle soit gérée de manière autonome ou par l'une des caisses nationales existantes, cela ne m'apparaît pas souhaitable.
L'existence de la CNSA a créé une sorte de parcours fléché des financements qui permet une identification précise des sommes collectées et des dépenses effectuées. Les Français ont ainsi la garantie que l'argent qui transite par la CNSA est bien employé pour financer ce pour quoi il est versé : la prise en charge de la dépendance et du handicap. Cette caisse n'est pas noyée dans un grand ensemble où la tentation de compensation entre branches est toujours forte.
La situation financière de la sécurité sociale ne plaide pas non plus en faveur de cette solution.
Il n'est pas davantage question de relever les prélèvements sociaux au moment où nous souhaitons, au contraire, renforcer le pouvoir d'achat des salariés.
Il me semble inopportun de renoncer au mode de fonctionnement de la CNSA, qui réunit l'ensemble des acteurs du terrain, notamment les représentants des associations, dont le rôle dans ce secteur est essentiel, au profit d'une gestion paritaire.
Le département, sorte de pilote auprès duquel est déconcentrée une fraction significative des moyens permettant la prise en charge de la dépendance et du handicap, s'est investi avec succès dans le dispositif. Pourquoi remettre en cause ce qui fonctionne ?
Pour toutes ces raisons, je considère que la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale ne doit plus être envisagée.
Par ailleurs, cette politique de prise en charge généreuse a bien évidemment un coût. Comment allons-nous donc faire face aux dépenses croissantes engendrées par la solidarité ? En 2005, il a été décidé de financer la politique du handicap par la solidarité, c'est-à-dire par l'augmentation du temps de travail. Suivant l'exemple de l'Allemagne, qui finance depuis plusieurs années l'autonomie des personnes âgées par la suppression d'un jour férié, nous avons retenu cette option originale, qui consiste à solliciter des salariés français le sacrifice d'un peu de leurs loisirs pour permettre à leurs aînés et aux personnes souffrant d'un handicap de vivre dans des conditions plus dignes et de bénéficier d'un confort qu'ils souhaiteront demain pour eux-mêmes.
Ce choix de renoncer à l'un des onze jours fériés existants était d'autant plus symbolique que c'était la première fois, depuis plus de vingt ans, que la durée du temps de travail en France était majorée, en application d'une décision législative.
Nous avons, par ailleurs, une large marge de manoeuvre, puisque la France a la caractéristique d'être à la fois l'un des pays où l'on travaille le moins et où les salariés sont les moins nombreux, une autre forme d'exception ! En tout état de cause, l'extension, voire la préservation, d'un système de protection sociale généreux ne peut être financée, à long terme, que par l'accroissement de la production de richesse généré par le travail. Il est donc clair, selon moi, que l'on ne peut préserver durablement un niveau élevé de protection sociale et demeurer l'un des pays développés où l'on travaille le moins.
Mme Gisèle Printz. C'est le pays développé où l'on travaille le mieux !
M. Paul Blanc. C'est pour cela que nous ne pourrons certainement pas faire l'économie de la création d'une journée de solidarité supplémentaire pour ceux qui ont besoin de nous.
Pour conclure, la mise en oeuvre de cette grande loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont nous pouvons être fiers, n'est ni aussi rapide, ni aussi parfaite que nous le rêvions. Elle est, toutefois, satisfaisante et ses effets vont progressivement se faire sentir pour améliorer considérablement la vie quotidienne de nos concitoyens envers lesquels l'engagement sur le principe de solidarité est ainsi renouvelé.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, depuis 1993, il a toujours été question, y compris dans cet hémicycle, de réformer la loi de 1975, qui, trente ans après, ne connaissait pas une totale plénitude. Mais il a fallu attendre que la majorité d'aujourd'hui prenne les choses en mains et décide de le faire. Il faudra s'en souvenir un jour ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, après l'intervention de M. Paul Blanc, notre éminent collègue, vous aurez sans doute à me pardonner quelques redites.
La loi du 11 février 2005 en faveur des personnes handicapées a défini de nouvelles obligations et un contexte nouveau, pour une approche et une prise en charge du handicap dans toute sa diversité. Elle fait de la personne handicapée un citoyen à part entière et non plus un citoyen à part.
Cette loi vise à affirmer et renforcer les droits fondamentaux des personnes handicapées mais, surtout, elle apporte un regard neuf sur le handicap, en intégrant sa diversité et en plaçant la personne au centre des dispositifs pour une compensation du handicap et un accompagnement tout au long de la vie.
La mission « Solidarité et intégration » de la loi de finances pour 2007 intègre comme une de ses priorités la montée en charge de la loi Handicap, la deuxième étant la poursuite du plan de cohésion sociale.
Les crédits ouverts devront permettre la montée en puissance des dispositions de la loi. Ils sont en progression de 3 % par rapport à 2006, les crédits ouverts dans le cadre d'autres missions mis à part.
Les efforts du Gouvernement pour assurer les engagements du Président de la République et respecter les volontés du législateur, tout en restant à l'écoute du secteur, sont réels.
Néanmoins, le chantier en est encore à ses débuts,...
Mme Gisèle Printz. Depuis deux ans !
M. Georges Mouly. ...et les efforts qui restent à accomplir sont importants.
Je mentionnerai quelques points qu'il me paraît opportun d'aborder aujourd'hui.
L'une des mesures phare de la loi est la prestation de compensation. C'est une innovation majeure, dont l'accès doit être perfectionné. Il s'agit d'un réel progrès, mais encore faut-il assurer une égalité de traitement sur tout le territoire national et rendre la prestation plus attractive que l'allocation compensatrice de tierce personne, pour laquelle les bénéficiaires optent le plus fréquemment en raison de l'absence de justificatifs à produire et du fait qu'il n'y a pas d'avance à faire.
Monsieur le ministre délégué, existe-t-il un référentiel d'évaluation qui pourrait être appliqué à tout le territoire ?
Mme Muguette Dini. Non !
M. Georges Mouly. Je pose cette question, car je crois savoir qu'il existe quelques expérimentations ; il faudra, si possible, les évaluer et en tirer les enseignements.
Par ailleurs, le coût des aides humaines et le prix élevé des aides techniques sont souvent mentionnés comme particulièrement pénalisants. La parentalité des personnes handicapées, dès lors qu'elle fait partie du projet de vie, est encore insuffisamment prise en compte lors de l'évaluation dans le cadre de l'attribution du plan.
Les fonds départementaux de compensation du handicap doivent être impérativement mis en place partout et pouvoir réellement financer le reste à charge pour les personnes handicapées.
À défaut d'un cadre plus contraignant, les inquiétudes sont grandes quant à des partenariats disparates d'un département à un autre, quant à la pérennité des financements ou à la simple reconduction des financements précédemment assurés dans des dispositifs tels que le site pour la vie autonome, le SIVA, ou l'AEH, par exemple.
Beaucoup d'interrogations subsistent pour ce qui concerne les ressources des personnes handicapées.
C'est avec satisfaction qu'a été accueillie cette mesure plus favorable que constitue la possibilité de cumul de l'AAH et de la rémunération.
M. Georges Mouly. Néanmoins, les conditions d'attribution du complément de l'AAH restent trop restrictives. Quelles mesures pourrait-on envisager pour rendre à l'AAH son véritable rôle de compensation d'une « inemployabilité » ?
Les efforts qui restent à faire en ce qui concerne l'emploi des personnes handicapées, élément essentiel d'intégration sociale, que ce soit en milieu protégé ou en milieu ordinaire, sont également importants.
Malgré les diverses avancées réalisées - frais de siège, cumul des AAH et des rémunérations, augmentation des crédits pour des places supplémentaires en 2007 - les établissements et services d'aide par le travail s'inquiètent : la réforme est applicable au 1er janvier 2007, alors que les décrets d'application sont encore attendus, notamment pour l'élaboration du contrat de séjour et de soutien.
L'essentiel de l'inquiétude tient au niveau de l'aide au poste et de son caractère global, qui risque d'entraîner une sélection des travailleurs handicapés les plus performants, laissant sur le bord de la route les personnes handicapées plus déficientes.
Mme Muguette Dini. C'est certain !
M. Georges Mouly. Ne pourrait-on envisager, lors de l'élaboration des conventions avec les tutelles, la prise en compte de variables d'ajustement, par exemple le temps effectif au poste de travail et le vieillissement ?
Quant aux entreprises adaptées, la transformation des ateliers protégés en entreprises adaptées est l'aboutissement d'une revendication du secteur et la réforme inscrit pleinement l'entreprise adaptée au sein de l'économie de marché.
Toutefois, pour conserver son rôle de passerelle entre le milieu ordinaire et le milieu protégé, mission qui reste inscrite et sous-entendue dans le terme « adaptée », ces entreprises méritent une attention toute particulière des pouvoirs publics.
L'Union nationale des entreprises adaptées, l'UNEA, a procédé à une étude comparative du coût que représente une personne handicapée sans emploi et une personne handicapée employée en entreprise adaptée : le rapport est incontestablement favorable à l'emploi en entreprise adaptée, quel que soit le régime de la personne handicapée, qu'elle relève de l'AAH, du RMI ou de l'ASS.
L'UNEA plaide donc pour une augmentation du contingentement de l'aide au poste.
Cependant, dans la mesure où les entreprises adaptées s'inscrivent dans le marché, ne pourrait-on envisager une mesure permettant de leur réserver une part des marchés publics ?
En effet, le problème auquel est confronté le secteur est, notamment, celui des délocalisations, qui pèsent très lourdement sur les carnets de commandes.
La loi de 2005 a tenu à réaffirmer l'obligation inscrite dans la loi de 1987 et a renforcé le système de sanctions. Le fondement du texte de 1987 demeure ; il s'agit bien de l'emploi de personnes handicapées.
