compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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DEMANDE D'AUTORISATION De MISSIONs D'INFORMATION
M. le président. M. le président du Sénat a été saisi de deux demandes tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner des missions d'information par :
- M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, pour qu'une délégation puisse se rendre en Argentine pour y étudier la situation sanitaire et le régime de protection sociale de ce pays ;
- M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, pour qu'une délégation puisse se rendre aux États-Unis afin d'y étudier l'organisation des systèmes universitaires et de recherche américains ainsi que celle des musées.
Le Sénat sera appelé à statuer sur ces demandes dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.
3
Garantie de la conformité du bien au contrat
Adoption définitive d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garantie de conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur et à la responsabilité du fait des produits défectueux (n°s 276, 277).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ordonnance qu'il vous est aujourd'hui demandé de ratifier témoigne de ce que nos engagements européens, loin d'entraîner une dérégulation du marché, permettent, au contraire, d'asseoir un meilleur équilibre dans les relations entre professionnels et particuliers.
Elle participe ainsi pleinement de la politique du Gouvernent en faveur des consommateurs et du développement économique. Cette action s'est traduite, la semaine dernière, par la réforme du droit des sûretés que j'ai présentée en conseil des ministres. La présente ordonnance s'inscrit dans la même orientation.
La première garantie qu'elle apporte réside, avant tout, dans sa simplicité et sa lisibilité. Ainsi, dans le code de la consommation, l'ordonnance fusionne en un article unique la garantie des vices cachés et l'obligation de délivrance conforme. Les textes nouveaux permettent ainsi aux consommateurs de trouver une réponse immédiate et claire dès lors qu'ils ont des motifs de se plaindre d'un bien qu'ils ont acquis.
Si le bien ne correspond pas à ce qu'ils pouvaient légitimement en attendre, ils pourront en demander le remplacement ou la réparation. Dans l'hypothèse où aucune de ces mesures ne serait possible, tout au moins à court terme, le consommateur pourra obtenir la résolution du contrat.
Ces principes relèvent de la garantie légale qui, en tout état de cause, est due par le professionnel. Ce dernier peut en outre, comme cela se pratique habituellement, consentir une garantie supplémentaire, dite garantie commerciale. L'ordonnance pose, à cet égard, certaines règles que les débats parlementaires ont déjà judicieusement complétées par voie d'amendement.
En effet, le texte initial prévoyait une prorogation automatique de la durée de la garantie commerciale lorsque le bien remis en réparation était immobilisé plus d'une semaine. Toutefois, ce texte n'était applicable qu'à la garantie consentie par le vendeur lors de l'acquisition du bien. Son application a donc été étendue à la garantie qui peut à nouveau être concédée au moment de la réparation.
Pour en arriver à ce texte clair, construit et équilibré, la chancellerie a étudié les différentes possibilités de transposition pour finalement retenir un dispositif aux contours nettement définis et aux solutions concrètes.
Ainsi, il a semblé préférable de limiter le régime nouveau aux relations entre le consommateur et le professionnel plutôt que de l'appliquer à tous les contrats de vente pour lesquels les mécanismes classiques de droit civil restent adaptés. De même, les immeubles en sont exclus puisque leur vente fait déjà intervenir des professionnels qui sont le plus à même de conseiller utilement l'acheteur.
Le caractère circonscrit de cette ordonnance commandait qu'elle figure dans le code de la consommation, le code civil accueillant, pour sa part, les textes d'application générale.
Le code civil est également modifié pour tenir compte de la condamnation prononcée par la Cour de justice des Communautés européennes. Je veux parler naturellement du dossier de la responsabilité du fait des produits défectueux que nous pourrons enfin clore par le vote qui est aujourd'hui demandé au Sénat.
Ce régime de responsabilité, qui procède d'une directive de 1985, est à certains égards inclassable dans notre droit. C'est ainsi qu'il ignore la distinction traditionnelle entre les responsabilités contractuelles et les responsabilités délictuelles. De même, il permet au vendeur de s'exonérer de sa responsabilité en désignant son fournisseur ou le producteur, ce qui procède d'une conception de la responsabilité étrangère à notre droit ; je crois d'ailleurs savoir que M. Fauchon s'exprimera ultérieurement sur ce sujet.
