compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
CANDIDATURES À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
J'informe le Sénat que la commission des affaires économiques m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.
3
DÉClaration de l'urgence de projets de loi
M. le président. Par lettres en date du 26 octobre 2006, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi organique (n° 359, 2005-2006) et du projet de loi (n° 360, 2005-2006) portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer.
4
Accord avec la Suisse relatif au raccordement de l'autoroute A35
Adoption d'un projet de loi en procédure d'examen simplifiée
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif au raccordement de l'autoroute A35 à la route nationale N 2 entre Bâle et Saint-Louis (n° 331, 2005-2006 ; n° 14).
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif au raccordement de l'autoroute A 35 à la route nationale N 2 entre Bâle et Saint-Louis, signé à Berne le 13 juillet 2004 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
5
Dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'Outre-mer
Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi organique et du projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer (nos 359, 360, 2005-2006 ; n° 25).
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les deux projets de loi, organique et ordinaire, dont votre Haute Assemblée est saisie la première, en application de l'article 39 de la Constitution - puisqu'il s'agit de deux textes relatifs à l'organisation des collectivités territoriales - présentent un caractère austère et sont quelque peu volumineux, ce qui pourrait, à première vue, décourager le lecteur.
Cela est naturellement erroné, car, comme je l'ai déjà souligné, lors de mon audition devant la commission des lois, nous nous livrons ici à un exercice paradoxal : examiner des textes complexes, mais qui rendront une bonne partie du droit de l'outre-mer plus intelligible, plus moderne, et donc moins susceptible d'engendrer des contentieux inutiles.
Le volume relatif de ces deux textes s'explique par trois raisons.
D'abord, il s'explique par la nécessité d'accorder à chaque collectivité un cadre statutaire qui lui soit propre, et qui soit lisible, sans renvois inutiles vers d'autres textes.
Ensuite, il s'explique par le choix de la codification : nous avons préféré codifier les statuts dont il est ici question dans le code général des collectivités territoriales, afin de bien montrer que ces collectivités d'outre-mer, pour spécifique que soit parfois leur statut, font partie du grand ensemble des collectivités territoriales de la République, et qu'elles peuvent être également soumises au droit commun.
Enfin, il s'explique par la nécessité de respecter le partage, parfois subtil, opéré par la Constitution et par la jurisprudence entre la loi organique et la loi ordinaire : sauf à entraîner une regrettable insécurité juridique, il faut en effet éviter que la loi organique ne renvoie à la loi ordinaire.
Ces considérations formelles étant exposées, j'en viens aux objectifs et aux contenus de ces deux textes.
Les deux projets de loi que j'ai l'honneur de présenter devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, répondent à plusieurs objectifs : mettre en oeuvre les dispositions de la Constitution qui structurent le nouveau cadre institutionnel et statutaire de l'outre-mer au sein de la République, conformément aux engagements pris par le Président de la République, engagements que le Parlement a inscrits dans notre loi fondamentale, avec la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 ; respecter les engagements pris lors des deux consultations du 7 décembre 2003, au cours desquelles les électeurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin se sont exprimés très majoritairement en faveur de la transformation statutaire de ces deux îles ; enfin, renforcer l'État de droit outre-mer, en clarifiant les statuts en vigueur et en améliorant la démocratie locale.
Le premier point que je développerai concerne la mise en oeuvre de la Constitution.
Il s'agit de mettre en application certaines dispositions spécifiques à l'outre-mer adoptées lors de la révision constitutionnelle de 2003 et qui visent, comme le chef de l'État s'y était engagé, à moderniser nos institutions pour renforcer la démocratie de proximité.
Cette révision constitutionnelle, votre Haute Assemblée et sa commission des lois la connaissent bien, n'est-ce pas, monsieur Hyest ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certes !
M. François Baroin, ministre. En effet, elles ont joué un rôle tout à fait déterminant dans son écriture, en particulier pour sa partie relative à l'outre-mer, qui apporte à nos collectivités deux garanties essentielles : d'abord, celle de leur appartenance à la République, consacrée de manière solennelle par la désignation nominative de chacune d'elles dans notre Constitution ; ensuite, celle de la garantie démocratique fondamentale selon laquelle chaque évolution importante ne pourra se faire sans le consentement des populations concernées.
Ces garanties étant posées, la Constitution révisée a, par ailleurs, notablement assoupli le cadre institutionnel et juridique de l'outre-mer, en créant des marges de manoeuvre et d'adaptation jamais atteintes auparavant.
C'est d'abord le cas des départements et des régions d'outre-mer : si le principe d'identité législative est réaffirmé avec force dans l'article 73 de la Constitution, il est toutefois prévu que les lois et règlements puissent faire « l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » ; nous sommes d'ailleurs, les uns et les autres, des familiers de l'application de cet article. C'est ainsi que ces collectivités peuvent, sur habilitation législative préalable, adapter les lois et règlements dans les matières relevant de leur compétence, ou encore fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières. Dans ces deux cas, l'habilitation préalable du Parlement ne peut intervenir qu'à la demande des assemblées locales. Le Parlement demeure en tout état de cause libre de sa décision.
Compte tenu de l'importance des nouveaux pouvoirs, de nature quasi législative, donnés aux assemblées départementales et régionales, il était bien naturel que quelques règles viennent en assurer l'encadrement.
L'article 1er du projet de loi organique y pourvoit, et votre commission des lois a fort opportunément proposé de compléter le dispositif initial. Les propositions qu'elle a formulées recueillent, je le dis dès à présent, mon approbation. Elles préservent tout à la fois le nécessaire encadrement juridique des habilitations, les prérogatives du Parlement et un contrôle de légalité renforcé, ainsi que les modalités de la combinaison des normes adaptées localement avec les normes nationales.
Toujours dans le cadre de la mise en application de la Constitution, les dispositions relatives à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et aux Terres australes et antarctiques françaises ont pour objet de mettre en harmonie les statuts existants avec la révision de 2003, sans altérer en aucune façon les grands équilibres institutionnels de ces collectivités.
Pour Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, il s'agit surtout de reclasser en loi organique les règles statutaires - adoptées sous le régime de la loi ordinaire - et, à cette occasion, d'apporter quelques précisions utiles.
Je profite de l'occasion qui m'est ici donnée d'évoquer le statut de Mayotte pour rappeler que toute évolution institutionnelle de l'île suppose que les électeurs - consultés sur décision du chef de l'État - donnent leur consentement préalable à cette évolution. Le législateur, même par le biais d'une loi organique, ne peut y procéder unilatéralement.
À ce jour, la seule possibilité est de réécrire le statut de Mayotte dans le cadre des collectivités d'outre-mer de l'article 74, catégorie à laquelle l'article 72-3 de la Constitution la rattache.
Le présent projet de loi organique ne préjuge donc en rien une éventuelle évolution vers le régime de l'article 73 ; il ne l'empêche pas ; je dirais même qu'il la favorise, en permettant à Mayotte de marquer un nouveau pas vers le droit commun en faisant évoluer son régime législatif de celui de la spécialité vers celui de l'identité assorti de quelques exceptions. Celles-ci se justifient évidemment par la situation de l'île, que chacun connaît bien ici : fiscalité, droit social, régime foncier, droit des étrangers.
Il s'agit là, je le répète, d'une disposition essentielle pour favoriser le rapprochement de Mayotte avec le droit commun, dans la logique de la démarche entreprise par des élus de l'île en faveur d'une évolution progressive vers le statut de département d'outre-mer, une évolution à laquelle je suis, en ma qualité de ministre de l'outre-mer, favorable.
Le deuxième point que j'aborderai concerne le respect des engagements pris, car le respect de la parole donnée au nom de l'État joue un rôle important dans les relations que nous avons avec les départements et les collectivités d'outre-mer.
Les deux projets de loi tirent, pour les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, les conséquences très directes des résultats des consultations du 7 décembre 2003, les électeurs de ces deux îles ayant choisi le statut de collectivité d'outre-mer de l'article 74 et ayant ainsi donné leur « consentement » à cette évolution, comme l'exige la Constitution.
Le Gouvernement s'est fidèlement inspiré, dans la préparation de ce projet de loi organique, des demandes formulées par les élus. Ces documents ont été portés à la connaissance des électeurs avant la consultation et ont constitué la « feuille de route » pour l'élaboration de ces deux textes. C'est pourquoi je ne peux que réfuter l'idée selon laquelle les deux îles n'auraient pas été traitées également dans la préparation des projets de loi. J'ai toujours affirmé aux élus de Saint-Martin, comme l'avait d'ailleurs fait mon prédécesseur, que la rédaction du projet de statut devait, dans un premier temps, se limiter à respecter les orientations présentées aux électeurs, mais que des aménagements seraient envisageables, le moment venu, sur l'initiative du Parlement.
La création de ces deux collectivités d'outre-mer est justifiée sur le plan géographique - il n'est plus nécessaire d'en faire la démonstration - ainsi que sur le plan historique et sur le plan administratif, tant ces deux îles sont différentes de l'archipel guadeloupéen auquel elles ont été à l'époque rattachées pour des raisons administratives.
Les nouveaux statuts permettront de régler - enfin - la délicate et très ancienne question fiscale.
L'autonomie qui leur sera accordée sur ce point n'est pas exceptionnelle outre-mer : toutes les collectivités d'outre-mer de l'article 74 ainsi que la Nouvelle-Calédonie disposent en effet du droit de déterminer leur régime fiscal et douanier.
Le projet de loi organique mettra donc fin à la situation actuelle, marquée par l'incompréhension mutuelle et l'inapplication effective de la législation fiscale, au profit d'une autonomie fiscale pleinement responsable et encadrée par l'existence d'une convention entre chacune des deux futures nouvelles collectivités d'outre-mer et l'État.
Incompréhension mutuelle, car les habitants de Saint-Barthélemy ont pu légitimement croire que leur régime fiscal coutumier était garanti par le traité franco-suédois de rétrocession de 1877 - on en parle encore là-bas -, tandis que l'administration fiscale ne s'intéressait guère à l'île. À partir des années quatre-vingt, compte tenu des décisions du Conseil d'État, la situation juridique a changé, et la situation de fait devenait intenable. Il convenait donc, à l'évidence, de la clarifier et de l'assainir.
Le dispositif que le Gouvernement vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, est transparent, encadré et sécurisé. Considéré objectivement et sans parti pris, il répond à la nécessité tout à la fois de préserver les intérêts légitimes de l'État et de tenir compte des contraintes locales.
Il n'y aura donc - et j'insiste particulièrement sur ce point - à Saint-Barthélemy, pas plus qu'à Saint-Martin, ni « paradis fiscal » ni centre « offshore » : l'État conservera en effet ses compétences en matière de droit pénal et de procédure pénale, de droit monétaire, bancaire, de droit des sociétés et de droit des assurances ; tous les engagements internationaux en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux auxquels la France a adhéré continueront d'être applicables de plein droit dans les deux îles, comme la réglementation communautaire sur ce même sujet.
Il n'y aura pas non plus de risque d'évasion fiscale au détriment de la métropole, puisque le droit fiscal de l'État continuera de s'appliquer aux personnes qui ne seront pas résidentes depuis au moins cinq ans à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin. Cette disposition préservera en outre du risque de l'arrivée massive de nouveaux habitants attirés par la réglementation locale des deux îles, surtout celle de Saint-Barthélemy. Elles ne pourraient d'ailleurs pas les accueillir, eu égard à l'exiguïté de leur surface, sans compromettre l'environnement immédiat, qui constitue l'un de leurs atouts majeurs.
Naturellement, l'autonomie fiscale conduira les deux collectivités à prendre en main le financement de leurs compétences nouvelles, dans un esprit de responsabilité.
Pour Saint-Martin, le nouveau statut constituera également l'occasion, pour l'État, de mieux jouer son rôle sur place : il faut reconnaître qu'il n'a pas toujours été exemplaire et que sa présence n'a pas encore pleinement répondu à tous les besoins qui s'expriment localement, notamment en matière de traitement de la délinquance ou des conséquences directes de l'immigration clandestine massive que connaît l'île.
Les ministères des finances et de la justice ont déjà beaucoup avancé, en étroite concertation avec mes propres services, pour renforcer localement leur future présence.
La réforme statutaire signifiera donc non pas un désengagement de l'État, je le réaffirme avec force, mais bien au contraire un renforcement du rôle de l'État sur place.
Pour les deux îles, la réforme statutaire constituera enfin un appel à davantage de responsabilités. Pour Saint-Martin, qui connaît des difficultés particulières, elle représente un véritable « challenge » - je reprends ici les propos tenus sur place par le président de la commission des lois lors de la mission qu'il a conduite en 2004 - pour des responsables locaux qui ont entretenu avec l'État et avec la Guadeloupe une relation ambivalente et qui n'ont pas toujours manifesté toute la rigueur nécessaire dans la gestion locale. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet de loi organique se présente de manière prudente et évolutive s'agissant du statut de cette île. Le Gouvernement est toutefois disposé à examiner avec bienveillance les amendements qui pourront, pour Saint-Martin, reprendre les suggestions de renforcement des compétences de la collectivité, y compris par l'affirmation de « l'autonomie » qu'autorise l'article 74 de la Constitution.
Le troisième point que je souhaitais aborder devant vous concerne le renforcement de l'État de droit et la démocratie locale.
Les deux projets de loi, en actualisant des statuts parfois anciens, renforcent évidemment les garanties de l'État de droit et la sécurité juridique, notamment quant à l'intelligibilité du droit applicable outre-mer. Nous sommes dans des matières complexes : il faut plus de clarté et de lisibilité pour tous.
Ainsi des règles modernes et claires d'application et de publication locale des textes nationaux, ou encore l'harmonisation des règles de consultation des autorités territoriales sur les projets de textes législatifs et réglementaires éviteront-elles de nombreux et inutiles contentieux.
De même, la démocratie locale est affermie par la mise au niveau de la métropole des garanties accordées aux élus minoritaires, ou encore par la fixation des conditions d'application des consultations et des référendums locaux, notamment du droit de pétition.
Par ailleurs, je tiens à le souligner, le rôle de l'État est réaffirmé, en particulier dans les attributions importantes qui sont reconnues à ses représentants locaux ; ces attributions sont légitimes au regard des larges compétences conférées aux autorités élues.
Voilà les quelques éléments de réflexion que je souhaitais évoquer en introduction, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'examiner les nombreux amendements que vous avez déposés - et je m'en réjouis - pour compléter ou améliorer les deux projets de loi. Je puis d'ores et déjà vous faire part de l'accord du Gouvernement sur la quasi-totalité des amendements de votre commission des lois, qui a produit un travail considérable.
Je veux vous dire, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, combien il est précieux de pouvoir s'appuyer, dans la discussion légitime entre le Gouvernement et le Parlement, sur des gens de conviction qui portent un regard attentif et qui enrichissent considérablement les textes d'initiative gouvernementale.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. François Baroin, ministre. J'aurai naturellement l'occasion de m'exprimer, à l'issue de votre intervention, monsieur le rapporteur, et de celle des orateurs inscrits dans la discussion générale commune, sur les points qui peuvent faire divergence, notamment sur la défiscalisation, mais je ne doute pas que nous trouverons un accord.
Je tiens d'ailleurs à saluer le travail important effectué pendant une bonne partie de l'été par la commission, ce qui nous permet de nous retrouver aujourd'hui pour ce rendez-vous important pour les collectivités concernées, mais aussi pour une meilleure compréhension de l'application de l'État de droit en outre-mer.
J'espère que la discussion de ces deux projets de loi fera l'objet d'un accord aussi large que possible sur l'ensemble des travées. Le débat, je le sais, sera riche et dense, témoignant du regard porté par la représentation nationale sur les indispensables évolutions demandées par les populations locales.
La République offre ainsi la capacité à chaque département, à chaque territoire, de prendre en main son développement en fonction de ses propres richesses, de sa propre diversité, dans le respect, bien sûr, de nos valeurs communes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, M. le ministre de l'outre-mer vient de nous présenter la teneur du projet de loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer et celle du projet de loi ordinaire qui le complète. Je me limiterai donc à rappeler brièvement, pour mieux situer mon propos, les grandes lignes du dispositif qui est proposé.
Ces projets visent à donner tout leur effet aux dispositions relatives à l'outre-mer de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.
Ils poursuivent, à cette fin, trois objectifs complémentaires, à savoir : premièrement, l'entrée en vigueur des nouveaux pouvoirs normatifs des départements et régions d'outre-mer qui pourront désormais, après y avoir été habilités par la loi, adapter les lois et règlements à leurs caractéristiques et contraintes particulières, ou encore fixer des règles dans certaines matières pouvant relever du domaine de la loi ; deuxièmement, l'actualisation des statuts de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon par rapport aux nouvelles dispositions constitutionnelles ; troisièmement, la création des collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin pour répondre, conformément à l'article 72-4 de la Constitution, à la volonté exprimée massivement par les populations de ces deux îles.
Par ailleurs, le projet de loi ordinaire tend à moderniser le statut des Terres australes et antarctiques françaises et met à jour les textes relatifs à l'outre-mer en supprimant des références ou des termes devenus obsolètes ou inappropriés.
Enfin, il procède à la ratification de pas moins de vingt-trois ordonnances qui touchent des domaines aussi divers que la protection sociale, le droit économique et financier, le statut général des fonctionnaires des communes de Polynésie française, les actions interprofessionnelles dans le domaine de la canne à sucre, le droit domanial, l'urbanisme et le droit de l'environnement.
Ainsi, par l'adoption de cet ensemble législatif ambitieux, l'organisation de l'outre-mer français sera modernisée. La plupart des collectivités d'outre-mer disposeront d'institutions et de compétences adaptées à leurs caractéristiques, conformément à l'esprit de la réforme constitutionnelle de 2003.
À part quelques adaptations et modernisations complémentaires, il ne restera plus, monsieur le ministre, qu'à se pencher sur la situation particulière de Wallis-et-Futuna et - cela sort de vos compétences, monsieur le ministre, mais pas de celles du Gouvernement - sur celle des Français établis hors de France...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n'a rien à voir !