Les emplois induits ne sont pas comptabilisés. Or il semblerait que certains services de l'État s'excluent de cette règle, en intégrant dans le calcul de l'effectif pris en compte pour l'obligation d'emploi les postes affectés à l'accompagnement des élèves handicapés. Une telle procédure est à mes yeux absolument inacceptable.
La création du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, est une avancée incontestable, la fonction publique représentant un formidable gisement d'emplois.
Mis en place depuis mai 2006 et disposant d'un conseil d'administration, ce fonds a-t-il défini une politique pour atteindre l'objectif de 6 % ?
Cette obligation d'emploi est encore loin d'être intégrée dans la culture de la fonction publique, notamment de la fonction publique territoriale, et il serait particulièrement judicieux que, par ce biais, puisse effectivement être financé le réseau Cap emploi.
Par ailleurs, le décret du 9 février 2006, relatif aux emplois ordinaires avec abattement de salaires, semble inadapté au handicap mental et psychique : la notion de lourdeur du handicap concerne-t-elle toutes les formes de handicap ? Si c'est le cas, comment opère-t-on pour le handicap psychique et mental ? Quelles mesures d'accompagnement sont-elles définies ? Ces questions se posent.
L'objectif qui consiste à donner toute leur place aux personnes handicapées dans la cité est un véritable défi à relever. L'ampleur du chantier est immense.
Un autre secteur est essentiel : celui de la scolarisation. Ce secteur bénéficie d'efforts remarquables. Il connaît des progrès importants en matière de scolarisation en milieu ordinaire - le développement des dispositifs et l'augmentation du nombre d'élèves l'attestent - aussi bien qu'au sein des établissements d'éducation spéciale.
L'accompagnement des élèves est au coeur du système, et l'effort de l'État en matière de création de postes d'accompagnement est important, qu'il s'agisse des AVS, auxiliaires de vie scolaire, ou des EVS, les emplois de vie scolaire.
Cependant, des questions se posent aujourd'hui quant à la formation de ces personnels, la pérennité des financements et l'articulation entre les missions des AVS et des EVS.
Ces emplois doivent devenir attractifs et offrir un déroulement de carrière. Pour un accompagnement de qualité, ils ne doivent pas être considérés comme une orientation professionnelle par défaut.
En ce qui concerne la continuité du parcours scolaire, notamment pour les seize-vingt ans, car il faut se préoccuper de ce qui se passe une fois l'âge de seize ans atteint, je ne peux qu'insister de nouveau sur l'importance qu'il y a lieu d'attacher à la préparation de l'insertion professionnelle des adolescents et rappeler l'existence d'un projet dont j'ai déjà fait état ici, monsieur le ministre délégué, s'agissant de l'accompagnement spécifique d'adolescents handicapés de seize à vingt ans.
Dans la réponse que vous m'avez faite le 7 mars dernier à une question orale que je vous avais adressée sur ce point, monsieur le ministre délégué, vous vous disiez déterminé, sur la base des propositions que je formulais, à apporter des réponses concrètes à ce problème et, pour commencer, à permettre à des projets tels que celui qui a été mis au point avec le monde associatif et les institutions spécialisées de mon département...
M. Paul Blanc. La Corrèze !
M. Georges Mouly. ...de voir le jour.
Le conseil régional de l'organisation sociale et médico-sociale du Limousin s'est prononcé favorablement : ce service d'accompagnement en faveur des jeunes de cette tranche d'âge reconnus comme handicapés apporterait une réponse innovante, après l'orientation déterminée par la commission départementale des droits pour l'autonomie des personnes handicapées, sur le principe des SESSAD.
Il concernerait des jeunes de seize à vingt ans scolarisés en unités pédagogiques d'intégration 3, ou en apprentissage, en centres de formation d'apprentis, ou en centres spécialisés de formation d'apprentis, qui sortiraient sans solution immédiate des UPI, des sections d'enseignement général et professionnel adapté ou des instituts médico-éducatifs, notamment.
Pour conclure, je souhaiterais souligner l'importance de la mobilisation des départements, qui a permis la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, dispositif qui, au même titre que la prestation de compensation, est une mesure phare de la loi, qui offre aux personnes handicapées et à leur entourage un lieu unique, et un lieu de proximité, en vue de faciliter par l'accueil, l'information, l'orientation et l'évaluation, l'accès à l'ensemble des solutions de compensation.
Mon interrogation porte sur l'équipe pluridisciplinaire, pivot de l'évaluation des besoins : ne serait-il pas opportun de s'assurer, au-delà la simple transposition des anciennes CDES, et COTOREP, qu'elle soit représentative des handicaps dans toute leur diversité, handicap psychique inclus, et intègre des compétences dans les secteurs de la petite enfance et du vieillissement ?
Pour terminer, je saluerai M. About, qui est à l'initiative de l'organisation de ce débat.
Monsieur le ministre délégué, compte tenu de votre écoute et de votre volonté d'aboutir, nous ne doutons pas de l'évolution favorable de ce dossier, notamment une fois que les différents textes réglementaires d'application en attente auront été publiés. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle San Vicente-Baudrin.
Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, dans sa forme, le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées semblait ambitieux.
Sur le fond, nous l'avions dit lors des débats, les carences restent nombreuses. On remarque notamment le manque des crédits nécessaires à une application pleine et entière de la loi.
La réussite de la scolarisation en milieu ordinaire, par exemple, requiert bien souvent une prise en charge individualisée mais aussi des personnels formés et stables au sein des établissements.
Monsieur le ministre délégué, en tenant compte des disparités qui règnent entre académies, départements et communes, ou encore entre établissements scolaires, comment les rectorats peuvent-ils avoir une attitude volontariste quant à cette politique d'intégration : ils ne disposent pas d'une enveloppe budgétaire constante suffisante pour recruter les auxiliaires indispensables au soutien tant individuel que collectif des enfants handicapés.
L'esprit de la loi était pourtant de donner un droit à une éducation en milieu ordinaire appropriée au handicap.
L'article L. 351-3 du code de l'éducation défend le même principe, tout comme le décret du 6 juin 2006.
Sur 152 000 élèves handicapés, 13 500 jeunes scolarisés dans le primaire et le secondaire auraient bénéficié de 4 640 soutiens individuels.
Le plan d'adaptation et d'intégration scolaire pour la période 2003-2007 envisageait la création de 6 000 postes d'auxiliaire de vie scolaire. L'année scolaire en cours montre pourtant que nous sommes loin du compte, et ce malgré l'amalgame fait entre les AVS et les EVS.
Je le répète, l'intégration scolaire exige des moyens tant quantitatifs que qualitatifs. Or, les AVS sont souvent des étudiants en cours de cursus universitaire et n'ont d'autres formations qu'une information technique, plus ou moins succincte, sur les déficiences du handicap et les besoins particuliers en matière d'apprentissage. Quant aux EVS, ce sont des contrats précaires par excellence : ceux qui occupent de tels emplois n'ont aucune formation et sont recrutés trop souvent pour des tâches administratives. Hormis le dispositif de validation des acquis de l'expérience, aucune autre formation qualifiante de quelque ordre que ce soit n'est prévue, et il faut bien avouer que les « débouchés » en secrétariat sont faibles.
Cette situation est regrettable, car les EVS étaient à l'origine destinés à accueillir les enfants de maternelles.
De plus, monsieur le ministre délégué, une rumeur circule actuellement concernant les ATSEM, les agents territoriaux spécialisés en écoles maternelles. Ma question n'est pas anodine puisque ces agents de la fonction publique sont des employés municipaux : est-il envisagé, eu égard aux nouvelles dispositions statutaires et indiciaires applicables dès le mois de janvier prochain, que cette profession soit chargée, dans un proche avenir, de l'accompagnement des enfants handicapés ?
La loi du 11 février 2005 présentait le grand intérêt de permettre à des jeunes qui étaient auparavant orientés en établissements spécialisés d'intégrer le milieu ordinaire, ce qui devait libérer des places pour d'autres enfants plus lourdement handicapés. Or, comme les contraintes budgétaires sont elles aussi très fortes dans les établissements spécialisés, la gestion se concentre davantage sur les moyens, au détriment, bien entendu, des objectifs. Leurs budgets n'évoluant guère, certains établissements sont immanquablement obligés, compte tenu des restrictions, de supprimer purement et simplement les activités éducatives. À cet égard, monsieur le ministre délégué, les dispositions du projet de loi de finances pour 2007 ne permettront sûrement pas de rouvrir de tels postes de dépenses.
Dans mon département, nous manquons ainsi de psychomotriciens, d'orthophonistes, d'assistantes sociales, de kinésithérapeutes et de personnels éducatifs, ce qui rend la prise en charge spécifique pratiquement impossible. Tous les départements ont d'ailleurs un dénominateur commun : c'est la liste des personnes majeures en attente d'une place en établissement. Il manquerait aujourd'hui en France quelque 5 500 places d'accueil et d'hébergement pour les enfants souffrant d'un des trois handicaps. Pour les adultes, près de 33 000 places feraient défaut.
Il y a tout juste un mois s'ouvrait la semaine dédiée à l'emploi des handicapés. Aujourd'hui, 3 000 personnes en situation de handicap sont inscrites à l'ANPE. Alors que, aux termes de la loi les entreprises de plus de vingt salariés doivent employer au moins 6 % d'adultes handicapés, le taux actuel est de 4,3 %. L'objectif sera-t-il atteint en 2009 ?
Le taux de chômage élevé parmi les travailleurs handicapés peut s'expliquer, certes, par la discrimination, mais plus certainement encore par l'âge et le manque de qualification.
