Article 28
L'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :
1° Le 1° est abrogé ;
2° Dans le 2°, les mots : « a moins de vingt et un ans » sont remplacés par les mots : « est âgé de dix-huit à vingt et un ans ou dans les conditions prévues à l'article L. 311-3 », et sont ajoutés les mots : «, sous réserve qu'ils produisent un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois » ;
3° Dans le 8°, les mots : « mineurs ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire » sont remplacés par les mots : « dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3 », et sont ajoutés les mots : « ainsi qu'à ses ascendants directs au premier degré si l'étranger qui a obtenu le statut de réfugié est un mineur non accompagné » ;
4° Dans le 9°, les mots : « mineurs ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire » sont remplacés par les mots : « dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3 » ;
5° Le 10° est abrogé.
M. le président. Je suis saisi de huit amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L'amendement n° 183 est présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et M. André, MM. Assouline, Badinter, Bel et Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mmes Khiari et Le Texier, MM. Mahéas, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 378 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Bariza Khiari, pour présenter l'amendement n° 183.
Mme Bariza Khiari. L'article 28 tend à modifier les conditions de délivrance de plein droit de la carte de résident.
Tout d'abord, il réduit les catégories d'étrangers pouvant bénéficier d'une carte de plein droit afin d'obliger les personnes qui en relèvent à passer par le parcours d'intégration et afin de vérifier qu'elles satisfont à la condition d'intégration.
Ainsi, par coordination avec l'article 27, les conjoints de Français ne relèveront plus de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - délivrance de plein droit de la carte de résident - par la suppression du 1° de cet article.
Il en sera de même, par l'abrogation du 10° de l'article L. 314-11, des étrangers en situation régulière depuis plus de dix ans.
Ensuite, le 2° de l'article 28 vise à modifier la procédure de délivrance de plein droit de la carte de résident aux enfants et parents étrangers de ressortissants français. En effet, l'article L. 314-11 permet d'accorder une carte de résident aux enfants de moins de vingt et un ans et aux ascendants à charge de ressortissants français. Ces derniers devront produire un visa de long séjour qu'ils ne pourront obtenir que dans leur pays d'origine.
Enfin, le 3° de l'article 28 vise à étendre au contraire les cas de délivrance de plein droit de la carte de résident aux ascendants directs d'un mineur non accompagné qui a obtenu le statut de réfugié. Ce cas très spécifique est en effet le seul où la législation française en matière de regroupement familial est moins favorable que la directive du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.
Cette disposition permettra donc à la France d'achever la transposition de cette directive.
L'immigration dite « subie », les membres de la famille et même les conjoints sont, en l'espèce, particulièrement visés : le mouvement entrepris il y a plusieurs années et consistant à réduire les catégories d'étrangers pouvant obtenir de plein droit la carte de dix ans se poursuit avec ce projet. Outre les membres de la famille et les parents d'enfants français en 2003, il s'agit maintenant d'exclure du droit à bénéficier de ce titre stable les conjoints et ceux qui peuvent justifier de dix ans de situation régulière, sauf si, pendant cette période, ils ont été en possession d'une carte de séjour portant la mention « étudiant ».
Le projet de loi construit ainsi, monsieur le ministre, des précarités perpétuelles.
Toutes ces raisons conduisent le groupe socialiste à demander la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l'amendement n° 378.
M. Thierry Foucaud. L'article 28 tend à réduire les possibilités de délivrance de plein droit de la carte de résident de façon inacceptable.
La carte de résident est non seulement la plus stable qui soit, mais c'est aussi elle qui garantit une véritable intégration de l'étranger dans notre société.
Vouloir en restreindre l'accès apparaît donc comme un non-sens de ce point de vue, surtout lorsque l'on met en avant, comme le fait le Gouvernement, cette notion d'intégration, de la même manière qu'il est aberrant de conditionner l'obtention de cette carte à l'intégration républicaine. C'est un raisonnement par l'absurde, puisque la carte de résident permet d'assurer cette intégration.