M. Pierre Fauchon. Parce que c'est nouveau !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il avait été estimé, lors de la loi de transposition, que la possibilité pour le vendeur d'appeler en garantie le professionnel qui était intervenu en amont répondait à ce mécanisme d'exonération. Qui plus est, il avait été décidé, afin de faciliter cet appel en garantie, que le vendeur n'aurait pas à apporter la preuve d'une faute de la part du producteur pour engager sa responsabilité.
On pouvait légitimement considérer que le régime d'exonération, prévu par la directive mais inconnu dans notre droit, était ainsi pertinemment transposé.
Or la Cour de Luxembourg ne l'a pas entendu de cette façon et a condamné notre pays il y a quelques jours, le 14 mars 2006, pour transposition incomplète.
Une astreinte de plus de 31 000 euros par jour a commencé à courir depuis deux semaines. L'article additionnel ajouté par le biais d'un amendement au présent projet de loi va permettre d'y mettre un terme. Il substitue, dans ce domaine de responsabilité, le mécanisme de l'exonération à celui de l'appel en garantie. En pratique, la différence sera ténue, voire sans conséquence réelle pour les opérateurs économiques. La Commission européenne a d'ailleurs confirmé que le texte nouveau constituera pour elle une transposition complète de la directive.
Je ne voudrais pas conclure sans remercier la Haute Assemblée de la confiance qu'elle a accordée au Gouvernement en l'habilitant à introduire, par voie d'ordonnance, la garantie de conformité du bien dans le code de la consommation.
Ainsi que l'a souligné la commission des lois du Sénat, il est assez rare qu'une ratification soit demandée dans un projet de loi destiné à cette seule fin. Cela étant dit, il était nécessaire de soumettre ce texte, qui sera d'un usage courant pour nos concitoyens, à un examen spécifique du Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est donc saisi, en première lecture, du projet de loi relatif à la garantie de conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur et à la responsabilité du fait des produits défectueux - ce dernier point étant un ajout des députés - adopté par l'Assemblée nationale, le 22 mars dernier.
Ce texte a deux objets.
Il s'agit, d'une part, de ratifier l'ordonnance du 17 février 2005, qui transpose en droit français la directive du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation et reprend les mesures de transposition figurant dans un précédent projet de loi, renvoyé à votre commission des lois, mais qui n'a pas été inscrit à l'ordre du jour parlementaire ; c'est dire si nous connaissons bien cette législation ainsi que toutes les tentatives qui ont été menées pour transposer certaines directives.
Il s'agit, d'autre part, de modifier une disposition du code civil relative aux conditions d'exonération de la responsabilité du fournisseur d'un produit défectueux, disposition qui a été ajoutée par l'Assemblée nationale.
L'ordonnance du 17 février 2005 a été prise par le Gouvernement en vertu de l'habilitation donnée pour une durée de six mois par la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit. Elle a été déposée dans les délais prescrits à peine de caducité.
L'examen, en tant que tel, d'un projet de loi de ratification constitue une pratique peu courante. Le plus souvent, la ratification expresse d'une ordonnance est réalisée par un texte différent du projet de loi de ratification déposé dans le délai prescrit par l'habilitation.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le garde des sceaux, une telle ratification est importante, car elle permet d'accorder une valeur législative incontestable à des dispositions qui, jusqu'alors, n'avaient qu'une portée réglementaire.
Votre commission se félicite donc de pouvoir examiner en tant que telle la ratification de l'ordonnance du 17 février 2005, d'autant plus que celle-ci a des incidences pratiques importantes et se révèle bénéfique à la protection offerte au consommateur quand il achète auprès d'un vendeur professionnel un bien meuble corporel.
En effet, cette ordonnance, qui transpose complètement et correctement la directive de 1999, concerne la vie quotidienne du consommateur. Nous pouvons en retenir les aspects suivants.
Tout d'abord, l'ordonnance était nécessaire et attendue, car, en 2004, la France, comme il arrive souvent, a été condamnée en manquement par la Cour de justice des Communautés européennes.