Dans une récente étude, l'AGEFIPH, l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, précise d'ailleurs que seules les formations longues ont un réel effet sur le retour à l'emploi. La filière des entreprises adaptées n'a effectivement plus à faire ses preuves dans la réinsertion. Toutefois, comme les entreprises adaptées recrutent dorénavant en fonction non plus des besoins, mais d'un quota défini par le ministère des finances, les propositions sont comptées : 655 postes pour tout l'Hexagone, auxquels il convient d'ajouter 125 postes qui, comme le déplore l'Union nationale des entreprises adaptées, n'ont pu être créés en 2006 du seul fait de la complexité et de la rigidité du contingentement.
Monsieur le ministre délégué, l'effectif de référence attribué à chaque entreprise et le nombre d'aides au poste est-il vraiment rationnel ?
Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Le changement des modalités de calcul fait percevoir des subventions inférieures aux années précédentes,...
Mme Michèle San Vicente-Baudrin. ...alors que la subvention spécifique, soit 900 euros par an et par salarié, n'a pas été réévaluée depuis 2002. Fonctionnant comme des entreprises de droit privé, les entreprises adaptées connaissent d'énormes problèmes de trésorerie. La loi a-t-elle permis d'améliorer leur situation ?
Le 15 novembre dernier, en compagnie du ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, vous avez annoncé de nouvelles mesures, notamment un effort financier supplémentaire pour la formation professionnelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Nous aimerions aussi connaître le mécanisme des primes d'intéressement, puisque la loi n'a pas remis en cause le statut médicosocial des ESAT, les établissements et services d'aide par le travail. Cependant, nombre de travailleurs ne pourront sans doute pas obtenir un certain nombre de congés ou d'absences, puisqu'il s'agit seulement d'une possibilité et non d'une obligation. Les faits sont là : des ESAT font travailler leurs employés le samedi quand il y a un jour férié dans la semaine.
En revanche, à condition que les ressources soient revalorisées de manière plus significative que les montants annoncés hier, l'aide au financement d'une couverture complémentaire semble être une bonne idée.
Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Je reviens maintenant sur le titre II de la loi de 2005, qui porte sur un droit à compensation, censé couvrir les aides techniques et humaines.
La prestation devait répondre aux besoins des personnes handicapés, quelles que soient la nature ou la gravité de leur handicap. Je souhaite moi aussi soulever le problème de l'aide humaine au gré à gré, car j'ai relevé une anomalie, en totale contradiction avec la volonté d'assurer une véritable égalité. Il y a, en effet, une différence entre une personne qui fait appel à une salariée à domicile pour convenance personnelle et une autre qui fait la même démarche parce qu'elle se trouve dans l'incapacité d'accomplir certains gestes courants de la vie quotidienne ; or, dans les deux cas, la réduction d'impôt est calculée de la même façon.
À ce sujet, le groupe socialiste avait déposé un amendement au dernier projet de loi de finances, visant à transformer la réduction d'impôt accordée aux ménages ayant recours à une aide à domicile en crédit d'impôt. Cela aurait eu pour effet d'ouvrir le bénéfice de cette aide aux foyers non imposables, comme l'avait d'ailleurs recommandé le Conseil des impôts dans le rapport de 2003 qu'il a consacré à la fiscalité dérogatoire.
Notre amendement a été rejeté, au motif que cette disposition aurait été contreproductive au regard de l'objectif fixé en matière d'emploi. Cet avis est pour le moins étonnant, d'autant que, lors de la discussion au début du mois de novembre du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, la majorité a étendu le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 21 ter de ce texte aux actions de formation sur les dispositifs d'épargne salariale, dans le but « avoué » de favoriser « la compréhension par les salariés du fonctionnement et des contraintes économiques de l'entreprise ». En l'occurrence, nous nous demandons toujours quel peut bien être l'effet de cette mesure sur l'emploi.
Monsieur le ministre délégué, les neuf associations de handicapés qui ont manifesté hier se moquent bien, elles, de comprendre le fonctionnement et les contraintes économiques de l'entreprise ; ce qui les intéresse, c'est que le droit à un véritable revenu d'existence soit consacré.
À cet égard, la réforme de l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés, ne devait-elle pas permettre aux personnes handicapées d'atteindre un niveau de vie décent ? Les dispositifs qui ont amélioré cette allocation ne sont pas assez ouverts et les conditions d'attribution sont très restrictives : très peu de personnes peuvent donc y prétendre.
Hier, monsieur le ministre délégué, vous avez annoncé la mise en place, à partir de 2007, d'un complément de ressources pour que le revenu des personnes handicapées touchant le minimum invalidité soit porté à 80 % du SMIC, soit 790 euros mensuels, au lieu des 611 euros prévus actuellement. Voilà deux ans, la secrétaire d'État à l'époque chargée du dossier avait elle aussi communiqué sur les ressources, en promettant que celles-ci seraient portées à 728 euros mensuels.
La réforme de la loi de 1975 était l'un des trois grands chantiers du quinquennat. Le gouvernement d'alors prétendait y intégrer des notions de projet de vie, de compensation en fonction du handicap et de proximité avec les maisons départementales des personnes handicapées. Monsieur le ministre délégué, aujourd'hui le temps des bonnes intentions est révolu : n'est-ce pas le moment de passer aux actes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Ma chère collègue, la loi de 2005 représente un acte très fort, accompli, c'est vrai, trente ans après la loi de 1975. Permettez-moi de le rappeler, toutes les deux ont été très profondément marquées par la volonté personnelle du Président de la République, lequel était Premier ministre en 1975. Cette volonté était partagée par le président de la République d'alors, M. Valéry Giscard d'Estaing, ainsi que par Mme Simone Veil et M. René Lenoir.
Au reste, monsieur le ministre délégué, votre action en la matière a beaucoup apporté, et je la comparerai volontiers à celle de M. Lenoir, ce qui est évidemment un compliment !
M. Jacques Blanc. M. Lenoir a su faire passer des messages. Vous-même, je vous ai vu à l'oeuvre, notamment dans certains établissements. Je tiens donc à vous féliciter.
M. Nicolas About. Très bien !
M. Jacques Blanc. Je veux également remercier le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, ainsi que le rapporteur de la loi de 2005, M. Paul Blanc.
Ces deux lois ont suscité des changements fondamentaux. Personnellement, j'ai quelques raisons d'évoquer celle de 1975.
M. Nicolas About. Et pour cause !
M. Jacques Blanc. Jeune député, ayant beaucoup appris des personnes handicapées elles-mêmes en tant que médecin dans les établissements de Lozère, je me suis retrouvé rapporteur de ce magnifique texte et j'ai pu voir à quel point il fallait se battre pour faire bouger les choses.
À mon sens, nous avons eu de très belles réussites, avec le soutien du monde associatif. Je pense notamment à la création du Conseil national consultatif des personnes handicapées, obtenue grâce à l'adoption de l'un de mes amendements.
Par la suite, j'ai dû prendre l'initiative personnelle, cinq ans après le vote de la loi, d'organiser une réunion pour faire le point. Aujourd'hui, l'évolution même de la vie du Parlement permet la tenue d'un tel débat dans le cadre normal de son fonctionnement. Bravo donc à M. About de vous avoir ainsi donné l'occasion, monsieur le ministre délégué, de nous écouter : beaucoup de choses extrêmement intéressantes ont été dites ce soir, et j'attends vos réponses avec grand intérêt !
Notre rôle, à nous, parlementaires, est de vous inciter à redoubler d'efforts. Nous le savons bien, vous devez parfois résister aux pressions de l'administration. Celle-ci a certes de grandes qualités, mais il est bon que, de temps en temps, le politique la stimule. C'est justement ce que nous faisons aujourd'hui. Comme les interventions ont vraiment été de grande qualité, je m'en tiendrai à des aspects plus généraux.
En 1975, il fallait affirmer les droits fondamentaux des personnes handicapées, avec lesquelles notre société devait réapprendre à vivre, et passer du stade de l'assistance à celui de la solidarité. Cette étape fondamentale a permis la reconnaissance de leur dignité aux personnes handicapées. Trente ans après, la loi de 2005 nous a fait faire une nouvelle avancée considérable, en permettant à la personne handicapée de choisir sa vie. C'est une vraie révolution culturelle !
Désormais, dans la définition même du handicap, on analyse la situation de chaque personne par rapport à son environnement, son travail, sa scolarité, sa vie sociale, bref, par rapport à sa place de citoyen dans la société. En mettant en place la prestation de compensation du handicap, la société est prête à épauler la personne handicapée, à prendre en charge les surcoûts, pour lui permettre de choisir elle-même les voies de son épanouissement.
Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, voilà un progrès exceptionnel !
Ce faisant, nous ne sommes pas tombés dans le piège qui aurait consisté à ignorer la situation de ceux qui ont besoin du support d'une institution, qu'il s'agisse des anciens centres d'aide par le travail ou des ESAT. Dans tous les cas, chacun reçoit un soutien dans sa vie professionnelle.
Il ne fallait surtout pas marginaliser ces personnes, qui ont, comme toutes les autres, le droit de s'épanouir.
Il était de notre responsabilité de ne pas ignorer les personnes qui ont besoin des institutions.
Je suis fier d'avoir déposé, en 1975, un amendement tendant à créer les maisons d'accueil spécialisées, qui répondaient aux besoins des personnes souffrant d'un handicap très lourd, nécessitant des soins permanents. Nous n'avons pas le droit d'oublier ces personnes ! Le fait de nous préoccuper de ces cas très lourds ne nous empêchera pas de nous mobiliser, par ailleurs, afin d'intégrer dans la vie scolaire ou professionnelle, et notamment dans la fonction publique, le plus grand nombre possible de personnes handicapées susceptibles d'y accéder.
Nous parlons là de révolutions culturelles !