M. Christian Cointat, rapporteur. ...pour que l'égalité entre tous les citoyens soit parfaite.
Devant de tels enjeux, votre rapporteur a souhaité procéder à de larges consultations, tout particulièrement avec les élus des collectivités intéressées - je les salue, puisque la plupart d'entre eux sont présents dans les tribunes -, afin de saisir au mieux les attentes et les potentialités, mais aussi les écueils et les contraintes, avec, en toile de fond, le respect de l'intérêt général et l'efficacité.
Ces auditions ont complété les missions d'information conduites par la commission dans les collectivités visées par les projets de loi, notamment en 2004 à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, et en 2005 à Saint-Pierre-et-Miquelon.
La commission des lois, qui a toujours été particulièrement attentive aux préoccupations exprimées par les citoyens et les élus de l'outre-mer, a donc examiné ces projets de loi dans un esprit pragmatique, à la recherche d'un équilibre entre le mieux et le bien, entre le possible et le souhaitable.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Christian Cointat, rapporteur. En effet, le statut d'une collectivité d'outre-mer ne peut fonctionner de manière satisfaisante que s'il est adapté à ses particularités et, surtout, s'il suscite l'adhésion des populations intéressées.
La commission, dans cet esprit, approuve les grandes lignes du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire.
Les quelque 360 amendements qu'elle vous soumet visent en premier lieu à procéder à la nécessaire amélioration rédactionnelle d'un texte imposant et complexe, rédigeant en particulier une nouvelle partie du code général des collectivités territoriales rassemblant plus de 600 nouveaux articles.
Ils tendent en outre à améliorer la hiérarchisation des dispositions statutaires entre la loi organique et la loi ordinaire, conformément à l'article 74 de la Constitution.
L'essentiel des amendements traduisent enfin l'approche suivie par la commission depuis le dépôt de ces textes, c'est-à-dire la recherche d'un équilibre conjuguant la proximité des institutions et la responsabilité des élus.
Dans cet esprit, afin de sécuriser juridiquement la mise en oeuvre par les conseils généraux et régionaux des départements et régions d'outre-mer des nouveaux pouvoirs normatifs qui leur sont reconnus, la commission vous propose de modifier l'article 1er du projet de loi organique. Pour en faciliter la compréhension, elle a préféré le réécrire entièrement plutôt que de déposer de nombreux amendements.
Ces modifications ont pour but de prévoir que la demande d'habilitation expose les spécificités locales qui la justifient et précise la finalité des mesures envisagées.
Elles prévoient aussi de retirer au préfet la possibilité de demander une nouvelle lecture de la demande d'habilitation ou de la délibération mettant en oeuvre l'habilitation accordée par la loi, car il appartient au Parlement d'apprécier.
Il s'agit également d'attribuer au Conseil d'État la compétence contentieuse directe en la matière, tout en prévoyant un effet suspensif limité dans le temps au recours exercé, le cas échéant, par le préfet.
Enfin, la commission estime qu'il convient de limiter à deux ans la durée de l'habilitation.
Par ailleurs, la commission vous propose, à l'article 10 du projet de loi, un amendement tendant à supprimer le pouvoir d'habilitation du Gouvernement à habiliter par ordonnance les départements et régions d'outre-mer. En effet, cette « habilitation à habiliter », si vous me pardonnez l'expression, porterait atteinte aux pouvoirs du Parlement ; seule la loi doit pouvoir agir en ce domaine.
La commission vous propose, à l'article 3 du projet de loi organique, de rappeler que Mayotte fait partie de la République. Si cette appartenance est déjà inscrite à l'article 72-3 de la Constitution, son rappel au sein du statut de Mayotte est toutefois souhaitable.
En effet, cette précision figurant actuellement à l'article 1er de la loi de 2001 relative à Mayotte, sa disparition serait de nature à susciter de sérieuses inquiétudes, certes non fondées, mais réelles, d'autant plus que Mayotte relève désormais de l'article 74 de la Constitution. Les auditions conduites par le rapporteur de votre commission, mes chers collègues, ont illustré la nécessité de cette réaffirmation.
La commission propose également de conforter la proposition de la résolution relative à la départementalisation que pourra adopter le conseil général de Mayotte à partir de 2011 en élargissant sa transmission aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat - et non plus seulement au Premier ministre - et en prévoyant que celle-ci pourra faire l'objet d'un débat dans chaque chambre. Ce débat ne constituerait cependant qu'une simple faculté, afin de respecter les prérogatives du Gouvernement en matière de fixation de l'ordre du jour des assemblées et la jurisprudence en la matière du Conseil constitutionnel.
La commission propose en outre de prévoir l'application du code général des impôts à Mayotte au plus tard le 31 décembre 2013. Une demande de départementalisation sous forme de résolution peut être présentée à partir de 2011 ; le temps de la mettre en place, il faut impérativement que le code général des impôts soit opérationnel, c'est-à-dire en 2013. En effet, le projet de loi organique ne fixe plus de date précise alors que, dans la loi de 2001, l'entrée en vigueur était initialement prévue en 2007.
La commission souhaite permettre au conseil général de Mayotte de demander à être habilité à adapter les lois et règlements en vigueur, comme les autres collectivités d'outre-mer, les départements d'outre-mer et les régions d'outre-mer.
Elle propose aussi d'introduire un nouveau chapitre relatif aux compétences de la collectivité départementale, par coordination avec les dispositions du projet de loi organique relatives aux collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
La collectivité départementale de Mayotte exercerait ainsi les compétences dévolues aux départements et aux régions, ainsi qu'aux départements et régions d'outre-mer, à l'exception de quelques matières pour lesquelles l'État demeurerait compétent en raison du contexte local : les routes nationales, la lutte contre les maladies vectorielles comme le paludisme et le chikungunya, ainsi que la construction et l'entretien des collèges et des lycées.
L'exclusion de la compétence en matière scolaire paraît particulièrement nécessaire, mes chers collègues, du fait du dynamisme démographique dans cette île - 53 % de la population a moins de vingt ans - et des retards en matière de constructions existantes. Elle répond en outre à une demande exprimée formellement par le conseil général.
La commission propose de proroger jusqu'à l'accession de Mayotte au statut de département d'outre-mer la dotation de rattrapage et de premier équipement, le fonds intercommunal de péréquation ainsi que le versement de centimes additionnels à l'impôt sur le revenu au profit des communes de Mayotte. En effet, ce versement devait cesser en 2007 lors de l'entrée en vigueur du code général des impôts. Mais celle-ci étant repoussée sine die, et les communes ne disposant d'aucune perspective à court terme d'avoir une fiscalité locale, une telle prorogation paraît indispensable, monsieur le ministre.
La commission propose également d'harmoniser à certains égards les dispositions des statuts de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Tout d'abord, la dénomination de conseil général serait remplacée par celle de conseil territorial. La commission la juge en effet inadaptée pour les assemblées délibérantes de ces trois collectivités, dont la durée du mandat, le mode d'élection et les compétences différeront sensiblement de celles des conseils généraux des départements.
Ensuite, s'agissant de l'élection du conseil territorial de ces collectivités, la commission, à la lecture de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, estime par trop restrictif de limiter l'accès au deuxième tour de scrutin aux deux seules listes arrivées en tête compte tenu de la prime majoritaire prévue d'un tiers des sièges. Elle propose donc de permettre l'accès au deuxième tour à toutes les listes ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés en conservant la possibilité de fusion pour les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.
La commission estime par ailleurs opportun de permettre aux collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon mais aussi à Mayotte de conclure des conventions avec des autorités locales étrangères afin de mener des actions de coopération et d'aide au développement, voire d'aide humanitaire en cas d'urgence selon le dispositif adopté par le Sénat le 27 octobre 2005 sur proposition de notre collègue Michel Thiollière et du rapport fait au nom de la commission des lois par notre collègue Charles Guené.
Enfin, la commission a jugé utile d'harmoniser le régime indemnitaire des élus de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon avec celui qui est applicable aux conseillers généraux des départements.
Afin de parfaire le statut de la future collectivité d'outre-mer de Saint-Barthélemy, la commission soumettra au Sénat à l'article 4 du projet de loi organique des amendements tendant à donner à la collectivité la compétence pour fixer les règles applicables au régime des espaces boisés. Elle pourra ainsi définir en matière de défrichement des règles assurant la préservation d'espaces boisés rares sur une île sèche.
En outre, il s'agira de permettre à la collectivité de participer dans le cadre de l'autonomie qui lui est reconnue, aux côtés de l'État et sous son contrôle, à l'exercice des compétences qu'il conserve en matière de sécurité et de police maritimes. La collectivité pourra ainsi participer au contrôle des activités nautiques.
La commission propose également de préciser au sein du statut de Saint-Barthélemy, mais aussi dans celui de Saint-Martin, les modalités de transfert des services de l'État, de la région et du département de la Guadeloupe vers ces deux collectivités pour l'exercice des compétences qui leur sont attribuées.
En ce qui concerne Saint-Martin, la commission a été conduite, à la suite des positions concordantes exprimées lors des auditions par les élus de toutes sensibilités - et j'y insiste -, à revoir l'ensemble du dispositif et à proposer une nouvelle approche, bien entendu après une concertation approfondie avec le ministère de l'outre-mer, et en particulier avec vous-même, monsieur le ministre.
Il est très vite apparu que la démarche proposée par le projet de loi organique, selon laquelle Saint-Martin ne pourrait accéder au statut d'autonomie qu'en deux étapes - et seulement après l'ouverture d'une deuxième procédure législative à partir de 2012 -, était mal perçue. Cette option n'avait cependant rien de « vexatoire », pour reprendre des termes qui ont été prononcés. Elle se fondait uniquement sur les difficultés financières et techniques de la commune de Saint-Martin et elle reflétait la nécessité d'accompagner par ces deux étapes successives la nouvelle collectivité vers son autonomie.
Or l'évolution statutaire, dont l'objectif, ne l'oublions pas, est d'améliorer l'efficacité de la gestion locale et de répondre à l'attente des populations, serait contre-productive si elle se traduisait par le mécontentement de ceux à qui la réforme est destinée. C'est la raison pour laquelle la commission propose d'inverser la démarche afin de parvenir à la mise en place d'une nouvelle collectivité dynamique et prospère.
Au lieu de fixer deux étapes avec l'autonomie au bout du chemin, elle recommande d'accorder tout de suite à Saint-Martin l'autonomie prévue par l'article 74 de la Constitution, avec toutes ses conséquences, mais assortie d'un calendrier pour la mise en oeuvre progressive de certaines des compétences qui demandent une capacité d'expertise considérable. Il sera donc proposé au Sénat d'accorder progressivement à Saint-Martin la compétence pour fixer les règles applicables en matière d'urbanisme, de construction, d'habitation, de logement et d'énergie afin de donner aux responsables de la collectivité le temps nécessaire pour la mise en place et la formation des services techniques indispensables.
Comme le disait Winston Churchill, « le pessimiste voit dans toute opportunité une difficulté ; l'optimiste voit dans toute difficulté une opportunité ». En l'occurrence, il existe une opportunité !
Un contrôle de légalité efficace, tout en étant respectueux des prérogatives des élus, apportera toute garantie de la bonne évolution du dispositif. La commission propose d'ailleurs d'étendre à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon des dispositions relatives au contrôle de légalité et aux pouvoirs du représentant de l'État que le projet de loi organique ne prévoyait que pour Saint-Martin. Désormais cette mesure s'appliquera à toutes les collectivités, si tant est que le Sénat vote dans ce sens.
Ainsi, à l'exception de ce calendrier tendant à étendre progressivement les compétences normatives de la future collectivité et de dispositions liées aux spécificités locales, Saint-Martin disposera d'un statut analogue à celui de Saint-Barthélemy. Dès lors, la politique de proximité qui découle de la décentralisation, avec son corollaire de responsabilités, pourra prendre toute sa dimension. C'est d'autant plus nécessaire que Saint-Martin a besoin pour la maîtrise de son destin avec l'appui de l'État de disposer de compétences et de moyens suffisants afin d'établir de véritables partenariats avec la partie néerlandaise de l'île.
Le projet de loi organique ne précise pas les conditions de représentation des nouvelles collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin au Parlement. Or, conformément à l'article 24 de la Constitution, qui pose le principe de la représentation des collectivités territoriales de la République au Sénat, la commission constate que les deux nouvelles collectivités doivent pouvoir élire un sénateur les représentant. En conséquence, elle propose de créer un siège de sénateur pour chacune des deux nouvelles collectivités.
Compte tenu du « détachement » de ces deux nouvelles collectivités de la Guadeloupe, qui a élu ses sénateurs en 2004, il semble naturel que les futurs sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin soient rattachés à la même série par le biais d'une élection partielle. Ils seraient donc élus pour la première fois lors d'une élection partielle en 2007, après l'élection des conseillers territoriaux de ces collectivités, et rattachés à l'actuelle série C jusqu'au renouvellement sénatorial partiel de septembre 2011.
À compter de cette date, leur mandat serait renouvelé normalement au sein de la future série 1 du Sénat. Sous réserve de la définition du corps électoral des sénateurs, qu'il nous appartient bien entendu de définir, la commission laisse à l'appréciation de l'Assemblée nationale le dispositif relatif à la création des sièges de députés.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Christian Cointat, rapporteur. Le Sénat a naturellement été saisi le premier de ce texte, puisque celui-ci a trait aux collectivités territoriales, mais laissons à l'Assemblée nationale le soin de se prononcer sur ce qui la concerne directement.
La commission propose à l'article 6 du projet de loi organique des amendements tendant à harmoniser le statut de Saint-Pierre-et-Miquelon avec celui des autres collectivités d'outre-mer notamment par la transformation du conseil général et de la commission permanente respectivement en conseil territorial et en conseil exécutif et par l'élargissement du conseil économique et social au domaine culturel.
Elle présente en outre des amendements tendant à moderniser les institutions de la collectivité et à conforter les compétences des deux communes de l'archipel en leur permettant de délivrer les permis de construire par délégation du conseil territorial compétent en matière d'urbanisme et de fixer le taux des impôts créés à leur bénéfice par le conseil territorial. Cette proposition répond à l'attente qu'avait décelée la mission d'information de la commission des lois, qui s'est rendue dans l'archipel en septembre 2005.
S'agissant de l'élection du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, la commission propose de fixer le montant de la prime majoritaire au tiers des sièges, et non plus à la moitié comme le prévoient le projet de loi organique et les textes en vigueur. Autrement dit, il s'agit d'aligner le régime électoral de prime majoritaire sur Saint-Barthélemy et Saint-Martin et de remplacer les deux circonscriptions, à savoir la commune de Saint-Pierre et la commune de Miquelon-Langlade, par une seule circonscription comprenant deux sections géographiques. Cette solution permettrait de mieux affirmer l'identité de la collectivité et offrirait aux candidats d'un même parti ou groupement la possibilité de faire liste commune lors de l'élection du conseil territorial tout en garantissant une représentation géographiquement équilibrée.
Le scrutin aurait désormais lieu dans la collectivité formant circonscription unique au scrutin de liste à deux tours avec répartition des sièges entre la section de Saint-Pierre et la section de Miquelon-Langlade, de telle sorte que, comme c'est le cas actuellement, quinze conseillers soient issus de la première et quatre conseillers de la seconde, les sièges étant attribués au prorata des voix obtenues par chaque liste dans la circonscription tout entière.
La commission soumet enfin au Sénat un amendement tendant à réécrire l'article 11 du projet de loi afin de ratifier vingt-trois ordonnances tout en effectuant, pour onze d'entre elles, quelques modifications. Cet amendement rassemble des compléments apportés à ces ratifications par la commission des lois ainsi que par les commissions des affaires économiques, des affaires sociales et des finances, qui ont procédé à un examen approfondi des ordonnances relevant de leurs champs de compétence respectifs.
Je tiens d'ailleurs à remercier chaleureusement les membres de ces commissions de leur contribution essentielle à l'analyse de ces textes particulièrement complexes. Je tiens également à remercier très sincèrement toute l'équipe de la commission des lois, qui a réalisé un énorme travail avec la diligence et l'efficacité qu'on lui connaît.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous présente, la commission des lois vous propose d'adopter le projet de loi organique et le projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. Ainsi, la décentralisation pourra prendre tout son sens. Et pour reprendre les propos de Jean-Pierre Raffarin, dont l'intérêt pour la réforme constitutionnelle de 2003 n'a jamais faibli, laquelle a d'ailleurs été la pierre angulaire de ce dispositif, « la décentralisation, c'est la confiance faite au peuple ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, avant que nous entendions les orateurs inscrits dans la discussion générale commune, je souhaite présenter au Sénat une proposition destinée à clarifier et à fluidifier nos débats sur ces projets de loi.
En effet, parmi les 357 amendements déposés par la commission des lois, on recense 83 amendements rédactionnels, visant à apporter de simples modifications formelles ou à corriger des erreurs de références.
La liste de ces amendements a été distribuée.
Je propose donc de regrouper par priorité ces amendements au début de l'article auquel ils se rapportent, pour les soumettre ensuite à un vote global. Nous pourrons ainsi nous concentrer sur les amendements qui méritent un examen approfondi. (M. Robert Del Picchia applaudit.)
M. le président. Dans un souci de clarté de nos débats, la commission des lois demande d'examiner les amendements purement rédactionnels au début de chaque article.
Cette organisation favoriserait une présentation globale des amendements rédactionnels, nous permettant de mieux nous concentrer sur les amendements « de fond ».
Que pense le Gouvernement de cette méthode, qui revient à un appel en priorité ?
M. le président. La demande, formulée par la commission et acceptée par le Gouvernement, est de droit.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de la colonie à la départementalisation de 1946, de l'indépendance réclamée par certains en 1960 à la décentralisation de 1982, la nouvelle organisation institutionnelle de l'outre-mer a raté à trois reprises un tournant historique.