Elle crée, au sein du code de la consommation, une garantie légale spécifique au bénéfice du consommateur, en cas de défaut de conformité d'un bien meuble corporel qui a été vendu par un professionnel.
S'agissant des contrats d'adhésion, les plus nombreux pour l'achat d'équipements électroménagers, notamment, elle définit la notion de conformité comme étant le fait, pour un produit, d'être propre à l'usage attendu d'un bien semblable.
Enfin, l'ordonnance ne supprime pas les deux possibilités d'actions qui préexistaient en droit français, à savoir la garantie des vices cachés, désormais applicable pendant deux ans, et la responsabilité pour délivrance non conforme.
La ratification sans modification de cette ordonnance constituait l'objet initial du projet de loi. L'Assemblée nationale y a néanmoins apporté une correction bienvenue, afin d'étendre aux contrats de réparation la prorogation de la durée de garantie commerciale offerte par le vendeur lorsque la remise en état du bien vendu ne peut intervenir rapidement.
L'Assemblée nationale a inséré dans le projet de loi un article 2, monsieur Fauchon, ...
M. Pierre Fauchon. Mise en cause personnelle ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet article modifie le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux et prévoit que l'assimilation du vendeur, du loueur ou du fournisseur professionnel au producteur, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, ne s'applique qu'en cas de défaut d'identification du producteur.
Toutefois, le vendeur, le loueur ou le fournisseur professionnel pourraient s'exonérer de leur responsabilité, s'ils désignent leur propre fournisseur, ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime leur a été notifiée.
Cette modification met un point final à une bataille juridique de plus de vingt ans, qui a vu la France et la Commission européenne s'affronter au sujet de la transposition de la directive du 25 juillet 1985, qui institue la responsabilité du producteur du fait des produits défectueux.
Dans ce dossier, la France a été condamnée trois fois pour manquement par la Cour de justice. D'abord, en 1993, pour absence totale de transposition. Ensuite, en 2002, parce que la Cour avait considéré que la loi française de transposition du 19 mai 1998 n'était pas correcte. Enfin, le 14 mars 2006, car la Cour a considéré que les modifications apportées à la loi de 1998 par l'article 24 de la loi dite « de simplification du droit » du 9 décembre 2004 étaient insuffisantes.
La différence avec le texte adopté par le législateur en 2004 tient à ce que le distributeur du produit défectueux restait, en droit français, responsable au même titre que le producteur lorsque ce dernier ne pouvait être identifié, même dans l'hypothèse où il aurait indiqué à la victime, dans un délai raisonnable, l'identité de celui qui lui a fourni le produit.
Le législateur français avait voulu concilier le régime d'exonération prévu par la directive avec le droit commun de la responsabilité, qui date de 1804, et même, sans doute, de plus loin encore.
M. Pierre Fauchon. Des Romains !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Dans notre conception juridique de la responsabilité civile, le principe d'éviction totale de la garantie a un aspect choquant, il faut le reconnaître.
Au demeurant, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes qu'une transposition littérale du texte d'une directive n'est pas requise en toutes circonstances, dès lors que les moyens de droit mis en oeuvre permettent de satisfaire aux obligations prévues par la directive.
Par ailleurs, il faut bien reconnaître que la faculté pour un fournisseur d'indiquer à la victime l'identité de son propre fournisseur n'a, en pratique, qu'un rôle très subsidiaire. Elle joue lorsque le producteur lui-même demeure inconnu et que, en pareil cas, ce fournisseur est en mesure d'appeler son propre fournisseur en garantie.
Cette argumentation n'a pas convaincu la Cour de justice des Communautés européennes, qui a suivi la Commission européenne et de nouveau condamné la France. Toutefois, dans l'arrêt de mars 2006, la Cour ne s'est pas contentée de constater le manquement persistant de la France. Elle l'a condamnée au paiement d'une astreinte par jour de retard dans la mise en conformité du droit français avec la directive de 1985.
L'astreinte a été fixée à 31 650 euros par jour. Elle a pris effet le 14 mars 2006. À ce jour, la France est donc redevable, si l'astreinte est liquidée, de près de 540 000 euros ! Toute journée gagnée pour le vote de ce texte peut donc permettre à notre pays de réaliser des économies.