Nous avons cependant connu un échec, qui n'a été assumé en tant que tel qu'en 1987, lorsque Jacques Chirac était chef du Gouvernement. Cet échec portait sur le pourcentage de personnes handicapées intégrées dans la vie professionnelle. À l'époque, nous avons permis aux entreprises qui n'employaient pas de personnes handicapées de « se dédouaner », en quelque sorte, en leur imposant d'acquitter la contribution AGEFIPH, évoquée par plusieurs de nos collègues, dont Paul Blanc.
Aujourd'hui, monsieur le ministre délégué, la démonstration est faite que vous avez réussi, en moins de deux ans, à faire progresser la situation. Certes, tout n'est pas parfait, même si vous êtes très compétent, et nous aussi. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Plus de cent décrets ont déjà été publiés, ce qui n'était pas évident, car il fallait d'abord les soumettre au Conseil national consultatif des personnes handicapées. Mais la difficulté n'était pas insurmontable, il fallait simplement mettre les moyens. Je considère pour ma part qu'une révolution a eu lieu.
S'agissant du pourcentage d'intégration des personnes handicapées dans la fonction publique, nous l'avons dit, les résultats ne sont pas merveilleux.
Lorsque j'étais médecin généraliste, avant de travailler au sein d'établissements spécialisés pour handicapés, j'établissais des certificats d'aptitude professionnelle permettant à des personnes handicapées d'entrer dans la fonction publique, et certains de mes confrères ont dû le faire aussi.
La culture de la fonction publique, à l'époque, consistait surtout à éviter d'embaucher une personne présentant un handicap, quel qu'il soit.
M. Jacques Blanc. Heureusement, la situation a changé.
Notre ami Paul Blanc, qui a beaucoup travaillé sur ce dossier, nous a révélé une situation à laquelle il faudra remédier. Il n'est en effet absolument pas normal de laisser la Caisse des dépôts et consignations empocher 6 millions d'euros, et pour quoi faire ?
M. Nicolas About. Pour rien ! Elle se contente de les encaisser !
M. Jacques Blanc. Je tiens en revanche à souligner le succès de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qui a véritablement réussi. Je le dis avec d'autant plus de satisfaction que, pour ma part, je craignais que ce nouveau dispositif ne soit, en quelque sorte, qu'une grosse « machine ». J'étais notamment méfiant à l'égard des maisons départementales des personnes handicapées.
À la lumière de ce que j'observe dans mon département et ailleurs, je pense vraiment que cette expérience se soldera par un succès. Il faudra certes rester vigilants, car les statuts des personnels travaillant dans les maisons départementales ne sont pas aussi favorables que ceux qui sont en vigueur dans les autres établissements, ce qui explique que ces personnels ne restent pas. Nous devons réfléchir aux moyens de remédier à cette situation.
De même, les maisons départementales des personnes handicapées doivent pouvoir faire appel, notamment pour apprécier l'évolution du degré d'un handicap, à des équipes techniques travaillant dans des associations ou des établissements spécialisés.
Aujourd'hui, personne ne conteste le bilan positif de la mise en oeuvre de l'allocation aux adultes handicapés et du complément de ressources. Nous attendons en revanche la publication des décrets relatifs à ce complément de ressources, qui permettra de sécuriser la situation des personnes hébergées soit dans les établissements sociaux, c'est-à-dire les anciens centres d'aide par le travail, soit dans les établissements médicosociaux ou de santé.
Des décrets sont également attendus sur le chapitre II « Ressources des personnes handicapées ».
S'agissant de l'article 16 portant sur le taux minimal d'incapacité permanente pour le bénéfice d'une allocation aux adultes handicapés, là encore, un décret avait été annoncé.
En ce qui concerne l'accessibilité, on peut se demander si l'éducation nationale est en mesure, actuellement, de remplir ses obligations en termes de scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés.
Un rapport de qualité a été établi sur ce sujet par M. Yvan Lachaud, député du Gard, que vous avez récemment rencontré à Nîmes, monsieur le ministre délégué. Nous nous posons tous cette question : avons-nous réellement les capacités d'intégrer le plus grand nombre possible de jeunes handicapés dans notre système éducatif ? Il ne s'agit pas pour autant de nier le fait que certains établissements ont besoin de faire appel à des équipes spécialisées. Mais gardons-nous de jeter l'anathème sur telle ou telle formule d'intégration !
L'accessibilité dans les transports est une question compliquée. Nous attendons la publication de plusieurs décrets tendant à faciliter le transport des personnes handicapées ou à mobilité réduite. Comme l'a dit Nicolas About, des échéances ont été fixées. Mais il est difficile d'improviser lorsqu'il s'agit, entre autres, de changer les habitudes, d'adapter les trottoirs et le matériel roulant. Ce n'est pas une raison pour baisser les bras !
M. Nicolas About. Ne prenons plus de retard !
M. Jacques Blanc. Ce débat peut nous permettre de relancer, notamment chez les élus locaux, la prise de conscience de la nécessité de l'accessibilité car, en la matière, chacun en conviendra, il reste de grands progrès à faire.
M. Nicolas About. Tout équipement nouveau doit être adapté !
M. Jacques Blanc. Un certain nombre de mesures réglementaires sont prévues à différents articles. Il en est ainsi de l'article 28, qui porte sur l'abaissement de la condition d'âge au regard du droit à pension pour les fonctionnaires handicapés.
Il en est de même pour l'article 29, qui concerne la composition des équipes pluridisciplinaires dans les établissements et services d'aide au travail accueillant des handicapés adultes. Je relèverai notamment une mesure très importante, prévue à l'article L.344 du code de l'action sociale et des familles : le contrat de soutien et d'aide par le travail. Cette initiative ouvre une perspective intéressante et la parution du décret mérite d'être accélérée.
Je citerai encore l'article 40, qui porte sur les conditions de dérogation concernant l'amplitude des journées de travail des salariés travaillant dans les établissements hébergeant des personnes handicapées.
Voilà pour le titre IV.
Sur le titre V relatif à la citoyenneté et à la participation à la vie sociale, des décrets importants sont prévus, en vue de l'amélioration des modalités d'accès des personnes handicapées aux bureaux de vote, question évoquée par Nicolas About.
Des décrets sont également attendus en vue de l'application de l'article 80, relatif aux modalités de la formation qui peut être dispensée aux aides familiaux, aux bénévoles associatifs et aux accompagnateurs non professionnels intervenant auprès des personnes handicapées. Nous avons évoqué tout à l'heure le sujet tout à fait intéressant de la validation des acquis de l'expérience. Pour ma part, je pense qu'il faut également assurer une promotion supplémentaire aux personnes qui se consacrent avec tant de générosité aux personnes handicapées.
Enfin, je ferai deux observations sur l'article 64 du titre V, qui concerne les maisons départementales des personnes handicapées. Ces groupements d'intérêt public organisent des actions de coordination pour aider les personnes handicapées à formuler leur projet de vie. Mais selon quelles modalités et à l'aide de quel financement ? C'est une éternelle question.
Un des grands mérites de ce texte, c'est qu'il ne tend pas à rejeter l'approche collective, alors que c'était un piège prévisible.
Je me tourne maintenant vers Mme Printz. Chère collègue, vous ne pouvez pas parler de marginalisation s'agissant d'une loi qui permet, au contraire, de mieux intégrer les personnes handicapées dans la société. Dans les établissements spécialisés, on ne marginalise pas : on donne leurs chances aux personnes handicapées !
Mme Michelle Demessine. Ne versez pas dans la béatitude !
M. Jacques Blanc. Le grand mérite de cette approche, c'est son pragmatisme. À tout moment de sa vie, la personne handicapée, quel que soit son degré de handicap, doit pouvoir bénéficier du maximum de chances de s'épanouir.
M. Jacques Blanc. Certaines personnes handicapées ont besoin de vivre dans des établissements spécialisés, et d'autres non.
J'ai eu la grande chance de travailler au Clos du Nid, un établissement spécialisé situé en Lozère qui, créé par l'abbé Oziol, accueille depuis cinquante ans des personnes souffrant des plus lourds handicaps, et elles n'avaient, à l'époque, aucune perspective ailleurs. J'y ai beaucoup appris.
Fort de cette expérience, et avec votre soutien, monsieur le ministre délégué, j'ai lancé en Lozère, dans le cadre des pôles d'excellence rurale, un projet de complexe « sport- handicap-loisirs ». On peut donc à la fois être un défenseur des institutions et faire preuve d'ouverture d'esprit. J'avais d'ailleurs fait inscrire le principe du droit au sport et aux loisirs dans la loi de 1975.
À l'époque, avec Marceau Crespin, nous avions inauguré, à Montrodat, les premiers Jeux handisport, ancêtres des actuels Jeux paralympiques. Je souhaite pour ma part que l'on associe, au sein d'une même démarche, « handisport », « sport adapté » et « sport pour tous », et que ce merveilleux département de la Lozère qui, le premier, a accueilli les personnes souffrant des plus lourds handicaps, devienne, avec l'aide du Gouvernement, un département pionnier en matière d'activités sportives et de loisirs adaptés et accessibles aux handicapés.
Nous pourrons ainsi offrir à ces personnes handicapées les vacances en pleine nature auxquelles elles ont droit.
Mme Michelle Demessine. On ne vous pas attendu pour cela !
Mme Gisèle Printz. Nous, nous avons fait les 35 heures !
M. Jacques Blanc. Chères collègues, j'ai observé ce qui se passait ailleurs. Je sais que des initiatives existent dans d'autres départements, mais je crois que la Lozère est vraiment en pointe dans ce domaine.