Les conjoints de Français sont les premiers pénalisés par cette réforme. En effet, le 1° de l'article 28 vise à leur supprimer la délivrance de plein droit de la carte de résident. Désormais, ils seront soumis au 3° de l'article L. 314-9 qui ne prévoit qu'une simple faculté de délivrance. Le préfet aurait donc la possibilité de la leur délivrer si certaines conditions sont remplies, mais n'en aurait plus l'obligation.
Ainsi que notre groupe l'a répété, nous ne pouvons cautionner l'attitude réactionnaire du Gouvernement à l'encontre des mariages mixtes.
Je ne reviendrai pas non plus sur le fait qu'il semble complètement absurde de demander à l'enfant étranger d'un ressortissant de nationalité française qui a moins de vingt et un ans ou qui est à la charge de ses parents de produire un visa de long séjour s'il veut obtenir une carte de résident. Quel est l'intérêt de lui demander de retourner dans son pays s'il a déjà passé plusieurs années en France ?
Enfin, la délivrance de la carte de résident aux étrangers résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans est purement et simplement supprimée. Je n'y reviens non plus, nous en avons déjà parlé.
À tous les points de vue, cet article rend lui aussi pratiquement impossible la vie de famille, que ce soit pour les étrangers ou pour les familles franco-étrangères.
Dans ces conditions, la suppression de l'article 28 nous semble pleinement justifiée.
M. le président. L'amendement n° 184, présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et M. André, MM. Assouline, Badinter, Bel et Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mmes Khiari et Le Texier, MM. Mahéas, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le 1° de cet article.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 185, présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et M. André, MM. Assouline, Badinter, Bel et Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mmes Khiari et Le Texier, MM. Mahéas, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le 2° de cet article.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Il est également défendu.
M. le président. L'amendement n° 379, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après le troisième alinéa (2°) de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« ... °Au mineur étranger recueilli régulièrement en vertu d'une décision de kafala judiciaire par un ressortissant de nationalité française et à la charge de ce dernier » ;
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. La loi du 6 février 2001 dispose : « L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ».
Par conséquent, les enfants nés dans les pays de droit coranique ne peuvent être adoptés par des candidats de nationalité française. Or ces enfants sont d'ores et déjà accueillis par des couples français dans le cadre d'une kafala judiciaire, qui est « le recueil légal des enfants abandonnés ou dont les parents s'avèrent incapables d'assurer l'éducation ».
Avant l'introduction de cette disposition dans l'article 370-3 du code civil, le juge appréciait au cas par cas la situation des enfants et prononçait le plus souvent une adoption, qu'elle soit simple ou plénière.
Depuis 2001, la France s'interdit d'accepter ces enfants sur son territoire dans le cadre de la procédure d'adoption.
Dans son rapport annuel pour 2004, la Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, dénonce cet état de fait : « Il s'agit d'un véritable recul dans la prise en compte de l'intérêt de ces enfants, pour lesquels la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation ouvrait cette possibilité. » Elle ajoute, sur ce sujet, d'autres éléments qui vont dans le même sens.
Par ailleurs, les pratiques en matière de délivrance des visas d'entrée et des autorisations de séjour sont très diverses pour les enfants recueillis régulièrement en kafala judiciaire par nos concitoyens.
Saisi à plusieurs reprises de recours contre des décisions de refus d'autorisation d'entrer en France demandée pour des enfants recueillis en kafala dans le cadre de la procédure du regroupement familial, le Conseil d'État a annulé ces refus en rappelant, conformément aux principes de la Convention internationale des droits de l'enfant et de la Convention européenne des droits de l'homme, ceci : « Si les dispositions combinées de l'article 15 et de l'article 29 de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 prévoient que l'enfant pouvant bénéficier du regroupement familial est l'enfant légitime ou naturel ayant une filiation légalement établie ainsi que l'enfant adopté, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'une décision refusant le bénéfice du regroupement familial demandé pour une enfant n'appartenant pas à l'une des catégories mentionnées ne porte pas une atteinte excessive aux droits des intéressés au respect de leur vie privée et familiale et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, selon lesquelles " dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". »
De plus, la loi du 26 novembre 2003 a mis en place une « période de stage » de cinq ans avant que puisse être déposée une demande de nationalité française, pour l'enfant recueilli et élevé par une personne de nationalité française, et de trois ans pour un enfant qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance.