M. Pierre Fauchon. Nous pouvons emprunter ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il faut donc aller vite, non seulement pour ne pas creuser encore davantage le déficit des finances publiques, mais aussi pour rendre à la France une certaine respectabilité en matière d'accomplissement des obligations communautaires.
Bien souvent, quand nous transposons une directive, nous le faisons a minima, mais ce n'est plus possible désormais, apparemment, dans le domaine de la concurrence. L'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 25 avril 2002 est extrêmement précis à cet égard, puisque la juridiction a estimé que les États membres n'étaient pas autorisés à s'écarter de la directive d'harmonisation maximale, à l'occasion de sa transposition, même dans le sens d'une amélioration du niveau de protection des consommateurs victimes.
Si d'autres directives sont adoptées dans ce domaine, il faudra veiller, me semble-t-il, à ne pas s'écarter du texte communautaire, faute de quoi nous risquerions d'être de nouveau condamnés.
L'ordonnance du 17 février 2005 et l'article 2 du présent projet de loi assurant désormais une transposition complète, et non contestée par les institutions communautaires, des directives de juillet 1985 et de mai 1999, votre commission des lois vous propose d'adopter ce projet de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si c'est à regret, je ne monte pas à cette tribune pour vous demander de rejeter ce texte. Nous ne pouvons pas faire autrement que de l'adopter, nous avons le couteau sous la gorge !
M. Pierre Fauchon. Certes, monsieur le ministre, mais voilà déjà longtemps que la France fait face à d'importantes hémorragies financières grâce à l'emprunt ! Nous pouvons continuer sur cette voie, en profitant des taux d'intérêt modérés, même si les jeunes générations finissent par se rendre compte que cette politique leur coûte cher ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. Nous pourrions prendre cette condamnation avec une certaine philosophie, mais je comprends que tel ne soit pas votre point de vue. Puisqu'il est clair que nous devons obtempérer, faisons-le !
Mon intention n'est donc pas de vous demander de rejeter ce texte, que je voterai tout à l'heure, comme tout le monde. Je ferai toutefois deux séries de réflexions.
Mes premières remarques porteront sur le texte lui-même. Le système qui a été imaginé, et qui nous est imposé, est choquant. En effet, les acheteurs de produits de consommation courante, bien connus, ne pourront plus, dans certains cas, attaquer les vendeurs, car ceux-ci se défausseront sur leurs propres fournisseurs.
D'un point de vue juridique, c'est tout simplement monstrueux ! Quand un consommateur - c'est-à-dire, mes chers collègues, vous ou moi -, achète un téléviseur, un poste de radio, ou un autre appareil, le vendeur lui explique comment fonctionne son produit, en fait éventuellement la publicité et réalise grâce à lui un bénéfice, d'ailleurs tout à fait légitime !
Or, ce commerçant pourra désormais ne plus garantir cet appareil et se contenter de renvoyer l'acheteur vers son fournisseur, qui, par les temps qui courent, risque fort de résider à Bangalore, ou au fin fond de la Chine, un pays que je ne connais pas, mais qui me paraît vaste et profond. Comment donc, dans ces conditions, se retourner contre le fournisseur ?
C'est se moquer du monde, ou au moins du principe fondamental en vertu duquel le vendeur doit garantir la qualité de son produit ! Comment avons-nous pu abandonner cette règle ? Comment, à Bruxelles, les lobbys de la distribution sont-ils parvenus à faire adopter de telles dispositions, qui méconnaissent un principe en vigueur depuis des temps immémoriaux ?
En effet, nous nous affranchissons ici de l'adage latin spondet peritiam artis, qui signifie que le professionnel doit répondre de sa « péritie », le contraire de l'impéritie. C'est profondément choquant à une époque où les produits sont fabriqués très loin, parfois de façon éphémère, dans des conditions qui, pratiquement, interdisent tout recours.
C'est d'autant plus scandaleux que nous sommes entrés dans un monde où les produits sont de moins en moins sûrs et solides, contrairement à ce que nous pourrions croire. Si par exemple l'habitat, dont j'ai pu suivre de près l'évolution, a beaucoup progressé, grâce, notamment, à la normalisation, il n'en va pas de même des petits appareils ...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et des véhicules !