M. Jacques Blanc. Exactement !
En conclusion, mes chers collègues, je crois pouvoir dire, sans m'enfermer dans une logique partisane, que la loi de 2005 est, après les textes marquants de 1975 et, à certains égards, de 1987, la troisième des grandes étapes de la politique française en faveur des personnes handicapées. Et nous devons avoir l'honnêteté de rendre hommage aux hommes qui ont donné une impulsion à cette politique.
Mme Michelle Demessine. Elle n'est pas encore mise en oeuvre !
M. Jacques Blanc. Quant à ceux qui ont participé à des gouvernements restés inactifs pendant cinq ans,...
Mme Michelle Demessine. Ce n'est pas vrai !
M. Jacques Blanc.... ils sont mal placés pour nous donner des leçons aujourd'hui !
Sans sombrer dans la « chiracomanie », je veux pour ma part rendre hommage au président Chirac, qui a donné cette impulsion originelle en faveur des personnes handicapées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Michelle Demessine. À part ça, ce n'était pas un discours partisan !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je souhaite faire certains rappels et formuler quelques suggestions.
La loi du 11 février 2005 avait essentiellement trois grandes ambitions : garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie, grâce à la compensation des conséquences de leur handicap et à un revenu d'existence favorisant une vie autonome digne ; permettre une participation effective des personnes handicapées à la vie sociale, en organisant la cité autour du principe d'accessibilité généralisée, qu'il s'agisse de l'école, de l'emploi, des transports, du cadre bâti ou encore de la culture et des loisirs ; enfin, placer la personne handicapée au centre des dispositifs qui la concernent, en substituant une logique de service à une logique administrative.
Aujourd'hui, il nous est demandé de faire le bilan de l'application de cette loi. Je commencerai d'abord par quelques chiffres, qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux cités par M. le rapporteur et M. About, sans doute parce que les nôtres tiennent compte de la situation outre-mer.
À la date du 24 novembre 2006, selon le site intranet du Sénat, il restait encore une quarantaine de mesures réglementaires à publier sur les cent cinquante-trois prévues par loi du 11 février 2005, soit 13 %.
Nous sommes aujourd'hui en bonne voie, mais le démarrage fut lent : seulement 14 % des mesures réglementaires prévues ont effectivement été publiées dans le délai de six mois normalement imparti au Gouvernement, en vertu de l'article 101 de la loi.
M. Nicolas About. C'était pour bien faire !
M. Jean-Pierre Godefroy. Certes, mais cela n'a pas été suffisant.
Un effort important a été fait au second semestre de l'année 2005, ce qui a permis d'atteindre le taux de 50 % de mesures réglementaires publiées à la date du premier anniversaire de la loi, le 11 février 2006.
Aujourd'hui, 87 % des décrets ont été publiés. Ce chiffre peut sembler correct au regard des données générales sur l'application des lois mais, en l'occurrence, au bout de deux ans, il demeure insuffisant, d'autant plus que certaines des mesures réglementaires manquantes touchent des sujets importants, comme l'accessibilité de la voirie ou des bureaux de vote, la convergence des dispositifs existants entre personnes âgées et personnes handicapées, la formation des aidants familiaux, bénévoles associatifs ou accompagnants non professionnels intervenant auprès des personnes handicapées, le régime des frais d'hébergement et d'entretien en établissement spécialisé, et je ne suis pas exhaustif.
Au-delà de leur aspect chiffré, il y a surtout l'aspect qualitatif des mesures réglementaires publiées. Ainsi, à la publication tardive d'un grand nombre de décrets clés s'ajoutent la mise en place délicate de certains dispositifs et l'insatisfaction du monde associatif
M. le président de la commission des affaires sociales, qui est à l'initiative du présent débat, a déjà largement explicité, et avec une grande objectivité, les défaillances et les difficultés de l'application de la loi du 11 février 2005.
L'optimisme naturel dont fait preuve le Gouvernement à propos de l'application de la loi n'est donc guère partagé par les associations. Certaines d'entre elles - je leur laisse la responsabilité de leurs propos - ne voient pas de concrétisation de la loi dans les faits.
M. Paul Blanc. C'est exagéré !
M. Jean-Pierre Godefroy. C'est la règle du jeu, mon cher collègue !
S'agissant par exemple des maisons départementales des personnes handicapées, force est de constater que les équipes pluridisciplinaires ont du mal à être constituées : souvent, ce sont les COTOREP ou les CDES qui sont reconstituées, quasi à l'identique, alors que l'objectif de la loi était d'ouvrir ces équipes chargées de l'évaluation et de la définition du projet de vie de la personne en situation de handicap à des profils plus divers.
La mise en place des fonds départementaux de compensation du handicap est presque en panne. Dans ce domaine, l'engagement de l'État fait défaut. Par ailleurs, quand ces fonds existent, les personnes chargées de leur attribution font une interprétation restrictive du reste à charge, ce qui est manifestement contraire à l'esprit de la loi. En effet, cela a pour conséquence de dissuader certaines personnes en situation de handicap d'acquérir les aides techniques indispensables pour leur qualité de vie.
À l'occasion de l'examen de la mission « Solidarité et intégration », le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, notre collègue Paul Blanc, a proposé une solution pour garantir ce reste à charge. Nous ne pouvons que regretter que la commission des finances ait invoqué l'article 40 de la Constitution et que le Gouvernement n'ait pas pris toutes les dispositions utiles pour que l'amendement ne soit pas ainsi frappé d'irrecevabilité.
Monsieur le ministre délégué, il faudra bien y revenir. Cette situation ne peut pas durer !
La principale crispation des personnes handicapées, de leurs familles et de leurs associations porte sur la question du revenu. Au moment de l'examen de la loi par le Sénat, les débats avaient été âpres sur ce sujet. Aussi, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement persiste à refuser de mettre en place un véritable revenu d'existence pour les personnes handicapées alors qu'il avait affirmé que tous les allocataires de l'AAH seraient traités selon leurs besoins.
Force est de constater que, pour certaines personnes handicapées dans l'incapacité de travailler, le montant de l'AAH n'atteint même pas 50 % du SMIC.
Le Gouvernement avait également annoncé - mais il est vrai que nous avons changé à plusieurs reprises d'interlocuteur - qu'une « garantie de ressources constituée par le cumul de l'AAH à taux plein et d'un complément spécifique » atteindrait 80 % du SMIC. Mais en fait, monsieur le ministre délégué, vous refusez toujours d'apporter une quelconque garantie concernant la création d'une majoration pour la vie autonome des personnes qui ne sont pas dans l'incapacité de travailler, mais qui sont sans emploi du fait de leur handicap.
Les dispositifs qui ont amélioré l'AAH sont trop limitatifs et les conditions d'attribution de la garantie de ressources à 80 % du SMIC sont très restrictives : très peu de personnes peuvent y prétendre puisqu'il faut avoir moins de 5 % de capacité de travail pour en bénéficier. (Madame Gisèle Printz approuve.)
C'est pour cette raison que, le 30 octobre dernier, les sept principales associations de personnes handicapées ont décidé de se mobiliser et ont lancé une pétition nationale intitulée « Urgence d'un véritable revenu d'existence ».
Elles demandent notamment la revalorisation substantielle de l'AAH et des pensions d'invalidité - mais le budget pour 2007 ne contient aucune disposition à ce sujet - ; l'élargissement des conditions d'accès au complément de ressources et à la majoration de vie autonome et, notamment, son ouverture aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité et aux bénéficiaires de l'AAH reconnus dans l'impossibilité de se procurer un emploi ; la suppression de la prise en compte des ressources du conjoint dans le calcul de l'AAH et de meilleures possibilités de cumul avec une activité professionnelle ; enfin, la possibilité pour les bénéficiaires de la pension d'invalidité basculant dans le régime vieillesse d'avoir de meilleurs revenus d'existence.
À ces demandes, monsieur le ministre délégué, vous ne répondez que partiellement. En recevant les représentants des associations qui manifestaient hier devant votre ministère, vous avez enfin annoncé l'extension du complément de ressources aux personnes titulaires du minimum invalidité et l'assouplissement des conditions d'accès à ce complément.
M. Philippe Bas, ministre délégué. Pour pouvoir l'étendre, encore fallait-il préalablement le créer. C'est ce que nous avons fait en 2005 !
M. Jean-Pierre Godefroy. Cela ne doit pas nous empêcher de faire des suggestions que vous pourriez peut-être reprendre à votre compte, monsieur le ministre délégué. Si vous nous aviez écoutés à certains moments et accepté certains de nos amendements, vous n'en seriez peut-être pas là !
À la veille de l'élection présidentielle, je ne doute pas que ce bonus sera certainement apprécié et je suis heureux qu'il soit acquis. Mais il reste beaucoup à faire dans le domaine des ressources. Bien du temps aurait été gagné si nos propositions avaient été suivies et si nos amendements avaient été adoptés lors de l'examen de la loi.
Chacun se souvient des longs débats que nous avons eus dans cet hémicycle sur la question des conditions de ressources.
En matière éducative, les insuffisances sont tout aussi criantes : la loi ne vise que l'inscription administrative obligatoire en milieu ordinaire tandis que les établissements scolaires et universitaires restent majoritairement inaccessibles.
De plus, l'intégration scolaire des personnes les plus lourdement handicapées serait facilitée s'il n'y avait pas une pénurie d'accompagnants. Les parents d'enfants handicapés accueillis en milieu ordinaire s'accordent à dénoncer un problème similaire : le manque de formation des auxiliaires de vie scolaire qui leur sont dédiés.
Il faut réfléchir en amont à des méthodes permettant de mieux former les enseignants, qui, à leur tour, formeront mieux les enfants. C'est le moyen de relever le défi de l'accès à l'éducation pour les personnes handicapées.