Avant l'adoption de ces dispositions, la possibilité de réclamer la nationalité française était donnée à ces enfants, dès lors qu'ils résidaient sur le sol français, et elle n'était assortie d'aucune condition de durée.
En raison de l'ensemble de ces dispositions, les familles françaises ayant accueilli des enfants en kafala judiciaire et, au premier chef, les enfants subissent une discrimination intolérable.
Or la kafala judiciaire, reconnue par les conventions internationales, est considérée par les autorités des pays d'origine et des pays d'accueil, y compris par des représentants de la France au Maroc et en Algérie, comme une procédure « structurée, encadrée et sécurisée ».
Enfin, nous tenons à souligner qu'en Europe la France fait figure d'exception dans ce domaine.
Les principaux pays européens ont en effet voulu et su régler les différents aspects du recueil d'enfants en kafala par leurs citoyens.
M. le président. Monsieur Foucaud, je vous prie de conclure.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On a déjà eu ce débat hier !
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, je ne me suis guère exprimé ce soir, et le sujet est important.
M. le président. Mon cher collègue, je comprends votre souci, mais vous devez respecter les temps de parole qui ont été fixés.
M. Thierry Foucaud. J'ajoute seulement que tel est le cas de l'Espagne, de la Suisse et, tout récemment, de la Belgique qui, par une loi en date du 6 décembre 2005, vient de modifier son code civil pour permettre l'entrée sur le territoire belge et l'adoption d'enfants « dont l'État d'origine ne connaît ni l'adoption ni le placement en vu d'adoption ».
La situation actuelle fait de ces enfants qui ne sont pas adoptables, tout en étant abandonnés, des enfants au « milieu du gué », pour reprendre une expression utilisée en 1996 par le professeur Jean-François Mattei dans le rapport qu'il a établi au nom de la commission spéciale de l'Assemblée nationale.
L'objet de cet amendement est donc de mettre fin à cette discrimination et de permettre à l'enfant recueilli en kafala judiciaire par une personne de nationalité française de bénéficier de la délivrance de plein droit de la carte de résident.
Ainsi, si notre amendement était adopté, ce que nous espérons, il s'inscrirait dans les dispositions prévues par l'article L. 211-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoit notamment la délivrance des titres de séjour pour l'adoption et le regroupement familial.
Je vous remercie, monsieur le président de m'avoir laissé parler une minute de plus.
M. le président. C'était plus d'une minute, mon cher collègue ! Vous ne pouvez pas, sur chaque article ou chaque amendement, dépasser systématiquement les cinq minutes de temps de parole. Le règlement intérieur, qui est la base du travail parlementaire, s'applique à tout le monde et je demande à chacun de le respecter.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 186 est présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et M. André, MM. Assouline, Badinter, Bel et Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mmes Khiari et Le Texier, MM. Mahéas, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 246 rectifié est présenté par MM. Delfau, Baylet, A. Boyer, Collin et Fortassin.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer le 5° de cet article.
La parole est à Mme Bariza Khiari, pour présenter l'amendement n° 186.
Mme Bariza Khiari. Je considère que cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 246 rectifié n'est pas soutenu.
L'amendement n° 380, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le 5° de cet article :
5° Le 10° est ainsi rédigé :
« 10º A l'étranger qui est en situation régulière depuis plus de dix ans ou qui a travaillé régulièrement en France pendant plus de cent vingt mois cumulés sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant ». »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. S'il est exact qu'aux termes de la jurisprudence du Conseil d'État le caractère discontinu du séjour régulier d'un étranger ayant passé plus de dix ans en France s'oppose à ce qu'on lui reconnaisse le bénéfice d'une situation régulière depuis plus de dix ans, cette interprétation a toutefois été retenue dans le cas d'étrangers dont le séjour régulier avait été interrompu à la suite de circonstances ne pouvant être imputées en aucune façon à la responsabilité de l'administration préfectorale.
De même, cette interprétation a été admise dans le cas de travailleurs saisonniers, dont le caractère occasionnel du travail et du séjour n'avait pas été remis en question. Rien n'interdit en effet, dans la rédaction de l'article L. 314-11 du CESEDA, de prendre en compte la totalité des périodes de séjour régulier d'un travailleur migrant permanent, en partant du principe que, dans le cas d'un travailleur qui effectue des « saisons » de huit mois, le caractère discontinu du séjour est factice et que l'interruption de celui-ci est purement artificielle.
Cette interprétation serait du reste parfaitement conforme à la volonté du législateur au moment du vote à l'Assemblée nationale des dispositions relatives à la carte de résident de dix ans. En effet, l'origine de cet article remonte à la loi 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, qui définissait des catégories d'étrangers non expulsables, parmi lesquels figuraient les titulaires d'une rente d'accident du travail et les personnes ayant leur résidence habituelle en France depuis plus de quinze ans.
La loi 84-622 du 17 juillet 1984 attribuait de plein droit une carte de résident à ces mêmes étrangers.
Enfin, la loi 86-1025 du 9 septembre 1986 a ajouté le critère de la résidence régulière depuis plus de dix ans.
Si l'on examine les débats parlementaires relatifs à ces diverses modifications de la législation sur les étrangers, on constate une rare unanimité sur la nécessité de protéger les travailleurs migrants qui, eux aussi, ont contribué à créer les richesses de notre pays.
J'aurais pu citer les propos tenus à l'époque par Charles Ledermann, au Sénat, et Roger Rouquette, à l'Assemblée nationale.
En outre, le droit externe reprend à son compte cette volonté des législateurs de protéger les travailleurs migrants en fonction de la pérennité de leur emploi et impose la délivrance d'un titre de séjour dans des cas similaires à celui d'un travailleur saisonnier habituel.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements de suppression nos 183, 378, 184 et 185.
S'agissant de l'amendement n° 379, la commission a émis un avis défavorable, à la suite des explications qui ont été fournies hier sur ce sujet.
La commission est également défavorable aux amendements nos 186 et 380.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour explication de vote sur les amendements identiques n°s 183 et 378.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J'évoquerai une seule des raisons pour lesquelles nous souhaitons la suppression de l'article 28.
Cet article tend à supprimer le dixième alinéa de l'article L. 314-11 du CESEDA, aux termes duquel un étranger présent en France depuis dix ans et en situation régulière bénéficie de plein droit d'une carte de résident.
Dix ans, c'est beaucoup dans une vie ! Quand un étranger a passé dix ans en France, sans avoir causé de trouble à l'ordre public et sans que l'on puisse lui reprocher quoi que ce soit, on peut tout de même avoir l'élégance, la générosité, l'ouverture d'esprit et de coeur de lui donner une carte de résident de plein droit. Cette mesquinerie, cette fermeture, même dans un cas comme celui-là, sont vraiment insupportables.
Cet article, qui tend à supprimer la possibilité, pour quelqu'un qui travaille, qui vit et qui paie ses impôts en France depuis dix ans, d'obtenir de plein droit une carte de résident, est l'un des pires de ce projet de loi.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 183 et 378.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 28.
(L'article 28 est adopté.)
Article 29
I. - Le premier alinéa de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :
1° Dans la première phrase, les mots : « une autorisation provisoire de séjour » sont remplacés par les mots : « une carte de séjour temporaire portant la mention «vie privée et familiale» », et, dans la dernière phrase, les mots : « Cette autorisation provisoire de séjour » sont remplacés par les mots : « Cette carte de séjour temporaire » ;
2° Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. »
II. - La dernière phrase de l'article L. 316-2 du même code est ainsi rédigée :
« Il détermine notamment les conditions de la délivrance, du renouvellement et du retrait de la carte de séjour temporaire mentionnée au premier alinéa de cet article et les modalités de protection, d'accueil et d'hébergement de l'étranger auquel cette carte est accordée. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 381, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. L'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :
1° Avant le premier alinéa, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L'étranger, pour lequel il existe des motifs raisonnables de croire qu'il est victime des infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, bénéficie, s'il le souhaite, d'un délai de réflexion de trois mois pendant lequel il est autorisé à séjourner sur le territoire, afin de lui permettre de se rétablir, de se soustraire à l'influence des auteurs des infractions et de décider en connaissance de cause de coopérer ou non avec les autorités compétentes. » ;
2° Le premier alinéa est remplacé par une phrase ainsi rédigée : « Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée à l'étranger qui coopère avec les autorités publiques concernant les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal commises à son encontre. » ;
3° Dans la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « Cette autorisation provisoire de séjour » sont remplacés par les mots : « Cette carte de séjour temporaire » ;
4° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. ».
II. La dernière phrase de l'article L. 316-2 du même code est ainsi rédigée : « Il détermine d'une part les conditions de délivrance, renouvellement et retrait de l'autorisation à séjourner prévue pour le délai de réflexion et de la carte de séjour précitée, d'autre part les modalités de protection, d'accueil et d'hébergement de l'étranger auquel ce délai ou cette carte sont accordés. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, l'article 29 vise à transposer la directive 2004/81/CE de l'Union européenne du 29 avril 2004 prévoyant la délivrance d'un titre de séjour aux ressortissants des pays tiers victimes d'atteintes à la dignité humaine qui témoignent ou portent plainte. Désormais, ces personnes se verront remettre non plus une autorisation provisoire de séjour, mais une carte de séjour temporaire.
Si l'on peut se féliciter d'une telle amélioration du statut offert aux victimes acceptant de participer aux procédures engagées pour faire cesser les atteintes en question, il convient toutefois de rappeler que celles-ci ne bénéficieront pas du délai de réflexion nécessaire leur permettant de mesurer la réelle portée de leur engagement à collaborer. En effet, elles peuvent légitimement craindre des représailles contre elles-mêmes ou leurs proches en cas de collaboration à l'identification des auteurs des violations dont elles ont été victimes et refuser alors toute participation à la manifestation de la vérité.
L'instauration d'un délai de réflexion leur permettrait de s'engager ou non, de façon éclairée, dans une coopération. C'est d'ailleurs ce que prévoit la directive européenne arrivant à échéance le 6 août 2006, qui instaure un tel délai afin de les aider à décider en connaissance de cause si elles entendent ou non coopérer avec les autorités policières, répressives et judiciaires - compte tenu des risques encourus - afin qu'elles coopèrent librement et donc plus efficacement.
En outre, la convention sur la lutte contre la traite des êtres humains adoptée par le Conseil de l'Europe réaffirme la nécessité d'offrir un délai de réflexion « lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne concernée est une victime ». Cette convention précise que « ce délai doit être d'une durée suffisante pour que la personne concernée puisse se rétablir et échapper à l'influence des trafiquants et/ou prenne, en connaissance de cause, une décision quant à sa coopération avec les autorités compétentes. Pendant ce délai, aucune mesure d'éloignement ne peut être exécutée à son égard. [...] Pendant ce délai, les parties autorisent le séjour de la personne concernée sur leur territoire ». Cette convention n'a cependant pas encore été signée par la France.
L'adoption de notre amendement serait le moyen de reconnaître la situation de ces personnes, qui sont avant tout des victimes.
M. le président. L'amendement n° 187, présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et M. André, MM. Assouline, Badinter, Bel et Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mmes Khiari et Le Texier, MM. Mahéas, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après le 1° du I de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
... ° Dans le dernier alinéa, les mots : « peut être » son remplacés par le mot : « est »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a institué une procédure spécifique de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour pour l'étranger qui porte plainte ou témoigne contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions de traite des êtres humains et de proxénétisme, sous réserve que sa présence sur le territoire français ne constitue pas une menace à l'ordre public. Ces dispositions sont aujourd'hui codifiées.
L'article 29 prévoit la possibilité d'accorder aux personnes qui acceptent de collaborer avec la justice pour lutter contre le proxénétisme et la traite des êtres humains une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale ».