M. Pierre Fauchon. ... qui, nous le savons tous, jouent un rôle essentiel dans notre vie quotidienne ! Je ne pense pas seulement aux appareils utilisés par les maîtresses de maison, mais aussi aux postes de radio, aux chaînes hi-fi, aux ordinateurs, entre autres. Chacun peut l'observer chez soi.
J'ai interrogé certains de nos collègues depuis une semaine. Je leur ai demandé si tel ou tel de leurs appareils électroniques n'était pas tombé en panne au bout de sept mois, de huit mois ou d'un an, et ce qu'ils avaient fait alors. Ils m'ont répondu qu'ils étaient allés porter l'objet en cause à la FNAC, ou dans quelque autre magasin, où les vendeurs leur avaient expliqué qu'il leur en coûterait autant, ou même moins, de racheter un appareil neuf que de faire réparer l'ancien.
Par ailleurs, mes chers collègues, vous observerez que les commerçants qui vantent la qualité de leurs appareils pour les vendre invitent de plus en plus souvent les acheteurs à souscrire une garantie de fonctionnement. Nous atteignons ici un degré de cynisme invraisemblable et je m'élève contre cette dérive quelque peu effrayante.
Par ailleurs, j'observe, d'une part, que la directive de 1985 nous oblige à instituer une franchise de cinq cents euros dans le cadre de l'action en responsabilité du producteur, ce qui, pour des appareils dont le coût n'est pas très élevé, représente une somme considérable, et, d'autre part, que la garantie automatique est limitée à six mois, durée pendant laquelle le consommateur n'est tenu d'apporter aucune preuve.
Monsieur le ministre, quand je dirigeais l'INC, l'Institut national de la consommation, je militais en faveur d'une garantie automatique de deux ans pour les produits domestiques. Je continue de penser qu'une telle durée serait tout à fait justifiée, et je déposerai un jour une proposition de loi qui vous gênera beaucoup ! (Sourires.)
En effet, certains produits domestiques ne sont pas d'usage quotidien. C'est le cas, par exemple, de ceux qui servent occasionnellement dans les maisons de campagne ou de vacances, dont les défauts sont donc moins rapidement découverts.
Ce texte montre une nouvelle fois que le lobby des professionnels est beaucoup plus puissant que celui des consommateurs, ce qui m'amène à ma seconde série de remarques que, monsieur le ministre, je suis ravi d'énoncer en votre présence.
Pourquoi la défense des consommateurs est-elle de plus en plus faible en France, au point d'être presque devenue inexistante ?
Pour avoir dirigé l'INC de 1978 à 1981 - et vous comprenez ce que cette dernière date signifie ! - j'ai connu un temps où il n'en allait pas de même, où les défenseurs des consommateurs disposaient de pouvoirs et de responsabilités étendues, d'émissions de télévision et de centres d'étude.
Le ministre chargé de l'économie de l'époque, M. Monory - je suis heureux de lui rendre ici cet hommage -, soutenait alors notre action. Tandis que les professionnels affirmaient devant lui que « Monsieur F. », pour ne pas me citer, les dérangeait, notre collègue René Monory leur répondit, avec la magnifique assurance qui le caractérisait, qu'il était fort bien que l'INC dérange, car telle était sa mission, qu'il remplissait donc correctement !
Belle époque où l'on trouvait normal que la défense du consommateur dérange ! Depuis lors, de ce côté de l'hémicycle (M. Pierre Fauchon se tourne vers la gauche), on a - passez-moi l'expression - vendu la peau de l'INC aux associations de consommateurs !
Les prérogatives et les responsabilités de l'INC ont été réduites, pour faire de l'institut un service purement technique de recherche, qui réalise des études comparatives. Cette tâche est, en soi, très utile, mais la capacité d'expression autonome de l'INC a pratiquement disparu, tandis que les associations de consommateurs se sont multipliées. La fonction de défense des consommateurs a même été confiée à des syndicats de producteurs, ouvriers notamment, ce qui est tout bonnement ridicule !