D'autres mesures prévues par la loi se heurtent à des problèmes de financement : la prestation de compensation du handicap, la PCH, qui se substitue aux différentes aides à la personne précédentes, couvre un champ de bénéficiaires beaucoup plus large. Comme l'ont rappelé nos collègues de l'UC-UDF, les conseils généraux sont inquiets car cela nécessite des moyens en personnels et une technicité dont beaucoup de collectivités ne disposent pas encore.
Alors même que la condition de taux a été supprimée et que les barrières d'âge doivent disparaître d'ici à un an, alors même que les ressources prises en compte sont limitées au maximum, les montants pris en charge dans le cadre de la PCH, tels qu'ils sont prévus dans les décrets, restent dans l'ensemble loin de la prestation universelle souhaitée par les personnes handicapées.
Je reviens un instant sur la question des barrières d'âge, notamment celle qui concerne les enfants - nos collègues savent que c'est un sujet qui me tient à coeur.
Il avait fallu de longs débats pour que la PCH soit étendue aux enfants titulaires du sixième complément d'AES. Alors que la différence en termes de handicap entre les enfants relevant du cinquième complément et ceux qui relèvent du sixième est faible, la différence de traitement en termes de prestation est de fait devenue importante.
Ne perdons pas de temps et abolissons enfin cette barrière de l'âge ! D'ailleurs, où en est le travail que votre ministère devait faire sur ce sujet ? En effet, vous vous étiez engagé à l'époque à nous apporter des réponses.
D'autres volets de la loi du 11 février 2005 restent en souffrance. L'emploi et la formation en font partie.
Le taux de chômage des personnes handicapées est encore deux fois plus important que le taux chômage national - 20 % contre 9 %. C'est pour cette raison, monsieur le ministre délégué, que vous venez de présenter un plan national pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées comprenant une quinzaine de mesures qui visent à instituer un parcours professionnel pour chaque personne handicapée et à mobiliser les différents acteurs concernés.
À la demande de notre collègue Annie Jarraud-Vergnolle, je voudrais dire un mot des personnes handicapées psychiques.
Les actions d'appui spécifiques aux travailleurs handicapés qui ont été expérimentées dans les années 1990, validées et confortées après 2001, voient aujourd'hui leur existence remise en cause. En effet, le fonds social européen, qui les cofinancait aux côtés de l'État et de l'AGEFIPH, a décidé de se retirer. Ces actions, mises en place dans le cadre des programmes départementaux d'insertion des travailleurs handicapés, avaient nécessité un diagnostic territorial d'étude des besoins des travailleurs handicapés présentant un problème psychique, afin de les accompagner vers une insertion ou une réinsertion dans l'emploi. Chaque année, plus de la moitié des bénéficiaires, souvent très éloignés de l'emploi - cinq à dix ans de chômage, voire davantage - se réinsèrent ainsi dans la vie professionnelle. Il serait donc primordial que soit signée avec l'État une convention pluriannuelle, contrôlée et évaluée, permettant la poursuite de ces actions d'insertion auprès d'un public handicapé particulièrement fragile.
Car en fait, dans le domaine de l'emploi et de la formation, le budget pour 2007 de la mission « Travail et emploi » donne d'ores et déjà un signe particulièrement négatif puisqu'il prévoit une baisse de 20 % de l'enveloppe relative à la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle. Cela touchera directement les travailleurs handicapés en reconversion professionnelle, dont l'accès à la formation pourra ainsi être partiellement remis en cause.
En ce qui concerne les moyens mis à la disposition des établissements et services d'aide par le travail, les ESAT, les décrets relatifs à la fixation du montant de l'aide au poste pour les entreprises adaptées ne sont pas à la hauteur des besoins. Ce montant forfaitaire est insuffisant, ce qui pourrait conduire certaines entreprises adaptées à de très graves difficultés. De plus, la lente mise en oeuvre du dispositif réglementaire a occasionné des charges financières très lourdes pour les entreprises adaptées : les aides de l'État ont en effet été revues à la baisse par rapport à ce qui avait été décidé lors de la phase de concertation et les retards de paiement des aides au poste forfaitaires ont été très fréquents.
L'accessibilité est encore loin d'être acquise pour les personnes en situation de handicap. Les efforts faits par les pouvoirs publics et les opérateurs de transports collectifs sont très inégaux. Pour cette raison, j'avais suggéré à l'époque que les délais soient raccourcis. Cela n'avait pas été accepté, mais je persiste à penser que nous aurions été bien inspirés de le faire pour forcer la main des opérateurs.
Certes, il faudra du temps pour rendre accessible l'existant. Mais ce qui est plus inquiétant encore, monsieur le ministre délégué, c'est que trop d'équipements neufs ne sont pas encore vraiment accessibles.
L'accès à la cité, c'est l'élément indispensable pour garantir une réelle participation des personnes handicapées à la vie commune de notre société. On ne peut pas seulement compter sur les nouvelles technologies, si précieuses soient-elles, pour sortir les personnes en situation de handicap d'un certain isolement.
En parlant d'accessibilité, je voudrais dire un mot sur un point qui me tient particulièrement à coeur : le sous-titrage et l'audiodescription des programmes télévisés.
Au terme de débats difficiles, la loi a finalement prévu un délai de cinq ans pour rendre les programmes télévisés des chaînes publiques ainsi que des chaînes du câble et du satellite accessibles aux personnes sourdes, malentendantes, aveugles et malvoyantes. Un rapport sur le développement de l'audiodescription des programmes télévisés devait également être présenté au Parlement dans un délai d'un an après la publication de la loi. Il ne l'est toujours pas. En disposerons-nous, monsieur le ministre délégué ?
Les efforts de certaines chaînes sont incontestables, mais restent insuffisants. Or il me semble que l'année électorale qui s'ouvre devrait être l'occasion d'amplifier l'effort dans ce domaine, notamment en ce qui concerne le sous-titrage des émissions d'information et de débats politiques.
Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir exercer leur citoyenneté de manière éclairée. Elles doivent aussi pouvoir se rendre dans les bureaux de vote : le décret devant préciser les conditions d'accessibilité des bureaux et techniques de vote, lui non plus, n'a pas encore été publié à ma connaissance. Il devient donc urgent de le faire, monsieur le ministre délégué.
Ainsi, alors même que l'intégration des personnes handicapées dans notre société était un chantier prioritaire, alors même que cet objectif faisait largement consensus, nous ne pouvons que constater que la loi et sa concrétisation sont encore très en deçà des ambitions affichées.
Vous pourrez remarquer, monsieur le ministre délégué, que nous n'avons pas versé dans la polémique et que nous avons essayé d'apporter notre pierre à l'édifice indispensable que constitue la loi en faveur de nos concitoyens souffrant de handicap. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Paul Blanc. Vous ne l'avez pas votée !
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous savez pourquoi !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons eu ce soir un débat comme le Sénat sait les organiser et qui fait honneur à notre démocratie.
M. Nicolas About. C'est vrai ! Vive le Sénat !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Il démontre une fois de plus, en ces périodes de débat politique national, que les familles de pensée qui ont pour habitude de toujours vouloir rediscuter l'avenir de cette institution républicaine si ancrée dans notre histoire ont bien tort de persister de manière fort démagogique dans cette voie.
La question orale avec débat portait donc sur l'état d'application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Ce texte a vocation à devenir une de ces grandes lois de la République dont le préambule de la Constitution de 1946 a souligné l'importance dans la tradition qui a fait de notre pays ce qu'il est aujourd'hui du point de vue d'un certain nombre de valeurs. Je pense à l'enseignement, je pense à la protection sociale. Demain, je l'espère, nous penserons à la place qui doit revenir aux personnes handicapées, à leur citoyenneté, avec cette conviction que, comme le soulignait M. About à la fin de son intervention, chaque fois que nous reconnaissons davantage la place de nos concitoyens handicapés dans la société, nous ouvrons l'ensemble de nos concitoyens à l'accueil de la différence et nous les faisons grandir dans leur propre citoyenneté en même temps que nous défendons celle des personnes handicapées.
Il est vrai que la loi du 11 février 2005 n'est pas la première grande loi dans le domaine du handicap, et M. Jacques Blanc a bien fait de rappeler ce long chemin, qui a débuté en 1975 et a été ponctué par la loi de 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés.
Je suis heureux qu'il ait tenu à saluer l'initiative personnelle de Jacques Chirac, Premier ministre en 1975 et en 1987, Président de la République aujourd'hui. On chercherait en vain de grandes lois de la République pour les personnes handicapées qui auraient pu être adoptées à d'autres périodes de notre histoire, sous d'autres gouvernements. Je dis cela naturellement sans aucun esprit de polémique. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas About. Évidemment...
M. Philippe Bas, ministre délégué. Du reste, aurait-on voulu organiser un tel débat entre 1997 et 2002 que cela aurait été impossible, et ce pour deux raisons : en premier lieu, parce que, entre 1997 et 2002, aucune initiative, je dis bien aucune, n'a été prise en faveur de nos concitoyens handicapés,...
Mme Michelle Demessine. C'est complètement faux !
M. Philippe Bas, ministre délégué. ...et, en second lieu, parce qu'il n'y aurait eu aucun ministre chargé des personnes handicapées pour répondre aux questions des sénateurs, puisque, à cette époque, aucun membre du Gouvernement n'avait, dans son portefeuille, la responsabilité de l'intégration des personnes handicapées.
Mme Michelle Demessine. C'est faux également !
M. Georges Mouly. Non !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Je tiens d'autant plus à remercier M. About d'avoir proposé aujourd'hui ce débat au Sénat. Je veux également féliciter l'ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions, qui ont montré l'intérêt que porte la Haute Assemblée à la politique du handicap.
Il est temps de constater ce qui a réellement commencé à changer dans la vie des 5 millions de Français qui sont touchés par le handicap.