Hors de tout climat passionnel généralement entretenu sur ce débat, en 1972, l'intéressant projet de Pierre Messmer pour un fonctionnement plus rationnel de ces terres françaises si lointaines et celui, en 1982, de Henri Emmanuelli sur l'assemblée unique vont se briser sur les questions fluctuantes attachées à la loi.
La déclaration de Basse-Terre, préparée après plusieurs consultations des forces vives, présentée par les trois exécutifs régionaux de l'époque - ceux de Guadeloupe, Martinique et Guyane -, conçue à partir de l'expérience régionale des îles espagnoles et portugaises des Açores, des Canaries et de Madère et élaborée sur la maxime « le courage politique au service du développement », lançait un nouveau souffle d'espoir.
En dehors de tout sectarisme, ce projet provoqua une modification intéressante de la Constitution française, par la reconnaissance de la stabilité du maintien de l'outre-mer au sein de la République.
Conçue par les élus pour répondre à un consensus en vue de la paix sociale et de plus de participation, cette évolution de l'outre-mer vers davantage de responsabilité dans la prise de décision dans leur région allait être confortée par deux déclarations de M. le Président de la République.
Il a reconnu d'abord en Martinique puis à la Réunion la légitimité de la revendication de l'outre-mer pour une modernisation de ses institutions en conformité avec son environnement, dans le cadre la Constitution et dans le respect de celle-ci.
Le Président de la République avait, d'ailleurs, à l'époque fait preuve d'un grand esprit d'ouverture - je tiens à le rappeler -, d'une part, en soutenant la création des régions ultrapériphériques donnant à l'Europe sa dimension maritime avec les îles françaises, espagnoles et portugaises et, d'autre part, en oeuvrant fortement pour la mise en place d'un dispositif novateur d'échange entre l'outre-mer et son environnement géographique.
Ainsi, a été signée à Carthagène la convention des États de la Caraïbe, intégrant la représentation effective des Antilles et de la Guyane dans leurs relations avec la zone. Cette convention a d'ailleurs été ratifiée par le Parlement et donnait un souffle nouveau à l'outre-mer.
Hélas ! les vieux démons des corporatismes, la réaction de certains ministres habitués à penser et à décider pour l'outre-mer, ont mis à mal des propositions qui avaient été, à l'époque, traitées directement par le Président de la République, sans passer par le canal habituel.
Le vote du 7 décembre 2003 a été, pour la Guadeloupe, un choc profond, car il fut le résultat d'une campagne médiatique faite de contrevérités. On a même entendu en Guadeloupe un parlementaire de la métropole, qui avait voté la Constitution, affirmer sur les ondes que ce projet ouvrait la porte à l'indépendance !
Le grand silence, je suis désolée de le dire, monsieur le ministre, du ministre de l'outre-mer de l'époque n'a pas été compris par les populations, d'autant que, sans aucune explication, la Guyane a été exclue de la consultation !
Pour les partisans du « oui », ce vote constituait une sorte de libération de la notion de mère patrie superpuissante, d'État-providence, la fin d'un assistanat qui avait porté atteinte à une valeur forte en outre-mer : la dignité. C'était également la voie ouverte à notre responsabilité locale, à notre capacité enfin reconnue à prendre en main notre destin et la reconnaissance de la diversité de nos identités culturelles au sein de la République française.
Heureusement, les îles du Nord ont donné à la Guadeloupe proprement dite la leçon de courage que nous méritions. En effet, depuis plusieurs décennies, sous l'impulsion déterminante des élus, les îles du Nord, qui ont toujours proposé des modifications, ont su résister au déballage de mensonges et affirmer leur sens de la responsabilité. Je veux saluer ici leur courage !
Permettez-moi, en premier lieu, de remercier les sénateurs qui, à la demande des parlementaires de la Guadeloupe, se sont rendus tout de suite après leur élection au Sénat dans ces îles du Nord. Messieurs les sénateurs, vous avez rédigé un rapport remarquable sur nos particularismes et sur notre sens des responsabilités.
Je félicite ensuite la commission de son travail très approfondi. Monsieur le rapporteur, vous avez brodé très finement, dans les moindres détails, le contenu de ce projet de loi : pas une virgule ne vous a échappé ! Vous avez pris en compte la volonté exprimée par les populations d'assumer leur responsabilité dans un contexte très particulier et dans une zone géographique très sensible.
Avant d'aborder l'examen de ces projets de loi, je rappellerai tout de même que la Guadeloupe est un archipel aux multiples facettes. Chaque île le composant est une entité propre, avec des caractéristiques historiques particulières.
Je souligne, par ailleurs, ce que la commission des lois et M. le rapporteur ont mis en évidence : il existe des différences fondamentales importantes entre l'île de Saint-Barthélemy et l'île de Saint-Martin.
Si la reconnaissance du traité du 10 août 1877 a fortement marqué l'île de Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, l'absence de frontière avec la zone hollandaise a créé des difficultés liées à la présence sur le même territoire de populations d'origine extrêmement différente.
Si à Saint-Barthélemy les élus et la population ont pu protéger, difficilement, certes, et parfois au moyen d'affrontements, leur statut fiscal, leur droit de quai, à Saint-Martin, en revanche, le développement du port et de l'aéroport en zone hollandaise a affaibli la zone française qui, avec son hôpital, ses écoles, son RMI, s'engageait dans la voie d'une politique sociale dont nous mesurons aujourd'hui les effets dévastateurs.
Les projets de loi qui sont aujourd'hui soumis à notre Haute Assemblée comprennent une série de dispositifs relatifs au fonctionnement et aux prérogatives dévolues aux nouvelles collectivités qui, je le crois sincèrement, sont de nature à insuffler une nouvelle force aux îles du Nord.
Je n'évoquerai pas tout le dispositif puisque vous l'avez déjà fort remarquablement exposé, monsieur le rapporteur.
Je soulignerai simplement le fait que, sur le plan organisationnel, la création d'un conseil exécutif autour du président de la collectivité, placé sous le contrôle de l'assemblée - ce que nous avons voulu - est de nature à instaurer un pouvoir et un contre-pouvoir, donnant ainsi plus de transparence au fonctionnement des collectivités.
En outre, l'instauration du Conseil économique, social et culturel, la création des conseils de quartier prévus notamment pour Saint-Martin à l'article L.O. 6324-1 nouveau du code général des collectivités territoriales ainsi que la mise en oeuvre des droits à pétition et à consultation pour les deux îles permettent de conforter une véritable démocratie participative et de maintenir des relations régulières entre les élus et la population. À ce sujet, nous avons déposé des amendements.
De même, en ce qui concerne le droit d'habilitation, nous approuvons la procédure mise en place.
Ainsi, les institutions seront mieux connues de la population, mieux appréhendées par elle et le climat de méfiance générale à l'égard de la classe politique sera sérieusement amoindri par les informations régulières.
Par ailleurs, je souhaite évoquer les nouvelles compétences attribuées à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.
Il va de soi que les attributions délivrées et définies dans le cadre des articles L.O. 6214-3 pour Saint-Barthélemy et L.O. 6314-3 pour Saint-Martin ouvrent à ces deux collectivités un vaste champ de compétences dans un certain nombre de domaines.
Cependant, cette sorte de différence que l'on créé entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy me choque.
Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c'est grâce à des conventions novatrices que l'État sortira de plus en plus de sa mainmise sur ces zones.
Je citerai un exemple. En compagnie des élus de Saint-Martin, nous avions accepté de négocier avec la zone hollandaise, tous courants politiques confondus, le règlement des problèmes de l'eau. Quand il a fallu faire passer le résultat de ces négociations par le sous-préfet, le préfet, le ministère de l'outre-mer, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la coopération, le projet est mort !
Tout continuera à fonctionner de la sorte si nous ne nous ouvrons pas vraiment à une vision différente de l'outre-mer et de la zone de la Caraïbe !
La question linguistique a été écartée. Vous pensez, monsieur le ministre, que nous sommes contre l'affirmation de la langue française. Vous vous trompez : nous sommes pour la souveraineté de la langue française.
Cependant, comment concevoir que la France, dans une convention passée avec l'Association des États de la Caraïbe, l'AEC, ait reconnu le principe de la multiplicité des langues - anglais, espagnol, portugais - dans la zone, qu'elle le fasse respecter dans le cadre de cette association et que maintenant, sans le dire, elle encadre l'apprentissage de l'anglais à Saint-Martin ? Monsieur le ministre, vous n'empêcherez jamais la zone française de parler anglais et de « toucher » aux dollars. Allons donc de l'avant : donnons force à la langue française, mais respectons les traditions !
S'il est nécessaire de mettre en place un véritable plan de rattrapage afin de donner une impulsion à l'essor de ces deux collectivités - nous avons déposé un amendement qui va dans ce sens -, l'État doit, pour renforcer ces dispositions législatives, se doter d'une véritable stratégie de développement économique et social avec les îles environnantes.
Nous sommes à la veille de la régionalisation des accords de Cotonou dans la zone. Par conséquent, monsieur le ministre, l'État doit se moderniser et il ne doit plus imposer une vision administrative rigide, déphasée par rapport à cet espace géographique totalement différent de la métropole !
Q'avons-nous fait à Saint-Martin ? Nous avons laissé cette île jouer le rôle d' « aimant », ce qui a eu pour effet de polariser sur elle toute la misère de la Caraïbe qui a été attirée par le logement social, le RMI et diverses aides.
Savez-vous que vous attribuez - avec l'argent des contribuables - des logements sociaux à des étrangers en situation régulière, et que ces derniers sous-louent des pièces ou vendent leur adresse à des étrangers en situation irrégulière ?
Il faut mettre fin à de telles pratiques. Ce sont les élus sur le terrain qui ont la meilleure perception de ces réalités : vous devez leur faire confiance.
De même, nos écoles, nos collèges et nos lycées sont fréquentés en majeure partie par des élèves qui vivent dans la zone hollandaise de l'île.
Enfin, l'hôpital de Saint-Martin souffre d'un déficit chronique lié à une générosité qui est inacceptable dans certains domaines !
En revanche, la zone hollandaise de développe, avec son port, avec son aéroport. Ce dernier vient d'ailleurs d'être construit à la vitesse grand V, en quelques mois, alors qu'on parlait de dix ans pour la zone française !
Pendant ce temps, nous continuons à penser qu'il faut veiller à fermer nos frontières à la drogue ! Or la drogue, malgré notre politique sociale et notre politique en matière de santé, est un problème que nous n'avons pas réussi à résoudre.
Saint-Martin, zone française, malgré les aides importantes dont elle bénéficie à l'échelon local, national et européen, donne l'impression d'être devenue la périphérie de la zone hollandaise !
Nous devons en effet comprendre que l'application d'une politique efficace dans cette zone où il n'existe pas de frontière appelle une véritable révolution de nos comportements.
Je vous ai entendu tout à l'heure parler de « paradis fiscal » : ce sont des mots qui font peur. Mais le dispositif fiscal qui est appliqué à Saint-Martin n'a rien à voir avec celui qui prévaut dans la zone des Caraïbes.
Comment acceptons-nous en métropole que l'on puisse acheter dans la Caraïbe des produits français meilleur marché qu'à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Guadeloupe ?
Il nous faut évoluer et comprendre que dans cette zone où circulent les bateaux, des avions - il y a quatre à cinq avions par jour à Saint-Martin -, nous devons revoir notre dispositif fiscal sans pour autant enlever à l'État ses prérogatives.
Nous devons comprendre qu'il est nécessaire de passer des conventions et de permettre aux élus de les élaborer avec la zone hollandaise, pour l'harmonisation des procédures fiscales, sociales, etc. Il ne s'agit pas de chasser l'État, mais faites un peu confiance, monsieur le ministre, au pouvoir local !
Il faut également qu'il y ait une complémentarité dans les infrastructures de développement.
Nous payons des taxes très élevées à l'aéroport international Princess Juliana et nous laissons les étrangers se faire soigner gracieusement chez nous ! Nous devons tout de même être novateurs dans ce domaine.
Une coopération bilatérale beaucoup plus forte, beaucoup plus rationnelle, est nécessaire.
Ainsi, la France doit, au travers de ces deux projets de loi et pour ces deux îles qui sont des phares avancés du rayonnement de la France dans la Caraïbe, démontrer ses capacités à diversifier son fonctionnement afin de l'adapter à l'espace réel français.
Je citerai un exemple, monsieur le ministre. Bien que Sainte-Lucie, La Barbade, Trinité-et-Tobago ne soient pas européennes, c'est pourtant depuis ces îles que l'Europe gère le Fonds européen de développement régional, le FEDER, fonds auquel la France contribue.
M. Adrien Giraud. Bravo !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Dans ces conditions, pourquoi n'osons-nous pas dire à nos partenaires que c'est sur un territoire français, la Martinique, la Guadeloupe ou la Guyane, que l'Europe doit siéger pour la répartition des fonds dans la zone ?
Qui plus est, les collectivités françaises participent de façon très importante au financement des infrastructures de la zone, que ce soit en Haïti, où nous apportons une aide aux hôpitaux, ou ailleurs.
Pourquoi la France adopte-t-elle toujours une position de faiblesse ? Pourquoi, alors qu'elle est la première à apporter son aide à Montserrat après une éruption volcanique, laisse-t-elle acheter dans la zone des voitures qui ne sont même pas européennes ?
Nous devons donc penser la diversité de cet espace et entreprendre notre propre mutation.
Il a beaucoup été question de l'État de droit : personne en outre-mer ne le met en cause. Ce que l'outre-mer demande, je ne cesse de le dire, c'est un nouveau souffle et plus de responsabilités. Moi, je fais confiance aux élus de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. À la France de faire de même et de prouver que, dans un monde en mutation, elle sait analyser, comprendre et respecter la diversité de son territoire en y adaptant les lois de la République.
Je voterai ces deux projets de loi, en espérant que les amendements que nous avons déposés, complétés par ceux de l'Assemblée nationale, seront adoptés.
Mais je ne saurais conclure, monsieur le ministre, sans vous remercier : c'est en effet la première fois, dans ma longue carrière politique, que j'enregistre une telle écoute de l'outre-mer, je tenais à vous le dire publiquement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je veux m'exprimer au nom de la Guyane internationale, jadis française.
Grâce à l'outre-mer, la France dépasse le cadre européen pour s'étirer aux quatre coins du monde et, au-delà du périmètre de l'Hexagone, ses limites vont se mêler aux remous des océans Indien, Atlantique et Pacifique pour se prolonger dans la grande forêt amazonienne et guyanaise, celle-là même qui m'est si chère.
Et la grande singularité de l'outre-mer français réside, sans nul doute, en sa foisonnante pluralité : aux contrastes des climats, des paysages, des espèces animales comme végétales, s'ajoute une mosaïque de cultures et d'identités qui sont venues enrichir la République citoyenne et fraternelle.
Mais, sans conteste, l'outre-mer s'affirme également comme le laboratoire de la diversité institutionnelle de la République française. La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane bénéficient de la même égalité de droits et de la même identité législative que chaque département de l'Hexagone, avec en plus des possibilités d'adaptation tenant compte de leurs situations spécifiques.
En outre, depuis la révision de 2003, la Constitution leur permet, sur la base de ses articles 73 et 74, de s'acheminer vers des statuts à la carte, sur le modèle des évolutions dans lesquelles se sont déjà engagées la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française ou Mayotte.
En reconnaissant ainsi à l'outre-mer le droit à une évolution différenciée et choisie, la République tente de répondre aujourd'hui aux aspirations à la responsabilité des populations d'outre-mer et cherche à leur offrir les outils législatifs leur permettant d'être les promoteurs de leur destin.
Cela resterait conforme à l'idée des rédacteurs du préambule de la Constitution de 1946 : « Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ».
Selon moi, c'est encore en deçà du nécessaire, et il faut prolonger cette logique d'une évolution institutionnelle différenciée dans le cadre républicain.
En effet, si les ultramarins revendiquent une plus grande prise en compte de leurs spécificités propres, ils n'en demeurent pas moins très attachés à la République. L'histoire qui lie la République française à l'outre-mer est une histoire en marche avec laquelle personne ne souhaite rompre.
Bien au contraire, la nécessaire évolution à laquelle aspirent les différentes populations d'outre-mer doit se comprendre comme une volonté farouche de bénéficier des moyens de rester ancrés dans la République. Et qui oserait douter de la fidélité de l'outre-mer à la République ?
L'enjeu véritable du chantier institutionnel entamé depuis 2003 se situe bien dans notre capacité à redéfinir en profondeur la relation entre la République, d'une part, et la diversité de ses territoires périphériques, d'autre part.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, la République française doit repenser son rôle auprès de l'outre-mer. Trop longtemps homogénéisante, uniformisante et assimilatrice, elle doit tenter désormais d'agir juste selon un principe d'équité. La République doit prendre en compte ses diversités et les richesses identitaires et s'en servir pour se moderniser et se réinventer sans cesse. C'est ainsi, par exemple, que la négritude, l'antillanité, la créolité, doivent trouver toute leur place au sein du creuset républicain et de l'identité plurielle de la France.
Quant à la Guyane, mes chers collègues, elle constitue une composante indéfectible de la République. Les Guyanais sont Français et ils affirment une certaine fierté, parce qu'ils ont aussi versé leur sang pour la France en 1914-1918, et pour la libérer du joug nazi entre 1940 et 1945. Ils ont défendu les principes républicains et se sont battus à de nombreuses reprises pour eux.
Faut-il rappeler que nous sommes Français depuis plus longtemps que ne le sont les habitants de Nice, de la Savoie ou de la Corse ? La confiance et la foi que nous avons placées en elle obligent la République.
Pourtant, la plus ancienne des terres françaises d'outre-mer est aussi l'une de celles que la France, malgré de multiples tentatives, n'est jamais parvenue à mettre réellement en valeur.