Je me souviens m'être attaqué jadis aux pneus Michelin, et avoir vu alors défiler dans mon bureau les syndicalistes de cette entreprise, qui me reprochaient de ruiner leur travail. Je leur ai répondu qu'un défenseur des consommateurs devait tout de même se soucier des accidents mortels qui se produisent sur les routes ! Confier la défense des consommateurs aux producteurs est tout à fait équivoque.
Dès lors que l'on multiplie les organismes investis d'une même mission d'intérêt général, ceux-ci passent plus de temps à se concurrencer les uns les autres qu'à faire progresser la cause qui leur a été confiée. Il s'agit là d'un phénomène habituel dans notre pays, que nous pouvons observer également dans le syndicalisme, et dont les associations de consommateurs fournissent un autre exemple.
Mes chers collègues, vous noterez que les actions consuméristes ont pratiquement disparu depuis bon nombre d'années. Je dois, toutefois, rendre hommage à Que Choisir ?, qui est restée une authentique association de consommateurs, menant des actions courageuses, mais c'est l'exception qui confirme la règle.
Nous n'entendons jamais parler des autres organisations de consommateurs, dont les actions locales sont utiles, certes, mais qui ne mènent plus de combats nationaux. Le consumérisme s'affaiblit donc à l'échelle du pays, ce qui est une grande erreur dans un régime économique que nous voulons - du moins je le souhaite, pour ma part - libéral.
Une économie libérale repose sur la compétition, qui doit s'établir non seulement entre les entreprises qui produisent, mais aussi entre les consommateurs et les producteurs, dont la confrontation améliore le rapport qualité- prix des biens. Dès lors que l'un des deux compétiteurs est affaibli, ou même n'existe plus, la confrontation ne se produit pas et nous assistons à des dérives semblables à celle que celle que j'ai évoquée, et qui est désolante.
Monsieur le garde des sceaux, je me permets de vous suggérer de revoir le statut de l'INC, afin de lui restituer certaines des prérogatives qui lui avaient été confiées à l'origine par M. Michel Debré. Cela ne serait pas très difficile à réaliser.
Une telle démarche rendrait un grand service à la cause des consommateurs, qui, encore une fois, me paraît être d'intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il arrive qu'une commissaire aux finances s'intéresse au droit de la consommation. Vous allez comprendre assez rapidement pourquoi !
Nous devons aujourd'hui nous prononcer sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 17 février 2005 qui est une transposition de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 tendant à harmoniser, sur certains points, le droit de la consommation.
L'objet de l'ordonnance est d'offrir au consommateur, lorsqu'il acquiert un bien auprès d'un professionnel, la possibilité d'intenter simplement une action en responsabilité contractuelle contre le vendeur dans l'hypothèse où le bien ne correspond pas à ce qu'il est en droit attendre. C'est ce qu'on appelle la garantie de conformité.
Déposé devant le bureau de l'Assemblée nationale, le 7 mai 2005, soit il y a près d'un an, le projet de loi de ratification n'a été examiné par l'Assemblée nationale que le 22 mars dernier. Bizarrerie du calendrier parlementaire, une semaine après, le Sénat en débat aujourd'hui, en raison sans doute de la condamnation de la France, par la Cour de justice des Communautés européennes, le 14 mars 2006, pour défaut de transposition, à une astreinte de 31 650 euros par jour.
L'ordonnance prévoit un nouveau régime qui pourrait remplacer les deux actions actuelles - l'action en garantie de conformité du bien au contrat et l'action en délivrance conforme - par une seule action. Or la transposition ne tend à modifier que le code de la consommation. Il s'agit d'une transposition libérale.
Il me semble pourtant que la directive unifie le régime de l'action en gommant la distinction entre l'action en garantie des vices cachés et l'action pour délivrance non conforme, ce qui modifie le code civil et le code de la consommation. Le choix qui a été opéré consiste à ne modifier que le code de la consommation.
Or je ne sais pas si une telle démarche est vraiment conforme à l'esprit de la directive, dont l'objet est d'assurer la protection du consommateur. C'est d'ailleurs dans cet objectif que mon groupe votera ce projet de loi, et ce d'autant que l'Assemblée nationale a renforcé encore les dispositions protectrices.
La philosophie à laquelle j'adhère me semble différente de celle de M. Fauchon. C'est souvent de la législation européenne que découle l'amélioration des droits des consommateurs. L'Assemblée nationale les a renforcés puisque l'article 2 du projet de loi, tel qu'il a été rédigé à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, a pour objet de modifier l'actuel article 1386-7 du code civil, selon lequel, si le producteur de biens est inconnu du consommateur, c'est le vendeur qui est responsable. L'article 2 modifie les conditions d'exonération de la responsabilité du fournisseur en cas de défaut de sécurité du produit qu'il a fourni. M. Fauchon n'a peut-être pas lu la dernière version de l'Assemblée nationale !
Cet article prévoit que, de la même manière, si le producteur du bien est inconnu du consommateur, c'est le vendeur qui est responsable à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
Il crée donc un nouveau cas de responsabilité qui devrait permettre aux consommateurs de se défendre plus efficacement.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel, devenu l'article 3, selon lequel il est prévu d'étendre aux contrats de réparation la prorogation de la durée de garantie commerciale offerte par le vendeur lorsque la remise en état du bien vendu ne peut intervenir rapidement.
Toutes ces mesures vont dans le sens d'une amélioration des droits du consommateur. On peut toutefois s'interroger à trois égards.
Tout d'abord, le dernier vendeur de la chaîne peut courir un risque, car il est souvent fragilisé. Il s'agit souvent d'une PME, voire d'une toute petite entreprise, d'un artisan, d'un franchisé ou d'un concessionnaire, qui a peu de recours par rapport au fournisseur ou au producteur.
Ensuite, on aurait pu choisir d'unifier le code de la consommation et le code civil. Pourquoi laisser coexister trois actions ? Cela peut paraître surabondant !
Enfin, il subsiste une interrogation sur le contenu de la présomption de connaissance du consommateur. L'article L. 211-8 prévu par l'ordonnance pour le code de la consommation dispose : « L'acheteur est en droit d'exiger la conformité du bien au contrat. Il ne peut cependant contester la conformité en invoquant un défaut qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer lorsqu'il a contracté. » Nous verrons quel sera le contenu que la jurisprudence donnera à cette notion.
En conclusion, le dispositif prévu s'inscrit dans le droit fil des réflexions relatives à la consommation, qui sont entamées depuis de nombreuses années.
Sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 2002, un groupe de travail avait été chargé de réfléchir à la transposition de la directive. Nous y arrivons. Il s'était plutôt prononcé en faveur d'une action nouvelle unique en garantie de conformité alors que trois actions sont maintenant prévues.
En conclusion, l'ordonnance constitue un progrès pour le consommateur, et la nécessité de transposer la directive, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, ne laissait, en termes de délai, que peu de marge de manoeuvre à la discussion.
Par ailleurs, il me semble que les consommateurs sont aujourd'hui encore démunis pour faire respecter leurs droits. Je sais que le président de la commission a organisé sur ce sujet une table ronde, il y a quelques semaines, ici même.
En conséquence, mon collègue Richard Yung, membre de la commission des lois, l'ensemble du groupe socialiste et moi-même pensons qu'une réflexion tendant à améliorer les outils de défense des consommateurs s'impose dans les litiges opposant notamment les consommateurs aux professionnels.
La réflexion du groupe de travail, mis en place à la demande du Président de la République, sur ce que nous appelons le recours collectif, et sur ce que d'autres nomment l'action collective, doit se poursuivre. Nous déposerons une proposition de loi sur ce sujet.
Les consommateurs sont confrontés à de vraies difficultés, notamment à la multiplication de petits litiges ; on ne peut pas les laisser dans une telle situation !
J'espère que l'occasion qui nous est donnée ici de débattre de ce sujet se renouvellera. Un tel problème ne connaît pas, me semble-t-il, les différences partisanes.
Des actions récentes sont présentes à notre esprit. Nous devons améliorer les droits des consommateurs pour aider ces derniers à mieux se défendre. Je pense que le recours collectif en constituera un moyen.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
L'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur est ratifiée.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
I. - Le premier alinéa de l'article 1386-7 du code civil est ainsi rédigé :
« Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée. »
II. - Le premier alinéa de l'article 1386-7 du code civil est applicable en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis et Futuna, à Mayotte et dans les Terres australes et antarctiques françaises. - (Adopté.)
Article 3
Dans la première phrase de l'article L. 211-16 du code de la consommation, après le mot : « consentie », sont insérés les mots : « lors de l'acquisition ou de la réparation d'un bien meuble ». - (Adopté.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Bricq, la garantie des vices cachés prévue par le code civil demeure. L'ordonnance n'a modifié que le code de la consommation, parce qu'il s'agit des rapports entre le consommateur et le producteur ou le fournisseur professionnel.
Les dispositions sur la garantie des vices cachés, qui n'ont pas été modifiées, sauf sur un point mineur, relèvent du droit civil, qui continue à s'appliquer.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, je souhaiterais apporter quelques réponses aux questions des orateurs
Monsieur Fauchon, le droit de la consommation reste un souci majeur pour la chancellerie. Indépendamment même de l'ordonnance dont nous débattons aujourd'hui, les magistrats participent de manière déterminante à l'action de la commission des clauses abusives.
De même, pour ne parler que des travaux les plus récents qui ont été menés dernièrement Place Vendôme, l'ordonnance sur la réforme des sûretés publiée la semaine dernière a été l'occasion d'améliorer la situation des emprunteurs vis-à-vis des banques.
A également été évoqué ce que vous appelez l'affaiblissement de la défense des consommateurs. À ce titre, vous avez appelé de vos voeux un changement de statut de l'INC. Monsieur Fauchon, je vous rappelle que cet institut est placé sous la tutelle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'indique par ailleurs que, conformément aux voeux du Président de la République, un groupe de travail sur l'action collective d'associations de consommateurs a été mis en place à la chancellerie et au ministère des finances. Le rapport de ce groupe est actuellement soumis à une large concertation auprès des professionnels et associations de consommateurs.
Madame Bricq, vous avez fait savoir que, sous le gouvernement de M. Jospin, un groupe de travail avait été constitué pour ratifier cette ordonnance. Mon ministère regrette beaucoup - et mon budget aussi ! - que vous ne soyez pas allés jusqu'au bout puisque, à l'heure où je vous parle, je paie une très lourde astreinte.
Mme Nicole Bricq. Entre-temps, il y a eu une élection !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Hyest, vous avez évoqué les associations de consommateurs. Je tiens à vous dire que je donne, conjointement avec mon collègue Thierry Breton, un agrément aux associations de consommateurs pour qu'elles puissent agir en justice au nom des consommateurs. Seules aujourd'hui dix-huit associations jouissent de cet agrément et leur force reste ainsi concentrée.
Vote sur l'ensemble
M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, au nom du groupe UMP, je tiens à féliciter le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, de son excellent rapport, clair et limpide, sur une matière qui l'est beaucoup moins.
De l'examen de ce texte, nous voulons retenir plusieurs points principaux.
Tout d'abord, nous nous félicitons de l'examen de ce projet de loi dans le cadre de l'ordre du jour prioritaire.
En effet, le Parlement s'indigne suffisamment souvent des ratifications des ordonnances à marche forcée, même si, naturellement, il a préalablement habilité le Gouvernement à les prendre, pour ne pas se réjouir aujourd'hui de pouvoir être saisi de manière autonome de la ratification de l'une d'entre elles.
Ensuite, cette procédure a permis au Parlement d'améliorer substantiellement le texte, en assurant désormais la conformité du droit interne aux dispositions européennes en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Comme l'a bien souligné notre excellent collègue Pierre Fauchon tout à l'heure, si nous avons pu obtenir des améliorations en ce domaine, il y a encore beaucoup à faire.
Enfin, nous voulons ici saluer un nouveau texte, qui permet de déplacer le curseur en faveur des consommateurs. Il s'agit d'ailleurs en la matière de la troisième initiative depuis le début de cette législature, après la loi du 28 janvier 2005, d'initiative parlementaire, tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur et la loi du 26 juillet dernier pour la confiance et la modernisation de l'économie.
Notre groupe s'en félicite dans la mesure où, une nouvelle fois, ces dispositions vont dans le sens d'une harmonisation à la hausse des droits du citoyen.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons donc avec satisfaction ce projet de loi tel qu'issu des travaux du Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)