Je voudrais souligner, puisque la question a souvent été posée, que, dès le mois de juin 2006, la quasi-totalité des décrets d'application de la loi avaient été pris, et, en tout cas, toutes les dispositions importantes permettant son application effective.
Je tiens à en rendre hommage non seulement aux services de l'administration qui ont fait ce travail très important, mais aussi aux associations de personnes handicapées.
En plus de vingt années de service public, j'ai vu beaucoup de lois, mais aucune n'a fait l'objet, de la part de celles et de ceux pour qui cette loi avait été élaborée, d'un tel engagement. En 2005 et de nouveau en 2006, aux mois de juillet et août, les représentants des associations de personnes handicapées ont accepté de siéger chaque semaine en nombre au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées et de ses différentes commissions pour que soit rapidement mise en oeuvre cette grande loi si longtemps attendue par les personnes handicapées.
Mme Michelle Demessine. Elles sont encore déçues !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Les décrets ont donc été publiés relativement vite, si l'on se réfère à ce qui est malheureusement l'habitude dans ce domaine, et l'exemple de la loi Handicap pourra inspirer la mise en oeuvre d'autres législations. En outre, la qualité et l'intensité des concertations qui ont eu lieu sont un modèle à suivre.
Je voudrais souligner, puisque la question a été posée par Jacques Blanc, me semble-t-il, que le décret sur les retraites anticipées des fonctionnaires handicapés a été publié ce matin même. Quant au décret sur l'accès des personnes handicapées aux bureaux de vote, il a été pris le 20 octobre dernier. Il reste aujourd'hui un décret très important, qui a déjà fait l'objet d'une discussion, au mois de mai dernier, au sein de cette belle assemblée qu'est le Conseil national consultatif des personnes handicapées ; je veux parler du décret qui concerne les conditions d'attribution de la prestation de compensation du handicap en établissement.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Et s'il n'a pas encore été publié, c'est précisément parce que j'ai voulu - j'en assume l'entière responsabilité - améliorer ce texte compte tenu des réserves qui avaient été exprimées au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées.
J'ai refusé de passer en force, alors que le Gouvernement en avait naturellement le pouvoir, et j'ai souhaité, sur certains aspects de ce décret, notamment le transport des personnes handicapées hébergées en établissement entre le lieu du domicile de leur famille et cet établissement, remettre l'ouvrage sur le métier de manière à trouver des solutions pleinement satisfaisantes pour les personnes handicapées.
J'ai le plaisir de vous annoncer ce soir que la rédaction de ce décret est maintenant achevée, que ce texte est examiné actuellement par le Conseil d'État et qu'il pourra donc être signé et publié dans les toutes prochaines semaines. Nous sommes au bout du chemin pour cet aspect de la réglementation.
Je souhaite également remercier ici les présidents de conseil général, qui ont contribué à la mise en place, sauf en Haute-Garonne, des maisons départementales des personnes handicapées dès le 1er janvier 2006, comme le préconisait la loi. Évidemment, leur installation n'a pas eu lieu partout au même rythme et selon des modalités identiques.
La décentralisation exige la reconnaissance d'une certaine latitude aux présidents de conseil général et aux conseils généraux dans les choix qu'ils font concernant la territorialisation et le regroupement en un lieu unique des services des maisons départementales.
L'installation de ces maisons a été fortement soutenue par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, à titre principal, et aussi par l'État. Ces crédits ont également été mobilisés pour leur fonctionnement, et il en sera de même à l'avenir.
Il faut y ajouter les personnels de l'État qui travaillaient dans les départements pour les personnes handicapées et qui sont mis à la disposition de ces maisons tout en restant pris en charge, pour leur rémunération, par l'État lui-même.
Quelques agents, je voudrais le souligner, ont refusé leur mise à disposition ; d'autres ont demandé leur retour à l'État, et un certain nombre d'entre eux prendront prochainement leur retraite ou demanderont une mutation dans un autre département. Ce sont les aléas de la vie, et ils sont tout à fait compréhensibles.
Aussi, pour faciliter la vie des maisons départementales des personnes handicapées, j'ai pris la décision de permettre à ces maisons de bénéficier, chaque fois qu'un fonctionnaire de l'État décidera de partir, pour une raison ou une autre, d'un remplacement sous la forme de la mise à disposition de crédits correspondant à l'emploi d'un agent contractuel du département que celui-ci devra recruter.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Philippe Bas, ministre délégué. MM. Nicolas About et Jacques Blanc ont évoqué les équipes pluridisciplinaires. Leur mise en place est absolument essentielle si nous voulons calculer le taux de l'allocation non pas à partir du handicap, comme dans l'ancien système (M. Nicolas About acquiesce), mais en fonction du projet de vie, pour construire un plan de compensation et donc fixer une prestation de compensation individualisée. Nous avons vraiment besoin d'équipes pluridisciplinaires qui ne se bornent pas à reconduire ce qui existe. C'est un véritable défi pour les maisons départementales des personnes handicapées. Je fais confiance aux départements pour le relever, car ils en ont les moyens.
Toutes les commissions des droits et de l'autonomie sont désormais installées. Elles avaient enregistré, à la fin du mois de septembre, 38 000 demandes de prestation de compensation du handicap ; 6 500 décisions ont déjà été prises - c'est un début -, et, sur le dernier trimestre de l'année, ce chiffre progresse rapidement.
MM. Mouly et Godefroy ont tous les deux fait un rapprochement entre l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, et la prestation de compensation du handicap, la PCH.
L'allocation compensatrice pour tierce personne, qui subsiste pour permettre une liberté de choix à la personne handicapée est, à l'évidence, nettement moins intéressante que la prestation de compensation du handicap, attribuée à toute personne handicapée dont le handicap justifie une présence humaine importante à ses côtés.
Je vous le rappelle, dans l'ACTP, il existait deux tarifs correspondant à deux types de besoins : pour le premier type, trois quarts d'heure d'aide humaine par jour pour un peu moins de 400 euros ; pour le second type, une heure et demie d'aide par jour pour 790 euros environ. Avec la prestation de compensation du handicap, la personne handicapée peut bénéficier d'une somme allant jusqu'à 10 000 euros, bien au-delà donc de l'allocation compensatrice pour tierce personne,...
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Philippe Bas, ministre délégué. ...si elle a besoin, par exemple, de vingt-quatre heures d'aide humaine. Le versement aura lieu désormais, grâce à une initiative de M. About, au début de chaque trimestre, de telle sorte que la personne handicapée n'ait pas à faire l'avance de la rémunération de l'auxiliaire de vie dont elle a besoin. Mais, comme l'a rappelé M. About, il a été décidé que l'avis des présidents de conseil général serait requis au préalable. Je leur fais confiance pour mettre en oeuvre cette disposition dans l'intérêt des personnes handicapées.
M. Nicolas About. Je l'espère !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Les maisons départementales sont faites pour servir les personnes handicapées.
Enfin, 50 % des fonds départementaux de compensation du handicap sont aujourd'hui installés, ce qui, vous avez eu raison de le noter, est insuffisant. Je tiens à ce que, d'ici à la fin du mois de janvier prochain, tous les fonds aient été mis en place. On n'a que trop attendu dans un certain nombre de départements.
Je dois dire que l'État, pour sa part, a fait son devoir, puisqu'il a versé 14 millions d'euros en 2006 pour abonder ces fonds de compensation, qui permettent d'aider les personnes handicapées à faire face au « reste à charge », mais aussi qui leur offrent la possibilité d'acquérir les aides techniques supplémentaires par rapport à celles que la prestation de compensation du handicap permet de financer. Ces crédits sont reconduits en 2007.
J'en viens maintenant à l'emploi des personnes handicapées. En 1987, il y avait 2 % de personnes handicapées dans les effectifs des administrations et des entreprises. Grâce à la loi de 1987, la proportion est passée, presque vingt ans après, à 4 %. Mais souvenons-nous que l'objectif de la loi, de 6 %, n'est toujours pas atteint.
Il faut bien se poser la question des raisons de ce demi-succès, ou de ce demi-échec.
En réalité, il est clair que, au-delà de la reconnaissance du droit à l'emploi, il faut travailler aujourd'hui à son effectivité. Des dispositions ont été prises en ce sens dans la loi du 11 février 2005. Nous avons voulu, avec Gérard Larcher, le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, aller plus loin. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté, le 15 novembre dernier, un plan pour l'emploi des personnes handicapées, qui contient l'engagement suivant : que chaque personne handicapée en situation de chômage qui se présente à la maison départementale des personnes handicapées se voie proposer dans un délai de six mois un véritable chemin d'insertion.
Il s'agira d'une formation ou une proposition d'emploi, y compris d'emploi aidé, ce qui suppose que le service public de l'emploi et la Maison départementale des personnes handicapées travaillent la main dans la main, avec la présence de correspondants du service de l'emploi et des réseaux Cap emploi.
Ces derniers aident très activement les personnes handicapées à intégrer les entreprises ou les administrations, grâce à la création de ce nouveau fonds pour la fonction publique, pendant de l'AGEFIPH dans le secteur privé.
Nous voulons, avec Gérard Larcher, améliorer la situation des travailleurs handicapés en établissements et, surtout, permettre à ces établissements de faire face à leurs nouvelles obligations. Par exemple, la nouvelle loi ayant prévu qu'un travailleur handicapé en centre d'aide par le travail est rémunéré pendant ses absences pour cause de maladie, nous allons subventionner les contrats de prévoyance collective.
Nous invitons également les partenaires sociaux à faire en sorte que les travailleurs handicapés ne soient pas marginalisés dans l'entreprise, donc à intégrer dans leur négociation régulière la gestion des carrières des personnes handicapées, qui sont trop souvent les premières en difficulté en cas de mutation technologique ou économique de l'entreprise.