Nous proposons que cette carte soit de droit. Il est indispensable, en effet, de garantir à ces personnes vulnérables une réelle protection à l'issue du dépôt de la plainte ou du témoignage. Ce serait une manière efficace de lutter contre les réseaux de traite des êtres humains, qui sont l'une des plaies de notre vie moderne.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il convient de tenir compte des situations évoquées dans l'amendement n° 381. Mais il faut aussi éviter de créer des conditions trop larges d'obtention de la carte de séjour temporaire, afin d'éviter d'éventuels détournements de procédure. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
S'agissant de l'amendement n° 187, la délivrance d'une carte de séjour à une personne témoignant dans des affaires de proxénétisme et de traite des êtres humains doit relever de l'appréciation de l'autorité administrative. En effet, l'expérience a montré qu'il existait des risques de détournement de procédure : certains témoignages pourraient être faits dans le seul but d'obtenir un titre de séjour. L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Madame Assasi, je comprends la démarche qui sous-tend votre amendement n° 381, mais le délai de réflexion de trois mois que vous proposez me semble un peu long. Nous envisageons, pour notre part, de retenir le délai d'un mois ; il sera fixé par le décret d'application prévu au II de l'article 29.
Cette disposition n'étant pas en contradiction avec votre démarche, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
Monsieur Collombat, nous sommes très attachés aux dispositions de la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003. Je sais que Jean-Patrick Courtois, qui était le rapporteur de ce texte au Sénat, partage mon sentiment ; j'en étais pour ma part le rapporteur à l'Assemblée nationale.
Notre objectif était d'engager une démarche à l'encontre non pas des prostituées elles-mêmes, mais plutôt des proxénètes, ainsi que des responsables des filières de prostitution et de traite des êtres humains. En accord avec le ministre de l'intérieur, nous avions donc proposé que toutes celles et tous ceux qui contribueraient à apporter à l'administration ou à la justice des éléments nous permettant de démanteler ces filières et ces réseaux puissent bénéficier de dispositions visant à les protéger, comme la délivrance d'une autorisation de séjour, de courte durée dans un premier temps, puis de plus longue durée, ainsi que de mesures sociales, voire d'une autorisation de travail sur le sol français.
Les dispositions prises de manière déterminée dans la loi du 18 mars 2003 me semblent donc avoir eu un effet déterminant.
Dans cet article 29, le ministre de l'intérieur propose de renforcer cette dimension en allant encore plus loin. D'ailleurs, monsieur Collombat, je ne vous cache pas que j'ai d'abord été tenté d'être favorable à votre amendement. La seule raison qui me conduit à ne pas l'être tient au fait que je considère malgré tout nécessaire que l'administration comme l'autorité compétente gardent leur marge d'appréciation, ce qui ne serait pas le cas si les mots « peut être » étaient remplacés par le mot « est ».
À titre d'exemple, cela pourrait conduire à accorder la carte de séjour y compris à des personnes qui, pour profiter de la situation, feraient des dénonciations calomnieuses.
Par prudence donc, et sachant que le présent projet de loi va encore plus loin que les dispositions de la loi de 2003 et qu'il constitue une grande avancée pour protéger toutes celles et tous ceux qui sont, hélas ! victimes des filières d'immigration clandestine ou des proxénètes, j'émets donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, la meilleure façon de faire cesser la tentation est d'y succomber...
Dans le cas d'espèce, il me semble que c'est en envoyant un signal fort à ces filières que l'on aura le plus de chance de les démanteler. Il faut donc commencer par faire savoir à ceux qui prendront le risque de les dénoncer que l'on s'occupera d'eux. Ensuite, si d'aventure une dénonciation se révélait calomnieuse, les circonstances qui avaient justifié la délivrance de la carte disparaissant, cette dernière serait retirée à son bénéficiaire.
La crainte d'encourager la création de filières, comme pour les mariages blancs, me paraît donc excessive. C'est peut-être passer à côté d'un moyen pour porter le fer là où est le mal.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Si je vous ai bien compris, monsieur le ministre, le décret accordera aux victimes un délai d'un mois.
Mme Éliane Assassi. C'est une petite avancée, mais une avancée tout de même, et je retire donc mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 381 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 187.
(L'amendement n'est pas adopté.)