Pendant près de quatre siècles, la Guyane a gardé pour beaucoup de métropolitains l'image d'un « enfer vert ». Lorsqu'est venue l'heure de la décolonisation, coïncidant, à quelques années près, avec la fin de la transportation et la fermeture du bagne, le statut de département français d'outre-mer a apporté une première réponse, salutaire, à notre terre, qui restait partie intégrante de la France.
Mais la départementalisation, si opportune qu'elle ait été, devait se heurter à un obstacle majeur : la singularité de cette terre française. Nous y voilà ! Le souci louable d'instaurer et de garantir l'égalité au sein de la République a conduit à ne pas suffisamment prendre en compte l'identité culturelle - si particulière - de la Guyane, qui est certes une terre française depuis quatre cents ans, mais aussi un pays américain, le pays des Amérindiens, des Créoles, des Noirs marrons et de bien d'autres populations issues de diverses vagues d'immigration.
Aujourd'hui, la situation de la Guyane est très critique. Vous ne pouvez l'ignorer, monsieur le ministre, elle est très grave et une explosion de violence est à craindre, de celles qui expriment un cri d'alarme, un véritable appel à l'aide.
Il y a tout juste neuf ans, le Président de la République était de passage à Cayenne et le diagnostic qu'il dressait le 27 novembre 1997 est toujours d'actualité. Voici en quels termes il s'adressait à des Guyanais heureux de l'accueillir : « Je suis venu parce que la Guyane souffre. Parce que la Guyane connaît de grandes difficultés. Parce que beaucoup de Guyanais sont, c'est vrai, au bord de la détresse. Je sais tout cela. Je sais que vous êtes inquiets, que vous êtes troublés, que vous êtes impatients. Je sais que les plus jeunes d'entre vous bercent au fond d'eux-mêmes une révolte qui se nourrit de leur désarroi, de leur attente, peut-être de leur désespoir. » C'était, je le répète il y a neuf ans, à l'occasion de la dernière visite présidentielle en Guyane.
La situation est désormais tellement intenable et explosive sur place que je ne m'étonne même plus que les rares ministres qui se rendent en Guyane n'y restent que très rarement plus de vingt-quatre heures, hormis bien sûr M. le ministre délégué au tourisme. (Sourires.)
Monsieur le ministre de l'outre-mer, toute la classe politique guyanaise est unanime pour dire qu'il est grand temps de trouver un accord politique permettant, dans le cadre républicain, d'apporter enfin une réponse adaptée aux maux et aux souffrances de la population guyanaise dans son ensemble.
Les deux textes que vous nous présentez aujourd'hui, très largement axés sur Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Mayotte, n'en fourniront pas l'occasion. Les Guyanais attendent leur tour, monsieur le ministre !
La spécificité guyanaise impose un statut propre à notre territoire, probablement assez proche de celui que connaît la Nouvelle-Calédonie. Mais n'attendons pas une crise dramatique pour en arriver à des accords de Matignon version guyanaise.
D'ores et déjà, l'objectif à très court terme qu'il nous faut viser, en attendant de déboucher sur un statut propre d'autonomie, c'est de permettre qu'une habilitation soit donnée à la Guyane pour solliciter une délibération à la place du Parlement.
Au préalable, faut-il encore avoir à l'esprit, mes chers collègues, que la Guyane n'est pas la Guadeloupe, ni la Martinique, pas plus d'ailleurs qu'elle n'est le Morbihan, le « 9-3 » ou encore l'Aube, département qui vous est cher, monsieur le ministre.
Dans ces conditions, pour la Guyane, l'article 73 de la Constitution me semble inadapté face aux problèmes à résoudre, très spécifiques et posés à une échelle sans équivalent sur aucun autre territoire de la République française, à l'image de l'immigration clandestine et de ce qu'elle signifie pour nous.
C'est pourquoi mieux vaut encore l'article 74 qui tient compte des « intérêts propres » de notre collectivité d'outre-mer.
L'expérience que j'ai acquise me conduit aujourd'hui à dire qu'il faut sortir du carcan constitutionnel. L'article 74 de la Constitution permet à la Guyane une éventuelle adaptation des lois de la République sur son territoire tout en demeurant au sein de la République, avec la garantie que les dotations décentralisées suivent la croissance démographique et l'inflation.
M. Gaston Flosse. Bravo!
M. Georges Othily. Pour autant, cet article ne peut suffire, à terme, pour la réalité guyanaise. Il pourrait constituer un premier pas sur le chemin du statut propre et permettrait ainsi de faire face aux problèmes concrets les plus urgents, ceux-là même sur lesquels j'attire votre attention depuis votre entrée en fonction, monsieur le ministre, comme je l'avais fait avec vos prédécesseurs : la non- navigabilité des fleuves, sujet à propos duquel je vous présenterai un amendement ; le pillage des côtes guyanaises ; l'exploitation illégale des minerais et de la forêt guyanaise ; la gestion du parc national ; le logement et le foncier ; les droits légitimes des populations amérindiennes et bushinenge, en faveur desquelles j'ai déposé un amendement ; enfin, bien évidemment, la question cruciale et prioritaire de l'immigration clandestine, qui pourrait bien être l'étincelle qui entraînera l'explosion de violence tant redoutée sur place par la population et par les élus.
Car il faut savoir, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quoi ressemble la réalité quotidienne en Guyane à l'heure où je vous parle.
Des membres des forces de l'ordre sont lâchement assassinés par des clandestins, les ressources minières sont pillées par les étrangers, la pression démographique de l'immigration - régulière ou non - met en péril l'équilibre socio-économique de la Guyane. La situation devient intolérable.
C'est l'ordre public lui-même qui est maintenant en péril. N'y a-t-il pas dysfonctionnement dans les services de l'État, justice, police et gendarmerie ? On doit se poser la question. L'État en a bien conscience, puisqu'il a mis en mission un préfet, pour tenter un diagnostic.
Aujourd'hui, des citoyens veulent se faire justice eux-mêmes. Des collectifs spontanés se sont déjà formés pour raser des habitations illégales et en expulser les habitants sans titre. On est loin d'une petite paillote égarée sur une plage...
Les motivations de ces clandestins ne relèvent pas d'un désir de construire avec nous la Guyane de demain. Seul l'appât du gain des prestations sociales les fait se lever chaque jour. La protection sociale guyanaise n'a pas pour vocation de financer l'aide au développement de nos voisins !
Le peuplement de la Guyane doit être décidé en premier lieu par les élus et le peuple guyanais. Nous réclamons dans ce domaine une compétence partagée avec l'État, à charge pour le Gouvernement d'engager un processus de révision de la Constitution.
Aujourd'hui, l'État décide seul des conditions d'entrée et de séjour des étrangers sur notre territoire.
Le bilan de cette politique est désastreux et prouve que les pouvoirs publics hexagonaux ont échoué. Nous réclamons une telle compétence partagée non pas par pur désir d'autonomie, mais bien parce que les incidences de cette politique de peuplement non maîtrisée sont en train d'appauvrir la Guyane et ses collectivités locales.
Monsieur le ministre, il en va en matière d'immigration clandestine comme de bien d'autres domaines. C'est bien l'urgence et la spécificité de la situation guyanaise qui exigent un accord politique entre l'État et les élus locaux pour permettre à la Guyane de conserver sa place dans la République et de disposer enfin des outils juridiques et des moyens financiers adaptés lui permettant de renouer avec le développement, la prospérité et le plaisir de vivre le long de ses fleuves tranquilles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc amenés à nous prononcer sur les projets de loi organique et ordinaire portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer.
Ces deux projets de loi ont pour objet de permettre l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 73 de la Constitution, dans la rédaction issue de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République. Ils visent également à transformer en collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution les deux communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et à actualiser les statuts respectifs de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je centrerai plus précisément mon propos sur les dispositions du projet de loi organique. En effet, nous avons plusieurs remarques à formuler s'agissant de l'évolution future du statut des îles qui sont évoquées dans ce texte.
Une telle réforme institutionnelle constitue l'aboutissement d'un long processus, débuté en 1946, tendant à l'autodétermination et à la responsabilisation des départements d'outre-mer.
Je tiens d'ailleurs à l'indiquer, nous - je parle des élus communistes et républicains - avons toujours défendu le droit à l'autodétermination des départements d'outre-mer et de leurs populations. Ainsi que nous l'avons réaffirmé au Sénat au mois de novembre 2003, lors du débat précédant le référendum du 7 décembre de cette même année, nous avons toujours pensé qu'il revenait aux populations elles-mêmes de décider des voies à suivre s'agissant de l'évolution de leurs institutions. C'est donc en ce sens que nous avons pris position avant le référendum du mois de décembre 2003.
La présente réforme prévoit ainsi l'évolution institutionnelle de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en érigeant ces deux communes en collectivités d'outre-mer.
En revanche, il n'est pas question de modifier les institutions de la Guadeloupe et de la Martinique. En effet, ces deux départements ont rejeté le projet qui leur était soumis tendant à les transformer en collectivités uniques dans le cadre de l'article 73 de la Constitution.
Pour leur part, les populations de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont voté à une très large majorité en faveur de la création d'une nouvelle collectivité d'outre-mer dans chacune de ces deux îles. Le présent projet de loi organique tient donc compte de ce résultat. Saint-Barthélemy et Saint-Martin, qui sont actuellement des communes de la Guadeloupe, deviendront des collectivités d'outre-mer et bénéficieront à ce titre d'une grande autonomie. Ces deux collectivités nouvelles se substitueraient aux deux communes actuelles ainsi qu'au département de la Guadeloupe et à la région de la Guadeloupe.
Le schéma institutionnel tend à s'inspirer de celui du département, notamment avec l'élection d'un conseil général, mais dont les compétences seraient très nettement élargies.
Les deux collectivités d'outre-mer exerceraient des compétences de droit commun, qui sont celles dévolues par les lois et règlements à la commune, au département et à la région. Mais elles auraient également des compétences normatives propres, qui leur permettraient de fixer des dispositions de natures législative ou réglementaire applicables dans des domaines limitativement énumérés. En outre, elles pourraient être habilitées à adapter les lois et règlements aux caractéristiques et contraintes particulières qu'elles sont susceptibles de présenter. Par ailleurs, elles disposeraient de diverses compétences consultatives, de propositions, d'initiatives ou de participation.
Ce bouleversement profond des institutions des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin me conduit à formuler plusieurs remarques.
Ma première remarque portera sur le contrôle des actes adoptés par ces collectivités dans le cas où ces derniers empiéteraient sur le domaine de la loi.
En effet, les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin seraient compétentes pour fixer les règles applicables dans de très nombreuses matières, y compris dans le domaine de la loi.
Saint-Barthélemy pourrait fixer les règles en matière d'impôts, droits et taxes, cadastre ; d'urbanisme, construction, habilitation, logement ; de circulation routière et transports routiers, desserte maritime d'intérêt territorial, immatriculation des navires, création, aménagement et exploitation des ports maritimes ; de voirie, droit domanial et biens de la collectivité ; d'environnement ; d'accès au travail des étrangers ; d'énergie ; de tourisme ; de création et d'organisation des services et des établissements publics de la collectivité.
Saint-Martin aurait un champ de compétences plus restreint. La future collectivité d'outre-mer pourrait fixer les règles en matière d'impôts, droits et taxes, cadastre ; de droit domanial et des biens de la collectivité ; d'accès au travail des étrangers ; de tourisme ; de création et d'organisation des services et des établissements publics.
Le projet de loi prévoit, pour les actes administratifs pris par les collectivités, un contrôle de légalité assez strict et sensiblement similaire au contrôle de légalité applicable aux actes adoptés par les conseils généraux des départements métropolitains.
En revanche, s'agissant des actes pris par ces collectivités dans le domaine de la loi, le projet de loi organique n'organise pas de contrôle juridictionnel satisfaisant.
Pourtant, compte tenu de l'enjeu que constitue la possibilité de légiférer à la place du Parlement national, de tels actes, même s'ils n'ont pas de valeur législative, doivent faire l'objet, nous semble-t-il, d'un contrôle très strict.
L'article 74 de la Constitution prévoit bien que le Conseil d'État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi. Une fois ce principe posé, les modalités d'application de ce contrôle juridictionnel restent à définir. À nos yeux, le projet de loi organique ne le fait pas.
Or, ne l'oublions pas, les collectivités d'outre-mer auront des compétences très larges en matière d'impôts, droits et taxes. Il est donc nécessaire qu'un contrôle strict de leurs actes dans ce domaine soit prévu.
Cela me permet d'enchaîner sur ma deuxième remarque, qui concerne le régime fiscal dérogatoire que le projet de loi organique tend à rendre applicable à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Comme chacun le sait, ces deux îles, mais plus spécifiquement Saint-Barthélemy, bénéficient déjà aujourd'hui d'une fiscalité très attractive.
En effet, la commune de Saint-Barthélemy semble s'affranchir d'une manière invraisemblable des règles fiscales françaises. Elle se distingue des autres communes de la Guadeloupe par l'absence de fiscalité directe et trouve l'essentiel de ses ressources dans des impôts et des taxes spécifiques, comme le droit de quai et la taxe sur les carburants.
En d'autres termes, le propriétaire d'un voilier amarré au port de Saint-Barthélemy paye un droit de quai pour y laisser son bateau, alors qu'il ne s'acquitte d'aucune taxe pour sa villa située en bord de mer. Cette disproportion manifeste se passe de tout commentaire.
Concrètement, que nous propose le présent projet de loi organique ? Une application stricte du code général des impôts ? Malheureusement, non !
Le soin de fixer le régime fiscal envisagé serait laissé à la libre appréciation de la nouvelle collectivité d'outre-mer de Saint-Barthélemy. La seule condition posée pour l'application du régime fiscal prévue par le projet de loi organique consiste donc en une obligation de résidence.
En effet, selon les termes proposés pour l'article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales, « Ne peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy que les personnes physiques qui y ont établi leur résidence depuis cinq ans au moins ». Le même délai s'appliquera aux personnes morales. La condition de résidence est identique pour les habitants de Saint-Martin.
Ainsi, les personnes physiques qui justifient d'une résidence d'au moins cinq ans à Saint-Barthélemy ne seront soumises qu'à la fiscalité locale. À nos yeux, il ne s'agit pas d'une mesure très efficace de protection contre l'instauration, voire la pérennisation d'un paradis fiscal.
La convention passée entre l'État et les collectivités prévue par le paragraphe II du texte proposé pour l'article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales ne constitue pas une garantie, puisqu'elle ne préciserait les modalités d'application de ce régime fiscal dérogatoire qu'« en tant que de besoin ».
À mon sens, le Gouvernement a tout simplement voulu ménager les habitants, notamment les plus aisés, et les entreprises de Saint-Barthélemy, tout en offrant une pseudo-garantie de lutte contre l'évasion fiscale et la fraude à l'impôt.
Je tiens à souligner également que le dispositif Girardin continuera de s'appliquer.
Ainsi, tous les outils de défiscalisation existants, loin d?être remis en cause par ce projet de loi organique, sont même pérennisés.
À tout le moins, nous aurions aimé une évaluation des effets du régime fiscal qui sera appliqué à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, ainsi que de la répartition des dotations publiques.
Le dispositif proposé nous semble donc très discutable. C'est pourquoi nous avons déposé deux amendements relatifs aux régimes fiscaux dérogatoires de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Nous aurons donc l'occasion de revenir sur ce sujet à l'occasion de l'examen des articles.
Ma troisième remarque n'est pas sans lien avec les propos que je viens de tenir, puisqu'elle concerne les conséquences financières pour la Guadeloupe de la transformation de ces îles en collectivités d'outre-mer.
Je voudrais rappeler à titre liminaire que le conseil régional de la Guadeloupe vient tout juste d'adopter un budget en équilibre pour l'année 2006. Cela n'était pas toujours le cas auparavant.
La réforme institutionnelle proposée aura des incidences sur les dotations allouées à la Guadeloupe, puisqu'il faudra retrancher les 7 000 habitants de Saint-Barthélemy et les 35 000 habitants de Saint-Martin du nombre d'habitants de la Guadeloupe.
Les conséquences sont doubles : la Guadeloupe non seulement bénéficiera de moins de dotations de la part de l'État, mais percevra également moins de recettes fiscales.
Le nombre moins élevé d'habitants n'aura pas pour corollaire un nombre moins élevé de problèmes économiques et sociaux, et chacun sait que la Guadeloupe n'en manque malheureusement pas !
Par conséquent, la Guadeloupe risque de subir de plein fouet les effets de la transformation de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en collectivités d'outre-mer.
En effet, compte tenu du revenu annuel moyen par habitant à Saint-Barthélemy, qui s'élève à 26 000 euros, c'est-à-dire 10 % de plus que la moyenne métropolitaine, on imagine aisément le manque à gagner que cela constituera pour la Guadeloupe en termes de recettes fiscales.
Nous espérons vivement que le Gouvernement prendra en compte cette situation nouvelle dans le cadre de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2007.
Ma dernière remarque concerne les conseillers généraux, qui seront élus au scrutin de liste à deux tours. Aux termes du projet de loi, seules peuvent se présenter au second tour, le cas échéant après le retrait d'une liste plus favorisée, les deux listes arrivées en tête au premier tour.
Théoriquement, dès lors qu'une liste obtient 10 % des suffrages exprimés au premier tour, elle est autorisée à se maintenir au second tour. Pourquoi prévoir en l'espèce une dérogation à cette règle qui garantit un fonctionnement démocratique de nos institutions ?
Les dispositions du projet de loi relatives à l'élection des conseillers généraux de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont pour inconvénient de promouvoir le bipartisme et d'empêcher les listes d'opposition de se maintenir au second tour. Par conséquent, elles nous semblent poser un problème de représentation démocratique des forces politiques présentes dans ces collectivités.
À ce titre, nous espérons que les amendements déposés par nos collègues socialistes en vue de remédier à une telle anomalie seront adoptés.
Ces remarques étant faites, je souhaite que notre débat contribue à éclaircir un certain nombre des points que je viens d'aborder.
Pour conclure, je voudrais réaffirmer avec force l'attachement de mon groupe à l'autodétermination des peuples et, par conséquent, à l'évolution institutionnelle des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les projets de loi que nous sommes amenés à examiner visent pour l'essentiel à permettre l'application de l'intégralité du nouveau cadre institutionnel de l'outre-mer dessiné par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
Il aura donc fallu plus de trois ans et demi pour que les conditions de mise en oeuvre des nouveaux pouvoirs normatifs reconnus aux départements et aux régions d'outre-mer soient précisées et pour que Saint-Barthélemy et Saint-Martin puissent enfin devenir des collectivités d'outre-mer, conformément à la volonté massivement exprimée par les électeurs de ces deux îles lors de la consultation locale du 7 décembre 2003.
Cela est vraiment inadmissible et n'a pas manqué de susciter interrogations et protestations, d'autant que les assemblées locales ont été consultées pour avis voilà plus d'un an déjà !
Mes observations porteront essentiellement sur le titre Ier du projet de loi organique, qui définit les modalités d'exercice, par les assemblées délibérantes des départements et régions d'outre-mer, des nouveaux pouvoirs normatifs qui leur sont reconnus par la Constitution.
Son nouvel article 73 en distingue deux types : premièrement, la possibilité pour ces assemblées d'être habilitées par le législateur à procéder à des adaptations dans les matières où s'exercent leurs compétences ; deuxièmement, la possibilité pour ces mêmes assemblées d'être habilitées à fixer des règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi, toute une série de matières régaliennes étant expressément exclues.
Au cours des débats sur le projet de loi constitutionnel, je m'étais interrogé sur la portée réelle de ces nouveaux pouvoirs normatifs, compte tenu du caractère limité de leur champ d'application, de la complexité de la procédure à suivre pour les exercer et de l'existence d'un obstacle particulièrement difficile à franchir dans le cours de cette procédure : celui de l'inscription de la demande d'habilitation à l'ordre du jour des deux assemblées parlementaires.
Eh bien, à l'examen du titre Ier du projet de loi organique, je ne trouve aucune raison de revoir ma position, bien au contraire !
En effet, la procédure s'est encore alourdie et, surtout, elle comporte une nouvelle disposition tout à fait inadmissible : il s'agit du pouvoir donné au préfet de demander à l'assemblée qui a pris une délibération en application de l'habilitation qui lui a été accordée, de procéder à une nouvelle lecture. Cette disposition est d'autant plus désobligeante pour les élus que les délibérations visées sont adoptées à la majorité absolue et que le préfet peut, malgré cela, réclamer une nouvelle lecture pour des raisons d'opportunité !
Nous sommes là devant une singulière conception de la décentralisation contre laquelle, fort heureusement, notre commission des lois a pris position. Je défendrai, bien entendu, un amendement visant à supprimer ce pouvoir exorbitant accordé au préfet et qui semble vouloir nous ramener à une époque que l'on croyait révolue, même outre-mer !
Malheureusement, aucun amendement apporté aujourd'hui au texte du titre Ier ne pourra parvenir à modifier ce qui relève de la conception même de l'article 73 de la Constitution.
Il faut bien admettre que la nouvelle rédaction de cet article 73 ne résulte nullement d'un changement fondamental dans l'appréhension et la prise en compte des spécificités des départements d'outre-mer.
En dépit des apparences, elle est profondément imprégnée par l'une des caractéristiques de la pensée dominante en France : le primat donné à la volonté d'uniformiser sur la volonté de reconnaître et de prendre en compte les différences, avec, à l'appui, la conviction que l'on peut contraindre la réalité à se couler dans des moules conceptuels préétablis !
En fait, le seul progrès que l'on peut relever, par rapport à l'ancienne rédaction de l'article 73, c'est la possibilité, inscrite au septième alinéa, de corriger, avec l'accord des électeurs, le système, aberrant, des régions monodépartementales, un système que l'on pourrait compter, d'ailleurs, au nombre des handicaps structurels pris en compte par Bruxelles pour classer les DOM au nombre des régions relevant de l'objectif 1 !
Si les électeurs, lorsqu'ils ont été consultés, n'ont pas mis fin à ce système, la responsabilité en incombe à ceux qui ont choisi de les troubler au lieu de les éclairer !
Mais, en ce qui concerne la notion d'adaptation législative et réglementaire, rien n'a été réellement gagné par rapport à la formule inscrite dans la Constitution de 1958 : « Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière. »
En effet, le général de Gaulle, qui l'avait fait introduire dans la Constitution, accordait à cette phrase une très grande portée. C'est en tout cas ce qu'il prétendait, comme en témoigne ce message adressé aux Antillais et aux Guyanais en 1958 : « À l'intérieur des nouvelles institutions que les Français vont se donner, les élus de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane devront pouvoir participer à l'adaptation de nos lois aux nécessités locales ».
On ne peut évidemment que regretter l'interprétation extrêmement restrictive qu'a constamment voulu donner le Conseil constitutionnel de cette disposition de la Constitution de 1958 et, soit dit en passant, on ne saurait qu'en tirer une grande méfiance quant à l'interprétation juridique ou politique qui peut être donnée de telle ou telle formulation.
Vous comprendrez donc que je n'accorde que peu d'intérêt aux discussions byzantines sur le point de savoir si, s'agissant des adaptations, il est possible, avec la formulation actuelle - « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » - d'aller plus loin qu'avec celle qu'elle a remplacée, « nécessitées par leur situation particulière ».
Il est certain que le long développement qui a remplacé l'ancienne formulation a, en fait, posé plus de bornes qu'il n'a ouvert d'espaces nouveaux de liberté et qu'il a surtout fait de chaque démarche qu'entreprendra une assemblée locale un véritable parcours d'obstacles.
Parmi ces obstacles, le plus difficile à surmonter sera, je l'ai déjà évoqué, l'inscription de la demande à l'ordre du jour des assemblées parlementaires. Nous connaissons tous, mes chers collègues, le sort réservé à plus de 80 % des propositions de loi !
On me rétorquera, je le sais, que je fais peu de cas de ce que gagnent, malgré tout, les élus locaux en termes de compétences nouvelles : d'abord, le fait de pouvoir être à l'initiative de mesures d'adaptation ; ensuite, le fait d'être, au final, les rédacteurs des mesures réglementaires qu'ils souhaiteraient prendre dans le cadre des habilitations qu'ils pourraient éventuellement obtenir.
Je répondrai qu'il ne faut pas se méprendre sur la portée réelle de ces compétences nouvelles.
S'agissant de la première, avoir la capacité de prendre l'initiative n'a d'intérêt que si celle-ci a des chances d'aboutir. Je ne reprendrai pas ce que j'ai déjà développé sur l'étroitesse du champ des possibilités offertes et sur les obstacles à surmonter pour parvenir à faire mettre en débat, au Parlement, une demande d'habilitation.
Mais, à supposer ce dernier obstacle franchi, l'exposé des motifs de la loi organique précise que le législateur « demeurera libre d'accorder ou non l'habilitation sollicitée ; il pourra notamment ne pas accorder l'ensemble de l'habilitation demandée, et ainsi ne retenir qu'une partie des dispositions législatives ou réglementaires faisant l'objet d'une habilitation aux fins d'adaptation. Il pourra également poser des limites à la faculté d'adaptation des assemblées locales. [...] Il pourra ainsi limiter la possibilité pour les assemblées locales de régir une matière législative ou réglementaire à une partie seulement de la matière en cause. »
On voit à quel point une demande locale pourra se trouver modifiée, voire complètement transformée, quand elle n'aura pas été purement et simplement rejetée !
S'agissant maintenant de la deuxième compétence, on perçoit aisément la faiblesse de la marge de manoeuvre qui subsistera le plus souvent lorsque le Parlement aura voté sa loi d'habilitation. On se demande d'ailleurs pourquoi, dans ces conditions, les parlementaires n'iraient pas jusqu'au bout de leur travail en votant tout simplement une loi d'adaptation...
Lorsque l'on a pris la vraie mesure de tout cela, une question vient à l'esprit, qui mérite d'être posée : pourquoi pousse-t-on les élus à choisir une procédure aussi compliquée et aléatoire, alors qu'ils disposent déjà d'une procédure d'initiative législative et réglementaire ? Cette procédure trouve son fondement, s'agissant des régions d'outre-mer, dans l'article 8 de la loi du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion ; s'agissant du conseil général, dans l'article 44 de la loi d'orientation pour l'outre-mer du 13 décembre 2000. Ces textes eux-mêmes reprennent, en fait, un décret du 26 avril 1960, pris par le général de Gaulle à la suite des émeutes de décembre 1959 à la Martinique. Les émeutes ont parfois des vertus inattendues en matière d'évolution institutionnelle !
Dans les deux cas, il est précisé que ces collectivités territoriales « peuvent présenter des propositions de modification des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ainsi que toutes propositions législatives et réglementaires concernant le développement économique, social et culturel », selon le cas, des régions d'outre-mer ou des départements d'outre-mer.
Sur le fondement de ces dispositions, plusieurs collectivités ont eu l'occasion d'adresser au Gouvernement des propositions de loi ou de décret. En ce qui concerne les propositions de loi, on peut en citer au moins deux du conseil général de la Martinique, en 1985 et en 1989, une du conseil général de la Guadeloupe, en 2001, et trois du conseil régional de la Martinique, dont deux en 1988 et une en 1989.
Certes, aucune des propositions de loi dont j'ai pu avoir connaissance n'a jamais été examinée par le Parlement, mais, loin de disqualifier la procédure alors suivie, cela ne fait que confirmer à quel point il sera difficile de faire venir en discussion, à l'Assemblée nationale et au Sénat, les futures demandes d'habilitation. Le niveau d'engagement du Gouvernement sera évidemment déterminant en la matière.
Je souhaite, pour ma part, que les assemblées locales des DOM procèdent le plus rapidement possible au recensement d'un premier train de demandes d'habilitation dans les domaines marqués par l'urgence - je pense notamment au transport, au logement, à l'environnement et à la culture - et que s'ouvre à ce sujet une concertation avec le gouvernement en place afin d'obtenir son soutien pour la suite de la démarche.
Mais, à plus long terme, il me paraît indispensable de profiter de la prochaine révision constitutionnelle, qui interviendra très probablement quelques mois après la prochaine élection présidentielle, pour obtenir la réécriture d'un certain nombre de dispositions du titre XII de la Constitution s'agissant en particulier des départements d'outre-mer.
Il faudra bien que passe, dans cette partie du texte, un souffle de modernité qui parvienne à balayer les assemblages hétéroclites de demi-mesures et de dispositifs en trompe-l'oeil sur lesquels nous sommes malheureusement obligés de nous pencher aujourd'hui !
Je me contenterai maintenant de dire quelques mots concernant Saint-Barthélemy et Saint-Martin, laissant à mon collègue Jacques Gillot le soin d'évoquer plus en détail les problèmes qui concernent ces deux nouvelles collectivités d'outre-mer.
Je tiens, tout d'abord, à assurer les élus des deux îles de ma totale solidarité, qui se manifestera concrètement dans le cours des débats.
Je veux ensuite réaffirmer ma désapprobation concernant deux points sur lesquels nous percevons, dans ce qui nous est exposé, une incompréhensible et inadmissible hésitation.
Le premier point concerne Saint-Martin : ses électeurs se sont prononcés clairement pour un statut relevant de l'article 74. Il ne peut être question de leur demander de se contenter jusqu'en 2012 d'une situation qui pourrait relever d'une sorte d'article 73 amélioré ! Je suis heureux que notre commission des lois en ait pris conscience.
Au lieu de justifier cette demi-mesure par les difficultés financières actuelles de l'île, il faut élaborer un plan d'accompagnement financier de la nouvelle collectivité d'outre-mer.
Le deuxième point concerne la représentation des deux nouvelles collectivités d'outre-mer au Parlement : je ne comprends pas que l'on puisse s'interroger à ce sujet ! Ces deux collectivités d'outre-mer doivent être, comme toutes les autres, représentées à l'Assemblée nationale et au Sénat. En la matière, le nombre d'habitants ne saurait aucunement être pris en considération : la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon ne compte que 6 500 habitants environ et est représentée dans les deux assemblées.
L'article 24 de la Constitution, déjà évoqué par le rapporteur, dispose très clairement que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Mais je ne vois pas pourquoi nous devrions nous en remettre à l'Assemblée nationale pour ce qui concerne la représentation des deux collectivités d'outre-mer en son sein.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je conclurai en souhaitant que le débat qui s'engage soit l'occasion d'une prise de conscience, celle de l'impérieuse nécessité, pour la France d'aujourd'hui, de s'attacher à réconcilier le droit et la réalité, et pas seulement pour mieux aborder les problèmes de l'outre-mer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Giraud.
M. Adrien Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu vous dire combien les projets de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer répondent aux intérêts de Mayotte, c'est-à-dire à nos attentes communes. En effet, pour la première fois, le principe de l'identité législative s'appliquera à Mayotte. C'est un progrès considérable, monsieur le ministre !
Particulièrement attentif à l'exposé des motifs, j'ai essentiellement retenu, au sujet de Mayotte, que le principe d'identité législative était, selon vos propres termes, « considérablement étendu » et que la perspective d'une évolution statutaire de notre collectivité départementale « n'était pas écartée par le présent projet de loi organique ».
Je le répète, l'avancée est considérable dans le principe. Vous avez opté pour l'application de plein droit des lois et règlements à notre collectivité, et nous approchons donc de l'identité législative revendiquée depuis 1958 par les Mahorais et par le Mouvement départementaliste mahorais.
Cependant, il nous faut bien constater que les exceptions à ce principe général sont si nombreuses et si étendues qu'elles risquent de ruiner le principe lui-même. Il convient donc d'être particulièrement attentif aux modalités d'application, en raison des spécificités de Mayotte.
Je ne dis pas que des exceptions ne sont pas justifiées : il est évident que, dans certains domaines, Mayotte n'est pas prête à intégrer, dans l'immédiat, tout le droit commun départemental. Il demeure cependant qu'il faut réduire, autant que faire se peut, le nombre de ces exceptions. C'est le cas pour la fiscalité, comme pour le droit de la propriété ou l'urbanisme.
Dans ces domaines, maintenons temporairement l'exception, mais en nous engageant à combler, d'ici à cinq ans, les lacunes qui subsistent dans le régime juridique applicable à Mayotte. Encore faut-il que nous nous en donnions les moyens réels. C'est l'objet même de ma proposition tendant à créer un « comité de suivi », qui permettra d'évaluer, au cas par cas, l'état de préparation de Mayotte au passage à l'identité législative complète.
Cela étant, il est d'autres domaines où l'on peut être plus directif, compte tenu des conditions de vie difficiles de très nombreuses familles mahoraises. Il en est ainsi de la protection et de l'action sociales, du droit syndical, de l'emploi et de la formation professionnelle ou de l'entrée et du séjour des étrangers.
De plus, il nous faut les instruments juridiques les plus adéquats et efficaces pour accélérer nos progrès et rattraper le retard que tous les gouvernements, les uns après les autres, ont reconnu. L'identité législative apparaît ainsi comme une condition du développement, car Mayotte ne se développera pas sans disposer des instruments qu'apporte le droit commun départemental. On a bien vu ce qu'il en a été dans les actuels départements d'outre-mer, avec toutes les adaptations requises par les conditions locales. L'évolution institutionnelle de notre collectivité départementale doit être la conséquence de la mise en oeuvre de l'identité législative ; l'une sans l'autre n'aurait point d'effets.
Or, monsieur le ministre, lorsque vous affirmez que « la perspective d'une évolution statutaire de Mayotte n'est pas écartée par le présent projet de loi organique », vous ne me rassurez pas. Encore heureux que vous n'ayez pas eu l'idée d'écarter cette perspective ! Mais je sais bien que l'ami de Mayotte que vous êtes n'aurait pas même pu l'imaginer.
Toutefois, je regrette très simplement que ce projet de loi organique, plutôt que de se borner à rappeler des intentions si lointaines, ne porte pas un engagement plus clair en faveur de la départementalisation de Mayotte.
Les deux projets de loi considérés répondent par nature à des préoccupations juridiques. Mayotte en a besoin, plus qu'aucune autre collectivité d'outre-mer, elle qui n'est ni un département d'outre-mer ni une région ultrapériphérique : la sécurité juridique, par certains aspects, nous apparaît, à Mayotte, comme une notion bien relative, parfois même ambiguë. La place de Mayotte dans notre organisation juridico-administrative nationale n'est pas satisfaisante. Il convient de remédier rapidement et réellement à cette précarité.
J'admets enfin que, à elle seule, une évolution juridique et institutionnelle ne permettra pas à Mayotte d'atteindre le degré de développement économique et social auquel elle prétend. Cependant, c'est la condition fondamentale qui permettra à Mayotte d'avancer réellement dans la voie du progrès, si tant est que les moyens et les volontés soient à la hauteur d'intentions dont nous ne doutons pas. J'aurai l'occasion de vous éclairer, monsieur le ministre, si cela est nécessaire, sur cette question des moyens lorsque nous débattrons du projet de loi de finances.
Vous avez bien compris, je le sais, que Mayotte doit accéder au statut de département d'outre-mer. Elle en a le droit, elle en porte depuis longtemps l'espérance. Toutefois, il lui faut des témoignages de confiance : l'identité législative et l'évolution statutaire en sont les deux éléments fondamentaux. J'ai conscience des efforts consentis, mais les Mahorais en méritent plus encore, car c'est sur ces bases qu'ils entendent, plus que jamais, assurer leur avenir au sein de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Denis Detcheverry.
M. Denis Detcheverry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour nous prononcer sur un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire visant à faire évoluer les statuts de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, à créer deux nouvelles collectivités d'outre-mer, à savoir Saint-Barthélemy et Saint-Martin, mais aussi à permettre aux départements et aux régions d'outre-mer, lorsqu'ils sont habilités à le faire, d'adapter localement les lois et décrets.
Ces textes résultent de consultations populaires pour ce qui concerne les deux îles guadeloupéennes ; s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, ils reprennent pour partie une proposition de loi du député de l'archipel, Gérard Grignon.
Parfois mal comprises, ou mal interprétées, ces évolutions, que j'appellerai pour ma part des adaptations, sont le fruit de réflexions issues en majeure partie des difficultés rencontrées par les élus locaux dans l'application de certaines lois métropolitaines, inadaptées dans nos contextes ultramarins.
À cet instant, j'évoquerai l'exemple que je connais le mieux, celui de Saint-Pierre-et-Miquelon. La population et les élus de mon archipel ont la plupart du temps subi, sans être consultés, des évolutions successives dont les effets à court et à long terme leur échappaient.
Ainsi, 1936 a marqué la fin de la colonie et la création d'un territoire, avec suppression des trois communes de l'époque : Saint-Pierre, l'Île-aux-Marins et Miquelon.
En 1944-1945, sans aucun doute sensible à l'élan spontané de patriotisme manifesté, pendant la Seconde Guerre mondiale, par les Saint-Pierrais et les Miquelonnais, qui pourtant n'avaient pas été directement menacés du fait de la position géographique de l'archipel, le général de Gaulle a rétabli les deux communes actuelles, Saint-Pierre et Miquelon-Langlade, et créé un conseil général doté de la maîtrise de la fiscalité et des taxes douanières.
En 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, la décision fut prise de faire de Saint-Pierre-et-Miquelon un département. Cela fut accepté par les élus de l'époque, mais ils se trouvaient en fait contraints et forcés.
À l'usage, ce statut se révéla très contraignant dans l'archipel, tant les spécificités engendrées par les réalités démographique, géographique et économique rendaient inapplicables beaucoup de lois et de règlements métropolitains.
L'application de certaines taxes douanières peut illustrer cette incompatibilité : quand on sait que Saint-Pierre-et-Miquelon doit tout importer directement par le Canada, notamment les produits de grande consommation, on imagine à quel point les mesures protectionnistes à l'encontre des produits étrangers, bien que tout à fait légitimes en ce qui concerne la plus grande part du territoire français, auraient engendré une pression inflationniste excessive dans l'archipel s'il n'y avait pas eu de dérogation.
La politique des pêches me fournira un autre exemple à cet égard. Au sein de l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest, en tant que département, Saint-Pierre-et-Miquelon serait aujourd'hui dans l'impossibilité de faire valoir ses droits dans la région, puisque l'archipel est intégré dans une politique européenne globale. Heureusement, la France siège au sein de cette organisation, précisément au titre de Saint-Pierre-et-Miquelon.
C'est donc en 1985 que le statut actuel de collectivité territoriale a été mis en place, fruit d'une mûre réflexion collective engagée à la suite de tous ces dysfonctionnements institutionnels.
Aujourd'hui, ce statut a vingt ans, et il n'est pas étonnant qu'il ait besoin d'un « toilettage », ne serait-ce tout d'abord que pour le mettre en conformité avec le droit national, qui a été modifié au fil des ans : je pense ici au droit de pétition, de consultation et de référendum. Il en est de même pour la publication des actes administratifs au Journal officiel, et non plus au seul recueil des actes administratifs propre à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui nous enfermait une fois de plus dans un système à part et réduisait notre « visibilité ».
En effet, autant notre statut doit tenir compte de nos spécificités, autant ces mêmes spécificités ne doivent pas être des facteurs d'isolement et faire de Saint-Pierre-et-Miquelon une collectivité si complexe, si différente des autres que quasiment personne, notamment ici à Paris, ne puisse nous comprendre et nous aider, par manque de connaissances spécifiques.
Il faut trouver le bon dosage entre spécificité, flexibilité, lisibilité et harmonie.
L'harmonie entre les statuts est un point qui vous tenait à coeur, monsieur le ministre, ainsi qu'à la commission des lois. Mais qu'est-ce qu'un statut ? Je dirais que c'est un contenant qui doit être à la fois solide et flexible, qui doit pouvoir convenir et s'adapter à divers contenus et utilisateurs, tout en excluant certaines dérives. Le statut doit durer dans le temps, et souvent c'est ce qui est le plus simple, le plus juste, qui dure. Les effets de mode ne durent pas, pas plus que les calculs électoraux de court terme. Ce qui résiste, ce sont les vraies valeurs, les valeurs républicaines et le souci de défendre l'intérêt général.
Certains aménagements de ce statut ont pour objet de donner plus d'autonomie décisionnaire aux élus locaux, leur permettant ainsi d'être les premiers acteurs du développement économique de leur collectivité. L'histoire nous a prouvé en effet qu'une vision parisienne ne donne pas obligatoirement un résultat positif outre-Atlantique, du fait des difficultés d'appréhension que j'ai évoquées plus haut. Les accords de coopération économique signés en 1994 entre le Gouvernement canadien et le Gouvernement français pour Saint-Pierre-et-Miquelon en sont un exemple flagrant.
En effet, ces accords, qui avaient pour objet de permettre dans notre archipel une diversification économique, à la suite de l'arrêt brutal de la pêche, se soldent aujourd'hui par un échec. Ces rencontres annuelles étaient en effet beaucoup trop institutionnelles et ne mettaient pas suffisamment les acteurs économiques et politiques régionaux en relation, tandis que l'État nous versait des subventions qui, pour partie, étaient inadaptées.
Après quelques années d'un assistanat que je qualifierai d'anesthésiant, notre collectivité est aujourd'hui plongée dans une crise économique, sans doute l'une des plus graves qu'elle ait jamais connues. Nous ne sommes que 6 500, l'équivalent d'un simple village de métropole,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Un gros village !
M. Denis Detcheverry. ... mais placé aux portes de la plus grande puissance économique, je veux dire le continent nord-américain. Les élus de Saint-Pierre-et-Miquelon, à l'unanimité, sont convaincus de la possibilité d'une reconversion économique de l'archipel. L'évolution statutaire devrait nous permettre une meilleure intégration régionale.
Je pense que les élus de l'archipel sont généralement les mieux placés pour comprendre, expliquer et mettre en valeur les spécificités de leur région, spécificités bien souvent considérées comme des handicaps par le passé, alors qu'elles peuvent constituer de réels atouts, pourvu que l'on s'autorise à sortir des sentiers battus.
Le projet de loi organique prévoit d'accorder à la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon les mêmes compétences qu'aux départements et aux régions d'outre-mer en matière de coopération décentralisée et dans le domaine des relations extérieures, ce qui est, à mon sens, une très bonne chose.
Je pense notamment à cette nouvelle forme de coopération régionale que vous avez bien voulu mettre en place, monsieur le ministre, en organisant les rencontres d'Ottawa au début du mois. Ces rencontres ont mis en évidence la technicité et le pragmatisme qui nous ont tant fait défaut par le passé. Elles nous ont également prouvé, compte tenu de la qualité des échanges que nous avons eus, que le Canada était ouvert au dialogue, qu'il s'agisse de la zone économique exclusive ou de l'exploration et de l'exploitation des hydrocarbures. Je ne puis que me réjouir de cette nouvelle méthode, l'ayant moi-même appelée de mes voeux à plusieurs reprises devant vous, monsieur le ministre.
Cet accompagnement aura pour effet de nous aider à mieux définir une politique économique durable, de responsabiliser les élus par une certaine forme d'autonomie, dans le respect des valeurs et des intérêts de la France. Je parle bien d'une « forme d'autonomie » : vous l'aurez remarqué, monsieur le ministre, il n'est aucunement question d'indépendance dans mon propos. L'implantation définitive, en 1816, du drapeau tricolore sur nos îles de l'Atlantique Nord a été très durement gagnée par nos ancêtres ; elle perdurera.
Bien entendu, monsieur le ministre, ces évolutions seraient impossibles sans un accompagnement financier du Gouvernement. Cet accompagnement doit faire l'objet d'un véritable plan d'action, ainsi que d'une programmation, puisqu'il doit permettre, à terme, un véritable développement économique de notre collectivité, donc une moindre dépendance par rapport à cet assistanat que j'évoquais tout à l'heure. Cet accompagnement doit aussi tenir compte des aides dont nous ne bénéficions pas, du fait, une fois de plus, de notre statut spécifique : c'est, là aussi, le revers de la médaille.
Ainsi, nous sommes en décalage s'agissant de la dotation globale de fonctionnement. Le retard à rattraper est encore important. Par ailleurs, le fait que nous relevons du statut des pays et territoires d'outre-mer nous prive de l'accès aux fonds structurels européens. C'est regrettable, car ce sont bien souvent les petites collectivités qui ont le plus besoin d'un soutien.
Autre exemple : à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous n'avons pas accès aux aides prévues par la loi Chevènement pour encourager l'intercommunalité. En effet, le contexte géographique particulier de notre archipel ne nous permet pas de mettre en place certaines mesures exigées pour répondre aux critères précis de ces aides. Il est nécessaire que le manque à gagner soit quantifié et qu'une dotation de compensation soit envisagée dans un avenir proche.
Pour revenir au projet de loi organique, d'autres mesures concernent le fonctionnement de la collectivité territoriale, à l'image des conseils généraux et régionaux, et les relations avec les deux communes. En accord avec Mme Brigitte Girardin, qui était chargée de l'outre-mer à l'époque, et avec la délégation du Sénat dont vous faisiez partie, monsieur le rapporteur, il a été décidé d'introduire, par voie d'amendement et après consultation de la population, un transfert de compétence aux communes en matière d'urbanisme. En tant que maire de Miquelon-Langlade, j'en suis très heureux, car cela signifie un peu plus d'autonomie pour les communes, à l'image de ce qui se fait en métropole.
Sur le même principe, un amendement de la commission des lois fera de Saint-Pierre-et-Miquelon une circonscription unique où Saint-Pierrais et Miquelonnais voteront pour les mêmes équipes, ce qui n'était pas le cas. Jusqu'à ce jour, en effet, les électeurs de Saint-Pierre votaient pour leurs représentants, séparément de ceux de Miquelon, qui votaient pour les leurs. Cet amendement dénote une volonté d'union des deux îles.
Le principe de sections de liste, comme pour les élections régionales, garantira la représentation des deux communes au sein du conseil général, désormais dénommé conseil territorial, Saint-Pierrais et Miquelonnais se retrouvant dans la même majorité. Si la prime majoritaire du tiers des sièges et le seuil de 10 % des suffrages exprimés sont retenus, je crois que nous aurons réussi à conjuguer stabilité et efficacité, tout en laissant une place légitime à l'opposition, dans laquelle nous risquons tous de nous retrouver un jour ou un autre !
Voilà les grandes lignes du projet de loi organique concernant Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir permis à ce texte d'exister. Je remercie également le président de la commission des lois, le rapporteur et les membres de la commission, ainsi que nos collaborateurs, sans oublier les conseillers du groupe, pour leur efficacité et leur objectivité. Ils ont tous beaucoup travaillé, et ce en bonne intelligence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la discussion de ces projets de loi, nous vivons des instants décisifs de la vie des populations des communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
En effet, après la départementalisation, en 1946, après la décentralisation, en 1982, c'est un grand moment pour la démocratie française, puisque nous allons légiférer sous la dictée de la volonté populaire exprimée en 2003.
Les projets de loi, organique et ordinaire, que nous examinons, sont les suites logiques de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Ils matérialisent l'entrée en vigueur de l'article 73 de la Constitution, dont la nouvelle rédaction dispose que les lois et règlements peuvent « faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des collectivités d'outre-mer. J'aurais tellement aimé que cette discussion concernât également la Guadeloupe. Malheureusement, nous devrons encore attendre notre tour, mais, je l'espère, pas trop longtemps !
Nous connaissons tous bien les spécificités historiques, géographiques et culturelles des territoires de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, intégrés au département de la Guadeloupe.
Je ne peux que me réjouir, et vivement, de l'intérêt que l'État porte au devenir des collectivités françaises d'Amérique, et j'accueille favorablement cette réforme.
Ces projets de loi concrétisent en effet le voeu des populations de ces territoires, qui se sont exprimées à une écrasante majorité lors de la consultation du 7 décembre 2003, dans un sens favorable à une évolution statutaire conforme aux dispositions du nouvel article 74 de la Constitution, fondé sur le principe de spécialité législative. L'État reconnaît ainsi solennellement cette volonté des Saint-Barths et des Saint-Martinois d'accéder à davantage de responsabilités, afin qu'ils soient mieux à même de prendre en main leur développement, leur devenir, en somme leur destinée.
Pour Saint-Barthélemy, il s'agit de consolider l'essor économique et la maîtrise du patrimoine, dans ses deux dimensions foncière et culturelle, et ainsi de mieux optimiser son indéniable potentiel touristique.
Les enjeux pour Saint-Martin sont de la même nature. Toutefois, cette commune connaît au moins trois singularités.
La première, c'est que Saint-Martin partage une centaine de kilomètres carrés avec une autre collectivité, un autre État, pourrais-je dire. Sint Maarten est en effet une terre néerlandaise.
La deuxième spécificité est démographique : la population a en effet triplé en dix ans, quadruplé en vingt ans, passant de 8 000 habitants en 1982 à 35 000 environ aujourd'hui, soit une évolution comparable à celle d'une ville nouvelle d'Ile-de-France, mais, à Saint-Martin, ce fut sans planification ni moyens d'accompagnement étatiques, moyens qui auraient été pourtant justifiés.
Enfin, troisième spécificité, cette croissance démographique à tendance exponentielle est pour une bonne part due à l'immigration étrangère illégale. En 1990, il y avait plus d'étrangers que de nationaux. Aujourd'hui, un résident sur trois est étranger, souvent en situation irrégulière et précaire. Cela engendre, mécaniquement, des dépenses publiques considérables.
On comprend donc l'exigence de réforme ressentie localement, et c'est tout à l'honneur de l'État que d'y répondre en adaptant les institutions, dans le cadre d'une évolution pacifique.
Ce projet répond plus ou moins aux attentes de la population de Saint-Barthélemy. En revanche, force est de constater que ce n'est pas le cas pour Saint-Martin, alors que la situation, notamment en matière d'immigration, y est bien plus alarmante.
La différence de traitement entre les deux îles est très nette.
En l'état actuel des projets respectifs, la compétence normative propre de Saint-Martin est bien moins étendue que celle qui sera dévolue à Saint-Barthélemy. Ainsi, la nouvelle collectivité de Saint-Barthélemy sera en mesure de fixer les règles applicables pour le logement, la circulation routière, les intérêts maritimes territoriaux, l'environnement et l'énergie.
Ce n'est pas le cas dans le statut proposé pour Saint-Martin. Selon la rédaction de l'article 5 du projet de loi organique, la collectivité ne pourra bénéficier du régime d'autonomie prévu par l'article 74 qu'en 2012 seulement.
S'il m'a été facile de relever la différence de traitement, il m'est beaucoup plus difficile de la comprendre, a fortiori de l'accepter. Est-ce en raison des problèmes financiers de Saint-Martin ? Mais nous savons tous que ces difficultés trouvent, pour une très large part, leur explication dans la pression migratoire et ses conséquences sociales. Elles sont justifiées par une démographie subie, dont l'évolution, non naturelle, n'a pas été maîtrisée par les différents responsables, y compris l'État.
Ma principale divergence de fond avec le Gouvernement porte sur la motivation même de cette réforme. C'est précisément parce qu'il y a davantage de difficultés à Saint-Martin, et tout un chacun en assume sa part de responsabilité, qu'une réforme hardie s'impose. Le surcroît d'autonomie refusé jusque-là à Saint-Martin est en effet la condition sine qua non de la réussite de la réforme, dès lors que les objectifs sont les mêmes pour les deux collectivités.
Plutôt que de pénaliser une fois de plus Saint-Martin, il faut au contraire l'aider, même si c'est au prix d'un effort plus important. Je propose donc de prévoir dès maintenant que, dans un délai d'un an après la promulgation de la présente loi, un plan national d'accompagnement, généreux et ambitieux, sur dix ans, soit élaboré avec les Saint-Martinois. Il devra préciser les objectifs et les moyens financiers affectés en matière tant de développement économique, social et culturel que d'équipements publics, et être soumis au vote de notre Parlement, pour donner à Saint-Martin les raisons de croire en son avenir.
Ma proposition n'a rien d'extraordinaire puisque c'est ce que la République a fait au moins à deux reprises, pour la Nouvelle-Calédonie, où il y a eu un plan d'accompagnement considérable, et même pour la Corse.
Avec la responsabilité accrue, les Saint-Martinois doivent également pouvoir accéder à la connaissance, afin qu'ils soient véritablement en mesure de prendre efficacement en main leur destin. Il est de la responsabilité nationale d'y faire émerger des cadres, une élite, qui assumeront pleinement les compétences transférées, avec toute l'efficacité voulue.
Dans ce domaine, l'école publique doit jouer son rôle, fondamental, notamment pour ce qui a trait à l'apprentissage de la langue française, dans des conditions rendues plus difficiles qu'ailleurs, l'anglais étant la langue maternelle de la plupart des enfants. Un plan pédagogique, qui n'écarte pas la révision des méthodes nationales en usage, doit donc être envisagé.
Pour conclure, je dirai qu'il ne saurait y avoir de statut rabaissé, a fortiori de statut au rabais. Il serait pour le moins paradoxal qu'en ayant décidé de passer de l'article 73 à l'article 74 de la Constitution les élus de Saint-Martin et la population aient le sentiment étrange que leur futur est à bien des égards un retour aux années soixante-dix, à la situation d'avant la décentralisation.
Pour l'éviter, il faut donc amender ce texte. Saint-Martin et Saint-Barthélemy doivent notamment avoir la représentation nationale prévue pour les collectivités d'outre-mer. Il est donc essentiel de prévoir la création d'un siège de sénateur et d'un siège de député, dès que les deux territoires deviendront des collectivités à statut particulier.
Je rejoins sur ce point, comme sur bien d'autres, d'ailleurs, les propositions formulées par notre excellent rapporteur, dont je salue très volontiers tant l'expertise que la qualité du travail.
Enfin, je tiens à exprimer devant notre Haute Assemblée la fierté que j'éprouve à marcher dans les pas d'illustres prédécesseurs. Je pense à Césaire, de la Martinique, à Vergès, de la Réunion, et à Monnerville, de la Guyane, qui présida longtemps notre assemblée. Ils sont à l'initiative des projets qui ont porté la départementalisation sur les fonts baptismaux. Je veux rendre un hommage particulier au député socialiste de la Guadeloupe, Paul Valentino, dont la lucidité et l'étonnante clairvoyance, exprimée dans une douzaine d'amendements, ont amélioré la loi de départementalisation, il y a soixante ans.
Je forme le voeu que le Gouvernement fasse preuve d'une clairvoyance au moins égale à celle du gouvernement de l'époque, en 1946, donc sous la IVe République, et qu'il soit animé d'un esprit de solidarité nationale au moins équivalent.
Les élus, la population des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy attendent de nous, représentation nationale et Gouvernement réunis, que nous leur donnions les moyens de mieux embrasser leur avenir.
Pour nous sénateurs, ce ne sera peut-être qu'un petit pas législatif, mais pour les populations concernées - j'en ai la conviction profonde -, ce sera un pas de géant.
Face à une aspiration si légitime, exprimée si démocratiquement, devant l'Histoire en marche sous nos yeux, nous n'avons certainement pas le droit de décevoir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les textes qui nous sont présentés mettent en oeuvre deux dispositions issues de la révision constitutionnelle de 2003 qui nous offrent l'occasion historique de réformer la vision jacobine dont les départements d'outre-mer ont trop souvent pâti.
Ces territoires ont régulièrement été conduits à réclamer une organisation administrative mieux adaptée à leurs caractéristiques et contraintes.
Cette revendication n'est pas nouvelle, nous le savons.
Déjà en 1946, à l'occasion du débat parlementaire qui donna naissance à l'assimilation législative des départements d'outre-mer, un de nos prédécesseurs estimait que les représentants locaux, « sur certaines questions, disposent d'une information plus complète que l'administration centrale » et qu'il serait « conforme à la nature des choses de leur réserver le pouvoir de décider en ces matières ».
C'est d'ailleurs l'inadaptation du droit aux réalités locales qui justifie pour une large part l'aspiration à un changement de statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
S'agissant de l'article 1er du projet de loi organique, j'émets des réserves quant à la traduction effective du pouvoir d'adaptation.
Je crains en effet que les demandes d'habilitation ne connaissent, dans le cadre de cette nouvelle procédure, le même sort que celui qui fut réservé au décret du 26 avril 1960 offrant aux départements d'outre-mer la possibilité de saisir le Gouvernement de toutes propositions d'adaptation du droit motivées par la situation particulière de leur département.
En dépit de la réécriture de l'article 1er par la commission des lois, qui vient combler de nombreux hiatus, notamment en matière d'entrée en vigueur des délibérations, il faudra compter sur la volonté du Gouvernement pour que ces demandes soient effectivement examinées par le Parlement, dont nous connaissons l'agenda bien chargé.
L'essentiel ayant été dit sur l'article 1er par mon collègue Claude Lise, je consacrerai le temps qui m'est imparti aux dispositions statutaires relatives à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Consultées le 7 décembre 2003, les populations des îles du nord de la Guadeloupe se sont déterminées en toute responsabilité sur la base du projet proposé par leurs représentants, à plus de 95 % pour Saint-Barthélemy et à 76 % pour Saint-Martin.
Ainsi donc, le texte que vous nous soumettez se doit d'être la traduction législative fidèle d'une profonde aspiration populaire, exprimée aussi massivement que démocratiquement.
En premier lieu, je tiens à remercier M. le rapporteur, qui a conforté le caractère démocratique de cette évolution statutaire en entendant les élus locaux de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, ainsi que les parlementaires, et en prenant très largement en compte, par le biais de ses amendements, les positions dont on lui a fait part.
Ici ou là, certains ont remis en cause ces projets de loi, mais à ceux-là, je dois rappeler que ces textes nous arrivent au terme d'un long processus démocratique, dont nous ne saurions dénaturer ni le sens ni la portée, processus porté par un consensus historique de l'ensemble des forces politiques en Guadeloupe, par-delà les clivages, et que nous espérons également trouver sur les travées de cette noble assemblée.
Mes chers collègues, ces deux projets de statuts ont été élaborés en étroite concertation avec les représentants d'une population qui aspire tout simplement à trouver sa véritable place dans une France ouverte à la diversité de ses composantes. C'est pourquoi j'invite encore ceux d'entre nous que je sais réticents, pour des raisons parfaitement respectables, à un examen dénué de tout préjugé et de tout dogmatisme.
Dès l'origine, le conseil général de la Guadeloupe a accompagné le projet de changement statutaire de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Je me fais aujourd'hui le porte-parole de cet engagement. Je reste persuadé que mes collègues de la Guadeloupe adhèrent aujourd'hui à cette démarche.
En faisant des îles du Nord deux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution, la République franchit un pas de plus vers la réconciliation de son unité et de sa diversité, en offrant à chacune l'occasion de bénéficier d'un statut à la carte, car la réalité de Saint-Martin n'est pas celle de Saint-Barthélemy, et inversement.
Chaque réalité justifiant un traitement adapté, il n'y a pas lieu, à mon sens, de rechercher de parallélisme entre les statuts, ni dans les amendements que je présenterai.
Historiquement néanmoins, les deux îles ont toutes deux souffert d'une sous-administration de l'État, qui a abouti à l'application d'une réglementation faite de dérogations, de tolérance et de flous juridiques. Aujourd'hui, ces deux projets de statuts offriront un fondement juridique stable à l'une comme à l'autre.
J'évoquerai maintenant les deux problèmes, communs à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, que soulève le présent texte.
D'abord, la représentation parlementaire telle qu'elle nous est proposée ne correspond pas à celle d'une collectivité à part entière.
On s'explique mal en effet que ces deux îles ne soient pas représentées, chacune, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, alors même que leur régime comporte une dose de spécialité législative. À cet égard, j'ai pris acte de l'amendement déposé par M. le rapporteur, au nom de la commission des lois, visant à instaurer leur représentation au Sénat, mais je regrette vivement que la question de leur représentation à l'Assemblée nationale ne soit pas également traitée. Ainsi, ces collectivités pourraient être les seules de la République dont le sénateur serait élu par un collège électoral ne comprenant pas de député !
De plus, au-delà de la représentation des îles du Nord, c'est, bien sûr, l'équilibre institutionnel qui s'en trouverait modifié. À la faveur de ce texte, et alors que ce n'est pas son objet aujourd'hui, le caractère territorial du Sénat pourrait ainsi être renforcé.
Je vous proposerai donc de prévoir dès à présent la représentation à l'Assemblée nationale afin de lever toute incertitude. En effet, les aménagements proposés laissent à penser que Saint-Martin et Saint-Barthélemy seraient déjà représentées.
S'agissant de la dénomination des assemblées délibérantes, le bon sens et notre souci de clarification exigent que l'on rejette toute confusion avec le conseil général, car les nouvelles collectivités exerceront les compétences de la commune, du département et de la région. Sur ce sujet également, M. le rapporteur a fait un utile travail de clarification.
Mes chers collègues, à ce stade de mon propos, j'aborderai plus particulièrement le cas de Saint-Barthélemy. L'architecture du projet de statut répond assez fidèlement aux souhaits exprimés par la municipalité et aux orientations sur lesquelles la population s'est déterminée. De ce fait, elle suscite moins d'observations.
Toutefois, les questions de la protection de l'emploi local et des conditions d'accès à la domiciliation fiscale auraient mérité d'être mieux prises en compte.
Saint-Barthélemy a fait le choix d'un développement économique tourné vers le tourisme haut de gamme, choix qui lui a permis d'atteindre aujourd'hui le niveau de cohésion économique et sociale qu'elle connaît. Dès lors, la préservation de cet équilibre constitue indéniablement un enjeu vital pour l'avenir de l'île.
Cette stratégie économique ne doit pas être assimilée à une volonté de légitimer une forme d'évasion fiscale. À cet égard, je me félicite que ce projet de loi organique, conformément à la demande des élus de l'île, instaure les indispensables garde-fous en introduisant, notamment, une condition de résidence de cinq ans pour l'établissement de la domiciliation fiscale. Vous en conviendrez, mes chers collègues, cette revendication est de nature à battre en brèche les objections relatives au risque de développement d'un paradis fiscal.
Dans le même ordre d'idées, une première mouture du texte prévoyait la possibilité pour Saint-Barthélemy de prendre des mesures nécessaires afin de protéger l'emploi. Compte tenu de l'étroitesse du marché local et du caractère saisonnier des emplois du secteur touristique, cette mesure permettra de garantir la cohésion sociale à Saint-Barthélemy et de préserver l'emploi des résidents, et non - je le souligne - des autochtones.
Je forme là aussi le voeu que vous appréhendiez ces dispositions comme la marque d'une farouche volonté de faire émerger un statut fondé non sur l'exclusion, mais sur la détermination d'une communauté de vies et de destins à atteindre un objectif concerté.
Mes chers collègues, en ce qui concerne Saint-Martin, on a le sentiment, à la lecture du présent projet de loi, que la collectivité est mise à l'épreuve, voire mise sous tutelle, l'accession au statut d'autonomie ayant été expressément différée à 2012.
À cet égard, je me réjouis également que M. le rapporteur ait reconsidéré la position du Gouvernement, car le statut d'autonomie correspond en effet au contrat passé entre les élus et la population, conformément au document d'orientation sur lequel elle s'est déterminée le 7 décembre 2003.
Dès lors, le changement de statut doit être considéré moins comme un risque que comme une chance, l'une de ses finalités étant bien de servir le développement économique de Saint-Martin.
Saint-Martin ayant fait les frais du désintérêt de l'État pendant de longues années, la revendication d'un accompagnement financier de l'État me paraît non seulement légitime, mais surtout responsable. Alors, oui, Saint-Martin est responsable d'avoir demandé son évolution statutaire, mais la République en responsabilité l'ayant accepté, elle doit l'accompagner !
En tant que président du conseil général de la Guadeloupe, je connais bien les enjeux pour Saint-Martin et les difficultés qu'elle devra surmonter.
Ainsi, le calcul des dotations de la future collectivité devra notamment intégrer un impératif de rattrapage. En outre, compte tenu de sa particularité territoriale, les compétences transférées et le statut d'autonomie lui permettront de disposer d'une marge de manoeuvre suffisante pour équilibrer ses rapports avec la partie néerlandaise.
Sint Maarten et Saint-Martin, qu'aucune frontière matérialisée ne sépare, ne forment en réalité qu'une seule et même île. Les deux parties sont donc interdépendantes l'une de l'autre, ce qui fait de l'harmonisation de leurs politiques une nécessité vitale.
Par ailleurs, le statut de collectivité d'outre-mer doit non seulement reconnaître mais aussi autoriser l'expression de ce qui fonde l'identité de la population. En tant que projet démocratique, l'évolution statutaire s'appuie sur des hommes. La prise en compte de ce qui les identifie constitue donc une manière de créer un lien civique entre les hommes et les institutions.
Dès lors, l'anglais saint-martinois doit être vu comme un facteur de cohésion sociale, qu'il importe de reconnaître. Par cette démarche, l'unité linguistique de la République française, proclamée dans l'article 2 de la Constitution, n'est aucunement en cause parce que l'anglais saint-martinois s'écarte de l'anglais anglo-américain ou de l'anglais britannique.
L'anglais de Saint-Martin est le produit de l'histoire de ce territoire, qui a bien dû trouver une langue commune à toutes les nationalités qui s'y sont retrouvées durant la période coloniale et qui ne sont aujourd'hui pas moins de quatre-vingts !
Mes chers collègues, telles sont les quelques remarques générales qu'il m'apparaissait nécessaire de faire en préalable de l'examen des articles.
La tâche qui attend les populations des îles du Nord et les futurs représentants de ces collectivités est lourde, mais exaltante. Qu'ils ne doutent pas de mon soutien, et je l'espère, du vôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Soibahaddine Ibrahim.
M. Soibahaddine Ibrahim. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui le complète tirent les conséquences de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 qui, d'une part, crée les collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution et, d'autre part, apporte, s'il en était besoin, une garantie supplémentaire s'agissant de l'ancrage de ces collectivités dans la République, grâce à l'inscription nominative de chacune d'elles dans la Constitution.
Pour Mayotte, j'estime que ces deux textes marquent une étape importante dans le processus de départementalisation : d'un point de vue statutaire, c'est en effet l'identité législative qui prévaut, à l'exception de six matières sur lesquelles je reviendrai ; d'un point de vue institutionnel, la collectivité départementale exercera les compétences dévolues par les lois et règlements aux départements et aux régions d'outre-mer, à l'exception de l'entretien et de la construction des collèges et des lycées, qui restent à la charge de l'État.
Enfin, le conseil général de Mayotte est doté d'une faculté législative : il peut présenter des propositions de modification de dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et applicables à Mayotte, ainsi que toutes propositions législatives ou réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de l'île.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire part de quelques observations.
En premier lieu, nous sommes d'accord pour considérer que l'application immédiate et intégrale à Mayotte du droit national dans les six matières énumérées par le projet de loi organique est peu réaliste. De ce fait, cela justifie le renvoi à la spécialité législative en particulier pour le code général des impôts, le droit foncier, le droit social, le droit de l'urbanisme, le droit des étrangers et les finances communales. En effet, Mayotte devra avant d'aller plus loin se doter au préalable d'un certain nombre d'outils tels que la régularisation foncière, le cadastre, l'état civil, la clarification du bâti.
Cependant, vous l'avez observé, ces six matières ne présentent pas toutes ni la même urgence ni la même difficulté d'application : certaines mesures pourraient entrer en vigueur avant d'autres. C'est pourquoi il me paraît souhaitable d'établir un calendrier qui en étalerait l'entrée en vigueur entre 2008 et 2018, soit l'horizon ultime de la loi de programme pour l'outre-mer.
En deuxième lieu, le projet de loi organique ne fait pas obstacle à l'évolution du régime législatif de Mayotte de l'article 74 à l'article 73 de la Constitution, sous réserve d'une consultation préalable de la population de Mayotte décidée par le Président de la République, sur le fondement de l'article 72-4 de la Constitution.
Dans ce but, monsieur le ministre, un large consensus s'est dégagé à Mayotte au cours de l'été dernier pour demander la tenue de cette consultation avant la fin de cette année. À ce jour, et sauf erreur de ma part, aucune suite officielle n'a été donnée à cette demande, dont la mise en oeuvre paraissait pourtant techniquement possible.
En troisième lieu, le projet de loi organique maintient la clause de rendez-vous de 2011 prévue par l'accord sur l'avenir de Mayotte du 27 janvier 2000, aux termes de laquelle le conseil général peut prendre une résolution demandant l'évolution du statut actuel. Considérant que toute évolution du statut actuel de Mayotte vers l'article 73 de la Constitution exige le consentement préalable des électeurs de l'île, ne serait-il pas préférable, plutôt que d'organiser deux consultations, de passer directement à la consultation populaire ?
En quatrième lieu, compte tenu de la lenteur des décisions rendues par la commission de révision de l'état civil à Mayotte, ainsi que d'une certaine lourdeur dans son fonctionnement, vous avez annoncé, monsieur le ministre, votre intention d'engager une réforme législative visant à accroître l'efficacité du dispositif en place. Pourrez-vous prochainement nous communiquer le calendrier de cette réforme, étant entendu qu'elle devra sans doute être assortie de moyens budgétaires ?
Enfin, en cinquième et dernier lieu, la dotation de rattrapage, le premier équipement des communes de l'île et le fonds intercommunal de péréquation arrivent à échéance au 31 décembre 2006. Je me réjouis d'avoir entendu notre excellent rapporteur annoncer que ces deux dotations seraient prorogées jusqu'à la mise en place de la fiscalité locale directe. C'est pour moi une nouvelle, cette mesure ne figurant ni dans le projet de loi de finances, ni dans les deux textes initiaux.
Je m'en félicite, car les communes de Mayotte, dont les ressources sont extrêmement précaires, souhaitent tout à la fois la pérennité et la revalorisation périodique de ces dotations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, avant toute chose, saluer le débat qui s'ouvre enfin aujourd'hui dans notre hémicycle. Nous désespérions, nous, les élus ultramarins, de voir jamais les textes du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer inscrits à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée.
En effet, faute de textes, au cours de ces trois dernières années, les dispositions des articles 73 et 74 de la Constitution, révisés par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, n'ont pas pu entrer en vigueur de façon effective outre-mer.
Or, permettez-moi de le rappeler ici à nouveau, pour la clarté de notre débat, l'article 73 dans sa nouvelle rédaction autorise les assemblées délibérantes des départements et régions d'outre-mer, lorsqu'elles y ont été habilitées par la loi, à adapter localement les lois et décrets, ou à fixer des règles dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi.
Je rappelle également que le nouvel article 74 doit permettre aux communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin de changer de statut, les électeurs ayant approuvé massivement le principe d'une telle évolution lors des consultations organisées le 7 décembre 2003 - voilà déjà trois ans - en application de l'article 72-4 de la Constitution.
Le projet de loi organique fixe donc le nouveau statut de ces deux collectivités en faisant de chacune d'elles une collectivité d'outre-mer se substituant à la commune ainsi qu'au département et à la région de la Guadeloupe. Ces deux collectivités territoriales d'outre-mer sont donc les premières à expérimenter le changement de statut constitutionnel dans les formes prévues par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.
En outre, ces deux projets de loi modifient diverses dispositions du code général des collectivités territoriales, du code des juridictions financières et du code électoral pour les adapter au nouveau contexte institutionnel de l'outre-mer.
Je m'attacherai plus particulièrement au titre Ier du projet de loi organique, titre relatif aux départements et régions d'outre-mer, ou DROM, mon collègue Gillot ayant très bien commenté les dispositions qui, dans le texte, visent à transformer en collectivités d'outre-mer, régies par l'article 74, les deux communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Ces textes déterminent donc les modalités selon lesquelles les assemblées délibérantes des départements et des régions d'outre-mer peuvent exercer les nouveaux pouvoirs normatifs qui leur sont reconnus par les deuxième et troisième alinéas de l'article 73.
En ce qui concerne le projet de loi ordinaire, il complète le projet de loi organique pour ce qui relève du domaine de la loi ordinaire.
Qu'en est-il de ces nouveaux pouvoirs ?
Les mesures d'adaptation applicables aux collectivités régies par l'article 73, les départements et régions d'outre-mer, n'ont pas l'ampleur de la spécialité législative des collectivités relevant de l'article 74.
Jusqu'à la révision constitutionnelle de 2003, lesdites mesures d'adaptation pouvaient, au plus, « se traduire par un aménagement limité des compétences des régions et des départements d'outre-mer par rapport aux autres régions ou départements, sans pour autant méconnaître le principe d'égalité ».
Le premier alinéa de l'article 73 de la Constitution, dans sa nouvelle rédaction, est plus clair qu'auparavant puisqu'il pose l'affirmation selon laquelle « dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
L'article 73 est ainsi, depuis 2003, « remis à l'endroit » par rapport à sa rédaction de 1958, et il rétablit la présentation de 1946 en affirmant fermement le principe de l'identité législative, et seulement ensuite la possibilité de l'aménager par des adaptations.
La Constitution précise désormais que la possibilité d'opérer ces simples adaptations relève, en tout état de cause, de la loi de l'État.
En effet, c'est uniquement « si elles ont été habilitées par la loi » que les collectivités de l'article 73 peuvent décider ces adaptations dans les matières où s'exercent leurs compétences.
Ainsi, au nom du principe d'adaptation, un certain nombre d'aménagements devraient désormais être possibles chaque fois que le Parlement y aura autorisé les collectivités concernées. Tantôt il s'agira d'adaptations locales de normes nationales applicables dans les domaines de compétence de ces collectivités, tantôt il s'agira, dans un nombre limité de compétences législatives, de normes que les collectivités concernées pourront être autorisées, par la loi, à établir.
Voici pour ce qui est de la théorie !
Mais permettez-moi maintenant d'exprimer de fortes réserves sur la portée réelle des nouveaux pouvoirs d'adaptation. Dès la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi organique, on devine que les rédacteurs de ce texte sont guidés par un esprit de méfiance et de défiance à l'égard des élus locaux de l'outre-mer.
Mon ami Claude Lise a parlé de recentralisation. Mais c'est bien pire ! Voilà le préfet de la République à qui l'on redonne le costume de gouverneur, costume que nous pensions rangé au musée !
En effet, le représentant de l'État - je cite le projet de loi - « pourra demander une nouvelle lecture » des délibérations prises en application des habilitations. L'exposé des motifs précise qu'il peut le faire « pour des motifs de légalité », ce qui est tout à fait normal. Mais, là où le bât blesse, et vous en conviendrez, c'est qu'il peut également le faire « pour des motifs d'opportunité ».
Vous avez bien lu, comme moi-même, que le préfet pourra demander aux élus régionaux et départementaux de revoir leur copie lorsqu'il la jugera insatisfaisante ! Cette demande pourra se fonder sur des motifs d'opportunité. Autrement dit, nous voici revenus à l'âge de pierre de la décentralisation ! La commission des lois ne s'y est d'ailleurs pas trompée, elle qui a déposé un amendement visant à supprimer cette nouvelle lecture.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission des lois ne se trompe jamais ! (Sourires.)
M. Serge Larcher. Autre exemple édifiant de l'art d'avancer à reculons - je cite encore le texte : « Les délibérations des conseils généraux et régionaux demandant une habilitation deviennent caduques avec le terme du mandat de l'assemblée qui les a votées ».
Disons les choses simplement : il faut compter deux années pour que soit accordée une habilitation à une collectivité - délibération de l'assemblée, transmission au préfet, puis au Gouvernement, présentation au Parlement par le Gouvernement, vote du Parlement. Tout ce parcours du combattant sera donc à refaire au plus proche renouvellement de cette assemblée ! Cette disposition manifeste clairement le souhait du Gouvernement de faire de l'adaptation un droit quasiment impraticable, ou, au mieux, un droit praticable à « mi-temps » !
Les procédures prévues par le dispositif permettant ces habilitations sont alourdies, alors qu'on les attendait allégées. En effet, il m'était apparu que l'intention affichée du Gouvernement était d'aller vers une plus grande reconnaissance des spécificités des populations des départements et régions d'outre-mer.
En réalité, le Gouvernement refuse, de fait, un approfondissement de la décentralisation dans les DROM. S'il existe une matière éminemment politique, c'est bien la décentralisation : elle est purement affaire de volonté politique ! Or, le projet que nous examinons ne traduit en rien une telle volonté, ce qui nous fait craindre que l'article 1er du titre Ier du projet de loi organique ne s'applique jamais, réduisant ainsi l'article 73 de la Constitution au rang de faux-semblant.
Ainsi, doucement mais sûrement, le Gouvernement, à travers ce texte, revient sur les avancées de la décentralisation de 1982.
En 1982, l'Acte I de la décentralisation a constitué une véritable révolution dans le système administratif et politique de la France, car le rôle de l'État et ses relations avec les autres collectivités ont été véritablement redéfinis.
En 2003 et 2004, l'Acte II n'a manifesté guère plus que la volonté d'un État exsangue de transférer un certain nombre de charges vers les collectivités territoriales, telles que la gestion du RMI-RMA, ou encore le recrutement et la gestion des personnels techniciens et ouvriers de services des lycées et collèges, les fameux TOS.
En 2006, je crains que le Gouvernement ne tente d'expérimenter en outre-mer un Acte III des plus sombres. Ce ne serait alors qu'un contrat de dupes et, sous prétexte de contrôler les quelques libertés locales péniblement octroyées, l'État se transformerait en « super-gendarme ».
Ce texte constitue, s'il en était besoin, une nouvelle illustration de ce que le jacobinisme n'est pas mort, loin s'en faut ! De ce projet, monsieur le ministre, transpire la peur, toute française, d'une montée en puissance des régions au sein de l'ensemble européen. En effet, si les collectivités ultramarines tirent demain profit de leur faculté d'adaptation, comment l'État pourra-t-il sérieusement s'opposer après-demain à l'élargissement de cette faculté aux régions de l'Hexagone ?
Pour ne pas prendre ce risque, le Gouvernement nous propose aujourd'hui un dispositif que son caractère éminemment procédurier rend de fait inapplicable, ou pour le moins inefficace.
Chers collègues, les questions auxquelles renvoie ce débat ne concernent donc pas les seules collectivités d'outre-mer. Elles doivent intéresser et interpeller l'ensemble de la représentation nationale. Car nous débattons, non pas de l'ultrapériphéricité, mais de la périphéricité tout court ! Car nous débattons du modèle administratif français. Car nous débattons de l'incapacité de l'État à se réformer réellement. Car nous débattons du refus du pouvoir central, qu'il soit politique ou technocratique, de reconnaître que la France peut demeurer un grand État et une grande nation au sein de l'Europe tout en admettant que sa diversité, notamment sa diversité régionale, constitue une richesse, et en aucune façon une menace.
Voilà toutes les questions dont nous débattons !
Or l'absence de véritables mesures permettant la reconnaissance de l'identité de chacun des départements d'outre-mer dans les textes qui sont soumis à notre examen aujourd'hui prouve que ce gouvernement ne semble pas prêt à répondre à ces questions. Pourtant, nous sommes aujourd'hui liés par cette révision, qui risque finalement d'achever de convaincre nos populations que leurs besoins spécifiques ainsi que leurs aspirations ne peuvent être entendus et pris en compte.
Nous espérons donc, monsieur le ministre, qu'à l'occasion de ce débat vous allez nous donner des précisions et clarifier le dispositif proposé. Afin de parvenir à une rédaction qui rende le pouvoir d'adaptation opérationnel, nous espérons également que vous vous entendrez avec nous pour conclure que la décentralisation est affaire de partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. Et aucun partenariat ne peut se construire dans la défiance !
Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer le surprenant silence des rédacteurs des deux projets de loi en ce qui concerne la représentation au Parlement des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Monsieur le ministre, à l'exception des terres australes, tous les territoires de la République sont représentés par au moins un député et un sénateur.
Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. En effet, il ne peut pas prévoir la création de nouvelles collectivités sans que celles-ci soient dotées de représentants élus à l'échelon national.
En outre, je pense que les élections législatives dans ces nouveaux territoires doivent avoir lieu, dans un souci de cohérence et d'égalité démocratique, en même temps que celles qui se dérouleront l'année prochaine. Cela paraît aller de soi, mais il vaut toujours mieux le dire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la reconnaissance progressive par les gouvernements de la République des différences de culture et de personnalité entre les populations d'outre-mer, en particulier la possibilité offerte par l'article 74 de la Constitution, depuis la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, de créer des statuts « à la carte », constitue un atout majeur pour le développement de chaque collectivité.
Je salue aujourd'hui la création de deux nouvelles collectivités et je veux ici leur souhaiter bonne chance, car c'est bien une chance, et c'est pourquoi je voterai ce texte, non sans avoir néanmoins proposé quelques amendements.
Ainsi, si je me félicite de la ratification de l'ordonnance de 2005 concernant le statut du personnel communal de la Polynésie française, je crois néanmoins utile d'y apporter quelques modifications pour répondre aux légitimes préoccupations des élus de Polynésie française.
Je pense également qu'il serait opportun de profiter de ce débat pour faire évoluer le régime des élections européennes afin de permettre une meilleure prise en compte des diversités outre-mer.
À ce titre, je vous proposerai la mise en place d'un système de sections qui permettrait de s'approcher un peu plus de la réalité sans pour autant contrevenir à l'acte s'opposant à la création de plusieurs circonscriptions, mais cela fera l'objet de discussions ultérieures.
Je reviendrai donc pour le moment à la situation actuelle de la Polynésie française, qui, certes, démontre les vertus de l'autonomie et témoigne de la chance que constitue pour les collectivités d'outre-mer la possibilité d'avoir un statut particulier, mais qui est aussi un avertissement sur la nécessité de fixer clairement des limites.
La souveraineté nationale doit rester intacte. L'État doit conserver, sans ambiguïté, le noyau dur de ses compétences régaliennes. Je rends hommage à ce sujet à la sage clairvoyance du Président de la République, Jacques Chirac, qui a su porter ce projet de statuts « à la carte » pour nos collectivités tout en restant prudent.
Lorsque je réclamais les compétences les plus larges possible, il m'avait fait observer que le statut de la Polynésie française ne devait pas être défini en fonction de la compétence et de la loyauté envers la République de l'équipe alors au pouvoir. On ne pouvait pas être certain que nos successeurs travailleraient dans les mêmes dispositions d'esprit. Il avait raison.
Vous savez tous que, depuis deux ans et demi, la Polynésie française est dirigée par un président indépendantiste. Certes, il a été élu président par les représentants à l'assemblée de la Polynésie française, mais il est nécessaire de préciser que c'est grâce aux deux voix autonomistes de Mme Nicole Bouteau et de M. Philippe Schyle, représentants UDF à l'assemblée de la Polynésie française.
Et il faut également préciser qu'il a menti sur ses intentions pendant la campagne électorale en affirmant que l'indépendance n'était pas à l'ordre du jour.
Il savait très bien que les Polynésiens restent fortement attachés à la France. Cette adhésion massive à la République est incontestablement un succès de l'autonomie, que j'ai moi-même toujours conçue comme un rempart contre la tentation de l'indépendance.
M. Bernard Frimat. Hors sujet !
M. Gaston Flosse. Tous les sondages montrent que l'autonomie au sein de la République est le choix de 80 % des Polynésiens. C'est réconfortant, mais cela ne nous met pas totalement à l'abri des visées de M. Temaru, car, dès qu'il est arrivé au pouvoir, il a renié tous ses engagements de campagne.
Il s'est immédiatement lancé dans une stratégie de rupture avec la France. Certes, il modère quelque peu ses propos en Polynésie, pour ne pas heurter les sentiments de la population. Mais il lui arrive de laisser échapper sa haine contre la France et ce qu'elle incarne à ses yeux. Ainsi, récemment, il a publiquement traité les Français de « détritus qui envahissent la Polynésie » que « l'indépendance permettrait de chasser ».
Nous pensions que le haut-commissaire aurait déposé plainte contre M. Temaru pour ces propos violents et racistes. Il me semble qu'en métropole des responsables politiques ont été condamnés pour moins que cela. Mais M. Temaru bénéficie d'une grande indulgence de la part de l'État qu'il insulte.
Ce n'est pas nouveau puisqu'il n'a même pas été interrogé non plus que poursuivi en 1995 alors qu'il était, au su de tous, le véritable responsable des émeutes qui ont entraîné l'incendie de la ville de Papeete et de l'aéroport international de Tahiti-Faa'a. Cette impunité devient inquiétante quand on connaît ses intentions.
Mais les dérapages verbaux en Polynésie ne sont pas le plus grave. Les actes démontrent aussi son état d'esprit offensif envers la France. Ainsi, il vient de s'en prendre à la défense nationale en réinstaurant les taxes que nous avions supprimées sur tout le matériel militaire entrant en Polynésie. Il y a une vraie volonté de nuire.
Enfin, le plus difficile à admettre est le discours anti-Français véhiculé par M. Temaru lorsqu'il voyage à l'étranger, ce qui est, avec le golf, son passe-temps favori. Il multiplie les discours, les propos insultants envers la France et recherche tous les appuis possibles pour soutenir sa revendication d'indépendance. La semaine dernière encore, à Fidji, où se réunissait le Forum du Pacifique Sud, il a consacré la totalité de son intervention, qu'il faisait naturellement en langue anglaise, à la critique de la France, demandant le soutien de tous les membres du Forum pour que la Polynésie soit indépendante le plus rapidement possible et, en tout cas, avant 2010.
Mais, en même temps, par son arrogance, son incompétence et son désintérêt pour les dossiers sans lien avec l'idéologie indépendantiste, il avait laissé pourrir un mouvement de grève. Les manifestants, qu'il refusait de recevoir - préférant sans doute s'envoler pour Fidji -, ont décidé d'occuper trois bâtiments institutionnels. Ils avaient une sérieuse expérience de la manoeuvre puisqu'il s'agissait d'anciens amis de M. Temaru ayant déjà occupé, sur ses ordres, plusieurs bâtiments officiels, en 2004 et en 2005, pendant plus de cinq mois. Ils croyaient sans doute pouvoir compter sur la même patience de l'État en manifestant contre M. Temaru que lorsqu'ils lui obéissaient. Quelle erreur !
Tout en poursuivant ses diatribes contre la France à Fidji, l'intéressé exigeait de celle-ci une évacuation immédiate des locaux qu'il avait lui-même occupés illégalement pendant cinq mois !
Et vous lui avez donné satisfaction, monsieur le ministre. Votre haut-commissaire a immédiatement fait donner l'assaut par les forces de l'ordre, qui, à grands coups de grenades lacrymogènes, ont mis fin à l'occupation des locaux quelques heures après le début de la manifestation.
Cela n'a pas empêché M. Temaru de reprocher à l'État sa partialité et la lenteur de sa réaction.
Sur un point, je suis d'accord avec lui. L'État n'a pas été impartial : il a toléré pendant cinq mois, sans réagir, l'occupation des bâtiments officiels par M. Temaru et il a fait évacuer très rapidement, en moins de vingt-quatre heures, les locaux occupés par ceux qui manifestaient contre lui.
Il y a là une différence de traitement flagrante et surprenante, monsieur le ministre.
Et, au moment où je vous parle, M. Temaru n'a pas encore entamé la moindre négociation avec les syndicats !
Cet épisode au cours duquel l'incapacité à gouverner de notre actuel président a été démontrée sans ambiguïté n'a pas empêché celui-ci de réitérer, immédiatement après, son apologie de l'indépendance.
Ainsi, aujourd'hui, ceux qui ne connaissent pas l'état réel de l'opinion en Polynésie française sont convaincus que les Polynésiens sont en majorité indépendantistes et qu'ils ont élu et mandaté Oscar Temaru pour qu'il les conduise à l'indépendance. Je me dois de profiter de ma présence à cette tribune pour vous dire que c'est complètement faux, et tous ceux qui vivent en Polynésie française le savent.
Oui, tous ceux qui connaissent bien la Polynésie française savent que c'est faux ! Pourtant, je rencontre souvent un grand scepticisme lorsque j'essaie de faire comprendre ici, à Paris, au Parlement ou dans les ministères, que les Polynésiens veulent rester français, même si le président de la Polynésie française ne le veut pas.
Je sens chez mes interlocuteurs les mieux intentionnés une sorte de résignation à voir la Polynésie quitter la République. Ce sentiment d'acceptation d'une rupture qui serait voulue par les Polynésiens est l'arme la plus efficace d'Oscar Temaru et le plus grand danger pour la Polynésie française.
C'est pourquoi je demande solennellement au Parlement, au Gouvernement, à toutes les administrations et à tous nos compatriotes métropolitains de ne pas imputer à la population polynésienne, fermement attachée à la France, les sentiments anti-français d'Oscar Temaru.
Nous voulons rester français et nous sommes au moins 80 % à partager cette volonté. Alors ne nous rejetez pas, ayez confiance en nous. Une Polynésie française, un pays d'outre-mer autonome au sein de la République, c'est l'avenir que nous voulons pour nos enfants, et je suis convaincu que les prochaines élections le prouveront. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.