Un effort particulier est en cours pour l'ouverture de places en établissements et dans les services d'aide par le travail. Compte tenu du retard de notre pays à cet égard, malgré les efforts des gouvernements successifs, nous avons, depuis 2002, mis les bouchées doubles, et ce au sens propre du terme, puisque le nombre de places créées a doublé entre 2002 et 2007 par rapport à la période 1997-2002.
Cette mesure résulte d'un effort budgétaire important de l'État pour les centres d'aide par le travail et des fruits de la journée de solidarité pour les maisons d'accueil spécialisées et les foyers d'accueil médicalisés, en lien avec les départements.
Nous avons également décidé - et je tiens à remercier particulièrement M. Jacques Blanc - de mettre en place un nouveau plan de modernisation de ces établissements en 2007. Ainsi, après une dotation de 500 millions d'euros en 2006, 100 millions d'euros supplémentaires seront mobilisés en 2007. En outre, l'instauration du prêt à taux zéro permet aux établissements de contracter les emprunts nécessaires sans trop alourdir leurs charges d'exploitation.
Mais il est vrai que, malgré tous ces efforts en établissements, comme pour le milieu ordinaire du travail, les résultats ne sont toujours pas suffisants, puisque le taux de chômage des personnes handicapées reste aujourd'hui le double de celui des personnes valides, soit 17 % contre 8,8 %. C'est pourquoi il nous est apparu nécessaire de lancer un nouveau plan pour l'emploi des personnes handicapées.
Les difficultés des personnes handicapées tiennent aussi à leurs ressources. Si j'ai d'abord parlé de l'emploi, c'est que, pour les personnes handicapées, comme pour tous nos compatriotes, le travail constitue la première condition pour obtenir un revenu permettant d'assurer une existence matérielle satisfaisante.
Malheureusement, soit parce que leur handicap est un obstacle trop lourd à l'emploi dans les conditions actuelles de notre environnement social et urbain, soit parce que leur formation n'a pas pu être suffisamment approfondie en raison de leur handicap, de nombreux compatriotes se heurtent encore à des difficultés insurmontables pour intégrer le monde du travail. Certains se sont découragés de frapper aux portes des entreprises ou des administrations, faute d'une ouverture suffisante de celles-ci à leur égard.
Dès lors, il était indispensable de prendre des dispositions pour améliorer les ressources des personnes handicapées.
Grâce au débat que nous avons eu vendredi dernier, auquel a activement participé M. Paul Blanc, nous avons pu obtenir que les titulaires de la pension minimum d'invalidité bénéficient, au même titre que les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, d'une majoration de 179 euros, ce qui permet de porter leurs revenus de 611 euros à 80 % du SMIC.
Cette mesure de justice m'a permis de répondre à une partie des préoccupations exprimées par les associations de personnes handicapées que j'ai reçues hier. Celles-ci ont manifesté leur satisfaction, tout en exprimant leur désir que soit élargi l'accès à cette majoration pour incapacité de travail, qui a été ouverte, en 2005, aux bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, sur l'initiative du législateur et du Gouvernement.
Nous allons y travailler avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées dans les prochaines semaines, de sorte que des décisions puissent être prises dès le mois de février prochain.
Au-delà du problème de l'emploi, se pose la question de l'éducation. Sans revenir dans le détail sur l'ensemble des initiatives qui ont été prises, je rappellerai simplement qu'au cours de l'année scolaire 2005-2006 151 000 enfants handicapés étaient scolarisés, contre seulement 89 000 en 2002. Pour l'année en cours 2006-2007, je n'ai pas encore connaissance des chiffres, mais il y a tout lieu de penser qu'ils seront supérieurs à ceux de l'année dernière.
Une telle progression s'est accompagnée d'un effort considérable en matière de recrutement d'auxiliaires de vie scolaire, dont le nombre a augmenté de 61 % par rapport à l'année scolaire 2002-2003. Leur formation devant être consolidée, je compte sur le soutien des associations de personnes handicapées, premiers experts du handicap.
Conformément à la demande du Premier ministre, à la suite du rapport de M. Guy Goeffroy, Gilles de Robien et moi-même travaillons à faciliter le développement de carrière des auxiliaires de vie scolaire.
Monsieur Mouly, la formation de 4 000 auxiliaires de vie scolaire est prévue en 2007.
Par ailleurs, s'agissant de l'accès des étudiants handicapés à l'université, 5 millions d'euros de crédits seront alloués en 2007 aux universités, afin de leur permettre de financer les associations d'accompagnateurs des étudiants.
Mme Michelle Demessine. N'importe quoi !
M. Philippe Bas, ministre délégué. En ce qui concerne l'accessibilité des handicapés aux transports et au bâti, les délais peuvent paraître longs, monsieur About, mais il faut effectivement les mettre à profit pour faire avancer les travaux.
Nous nous sommes rendus dans un certain nombre de régions et nous avons mobilisé tous les préfets en leur demandant de programmer les travaux relevant de leur responsabilité. Je veillerai à ce que l'État donne l'impulsion, afin que nous soyons au rendez-vous de la loi « handicap ».
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le jugement du tribunal est inquiétant !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut faire le point !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Vous comprendrez, madame la sénatrice, que je ne puisse porter d'appréciation sur une décision de justice.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le rôle des élus de la nation !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Mais nous avons tous été frappés par ce jugement. Je souhaite qu'il soit anecdotique et isolé. C'est en effet l'inverse de ce que l'on est en droit d'attendre : à l'évidence, ce ne sont pas les personnes handicapées qui doivent s'adapter aux bâtiments, mais les bâtiments qui doivent s'adapter aux personnes handicapées.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Un juge accidenté n'aura-t-il plus accès à son tribunal ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est déterminé à poursuivre la mise en oeuvre de cette loi « handicap ». C'est avec une grande satisfaction que Pascal Clément et moi-même avons présenté la réforme des tutelles au Conseil des ministres voilà une semaine ; elle sera discutée par le Parlement dès le mois de janvier. Ce texte parachèvera notre action en faveur des personnes handicapées sous cette législature. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je remercie tous les intervenants de la qualité de ce débat, qui honore le Sénat.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
10
DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2006-1207 du 2 octobre 2006 relative aux chambres d'agriculture.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 120, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
11
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de modernisation du dialogue social.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 117, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
12
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président. J'ai reçu de MM. Richard Yung, Robert Badinter, Jean Besson, Jean-Marie Bockel, Mmes Claire-Lise Campion, Monique Cerisier-ben Guiga, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Christiane Demontes, MM. Michel Dreyfus Schmidt, Bernard Frimat, Louis Le Pensec, François Marc, Jean-François Picheral, Marcel Rainaud, André Rouvière, Claude Saunier, Jacques Siffre, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Piras, Mme Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de loi autorisant l'approbation de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance des brevets européens.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 119, distribuée et renvoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
13
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant l'annexe III du règlement (CE) n° 1083/2006 portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) n° 1260/1999.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3353 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement financier applicable au 9e Fonds européen de développement.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3354 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les exportations et importations de produits chimiques dangereux.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3355 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Conseil concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure (version codifiée).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3356 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Livre vert sur les applications de navigation par satellite.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3357 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2505/96 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits agricoles et industriels.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3358 et distribué.
14
DÉPÔT DE RAPPORTS
M. le président. J'ai reçu de M. Alain Milon un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique (n° 91, 2006 2007).
Le rapport sera imprimé sous le n° 110 et distribué.
J'ai reçu de Mme Jacqueline Gourault un rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la fonction publique territoriale (n° 21, 2006-2007).
Le rapport sera imprimé sous le n° 112 et distribué.
J'ai reçu de M. Hugues Portelli un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation de la fonction publique (n° 440, 2005-2006).
Le rapport sera imprimé sous le n° 113 et distribué.
J'ai reçu de Mme Maryse Bergé-Lavigne un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre l'Agence spatiale européenne et certains de ses Etats membres concernant le lancement de fusées-sondes et de ballons (n° 468, 2005-2006).
Le rapport sera imprimé sous le n° 114 et distribué.
J'ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi de finances rectificative pour 2006 adopté par l'Assemblée nationale (n° 105, 2006-2007).
Le rapport sera imprimé sous le n° 115 et distribué.
J'ai reçu de M. René Beaumont un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation (n° 22, 2005-2006).
Le rapport sera imprimé sous le n° 116 et distribué.
15
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Pierre Plancade et Mme Joëlle Garriaud-Maylam un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur les armes à sous-munitions.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 118 et distribué.
16
DÉPÔT D'UN avis
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-René Lecerf un avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique (n° 91, 2006 2007).
L'avis sera imprimé sous le n° 111 et distribué.
17
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 14 décembre 2006 :
À neuf heures trente :
1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi (n° 92, 2006-2007) pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié.
Mme Isabelle Debré, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
2. Projet de loi (n° 93, 2006-2007) tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Rapport (n° 96, 2006-2007) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
À quinze heures et le soir :
3. Questions d'actualité au Gouvernement.
4. Suite de l'ordre du jour du matin.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Projet de loi de finances rectificative pour 2006, adopté par l'Assemblée nationale (n° 105, 2006-2007) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 15 décembre 2006, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : vendredi 15 décembre 2006, à seize heures.
Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la fonction publique territoriale (n° 21, 2006-2007) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 19 décembre 2006, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 18 décembre 2006, à seize heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation de la fonction publique (n° 440, 2005-2006) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 19 décembre 2006, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 18 décembre 2006, à seize heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique (n° 91, 2006-2007) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 20 décembre 2006, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 19 décembre 2006, à onze heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 14 décembre 2006, à zéro heure quarante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD